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FEUILLE FÉDÉRALE 113e année

Berne, le 5 octobre 1961

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Paraît, en règle générale, chaque semaine. Prix: 30 francs par an; 16 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des Hoirs C.-J. Wyss, société anonyme, à Berne

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi sur les cartels et les organisations analogues (Du 18 septembre 1961)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre, avec le présent message, un projet de loi sur les cartels et les organisations analogues.

A. La législation sur les cartels en général I. Introduction 1. Le jeu de la libre concurrence est limité de mainte façon soit par des accords conclus entre entreprises ou des décisions d'associations, soit par des puissances économiques (organisations analogues) qui dominent le marché. Bien que ces restrictions ne soient pas indésirables dans leur principe, elles peuvent entraver sérieusement la concurrence et empêcher les individus d'exercer librement une activité économique. Néanmoins, on ne peut invoquer contre elles le principe de la liberté du commerce et de l'industrie fixé à l'article 31 de la constitution fédérale. D'après une pratique qui remonte jusqu'au siècle dernier et que le Conseil fédéral et, dans la suite, le Tribunal fédéral ont constamment suivie, la protection de la liberté du commerce et de l'industrie assurée par la constitution ne vise que les rapports entre les particuliers et l'Etat et non ceux des particuliers entre eux. Cela signifie que le droit constitutionnel protège l'individu contre des atteintes portées par l'Etat, mais non contre des interventions de particuliers. La garantie assurée par la constitution en ce qui concerne la liberté du commerce et de l'industrie ne signifie pas que cartels ou boycottages soient illicites.

Feuille fédérale. 113e année. Vol. II.

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En revanche, les cartels et autres limitations de la concurrence tombent sous le coup des dispositions générales du droit privé. Saisi d'une demande, le juge décide si un cartel ou un boycottage est licite du point de vue du droit privé. Au cours des soixante dernières années, le Tribunal fédéral a dû statuer sur un grand nombre de litiges, notamment en ce qui concerne les boycottages.

2, Déjà dans les années vingt et trente, on réclama à diverses reprises, sur le plan parlementaire, l'intervention des autorités contre les cartels, dans l'idée que la pratique suivie par les tribunaux ne permettait pas de lutter de manière suffisante contre les abus (motion Grimm 1924; interpellations Brügger, Grimm, Schmied-Ruedin 1926, postulat Schmidlin 1930; interpellation Schmid-Oberentfelden 1931; motion Feldmann 1936). En 1926, le département fédéral de l'économie publique institua la commission d'étude des prix, qui avait pour mission d'examiner la situation dans le domaine des prix. Cette commission procède depuis 1936 à des enquêtes qui ont permis de se faire une idée exacte du développement des cartels dans notre pays.

Dans notre message du 10 septembre 1937 concernant une revision partielle des dispositions constitutionnelles qui régissent l'ordre économique (FF 1937, II, 885), nous avions proposé de créer une base juridique sûre en prévision d'une législation sur les cartels. Aussi bien le projet adopté par les chambres en 1939 que le texte définitif des articles relatifs au domaine économique, tel qu'il a été introduit en 1947 dans la constitution, autorisent la Confédération à édicter des dispositions «pour remédier aux conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social, des cartels ou des groupements analogues» (art. 31&Ì9, 3e al., lettre d, Cst.). Ainsi se trouvent jetées les bases constitutionnelles d'une législation permettant, non pas d'interdire les cartels comme tels, mais d'en combattre les abus.

De nouvelles interventions parlementaires suivirent l'acceptation des dispositions constitutionnelles régissant l'ordre économique ; on demandait de passer au stade de l'application en adoptant une loi sur la matière (motions Grimm, Sappeur et Vincent 1947; postulat Herzog 1949; motion A. Borei 1952; motion Spühler 1955). La commission fédérale d'étude des prix fut chargée en 1950 d'établir,
sur la base de ses investigations, un rapport général sur le problème des cartels vu sous l'angle de l'économie politique.

Ce rapport, qui a paru en 1957 sous le titre: «Les cartels et la concurrence en Suisse» (31e publication de la commission d'étude des prix), a eu un grand retentissement et a été propre à servir de base aux travaux législatifs.

Dans l'intervalle, soit le 3 février 1955, fut déposée l'initiative populaire contre l'abus de la puissance économique. Cette initiative visait à interdire en principe les cartels en déclarant illicites, sous réserve de certaines exceptions légales, toutes les mesures et conventions d'entreprises, d'organisations ou de personnes isolées destinées à limiter la concurrence, à créer des mono-

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pôles ou des situations analogues, ou à obtenir des avantages excessifs au détriment du consommateur (cf. le rapport du Conseil fédéral du 8 février 1957, FF 1957, I, 356). Le peuple et les cantons rejetèrent cette initiative le 26 janvier 1958 par 550 322 voix contre 192 297 et par tous les cantons.

Dans son rapport sur l'initiative, le Conseil fédéral avait déjà manifesté expressément sa volonté d'entreprendre la préparation d'une loi sur les cartels dans le cadre de la disposition constitutionnelle. Une motion adoptée par les conseils législatifs sur la proposition de M. Spuhler, député au Conseil des Etats, exprima une intention analogue. Elle invitait le Conseil fédéral à présenter un projet de loi spéciale contre les effets économiquement et socialement nuisibles des cartels et d'organismes semblables.

Juristes et économistes se sont également penchés sur le problème des cartels. Nous citerons pour la période d'avant-guerre, outre les diverses études sur les cartels, les travaux de A. Gysin (Grundlinien des schweizerischen Kartellrechts, Zeitschrift für schweizerisches Recht, 1930, p. 364 s.), de F. Marbach (Kartelle, Trusts und Sozialwirtschaft, 1932) et de M. Feldmann (Kartelle, Trusts und Monopole im Verhältnis zur Handels- und Gewerbefreiheit, 1931). L'enquête sur les cartels entreprise par la commission d'étude des prix que préside M, le professeur F- Marbach a apporté une contribution décisive à la connaissance de la question. Après la guerre, divers auteurs ont affirmé qu'à la liberté du commerce et de l'industrie selon la constitution devait correspondre le droit de l'individu au libre choix et au libre exercice d'une activité économique, droit que le boycottage entrave d'une manière inadmissible. Tel est l'avis notamment de A. Simonius (Ein verkanntes Freiheitsrecht, Festgabe Ruck, 1952, p. 261 s.) et de H. Merz (Über die Schranken der Kartellhindung, 1953); nous citerons' aussi une étude antérieure à la dernière guerre de F. Guisan (La protection de la personnalité et le boycott commercial, Festgabe Wieland, 1934, p. 149 s.).

3. Par décision du 9 juillet 1957, le département fédéral de l'économie publique institua une commission d'experts de la législation sur les cartels présidée par le directeur de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, et composée
de représentants de la science, des entrepreneurs, des travailleurs et des consommateurs. Après des discussions approfondies, la commission soumit, au printemps 1959, un projet de loi au département (Préparation d'une loi fédérale sur les cartels et les organismes analogues.

Rapport accompagnant le projet de loi de la commission des experts, avril 1959). Au début du mois de juillet 1959, le département s'adressa aux cantons et aux associations pour leur demander leur avis. Les réponses ne lui parvinrent qu'à la fin de 1959 et au début de 1960. Après leur dépouillement, la commission eut encore l'occasion de s'exprimer. Le présent projet reflète, pour l'essentiel, son opinion.

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II. les restrictions apportées à la concurrence dans l'économie suisse 1. Le libre jeu de l'offre et de la demande qui caractérise le régime de la liberté des marchés est plus ou moins limité dans notre pays par tout un réseau d'accords et.de décisions. Nous relèverons notamment les réglementations en matière de prix et de conditions en usage dans les affaires, les conditions à remplir pour accéder à une activité lucrative, le contingentement de la production ou la répartition des débouchés entre plusieurs entreprises. Toutes ces mesures sont inspirées d'un même désir, celui de maintenir ou d'améliorer le revenu des intéressés. Leur efficacité varie suivant les conditions propres à chaque branche et selon les possibilités d'exercer une pression sur ceux qui ne sont pas affiliés. Ces accords et décisions sont appelés cartels lorsqu'ils émanent de plusieurs entrepreneurs qui cherchent par ce moyen à influencer collectivement le marché.

Le marché peut être aussi influencé artificiellement par des entreprises individuelles usant de leur puissance économique ou par des concentrations d'entreprises. La concurrence peut encore être limitée par ce qu'on est convenu d'appeler les accords de prix de seconde main, au moyen desquels les revendeurs s'engagent à observer les prix fixés par leurs fournisseurs.

Les considérations qui précèdent visent la concurrence sur le marché des biens et des services. Or le marché du travail subit aussi des limitations de caractère privé, qui résultent de conventions collectives de travail.

Enfin, il convient d'observer que la concurrence n'est pas limitée seulement par des particuliers mais l'est aussi par l'Etat, et même très profondément dans certains domaines.

2. On rencontre des limitations de la concurrence dans la plupart des domaines de l'activité économique. La commission d'étude des prix a exposé cet état de choses en détail dans son rapport, si bien que nous pouvons nous dispenser d'en parler longuement. Nous croyons toutefois utile de résumer ici les limitations qui existent actuellement.

Dans l'industrie, on rencontre des cartels disposant d'une organisation perfectionnée, qui contingentent la production pour soutenir les accords de prix et répartissent les débouchés entre les entreprises affiliées (p. ex.

le cartel du ciment). En général, seuls les prix et
les conditions de vente sont réglés. Dans les branches qui ne comptent que peu d'entreprises, des accords peuvent être conclus sans nulle forme, par exemple à l'occasion d'une réunion amicale.

Dans l'artisanat également, l'importance prise par les cartels est considérable. Nous nous bornerons à mentionner à titre d'exemples le bâtiment et le génie civil, les entreprises connexes du bâtiment, les arts graphiques, la boulangerie et le métier de coiffeur. La plupart des accords visent à normaliser les prix ou conditions, en fixant parfois simplement le prix de base ou le mode de calcul des prix. Nous rappelons par ailleurs les clauses

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obligeant les entrepreneurs à faire, lors de la mise au concours de travaux publics, leurs soumissions sur la base de prix ou de tarifs établis en commun (cartels de soumissions). Dans divers domaines de l'artisanat, il existe des réglementations verticales, fondées sur des accords avec les fournisseurs, qui permettent d'exercer un contrôle sur l'accès au métier et de limiter le nombre des admissions (p. ex. chez les installateurs). Dans l'artisanat, le développement des cartels est surtout le fait des associations professionnelles.

Certains d'entre eux remontent déjà très loin.

Dans les autres domaines de l'économie, on rencontre également un grand nombre de cartels, qu'il s'agisse des hôtels et restaurants, des transports, du commerce, de l'édition de livres et de journaux, de la banque ou du secteur des assurances. Dans le commerce de gros, il existe des réglementations verticales liant les grossistes et leurs fournisseurs ou acheteurs (p. ex.

dans le commerce de gros des articles d'installations sanitaires, dans le commerce des matériaux de construction, des articles en fer, des cuirs, du papier, des fils et étoffes). Les banques ont conclu des accords sur les conditions de crédit et les intérêts et les compagnies d'assurance, sur les primes.

Les barèmes d'honoraires que l'on rencontre dans les professions libérales constituent aussi des cartels lorsqu'ils revêtent un caractère de droit privé.

Dans l'agriculture, la situation est particulière du fait que les mesures de protection prises par l'Etat, tout en reposant en partie sur des groupements privés (associations laitières), se substituent sur une large échelle aux cartels.

Sont également très répandus les accords de prix dits de seconde main, en vertu desquels le fournisseur oblige l'acheteur (grossiste ou détaillant) à respecter un prix déterminé lorsqu'il revend la marchandise. Ces réglementations, qui sont typiques en matière d'articles de marque, jouent un rôle considérable dans diverses branches (p. ex., pour la vente de denrées alimentaires, de produits de nettoyage, de médicaments, de montres, d'appareils de radio, d'articles de photographie et d'appareils ménagers).

Comme nous l'avons déjà relevé, des puissances économiques peuvent apparaître même en l'absence d'accord à caractère de cartel, par exemple, par suite de concentration
d'entreprises (trusts, concerns). Bien qu'elles ne dépassent pas certaines limites dans notre pays, la crainte se manifeste parfois qu'elles ne se développent encore à la suite du développement technique et de la nécessité de produire en très grandes séries.

3. Pour mieux assurer l'efficacité des limitations de la concurrence, on prévoit en général des sanctions à l'égard des membres du cartel, notamment sous forme de peines conventionnelles et de mesures de coercition à l'égard des outsiders (boycottage, mesures discriminatoires). On peut restreindre ou supprimer la concurrence des non-affiliés (outsiders) par des accords entre fournisseurs et acheteurs interdisant de leur livrer des marchandises ou ne les faisant pas bénéficier des avantages consentis aux

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membres du cartel. Pareilles réglementations verticales sont assez largement répandues. Lorsque tous les fournisseurs participent à l'entente et que les membres observent strictement les clauses de l'accord, on en arrive, par l'élimination des outsiders, à un monopole collectif de tous les affiliés. Il en est de même des accords entre associations d'employeurs et syndicats ouvriers lorsqu'ils interdisent aux travailleurs de s'engager auprès d'employeurs qui n'observent par les clauses du cartel.

En l'absence de réglementation verticale, il est généralement difficile de combattre un outsider. Une simple obligation horizontale permet cependant parfois d'entraver, par des mesures bien dirigées, l'activité d'un outsider; cela suppose que toutes les entreprises importantes de la branche de production ou du stade commercial intéressé participent au cartel.

III. Considérations d'ordre économique et politique 1. La Suisse possédait des cartels déjà au siècle dernier. Ils n'ont cependant connu d'expansion qu'à partir des grands bouleversements économiques qui ont suivi la première guerre mondiale. Le régime d'économie de guerre et la crise économique sont à l'origine de leur essor. Pour permettre de mieux saisir les causes de la formation de cartels, nous citerons les observations de la commission d'étude des prix (p. 196 de son rapport) : Si l'on considère les causes de la formation des cartels, on constate que ceux-ci résultent principalement d'une évolution inéluctable, notamment des processus de production et de distribution. En raison de circonstances que nous relèverons plus loin, la libre concurrence, en affectant le revenu des entreprises, les a entraînées dans une situation si difficile que ces entreprises, voulant éviter de faire appel à l'aide de l'Etat, n'ont pu en général surmonter leurs difficultés qu'en recourant à des concentrations à forme de cartel. Il se peut qu'à l'époque precapitaliste, les besoins de profit et de puissance aient constitué les principaux facteurs de la monopolisation des marchés; ils n'ont joué, toutefois, qu'un rôle secondaire dans le développement des cartels modernes, issus de l'expansion industrielle et du libéralisme manchesterien. Cela ne signifie nullement que ces facteurs ne puissent avec le temps reprendre leur importance et dominer l'activité des cartels. Toutefois,
nous ne voulons nous occuper ici que des causes qui ont présidé à la formation de ces derniers.

Dans le cas d'entreprises industrielles ou d'exploitations artisanales d'une certaine ampleur, ces causes résident dans l'importance croissante du facteur capital et, partant, des frais fixes qui obligent, en cas d'occupation insuffisante, de produire pour ainsi dire à tout prix, en ne couvrant même qu'une partie des frais fixes. Il est évident que cette situation détermine une guerre des prix ruineuse à laquelle il n'est possible d'échapper qu'en recourant à l'intervention de l'Etat ou à des mesures d'entraide revêtant la forme de cartels. A cela s'ajoute qu'en régime de libre concurrence le progrès technique menace de dévaloriser l'équipement des entreprises (machines, installations, procédés de fabrication) avant que les bénéfices permettent de le renouveler. Pour échapper à ce danger et sauvegarder les capitaux investis, les entrepreneurs recourront nécessairement, ici encore, à la cartellisation.

Dans le secteur agraire, ce sont surtout les exigences de la technique de la distribution et de la mise en valeur qui devaient aboutir par la force des choses à des concen-

555 trattone d'intérêts et à des organisations communautaires. En revanche, l'artisanat et les petites industries ont été poussés vers la cartellisation par la production en série des fabriques et par la pression exercée par les grandes entreprises sur la concurrence.

L'encombrement des professions dû à l'essor industriel s'est encore aggravé dans certaines branches à la suite d'un effondrement de la demande tel que la structure même de certains métiers en a été affectée (p. ex. dans les métiers de charron et de sellier).

Au nombre des causes générales qui ont déterminé la constitution de cartels, on peut nommer encore le besoin qu'éprouvent les individus de conserver leur activité à leur place de travail, d'obtenir des salaires et des prestations sociales suffisantes, ainsi que le besoin de sécurité collective, fortement développé par les guerres et les crises économiques. Le rôle important joué par ce dernier facteur ressort nettement du fait que le nombre des associations nouvelles a fortement augmenté pendant les deux guerres mondiales et la crise économique qui a éclaté dans l'intervalle.

Les cartels tendent à assurer la sécurité du revenu et le maintien de l'état de choses existant. Ainsi que la commission d'étude des prix l'a relevé, les cartels s'opposent aussi à l'expansion des grandes entreprises. Les milieux liés par des cartels ont récemment rappelé que cet objectif revêtait une importance nouvelle du fait que l'intégration économique de l'Europe favorisait la concentration des entreprises.

2. En rejetant l'initiative contre les cartels, le peuple suisse s'est nettement prononcé contre une interdiction générale des cartels. Dans ces conditions nous pouvons nous dispenser de revenir sur les motifs qui s'opposaient à une interdiction de ce genre. Il est compréhensible que la concurrence, en s'intensifiant sous l'effet de l'évolution économique et technique, provoque de la part des particuliers des mesures destinées à en supprimer ou en atténuer les excès. Un régime de concurrence absolue ne pourra jamais être instauré, attendu qu'il subsistera toujours des inégalités tant au départ de toute activité économique que dans les conditions où elle s'exerce. On conçoit que ces inégalités puissent être corrigées dans une certaine mesure par l'Etat, comme c'est le cas dans l'agriculture par exemple. Toutefois, il est conforme à nos traditions que les intéressés s'efforcent autant que possible de se tirer d'affaire par eux-mêmes.

D'autre part, les limitations que les particuliers apportent eux-mêmes à la concurrence présentent de réels dangers. Ces limitations, bien qu'elles n'y parviennent pas toujours, s'efforcent tout au moins de supprimer la concurrence et notamment son principal régulateur : la libre formation des prix. Si elles atteignaient ce but, notre vie économique serait frappée de paralysie.

La sécurité du revenu et la conservation des structures établies ne peuvent, par exemple, se concilier avec les exigences d'une économie dynamique. On ne ferait que provoquer un recul de la productivité et un relèvement artificiel du niveau des prix et l'on compromettrait la capacité de concurrence de notre pays. En outre, il n'est pas bon que des dispositions trop poussées dans le sens du cartel exercent, en incitant à les tourner, une fâcheuse influence sur la conscience professionnelle des intéressés. Même si son but est légitime en soi, un cartel peut prêter à des abus suivant la manière dont

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il est appliqué. De plus, les restrictions excessives apportées à la concurrence entravent la liberté individuelle et les droits de la personne.

3. Les effets nuisibles se produisent surtout dans des circonstances déterminées. La commission d'étude des prix considère que la concurrence devrait avoir la possibilité de se développer dans la mesure voulue pour pouvoir jouer le rôle qui lui incombe dans l'accroissement du produit social.

Néanmoins, il ne paraît pas indiqué que l'Etat impose en quelque sorte la concurrence, car il faut avant tout que les intéressés soient disposés à s'y adonner. S'ils acceptent de contracter des engagements à caractère de cartel, on ne saurait en principe s'y opposer. En revanche, l'entrepreneur désireux de pratiquer la concurrence ne doit pas en être empêché par des cartels ou des organisations analogues. Sinon, les facteurs capables de régulariser et d'atténuer les effets des cartels disparaîtraient. La commission d'étude des prix a résumé comme suit sa pensée à cet égard (rapport p. 199) : Tant que les individus s'imposent de leur propre gré des limites à la concurrence ou s'abstiennent d'actes de concurrence, oelle-oi peut continuer à exercer son influence régulatrice sur le marché par l'intermédiaire d'autres facteurs (personnes désirant se livrer à la concurrence, présence effective ou virtuelle de personnes qui ne sont pas affiliées au cartel, produits de substitution, produits étrangers). Or, il ne peut plus en être ainsi lorsque les personnes qui ont rejeté le régime de la libre concurrence utilisent leur puissance économique pour contraindre les autres concurrents à renoncer à la concurrence ou pour les exclure du marché. L'objectif concret d'une politique qui prétend assurer à la concurrence la possibilité da s'exercer, consiste à garantir un régime de concurrence qui n'empêche personne de renoncer de son plein gré -- individuellement ou collectivement --- à la concurrence, mais laisse cependant à chacun la faculté de s'y livrer, c'est-à-dire de défendre son propre intérêt sur le marché -- dans le cadre de la légalité -- en fonction des prestations. Il n'est donc plus question ici de libre concurrence absolue mais de « concurrence possible ».

îfoiiB parlons de «concurrence possible»: en premier lieu, lorsque les individus ont la faculté de renoncer eux-mêmes
à certains moyens de concurrence en se liant par des accords cartellaires ou autres, de sorte qu'on ne peut les contraindre à se plier à la concurrence, et en second lieu, lorsqu'il est simultanément prévu que toute personne disposée à se soumettre à la concurrence, peut le faire librement en ne retenant pour seul critère que sa prestation, ce qui constitue la véritable concurrence.

Abstraction faite des considérations d'ordre purement économique, le régime de la «concurrence possible» revêt aussi une très grande importance du point do vue de la liberté individuelle. Tout cartel qui exerce une pression économique sur une personne pour forcer son adhésion et, partant, l'obliger à participer à une convention ou qui empêche, par un procédé semblable, l'un de ses membres de se retirer, viole le principe de la liberté contractuelle, c'est-à-dire de la liberté de ne pas conclure ou de maintenir un contrat contre son gré. En voulant exclure des concurrents du marché, on attente au principe du libre exercice des activités économiques. Le régime de la «concurrence possible » assure donc une protection contre la violation de la liberté individuelle par les cartels et les entreprises qui accaparent le marché.

Il convient de se rallier à la conception de la «concurrence possible» qu'a faite également sienne la commission d'experts de la législation sur les cartels. Comme la commission d'étude des prix le reconnaît elle-même

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(p. 163), ce critère permet d'éliminer non pas tous les inconvénients imaginables mais tout au moins les principaux. On garantit la «concurrence possible» en facilitant la sortie du cartel (relâchement de la contrainte sur le plan interne) et, plus spécialement, en déclarant qu'il est illicite d'entraver l'activité d'un outsider au moyen du boycottage ou par d'autres mesures discriminatoires, sauf dans des circonstances tout à fait spéciales (relâchement de la contrainte sur le plan externe).

La commisaion d'étude des prix relève, à juste titre, qu'il faut tenir compte non seulement des facteurs économiques mais aussi des exigences de la protection de la personne. Des représentants du monde juridique ont insisté sur ce point. Une loi sur les cartels a donc, dans notre pays, un double objectif: elle doit, d'une part, permettre un fonctionnement de la concurrence économique conforme à l'intérêt général et, d'autre part, protéger le droit de tout individu au libre exercice d'une activité économique.

4. La nécessité d'une loi sur les cartels a été relevée dans maintes interventions parlementaires. Avant le vote sur l'initiative contre les cartels, les chambres ont formellement invité le Conseil fédéral à préparer un projet de loi en la matière. La promesse de dispositions destinées à combattre les effets nuisibles des cartels et organismes analogues a sans doute engagé de nombreux citoyens à rejeter l'initiative. Il s'agit maintenant de réaliser cette promesse.

Les constatations faites par la commission d'étude des prix ont prouvé qu'il était effectivement indispensable d'établir une loi en la matière. Il convient de soumettre les boycottages et autres mesures discriminatoires à une réglementation rigoureuse. Le Tribunal fédéral s'est rallié à ce point de vue dans un arrêt récent (pour les détails, voir plus bas). En outre, les bases que requiert une intervention de droit public font actuellement défaut. Or il est nécessaire que les autorités aient, au besoin, la possibilité de prendre des mesures dans l'intérêt général.

Nous ne devons pas oublier que presque tous les pays occidentaux dont l'économie est fortement développée possèdent une législation sur les cartels, encore qu'il faille considérer avant tout les conditions particulières de notre pays. Aux Etats-Unis, certains Etats ont institué
une législation «antitrusts» dès la seconde moitié du siècle dernier. Mais il faut mentionner avant tout la loi fédérale de 1890, dite «Sherman-Act», qui a interdit toutes formes de restrictions apportées aux relations commerciales entre les divers Etats de l'Union. Elle fut suivie d'un grand nombre d'autres arrêtés. Le Canada a adopté, très tôt également, des mesures «anti-trusts». En Europe, des dispositions pénales visant les prix artificiellement majorés ont été les précurseurs des législations modernes sur les cartels. L'exemple en a été donné en 1810 par le code pénal français. Toutefois, c'est à partir des années vingt qu'il existe des lois sur les cartels telles qu'on les conçoit actuellement. Pour la période d'entre deux guerres, il convient de citer l'ordonnance allemande de

558 1923 sur les cartels ainsi que les arrêtés pris par les Etats Scandinaves et la Hollande. Après la seconde guerre mondiale, toute une série d'Etats ont édicté des lois en la matière ou rendu plus rigoureuses celles qu'ils possédaient déjà. L'Angleterre a établi en 1948 une procédure d'instruction et un contrôle sévère des cartels. En Allemagne, les prescriptions instituées par les Alliés en matière de suppression des cartels ont été remplacées par la loi de 1957 qui a adopté le principe de l'interdiction des cartels. L'Autriche (en 1951), la France (en 1953) et la Belgique (en 1960) ont arrêté des mesures en vue de combattre les abus. En Italie, un projet de loi est actuellement déposé.

Les lois étrangères sont toutes plus rigoureuses que le présent projet et prévoient une intervention plus profonde de l'Etat. Des prescriptions ont été établies depuis peu sur le plan international également. Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier, le traité instituant la Communauté économique européenne et la convention instituant l'Association européenne de libre-échange contiennent des clauses visant les restrictions à la concurrence. Du fait de sa participation à l'Association européenne de libre-échange, la Suisse a reconnu que les avantages découlant du libre-échange pouvaient être compromis par des pratiques commerciales restrictives (art. 15). Si des entreprises suisses se livrent à de telles pratiques au détriment d'un Etat membre de l'Association et si le cas n'est pas examiné et réglé sur recours, le conseil de l'Association peut décider, à la majorité, d'autoriser l'Etat demandeur à prendre des mesures de rétorsion (art. 31). Une loi sur les cartels faciliterait la tâche des autorités appelées à remédier à cette fâcheuse situation.

IV. Bases constitutionnelles 1. Les bases constitutionnelles de la loi sur les cartels résident dans les articles 31 Ws, 3e alinéa, lettre d, 64 et 64bis de la constitution. L'article 31 bis permet d'édicter des prescriptions de droit public ; celles de droit privé se fondent sur l'article 64, qui confère à la Confédération une compétence législative générale en matière de droit civil. Quant à l'article 646Ì«, il pourrait servir de fondement à des dispositions pénales visant des cartels et des organismes analogues.

L'article 31 ois permet
uniquement au législateur de prévoir des dispositions «pour remédier aux conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social, des cartels et des groupements analogues». Il n'autorise donc pas une interdiction de principe des cartels comme tels. Du moment que la constitution fédérale se situe sur le plan de la répression des abus, on ne pourrait pas non plus instituer une interdiction générale des cartels au moyen de dispositions de droit civil on pénal en recourant aux articles 64 et 64fcis.

La loi sur les cartels doit tolérer en principe les cartels et les organismes

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analogues et se borner à combattre les abus, que ce soit en vertu de l'article 31 bis ou des articles 64 et 64&is.

2. Notre droit privé part de l'idée de l'autonomie de la personne, si bien que chacun a la faculté d'apporter à sa liberté des limitations librement consenties. Il est vrai que des limites sont assignées à l'autonomie individuelle, ainsi que cela ressort des articles 27 et 28 du code civil, qui visent la protection de la personne. La libre concurrence, qui se fonde sur le droit privé, n'est cependant pas garantie par le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, inscrit à l'article 31 de la constitution. Coniine nous l'avons relevé au début, cette garantie vise les rapports entre l'Etat et les individus, et non pas les rapports des individus entre eux. Le législateur de 1874 ne s'est pas rendu compte de cette lacune. Il s'agissait pour lui de défendre notre régime de liberté économique contre les atteintes de l'Etat et les privilèges protégés par celui-ci (corporations).

On s'est aperçu, dans la suite, qu'il ne suffisait pas de garantir la liberté du commerce et de l'industrie dans les rapports entre l'Etat et les particuliers si ces derniers se prévalaient de l'autonomie de l'individu pour entraver la concurrence et les droits de la personne. Un régime de liberté économique implique non seulement la liberté du commerce et de l'industrie telle qu'elle est garantie par l'article 31 de la constitution mais également la libre concurrence. Sans doute, il existe certaines dérogations au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Toutefois, si l'Etat garantit au citoyen un libre exercice de son activité en le protégeant contre les atteintes des pouvoirs publics, il se contredirait en tolérant que ce libre exercice fût restreint par des accords de caractère privé. C'est dans cet esprit que le Tribunal fédéral a déclaré que le régime de la libre concurrence garanti par l'article 31 ne devait pas être rendu illusoire par des accords de droit privé (ATF 81, II, 302; 86, II, 376).

3. Le législateur, qu'il invoque l'article 31 bis ou l'article 64, se trouve devant la double obligation de sauvegarder la liberté des contrats, d'une part, et d'empêcher les abus des cartels et groupements analogues ainsi que les restrictions excessives, d'autre part.

L'article 31 bis confère
au législateur le droit d'édicter des dispositions de droit public contre les cartels et groupements analogues s'ils exercent des effets nuisibles, d'ordre économique ou social. Quant à l'article 64, il permet d'arrêter des dispositions de droit civil lorsque des cartels ou groupements analogues entravent d'une manière inadmissible le droit de l'individu à son libre développement économique. Toutefois, on peut aussi remédier indirectement à des effets nuisibles, d'ordre économique ou social, par des dispositions de droit civil, car on encourage la concurrence en protégeant le droit de l'individu au libre développement économique. Le droit privé assume ainsi, en matière de politique «concurrentielle», une fonction qui

560 répond à l'intérêt général lors même qu'il ne régit directement que les rapports des particuliers entre eux. Cela est conforme à notre ordre juridique, attendu que, dans notre régime de liberté du commerce et de l'industrie, c'est au droit privé qu'il incombe de pourvoir aux institutions juridiques de la vie économique.

4. La constitution fédérale ne précise pas, à l'article 316w, la notion de cartel et de groupements analogues. II faut interpréter le terme de cartel dans son sens le plus large, à savoir comme une limitation collective de la concurrence en vue d'influencer le marché. Il n'est pas nécessaire que cette limitation vise à établir un monopole. De même, la nature des entreprises intéressées et la forme juridique du cartel ne jouent pas de rôle. Quant à l'expression «organisations analogues», qui traduit mieux dans son esprit l'expression allemande ähnliche Organisationen, elle doit embrasser les entreprises qui, soit isolément, soit de concert, exercent sur le marché une puissance dont les effets sont analogues à ceux des cartels.

V. Grandes lignes du projet 1. Le projet de loi contient des dispositions de droit civil, de procédure civile et de droit administratif. A la différence de lois étrangères, il met l'accent sur le droit civil et ne contient de prescriptions de droit public qu'autant que celles de droit civil ne suffisent pas. Quelques dispositions de procédure civile, notamment celles qui limitent la compétence des tribunaux d'arbitrage, ont pour but d'assurer l'efficacité des prescriptions de droit matériel. Les dispositions de droit civil permettront à la concurrence de s'exercer dans une mesure suffisante, à condition que le particulier soit disposé à s'y livrer et résolu à intenter une action civile s'il en est empêché. Cependant, les moyens de droit civil ne suffisent pas à sauvegarder l'intérêt général, par exemple, en matière d'enquêtes et de mesures portant sur une branche entière. Il a donc fallu prévoir aussi des dispositions de droit administratif.

Bien qu'il ne compte que vingt-deux articles, le projet constitue une réglementation exhaustive qui ne demande aucune prescription d'exécution.

Il contient toutefois un certain nombre de formules qui devront être interprétées par le juge ; cependant, par souci de la sécurité juridique, il établit des lignes générales
qui indiquent la voie à suivre dans l'application du droit et assignent une limite au pouvoir d'appréciation des autorités. Une réglementation qui voudrait entrer dans tous les détails n'aboutirait pas au résultat voulu, étant donnée la diversité des situations qui peuvent se présenter et l'impossibilité de toutes les retenir. D'ailleurs, même des lois étrangères plus étendues n'ont pu se passer de prescriptions générales.

Nous estimons qu'une loi correspondant à nos propositions permettrait de combattre les conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social, des

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cartels et des organisations analogues et de protéger efficacement les droits de l'individu au libre exercice d'une activité économique. On aurait pu envisager des mesures plus étendues tout en restant dans le cadre delà conception fondamentale du projet. La commission s'est toutefois efforcée, dès le début, d'établir une réglementation bien équilibrée qui réalisât les objectifs de la loi tout en tenant compte des intérêts légitimes des milieux économiques. Le projet tend à instaurer un régime conforme à nos conceptions et à la situation dans notre pays. II se borne au minimum indispensable ; aussi ne faut-il pas l'affaiblir. La loi doit, il va de soi, aller au-delà de l'état de droit existant et fournir de nouveaux moyens pour combattre les effets nuisibles des cartels et organisations analogues.

2. Le projet tend surtout à relâcher la contrainte à l'intérieur du cartel et à limiter celle qui s'exerce sur les outsiders par des dispositions de droit civil. L'article 4 dispose qu'il est illicite d'entraver l'activité de ces derniers, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 5 et illustrées par des exemples. Ces deux articles renferment les prescriptions qui forment le noyau de la loi. Nous aurons l'occasion de les examiner en détail en analysant les divers articles.

Le projet influera beaucoup moins sur les rapports internes du cartel que sur ses relations avec les non-membres, notamment parce que la grande diversité des engagements résultant d'un cartel ne permet pas d'établir des critères propres à déterminer de façon certaine les engagements licites. On peut admettre, cependant, que le caractère illicite du boycottage dirigé contre les outsiders permet déjà de lutter contre des accords excessifs. Les cartels seront amenés à examiner leurs conventions internes et à les adapter aux conditions économiques dès l'instant où ils devront s'attendre à la concurrence des personnes qui ne leur sont pas affiliées, sinon il arriverait que certains de leurs membres démissionnent pour reprendre leur indépendance. Cependant, il faut pour cela que la sortie ne soit pas rendue trop difficile. Le projet contient des dispositions à cet effet, encore qu'elles n'aillent pas beaucoup au-delà du droit en vigueur.

3. L'application des prescriptions de droit administratif ne demandera pas un vaste appareil. Il
ne sera pas nécessaire de créer un office des cartels qui serait en quelque sorte incorporé dans l'administration publique, mais on instituera une commission des cartels indépendante de l'administration (art. 16). Reprenant sur ce point l'activité assumée jusqu'ici par la commission d'étude des prix, la commission des cartels procédera à des enquêtes sur la situation et le développement des cartels. En outre, elle se livrera à des enquêtes spéciales pour déceler si certains cartels ou certaines organisations analogues ont des effets nuisibles, d'ordre économique ou social (art. 19 et 20).

A la suite do ces constatations, la commission pourra recommander aux intéressés de modifier ou de supprimer certains accords ou décisions ou de

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mettre fin à des mesures déterminées. Si les intéressés ne font pas eux-mêmes le nécessaire, le département fédéral de l'économie publique pourra ouvrir action auprès du Tribunal fédéral (art. 21). Cette mesure permet la répression des effets nuisibles sur le plan du droit administratif.

L'action administrative est le seul moyen d'assurer, au besoin par la contrainte, l'exécution d'une mesure ordonnée par l'autorité. Les expériences faites à l'étranger nous apprennent qu'il faut limiter au strict nécessaire les interventions de ce genre et donner la préférence à la procédure d'enquête et de consultation. L'action administrative ne doit constituer qu'une ultime ressource. Il n'est pas désirable d'instituer un contrôle permanent des cartels et des monopoles dans un grand nombre de cas, tout au moins dans un pays comme le nôtre où l'on rencontre généralement la volonté de parvenir librement à une entente.

Il n'est pas indiqué, en particulier, de fixer les bases d'un contrôle des prix fixés par des cartels. Dans les limites d'une loi sur les cartels, on pourrait uniquement rechercher si, du fait des restrictions apportées à la concurrence -- c'est-à-dire au libre jeu du marché --, les prix sont plus élevés que si la concurrence était libre. En raison de la complexité des contingences économiques, on se heurterait aux plus grandes difficultés. Le jeu de l'offre et de la demande est déterminé par un si grand nombre de facteurs qu'on ne saurait fixer le prix qui s'établirait effectivement sur un marché libre. De graves erreurs seraient inévitables. Il convient donc de répéter qu'en restreignant la contrainte exercée par un cartel sur ses membres et à l'extérieur, on contribue à ranimer la concurrence tout en empêchant la formation de prix artificiellement élevés. Conformément au concept de la « concurrence possible», on crée ainsi les conditions nécessaires à l'établissement de prix qui correspondent autant que possible au libre jeu du marché sans intervenir directement dans leur formation mais simplement en relâchant la contrainte exercée par le cartel.

Les dispositions prévues dans la partie consacrée aux mesures de droit administratif étant suffisantes, il est inutile d'établir des dispositions pénales spéciales. D'ailleurs, il ne serait pas possible d'y définir avec la précision nécessaire les
faits économiques entrant en considération. Force serait de s'en remettre à l'appréciation du juge.

On a renoncé également à prévoir un registre des cartels comme l'auraient souhaité en particulier les groupements de consommateurs. Il existe d'autres moyens de se procurer les informations nécessaires sur les cartels et les organisations analogues. Quant aux abus, il n'apparaît pas que le registre des cartels constitue l'instrument approprié pour les combattre.

(Pour plus de détails, nous nous référons à ce qui est dit sous B, III, 3.)

4. Tant le traité créant la Communauté économique européenne que la convention instituant l'Association européenne de libre-échange contiennent des dispositions sur la concurrence. Aux termes des articles 15 et 31 de la

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convention relative à la zone de libre-échange, tout Etat membre peut porter plainte contre un autre si les pratiques restrictives de caractère privé compromettent les bénéfices attendus de la libération des échanges commerciaux entre Etats membres. Il appartient à chacun de ces derniers de décider de quelle façon il veut éliminer une entrave apportée aux avantages commerciaux découlant de la convention si la plainte se révèle fondée. La convention n'influe en rien sur la législation interne et son application. Néanmoins, il est souhaitable que la législation nationale fournisse aux autorités les moyens de se conformer à la convention. Les engagements internationaux ayant le pas sur la législation nationale, le défaut de compétence ne saurait être opposé purement et simplement à un demandeur étranger. Cette observation s'applique aussi en matière d'enquêtes. La disposition visant les enquêtes spéciales (art. 19) permet de procéder aux enquêtes nécessaires. Si les recommandations formulées par la commission des cartels selon l'article 19, 2e alinéa, n'étaient pas suivies, il resterait la ressource de l'action administrative. La loi sur les cartels permettra ainsi de faire face aux engagements découlant de la convention sur la zone de libre-échange.

5. Dix-sept cantons, la plupart des associations intéressées ainsi que certains partis politiques et diverses personnalités du monde juridique et économique se sont exprimés sur le projet de la commission d'experts, dont l'essentiel est repris ici. Le principe d'une loi sur les cartels a été accepté presque sans exception, ou tout au moins n'a-t-il pas été repoussé. Quant au projet de la commission d'experts, il a été approuvé d'une manière générale ou du moins regardé comme une base de discussion acceptable. Pour d'aucuns, il n'est pas assez rigoureux, tandis que d'autres voudraient en réduire la portée. Les avis reçus montrent que les propositions des experts constituent une solution moyenne entre des conceptions divergentes et également acceptable du point de vue politique. Il n'existe donc pas de motif d'apporter de profondes modifications à leur projet.

Les associations d'employeurs ont motivé leurs réserves en relevant notamment que la formation de cartels met un frein à une concentration indésirable des entreprises et à l'éviction des petites et
moyennes exploitations qui ne sont protégées par aucune mesure légale. Elles ont insisté aussi sur la différence par rapport au droit collectif du travail, que le législateur n'a, de loin, pas soumis aux mêmes restrictions. Nous rappellerons que d'autres groupements, qui désireraient au contraire des dispositions plus rigoureuses, ont montré cependant toute compréhension pour la formation de cartels et se sont efforcés d'adapter leurs demandes aux données particulières de notre pays.

Un certain nombre des avis recueillis estiment que des dispositions importantes ont été rédigées de façon trop générale et imprécise et qu'elles laissent un champ trop vaste à l'appréciation du juge ou des organea administratifs. Nous nous sommes déjà exprimés sur ce point (ch. 1). Eelevons

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qu'en voulant trop préciser certaines dispositions, on s'exposerait au danger de définir certains faits d'une manière trop restrictive. Néanmoins, les prescriptions concernant les entraves apportées à la concurrence des outsiders -- que ces critiques visaient surtout -- ont été complétées et précisées (cf. art. 4 et 5).

Comme on pouvait s'y attendre, les observations se sont concentrées surtout sur ces dispositions. Les propositions les plus diverses ont été faites entre ces deux extrêmes: consacrer purement et simplement l'ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral, qui admettait en principe le boycottage, ou déclarer illicite toute entrave à la concurrence. L'union syndicale suisse, par exemple, aurait voulu soumettre à une procédure d'autorisation de droit public le boycottage et les autres mesures discriminatoires. Pour ce qui touche à cette question comme à d'autres encore, nous nous référons aux remarques ci-après concernant les divers articles du projet de loi. Au vu des avis recueillis, le projet a été réexaminé. L'article sur le boycottage, comme nous l'avons dit, a été précisé. En outre, les dispositions de procédure civile ont été modifiées et complétées sur des points importants; l'obligation de fournir des renseignements au cours d'une enquête spéciale a fait l'objet d'une réglementation nouvelle, de même que les conditions permettant d'intenter l'action administrative.

B. Observations relatives aux différentes dispositions I. Champ d'application Article premier : principe Observations générales 1. Introduction. -- Se fondant sur l'article Slbis de la constitution, l'article premier, 1er alinéa, dispose que la loi est applicable aux cartels et aux organisations analogues. Les articles 2 et 3 définissent ces deux termes.

En outre, l'article premier précise que la loi n'est pas applicable aux conventions, décisions et mesures qui ne visent que les rapports de travail (cf. les observations relatives à l'art. 1er). Cet article appelle l'examen d'un certain nombre de points particuliers tels que la condition des cartels d'exportateurs (ch. 2), des entreprises publiques et des cartels dits obligatoires (ch. 3), la protection industrielle (ch. 4) et le champ d'application quant au temps et quant au territoire (ch. 5).

Il convient d'étendre le champ d'application dans toute la mesure
compatible avec la constitution afin que la loi puisse atteindre toute entrave s'exerçant sur le marché. Comme la loi ne prévoit pas d'interdiction générale ou partielle des pratiques restrictives, une définition large ne saurait exposer les intéressés à un risque excessif. Lors même qu'une convention tombe sous

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le coup de la loi, cela n'entraîne pas par là-même l'application de ses différentes dispositions. D'autre part, il faut éviter qu'une lacune du champ d'application empêche de réprimer des abus éventuels. La commission d'étude des prix a nettement soutenu cette manière de voir.

L'article premier ne prévoit aucune exception en faveur de certaines professions. A part le concours des syndicats, toutes les entreprises au sens le plus large de ce mot (entreprises industrielles, exploitations du commerce de gros ou de détail, entreprises de transport, autres entreprises fournissant des services, artisans, agriculteurs, personnes exerçant une activité indépendante) sont assujetties à la loi dans la mesure où elles participent à un cartel ou à une organisation analogue. H ne serait pas indiqué de prévoir d'exception, par exemple en faveur des professions libérales, car il n'est pas exclu à priori que ces conventions privées conclues dans ces professions ne produisent aussi des effets indésirables, 2. Cartels d'exportateurs. -- Les effets qu'un cartel d'exportateurs déploie à l'endroit d'acheteurs ou de concurrents à l'étranger n'affectent pas suffisamment l'intérêt général de notre pays pour qu'il y ait lieu de les assujettir à la loi. C'est pourquoi le projet de la commission d'experts ne visait pas les cartels et organisations analogues «qui ne produisent d'effets que sur des marchés étrangers». Ils étaient cependant assujettis s'ils limitaient la concurrence également à l'intérieur du pays ou boycottaient des entreprises suisses pour appliquer, en matière d'exportation, des dispositions ayant un caractère de cartel. D'autre part, il convenait de faciliter le boycottage (art. 5, 2e al., lettre d, du projet). A la différence des législations étrangères qui interdisent les cartels ou, tout au moins, leur réservent un régime plus sévère, la loi suisse pourrait prévoir en faveur des cartels d'exportateurs une exception qui ne jouerait pas un grand rôle du moment que l'article 5 prévoit un régime spécial en matière de boycottage et qu'il n'y a pas lieu de craindre que l'on n'agisse contre des cartels d'exportateurs en faisant usage à la légère des moyens de droit administratif. L'article 15 de la convention instituant l'Association européenne de libre-échange, qui implique l'application de la loi aux cartels
d'exportateurs, ne permet cependant pas de créer cette exception. Si un cartel d'exportateurs compromet les bénéfices qu'un membre de l'Association européenne de libre-échange doit attendre de l'élimination des droits de douane, il appartiendra à la Suisse d'intervenir en cas de recours. Prévoir l'exception créerait un manque de concordance entre la législation nationale et nos engagements internationaux. Nous préférons, dans ces conditions, renoncer à une exception en faveur des cartels d'exportateurs, exception qui, de toute façon, ne revêt que peu d'importance pratique.

3. Entreprises publiques. -- II convient d'assujettir à la loi les entreprises publiques pour autant qu'elles exercent non pas des fonctions officielles Feuille fédérale. 113e année. Vol. II.

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mais des activités privées et adhèrent à des accords à caractère de cartel au même titre qu'un entrepreneur particulier. L'unité de notre politique en matière de concurrence demande qu'elles règlent leur comportement sur le marché d'après les principes adoptés par la loi sur les cartels. II serait inadmissible que la loi s'applique à tous les membres d'un cartel à l'exception d'une entreprise publique qui y participe au même titre. Actuellement déjà, les règles générales du droit s'appliquent, sauf dispositions spéciales, aux entreprises publiques dans leurs relations d'affaires. Il ressort de la définition des cartels et des organisations analogues (art. 2 et 3) que le champ d'application de la loi ne subit aucune limitation. Une disposition expresse n'est pas nécessaire pour préciser ce point.

En revanche, les entreprises publiques ne sont pas assujetties lorsque des prescriptions spéciales font obstacle à l'application de la loi. L'article 24, 2e alinéa, contient une réserve à cet égard. Par exemple, la loi sur les cartels n'est pas applicable aux tarifs des chemins de fer fédéraux et des entreprises concessionnaires fixés par une loi spéciale. Cette observation a son importance pour les accords conclus entre les chemins de fer et leurs bons clients.

D'ailleurs, s'il s'agit d'accords individuels, il n'y a pas de cartel (cf. ci-dessous chiffre 2, ad art. 2, 1er al.). Même si l'accord doit être considéré comme un cartel, les prescriptions spéciales de la loi fédérale du 11 mars 1948 sur les transports par chemins de fer et par bateaux seront applicables, de même que les mesures tarifaires édictées par les chemins de fer en vertu des articles 11, 2e alinéa et 14.

4. Rapports avec d'autres dispositions du droit fédéral. -- II en est de même des entreprises et des groupements privés qui collaborent à des tâches étatiques ainsi que des cartels que l'Etat a rendus obligatoires.

En vertu de la réserve formulée à l'article 22, 2e alinéa, une pratique restrictive n'est pas assujettie dans la mesure où elle se fonde sur une obligation de droit public; dans tout autre cas, elle tombe sous le coup de la loi. Il se peut que, comme pour les entreprises publiques, les prescriptions spéciales du droit public leur soient applicables pour une part et les dispositions de la loi sur les cartels pour une autre. Ces
considérations ne visent que les entreprises et les groupements expressément chargés d'assumer des tâches étatiques limitant la concurrence et non pas ceux qui se trouvent simplement bénéficier des restrictions apportées à la concurrence par le droit public ; les entreprises et groupements de cette seconde catégorie sont entièrement assujettis à la loi sur les cartels. Nous mentionnerons aussi que le statut de l'horlogerie contient, au sujet du régime du permis de fabrication, des dispositions dirigées contre les effets indésirables de la convention collective privée. Tel est déjà le cas pour l'arrêté actuellement en vigueur (arrêté fédéral du 22 juin 1951 sur les mesures propres à sauvegarder l'existence de l'industrie horlogeTM suisse, art. 4, 6e al., art. 8). Ces dispositions ont été complétées et précisées dans le nouvel arrêté du 23 juin 1961 (art. 21 et 22).

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Nous relèverons à ce propos que la loi produit également certains effets à l'égard des organes administratifs. Aux termes de l'article 18, la commission des cartels sera consultée lors de l'élaboration de lois et d'ordonnances fédérales qui restreignent la libre concurrence. Elle pourra, de sa propre initiative, soumettre au Conseil fédéral des recommandations touchant la politique en matière de concurrence.

Lorsqu'une branche est soumise à la surveillance des pouvoirs publics comme, par exemple, les banques et les compagnies d'assurance, il pourra arriver que la législation sur la surveillance et la loi sur les cartels entrent en concurrence. Les prescriptions spéciales ne feront pas échec à la loi sur les cartels mais il faudra harmoniser l'application des dispositions de droit administratif de cette loi avec celles de la législation en matière de surveillance.

La loi sur les cartels ne s'applique pas aux monopoles qui résultent exclusivement de la protection juridique de la propriété intellectuelle (brevets, marques de fabrique, échantillons et modèles protégés; droit d'auteur). Si le législateur veut protéger la propriété industrielle, il ne faut pas que cette protection soit contrecarrée par une autre loi. Il appartient à la législation sur la protection de la propriété industrielle de prévoir elle-même les dispositions voulues pour combattre les abus en la matière.

La loi fédérale du 25 juin 1954 sur les brevets d'invention contient un certain nombre de dispositions de ce genre, notamment sur l'octroi obligatoire de brevets (art. 36 à 40). Cette réglementation exclut toute mesure complémentaire prise en vertu de la loi sur les cartels; elle vise aussi l'utilisation collective d'un droit protégé. Il peut arriver cependant qu'un droit protégé soit, pour limiter la concurrence, utilisé d'une manière qui dépasse la portée légitime de la protection. On peut concevoir qu'un cartel de titulaires de brevets parvienne à imposer un prix déterminé grâce au grand nombre de brevets dont il dispose. En pareil cas, la loi sur les cartels sera applicable.

Il n'est pas possible d'établir une séparation nette entre ces deux régimes. Néanmoins, les dispositions finales de la loi sur les cartels (art. 22, 2e al.) réservent la législation sur la protection industrielle et le droit d'auteur et attestent ainsi
la nécessité d'une démarcation objective. Elles réservent par la même occasion la loi fédérale sur la concurrence déloyale, qui protège un autre bien juridique que la loi sur les cartels mais qui, suivant les circonstances, peut entrer en concurrence avec elle.

5. Il n'est pas nécessaire de régler expressément le champ d'application quant au territoire et quant au temps. Pour ce qui concerne les cartels étrangers, ce sont surtout les entraves illicites à la concurrence visées par l'arti ni e 4- qui jouent un certain rôle. Ellee sont attaquables au lieu où elles ont été commises en Suisse (art. 7, 2e al., lettre b). Quant aux dispositions

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de droit administratif, elles ne peuvent être appliquées à des cartels et organisations analogues fixés à l'étranger que s'ils ont des effets sur le marché suisse et possèdent une succursale ou une représentation en Suisse.

Le champ d'application quant au temps ne soulève aucune difficulté. En l'absence de prescriptions contraires, les dispositions de droit civil de la loi sur les cartels sont sans effet sur des faits antérieurs à son entrée en vigueur (cf. art. 1er du titre final du code civil). Quant aux dispositions de droit administratif, leur application se règle d'après les circonstances au moment de l'enquête ou lorsque l'action de droit administratif a été intentée.

Observations relatives à l'article premier La disposition selon laquelle la loi est applicable aux cartels et aux organisations analogues n'appelle pas d'observations particulières. En revanche, l'exception concernant les conventions, décisions et mesures qui visent les rapports de travail demande quelques précisions.

1. Le projet ne vise que les restrictions apportées à la concurrence sur le marché des biens, c'est-à-dire des marchandises ou des prestations d'entrepreneurs. Selon l'article premier, les conventions, décisions et mesures qui ne concernent que les rapports de travail ne sont pas assujetties. Cette règle paraît d'ailleurs répondre aux intentions de la constitution qui, autrement, n'aurait pas employé le terme de cartel, lequel évoque surtout les pratiques restrictives sur le marché des biens. Les clauses des conventions collectives de travail qui règlent les rapports de travail ainsi que les moyens de combat (grève, lock-out) sont par conséquent exceptées. En revanche, le projet de loi s'étend aux conventions et décisions prises par des associations de travailleurs lorsque leurs effets affectent le marché des biens comme, par exemple, l'interdiction faite à la main-d'oeuvre de s'engager dans une entreprise qui n'observe pas les prix du cartel.

2. L'exception prévue en faveur des restrictions du marché du travail se fonde sur la considération que les travailleurs, en raison de leur grand nombre, sont tout spécialement amenés à renforcer leur position à l'égard des employeurs en réunissant leurs offres individuelles. Il est vrai qu'aujourd'hui leur situation s'est affermie grâce à l'ampleur de la demande de
main-d'oeuvre. Néanmoins, les conditions du marché du travail sont toujours différentes de celles du marché des biens. Il existe déjà des dispositions légales qui régissent les conventions collectives de travail (art. 322 à 323 quater du code des obligations dans la rédaction que lui a donnée la loi fédérale du 28 septembre 1956 permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail). Ces dispositions, pour les raisons que nous avons relevées, vont moins loin que le projet de loi ; elles autorisent notamment l'assujettissement d'un outsider à la convention collective de travail (cf. ATF 74, II, 167 s. ; 75, II, 305 s. ; 85, II, 551 s.).

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3. Même si l'on tient compte des différences existant entre le marché des biens et celui du travail, il faut reconnaître que les influences collectives exercées sur ce dernier peuvent aboutir à des résultats regrettables. C'est pourquoi un certain nombre des avis reçus déclaraient intolérable et contradictoire l'exception en faveur des associations de travailleurs mais admettraient un régime spécial si, d'autre part, la loi sur les cartels était adoucie.

Nous ne partageons pas cette manière de voir mais nous sommes disposés à examiner à l'occasion de la revision actuellement en cours de la législation sur le contrat de travail les moyens propres à empêcher les pratiques restrictives injustifiées sur le marché du travail. On songe notamment aux clauses d'exclusivité qui limitent le nombre des ouvriers ou interdisent, sans motif valable, d'occuper certaines catégories d'ouvriers à des travaux déterminés (p. ex. des ouvriers non qualifiés, semi-qualifiés ou des femmes). On établirait ainsi un juste rapport entre le régime du marché des biens et celui du marché du travail tout en tenant compte des différences qui distinguent ces deux secteurs.

Art. 2: Cartels 1er alinéa (cartels au sens restreint du terme) 1. Sont réputés cartels au sens de la loi les conventions ou décisions d'associations -- y compris les dispositions de statuts et de règlements -- qui influencent le marché par une limitation collective de la concurrence.

La forme juridique de ces conventions et décisions ne joue pas de rôle. Les accords dénués de forme et, partant, les accords juridiquement non obligatoires en vertu de l'article 10 (gentlemen's agreements) sont également assujettis, car ils sont souvent tout aussi bien observés que les accords conclus selon les formes. Sont également réputés cartels tant les accords horizontaux conclus entre entreprises situées au même échelon économique que les accords verticaux conclus entre entreprises à des échelons différents (p. ex. entre fabricants, commerçants en gros et artisans ou détaillants).

On sait que les accords verticaux peuvent limiter la concurrence d'une manière particulièrement rigoureuse.

Nous citerons comme exemples de cartels les accords collectifs visant les prix ou leur mode de calcul, les rabais, les taux d'intérêts, les primes d'assurance et les conditions d'affaires,
le contingentement de la production, le partage du marché et l'accès à la profession.

2. On constate la présence d'un cartel lorsque le marché subit l'influence d'une entente altérant le jeu de la libre concurrence. Du fait qu'elles n'influencent pas le marché, les conventions qui visent simplement à établir une répartition des intérêts de leurs adhérents (p. ex. les contrats de représentation exclusive, les interdictions de concurrence en cas de remise de commerce) ne constituent pas des cartels. Tant que chaque partie se borne à rechercher avant tout son propre intérêt dans l'échange de prestations, et

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non un avantage collectif par une réglementation du marché, l'Etat n'a aucun motif d'intervenir par des prescriptions. Les communautés de rationalisation ne sont pas non plus assujetties lorsqu'elles ont seulement pour but d'accroître le rendement des entreprises et non de limiter l'offre et la demande en altérant le jeu de la libre concurrence.

Pour être assujetties, les conventions et décisions doivent influencer le marché ou, tout au moins, être propres à l'influencer. La question de savoir si le but de la convention ou décision consiste à limiter la concurrence et à influencer le marché n'est donc pas déterminante, contrairement d'ailleurs à une proposition qui avait été émise de divers côtés. En général, cet objectif résulte déjà du fait qu'un élément de société apparaît lorsque tous les intéressés limitent la concurrence par une action commune. Une formule restrictive qui retiendrait le but comme critère pourrait avoir pour effet que certaines conventions échappent à la loi parce qu'en dépit de limitations de concurrence manifestes, il ne serait pas prouvé qu'elles répondent à une intention.

3. Les associations de travailleurs peuvent collaborer à un cartel. Cela ressort, d'une part, de la formule générale de l'alinéa premier et, d'autre part, de l'exception prévue en faveur des rapports de travail à l'article premier.

2e alinéa (accords de prix de seconde main) 1. On entend par accord de prix de seconde main l'obligation qu'un fabricant ou un grossiste impose à son acheteur d'observer les prix qu'il lui prescrit ou de veiller à l'observation de ces prix à l'échelon commercial suivant. Cet engagement se fonde parfois sur une convention à long terme à forme de revers ou sur des formules de commande portant la mention voulue et dûment signées ; plus souvent elle résulte tacitement de la commande de marchandise portant imprimé le prix de vente au détail. L'obligation d'observer les prix fixés peut être imposée ou exécutée par une simple entreprise individuelle ne disposant pas d'une influence particulière sur le marché, par un cartel ou une organisation analogue ou encore -- c'est le cas le plus fréquent -- par un membre de cartel en vertu d'une clause du cartel, le groupement intervenant, au besoin, pour assurer l'exécution de l'obligation.

Les accords de prix ont acquis une très grande
importance dans notre économie moderne, surtout en ce qui concerne les articles de marque. Les milieux intéressés considèrent qu'ils sont un facteur de stabilité des prix et de maintien de la qualité dont profite aussi le consommateur. Ils estiment que ces accords sont nécessaires pour se préserver de la production en masse de qualité inférieure qui, de plus, a pour effet de favoriser la concentration des entreprises. D'autre part, les accords de prix peuvent, suivant les circonstances, entraver dans une mesure intolérable la libre formation des

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prix et, par conséquent, la vie économique. Il est donc indispensable que la loi permettre d'en combattre les abus.

2. Si l'accord de prix est simplement imposé ou exécuté par une entreprise ne dominant pas le marché, le danger n'est pas grand car il sera difficile sous l'effet de la concurrence des fournisseurs, de maintenir des prix fixés d'une manière inappropriée. Il n'est donc pas nécessaire que la loi intervienne en pareil cas. En revanche, l'accord de prix doit être assujetti lorsqu'il est imposé ou exécuté par un cartel, un membre du cartel en vertu d'une clause de cartel ou par une organisation analogue. L'action collective parvient à créer dans une branche entière un système de prix liés généralisés assimilable, selon sa nature et ses effets, à un cartel au sens restreint du terme. On ne comprendrait pas que l'on assujettisse à la loi les cartels de prix horizontaux, même s'ils n'avaient que des effets limités, et non les systèmes de prix liés établis ou exécutés grâce à la puissance exercée sur le marché.

Le 2e alinéa de l'article 2 prévoit une disposition en conséquence.

Art. 3 : Organisations analogues aux cartels 1. Il ne suffit pas d'assujettir les cartels, il faut encore atteindre les entreprises puissantes et les concentrations d'entreprises dont les effets peuvent être également nuisibles. Toutefois les expériences faites à l'étranger nous enseignent qu'il est difficile d'établir des dispositions permettant d'y parvenir et qui soient facilement applicables. Comme il est légitime en soi qu'une entreprise soit puissante, il convient de ne combattre que les abus auxquels cette puissance peut se prêter. Ces difficultés ne nous ont pas dissuadés de retenir ces éventualités, mais on devra tenir compte dans l'application de la loi des particularités de chaque cas.

L'article 31 bis de la constitution mentionne les groupements analogues (ähnliche Organisationen), mais il ressort des débats parlementaires que cette notion doit être prise dans un sens large. On se trouve en présence d'une organisation analogue chaque fois que le marché est dominé ou influencé d'une manière déterminante sans qu'il existe néanmoins de convention à forme de cartel. Il va de soi qu'une telle influence exercée sur le marché est tout aussi licite en soi que s'il s'agissait d'un cartel. Il convient donc d'examiner
dans chaque cas si tel comportement donné est compatible avec la loi.

D'autre part, pour éviter que l'on ne qualifie n'importe quelle entreprise d'organisation analogue à un cartel, il faut exiger que son influence ait un certain poids, à la différence des cartels qui, par nature, tendent à exercer une influence déterminante sur le marché et ne manquent pas de réaliser leur objectif lorsque les circonstances le leur permettent. La puissance économique atteint son maximum dans les entreprises qui possèdent un monopole ; néanmoins il peut arriver qu'une entreprise soit en mesure d'exercer une influence déterminante sur le marché même en l'absence de monopole..

572 2. La loi cite les formes suivantes d'organisations analogues aux cartels : Ce sont tout d'abord les entreprises isolées qui peuvent disposer d'une puissance particulière. Il s'agit souvent de trusts, c'est-à-dire d'unités économiques réalisées par la fusion de plusieurs entreprises ou la création d'une société holding.

Plusieurs entreprises peuvent être groupées dans un concern qui les soumet à une direction unique sans toutefois les priver entièrement de leur autonomie. Le concern peut être réalisé notamment au moyen de participations financières (prise de participation dans différentes entreprises).

Trusts et concerns n'exercent pas nécessairement une influence déterminante sur le marché. Aussi convient-il de rechercher dans chaque cas ce qu'il en est.

Abstraction faite des trusts et des concerns, plusieurs entreprises qui adoptent un comportement commun peuvent constituer une puissance économique sur le marché. Il peut arriver qu'un certain nombre d'entreprises, en l'absence d'accord quelconque, c'est-à-dire de cartel, adoptent tacitement un comportement commun en vue de limiter ou de supprimer la concurrence. Cette manière d'agir doit être également assimilée à une organisation analogue à un cartel. Cependant, il ne faut pas oublier qu'un comportement analogue ne prouve pas que les entreprises qui l'ont adopté poursuivent pour autant le but que nous venons de relever. L'uniformité des prix peut, par exemple, n'être qu'un effet de la libre concurrence. En outre, plusieurs entreprises qui règlent leurs prix sur ceux d'un concurrent important (price leadership) ne constituent pas une organisation analogue à un cartel. Le fait que les autres entreprises règlent leurs prix sur ceux de ce concurrent peut toutefois constituer un indice, II. Dispositions de droit civil et de procédure civile La loi doit s'efforcer d'atteindre ses objectifs en premier lieu par des moyens de droit civil. Elle diffère à cet égard des lois étrangères, mais elle répond mieux aux traditions de notre pays. Le projet ne règle toutefois les rapports de droit civil qu'autant que l'exigent ses objectifs touchant la politique concurrentielle et les droits personnels. Pour le reste, les prescriptions ordinaires du droit civil sont applicables (cf. art. 22). Pour assurer l'efficacité des dispositions de droit civil, il est
apparu indispensable de prévoir quelques prescriptions de procédure. Il est de jurisprudence constante que les dispositions de procédure civile sont compatibles avec la réserve formulée à l'article 64, de la constitution fédérale en faveur de la souveraineté des cantons en matière de procédure, pour autant qu'elles sont nécessaires à l'application du droit matériel de la Confédération.

573 1. Entraves apportées à la concurrence de tiers

Les articles 4 à 9 traitent des entraves apportées à la concurrence des entreprises indépendantes au moyen du boycottage ou de mesures discriminatoires (contrainte externe). L'article 4 déclare ces mesures illicites. L'article 5 fixe les conditions auxquelles ce principe peut subir des dérogations ; le 2e alinéa de cet article cite un certain nombre d'exemples. Les actions qui se fondent sur les entraves illicites à la concurrence sont énoncées à l'article 6, Les articles 7 à 9 sont consacrés aux dispositions de procédure. Lorsque les mesures d'un cartel sont dirigées contre un de ses membres et non contre un entrepreneur indépendant, on se trouve en présence d'une contrainte interne ; les mesures prises à titre de sanction contre un membre sont réglées au chapitre suivant, qui vise les engagements résultant des cartels (art. 13).

Art. 4 : Illicéité des entraves à la concurrence Généralités 1. Tant qu'un cartel se fonde sur la libre collaboration de ses membres et que ces derniers peuvent se retirer sans difficulté, la concurrence des entrepreneurs indépendants assure le correctif nécessaire; d'ailleurs, le cartel doit tenir compte du risque que les membres mécontents ne se retirent et ne deviennent indépendants. La concurrence des biens de substitution peut jouer également (p. ex. entre le nylon et la soie). Ces correctifs cessent leurs effets dès l'instant où le cartel parvient à assujettir les entrepreneurs indépendants ou les personnes qui offrent des biens de substitution (accaparement du marché), à les évincer ou même à les empêcher d'accéder au marché (fermeture du marché). Pour parvenir à de telles fins, on recourt surtout à des accords verticaux, que ce soit entre fournisseurs et revendeurs en prévoyant des mesures de boycottage ou de discrimination, ou entre employeurs et travailleurs en interdisant à la main-d'oeuvre de s'engager chez un entrepreneur indépendant. Toutefois, l'activité de ces derniers peut, le cas échéant, être également entravée sur le plan horizontal par des sousenchères de prix, dont les effets sont analogues à ceux des mesures tendant directement à accaparer ou à fermer le marché.

2. Dans son premier arrêt en la matière -- qui remonte à 1896 -- le Tribunal fédéral avait déclaré que le boycottage était absolument illicite (ATF 22, p. 175 s.). Dans la suite, il revint
sur sa décision. Un arrêt de 1930 (ATF 56, II, 435 s.) met en lumière l'évolution qui s'est produite jusqu'à cette époque : La question do savoir si et dans quelles circonstances le boycottage doit être considéré comme une arme économique licite est extrêmement controversée, tant dans la doctrine que dans la pratique. Le Tribunal fédéral ne s'est pas non plus tenu à une conception uniforme dans sa jurisprudence. Il est parti de l'idée, jusqu'à l'époque la plus récente, que chacun avait un droit subjectif au respect de sa personnalité économique et à la faire valoir. Ce droit impliquant celui d'eirercfir librement une activité économique, le Tribunal fédéral en avait d'abord déduit que le boycottage était dans

574 une large mesure illicite (cf. ATF 22, p. 175 s.). Ayant été amené à considérer dans la suite que notre régime juridique et économique se fondait sur le libre jeu des forces en présence et que chacun pouvait se prévaloir des mêmes droits personnels, il déclara que le boycottage n'était illicite que s'il avait pour but l'anéantissement direct de la personnalité économique d'autrui, s'il était propre à l'anéantir ou s'il était pratiqué par des moyens qui constituaient une atteinte directeeau respect de cette personnalité (ATF 32, II, p. 360 s.). Dans un arrêt récent (de la 2 chambre civile) la question de la licéité du boycottage a été traitée exclusivement au regard de l'article 41, 2e alinéa, du code des obligations (c'est-à-dire du point de vue des bonnes moeurs) sans plus s'occuper du droit au respect de la personnalité économique. Le Tribunal fédéral a relevé que le caractère inunoral d'un boycottage pouvait résider soit dans le but poursuivi ou les moyens employés, soit dans une disproportion manifeste entre le dommage résultant du boycottage et l'avantage escompté (AFT 51, II, p. 525 s.).

Le Tribunal fédéral s'est tenu depuis cet arrêt jusqu'à ces derniers temps aux trois critères de l'illicéité ou de l'immoralité du but ou des moyens et de la disproportion entre le dommage causé et l'avantage recherché.

Se fondant sur ces critères, il a déclaré illicite dans un certain nombre de cas l'évincement d'un concurrent, la preuve que cette mesure se justifiait par des intérêts légitimes n'ayant pas été rapportée (ATF 76, II, 281 s. ; 81, II, 117 s., 82,11, 292 s.). En revanche, il a décidé dans un arrêt non publié du 6 novembre 1959 qu'il était licite d'interdire la livraison de films cinématographiques à une nouvelle salle de projection. Quant au boycottage appelé «boycottage d'assujettissement», le Tribunal fédéral a jugé qu'il était en principe licite; il a soutenu encore cette opinion dans un arrêt de 1959 concernant l'industrie horlogère (ATF 85, II, 489 s.).

3. On a critiqué la jurisprudence du Tribunal fédéral en lui reprochant de tenir trop largement compte de l'intérêt des cartels à restreindre la concurrence et pas assez de celui du boycotté au libre exercice d'une activité économique. On a relevé que le boycottage portait atteinte dans son principe comme dans chaque cas d'espèce à un bien juridique constituant un droit personnel de l'entrepreneur indépendant visé et que cette atteinte ne se justifiait que si le cartel pouvait prouver la nécessité de sauvegarder des intérêts légitimes (H. Merz, über die Schranken der Kartellbindung, 1953, p. 41).

Par arrêt du 20 décembre 1960 (ATP 86, II, 365 s.), le Tribunal fédéral a profondément modifié sa jurisprudence en affirmant que le boycottage viole nécessairement le droit de l'individu au libre exercice d'une activité économique et qu'il est par conséquent illégal dans son principe. La libre concurrence, fondement de l'économie de notre pays, ne doit pas être éliminée par des accords privés. Il est vrai que personne n'est protégé contre les effets d'une libre concurrence s'exerçant selon les règles de la bonne foi, mais le boycottage, en tant que contrainte organisée, va au-delà de ce que tout entrepreneur peut tolérer comme conséquence d'une concurrence normale. La liberté contractuelle et la liberté d'association ne permettent pas au cartel de s'immiscer intentionnellement dans les droits d'autrui. Le Tribunal

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fédéral ajoute, toutefois, que la cessation concertée des relations économiques avec le boycotté n'est pas toujours illicite. On doit considérer ici le but du boycottage. Il appartient au juge de décider dans chaque cas d'espèce si, compte tenu des intérêts en jeu, c'est le droit du boycotteur ou celui du boycotté qui prévaut. Ce n'est pas nécessairement l'intérêt économique le plus considérable qui doit l'emporter. L'auteur du boycottage n'est pas dans son droit du seul fait que les avantages qu'il recherche sont supérieurs au dommage subi par le boycotté. Seul ne viole pas le droit, précise le Tribunal fédéral, celui qui poursuit au moyen du boycottage des intérêts légitimes manifestement prépondérants, qu'il ne peut sauvegarder autrement. Il appartient au boycotteur d'apporter la preuve de tels intérêts. Le Tribunal fédéral a renvoyé la cause à l'autorité inférieure pour nouveau jugement tout en constatant que les arguments avancés par le cartel dans sa réponse ne suffisaient pas à justifier le boycottage. Le fait qu'un entrepreneur -- affirme-t-il -- est en mesure de réduire ses coûts de production par une organisation judicieuse de son entreprise et, partant, d'abaisser les prix qu'il demande à ses clients, ne constitue pas un motif légitime permettant de le boycotter, même si son comportement peut ébranler la structure traditionnelle d'une branche économique (ATF 86, II, 379).

Il ressort nettement de cet arrêt que le boycottage est illicite dans son principe et ne peut se justifier que par des motifs spéciaux. Cette conception correspond à la thèse que la commission d'experts a fait valoir dans son projet de loi. Néanmoins, dans cet arrêt récent, le Tribunal fédéral ne s'est pas exprimé plus complètement sur les motifs qui pourraient servir de justification. Comme le droit actuel ne prévoit aucune disposition visant les entraves à la concurrence, les normes applicables doivent être déduites des principes généraux du droit civil. Il n'est toutefois pas aisé pour un juge d'émettre dans une matière aussi importante que le comportement d'organisations privées une appréciation de portée proprement législative. Il est d'autant plus nécessaire d'arrêter les dispositions voulues en s'efforçant notamment de définir les motifs justificatifs afin d'accroître la sécurité juridique.

4. Ainsi que l'a
relevé le Tribunal fédéral, les entraves apportées à la concurrence au moyen d'interdictions de livrer des marchandises et autres mesures portent atteinte à la liberté individuelle et aux droits personnels de l'entrepreneur visé. Ces entraves ne constituent pas une manifestation légitime de la liberté des contrats mais un moyen de contraindre un entrepreneur à adopter un comportement donné sur le marché. Elles compromettent le fonctionnement de la concurrence en tant que régulateur du marché et produisent les effets les plus graves tant économiques que sociaux.

La commission d'étude des prix a insisté tout particulièrement sur ce fait dans son rapport (cf. notamment pages 158 s.). Il convient donc de fixer dans la loi sur les cartels, en accord avec la nouvelle jurisprudence du Tri-

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bunal fédéral et la commission d'étude des prix, une réglementation dont la tendance générale soit bien marquée et qui parte du principe selon lequel les particuliers ne sont pas autorisés à recourir à la force. Notre régime juridique réserve le pouvoir coactif à l'Etat et repousse tout acte d'auto-défense par la force sauf de rares exceptions, telle la légitime défense (art. 926 du code civil et art, 52 du code des obligations). Le code pénal punit la contrainte à l'article 181. Il appartient au législateur de décider dans quelles conditions il est permis de recourir à des mesures coercitives.

En conséquence, les entraves à la concurrence ont été déclarées illicites, sous réserve de certaines exceptions. Cette réglementation constitue le noyau de la loi en ce sens qu'elle met particulièrement en évidence le concept de la «concurrence possible» et qu'elle possède ainsi une valeur indicative pour l'interprétation des autres dispositions. Il convient toutefois de considérer les deux points ci-après.

5. Même si l'on fait abstraction des cartels, la concurrence économique n'est jamais parfaite. Elle ne peut d'ailleurs l'être pour les raisons relevées par la commission d'étude des prix (p. 147 s.). Par exemple, certaines entreprises, même si elles ne peuvent être assimilées à des organisations analogues selon l'article 3, disposent de moyens et d'une puissance qui manquent à leurs concurrents. Il apparaît impossible d'éliminer ces inégalités au moyen d'une loi sur les cartels. La disposition relative aux entraves à la concurrence ne vise que celles qui sont dirigées contre des entreprises déterminées et non tout usage de la puissance. On doit tenir compte du fait que des inégalités subsistent dans la concurrence. Or les dispositions d'exclusivité prévues par des cartels peuvent avoir entre autres buts précisément celui de combattre les inégalités de ce genre. S'il en est ainsi, ces dispositions pourront, le cas échéant, être considérées comme légitimes.

Il ne faut pas oublier non plus que le boycottage a été toléré pendant des dizaines d'années et qu'il en est résulté des situations de fait et des conceptions sur lesquelles le législateur ne peut pas simplement fermer les yeux ; au reste, elles exercent également leur influence sur la politique économique de l'Etat.

1er alinéa (entraves émanant des
cartels) 1. Comme conséquence de ce qui précède, l'article 4 déclare illicites les entraves à la concurrence sous réserve des exceptions énoncées à l'article 5.

Il n'y aurait pas de sens de prévoir des dispositions spéciales de droit civil en matière de boycottage si, comme le demandaient certains des avis reçus, on renonçait à ce principe bien défini et, par exemple, que l'on revienne à la jurisprudence antérieure. D'ailleurs, il serait alors indispensable de renforcer les dispositions de droit administratif.

Il n'est pas exact de prétendre, comme cela s'est fait parfois, que l'on met en question l'existence même des cartels si l'on déclare illicites les

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entraves à la concurrence. Dans leur grande majorité, les cartels ignorent toute clause d'exclusivité et se contentent de régler leurs rapports avec leurs membres. Sous réserve de circonstances spéciales, on peut exiger cette limitation de la part de tous les cartels. L'efficacité des cartels possédant des dispositions d'exclusivité ne sera réduite que dans la mesure où l'exige le principe de la «concurrence possible». Ces cartels ne seront pas désavantagés par rapport à tous ceux qui renoncent à des mesures discriminatoires ou n'ont pas la possibilité d'en prendre.

2. Le 1er alinéa mentionne, à titre d'exemples, les principales mesures de nature à entraver la concurrence (interdiction de livrer des marchandises ou de s'engager chez un entrepreneur indépendant, les discriminations en matière de prix, les sous-enchères destinées à éliminer un concurrent déterminé). Les mesures prises par des associations de travailleurs contre des employeurs tombent également sous le coup de la loi lorsqu'elles tendent non pas à sauvegarder les intérêts du marché du travail mais à influencer le marché des biens. Outre le boycottage individuel dirigé contre un entrepreneur déterminé, le système des interdictions ou des discriminations permanentes contre tout outsider est également illicite. Il s'agit, par exemple, du refus de livrer à tous les entrepreneurs qui n'observent pas les prix du cartel ou ne se soumettent pas à un accord de prix de seconde main ou encore de l'exclusion de tout autre concurrent par une répartition rigoureuse des débouchés entre les maisons liées par le cartel.

3. On ne saurait entendre par le terme d'entrave à la concurrence un comportement quelconque qui gêne l'activité d'un concurrent. Le projet dit expressément qu'il s'agit de mesures visant à entraver notablement l'exercice de la concurrence. L'entrave de peu d'importance qui n'influe pas profondément sur l'activité d'un outsider ne tombe pas sous l'article 4. Au surplus, cet article ne vise que des mesures prises dans l'intention d'empêcher quelqu'un de se livrer à la concurrence et, partant, d'entraver l'exercice de celle-ci (mesures discriminatoires). C'est pourquoi le projet parle de «mesures» et use de l'expression «qui visent» (les mesures prises par un cartel ... lorsqu'elles visent à écarter des tiers...»). Il n'est pas nécessaire
qu'il y ait intention, c'est-à-dire un facteur subjectif. Il sufit qu'en fait le boycottage tende au but susénoncé (but objectif de la mesure). Dans les cas que les tribunaux ont été appelés à juger jusqu'à maintenant, ce but existait toujours.

Le refus de livrer des marchandises ou d'accorder un rabais d'usage dans la branche considérée ne constitue pas à priori une entrave à la concurrence.

Nous songeons en particulier aux cas dans lesquels le refus se justifie commercialement, tels que, par exemple, les rabais accordés à des entrepreneurs uniquement en raison de services déterminés (ducroire, stockage, assortiment, publicité, etc.), et qui constituent une véritable rémunération de leur

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activité. H peut arriver aussi qu'un fournisseur ne veuille livrer des articles de valeur qu'à des magasins spécialisés dans l'idée qu'ils disposent seuls de l'organisation qui convient. Or, tout à côté de ces motifs admissibles en soi, il peut aussi se trouver celui d'écarter un concurrent.

2e alinéa (entraves émanant d'organisations analogues) Les entraves à la concurrence sont également illicites lorsqu'elles sont le fait d'une entreprise puissante. Une ou plusieurs entreprises usant de leur puissance sur le marché peuvent parvenir à contraindre autrui à adopter un comportement déterminé, même en l'absence de cartel. Le fait de disposer d'une action permettant d'obtenir d'une entreprise qu'elle cesse d'interdire de livrer des marchandises peut pratiquement équivaloir, à l'égard d'un trust ou d'un concern, à l'obligation d'adhérer à un contrat ; cette mesure se justifie, toutefois, lorsque l'organisation considérée possède un monopole.

Cependant, le refus de livrer des marchandises, comme les prix et conditions discriminatoires pratiqués par des entreprises puissantes, ne sont pas purement et simplement assimilables à des entraves à la concurrence créées par des cartels. C'est pour ce motif que les articles 4 et 5 ne doivent être applicables que par analogie aux organisations analogues à des cartels.

Généralités Art. 5 : Exceptions 1. La réalisation intégrale du concept de la «concurrence possible» demanderait que l'on ne tolérât pas de dérogations au caractère illicite des entraves à la concurrence. Des voix se sont effectivement fait entendre pour proposer que l'on n'admette aucune exception. Nous avons toutefois relevé à propos de l'article 4 qu'il était nécessaire de prévoir une disposition dérogatoire en raison de certaines inégalités qui apparaissent dans la concurrence.

Ainsi peut-on tenir compte de circonstances économiques particulières. Il peut arriver, par exemple, que des mesures dirigées contre des entrepreneurs indépendants se concilient, le cas échéant, avec l'intérêt général.

2. Il appartient, d'après le projet, au juge civil de statuer sur la légitimité d'un boycottage. Un certain nombre des avis reçus ont relevé les inconvénients qu'il pouvait y avoir à s'en remettre au juge civil, attendu que les dispositions à appliquer étaient trop vagues et que l'on dépasserait les
limites assignées à la jurisprudence si le juge était appelé à statuer sur d'importantes questions d'ordre économique. Pour tenir compte de cette critique, l'article 5 a été rédigé de façon plus précise, si bien que le danger évoqué en devrait être considérablement atténué. Le juge civil aura d'ailleurs la tâche facilitée du fait qu'il pourra demander l'avis de la commission des cartels sur des questions de principe (art. 18, 2e al.). L'importance de cet avis apparaît précisément lorsqu'il s'agit d'apprécier des questions touchant la politique économique. D'autre part, il ressort de la pratique qu'un bon nombre de cas peuvent être réglés sans qu'il soit nécessaire d'entreprendre

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de grandes enquêtes économiques. En outre, le projet ne connaît qu'une autorité cantonale en matière de boycottage (art. 7, 1er al.), ce qui simplifie la procédure et garantit mieux un jugement objectif.

3. L'union syndicale suisse, craignant que la juridiction de droit civil ne soit insuffisante, a proposé de prévoir une procédure d'autorisation de droit public. Il en résulterait que la commission des cartels aurait à se prononcer, à la requête de cartels ou d'organismes analogues, sur des dérogations en faveur de certaines branches économiques ou de certains marchés.

La décision de la commission serait précédée d'une procédure d'opposition.

D'autre part, elle pourrait faire l'objet d'un recours à une autorité judiciaire.

Comme elle devrait être rendue dans un délai déterminé, il serait, de l'avis de l'union syndicale, plus facile de l'adapter aux fluctuations de la conjoncture qu'une sentence judiciaire.

L'argument d'ordre économique avancé à l'appui de cette proposition éveille cependant des appréhensions. On peut se demander s'il est juste, du point de vue économique, de permettre en cas de crise à une branche de pratiquer le boycottage au détriment d'autres milieux. Relevons aussi que la commission des cartels ne pourrait statuer immédiatement. Elle devrait attendre jusqu'à ce que le fléchissement économique invoqué se révèle n'être pas purement passager (nous songeons à la dernière «récession» qui ne fut que de courte durée) et se livrer à un examen approfondi de chaque demande. Comme on devrait s'attendre à un recours contre la décision de la commission, la procédure de droit administratif ne manquerait d'exiger aussi un certain temps. Les expériences faites en matière d'interventions de l'Etat nous affirment qu'il est difficile de revenir sur une mesure une fois qu'elle a été autorisée. Enfin, il faudrait s'attendre à un grand nombre de demandes d'autorisation. D'ailleurs le permis officiel vaudrait non plus pour un cas d'espèce seulement mais pour toute une catégorie de boycottages. Il aurait des effets analogues à une décision d'extension d'une convention collective de travail, car l'approbation des autorités renforcerait l'efficacité des mesures en question. Les cartels pourraient faire pression sur les entrepreneurs insubordonnés et leur opposer avec succès l'autorisation qui leur
a été accordée.

Une décision purement de droit civil présente à cet égard l'avantage de permettre l'établissement d'une jurisprudence même s'il ne s'agit que de quelques cas isolés. D'autre part, la décision prise dans un cas d'espèce ne fait nullement obstacle à l'adaptation des jugements ultérieurs à une situation nouvelle. Pour les cas -- peu nombreux --· qui soulèveront des questions de principe, il sera indiqué de charger la commission des cartels de rédiger un avis avec tout le soin voulu.

4. H appartient aux auteurs d'un boycottage d'établir quelles sont les circonstances particulières qui peuvent le justifier. Cette manière de faire

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correspond aux règles générales qui régissent le fardeau de la preuve (art. 8 CC.) et à la pratique suivie par le Tribunal fédéral en matière de boycottage (cf. AFT 76, II, 290 s., 82, II, 306, 86, II, 378 s.).

1er alinéa (disposition dérogatoire générale) Le 1er alinéa énonce les conditions dans lesquelles les entraves à la concurrence sont licites : les entraves doivent être justifiées par des intérêts légitimes qui priment ceux du boycotté tout en étant compatibles avec l'intérêt général. En mentionnant l'intérêt général, la loi montre que le boycottage doit se tenir dans les limites de ce qui est compatible avec les principes généraux de notre droit. En outre, même si elles paraissent licites en regard des intérêts en jeu, les mesures en question ne doivent pas restreindre la libre concurrence de manière exeessive par rapport au but visé ou du fait de la nature et de la façon dont elles sont appliquées (principe de la proportionnalité, sauvegarde des bonnes moeurs). Ces diverses conditions sont cumulatives. Quant à la formulé générale du 1er alinéa, elle se justifie uniquement parce que le caraterò illicite des entraves à la concurrence a été fixé précédemment (art. 4) en tant que règle fondamentale et que des précisions ont été encore apportées aux alinéas 2 et 3. Autrement, elle serait trop vague pour servir de critère de démarcation entre entraves licites et illicites.

Le juge devra mettre en balance les intérêts du cartel et ceux de l'entrepreneur indépendant selon les critères fixés à l'alinéa premier. Comme ces dérogations ne doivent pas faire échec au principe général, il ne saurait être question de tenir compte de l'intérêt du cartel à accaparer le marché ou à le fermer. Tout au contraire, la légitimité d'une entrave à la concurrence ne peut découler que de circonstances particulières.

2e alinéa (exemples d'intérêts légitimes prépondérants) 1. Le 2e alinéa énonce quatre exemples d'intérêts légitimes prépondérants, à savoir la sauvegarde d'une concurrence loyale et dont il faut empêcher que le jeu ne soit faussé, l'établissement, dans une branche ou une profession, d'exigences professionnelles ou techniques raisonnables, la garantie, dans une branche ou une profession, d'une structure souhaitable dans l'intérêt général et l'application de dispositions cartellaires en matière
d'exportations. Les associations patronales notamment se sont ralliées à ces exemples lorsqu'elles ont été consultées. L'union syndicale suisse et le parti socialiste auraient voulu que l'on ajoute encore un autre exemple, à savoir les mesures qui visent à empêcher des effets nuisibles d'ordre social.

Dans d'autres réponses, on proposait de n'autoriser le boycottage que lorsque sont remplies les conditions prévues à l'article 31 bis, 3e alinéa, lettre a, de la constitution (menace affectant l'existence d'importantes branches écono-

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miques ou professions). Enfin, la fédération suisse des employés et l'association suisse des syndicats évangéliques voudraient que l'on supprime complètement les exemples qui, de leur avis, sont dangereux parce qu'ils créent la confusion.

Comme nous l'avons déjà relevé, il est indispensable de préciser la portée de la formule dérogatoire très générale de l'alinéa premier. Certes, il ne saurait être question d'énumérer tous les cas possibles ni de les définir rigoureusement. Les exemples donnés au 2e alinéa ont toutefois une valeur indicative. En concrétisant la règle générale, on oriente la pratique dans une certaine direction. Il a fallu, à cet effet, ajouter aux exemples du projet des experts -- la sauvegarde de structures et les cartels d'exportateurs -- encore deux autres exemples. Ce n'était pas dans l'idée d'élargir le champ des dérogations mais, au contraire, pour éviter le risque que le juge ne soit tenté d'assimiler une mesure quelconque lui paraissant légitime à une mesure visant à sauvegarder une structure et d'ériger ainsi cet exemple en clause générale. Grâce à une énumération quelque peu plus étendue, on obtient une image plus exacte des intérêts qui, selon le législateur, peuvent être pris en considération. On a fait précéder la sauvegarde de structures et les cartels d'exportateurs par des cas qui sont étroitement liés à l'idée de concurrence (protection de la loyauté, établissement d'exigences professionnelles raisonnables). Les exemples du projet visent des intérêts qui peuvent être légitimes et prépondérants. Ces intérêts ne donnent aucun droit absolu à une dérogation. Ils doivent être appréciés dans chaque cas d'espèce à la lumière des circonstances. C'est pourquoi le projet a adopté la formule «Peuvent notamment être justifiées par des intérêts légitimes prépondérants les mesures qui visent à...». D'autre part, les exceptions ne sont pas limitées à ces quatre exemples. On peut concevoir que l'observation de prix fixés par le cartel peut le cas échéant, être considérée comme légitime même si ce cas ne rentre pas dans l'un des quatre mentionnés. Toutefois la preuve d'intérêts légitimes qui ne figurent pas dans l'énumération du 2e alinéa est soumise à des exigences particulières.

2. On a envisagé aussi de n'autoriser les entraves à la concurrence qu'aux conditions que l'article
31 fris de la constitution a fixées pour les mesures que la Confédération a le droit de prendre en dérogeant au principe de la liberté du commerce et de l'industrie (pour sauvegarder d'importantes branches économiques ou professions menacées dans leur existence). Cette proposition partait de l'idée qu'une pression exercée sur des tiers entravait la libre concurrence et, partant, ne devait être licite qu'aux mêmes conditions que les mesures prises par la Confédération lorsqu'elles dérogent au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. On peut opposer à cette argumentation que le constituant a laissé aux cartels un champ d'activité plus vaste que le législateur, ainsi que cela apparaît nettement si l'on compare la disposition de la lettre a (mesures étatiques) avec celle de la lettre d Feuille fédérale. 113e année. Vol. II.

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(compétence législative en matière de cartels) de l'article 31 bis, 3e alinéa de la constitution. Il va de soi que la loi sur les cartels doit s'efforcer d'éviter un désaccord inadmissible entre ces deux domaines mais il n'est pas nécessaire de subordonner aux mêmes conditions des mesures arrêtées par l'Etat et celles qui sont prises par des cartels. Il existe, en fait, des cas où l'on ne pourrait demander la preuve qu'une entreprise est menacée dans son existence.

Ce sera par exemple le cas en matière de légitime défense contre des mesures faussant la concurrence. D'autre part, la menace en question ne suffirait pas à priori à justifier un boycottage. Le fait que le projet ne se réfère pas expressément à l'article 31 ois, n'exclut néanmoins pas qu'il faille, le cas écbéant, établir la preuve de la menace; nous pensons notamment aux mesures visant à sauvegarder une structure donnée.

Lettre a (concurrence loyale ou dont le jeu n'est pas faussé) 1. De tout temps les conventions et décisions relatives à un cartel ont mentionné au nombre de leurs objectifs la garantie contre la concurrence loyale. Il est vrai que les milieux groupés en cartels considèrent comme déloyaux des faits qui ne sont pas visés par la loi fédérale du 30 septembre 1943 sur la concurrence déloyale, tels que l'application de prix inférieurs à ceux du tarif de l'association. Il va de soi que le projet donne à la concurrence loyale le sens qu'elle a dans cette loi. On s'est demandé si la protection de la loyauté pouvait justifier un boycottage, du moment que la loi sur la concurrence déloyale a prévu à ce sujet des moyens de droit civil et pénal.

H est cependant de jurisprudence constante à cet égard que les intéressés peuvent prendre leurs propres mesures nonobstant les voies de droit instituées par l'Etat. La loi allemande, rigoureuse par ailleurs, a créé la possibilité de telles mesures, bien qu'elles ne soient pas en rapport avec le boycottage ou des mesures discriminatoires ( § § 28 à 33 sur les règles de la concurrence; § 38, 2e al., sur les conditions stimulant la concurrence vis-à-vis des grandes entreprises). La protection de la loyauté constitue certainement, dans l'ordre d'importance, le premier des motifs justificatifs. Lorsqu'un cartel est à même d'apporter la preuve que tel est effectivement son but, il se justifie
de tolérer une dérogation. Supposé qu'un entrepreneur, par exemple, ne soit pas admis dans une association parce qu'il s'est rendu coupable de concurrence déloyale, ce refus peut être, le cas échéant, jugé licite s'il est assimilable à une mesure discriminatoire.

Aux termes de l'article 1er, 2e alinéa, lettre h, de la loi sur la concurrence déloyale, enfreint les règles de la bonne foi entre autres celui qui n'observe pas les conditions de travaii légales, réglementaires ou contractuelles qui sont également applicables au concurrent. Cette infraction est aussi visée par la disposition de la loi sur les cartels relative à la protection de la loyauté.

On peut ainsi répondre au désir qu'il soit également tenu compte des conditions sociales.

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2. La concurrence peut être faussée autrement encore que par des procédés déloyaux selon la loi sur la concurrence déloyale. Les cartels doivent avoir la possibilité d'établir une certaine réglementation, par exemple pour se préserver de la pratique abusive des primes ou pour imposer non des prix fixés mais un mode de calcul des prix qui tienne un juste compte des coûts. La concurrence peut être aussi faussée par des faits que la commission d'étude des prix fait rentrer sous l'appellation de «concurrence imparfaite».

En employant le terme de «faussé», on a voulu faire nettement ressortir qu'il s'agit uniquement de garantir la concurrence sous sa forme véritable et non de la restreindre et d'imposer des prix excessifs. En pareil cas, comme dans les autres exemples que nous avons cités, il ne s'agit pas de se fonder sur les intentions des cartels. Il appartiendra au juge de se prononcer sur les dérogations en partant de considérations objectives. Il n'est pas lié non plus par les usages commerciaux, mais ces dernière peuvent lui fournir d'utiles indications sur les conceptions régnantes dans la branche considérée.

3. L'un des objectifs des cartels consiste à opposer à la stratégie du marché pratiquée par les grandes entreprises celle des petites, qui se groupent pour être plus fortes (l'union fait la force). L'usage de la puissance économique est licite et peut être mis au service de la lutte contre la concurrence. Mais il dévient critiquable dès l'instant où il supprime les conditions nécessaires à la véritable concurrence. En ce cas, la concurrence serait faussée dans l'esprit du 2e alinéa, lettre oe, de sorte qu'une mesure de rétorsion pourrait être licite à ce titre. On pourrait concevoir, par exemple, que de grandes entreprises suisses ou étrangères usent de leur puissance non seulement contre des concurrents déterminés (cf. art. 4,1er al.), mais contre une branche tout entière, en vue d'accaparer le marché. On se trouverait alors en présence, suivant les circonstances, d'un cas où le jeu de la concurrence aurait été faussé.

Lettre 6 (conditions professionnelles) La concurrence peut être également troublée par des concurrents qui ne possèdent pas de formation professionnelle suffisante. Certes, les entrepreneurs capables s'imposent à la longue, mais on ne saurait faire un reproche à des
artisans, par exemple, de se grouper en cartel pour éviter les pertes que pourrait leur causer la concurrence de personnes non qualifiées.

Certains pays comme l'Allemagne subordonnent l'exercice de professions artisanales ou commerciales à un titre de capacité. Ils apportent par ce moyen un contrepoids à l'interdiction ou à la limitation rigoureuse des cartels. La Suisse ayant rejeté l'institution d'un titre de capacité prescrit par l'Etat ne saurait empêcher les particuliers de pourvoir eux-mêmes aux mesures propres à garantir des capacités professionnelles suffisantes lorsque des circonstances objectives le justifient. La lettre b mentionne à cet effet les mesures visant à établir des exigences professionnelles ou techniques

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raisonnables. Le service à la clientèle, tel qu'il doit être assuré dans une branche donnée, constitue ausai une condition professionnelle. Les exigences professionnelles ou techniques sont raisonnables lorsqu'elles ne vont pas au-delà de ce qui, en vertu de critères objectifs, est nécessaire à la branche considérée. Ni l'attestation financière ni aucune autre mesure destinée à rendre plus difficile l'accès à une profession ne peuvent entrer en ligne de compte.

Lettre c (structure d'une branche économique ou profession) II ne va pas de soi que l'on doive assurer la structure d'une branche économique ou d'une profession au moyen d'entraves à la concurrence.

Des facteurs économiques et techniques amènent une évolution permanente des structures, par exemple le besoin d'accroître la productivité. Il n'est guère possible d'empêcher, dans telle ou telle branche, un certain agrandissement des entreprises. D'ailleurs il n'est pas toujours souhaitable, même du point de vue de notre politique générale, de maintenir telle structure donnée.

H ne convient donc pas de s'opposer à toute évolution par des mesures artificielles. Toutefois, il peut arriver qu'une évolution aboutisse à des résultats indésirables du point de vue de l'intérêt général, tels qu'une concentration de puissance dans un petit groupe d'entreprises. En outre, des modifications trop brusques affectant les structures économiques peuvent avoir aussi des effets d'ordre social regrettables. Il peut être indiqué, en pareil cas, de recourir à des mesures transitoires. L'adaptation à des conditions nouvelles peut nécessiter, elle aussi, une amélioration des structures anciennes.

Le projet n'admet les mesures destinées à assurer la structure d'une branche économique ou profession qu'autant qu'elles apparaissent souhaitables dans l'intérêt général. Le but n'est pas de maintenir des entreprises simplement parce qu'elles existent déjà ou d'en assurer un rendement déterminé. Il s'agit de permettre l'exécution de tâches importantes du point de vue national, une répartition souhaitable des entreprises d'une branche donnée suivant leur grandeur ou par région, ou de se préserver de puissantes entreprises étrangères. Cette disposition devra être appliquée avec toutes les précautions voulues.

Dans son dernier arrêt, le Tribunal fédéral a déclaré que le
boycottage ne se justifiait pas lorsqu'une entreprise pourrait abaisser ses frais et ses prix par une organisation judicieuse, même si son comportement risquait d'ébranler la structure d'une branche économique. Il ajouta que le boycottage ne devait pas venir au secours d'un secteur économique qui. s'est développé de façon anormale (ATF 86, II, 379 s.). Ces considérations sont intéressantes si on les examine sous l'angle des mesures destinées à assurer certaines structures. Nous estimons aussi que le boycottage ne doit pas servir à protéger une organisation professionnelle inappropriée. La sauve-

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garde d'une structure n'est souhaitable dans l'intérêt général selon la lettre c que si elle vise à produire un effet acceptable du point de vue économique.

Lettre d (cartels d'exportateurs) II apparaît justifié, dans certains cas, qu'un cartel suisse amène un outsider à observer les dispositions du cartel sur des marchés étrangers.

Du point de vue économique, cette exception ne soulève aucune objection.

Il convient cependant de rappeler que, selon les principes traditionnels, les engagements internationaux (notamment l'article 15 de la convention sur l'AELE) priment le droit national. Les facilités prévues par la loi ne pourraient donc pas être opposées à une plainte d'un membre de l'Association européenne de libre-échange.

3e alinéa (évincement de nouveaux concurrents) Sauf une seule exception, le Tribunal fédéral a toujours déclaré illicite le boycottage d'évincement qui vise uniquement à écarter de nouveaux concurrents (ATF 32, II 360 s., 37, II, 417 s., 61, II, 250 s., 348 s., 76, II, 281 s., 81, II, 117 s., 82, II, 292 s.). Quant à l'exception, elle concerne l'ouverture d'une salle de cinéma (arrêt non publié du 6 novembre 1959) et se trouve liée à la situation particulière alléguée par la branche du film.

Il convient que de tels procédés soient déclarés illicites. Toutefois, on ne saurait à priori qualifier tel tout boycottage limitant l'admission dans une profession. Le 3e alinéa ne concerne que les cartels ayant uniquement pour but d'évincer des concurrents. Il en va autrement, par exemple, d'une mesure qui peut se justifier par des exigences professionnelles ou techniques raisonnables selon le 2e alinéa ou lorsque d'autres intérêts légitimes s'opposent à l'admission de nouveaux membres comme dans le cas de mesures prises en vue de rationaliser une branche conformément à l'intérêt général.

En revanche, la limitation du nombre des entreprises, qu'elle soit obtenue au moyen du numerus clausus ou de la clause dite du besoin, ne peut comme telle se justifier par un intérêt légitime.

Comme aujourd'hui, il appartiendra au juge saisi d'une plainte d'examiner si le refus d'admettre un membre répond à un intérêt légitime ou si ce refus ne peut être protégé parce qu'il tombe sous le coup du 3e alinéa.

Le juge devra considérer dans chaque cas d'espèce les motifs qui ont été en fait déterminants.

Art. 6: Actions er

1 alinéa (droit du demandeur) Les actions découlant d'entraves à la concurrence correspondent à celles de l'article 2 de la loi sur la concurrence déloyale. H est indiqué de se reporter à une loi spéciale apparentée.

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2e alinéa (rapports du demandeur avec le cartel) Le demandeur ne peut obtenir qu'une entrave illicite à la concurrence soit interdite ou un état de fait illicite supprimé si les membres du cartel sont tenus par une convention de pratiquer envers lui des mesures discriminatoires. Il faut donc que le juge puisse décider que les engagements nés du cartel seront sans effet à son égard. Au besoin, le juge peut aussi ordonner -- mais à la requête du demandeur seulement -- que ce dernier adhère au cartel ou qu'il soit admis dans l'association. Ce régime trouve des points d'appui dans de récents arrêts du Tribunal fédéral qui n'ont toutefois pas encore abouti à une jurisprudence ferme (ATF 76, II, 294 s., 83, II, 306 s., 86, II, 368 s.).

3e alinéa (publication du jugement) S'inspirant de l'article 6 de la loi sur la concurrence déloyale, le projet dispose que le juge peut autoriser la partie qui a eu gain de cause à publier le jugement. Toutefois, la publication n'aura lieu que si l'intérêt du demandeur l'exige.

Art. 7: Por 1er alinéa (tribunal compétent) II convient d'attribuer à une autorité cantonale unique la connaissance des actions intentées pour entraves à la concurrence. On abrège ainsi la procédure tout en garantissant un jugement rendu en pleine connaissance de cause dans des contestations souvent complexes. Nous trouvons une disposition analogue à l'article 76, 1er alinéa, de la loi du 25 juin 1954 sur les brevets d'invention. Une procédure rationnelle exige que l'autorité unique statue également sur d'autres actions intentées en même temps que celle qui résulte d'une entrave illicite à la concurrence.

Les décisions du tribunal cantonal statuant en instance unique peuvent être l'objet d'un recours en réforme au Tribunal fédéral si la valeur litigieuse est d'au moins 8000 francs. Ce recours n'est toutefois recevable que si la décision cantonale viole le droit fédéral. Le Tribunal fédéral n'a pas à vérifier les faits constatés par le tribunal cantonal. Cependant il apprécie librement la portée juridique des faits (art. 43, 63 et 64 de la loi d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943). En matière de boycottage, la décision dépend souvent dans une large mesure de circonstances économiques que le Tribunal fédéral ne peut pas toujours apprécier complètement sans un nouvel examen des faits. Il doit alors renvoyer la cause au tribunal cantonal, en l'invitant à statuer à nouveau (cf. ATF 86, II, 379).

On a fait valoir au sein de la commission d'experts qu'il serait plus simple et plus pratique que le Tribunal fédéral procède lui-même à la vérification des faits de caractère économique. Il n'aurait, en règle générale, qu'à, demander un avis complémentaire à la commission des cartels ou à d'autres

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experts. On s'est référé à cet égard à l'article 67 de la loi d'organisation judiciaire (dans la rédaction de l'article 117 de la loi sur les brevets) qui autorise l'examen technique dans des contestations relatives à des brevets d'invention. Le Tribunal fédéral s'oppose énergiquement à toute réglementation de ce genre dans la loi sur les cartels, en alléguant que le recours en réforme n'est pas un appel et qu'il doit uniquement assurer l'interprétation uniforme du droit fédéral. II précise qu'en raison de la nature juridique du recours en réforme, telle qu'elle résulte de l'article 114 de la constitution fédérale, il ne peut intervenir dans la constatation des faits réservée aux cantons que dans des cas exceptionnels lorsque des motifs absolument pertinents l'exigent. Outre que le régime institué par la nouvelle loi sur les brevets n'aurait pas donné les résultats escomptés, le Tribunal fédéral estime que les expériences faites jusqu'à maintenant en matière de boycottage n'impliquent aucune nécessité pratique de prévoir une disposition spéciale et qu'au reste l'examen des faits ne pourrait que prolonger le procès outre mesure.

Considérant l'avis du Tribunal fédéral, nous avons renoncé à une disposition prévoyant l'examen des faits en procédure de revision.

2e alinéa (for) Lettre a. -- Le for ne soulève pas de difficulté tant que les actions résultant d'entraves à la concurrence sont dirigées contre des organismes possédant la personnalité. En revanche, il pourrait arriver que le demandeur soit contraint d'intenter action auprès de plusieurs tribunaux si le cartel revêt la forme d'une société simple ou que plusieurs personnes participent au boycottage sans être liées entre elles. Comme l'action civile se heurterait à de sérieuses difficultés, l'article 7, 2e alinéa, garantit l'unité de for.

Certains membres de la commission d'experts se sont demandé s'il n'y avait pas lieu de laisser le choix entre le for du domicile du défendeur et le for de l'infraction. On trouve des précédents notamment à l'article 75, 1er alinéa, de la loi sur les brevets et à l'article 84 de la loi du 19 décembre 1958 sur la circulation routière (for au lieu de l'accident). La majorité de la commission a estimé qu'il n'y avait pas de motif suffisant pour renoncer au for garanti par l'article 59 de la constitution fédérale.
Lettre b. -- Une exception s'impose lorsque le défendeur n'a pas de domicile en Suisse. Le projet prévoit en pareil cas que l'action peut être intentée au lieu où l'acte illicite a été commis.

Art, 8 : Sauvegarde des secrets d'affaires Dans les contestations en matière d'entraves illicites à la concurrence, les secrets de fabrication ou d'affaires devront être sauvegardés. H est apparu nécessaire de prévoir une disposition spéciale, analogue à celle de l'article 68 de la loi sur les brevets, car la plupart des codes de procédure cantonaux ne contiennent aucune prescription de ce genre.

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Art. 9 : Mesures provisionnelles Les mesures provisionnelles constituent un moyen de procédure assurant la sauvegarde provisoire des prétentions de droit privé. Comme il s'écoule souvent un laps de temps considérable jusqu'au jugement, le juge ordonnera, à la requête de l'une des parties, les mesures nécessaires selon la voie de la procédure sommaire. Dans le cas d'entraves à la concurrence, on peut craindre en particulier que le demandeur ne subisse un préjudice difficilement réparable avant le jugement de la cause. Il convient donc d'établir des prescriptions fédérales uniformes à l'instar de la loi sur la concurrence déloyale (art. 9 à 12) et de la loi sur les brevets (art. 77 à 80).

Le projet déclare en conséquence que les dispositions de la loi sur la concurrence déloyale sont applicables par analogie.

2. Engagements des membres de cartels Contrairement aux articles 4 à 9 qui visent les entraves apportées à l'activité des outsiders, les articles 10 à 15 traitent des relations internes, c'est-à-dire des rapports du cartel avec ses membres et des membres entre eux. Cette matière étant déjà régie par le droit privé, notamment par le droit de société, la loi sur les cartels peut se contenter de ne prévoir qu'un petit nombre de prescriptions particulièrement importantes du point de vue de la concurrence.

Art. 10 : Forme des engagements issus de cartels er

1 alinéa (principe) En exigeant la forme écrite, on veut engager à plus de circonspection les personnes désireuses de créer un cartel. La forme écrite n'est qu'une exigence de droit civil pour la validité des contrats et ne fait pas obstacle à la conclusion d'accords dénués de toute forme et privés de force exécutoire (gentlemen's agreements). Elle est requise tant à l'égard des conventions que des décisions. Les conventions à caractère de cartels qui, par nature, engendrent des sociétés simples, ne sont valables que si elles sont signées par tous les participants tandis que pour les décisions, un procès-verbal signé suffit.

2e alinéa (adhésion à un cartel) II est nécessaire de prévoir une disposition spéciale visant l'adhésion à un cartel. Celui qui adhère à un cartel ne doit être lié par les engagements existants que s'il les reconnaît par écrit. Cette disposition n'empêche pas l'association de prendre à l'avenir de nouvelles prescriptions à caractère de cartel dans la limite des attributions de ses organes. On veut uniquement que la personne qui adhère à un cartel soit bien au clair sur l'étendue de ses engagements au moment de son admission.

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3e alinéa (accords de prix de seconde main) La forme écrite n'eat pas requise pour les accords de prix de seconde main lorsqu'ils sont assujettis à la loi en vertu de l'article 2, 2e alinéa. On ne saurait en effet l'exiger lorsque le prix est imprimé sur l'emballage et que le revendeur s'est tacitement engagé à le respecter.

Art. 11 : Libération des engagements issus de cartels Généralités 1. Il faut éviter que des entraves excessives ne soient apportées à la sortie d'un membre, sinon la .concurrence tend à se paralyser et la liberté individuelle des membres du cartel s'en trouve diminuée. D'autre part, les cartels éprouvent souvent un besoin légitime de ne pas admettre une démission après une période d'affiliation très courte, car ils ne peuvent autrement assumer leurs tâches dans des conditions normales. Tel est le cas notamment de syndicats qui règlent eux-mêmes la production et la vente au moyen de contingents et prennent parfois des mesures de rationalisation qui peuvent être judicieuses; or ces groupements, en raison de leur nature même, exigent une certaine fidélité. Il arrive souvent aujourd'hui que la sortie d'un membre soit entravée par la menace d'un boycottage. A cet égard également, il est bon que les entraves à la concurrence soient par principe déclarées illicites.

Le droit actuel prévoit déjà des possibilités de dénonciation et de sortie.

A cet égard, il y a lieu de distinguer selon que l'engagement à caractère de cartel est dénoncé pour de justes motifs ou qu'il prend fin sans qu'il y ait lieu d'invoquer de justes motifs.

La démission est autorisée en tout temps pour de justes motifs quelle que soit la forme juridique du cartel, à savoir, par un jugement s'il s'agit d'une société simple ou d'une société à responsabilité limitée (art. 545 et 822 CO) ou par déclaration unilatérale dans le cas d'une association (selon la jurisprudence établie) ou d'une société coopérative (art. 843 CO). En ce qui concerne la société double (combinaison de la société simple et de la société anonyme), il y a lieu d'appliquer les dispositions régissant la société simple.

Le droit de sortie et la dénonciation sont garantis par la loi sans qu'il y ait lieu d'invoquer un motif particulier, c'est-à-dire sans condition, pour la fin de l'année civile s'il s'agit d'une association (art. 70 CO) et dans le
cas d'une société simple si celle-ci a été formée pour une durée indéterminée (art. 546 CO) ou après cinq années d'affiliation dans le cas d'une société coopérative (art. 843 CO). Il n'existe aucune disposition imperative en ce qui concerne la société à responsabilité Limitée.

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2. La libération des engagements à caractère de cartel peut revêtir trois modalités différentes : -- la dénonciation sans condition à l'expiration d'un certain délai; -- la dénonciation pour de justes motifs; -- l'action en libération intentée auprès du juge pour de justes motifs.

Chacune de ces solutions présente des avantages et des inconvénients qu'il est difficile de soupeser. Le moyen le plus radical réside dans la dénonciation sans condition. EÜe a l'avantage de déployer rapidement ses effets et de créer une situation claire. Relevons à ce propos qu'une grande partie des cartels horizontaux revêtent la forme d'association, qui implique le droit de chaque membre de donner sa démission pour la fin de l'année civile.

Pour autant qu'elle n'est pas prévue par le droit en vigueur, la dénonciation à court terme devrait se combiner avec la possibilité d'obtenir du juge un permis autorisant des dispositions dérogatoires qui se révéleraient indispensables dans un certain nombre de cartels. Le juge serait alors appelé à se prononcer sur la durée d'un cartel, ce qui ne serait pas souhaitable.

La dénonciation pour de justes motifs apporterait un allégement au régime actuel de la société simple et delà société à responsabilité limitée, qui prévoit l'action en libération. Une minorité de la commission estime que cette solution serait préférable et propose de donner à l'article 11 la teneur suivante : 1 Toute personne qui a contracté un engagement à caractère de cartel peut, de par la loi et avec effet immédiat, dénoncer son engagement ou quitter l'association lorsque sa position s'est notablement détériorée ou lorsqu'un autre juste motif rend son engagement incompatible avec les règles de la bonne foi.

a Un membre ne pourra être libéré partiellement de son engagement ou en être libéré sans qu'il quitte l'association que si l'on peut équitablement l'exiger de la part de celle-ci.

Un certain nombre des avis reçus se sont ralliés à cette proposition.

D'autres ont même proposé d'admettre la dénonciation sans condition.

Les milieux patronaux ont, en revanche, avancé que l'on s'exposerait au risque de démissions inconsidérées, ce qui forcerait le cartel à s'adresser au juge pour obtenir la nullité de la démission s'il est important pour lui que le démissionnaire reste dans le cartel. Or cette règle s'applique déjà dans la société coopérative, qui peut avoir besoin de compter sur la fidélité de ses membres tout autant que la société simple ou la société à responsabilité limitée. D'autre part, bien que la dénonciation soit unilatérale, il pourrait arriver que le rôle de demandeur incombe au membre s'il a dû, par exemple, fournir des sûretés et qu'en démissionnant pour de justes motifs, il est forcé d'en demander en justice la restitution.

Le projet prévoit à l'article 11 l'action en libération pour de justes motifs, qui correspond au régime juridique actuel de la société simple créée pour une durée déterminée et de la société à responsabilité limitée. Le

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progrès réaide dans une certaine précision apportée à l'action en libération et dans l'adoptoin du principe selon lequel le jugement, en règle générale, a un effet rétroactif. L'action en libération offre au cartel une plus grande sécurité juridique et empêche les membres d'invoquer à la légère un juste motif pour se retirer. Cette situation plus rigoureuse ainsi faite aux membres est atténuée en partie grâce aux mesures provisionnelles, le juge pouvant prononcer la libération provisoire de l'engagement litigeux (art. 15). L'action dirigée contre le cartel doit être intentée au siège de ce dernier, alors que dans le cas de dénonciation unilatérale, le cartel devrait intenter une action en constatation négative au lieu du domicile du membre sortant.

1er alinéa (principe) La libération prononcée par le juge est subordonnée à de justes motifs ; le projet en cite l'exemple principal, qui réside dans une notable détérioration de la position du membre considéré. La modification de la situation du marché peut constituer un juste motif lorsqu'elle altère les possibilités de concurrence d'un membre donné ; toutefois on ne saurait retenir n'importe quelle modification de ce genre. Il a été prévu dans l'intérêt du demandeur que le jugement sera rétroactif au jour de l'introduction de la demande, à moins qu'exceptionnellement le juge n'en décide autrement.

2e et 3e alinéas (libération partielle) L'action peut être limitée à la libération partielle des engagements à caractère de cartel ou à la libération des engagements sans supprimer pour autant l'affiliation à une association professionnelle (2e et 3e al.). La libération partielle est conforme au principe de l'article 20, 2e alinéa, du code des obligations (« Si le contrat n'est vicié que dans certaines de ses clauses, ces clauses sont seules frappées de nullité, à moins qu'il n'y ait lieu d'admettre que le contrat n'aurait pas été conclu sans elles»).

4e alinéa (dispositions plus favorables) L'article 11 ne doit pas avoir de valeur imperative à l'égard des associations et des sociétés coopératives ni des sociétés simples créées pour une durée illimitée, car il aggraverait la situation des personnes voulant s'en retirer. Le 4e alinéa réserve à cet effet les dispositions plus favorables au contractant ou au sociétaire.

Art. 12 : Conditions de sortie er

1 alinéa (indemnité) A la différence du droit coopératif (art. 842 CO), l'alinéa premier ne permet pas d'exiger du membre sortant le versement d'une indemnité, car celle-ci constitue un obstacle à la sortie d'un cartel; les indemnités de ce

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genre doivent donc être réputées illicites dans le cas d'associations poursuivant principalement des fins de cartel.

2e alinéa (autres conditions) Le 2e alinéa reprend le principe du droit coopératif (art. 842, 3e al. CO) selon lequel le droit de sortie ne doit pas être rendu onéreux à l'excès. Ce principe permet au juge de prendre, en cas de contestation, une décision adaptée aux circonstances. A l'instar de l'action en libération, selon l'article 11, l'interdiction de rendre le droit de sortie onéreux à l'excès tend à relâcher la contrainte du cartel. Son importance pratique est à peine inférieure à celle de l'action en libération.

Le projet considère que le mode de fixation des droits pécuniaires du membre sortant et des délais de dénonciation, notamment, est de nature à rendre plus difficile la cessation des engagements issus du cartel. Il arrive souvent qu'en vertu des statuts, le membre sortant ne puisse faire valoir aucun droit sur la fortune de l'association. En principe, les dispositions de ce genre doivent être tolérées. Néanmoins, elles peuvent avoir un effet prohibitif en raison de la perte considérable qu'elles impliquent pour l'associé qui veut se retirer, si ce dernier a versé des sommes importantes à la caisse syndicale (taxe d'entrée, acquisition d'une part sociale).

L'exercice du droit de sortie peut être exclu pour cinq ans au plus dans la société coopérative (art. 843 CO) et une durée encore plus longue peut être prévue dans la société simple. La loi ne prévoit aucun délai dans la société à responsabilité limitée. Toutefois, l'exercice du droit de sortie d'un cartel ne doit pas être exclu pour une durée quelconque. Ici encore, il appartiendra au juge de trouver la solution juste. Dans la société coopérative, le délai de cinq ans demeure la limite extrême, mais il peut être aussi réduit par application de l'article 12.

Art. 13 : Mesures restrictives de la concurrence prises à titre de sanction Les articles 4 et 5 du projet visent les entraves apportées à la concurrance des entrepreneurs indépendants. Or un cartel peut aussi appliquer des entraves à l'un de ses membres pour l'obliger à respecter un engagement à caractère de cartel. Ces entraves jouent alors le rôle de sanction et constituent une mesure de contrainte de caractère interne dont la plus importante est la peine
conventionnelle que régissent les article 160 à 163 du code des obligations. L'article 163, 3e alinéa, précise que le juge doit réduire la peine qu'il estime excessive.

La violation d'un engagement pris antérieurement appelle d'autres considérations que le comportement d'un entrepreneur indépendant qui ne viole aucune obligation. Aussi l'article 13 admet-il en principe les mesures

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discriminatoires prises à titre de sanction lorsqu'elles ont pour but d'assurer l'exécution d'obligations issues d'un cartel. Cette disposition vaut également en matière d'accords de prix de seconde main s'ils sont assimilables à des engagements issus d'un cartel d'après la définition qui en est donnée à l'article 2, 2e alinéa. Ce qui importe, c'est que l'accord de prix soit imposé ou son exécution assurée par un cartel (ou une organisation analogue), que l'engagement ait été contracté envers le cartel lui-même ou l'un de ses membres. Le 3e alinéa contient des précisions visant l'exécution des accords de prix de seconde main.

Le projet dispose que les mesures prises à titre de sanction ne sont licites que si les engagements (par exemple les prix, les conditions) sont raisonnables. On ne saurait donc exiger l'observation de prix trop élevés.

En outre, les mesures en question ne doivent pas causer à celui qui en est l'objet un préjudice excessif par rapport au but visé ou du fait de leur nature ou de la façon dont elles sont appliquées. À la différence des articles 4 et 5, il ne s'agit plus ici de protéger la libre concurrence mais de sauvegarder les droits de la personne.

2e alinéa (actions) Si la mesure est illicite, celui qui en est frappé dispose des mêmes actions que l'outsider atteint par un boycottage illicite (cf. art. 6).

3e alinéa (assujettissement à des mesures prises à titre de sanction) 1. Il ressort de ce qui précède que les mesures prises à titre de sanction ne se justifient qu'en raison de l'engagement contracté par celui qui en est frappé. Cet engagement doit cependant prévoir la sanction à laquelle l'intéressé s'est soumis d'avance au cas où il ne remplirait pas ses obligations. De même, une peine conventionnelle, comme son nom l'indique, ne peut être infligée que si elle a été convenue ou qu'elle résulte d'une décision prise par l'association. Si le membre ne s'est pas soumis d'avance à cette sanction, les dispositions des articles 4 et 5 -- qui subordonnent le boycottage des outsiders à des conditions plus rigoureuses -- sont applicables. Il peut arriver aussi que l'intéressé se soit soumis tacitement, par exemple en ne contestant pas les conditions de livraison imprimées le menaçant de boycottage s'il n'observe pas les prix imposés. Rappelons à ce propos que les accords de
prix ne revêtent généralement pas la forme écrite (art. 10, 3e al.).

2. Les accords de prix de seconde main appellent quelques explications.

Les fabricants d'articles de marque et de nombreux commerçants estiment qu'il est très important que les accords de prix puissent être appliqués à tous sans restriction. Leur désir est satisfait dans la mesure où le revendeur s'engage tacitement ou expressément à observer un prix déterminé et s'il a accepté une sanction en cas d'infraction. Le cartel peut alors interdire de lui livrer des marchandises.

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En revanche, l'article 13 ne s'applique pas lorsque le revendeur dénonce l'accord de prix ou ne lui a jamais adhéré. S'il ne veut pas observer le prix prescrit, le fabricant ou le grossiste peut, en vertu du principe de la liberté des contrats, refuser de lui livrer la marchandise. Ce refus ne constitue pas une entrave à la concurrence tant qu'il n'émane pas d'une organisation analogue à un cartel. Il en serait d'ailleurs de même si tous les fabricants ou grossistes se refusaient individuellement à livrer des marchandises à un revendeur qui n'observe pas les prix prescrits.

Dans le cas d'un fabricant ou grossiste qui se fonde sur un accord de cartel pour refuser de livrer des marchandises à un revendeur qui n'est pas tenu d'observer un prix déterminé, on se trouve en présence d'un boycottage dirigé contre un entrepreneur indépendant, mesure en principe illicite en vertu de l'article 4. Lorsqu'il émane d'un groupement, le refus tend à contraindre l'outsider à se soumettre à l'accord de prix. On a exprimé la crainte que si un refus était déclaré illicite dans son principe, un petit nombre d'entrepreneurs indépendants ne puissent faire éclater tout le système des accords de prix, vu que les autres revendeurs voudront se libérer de leur engagement s'ils constatent que les outsiders se livrent à la sous-enchère.

Ce serait, a-t-on dit, mettre en question toute la production des articles de marque, qui garantit la qualité constante des produits.

Il est certain que le régime prévu par le projet ne permettra plus de boycotter un outsider pour inobservation des prix prescrits, sauf quand les conditions de l'article 5 seront remplies. Cependant, l'efficacité des accords de prix de seconde main réside non seulement dans la menace du boycottage mais aussi dans l'intérêt qu'éprouvent la plupart des commerçants et parfois aussi dans la solidarité des fabricants qui ne veulent pas laisser éclater une guerre des prix aiguë. II n'y a rien à objecter à ce que ces facteurs exercent leurs effets. Toutefois, si l'on veut éviter une cristallisation indésirable, voire une sclérose des prix, il ne faut pas que l'ordre juridique garantisse l'exécution stricte de ces accords lorsque des circonstances spéciales ne justifient pas une exception en vertu de l'article 5. Au reste, les fournisseurs « cartellisés» ont la faculté
d'apporter la preuve qu'en refusant de livrer des marchandises à un revendeur déterminé, ils s'inspirent de motifs commerciaux et n'agissent pas en vertu d'un engagement issu du cartel, de sorte que l'on ne peut relever, en l'espèce, une entrave à la concurrence.

Art. 14 : Juridiction d'arbitrage Généralités 1. La juridiction d'arbitrage est admise par tous les codes cantonaux de procédure civile pour le règlement des contestations en dehors des voies ordinaires. Elle est largement généralisée en matière de cartels. Judicieusement organisée, elle a plus particulièrement l'avantage de permettre un règlement rapide des différends.

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II n'est presque aucun code de procédure cantonal qui admette que les sentences arbitrales puissent être déférées au juge ordinaire par la voie de recours normale : il n'existe que des voies de recours extraordinaires. De ce fait, les affaires de cartels échappent à un contrôle approfondi des pouvoirs publics et la jurisprudence des tribunaux d'arbitrage ne parvient pas ·-- sinon de façon très restreinte -- à la connaissance du public. L'absence de publicité constitue une grave lacune, même lorsque le jugement ne soulève pas d'objection quant au fond. En outre, à la différence de la jurisprudence des tribunaux ordinaires, qui s'inspire de celle des juridictions supérieures, celle des multiples tribunaux d'arbitrage ne donne aucune garantie d'uniformité. Il est dans la nature des choses qu'en particulier les tribunaux d'arbitrage permanents rattachés à une profession déterminée soient exposés à considérer les choses sous un autre angle qu'un juge ordinaire, en dépit de toute l'objectivité qu'ils s'efforcent d'apporter à leurs sentences.

Cette observation ne vaut certes pas que pour les tribunaux d'arbitrage en matière de cartels, mais elle revêt une importance toute particulière dans ce domaine du fait que l'intérêt public est fortement en jeu.

2. Comme il peut arriver, suivant les circonstances, que les deux parties aient tout intérêt à ce que le différend soit tranché par un tribunal arbitral, il ne convient pas d'exclure purement et simplement la juridiction arbitrale en matière de cartels, car elle peut se justifier en dépit des objections que nous avons relevées. H faut seulement en supprimer certains inconvénients.

La commission d'experts avait primitivement envisagé une voie de recours fédérale contre les sentences arbitrales, mais elle y renonça en raison de ses inconvénients, car on ne pourrait éviter une immixtion trop profonde du droit fédéral dans la procédure cantonale. Elle décida en conséquence d'exclure la juridiction arbitrale en matière de contestations touchant des questions de principe (naissance et extinction d'engagements cartellaires, entraves à la concurrence) ; en revanche, elle estima que d'autres contestations, notamment en matière de peines conventionnelles, devraient continuer à être tranchées par voie arbitrale. Cette proposition a soulevé un certain nombre
d'objections. Le Tribunal fédéral, par exemple, a marqué sa préférence pour une disposition accordant aux parties le droit de décider si elles veulent porter la cause devant un tribunal arbitral ou le juge ordinaire.

L'article 91 de la loi allemande sur les cartels contient une disposition de ce genre.

1er alinéa (nullité d'accords prévoyant la juridiction arbitrale) Le projet est conforme aux suggestions du Tribunal fédéral. Il dispose que les accords prévoyant la juridiction arbitrale doivent donner aux parties le droit de demander, dans un cas donné, que la contestation soit tranchée non par le tribunal arbitral mais par le juge ordinaire. En l'absence de cette

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clause, l'accord sera nul. On évite ainsi qu'un accord prévoyant la juridiction arbitrale n'amène un membre du cartel à contracter un engagement dont il ne peut mesurer exactement quelle serait la portée en cas de contestations. Si donc une action est intentée auprès d'un tribunal arbitral et que le défenseur n'accepte pas cette juridiction, c'est le juge ordinaire qui sera compétent. Cette disposition a l'avantage de ne pas mettre en question la juridiction arbitrale en tant qu'institution et de ne susciter aucune ingérence dans la procédure. Elle est cependant limitée aux contestations touchant des questions de principe, à savoir la naissance, la validité et l'extinction d'engagements à caractère de cartel ou les mesures prises à titre de sanction en vertu de l'article 13, attendu qu'en pareils cas il s'agit avant tout des droits de la personne, parfois aussi de l'intérêt général. En revanche, il n'existe pas de motifs d'inclure les contestations portant sur des peines conventionnelles, qui constituent la majeure partie des causes soumises aux juridictions arbitrales.

Les entrepreneurs indépendants ne sont pas tenus de se soumettre à une juridiction arbitrale. Si un cartel tentait de soumettre un outsider à la juridiction arbitrale en usant envers lui d'une des mesures visées à l'article 4 (à l'occasion de l'ouverture d'une exploitation), il violerait ses droits personnels. En outre, le contrat prévoyant la juridiction arbitrale pourrait être attaqué. Le cas étant clair, il n'était pas nécessaire de le régler spécialement.

Par souci de précision, nous ajouterons que les associations conservent la faculté de prévoir dans leurs statuts qu'elles auront le droit de rendre valablement des décisions dans des cas donnés et, par exemple, le droit de recourir auprès d'un de leurs organes supérieurs. D'après la jurisprudence établie, seule la décision rendue en dernière instance peut être déférée au tribunal. Les questions d'appréciation ne peuvent être examinées par le juge (ATF 85, II, 525 s.).

2e alinéa (jugements en matière d'exceptions) Dans les procès portant sur des contestations autres que celles qui sont visées à l'alinéa premier, par exemple en matière de peines conventionnelles, il peut arriver que le fond de l'engagement issu du cartel soit litigieux. Il est donc nécessaire de prévoir un
règlement spécial pour le cas où l'une des parties soulèverait une exception ou intenterait une action reconventionnelle.

Il convient que la juridiction arbitrale soit aussi compétente pour en connaître, à moins que la partie qui a soulevé l'exception ne saisisse le juge ordinaire dans les trente jours, 3e alinéa (tribunaux d'arbitrage internationaux) Certains cartels internationaux prévoient également des tribunaux d'arbitrage. Il n'y a aucun motif d'assujettir à la loi sur les cartels le jugement de contestations portées devant un tribunal arbitral international.

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Autrement, il pourrait arriver que des entrepreneurs suisses ne puissent se soumettre à un accord prévoyant une juridiction arbitrale qui lierait des personnes résidant à l'étranger. Le 3e alinéa dispose en conséquence que la loi sur les cartels n'est pas applicable s'il est prévu que les contestations seront portées devant un tribunal arbitral étranger.

Art. 15 : Autres dispositions de procédure Dans les contestations relatives à des mesures prises à titre de sanction en vertu de l'article 13, le projet prévoit que le for se détermine de la même manière que dans le cas d'entraves à la concurrence d'entrepreneurs indépendants (art. 7).

Il est superflu de prévoir une disposition spéciale sur le for pour l'action en libération selon l'article 11. Si le cartel est une personne morale, l'action peut être intentée au lieu où elle a son siège. S'il s'agit d'une société simple, les associés forment une communauté à l'égard de laquelle l'unité de for est garantie (ATF 69, I, 8 s.). L'action peut être intentée contre la communauté au lieu du domicile de l'un des associés.

Les dispositions visant la sauvegarde des secrets d'affaires et les mesures provisionnelles sont également applicables aux contestations portant sur des engagements issus d'un cartel (art. 8 et 9).

lu. Dispositions de droit administratif 1. Les dispositions de droit civil et de procédure civile de la loi sur les cartels servent déjà indirectement l'intérêt public en ce sens qu'elles visent à assurer une mesure suffisante de liberté de la concurrence, selon la conception de la «concurrence possible», et doivent parer ainsi à des conséquences nuisibles. Elles ne suffisent toutefois pas à sauvegarder l'intérêt public, car elles ne donnent aucune garantie que les conséquences économiquement ou socialement nuisibles seront combattues dans toute leur étendue. C'est pourquoi il faut faire en sorte que ces conséquences puissent être constatées avec certitude et, au besoin, réprimées, par une influence immédiate exercée sur les accords et mesures nuisibles. D'où la nécessité de prescriptions de droit administratif qui auront pour but, tant de renseigner les autorités et l'opinion publique sur les limitations de la concurrence et leurs effets, que de mettre fin aux conséquences nuisibles, soit en induisant lea intéressés à y remédier eux-mêmes,
soit, au besoin, par voie de répression.

Les dispositions de droit administratif ne couvriront que les cas dans lesquels les intérêts de la collectivité sont assez importants pour justifier une intervention publique. Elles ne devront pas servir à épargner aux intéressés l'introduction d'une action civile.

Feuille fédérale. 113« année. Vol. II.

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2. Les avis furent tout d'abord divisés sur la question de savoir si la loi devrait ou non prévoir des mesures de droit public. Dans la commission d'experts, les porte-parole de l'industrie, de l'artisanat et du commerce commencèrent par soutenir l'opinion que des dispositions de droit privé suffiraient pour combattre efficacement les abus; les mesures de droit administratif entraîneraient de graves interventions de l'Etat et des chevauchements avec l'action civile. Ces objections tombèrent par la suite, lorsqu'on eut pris le soin de délimiter soigneusement les mesures de droit administratif. Le facteur décisif fut l'adoption de l'action de droit administratif en place de la décision administrative préconisée par une minorité.

Les avis recueillis approuvent, pour la plupart, les prescriptions de droit administratif ou, du moins, ne s'y opposent point.

Le projet de loi prévoit, à l'article 16, la constitution d'une commission des cartels. Celle-ci, comme la commission d'étude des prix, doit procéder à des enquêtes générales sur la situation et l'évolution des cartels et organisations analogues (art. 17). De plus, elle soumet aux autorités des recommandations concernant la politique concurentielle et elle remet des avis aux tribunaux sur les questions de principe relatives aux cartels (art. 18). Sa tâche la plus importante consiste à exécuter, à la demande du département fédéral de l'économie publique, des enquêtes spéciales visant à établir si tel cartel ou telle organisation analogue a des effets nuisibles (art. 19).

La procédure à suivre pour ces enquêtes est précisée à l'article 20. A la suite d'une enquête spéciale, la commission peut recommander aux intéressés de modifier ou de supprimer des clauses à caractère de cartel ou de renoncer à certaines mesures. Si ces moyens sont inopérants, le département de l'économie publique peut, sur la base d'une enquête spéciale et à certaines conditions bien définies, intenter une action administrative devant le Tribunal fédéral (art. 21). Cette procédure -- enquête spéciale, recommandations de la commission et action administrative subséquente -- constitue une innovation fondamentale. Dans l'ensemble, on constate que le projet offre divers instruments, mais qu'il limite en même temps à l'indispensable la nécessaire intervention de l'Etat.

3. La publicité
représente un instrument important de la politique concurrentielle. Certains milieux économiques craignent cependant d'en voir faire un emploi impropre ou même abusif. La loi doit toutefois assurer une publicité appropriée en ce qui concerne les cartels et organisations analogues de façon à permettre de renoncer autant que possible à de graves mesures. Parmi les nombreux moyens possibles de publicité figure le registre des cartels. Les objectifs en sont, d'une part, d'informer les autorités de manière à leur faciliter le contrôle des cartels -- que ce soit à titre préventif ou après coup -- d'autre part, d'inciter les particuliers intéressés à appliquer eux-mêmes, sous l'effet d'une critique publique, les correctifs nécessaires {politique plus modérée ou même diminution du nombre des cartels).

599 II n'est pas besoin de prévoir de registre pour l'information des autorites du moment qu'est instituée une commission d'enquête permanente telle que la commission des cartels (cf. art. 16 à 20 du projet). La simple inscription dans un registre serait un moyen d'information insuffisant. Les conséquences nuisibles, qu'on entend seules combattre, parviendront à la connaissance de la commission par d'autres voies. De plus, un registre perdrait à la longue de son actualité et se réduirait à une collection de documents de peu d'utilité à défaut de publicité complémentaire et si on n'en complétait et analysait au fur et à mesure les données. Mais même une analyse systématique ne serait pas très féconde, vu que la pratique des cartels ne se laisse pas déduire des seuls accords.

D'aucuns escomptent que la publicité liée à la tenue d'un registre induirait les cartels à adopter une politique plus modérée et ils en attendent -- d'après certaines expériences étrangères --- une diminution du nombre des cartels. Il est tout à fait possible qu'une série de cartels, surtout s'ils n'ont de toute manière plus grande importance, soient dissous si on instaure un registre obligatoire. Mais peut-être aussi des cartels à faible effectif, et de ce fait faciles à dissimuler, ne seront-ils pas déclarés et subsisteront-ils dans la clandestinité. De plus, il est d'autres entraves à la concurrence, provenant par exemple d'entreprises puissantes sur le marché, pour lesquelles on ne pourrait imposer l'inscription au registre. Ce dernier ne donnerait donc pas une image fidèle de la réalité, cela au détriment des cartels bien «visibles».

La prévention générale au moyen d'un registre des cartels ne constitue donc qu'une mesure trop grossière. L'obligation de s'y inscrire est regardée comme un signe de méfiance à l'égard des cartels. Elle atteint de la même manière les cartels nuisibles et ceux qui ne le sont point. Ce qui est inconciliable avec la conception constitutionnelle selon laquelle les conséquences nuisibles doivent seules être combattues.

La commission d'experts a abouti, dans sa majorité, à la conclusion qu'il convenait de renoncer à un registre. Elle a tenu compte aussi de ce que l'idée d'enregistrer les conventions collectives de travail a été résolument repoussée à l'époque. Nous partageons l'opinion de la
commission.

La proposition, faite par une minorité" de ses membres et soutenue dans divers avis, de créer un registre doté de purs effets de droit civil ne dissiperait pas les objections formulées plus haut et conduirait à de nouvelles difficultés.

1. Organisation et tâches de la commission des cartels Art. 16 :. Organisation 1er alinéa (constitution de la commission) L'Etat ne peut pas mener de politique des cartels sans se tenir constamment au courant de la situation réelle. Pour ce faire, il a besoin d'un organe

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spécial ayant charge de procéder à des enquêtes et de lui donner des avis.

L'exemple de la commission d'étude des prix démontre combien il peut être utile de disposer d'un tel organe. Encore faut-il relever que la commission d'étude des prix, dont les tâches seront reprises en grande partie par la commission des cartels, en est entièrement réduite, pour accomplir son précieux travail, aux renseignements qu'on veut bien lui fournir, tandis que la commission des cartels aura une autre position juridique et de plus larges attributions. Le projet prévoit une commission de sept à onze membres, où seront représentés la science, l'économie (employeurs et travailleurs) et les consommateurs. On devra prendre le plus grand soin d'assurer une composition bien dosée. La proposition avait été faite de ne former la commission que d'experts indépendants. Toutefois, il est indiqué d'y inclure aussi des représentants de l'économie. L'essentiel sera que la commission, dans son ensemble, soit capable de remplir objectivement ses tâches.

Un secrétariat permanent sera adjoint à la commission. Les membres de la commission exerceront leur fonction à titre accessoire, ce qui ne change rien au fait que la commission doit être regardée comme une autorité. Son organisation sera réglée en détail par un règlement interne, qui portera notamment sur la constitution de sous-commissions. Ce règlement devra prévoir aussi l'interdiction pour les membres de fournir, sur des questions de concurrence, des expertises privées qui pourraient nuire à leur indépendance.

2e alinéa (indépendance de la commission) Abstraction faite des ordres d'enquêtes, la commission doit être indépendante des autorités administratives. Le rapport annuel qu'elle remet au département sera publié, 3e alinéa (secret de fonction) Les membres de la commission seront liés par le secret de fonction; l'article 320 du code pénal leur sera applicable. Les rapports de la commission, s'ils sont publiés, ne doivent trahir aucun secret d'affaires.

Art. 17 : Enquêtes 1er alinéa (enquêtes générales) Comme la commission d'étude des prix, la commission des cartels effectuera régulièrement des enquêtes générales sur la situation et l'évolution des cartels et organisations analogues. Elle en est chargée par la loimême. Elle peut entreprendre des enquêtes de sa propre initiative,
mais le département fédéral de l'économie publique devra pouvoir lui demander, si nécessaire, d'exécuter une enquête dans une branche déterminée. Les rapports seront publiés si le département n'en décide autrement. La publication ne doit pas être préjudiciable à l'intérêt national.

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La question de savoir si des cartels ou organisations analogues ont des effets nuisibles sera élucidée, non par la voie d'enquêtes générales, mais au moyen des enquêtes spéciales prévues aux articles 19 et 20. Les rapports établis à la suite des enquêtes générales n'en contiendront pas moins aussi des constatations permettant de tirer des conclusions quant à la portée de certaines entraves à la concurrence.

2e alinéa (recueil de jugements) La commission doit rassembler les jugements rendus par les tribunaux en vertu de la loi et en publier périodiquement un recueil. Une plus grande publicité facilitera une jurisprudence uniforme et engagera les cartels à s'adapter à la pratique des tribunaux. La collection des jugements sera en outre utile à la commission, à laquelle elle procurera des informations supplémentaires sur les effets des cartels et organisations analogues, ainsi qu'à la doctrine. Il appartiendra au règlement de la commission de fixer une indemnité éventuelle pour l'envoi, par les tribunaux, de leurs arrêts.

La collection des jugements ne constitue pas une innovation; en relation avec la surveillance officielle des assurances, un arrêté fédéral du 20 décembre 1888 prévoit déjà la communication des arrêts civils rendus dans les contestations résultant d'assurances.

Art. 18: Recommandations et avis 1 alinéa (recommandations touchant la politique concurrentielle) 1. La commission d'étude des prix a exposé que la sauvegarde de la libre concurrence impliquera non seulement des dispositions sur les cartels et organisations analogues, mais aussi un contrôle des mesures officielles de tout ordre (rapport, p. 180 s.). La limitation de la concurrence par l'Etat est légitime lorsqu'elle est prévue par la constitution et souhaitable dans l'intérêt général. Mais elle ne doit pas conduire à ce que la libre concurrence subisse des atteintes ou à ce que l'Etat favorise un accord privé au nom d'un intérêt général peut-être purement supposé. Tous les deux résultats sont dangereux, vu que les possibilités de dominer ou de fermer le marché augmentent considérablement lorsque l'Etat appuie ces efforts par les mesures qu'il adopte. Il n'y aurait guère de sens à ce que l'Etat déclare inadmissibles en principe les entraves apportées à la concurrence par des particuliers, alors que, d'un autre côté, il
favoriserait de telles restrictions.

Aussi convient-il qu'il mette autant que possible sa politique économique en harmonie avec les objectifs de la loi, qu'il s'agisse de politique commerciale, de politique agricole, de la protection des branches industrielles, de l'adjudication de travaux publics, de mesures touchant le marché du travail ou de l'application des droits régaliens.

2. Le projet prévoit que la commission des cartels doit être consultée lors de la préparation de prescriptions fédérales restreignant la libre coner

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currence. Elle peut aussi soumettre d'elle-même au Conseil fédéral des recommandations touchant la politique à suivre en matière de concurrence. S'il va sans dire que ses avis ne sont pas obligatoires, le fait même que la loi lui attribue expressément cette tâche indique néanmoins que ses jugements auront un poids considérable.

D'un autre côté, force est d'apporter certaines limitations aux attributions de la commission, d'une part pour ne pas la surcharger de travail, d'autre part, pour ne pas retarder induement des mesures urgentes. C'est pourquoi la commission ne sera obligatoirement consultée que sur les projets de lois et d'ordonnances, mais non pas -- car ce serait aller trop loin --- sur les mesures à prendre par application des prescriptions légales.

La commission a cependant tout loisir de présenter d'elle-même des recommandations au sujet de mesures importantes.

On a renoncé à émettre, à l'intention des autorités fédérales, des instructions générales qui les obligeraient à observer, dans leurs décisions, les objectifs de la loi sur les cartels. Les efforts que cette loi concrétise ne sont en effet que l'un des divers éléments de la politique économique et il ne se justifierait pas de mettre expressément en relief ce seul élément, sans compter qu'une recommandation de ce genre serait fort problématique.

2e alinéa (avis) Dans les contestations relatives à des cartels qui soulèvent des questions de principe, le juge civil pourra demander un avis à la commission. Cette disposition sera particulièrement bienvenue dans les procès pour entraves à la concurrence, lesquels soulèvent parfois de difficiles problèmes de politique économique. Il ne s'agit toutefois pas d'accorder à la commission une manière de monopole des consultations, mais seulement d'assurer la possibilité, pour les tribunaux, d'obtenir des avis objectifs. De plus, pour décharger la commission, ces avis sont exclusivement prévus pour des cas posant des questions de principe.

Art. 19: Enquêtes spéciales 1er alinéa (conditions) 1. Les enquêtes spéciales doivent permettre d'établir si tel cartel ou telle organisation analogue a des effets économiquement ou socialement nuisibles auxquels il convient de remédier dans l'intérêt général. Les résultats de l'enquête serviront de base aux recommandations adressées par la commission
aux intéressés (2e al.), ainsi qu'à l'action administrative que le département fédéral de l'économie publique peut introduire devant le Tribunal fédéral (art. 21). En ce qui concerne la procédure à suivre pour ces enquêtes, renvoi est fait à l'article 20.

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II importe que les enquêtes spéciales ne soient entreprises que pour des motifs suffisants. La décision, vu son importance, doit être confiée au département fédéral de l'économie publique, premier responsable de la politique économique de la Confédération. Cela n'empêchera pas la commission de suggérer au département l'ouverture d'enquêtes spéciales.

D'autre part, ce dernier n'ordonnera pas une enquête spéciale sans prendre préalablement contact avec les autres départements intéressés à l'affaire.

2. Les enquêtes spéciales doivent s'étendre à tous les effets nuisibles d'ordre économique ou social. Il ne serait pas indiqué de les limiter par des critères plus spéciaux. La collectivité a un intérêt légitime à ce que l'on constate s'il existe des conséquences nuisibles, de quelque nature qu'elles soient.

Les entraves apportées par les cartels au commerce extérieur -- par exemple une limitation privée des importations -- peuvent aussi être économiquement ou socialement nuisibles. C'est pourqoui le département fédéral de l'économie publique pourra ordonner une enquête spéciale en vertu de la loi sur les cartels pour élucider la situation dans les cas où, se fondant sur l'article 15 de la convention concernant l'association européenne de libre-échange, un Etat membre porterait plainte contre la Suisse. Il faut noter qu'en l'absence d'une enquête officielle entreprise par la Suisse, la plainte de l'Etat étranger pourrait facilement être déclarée bien-fondée vu l'impossibilité d'apporter la preuve contraire. Les mesures de rétorsion que la convention autoriserait alors T Etat plaignant à prendre contre notre pays, pourraient porter un préjudice sensible à notre économie.

2e alinéa (recommandations) Dans les enquêtes spéciales, les intéressés devront avoir le droit d'être entendus. La commission est tenue de leur donner, avant la clôture de la procédure, l'occasion de s'exprimer sur les résultats de l'enquête. Mais il convient qu'elle ait également la compétence de recommander au cartel ou à l'organisation visés -- s'ils ont des effets nuisibles -- de modifier ou supprimer des clauses à caractère de cartel ou de renoncer à certaines mesures.

S'il s'agit d'une organisation analogue, il suffira de lui recommander de renoncer aux mesures nuisibles et l'on pourra se dispenser de chercher à démembrer un
concern ou à dissoudre un trust.

D'après les expériences faites à l'étranger, il est permis d'admettre que les recommandations de la commission seront le plus souvent suivies et rendront superflue toute autre intervention. La simple crainte de l'action administrative contribuera d'ailleurs à assurer l'observation des recommandations.

3e alinéa (rapport) Une fois la procédure close, la commission remet un rapport et dea propositions au département fédéral de l'économie publique. Ces proposi-

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tions peuvent ou bien conclure à ce qu'il ne soit pas pris d'autres mesures -- il en ira ainsi lorsque la commission n'a pas constaté d'effets nuisibles ou que les intéressés ont suivi ses recommandations -- ou bien recommander d'introduire une action administrative fondée sur l'article 21. Il appartiendra au département fédéral de l'économie publique de décider du sort de ces propositions.

C'est le département aussi qui statuera sur la publicité à donner aux résultats de l'enquête. Selon les données du cas, il offre diverses possibilités.

Une information appropriée doit être possible dans l'intérêt public -- et même, parfois, dans l'intérêt des cartels eux-mêmes -- ; d'ailleurs, par le passé déjà, des rapports de la commission d'étude des prix concernant des enquêtes spéciales ont été publiés. Si les intéressés se conforment aux recommandations de la commission, le département pourra renoncer à toute publication du rapport ; dans certains cas, il suffira d'une communication dans le rapport annuel de la commission ou de quelque autre brève communication. Lorsque les recommandations de la commission resteront sans effet, il y aura intérêt à assurer une plus ample information.

4e alinéa (enquête complémentaire) Si le département estime une enquête complémentaire nécessaire, elle sera exécutée par la commission. Aussi n'a-t-on pas confié au département le pouvoir de procéder lui-même à des enquêtes.

Art. 20 : Procédure en matière d'enquêtes spéciales 1 alinéa (renseignements fournis volontairement) Pour ses enquêtes spéciales, la commission des cartels doit s'efforcer d'obtenir autant que possible librement les renseignements nécessaires.

Elle demandera aux personnes qui peuvent contribuer à l'établissement des faits de lui fournir les informations et pièces utiles.

er

2e alinéa (obligation de renseigner) Pour les cas où les informations et pièces nécessaires ne pourront être obtenues volontairement, ou seront insuffisantes ou douteuses, la commission des cartels doit disposer de moyens efficaces pour établir les faits, de sorte que.le département fédéral de l'économie publique puisse décider en pleine connaissance de cause s'il y a lieu d'intenter une action administrative.

Ainsi l'enquête spéciale se divisera, le cas échéant, en deux phases. A l'origine, le projet des experts statuait une obligation générale de fournir des renseignements, et cette obligation s'étendait aux parties. Mais la sanction qu'il prévoyait à ^'encontre des personnes -- s'agît-il de témoins -- qui refuseraient de fournir des renseigenments ou en donneraient sciemment d'inexacts était très bénigne.

605 Après avoir réétudié la question, la commission d'experts a estimé indiqué de prévoir l'application, dans la seconde phase, des règles de la loi de procédure civile fédérale (art. 36 à 65) concernant l'audition des parties et témoins et la production des pièces. De ce fait, les témoins sont passibles de la peine sévère statuée à l'article 307 du code pénal, solution conforme aux exigences de l'unité du droit; du moment qu'il existe une obligation de témoigner, il convient de la sanctionner conformément à son importance.

En revanche, les parties, elles, ne seront pas punissables pour fausses déclarations, hors des rares cas où elles seront formellement invitées à renouveler leurs déclarations sous les peines de droit (loi de procédure civile, art, 64). Le renvoi à la loi fédérale de procédure civile règle du même coup le droit de refuser de témoigner.

D'autre part, la loi doit assurer qu'aucune personne contre laquelle existent des motifs de récusation ne coopérera à l'enquête. Elle y pourvoit en déclarant applicable par analogie les dispositions sur la matière, contenues dans la loi fédérale d'organisation judiciaire (art. 22 à 26); 3e alinéa (recours) Pour donner toutes garanties juridiques aux intéressés, cette disposition les autorise à former recours dans les dix jours auprès du président du Tribunal fédéral pour violation manifeste du droit au cours de la procédure d'enquête. Il s'agira surtout de déterminer si et dans quelle mesure la personne intéressée est tenue de fournir des renseignements.

Généralités

^' ^-c^on administrative

1. Le projet prévoit, à l'article 21, que le département fédéral de l'économie publique peut, en se fondant sur une enquête spéciale, intenter action devant le Tribunal fédéral. Cette disposition aura sans doute un notable effet préventif, de sorte que l'action ne devra être exercée que dans de très rares cas.

A côté de l'action administrative, la commission d'experts avait songé d'abord à une décision administrative qui aurait été prise par le département fédéral de l'économie publique et aurait pu être attaquée devant le Tribunal fédéral par la voie du recours de droit administratif. Après une étude approfondie de la question, elle s'est toutefois prononcée à une forte majorité pour l'action administrative. Elle y a été amenée surtout par le besoin d'assurer que toute contestation fût soumise d'emblée au juge dans une procédure qui donnât les garanties nécessaires aux intéressés.

La commission, dans sa majorité, estime que le contrôle de la décision, tel qu'il résulte du recours de droit administratif, est insuffisant. Selon l'article 104 de la loi fédérale d'organisation judiciaire, ce recours n'est rece-

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vable que pour violation du droit fédéral. Le tribunal peut d'ailleurs rechercher si la décision attaquée repose sur des constatations de fait inexactes ou incomplètes (art. 105). En revanche, l'examen ne s'étend pas aux questions d'appréciation, abstraction faite des cas d'abus du pouvoir d'appréciation. Or, les questions d'appréciation jouent précisément ici un rôle important, à moins qu'on ne donne un sens très étroit à la notion d'appréciation, ce qui ne correspondrait guère à la pratique actuelle (cf., dans le secteur du statut horloger, ATF 79,1, 383, 81,1, 384). Selon le droit en vigueur, seul le Conseil fédéral, dans la procédure du recours administratif, peut contrôler les décisions portant sur des questions d'appréciation; toutefois, les intéressés préfèrent que les contestations soient tranchées par une autorité judiciaire. D'autre part, si l'on adoptait le système de la décision administrative, il est à prévoir que, vu l'importance des intérêts en jeu, des recours seraient formés dans presque tous les cas, de sorte que la procédure ne serait pas plus simple ni plus courte qu'avec l'action administrative.

La minorité de la commission a, au contraire, fait valoir que, ainsi qu'il est d'usage dans la législation fédérale, l'application du droit devrait être confiée aux autorités fédérales, le contrôle de cette application étant seul réservé à un tribunal. Avec le recours direct au tribunal, ce dernier se trouverait assumer la responsabilité de l'exécution du droit administratif, puisque le jugement représente, en somme, un acte administratif constitutif de droit ; ceci ne serait pas conciliable avec la nature de la fonction judiciaire.

Le Tribunal fédéral partage l'opinion de la minorité; il estime que ce n'est pas l'affaire d'un tribunal de prendre des décisions de politique économique, pour lesquelles il devrait au surplus créer en bonne partie lui-même les normes à appliquer. Pour les mêmes raisons, il repousse toutefois aussi l'idée du recours de droit administratif, en relevant qu'un contrôle judiciaire de telles affaires est absolument impossible, et il recommande, à sa place, le recours au Conseil fédéral ou à une commission de recours spéciale.

Les avis recueillis reflètent les mêmes divergences que les débats de la commission. Nous partageons l'avis de la majorité de la commission
et donnons la préférence à l'action administrative. Il est vrai que cela nous engage sur des voies nouvelles, mais on doit tenir compte que la répression de droit administratif prévue à l'encontre des cartels constitue une intervention exceptionnelle dans des affaires privées. Ce fait justifie une procédure rigoureuse, dont seul un tribunal peut donner une entière garantie.

D'ailleurs, comme le nombre des actions sera probablement insignifiant, il faut se garder d'exagérer la portée pratique de la question de principe discutée ici.

2. La commission d'experts, dans sa majorité, avait tout d'abord proposé de confier au Tribunal fédéral la compétence de statuer sur les actions administratives. Le Tribunal fédéral émit en revanche des objections en allé-

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guant que les conditions de l'ouverture d'action étaient trop imprécises pour fournir au juge une base suffisante pour l'application de la loi. Au contraire de ce qui se passe dans l'examen des cas de boycottage, l'intérêt général constitue ici le critère décisif; or le juge n'a que des possibilités restreintes d'apprécier cet intérêt. Pour tenir compte de cette opinion on avait envisagé, lors des travaux préparatoires de la commission d'experts, de créer un tribunal spécial des cartels. Ce tribunal, qui aurait été appelé à statuer sur les actions administratives, aurait constitué une juridiction administrative spéciale de dernière instance, comme le Tribunal fédéral des assurances, la commission de recours de l'administration militaire, la commission de recours en matière de douane, la commission de recours en matière d'alcool et la commission de recours en matière de loyers.

L'idée de créer un tribunal spécial des cartels mérite incontestablement d'être examinée ; cependant, quelle que soit la valeur des objections de principe formulées par le Tribunal fédéral, cette solution, pour divers motifs, ne paraît pouvoir être retenue. Tout d'abord, il ne serait pas heureux de créer un nouveau tribunal administratif spécial. Sa composition ne manquerait d'ailleurs de soulever de sérieuses difficultés. En outre, il semble douteux qu'on enregistre en moyenne au moins une action administrative par année.

Il ne se justifierait pas d'instituer, pour un nombre de cas aussi minime, une autorité spéciale qui ne parviendrait pas à établir une jurisprudence. D'autre part, l'attribution des actions administratives au Tribunal fédéral offre l'avantage d'assurer une jurisprudence uniforme, car ce tribunal pourra harmoniser sa jurisprudence en matière de boycottage et ses arrêts rendus à la suite d'une action administrative. Cette autorité est familiarisée avec les faits visés à l'article 21 grâce à la pratique acquise dans les cas de boycottage et pourrait prononcer d'après des principes analogues même si l'intérêt général constitue le critère décisif en matière d'action administrative. Nous désirons, pour ces motifs, renoncer à un tribunal des cartels et confier au Tribunal fédéral la compétence de statuer sur l'action administrative.

Les actions administratives qu'il appartiendra au Tribunal fédéral de connaître
en vertu de l'article 21 du projet se rangent dans les contestations visées à l'article 111, lettre i, de la loi d'organisation judiciaire, qui peuvent être attribuées par une loi fédérale à la compétence exclusive du Tribunal fédéral. La procédure en est réglée aux articles 91 à 96 de ladite loi.

Art. 21 er

1 alinéa (conditions) 1. Selon le projet, le département fédéral de l'économie publique est habilité à intenter action, dans l'année qui suit la remise du rapport sur l'enquête spéciale. Le département n'est pas lié par les conclusions de la

608

commission des cartels; il décide en toute indépendance, après étude du rapport d'enquête et selon une appréciation objective des faits, s'il y a lieu d'introduire l'action. Ceci explique pourquoi l'article 21 établit une faculté et non une obligation. Si l'on voulait rendre obligatoire l'introduction de l'action, il faudrait la subordonner à la question de savoir si, d'après l'opinion de la commission, il y a ou non en l'espèce des effets nuisibles d'ordre économique ou social. Mais alors l'action pourrait aussi bien être intentée par la commission. Or cela serait préjudiciable à sa fonction d'organe d'enquête, vu que les intéressés la traiteraient avec méfiance et refuseraient peut-être de lui donner librement des renseignements. De plus, le département perdrait toute influence sur la procédure dans un secteur important du point de vue de la politique économique.

2. Il est expressément prévu que l'action ne pourra être introduite que pour sauvegarder l'intérêt public. Dans les cas où seuls des intérêts privés sont en jeu, une action administrative est hors de question; les particuliers intéressés doivent défendre eux-même leurs droits devant le juge civil.

S'il existe un intérêt public important, mais qui puisse être invoqué également devant les tribunaux civils, le département, pour prendre sa décision, examinera si une action civile a été introduite ou va probablement l'être.

Toutefois, le simple fait qu'on pourrait attendre d'un intéressé qu'il intente une action civile ne saurait être décisif. On ne peut pas en effet exiger de l'intéressé qu'il sauvegarde l'intérêt public en lieu et place de l'Etat.

S'il renonce à s'adresser au juge civil, il faut que le département puisse intenter une action administrative lorsque, d'après les circonstances, il y a lieu de le faire. Il est d'autre part impossible de spécifier dans la loi les facteurs dont le département devra tenir compte. L'intérêt public ne représente qu'une directive en vue de la décision à prendre par le département; on ne doit pas y voir un critère destiné à délimiter deux juridictions, en ce sens, par exemple, que l'action administrative aurait un caractère subsidiaire par rapport à l'action civile.

3. Pour fixer l'objet de l'enquête spéciale, on peut se contenter de recourir à la notion générale de «conséquences nuisibles,
d'ordre économique ou social» que consacre l'article 31 bis de la constitution. Mais s'agissant de l'action administrative, les conditions de son exercice devraient être exprimées avec une plus grande précision. Une réglementation aussi claire que possible est souhaitable dans l'intérêt de la sécurité juridique et en vue de faciliter l'application de la loi par une autorité judiciaire.

Conformément à la conception de la «concurrence possible», l'article 21 vise le cas où la concurrence est éliminée ou notablement entravée d'une manière incompatible avec l'intérêt général. L'idée de l'article 4, selon laquelle les entraves à la concurrence doivent être combattues, est transposée ici sur le plan de la branche économique ou de la profession. Ce qui est

609

illicite au regard du droit civil, il faut qu'on puisse le réprimer aussi en vertu du droit public lorsque l'affaire revêt une certaine importance. Abstraction faite des entraves visées à l'article 4, la concurrence pourra toutefois être aussi notablement entravée par le comportement d'un cartel horizontal très discipliné; il convient donc que l'action puisse être dirigée également contre un pareil comportement. La disposition projetée semble bien recouvrir tous les cas qui doivent touchés selon les objectifs de la loi.

4. La proposition avait également été faite d'établir une clause générale qui eût visé, de manière toute générale, les conséquences nuisibles d'ordre économique ou social. Mais il aurait été difficile de mesurer la portée d'une telle disposition et elle n'aurait d'autre part donné aucune indication de nature à orienter la jurisprudence, au lieu que la disposition du projet met clairement en relief l'idée de concurrence. De plus, une clause générale ne répondrait à aucune nécessité pratique. C'est ainsi, en particulier, que l'action administrative ne doit pas servir à instaurer un contrôle des prix régis par cartel. Certes, la question des prix jouera un rôle important puisque, selon une prescription expresse, l'action visera notamment les efforts dont les résultats sont préjudiciables aux consommateurs. Il ne s'agit pas cependant de contrôler tel ou tel prix, mais bien de créer les conditions assurant une juste formation des prix sur le marché. L'article 21 permettra en conséquence de réprimer les mesures conduisant à une formation abusive des prix. Une action directe sur les prix ne sera loisible que dans les rares cas où une entreprise exercera un monopole absolu sur le marché. Nous renvoyons également à nos observations générales sur la formation des prix (voir plus haut, A, V, 3).

5. L'action vise tant les cartels que les organisations analogues.

L'action civile contre ces dernières organisations aura souvent peu de chances de succès, vu la complexité des données de fait. Il est d'autant plus important de créer l'instrument de l'action administrative. Même des entreprises pourront être lésées de manière inadmissible lorsque la concurrence sera notablement entravée par une organisation analogue à un cartel.

2e alinéa (ordonnances) Si le tribunal admet l'action, il doit éliminer;
par des mesures appropriées, les conséquences nuisibles des cartels et organisations analogues.

Il peut en particulier annuler ou modifier des clauses de la convention de cartel ou interdire des mesures prises par des cartels ou des organisations analogues ; ces mesures recouvrent, par leur contenu, les recommandations émises par la commission des cartels à la suite d'une enquête spéciale (cf. art. 19, 2e al.).

610 IT. Dispositions finales

Art. 22 1er alinéa (application du droit civil) Sauf disposition contraire de la loi sur les cartels, les dispositions générales du droit civil sont applicables aux cartels et organisations analogues; par souci de clarté, cette règle est rappelée expressément.

2e alinéa (réserve en faveur d'autres lois) Ainsi que nous l'avons exposé plus haut, il est impossible d'établir par le détail la démarcation entre le champ d'application de la loi sur les cartels et le champ d'application de la législation fédérale concernant la concurrence déloyale, la propriété industrielle et le droit d'auteur (cf. supra ad art. 1er chiffre 4). Il est toutefois indiqué de réserver cette législation dans les dispositions finales, de manière.à rappeler la nécessité d'une démarcation appropriée. Il convient également de réserver d'une manière générale les prescriptions de droit public qui dérogent à la loi; on rappelle ainsi que les dispositions spéciales de droit administratif priment celles de la loi sur les cartels. Nous nous référons à nos explications relatives à l'article premier (chiffre 3).

3e alinéa (entrée en vigueur) La loi sur les cartels étant annoncée depuis longtemps déjà, il conviendrait de la mettre en vigueur le plus tôt possible. Son exécution n'exige pas de longs préparatifs. Nous sommes dès lors d'avis qu'elle pourrait être mise en vigueur le 1er janvier 1963.

Nous fondant sur les considérations qui précèdent, nous vous recommandons d'adopter la loi ci-jointe. Nous proposons en outre la radiation de votre motion des 19 mars/6 juin 1957 (n° 7301), à laquelle nous avons donné suite par le présent message.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 18 septembre 1961.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président delà Confédération, Wahlen 18689

Le, chancelier de la Confédération,

Ch. Oser

611 (Projet)

LOI FÉDÉRALE sur

les cartels et organisations analogues

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse,

vu les articles Zlbis, 64 et llibis de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 18 septembre 1961, arrête:

I. Champ d'application Article premier: Principe La présente loi est applicable aux cartels et aux organisations analogues. Elle ne l'est pas aux conventions, décisions et mesures qui ne visent que les rapports de travail.

Art. 2: Cartels 1 Sont réputés cartels au sens de la présente loi les conventions, les décisions et les accords juridiquement non obligatoires qui influencent ou sont propres à influencer le marché de certains biens ou de certains services par une limitation collective de la concurrence, en réglant notamment la production, la vente ou l'acquisition de marchandises, ainsi que les prix et autres conditions.

2 Sont assimilés aux cartels les accords par lesquels des acheteurs s'engagent envers leurs fournisseurs à observer, en revendant des marchandises, des prix ou des conditions de vente déterminés (accords de prix de seconde main), lorsque c'est un cartel ou une organisation analogue qui impose ces accords ou en assure l'exécution.

1

Art. 3 : Organisations analogues L'entreprise isolée, les entreprises qui, sans rien convenir, accordent leur comportement et les entreprises liées entre elles par des participations financières ou d'une autre manière sont réputées organisations analogues au sens

612 de la loi lorsqu'elle dominent le marché de certains biens ou de certains services ou l'influencent d'une manière déterminante.

II. Dispositions de droit civil et de procédure civile 1. Entraves à la concurrence de tiers

Art. 4 : Illicéité des entraves à la concurrence Les mesures prises par un cartel, telles que l'interdiction d'acheter et de livrer des marchandises, la mise à l'index d'employeurs, les discriminations en matière de prix ou de conditions d'achat, ainsi que la sousenchère dirigée contre un concurrent déterminé, sont illicites, sous réserve des exceptions prévues à l'article 5, lorsqu'elles visent à écarter des tiers de la concurrence ou à les entraver notablement dans l'exercice de celle-ci.

2 Les dispositions sur les entraves illicites à la concurrence sont applicables par analogie aux organisations visées par l'article 3.

1

Art. 5 : Exceptions 1

Les entraves à la concurrence sont licites lorsqu'elles sont justifiées par des intérêts légitimes prépondérants, sont compatibles avec l'intérêt général et ne restreignent pas la libre concurrence de manière excessive par rapport au but visé ou du fait de leur nature et de la façon dont elles sont appliquées.

3 Peuvent notamment être justifiées par des intérêts légitimes prépondérants les mesures qui visent a. A sauvegarder une concurrence loyale et à empêcher d'en fausser le jeu ; 6. A établir, pour une branche ou une profession, des exigences professionnelles ou techniques raisonnables; c, A assurer, dans une branche ou une profession, une structure souhaitable dans l'intérêt général; d. A assurer l'application de dispositions sur les marchés étrangers à caractère de cartel.

Ne sont pas justifiées par des intérêts légitimes les mesures qui visent uniquement à écarter de nouveaux concurrents.

Art. 6 : Actions 1

Celui qui est atteint ou menacé dans ses intérêts par une entrave illicite à la concurrence peut demander la constatation du caractère illicite de la mesure, l'interdiction de cette mesure, la suppression de l'état de fait illicite, des dommagos-intérêta on cas de faute et la réparation du tort moral aux conditions prévues par l'article 49 du code des obligations.

613 2

Pour rendre efficace l'interdiction de la mesure ou la suppression de l'état de fait illicite, le juge peut, à la requête du demandeur, décider que des engagements à caractère de cartel seront sans effet à l'égard de ce dernier. Au besoin, il peut aussi ordonner que le demandeur adhère au cartel, avec les droits et obligations qui en découlent, ou ordonner qu'il soit admis dans l'association.

3 A la demande de la partie qui a eu gain de cause, le juge peut l'autoriser à faire publier le jugement aux frais de la partie adverse. Il fixe le mode et l'étendue de la publication.

Art. 7 : For 1 Les cantons désignent pour l'ensemble de leur territoire un tribunal chargé de connaître en instance cantonale unique des actions intentées pour entraves illicites à la concurrence. Ce tribunal est également compétent pour connaître d'autres actions civiles intentées en même temps que l'action pour entrave illicite à la concurrence.

2 L'action peut être intentée : a. Contre tous les responsables, dans le canton où le cartel ou l'organisation analogue a son siège ou, faute d'un tel siège, dans le canton où il a son administration; à ce défaut, dans le canton où la majorité des défendeurs ont leur domicile ou, au choix du demandeur, dans l'un des cantons où les défendeiirs sont en nombre égal; 6. En l'absence d'autre for en Suisse, au lieu où l'acte illicite a été commis.

Art. 8 : Sauvegarde des secrets d'affaires Dans les contestations en matière d'entraves illicites à la concurrence, les secrets de fabrication ou d'affaires des parties seront sauvegardés. La partie adverse n'obtiendra connaissance des moyens de preuve propres à révéler de tels secrets que dans la mesure compatible avec leur sauvegarde.

Art. Ô : Mesures provisionnelles En vue de garantir les droits découlant d'entraves illicites à la concurrence, le juge ordonne, à la requête de l'une des parties, des mesures provisionnelles, telles que l'administration de preuves à futur ou l'interdiction des mesures attaquées. Les articles 9 à 12 de la loi du 30 septembre 1943 sur la concurrence déloyale sont applicables par analogie.

2. Engagements internes des membres du cartel Art. 10: Forme des engagements à caractère de cartel Les conventions et décisions créant des engagements à caratère de cartel ne sont valables qu'en la forme écrite. Pour les décisions, un procèsverbal signé suffit.

1

Feuille fédérale. 113« année. Vol. II.

44

614 2

Celui qui adhère à un cartel n'est lié par les engagements à caractère de cartel que s'il les reconnaît par écrit.

3 Les accords de prix de seconde main assujettis à la loi ne nécessitent pas la forme écrite.

Art. 11 : Libération des engagements à caractère de cartel Celui qui est lié par un engagement à caractère de cartel peut demander au juge d'en être totalement ou partiellement libéré lorsque sa position s'est notablement détériorée ou lorsqu'un autre juste motif rend son engagement incompatible avec les règles de la bonne foi. Le jugement rétroagit au jour de l'introduction de la demande, à moins qu'exceptionnellement le juge n'en décide autrement.

2 Le juge ne peut ordonner la libération partielle que s'il peut admettre que les parties se seraient liées même en l'absence des clauses attaquées.

3 Si le membre d'une association entend se libérer de ses engagements à caractère de cartel sans cesser d'être membre, le juge n'en décidera ainsi que si l'on peut équitablement l'exiger de l'association.

4 Sont réservées toutes dispositions légales, statutaires ou conventionnelles qui régleraient la dénonciation ou la sortie dans un sens plus favorable au contractant ou au sociétaire.

1<

Art. 12: Conditions de sortie Aucune indemnité ne peut être exigée de la personne dont les engagements à caractère de cartel prennent fin ou qui sort d'une association visant principalement des fins semblables à celles des cartels.

2 Le cartel ne doit pas rendre la cessation des engagements difficile à l'excès par la manière dont il règle les droits pécuniaires du membre sortant ainsi que les délais de dénonciation ou d'autres conditions de sortie.

1

Art. 13: Mesures restrictives de la concurrence prises à titre de sanction 1 Les entraves à la concurrence définies à l'article 4 qui visent à faire observer des engagements à caratère de cartel ne sont licites que si ces engagements sont raisonnables et que les mesures prises ne causent pas à celui qui en est l'objet un préjudice excessif par rapport au but visé ou du fait de leur nature ou de la façon dont elles sont appliquées.

2 Si les mesures sont illicites, le lésé peut intenter les actions prévues par l'article 6.

3 Les articles 4 et 5 sont applicables aux mesures auxquelles l'intéressé ne s'est pas soumis d'avance.

Art. 14: Juridiction arbitrale Les conventions et décisions attribuant à une juridiction arbitrale la connaissance de contestations futures relatives à la naissance, à la validité 1

615

et à l'extinction d'engagements à caractère de cartel ou à des mesures prises à titre de sanction en vertu de l'article 13 sont nulles lorsqu'elles ne donnent pas à chaque partie le droit de demander dans chaque cas que la contestation soit tranchée non par le tribunal arbitral mais par le juge ordinaire, 2 Lorsque, dans d'autres contestations, des droits visés au premier alinéa sont invoqués devant une juridiction arbitrale, celle-ci est compétente pour en connaître, à moins que la partie qui fait valoir ses droits ne saisisse le juge ordinaire dans les trente jours.

3 Les dispositions des alinéas 1er et 2 ne sont pas applicables aux conventions et décisions auxquelles sont également parties des personnes résidant à l'étranger s'il est prévu que les contestations seront portées devant un tribunal arbitral international.

Art. 15: Autres dispositions de procédure Les articles 8 et 9 concernant la sauvegarde da secrets d'affaires et les mesures provisionnelles sont applicables aux contestations relatives à des engagements à caractère de cartel. En outre, dans les contestations relatives à des mesures prises à titre de sanction en vertu de l'article 13, le for se détermine d'après l'article 7.

HI. Dispositions de droit administratif 1. Organisation et tâches de la commission dos cartels Art. 16: Organisation Le Conseil fédéral nomme une commission des cartels, de 7 à 11 membres, où sont représentés les sciences économique et juridique, les milieux économiques et les consommateurs. La commission dispose d'un secrétariat. Le Conseil fédéral arrête le règlement de la commission d'entente avec celle-ci.

2 La commission est indépendante des autorités administratives. Elle remet chaque année au département fédéral de l'économie publique un rapport sur son activité; ce rapport est publié.

3 Les membres de la commission sont liés par le secret de fonction. Les rapports de la commission, s'ils sont publiés, ne doivent révéler aucun secret d'affaires.

Art. 17: Enquêtes générales 1 La commission procède, de sa propre initiative ou à la demande du département fédéral de l'économie publique, à des enquêtes concernant la situation et l'évolution des cartels et des organisations analogues en Suisse. Elle publie ses rapports d'enquête, à moins que le département n'en décide autrement.

1

616 a

La commission réunit les jugements rendus en vertu de la présente loi et les publie périodiquement sous une forme appropriée. Les tribunaux transmettent à la commission une expédition complète de leurs jugements.

Art. 18: Recommandations et avis 1

La commission sera consultée lors de l'élaboration de lois et d'ordonnances fédérales qui restreignent la libre concurrence. Elle peut, de sa propre initiative, soumettre au Conseil fédéral des recommandations touchant la politique en matière de concurrence.

2 A la demande des tribunaux, la commission leur donne des avis sur des questions de principe relatives aux cartels.

Art. 19 : Enquêtes spéciales 1

Le département fédéral de l'économie publique peut charger la commission d'enquêtes spéciales en vue d'établir si certains cartels ou certaines organisations analogues ont des effets nuisibles d'ordre économique ou social.

a Avant de clore la procédure, la commission donnera aux intéressés l'occasion de s'exprimer sur le résultat de ses investigations. Elle peut leur recommander de modifier ou d'annuler des clauses à caractère de cartel ou de renoncer à certaines mesures prises par des cartels ou des organisations analogues.

3 Une fois la procédure terminée, la commission remet au département fédéral de l'économie publique un rapport et des propositions. Le département décide de la publicité à donner aux résultats de l'enquête.

4 Si le département estime qu'une enquête complémentaire est nécessaire, la commission y procédera.

Art. 20 : Procédure en matière d'enquêtes spéciales 1

Lorsqu'elle procède à une enquête spéciale, la commission invite les personnes qui peuvent l'éclairer sur les faits à lui fournir les renseignements utiles et à produire les pièces nécessaires. Elle peut faire appel à des experts.

2 Si cette libre consultation ne permet pas d'élucider suffisamment les faits, la commission interrogera les parties, entendra les témoins et ordonnera la production des pièces. Les articles 36 à 65 de la loi de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 et les articles 22 à 26 de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 sont applicables par analogie.

3 Les mesures et décisions de la commission peuvent être attaquées dans un délai de dix jours devant le président du Tribunal fédéral pour violation manifeste du droit.

617 2. Action administrative Art. 21 1 Pour sauvegarder l'intérêt public, le département fédéral de l'économie publique peut, en se fondant sur une enquête spéciale, dans le délai d'une année à compter de la remise du rapport d'enquête, intenter action devant le Tribunal fédéral, contre un cartel ou une organisation analogue qui empêche la concurrence ou l'entrave notablement dans une branche économique ou une profession, d'une manière incompatible avec l'intérêt général, notamment au détriment des consommateurs.

2

S'il admet l'action, le Tribunal fédéral ordonne les mesures nécessaires; en particulier, il peut annuler ou modifier des clauses à caractère de cartel ou interdire des mesures prises par des cartels ou des organisations analogues.

IV. Dispositions finales Art. 22 1 Sauf disposition contraire de la présente loi, les dispositions du code civil, notamment celles du code des obligations, sont applicables aux cartels et aux organisations analogues.

2 Sont réservées les dispositions fédérales sur la concurrence déloyale, la protection industrielle et le droit d'auteur, ainsi que les prescriptions de droit public qui dérogent à la présente loi.

3 Le Conseil fixe la date de l'entrée en vigueur de la présente loi.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi sur les cartels et les organisations analogues (Du 18 septembre 1961)

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