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FEUILLE FÉDÉRALE 89e année

Berne, le 2 juin 1937

Volume H

Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la reconnaissance du romanche comme langue nationale.

(Du 1er juin 1937.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un projet d'arrêté fédéral modifiant l'article 116 de la constitution fédérale. La revision partielle proposée a pour but d'ajouter le romanche aux trois langues nationales déjà reconnues par la Confédération.

L'article 116 actuel de la constitution est rédigé ainsi qu'il suit: « Les trois principales langues parlées en Suisse, l'allemand, le français et l'italien, sont langues nationales de la Confédération suisse.» D'après notre proposition, le nouvel article 116 doit recevoir la rédaction suivante : « L'allemand, le français, l'italien et le romanche sont les langues nationales de la Suisse.

Sont déclarés langues officielles de la Confédération: l'allemand, le français et l'italien. » Nous indiquons ci-après les motifs qui nous ont engagés à vous faire cette proposition.

I.

REQUÊTE DU PETIT CONSEIL DU CANTON DES GRISONS Par une lettre du 21 septembre/21 octobre 1935, le Petit conseil du canton des Grisons, faisant usage du droit d'initiative que l'article 93, 2e alinéa, de la constitution fédérale confère aux cantons, nous a adressé, à l'intention de l'Assemblée fédérale, une requête tendante à ce que Je Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

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romanche soit, par voie de revision constitutionnelle, reconnu comme quatrième langue nationale. A cette requête principale en étaient jointes plusieurs autres, sur lesquelles nous reviendrons au cours de notre exposé.

Vu la portée de la demande, nous croyons devoir publier la lettre du Petit conseil. Nous nous bornerons cependant à reproduire la partie qui est particulièrement propre à faire saisir les motifs de la demande et ce à quoi elle tend.

(Traduction.)

Coire, le 21 septembre 1935.

Monsieur le Président de la Confédération, Messieurs les Conseillers fédéraux, Le Petit conseil du canton des Grisons prend la liberté de s'adresser à votre haute autorité dans l'affaire que voici: Dans la session que notre Grand conseil a tenue au printemps 1934, M. Modest Nay, à Camischolas, et trente-huit autres députés appartenant à toutes les vallées et à tous les groupes linguistiques du canton ont déposé une motion, rédigée dans les trois langues des Grisous, et dont voici la teneur: « Le Grand conseil, représentant du peuple grison, charge le gouvernement de faire connaître aux autorités fédérales le voeu pressant du peuple romanche de voir la langue romanche déclarée et reconnue langue nationale, à côté de l'allemand, du français et de l'italien. » La motion fut développée dans la session de l'automne 1934. Après une discussion où l'on entendit des discours dans toutes les langues du canton et qui constitua une imposante manifestation patriotique, le Grand conseil adopta cette motion, à l'unanimité de ses membres présents -- il était ce jour-là presque au complet -- et d'accord avec le Petit conseil.

En s'adressant aujourd'hui à votre haute autorité, conformément à la décision du Grand conseil, le Petit conseil considère qu'il est de son devoir de motiver le voeu exprimé par le peuple romanche et le canton des Grisons.

La motion Nay et consorts n'est pas née d'un hasard; elle répond, au contraire, à un r désir du peuple romanche, déjà exprimé maintes fois. A notre connaissance, c'est le D O. Gieré, le rédacteur du « Sain Pitschen », organe de la jeunesse universitaire romanche, qui, le premier, a fait campagne dans la presse en faveur de la quatrième langue nationale. En 1933, lors de l'assemblée annuelle de la « Ligia Romontscha », fédération de toutes les sociétés linguistiques romanches, il
proposa d'entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir la reconnaissance du romanche comme langue nationale. Cette proposition, soutenue par d'autres orateurs, fut adoptés à l'unanimité, par acclamation.

Un effet direct de cette décision fut la manifestation que les sociétés d'étudiants romanehes « Romania », « Ladina » et « Sesiana » organisèrent lors de leur assemblée annuelle, à Rhaziins, le 2 septembre 1934; ce fut une véritable assemblée populaire, et il sera parlé plus loin de la résolution qui fut alors votée.

En demandant à l'Assemblée fédérale, par l'intermédiaire du Conseil fédéral, de reconnaître le romanche comme langue nationale suisse, nous la prions par là même de modifier l'article 116 de la constitution fédérale, c'est-à-dire de reviser partiellement celle-ci, conformément à son article 121.

Nous pouvons fonder notre demande sur l'article 93, 2e alinéa, de la constitution fédérale, en vertu duquel chaque canton a le droit de soumettre par écrit des propo-

sitions à l'Assemblée fédérale. Selon l'article 36, 2e alinéa, de la constitution grisonne, c'est au Petit conseil qu'il appartient d'user de la compétence accordée aux cantons par l'article 93 de la constitution fédérale. Le Petit conseil est d'autant plus qualifié pour faire usage de ce droit d'initiative qu'il agit, dans le cas particulier, sur l'ordre du Grand conseil.

Nous vous prions, en conséquence, Monsieur le Président de la Confédération et Messieurs les Conseillers fédéraux, d'accueillir notre requête et de la soumettre, en temps voulu, à l'Assemblée fédérale.

Le romanche, qui se compose de deux idiomes principaux, celui de Surselva (Oberland grison) et celui de l'Engadine et des vallées voisines, remonte, par certains de ses éléments, à l'époque préromaine. Après la conquête de l'ancienne Rhétie par les Romains en l'an 15 avant J. C., il se produisit dans ce pays, comme dans les autres Etats néo-latins, une romanisation progressive de la langue, des lois et de l'administration. Au cours des siècles qui suivirent, la Rhétie tomba sous la domination des Goths, des Francs et des Alémannes, donc de tribus germaniques. Elle fut ensuite, et jusqu'à la fondation des trois anciennes ligues grisonnes, gouvernée par des seigneurs féodaux belliqueux. L'influence de la noblesse, tant laïque qu'ecclésiastique, d'origine essentiellement germanique, ainsi que celle des vassaux, employés, mineurs, ouvriers agricoles, artisans et paysans, venus du Nord à sa suite ou à son service, s'exerça aussi profondément sur la langue. Les Romanches, dont le territoire s'étendait autrefois jusqu'au lac de Wallenstadt, furent refoulés dans un nombre restreint de vallées rhétiques. Et ce mouvement fut encore activé par la fondation de colonies valaisannes (Walser). Du XIVe au XVIIe siècle, le romanche recula graduellement. Puis il resta stationnaire jusqu'au moment où, par suite du développement imprévu des communications, au cours des années 1880 et plus tard encore, de nouvelles pénétrations se produisirent du Nord et du Sud dans les territoires autrefois purement romanches; dès lors, c'est l'existence même du romanche qui est en jeu. Actuellement, on compte encore quelque 44 000 Romanches dans le canton des Grisons et dans le reste de la Suisse. Il en existe également un grand nombre établis à l'étranger, qui
restent fidèles à leur langue maternelle, pour laquelle ils ne cessent de prendre fait et cause et de faire de la propagande.

L'attachement des Romanches à la plus ancienne langue du pays et le fait que celle-ci se maintient dans un nombre restreint de vallées grisonnes en dépit de toutes les circonstances qui, du début du moyen-âge à nos jours, ont menacé son existence, sont choses remarquables. Le phénomène paraît encore plus remarquable quand on pense que, s'il existe depuis des siècles déjà une langue écrite pour chacun des deux idiomes principaux, il n'a cependant pas pu se former une langue écrite unique pour l'ensemble des Grisons. 6'est là assurément une faiblesse, un fait qui enlève à la langue une partie de sa force de pénétration et qui, dans tous les cas, par exemple lors de la confection de manuels d'enseignement, de publications, etc., agit sur le romanche à la façon d'un poids mort; il paraît aussi, au premier abord, devoir être une source de difficultés pour une future langue nationale. Mais, du point de vue purement linguistique, quel enrichissement du trésor de la langue ! Le glossaire rhéto-roman (Dicziunari Rumantsch Grischun), actuellement en préparation, permettra de s'en rendre compte.

On est d'autant plus fondé à s'étonner de la conservation du romanche et de sa littérature, qui est riche pour un aussi petit pays et une population aussi peu nombreuse, que le canton lui-même ne s'est préoccupé systématiquement de leur enseignement dans les écoles publiques qu'à partir des années 1850 à 1860 ; il l'a fait en instituant tout d'abord un enseignement obligatoire dans cette langue, puis en prescrivant l'enseignement du romanche à l'école normale des instituteurs, enfin, en 1914, en décrétant l'enseignement du romanche obligatoire pour tous les élèves romanches de l'école cantonale. Nous pourrions entrer dans plus de détails, mais cela nous entraînerait trop loin. Pour cette même raison, nous ne vous parlerons pas de la littérature romanche, de ses poètes et de ses promoteurs.

4 En revanche, il est de notre devoir do rappeler ici de quelle manière puissamment stimulante et fructueuse il a été possible d'agir dans co domaine au cours dos quinze dernières années, du fait que, depuis 1920, de plus amples ressources ont été mises . à notre disposition pour encourager l'effort culturel des sociétés linguistiques romanches.

Avec uno rare unanimité et dans un magnifique esprit de solidarité envers lo plus petit groupe linguistique du pays, l'Assemblée fédérale et le Grand conseil grison décidèrent, cette année-là, d'allouer chacun une subvention annuelle de 10 000 francs à la « Ligia Romontscha » pour la conservation de la langue romanche. La plus grande partie de cette somme, il est vrai, a été employée à la création de manuels qui faisaient encore défaut : grammaires et vocabulaires romanche-allemand et allemand-romanche.

Grâce à l'esprit de sacrifice et à l'inlassable activité du distingué président de la « Ligia Romontscha », M. Giachem Conrad, on est cependant parvenu à réserver un peu de cet argent pour stimuler l'activité des sociétés linguistiques romanches et encourager par ce fait tous ceux qui, année après année, collaborent, de façon désintéressée et sans aucun dédommagement matériel, à la conservation du romanche par leur activité administrative, leurs travaux littéraires ou scientifiques et leurs contributions. Certes, il faudrait beaucoup plus d'argent pour accomplir des tâches aussi variées; nous sommes toutefois profondément reconnaissants des décisions qui furent prises en 1920 en faveur d'une petite minorité linguistique. Nous le sommes également du supplément accordé au canton dos Grisons, lors de la revision de la loi fédérale sur la subvention pour l'école primaire; ce supplément, il est vrai, doit profiter aux trois groupes linguistiques du canton, mais il est d'un avantage inestimable pour le romanche, qui a dû jusqu'ici rester nécessairement au second plan dans les écoles en général et à l'école normale en particulier, par le fait que les Romanches sontobligés d'apprendre encore à fond l'allemand.

Il n'a malheureusement pas été possible d'éviter, en 1933, que la subvention fédérale allouée à la «Ligia Romontscha» ne fût réduite de 2000 francs, au moment, précisément, où l'on se proposait de donner à l'impression les vocabulaires, en partie terminés. Pour
permettre à la ligue de mener à chef cette entreprise et d'accroître son activité dans le domaine littéraire et scientifique, il eût été, au contraire, indiqué d'augmenter la subvention. En 1930, la « Ligia Romontscha » a déjà demandé au Conseil fédéral, dans une lettre dûment motivée, de doubler sa subvention; cette requête fut malheureusement rojotée. Et l'aspect sous lequel se présente maintenant la situation financière de la Confédération ne nous laisse qu'un faible espoir d'obtenir quoique chose de plus. Nous avons néanmoins tenu à parler ici do cette subvention, parée que la « Ligia Romontscha » sera, à plus ou moins brève échéance, dans la nécessité de domander de nouveau l'appui de la Confédération pour pouvoir réaliser systématiquement ses projets, particulièrement ceux de nature scientifique. Et elle pourra faire cette requête avec d'autant plus de facilité que, conformément aux explications qui vont suivre, la reconnaissance du romanche comme langue nationale n'entraînera pour la Confédération aucune dépense importante. C'est au même but que tend la résolution de Rhäzüns dont il a déjà été question plus haut, lorsqu'elle demande « qu'entre temps (c'est-à-dire jusqu'à ce que le romanche ait été déclaré quatrième langue nationale) la Confédération reconnaisse formellement par un arrêté fédéral l'obligation d'encourager la langue et la culture romanches et de tenir compte aussi du romanche dans la législation et les actes officiels, en tant du moins que cela paraît indispensable dans l'intérêt de la population romanche. » Cette résolution nous paraît d'autant plus compréhensible que le Conseil fédéral a décidé antérieurement d'allouer au canton du Tessin une subvention annuelle extraordinaire et qu'il l'a notamment motivée en ces termes: « En revanche, nous attirons votre attention de façon toute spéciale sur la structure particulière de notre Etat fédératif. Celle-ci ne consiste pas uniquement dans le fait que la Confédération se compose de vingt-cinq cantons. Audessus du groupement de ces républiques, il y a la réunion, en une nation, de

trois peuples de langues et de cultures différentes. En proclamant langues nationales les trois principales langues de la Suisse, l'article 116 de la constitution fédérale a consacré l'égalité de culture des trois peuples qui las parlent. Union de trois nationalités égales en droit, voilà ce qui constitue le caractère spécifique et le sens profond de notre démocratie suisse et lui confère sa mission particulière. Seul représentant de la culture italienne au sein de la Confédération, le canton du Tessin constitue un des trois éléments de notre organisme politique.

Cela lui donne non seulement le droit, mais aussi le devoir de veiller à ce que sa culture particulière ne soit ni affaiblie, ni faussée et à ce que ses écoles 110 restent pas en arrière de celles des autres cantons. Réciproquement, c'est pour la Confédération une obligation de droit public d'aider le Tessin à remplir les tâches qui lui incombent si, par suite de circonstances spéciales, elles dépassent ses ressources et ses forces. » De telles considérations ne pourraient-elles pas, ne devraient-elles pas s'appliquer également, et dans une plus large mesure, au romanche, étant données les difficultés toutes spéciales avec lesquelles ce petit groupe linguistique est aux prises ? Actuellement, les chances d'obtenir un appui financier plus efficace sont faibles. Peut-être en sera-t-il autrement à l'avenir. On pourrait même, semble-t-il, envisager cet appui aujourd'hui déjà, sinon sous la forme d'une augmentation des subventions annuelles, du moins sous celle d'une avance importante, qui serait versée en une ou plusieurs fois, afin de permettre, au fur et à mesure, l'impression des différents vocabulaires et du glossaire.

Pour le moment toutefois, il s'agit moins de questions matérielles que d'un problème idéal, culturel, celui de la reconnaissance du romancii-e comme quatrième langue nationale de la Confédération.

Pour se faire une idée de la portée de cette demande, il faut considérer tout d'abord la situation dans le canton des Grisons.

Le point de départ est l'article 46 de la constitution cantonale de 1892, où est formulé un principe qui a toujours été tenu pour allant de soi et fidèlement observé, le principe selon lequel les trois langues parlées dans le canton sont' considérées comme langues du canton et garanties comme telles. Ni
le règlement du Grand ou du Petit conseil, ni le codo de procédure civile, ni les autres lois importantes ne contiennent une disposition d'exécution tant soit peu détaillée complétant cette brève formule.

Les seuls textes que l'on trouve sont quelques décisions sans grande importance du Grand ou du Petit conseil. Pour le surplus, le législateur a prudemment laissé au bon sens du peuple grison le soin de régler le régime des langues dans la vie pratique -- école, tribunal, vie publique --, d'après la prédominance de telle ou telle langue et en tenant compte des besoins. Les trois langues parlées dans le canton sont les langues du canton. Tel est le principe directeur toujours et partout admis et qu'on observe tout naturellement. Nous pouvons également affirmer que les Grisons de langue allemande ou italienne n'ont cessé de témoigner la plus entière compréhension à l'égard des désirs et voeux légitimes des Romanches touchant la conservation de la plus ancienne langue de la Rhétie. Jamais les bons rapports existant entre les trois groupes linguistiques grisons, qui sont fondés sur une compréhension mutuelle, n'ont été troublés. Pour saisir combien le canton des Grisons tout entier estime et honore la langue romanche, il suffit de se rappeler la décision unanime du Grand conseil grison que nous citions plus haut. Pour tout Grison, le romanche est un héritage inaliénable de la patrie rhétique, et nous nous plaisons à espérer que nos confédérés eux-mêmes estimeront et honoreront la culture et la tradition romanches comme une valeur spirituelle importante pour la vie du peuple suisse.

Ceci dit, nous examinerons quelles sont les conditions sur le terrain fédéral.

Là encore, nous devons remonter un peu haut et esquisser d'abord quelques règles essentielles et leurs conséquences pour les différents groupes linguistiques de notre pays.

6 Constatons tout d'abord que, sur le terrain fédéral, le français prend place à côté des trois langues parlées dans le canton des Grisons. La constitution fédérale dispose que seules les trois principales langues de la Suisse, l'allemand, le français et l'italien, sont langues nationales de la Confédération. Le romanche n'est ainsi pas considéré comme une langue nationale, bien qu'il soit parlé par 44 000 Romanches et plus, qui ne sont pas disséminés dans d'autres groupes, mais se trouvent pour la plupart réunis sur un même territoire linguistique.

Nous allons étudier dans ses grandes lignes le régime constitutionnel et voir ensuite jusqu'à quel point nous pouvons, sans être déraisonnables, revendiquer pour le romanche un autre traitement, soit la reconnaissance de cette langue comme langue nationale dans le sens de la motion Nay et consorts.

La prescription de l'article 116 de la constitution signifie que, sur le terrain fédéral, l'allemand, le français et l'italien sont placés sur pied d'égalité; que, par conséquent, tous les arrêtés fédéraux et autres décisions des autorités législatives de la Confédération doivent être 'pris et ·publiés officiellement dans les trois langues nationales.

Les trois textes sont considérés comme originaux (il n'en est pas de même actuellement dans le canton des Grisons). En cas de divergence entre eux, on doit rechercher, en s'aidant de tous les moyens d'interprétation, lequel des trois rend le sens exact et répond à la volonté du législateur.

Conséquemment, le Recueil officiel des lois et ordonnances de la Confédération et la Feuille fédérale, soit l'organo officiel dans lequel sont publiés chaque semaine les rapports et les messages du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale, les circulaires du Conseil fédéral, les communications des départements, etc., paraissent dans les trois langues nationales. On peut aisément se faire une idée de ce que cela coûte à la Confédération. Suivant un tableau récapitulatif que nous avons sous les yeux, ses frais d'impression se sont élevés, pour l'année 1933, à 2 682 000 francs. En admettant que les imprimés en langue italienne no représentent que la sixième partie de ce chiffre, cola ferait, rien que pour ceux-ci, une dépense d'environ 447 000 francs par an. On peut se représenter combien l'assimilation du romanche aux trois
autres langues nationales mènerait loin et quelle charge financière supplémentaire il en résulterait pour la Confédération.

Pour le surplus, les prescriptions fédérales relatives à l'emploi des langues nationales sont pou nombreuses. Et nous ne sachons pas qu'il en soit jamais résulté de sérieuses difficultés. Dans les trois domaines de la justice, de l'administration et du parlemont, la vio quotidienne a su trouver en général jusqu'ici une solution conforme à l'équité et à l'expérience.

Dans l'Assemblée fédérale, chaque membre a le droit de s'exprimer dans une langue nationale. En règle générale, les discours ne sont pas traduits dans les autres langues nationales. Seules les propositions formulées sont, avant la votation, répétées en allemand et en français par des traducteurs, ainsi que le prévoient les règlements des deux conseils, auxquels nous nous référons. Les Romanches, sur ce point, ne demandent rien.

Au Tribunal fédéral, ainsi qu'au Tribunal fédéral des assurances, l'allemand, le français et l'italien sont également reconnus comme langues nationales. Dans leurs rapports avec ces autorités judiciaires, les parties peuvent se servir d'une de ces trois langues. Les arrêts sont rendus dans la langue qui a été employée pour l'instruction du procès et, à défaut d'instruction, dans là langue de la décision attaquée. Dans les contestations soumises au Tribunal fédéral, instance unique, l'arrêt est rédigé dans la langue des parties. Si ces dernières sont de langues différentes, l'arrêt est rédigé, en général, dans la langue du défendeur ou, s'il y a plusieurs défendeurs de langues différentes, dans les langues des uns et des autres. Voir à ce sujet l'arrêté fédéral du 28 mars 1917 concernant l'organisation du Tribunal fédéral des assurances et la procédure à suivre devant ce tribunal, la loi du 22 mars 1893 sur l'organisation judiciaire fédérale, la loi du 22 novembre 1850 sur la procédure à suivre par devant le Tribunal

fédéral en matière civile, article 80, et le règlement du Tribunal fédéral du 26 novembre 1928, article 20. Il est clair que, vu le principe constitutionnel, il ne reste ici aucune place pour le romanche. Cependant, le Tribunal fédéral s'est montré, dans le passé et ces derniers temps encore, extrêmement accommodant, en faisant traduire à ses propres frais de longs documents écrits en romanche. Dans ce domaine encore, les Romanches ne demandent rien de plus pour l'avenir.

En ce qui concerne le Conseil fédéral, il n'existe aucune prescription selon laquelle les langues nationales doivent y être représentées. Cependant, on a de tout temps tenu, et avec raison, à ce que les Suisses alémaniques et les Romands, tout au moins, y fussent représentés à peu près en proportion de leur force numérique. On n'a pas non plus empêché un Romanche d'être élu au Conseil fédéral; mais nous ne savons pas si la question de langue a joué un rôle dans l'élection de M. Calonder, par exemple, ni à quel groupe linguistique romanche le candidat était attribué. D'ailleurs, nous ne demandons pas et ne saurions légitimement demander qu'un Romanche fasse constamment partie du Conseil fédéral.

Lors des élections au Tribunal fédéral, l'Assemblée fédérale doit, en revanche, avoir égard à ce que les trois langues nationales y soient représentées (art. 107 Cst.).

En ce qui concerne les assises fédérales, la chambre criminelle doit être constituée de telle sorte que chacun de ses trois membres appartienne à une autre langue nationale ; de même, les arrondissements d'assises pour l'élection des jurés fédéraux correspondent aux grandes régions linguistiques, la partie romanche du canton des Grisons étant attribuée à un arrondissement de langue allemande. Ici non plus, les Romanches de demandent rien d'autre pour l'avenir. Nous pourrions encore relever telle ou telle conséquence du principe constitutionnel des trois langues nationales, pour en déduire les suites qu'entraînerait la reconnaissance pleine et entière d'une quatrième langue nationale officielle. Nous pourrions également nous demander s'il serait pratiquement utile, et, d'une manière générale, s'il serait possible d'étendre aux Romanches, en ce qui concerne les arrondissements de recrutement, la prescription selon laquelle les troupes doivent être instruites et commandées
dans leur langue nationale. Nous nous en tiendrons toutefois aux exemples que nous avons cités plus haut.

Il ressort de ce qui précède que si l'on voulait, en matière constitutionnelle, placer le romanche sur le même pied que les trois grands groupes linguistiques, il en résulterait des difficultés pratiques que rien ne justifierait et des frais hors de proportion avec le but envisagé. On pousserait à l'extrême un principe cependant juste en soi si l'on exigeait que toutes les lois fédérales et tous les messages du Conseil fédéral soient traduits en romanche; étant donnée la pluralité des idiomes romanches, la valeur pratique d'une semblable mesure serait minime et la dépense exorbitante. Il suffit, dans ce domaine, que la Confédération fasse, comme jusqu'ici, traduire en romanche les lois importantes, telles que la constitution fédérale, le code civil et le code des obligations.

Ces' oeuvres législatives ont été rendues accessibles à la population romanche, dans un véritable esprit de solidarité confédérale, et ce fait montre déjà que les autorités de la Confédération ont entendu tenir compte du romanche.

Si un Romanche s'avisait de parler occasionnellement dans sa langue maternelle au sein de l'Assemblée fédérale, personne ne le lui interdirait, surpris et charmé que l'on serait d'entendre cette langue. Mais, pratiquement, la chose se réglera d'elle-même, car personne ne voudra, sauf raison spéciale, s'exprimer dans une langue que la grande majorité du conseil ne comprend pas.

Il en est de même au Tribunal fédéral, et nous arrivons à des conclusions analogues en ce qui concerne les prescriptions relatives à la langue employée pour l'instruction et pour le commandement des troupes. Ces considérations ont d'emblée guidé les milieux romanches lorsqu'ils ont exprimé le voeu légitime qu'il soit fait à leur langue maternelle la place qui lui revient au côté des autres langues du pays.' Ils ont, en effet, immédiatement ajouté que leur but n'était point d'obtenir que le romanche fût aussi déclaré langue officielle, avec toutes les conséquences qui en découleraient conformé-

ment à la législation fédérale. Ils ne demandent, sur ce point, rien de déraisonnable, ni dans le domaine cantonal, ni sur le terrain fédéral.

Ils désirent, en conséquence, que l'article 116 de la constitution fédérale soit rédigé de la façon suivante: « Les quatre langues parlées en Suisse, l'allemand, le français, l'italien et le romanche, sont déclarées langues nationales. Les langues officielles sont l'allemand, le français et l'italien. » On se demandera assurément quelle importance pratique revêt dans ces conditions ' le voeu des Romanches. Nous reconnaissons sans ambage qu'il s'agit avant tout de motifs idéaux, d'une égalité de principe avec les autres langues du pays, et de la reconnaissance du romanche en tant que langue néo-latine indépendante. Mais il est, à côté de cela, une considération décisive pour les Romanches, savoir qu'une telle reconnaissance facilitera la lutte qu'ils mènent pour la conservation de leur langue menacée ...

D'un point de vue purement extérieur déjà, il serait d'un grand avantage, pour les efforts des Romanches en vue de la conservation de leur langue, que celle-ci fût reconnue et déclarée langue nationale sur le terrain fédéral. Et même si cette . reconnaissance ne devait être qu'une simple question de prestige, elle mériterait d'être faite, si l'on songe combien il est déprimant pour les milieux romanches, aux prises avec des difficultés croissantes, d'avoir le sentiment de mener une lutte dans laquelle les meilleurs arguments et les plus décisifs ne sont d'aucun effet, dans laquelle on s'entend dire : « Votre langue n'est pas reconnue ; par conséquent, nous n'avons pas à tenir compte de vos désirs, même s'ils sont légitimes en soi ». Nous rappelons à ce sujet ce qui suit: Au cours des ans, alors que le pays de Vaud et le Tessili étaient encore des pays sujets, il s'est créé, pour désigner les localités les plus importantes de ces deux régions, dos noms allemands, qui sont encore usités aujourd'hui dans la Suisse allemande. Mais il ne serait ensuite venu à l'idée de personne, dans notre Etat fédératif, d'introduire ces noms allemands dans le canton de Vaud ou dans celui du Tessin, ou de les déclarer officiels, seuls ou à côté, des noms français et italiens. Le fait que le français et l'italien sont langues nationales a rendu impossible une telle mesure,
dont il n'a d'ailleurs jamais été question.

Pour le romanche, on n'a pas agi de la même façon, sans doute parce qu'il n'était pas reconnu jusqu'ici comme langue nationale. C'est ainsi que les noms de lieux romanches, la où il existe aussi une dénomination allemande, s'écrivent presque toujours officiellement en allemand dans les documents fédéraux. L'administration des postes refuse, aujourd'hui encore, d'accorder une modeste place aux dénominations romanches à côté des noms allemands. Et cependant, cet état de choses est déprimant pour les Romanches et nuit gravement à la conservation de leur langue.

Si les démarches entreprises à Berne à ce sujet n'aboutissent pas, seule la reconnaissance du romanche comme quatrième langue nationale pourra aider les Romanches a faire triompher leur bon droit.

Pour terminer, nous invoquerons encore un argument fondamental et, à notre avis, décisif: Au premier rang des éléments qui font d'un peuple une nation, on place, dans certains Etats, l'origine ou la race ou la communauté de langue. C'est précisément le cas à l'heure qu'il est chez quelques-uns de nos voisins ...

Nous ne dirons rien qui ne soit déjà connu en affirmant que la Confédération suisse doit son caractère de nation à de tout autres facteurs. Chez nous, la communauté qui s'exprime dans l'idée de nation a, au contraire, sa raison d'être dans le but pour lequel cette communauté a été créée: la lutte contre les seigneurs féodaux qui abusaient de leur puissance, puis la conquête d'une complète indépendance à l'égard de l'étranger. C'est là qu'il faut voir l'élément fondamental, le point de départ de la Confédération et de la nation suisses. Cette communauté a été ainsi créée et est parvenue à se maintenir à travers les générations et les siècles; ces liens ont été

9 transformés par une constitution commune et par la législation en une union indissoluble. C'est pourquoi les liens de la race et du sang et aussi de la langue, auxquels on attribue ailleurs tant d'importance, apparaissent comme des facteurs secondaires pour la formation de la nation suisse. Nous autres Suisses affirmons précisément avec fierté qu'en dépit de notre diversité de races, de langues et de religions, il est d'autres éléments, d'un ordre plus élevé, qui ont fait et font encore que la Suisse est pour toujours une nation. Nous tirons quelque vanité de cette supériorité, et avons même coutume de la rappeler lorsqu'on parle des conflits auxquels les questions de race et de langue donnent lieu dans les pays où il existe des minorités.

Les Suisses considèrent, en effet, la diversité de leur pays et surtout sa pluralité do langues et de cultures, non comme une complication malheureuse, mais comme une source bénie de valeurs idéales. C'est une des plus nobles traditions do la Confédération suisse que de se montrer conciliante à l'égard des minorités linguistiques dans toute la mesure du possible, de les encourager et de les aider dans l'accomplissement de leurs tâches spéciales.

Mais en est-il bien toujours ainsi, en réalité ? Par exemple en ce qui concerne la minorité rhéto-romane ? Assurément oui, dans le canton des Grisons. Assurément aussi dans la Confédération, en tant qu'il s'agit uniquement de l'origine, de la race et des multiples sympathies personnelles qui se manifestent à l'égard dos Romanches.

Mais nous ne pouvons pas en dire autant, sur le terrain fédéral, de la façon dont la question linguistique est réglée juridiquement. Ainsi que nous l'avons vu tout à l'heure, la constitution fédérale parle des langues nationales, mais ne reconnaît comme telles, avec tous les avantages qui en découlent, que l'allemand, le français et l'italien, à l'exclusion du romanche. Cependant, il s'agit de la plus ancienne langue vivante do notre pays, d'une langue qui est reconnue en Rhétie depuis des siècles ot l'est aussi dans la constitution grisonne actuelle comme troisième langue du canton; enfin, il s'agit d'une langue que 44 000 confédérés ont déclarée leur langue maternelle lors du dernier recensement fédéral et qui est parlée et vénérée par un plus grand nombre de personnes encore. Malgré cela,
elle n'est pas reconnue comme langue nationale dans la constitution fédérale, et elle souffre de tous les inconvénients qui en résultent pour sa conservation. Par ces motifs, qui touchent en quelque sorte aux bases mêmes de notre conception de l'Etat, nous croyons devoir vous recommander de répondre favorablement au désir des Romanches.

Examinons maintenant une dernière objection qui, au premier abord, paraît avoir une importance essentielle. C'est celle-ci : Auquel des différents idiomes romanches, à laquelle de leurs langues écrites doit échoir l'honneur d'être déclaré langue nationale ? A notre avis, il n'est pas du tout nécessaire de déclarer langue nationale une langue écrite déterminée. Le canton des Grisons ne l'a d'ailleurs pas non plus fait.

Et la Confédération a d'autant moins besoin de le faire que, comme nous l'avons déjà dit, le romanche doit être déclaré langue nationale, mais pas langue officielle.

L'emploi du romanche dans la Confédération restera, par conséquent, limité à un nombre relativement minime de cas; lorsque cela sera nécessaire -- pour la publication de lois et autres textes législatifs, pour des inscriptions, des communiqués, des dénominations, etc. --, on pourra facilement s'adapter aux exigences et nécessités locales. Dans les cas douteux, on pourra toujours faire appel au Petit conseil du canton, qui prendra contact avec la « Ligia Romontscha ».

Il est par ailleurs expédient, du point de vue linguistique, de ne pas attacher une trop grande importance à la pluralité des dialectes. En effet, s'il existe plusieurs dialectes rhéto-romans, il n'y a cependant qu'une langue, le romanche, qui, dans ses différentes formes d'expression, constitue une unité.

Nous terminons, car nous avons retenu longuement votre attention sur le problème du romanche langue nationale. Ce problème, qui, au premier abord, semble simple, se complique dès qu'on l'étudié de près et soulève une quantité de questions. Cependant, la reconnaissance du romanche comme langue indépendante

10 ayant son propre territoire, paraît justifiée et de nature à contribuer à la conservation de cette langue. Elle touche aussi aux fondements de notre conception de l'Etat et même à l'attitude de notre pays envers les courants nationalistes de l'étranger.

Nous fondant sur ce qui précède, nous prions votre haute autorité de prendre les mesures nécessaires pour qu'il soit donné suite à notre requête. Voici, formulé, quel ·est le voeu des Romanches: « 1. Le romanche doit, par une modification de la constitution fédérale, être reconnu comme quatrième langue nationale.

2. D'accord avec les milieux romanches et dans le sens des explications qui précèdent, nous reconnaissons que l'allemand, le français et l'italien doivent seuls être désignés comme langues officielles de notre pays, avec toutes les conséquences qui en découlent.

3. En revanche, la Confédération doit se déclarer d'accord qu'à l'avenir certaines lois de première importance soient aussi traduites en romanche et qu'il soit également tenu compte de cette langue pour la nomenclature, les inscriptions, etc. Les principes à observer dans ce domaine doivent être l'objet d'une ordonnance spéciale.

4. Si, dans des affaires pendantes devant des autorités administratives ou judiciaires de la Confédération, il est produit des pièces en romanche qu'il soit nécessaire de traduire, les frais de traduction ne doivent pas être mis à la charge des parties.

5. Il n'est pas nécessaire qu'un idiome rhéto-roman spécial ou la langue écrite correspondante soit déclaré langue nationale. S'il y a doute quant à la langue à employer, le Conseil fédéral décidera dans chaque cas, après avoir pris l'avis du Petit conseil grison, dans lequel des dialectes principaux la publication, la traduction ou l'inscription en question doit être faite.

6. La Confédération voudra bien continuer à assurer les ressources nécessaires à l'impression des différents vocabulaires, ainsi que du glossaire rhéto-roman au fur et à mesure de leur achèvement. Elle continuera également à soutenir financièrement les efforts de la « Ligia Romontscha » en vue de la conservation et de l'encouragement de la langue romanche. » La « Ligia Romontscha » a fait examiner le problème do la quatrième langue nationale par une commission désignée à cet effet; dans une lettre du 23 juin 1935, elle a précisé
sa manière de voir et formulé ses propositions. Celles-ci concordent en tous points avec celles que nous venons d'énoncer.

En vous adressant la présente requête, nous sommes pleinement conscients de l'importance de principe que revêt notre démarche et de la portée qu'elle aura pour une partie do notre peuple. Il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'une simple'vague de propagande, temporaire, en faveur'du romanche, mais bien d'un facteur essentiel de la lutte entreprise pour la conservation et l'encouragement de cette langue; en outre, notre requête, comme nous l'avons dit plus haut, touche à l'essence de notre Etat et à la conception même que nous nous faisons de celui-ci.

Dans l'espoir qu'il vous sera possible de répondre favorablement au désir exprimé par les Romanches avec l'assentiment unanime du Grand et du Petit conseil du canton des Grisons, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président de la Confédération et Messieurs les Conseillers fédéraux, l'assurance de notre haute considération.

Au nom du Petit conseil du canton des Grisons, Le président Le chancelier : (signé) LARDELLI.

(signé) D* J. DESAX.

Dans la séance du Conseil national du 8 octobre 1936, M. Condrau développa l'interpellation ci-après, appuyée par cinquante-quatre autres membres de ce conseil:

11 « Le Grand conseil des Grisons a demandé, par l'entremise du gouvernement, que le romanche soit reconnu comme quatrième langue nationale, les trois autres langues, allemand, français et italien, demeurant seules langues officielles. Cette réforme exigerait sans doute une modification de l'article 116 de la Constitution fédérale. Par quel moyen le Conseil fédéral croit-il pouvoir donner suite au voeu du peuple romanche ? »

Le Conseil fédéral répondit qu'il approuvait en principe la requête des Grisons et qu'il se proposait de soumettre aux chambres un projet de revision de l'article 116 de la constitution, mais que certaines questions demandaient encore à être examinées de près. L'interpellateur se déclara satisfait.

II.

LE DROIT EN VIGUEUR ET SON DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE Un des principes juridiques essentiels sur lesquels est fondé notre Etat fédératif est celui de l'égalité de droit des langues nationales. La nation suisse n'est pas le résultat d'une communauté de langues. Elle est, au contraire, une communauté de l'esprit; elle est née du fait que des populations de langues différentes ont voulu vivre en une nation, sauvegarder et défendre ensemble la liberté qui a été acquise et les liens qui se sont formés au cours d'une destinée commune. La coexistence pacifique de nos populations de langues différentes en une nation est garantie, dans notre Etat fédératif, par le principe selon lequel chacune de nos langues nationales doit pouvoir maintenir en toute liberté sa pureté et son originalité. Les trois principales langues du pays, l'allemand, le français et l'italien, sont expressément reconnues comme langues nationales dans la constitution fédérale. Le droit public fédéral ignore la notion de protection des minorités linguistiques.

Il ne connaît que celle de Y égalité des langues. Cette règle libérale ne répond pas seulement à la composition naturelle de notre peuple et à la structure de notre Etat fédératif. Elle a encore une racine plus profonde dans un des traits essentiels qui caractérisent l'aspect spirituel de la démocratie suisse: le respect du droit et de la liberté de l'individu et, par suite, le respect du droit de la langue maternelle. Sans liberté de la langue maternelle, il n'est pas de véritable liberté de l'esprit. Selon nous, c'est cette loi non écrite, mais d'autant plus puissante du respect de l'être humain et de sa langue maternelle qui explique comment il se fait que, dans un pays où vivent en étroite communion des populations de quatre langues différentes, nos rapports n'aient jamais été troublés par une question de langue.

L'histoire de l'ancienne Confédération des treize cantons peut s'enorgueillir du fait que les cantons souverains n'ont jamais tenté de porter atteinte à la liberté de langue de leurs sujets ou de la supprimer par la force. Là où les frontières linguistiques se déplacèrent -- dans la plupart des cas temporairement -- ce fut presque toujours le résultat d'un développement organique plutôt que la conséquence de mesures officielles.

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La République helvétique, une et indivisible, s'efforça de résoudre le problème de la diversité des langues de la manière suivante : Aux termes d'un décret du 20 septembre 1798, les lois de la république devaient être publiées dans les trois langues du pays. Une proposition d'accorder à une langue d'Etat une situation privilégiée par rapport aux deux autres, fut rejetée par le directoire. Le 12 novembre 1798, le Grand conseil helvétique décida de rédiger ses procès-verbaux en allemand et en français et de faire traduire en italien les actes et rapports importants. En outre, un traducteur fut chargé de traduire en allemand ou en français les déclarations qui seraient faites au Grand conseil en italien. Le sénat approuva ces décisions. Il n'était pas encore question à cette époque-là du romanche, car les Grisons n'avaient pas encore demandé leur réunion à la République helvétique. Ce rattachement ne s'opéra qu'en 1799. Le 26 juin 1799, les commissaires du gouvernement helvétique invitèrent le , gouvernement provisoire du canton de la Rhétie à faire traduire leur proclamation en italien et en romanche et à l'envoyer à toutes les communes.

Intéressants également sont les motifs avec lesquels, en 1798, le directoire helvétique soumit aux conseils le projet du ministre Stapf er tendant à créer une université nationale. « Cette institution, disait-il, deviendra le foyer des forces intellectuelles de notre pays, le creuset dans lequel fusionneront ses populations, le lieu où s'échangera la culture des trois nations civilisées dont l'Helvétie constitue le point central. Elle contribuera peut-être à marier la profondeur de l'esprit germanique, l'habileté française et le goût italien. » Dans les projets de constitution de 1832 et 1833, nous ne trouvons aucune disposition sur les langues d'Etat de la Confédération. La commission qui fut chargée, en août 1847, d'élaborer un projet de constitution ne jugea pas non plus nécessaire de consacrer un article à la question des langues, estimant sans doute que, dans ce domaine, le droit non écrit était plus fort que le droit écrit. Dans l'assemblée qui discuta ce projet, la délégation du canton de Vaud proposa cependant d'introduire dans la constitution la disposition suivante : « Les trois langues parlées en Suisse, l'allemand, le français et l'italien, sont langues
nationales. » Le porteparole de la délégation vaudoise déclara à ce sujet: Les confédérés se composent de trois éléments nationaux, de trois populations de langues allemande, française et italienne. Ces parties intégrantes du peuple ne sont cependant ni allemande, ni française ni italienne. Elles ont trouvé leur unité dans la notion réelle de la nation suisse. Mais toutes ces langues sont égales en droit et l'une d'elles ne saurait, par conséquent, prétendre à un privilège au détriment des autres.

Cette proposition fut vivement appuyée par le représentant du canton du Tessin et recueillit l'assentiment des vingt-deux cantons. Cependant, l'assemblée fut aussi d'avis que s'il venait à se produire des divergences dans l'interprétation de la constitution, de lois ou d'arrêtés, le texte allé-

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mand devrait l'emporter sur les deux autres (une manière de voir qui, comme on le sait, fut abandonnée par la suite). Le nouvel article adopté par l'assemblée fut rédigé comme il suit : « Les trois principales langues parlées dans la Confédération sont déclarées officielles; la chancellerie fédérale pourvoira à ce que les recès, lois et arrêtés des autorités fédérales soient rédigés en allemand et en français, aux frais de la Confédération.» La commission de rédaction revint toutefois au texte plus simple et plus large de la proposition primitive, et c'est ainsi que fut adopté, sans autre discussion et à l'unanimité des voix, l'article 109 de la constitution fédérale, lequel était ainsi conçu : « Les trois principales langues parlées en Suisse, l'allemand, le français et l'italien, sont langues nationales de la Confédération suisse ». Il ne fut pas question, dans ces délibérations, du romanche ; on n'en parla pas non plus, vingt-cinq ans plus tard, lorsque l'article 109 passa sans changement dans la constitution de 1874, comme article 116.

La proposition primitive de la délégation vaudoise visait uniquement <( les trois langues parlées en Suisse » ; l'article constitutionnel, lui, parle des trois 'principales langues de la Suisse. Cette rédaction n'indique-t-elle pas que le législateur était pleinement conscient de l'existence d'une quatrième langue suisse, le romanche ? S'il a renoncé à faire de cette quatrième langue du pays une langue nationale, c'est assurément pour des raisons pratiques. Sans doute attachait-il déjà à la notion de langue nationale l'idée de langue officielle ou de langue d'Etat, et c'est pour ne pas compliquer les relations de l'Etat et ne pas surcharger le modeste budget de la Confédération qu'il a limité cette notion aux 'principales langues du pays.

Toutefois, en n'étendant pas le concept de langue nationale, c'est-à-dire de langue d'Etat de la Confédération, à toutes les langues du pays, mais seulement aux principales de ces langues, il a implicitement reconnu l'existence d'une autre langue suisse. Il nous semble, par conséquent, que la solution choisie par le législateur de 1848 n'est pas si éloignée du désir que les Romanches manifestent aujourd'hui.

L'interprétation de l'article 109, alias 116, de la constitution n'a jamais donné lieu à de sérieuses difficultés. La
rédaction plus simple et plus libre à laquelle la commission de rédaction s'est arrêtée en 1848 s'est révélée judicieuse. Pour l'interprétation et l'application de cet article, nos pères s'en remirent au bon sens des confédérés, certains que ceux-ci ne perdraient jamais de vue les possibilités matérielles. Cet espoir s'est réalisé. Ainsi que les créateurs de la constitution de 1848 l'avaient sans doute entrevu, la notion constitutionnelle de « langues nationales » s'est transformée toujours plus nettement au cours des ans en celle de « langues d'Etat » et de « langues officielles », dans le sens d'une égalité de principe, sans qu'on en ait jamais fait dériver des exigences hors de proportion avec les moyens nécessaires pour les satisfaire. Les lois, arrêtés et ordonnances de la Confédération sont publiés dans les trois langues nationales. Les trois textes sont placés sur le même pied; aucun d'eux n'a le pas sur les

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autres; chacun est considéré juridiquement comme texte original. En cas de divergence, on doit rechercher, en s'aidant de tous les moyens d'interprétation juridique, lequel des trois rend le sens exact et répond à la volonté du législateur. Dans les délibérations du Conseil fédéral, de l'Assemblée fédérale et du Tribunal fédéral, chaque membre a le droit de s'exprimer dans sa langue nationale. Au Conseil national et au Conseil des Etats, toutes les propositions sont traduites en français ou en allemand. Il est loisible aux citoyens suisses et aux autorités cantonales de correspondre dans leur langue nationale avec les autorités de la Confédération, et ces dernières sont tenues de répondre dans la même langue. Dans les procès devant le Tribunal fédéral, chaque partie peut se servir de sa langue nationale; le jugement est rendu dans la langue de l'arrêt attaqué, et, dans les litiges soumis au Tribunal fédéral, instance unique, dans la langue des parties. Aux termes de l'article 107 de la constitution, l'Assemblée fédérale doit, lors de l'élection des membres du Tribunal fédéral, avoir égard à ce que toutes les langues nationales soient représentées. Pour l'élection du Conseil fédéral, il n'existe aucune prescription semblable; cependant, l'Assemblée fédérale a constamment tenu, depuis la création de l'Etat fédératif, à voir la Suisse allemande et la Suisse romande équitablement représentées dans ce conseil. Pour l'armée, la règle est que les troupes doivent être instruites et commandées dans leur langue nationale. Dans les unités comprenant des troupes de langues différentes, les commandements sont traduits. Pour les examens fédéraux de médecine, il existe des commissions d'examens distinctes et parallèles pour la Suisse allemande et pour la Suisse romande. Il ressort de tout cela que la notion constitutionnelle de langue nationale s'est muée en celle de langue d'Etat et de langue officielle. La garantie constitutionnelle des langues nationales ne s'étend toutefois qu'au droit de la Confédération et aux rapports de celle-ci avec les cantons. Le droit interne de ces derniers n'en est pas touché (cf. Fleiner, Bundesstaatsrecht ; Burkhardt, Kommentar zur Bundesverfassung ; Salis, Droit fédéral suisse).

Nous avons exprimé plus haut l'avis que le législateur de 1848 attachait déjà à la notion de langue
nationale l'idée de langue officielle, et que la limitation de la garantie constitutionnelle aux principales langues du pays ne signifiait nullement qu'on eût voulu, lors de l'adoption de la première constitution, dénier au romanche le caractère de langue originale ou lui refuser le droit d'exister. Le développement consécutif à 1848 confirme cette manière de voir. Bien que le romanche ne soit pas reconnu dans la constitution fédérale comme langue nationale (soit comme langue officielle), les autorités fédérales ont, cependant, tenu compte jusqu'ici des voeux légitimes des Romanches et du gouvernement grison en ce qui concerne la place du romanche dans la vie publique et les mesures à prendre en sa faveur. En 1872 et 1874, les projets de révision de la constitution qui devaient être soumis à la votation du peuple et des cantons furent, sur la demande

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du Petit conseil des Grisons, traduits dans les deux principaux dialectes rhéto-romans aux frais de la Confédération (laquelle, il est vrai, fit observer qu'elle n'avait juridiquement pas l'obligation de faire cette traduction).

Se fondant sur l'article 116 de la constitution, le Conseil fédéral adopta, en revanche, une attitude négative lorsque le Petit conseil des Grisons demanda, le 27 octobre 1876, que toutes les lois fédérales soumises au peuple fussent traduites dans la langue de l'Oberland grison. Par des subventions, la Confédération a néanmoins rendu possible, de son plein gré, la publication de traductions romanches du code des obligations, de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite et du code civil. Au cours des années 1872 à 1919, la Confédération a encouragé la publication de la Chrestomathie romanche de Decurtins par des subventions qui se sont élevées au total à 32 000 francs. Depuis 1905, la société rhéto-romane reçoit, pour la confection de son glossaire, une subvention annuelle qui a été, les trois premières années, de 2500 francs et, de 1908 à 1935, de 4500 francs. Pour 1936 et les années suivantes, nous avions prévu de porter cette somme à 6500 francs, afin de permettre l'impression du glossaire, mais notre proposition s'est heurtée aux exigences inéluctables du deuxième programme financier et la subvention, au lieu d'être augmentée, a dû être réduite de 25 pour cent, soit à 4875 francs. La subvention allouée à la « Ligia Bomontscha » subit le même sort. Elle s'éleva, de 1921 à 1933, à 10 000 francs par an, mais fut réduite à 8000 francs en 1934 et 1935, et à 7500 francs en 1936 et 1937. Enfin, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 15 mars 1930 concernant la subvention fédérale à l'école primaire publique, le canton des Grisons reçoit, eu égard à sa situation de canton trilingue, un subside supplémentaire de 60 centimes par habitant pour ses 56 712 habitants de langue romanche ou italienne. Il ressort de ce qui précède que la Confédération n'a point été marâtre envers le romanche, bien que la constitution n'ait pas fait de cette langue une langue nationale. Les autorités fédérales ont mis le droit naturel, non écrit, des Rhéto-romans à la conservation et à l'encouragement de leur langue maternelle au-dessus du droit écrit. Elles ont travaillé par là, dans une
importante mesure, à la réalisation des désirs qui animent aujourd'hui nos confédérés romanches.

Avant de nous déterminer à l'égard de la requête du Petit conseil des Grisons, disons encore quelques mots sur l'histoire et sur l'originalité de la langue et de la culture romanches.

III.

ORIGINALITÉ ET IMPORTANCE DU ROMANCHE Le latin s'est transformé en France, sous l'influence des Gaulois, en français, et en Roumanie, sous l'influence des Daces, en roumain. Le romanche est le produit d'une évolution analogue; il est une variété du latin, portant le sceau de la population qui habitait la Rhétie avant la

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conquête de ce pays par les Romains: les Bhétiens. Une simple phrase comme celle-ci: Teidla tat, ins Iucca, ils zenns-baselgia per tschuncheismas (hör, Grossvater, man läutet die Glocken der Kirche für das Pfingstfest ; écoute, grand-père, on sonne les cloches de l'église pour la Pentecôte; senti, nonno, suonano le campane della chiesa per la pentecoste) montre mieux que de longs commentaires historiques l'originalité du romanche.

Aucune autre langue romane écrite ne connaît aujourd'hui le verbe tediar, écouter, ni les substantifs zenn, cloche, et tschuncheismas, Pentecôte; aucune autre langue romane écrite ne possède non plus le verbe tuccar dans le sens de sonner, ni le substantif tat dans le sens de grand-père; seul le roumain emploie encore, comme le romanche, le terme de basilica pour désigner n'importe quelle église. Phonétiquement, les diphtongues teidla et tschuncheismas rappellent des consonances analogues des patois de la Suisse occidentale; F« du pluriel, qui se prononce, dans zenn-s, tschuncheisma-s, trouve son équivalent en vieux français et en espagnol, tandis que la conservation de la voyelle finale -- ade baselgia ne se retrouve pas en France, mais bien en Italie et en Espagne.

L'étude comparative des langues romanes montre combien les dialectes rhéto-romans et les langues écrites correspondantes diffèrent, du point de vue du son, de la forme, de la phrase et du choix des mots, des langues écrites française et italienne. En revanche, il existe davantage de rapports entre le romanche des Grisons et les dialectes ladins des Dolomites, le tessinois du Sopra-Ceneri et les patois vaudois et valaisans. L'autonomie du romanche trouve son explication dans deux événements mémorables du début du moyen-âge: En 537, le pays de Coire, l'ancienne province autonome des Alpes, la « Raetia prima » des Romains, est cédée par l'empire italien des Goths à l'empire franc, et en 843 l'évêché de Coire est détaché de l'archevêché de Milan et rattaché à celui de Mayence. Depuis 1400 ans, la Rhétie est donc orientée politiquement vers le Nord, et elle reste, à travers tout le moyen-âge, étroitement liée à l'histoire politique et intellectuelle de la Suisse orientale et centrale et du Tyrol. Vers l'an 1000, la Rhétie était, à l'exception des vallées de Misox et de Poschiavo, une tene purement romanche :
Une partie des Grisons de langue allemande actuels (moyen et bas Prättigau, Schanfigg et bailliage) sont d'anciens Romanches qui adoptèrent entre le XIIIe et le XVIe siècle le dialecte alémanique. L'autre partie des Grisons de langue allemande, les « Walser », originaires du HautValais, s'établirent dans le courant des XIIIe et XIVe siècles dans quelques hautes vallées du pays, de sorte que les Grisons, qui étaient autrefois exclusivement « latins », devinrent un pays trilingue, tout comme l'ancienne Confédération des huit cantons, purement alémanique, se transforma, à cause de ses alliés et ses bailliages communs, en un Etat trilingue. Une lutte opiniâtre contre la noblesse étrangère au pays et la guerre d'indépendance, menée avec une rare énergie, contre l'Autriche et contre Milan, unirent étroitement Romanches et Grisons de langue allemande en trois ligues;

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dont les dirigeants furent assez souvent les Bomanches. Parmi les juges, ambassadeurs ou chefs d'armée qui sauvegardèrent avec énergie et prudence les intérêts de leur patrie, on trouve les Juvalta, les Tscharner de Domleschg, les Castelberg, Demont, Capaul, Vieli de Surselva; les Champell, Travers, Planta, Saluz, Stupaun de l'Engadine. Le vainqueur de la bataille de Calven, Benedict Fontana, était originaire de l'Oberhalbstein, Jürg Jenatsch de Samaden.

Une transformation profonde s'opère au XVIe siècle. Forts de l'indépendance acquise sur les champs de bataille et dans des négociations diplomatiques, les Romanches trouvèrent le courage d'employer leur idiome, jusqu'alors uniquement parlé, comme langue écrite, en lieu et place du latin et de l'allemand. En 1527, l'humaniste et homme d'Etat Gian Travers, qui sous plus d'un rapport rappelle son contemporain bernois Nicolas Manuel, retrace, dans un poème historique en romanche de la Haute-Engadine, la guerre de Musso. Vingt-trois ans plus tard, Giachen Bifrun, de Samaden, fait une traduction magistrale du Nouveau Testament. En 1562, Durich Champell traduit, en des vers pleins de force, les psaumes dans la langue de la Basse-Engadine. Au début du XVIIe siècle apparaît également la littérature de l'Oberland (Surselva et Sutselva), avec une importante traduction du Nouveau Testament et des ouvrages d'édification religieuse. Qu'il n'ait pas réussi à se former, au XVIe siècle, une langue romanche écrite, mais qu'il s'en soit créé deux, le romanche de l'Engadine et celui de Surselva, cela provient en dernière analyse de la scission religieuse. Il n'en reste pas moins, et c'est là l'essentiel, que depuis quatre cents ans le syndic s'adresse à ses administrés, le pasteur ou le curé à ses paroissiens, l'instituteur à ses élèves, le poète et le chantre à son peuple, dans la langue écrite. Au XIXe siècle se détachent entre autres personnalités, dans le Surselva, le naturaliste Placidus a Spescha, le poète épique Giachen Chasper Muoth, les conteurs Giachen Michel Nay et Gian Fontana, les poètes lyriques Gion Antoni Huonder, Alfons Tuor et P. Maurus Carnot; dans l'Engadine, Simon Caratsch, si profondément attaché à sa terre natale, Gian Fadri Caderas et Peider Lansel, le plus conscient de son art.

Mais la seconde moitié du XIXe siècle, qui voit les Grisons
ouvrir toutes grandes leurs portes au tourisme et à l'industrie hôtelière, accroît en même temps le danger qui menace le peuple romanche, dont la position jadis dominante en Rhétie a déjà subi un très sensible dommage par suite de la réunion du pays à la Confédération, en 1803. En 1900, malgré la forte immigration qui s'est produite à Coire, Davos, Arosa, Thusis et St-Moritz, la population romanche représente encore le tiers de la population des Grisons. Maintenant, elle ne constitue plus, dans la Confédération, qu'un peu plus d'un pour cent de la population du pays. Devant l'immigration croissante des éléments d'autres langues qui menace gravement les traditions séculaires, la langue et la culture indigènes, l'architecture Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

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18 locale, ainsi que les us et coutumes des villages, les Romanches reprennent conscience d'eux-mêmes, sous la conduite d'hommes éclairés. Et c'est avec un profond saisissement que les confédérés d'autres langues assistent à cette lutte que jeunes et vieux mènent avec des armes excellentes pour sauvegarder les particularités séculaires de leur vie propre, dans le cadre de la démocratie suisse. Les fils directeurs de ce mouvement de renaissance rhéto-romane convergent tous vers la « Lia Rumantscha >>, qui, sous la conduite vigilante de Giachen Conrad, travaille inlassablement à la conservation et au développement du romanche à l'école, dans l'enseignement religieux et dans les rapports entre habitants d'un même village. Des grammaires et des vocabulaires répondant aux besoins de la vie moderne ont déjà été confectionnés, afin de permettre un enseignement approfondi de la langue, et des éditions à bon marché ont mis les oeuvres des poètes et conteurs les plus importants à la portée de toutes les familles romanches.

Enfin, le canton des Grisons organise, à l'intention des instituteurs, des cours de vacances spéciaux destinés à faciliter la lourde tâche qui leur est dévolue de familiariser, dans les écoles trilingues, les élèves avec leur langue maternelle et de les initier en même temps à l'allemand.

La constitution du canton des Grisons de 1892/94 contient à l'article 46 la disposition suivante : « Les trois langues du canton sont garanties comme langues du canton. » La même disposition se trouvait déjà dans la constitution du 23 mai 1880, tandis que les constitutions cantonales de 1820 et 1854 ne parlaient pas des langues du pays. L'usage veut que les recès (Abschiede) du Grand conseil et les projets de lois soient régulièrement traduits et imprimés en romanche de l'Oberland. Les traductions ont un caractère officiel. Cependant, seul le texte allemand est discuté et adopté par le Grand conseil, de sorte qu'il a seul un caractère authentique. Les autorités cantonales prennent, sans autre, connaissance des lettres et requêtes qui leur sont adressées en romanche; mais, en règle générale, elles y répondent en allemand, à moins qu'il ne leur faille admettre que le destinataire ne sait pas cette langue. Il n'existe aucune prescription légale sur l'emploi du romanche dans le domaine judiciaire. Les
tribunaux des régions de langue romanche, ainsi que le tribunal cantonal et le juge d'instruction cantonal, acceptent les actes et lettres en romanche. Au tribunal cantonal, les arrêts sur appel, dans les affaires romanches, sont traduits en allemand, et les frais mis à la charge des parties, ce qui, toutefois, sera modifié. En règle générale, les avocats plaident en allemand, même devant les tribunaux romanches, bien qu'ils aient la faculté d'y plaider en romanche.

Dans les écoles, l'enseignement est donné pendant les quatre premières années en romanche ; l'enseignement de l'allemand commence la cinquième année. Il est toutefois loisible aux autorités scolaires communales de faire commencer l'enseignement de l'allemand déjà en quatrième année. Force est malheureusement de constater que, pendant longtemps, l'école ellemême, dans les régions romanches, a lourdement péché contre la culture

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de la langue maternelle. Des efforts ont été faits, et avec succès, à la fin du siècle passé et au début de celui-ci, en vue d'extirper complètement le romanche de l'école. Le réveil qui s'est opéré chez les Bomanches dans les années 1911 à 1930 en faveur de leur langue maternelle a eu pour effet de replacer celle-ci dans ses droits à tous les degrés de l'enseignement, depuis l'école primaire jusqu'à l'école cantonale. Nous ne doutons pas que la reconnaissance fédérale du romanche ne donne une impulsion nouvelle à ces efforts appréciés. Nous le souhaitons même très vivement, car le soin de conserver et de renforcer la culture autochtone dans les vallées romanches, comme aussi dans les vallées italiennes des Grisons, n'incombe pas en première ligne à la Confédération, mais bien au canton, qui, comme elle, possède sur son territoire trois langues et cultures différentes.

IV.

REVISION DE L'ARTICLE 116 DE LA CONSTITUTION Etant établi que le romanche est une langue indépendante, ayant son caractère propre, il n'est pas difficile de tirer de cette constatation des conclusions logiques. Le fait que 44 000 Suisses seulement, soit à peine un pour cent de la population de notre pays, sont de langue romanche ne saurait nous empêcher d'accorder à celle-ci le droit qu'elle revendique d'être reconnue constitutionnellement. Pour nous, la seule chose décisive est qu'une fraction du peuple suisse a pour langue maternelle le romanche, qui est fortement enraciné dans une partie de notre sol. Qu'un petit peuple, dans les montagnes des Grisons, ait, pendant de longs siècles, trouvé l'énergie d'avoir son propre idiome, de le défendre victorieusement et même d'en faire une langue écrite et littéraire hautement développée, voilà qui force l'admiration. Il est conforme aux exigences de la défense spirituelle de notre pays de reconnaître juridiquement cette langue et d'en encourager la conservation. Le fait même qu'il s'agit d'une langue parlée par une petite fraction seulement de notre peuple nous paraît être le fondement d'une obligation spéciale pour le pays. Si d'autres Etats .

sont issus d'une communauté de langue et voient dans cette unité linguistique un des facteurs essentiels de leur force, nous concevons nous-mêmes la grandeur de l'Etat dans la réunion, la coexistence de toutes les langues qui sont enracinées dans notre sol et constituent le patrimoine linguistique de notre nation. La richesse de notre vie nationale a sa source dans la multiplicité des formes de nos valeurs spirituelles et dans le libre développement des différentes forces qui concourent chez nous à l'épanouissement de la vie de l'esprit. C'est pourquoi il est conforme à notre conception de l'Etat d'accorder au plus petit de nos groupes linguistiques la même liberté, 'e même droit qu'aux autres.

La réalité impose, il est vrai, certaines limites aux conséquences matérielles et juridiques d'une telle égalité de droits. Si nous voulions faire du

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romanche une langue officielle de la Confédération, comme les trois autres langues nationales, il en résulterait pour l'administration et les finances fédérales une charge hors de proportion avec le but envisagé. Une telle solution irait d'ailleurs au delà de ce que le canton des Grisons lui-même accorde à ses ressortissants de langue romanche. La reconnaissance du romanche comme langue officielle de la Confédération, avec toutes les conséquences qui en découleraient, sortirait également des limites de l'équité et de la nécessité. Il est, en effet, certain que tout Romanche sait aussi une autre langue nationale et peut, par conséquent, correspondre avec les autorités fédérales. Cela est vrai surtout des hommes qui sont appelés à représenter le peuple romanche dans les autorités. Il y a quelque chose de grand et d'admirable dans le fait que les populations rhéto-romanes ont compris la nécessité de conserver sur leur propre terre, ainsi qu'à l'étranger, leur langue maternelle originale et de maintenir cependant un contact vivant avec les langues d'importance mondiale. Il serait, par conséquent, inutile et déraisonnable de vouloir comprendre le romanche dans les langues officielles de la Confédération.

Du reste, les Romanches eux-mêmes, comme le Grand et le Petit conseil des Grisons, sont pleinement conscients des réalités; et le voeu qu'ils ont exprimé est empreint de mesure. Le Petit conseil lui-même indique expressément, dans sa requête, à quels inconvénients l'on aboutirait en conférant au romanche la qualité de langue officielle de la Confédération. Il se borne donc à demander la reconnaissance du rhéto-roman comme langue nationale, tandis que la liste des langues officielles restera expressément limitée à l'allemand, au français et à l'italien.

Cette requête soulève toutefois une première question qui demande à être examinée de très près si l'on veut éviter des frottements pour plus tard. Jusqu'ici, notre droit fédéral ne connaissait, en matière de langues, qu'une seule notion, celle des langues nationales, qui s'appliquait sans autre à toutes les langues reconnues. A côté de motifs plus profonds et plus puissants, cette règle fut une des raisons pour lesquelles, depuis la création de notre Etat fédératif, l'histoire n'a jamais enregistré de querelles de langues, ni même de divergences de vues
importantes dans l'interprétation de l'article 116 de la constitution. N'est-il pas à craindre qu'avec la distinction proposée entre langues nationales et langues officielles, des différends ne surgissent dans l'interprétation de ces deux concepts ?

Et un Etat comme le nôtre, dont le peuple parle des langues différentes, n'a-t-il pas, plus qu'un autre, la haute mission de prévenir d'emblée toute contestation possible au sujet des langues ? Pénétré de cette idée, le professeur Fleiner, dans un article de la Neue Zürcher Zeitung qui était joint à la requête du Petit conseil des Grisons (NZZ 1931, n<>s 589 et 590) déclare qu'il faut renoncer à modifier l'article 116 de la constitution et prendre plutôt un arrêté fédéral sur le développement et l'encouragement de la langue et de la culture romanches. On doit toutefois objecter à cette propo-

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sition que la manifestation du Grand conseil grison, qui est postérieure à l'article en question, et la requête du Petit conseil fondée sur cette manifestation, ne visent pas à l'adoption d'un arrêté fédéral, mais tendent expressément à ce que le romanche soit reconnu dans la constitution comme langue nationale. Le romanche ne pourrait pas être désigné comme langue nationale, ni comme une des langues principales de la Suisse, dans un arrêté fédéral, car un tel arrêté serait contraire à l'article 116 de la constitution. Et la différence de traitement dont se plaignent les Romanches ne serait pas supprimée pour autant, mais peut-être encore soulignée.

Les Grisons mettent aujourd'hui l'accent principal de leur requête, non pas sur un encouragement matériel, direct ou indirect, de leur langue, mais sur une reconnaissance idéale et aussi solennelle que possible de celle-ci. Avec l'ancien chef du département fédéral de justice et police, M. H. Häberlin, auquel notre département de l'intérieur a soumis l'affaire pour préavis, nous estimons par conséquent qu'un simple arrêté fédéral dans le sens indiqué par le professeur Meiner ne permettrait pas de satisfaire entièrement les voeux légitimes des Grisons de langue romanche.

Comme le dit M. Häberlin, « l'appel que l'assemblée de Bhäzüns a adressé à la Confédération tend à obtenir que le romanche soit mentionné dans la constitution fédérale parmi les langues suisses. Autrefois, l'usage de la langue romanche écrite était l'affaire des savants, ou tout au moins des classes cultivées. Aujourd'hui, nous devons cependant comprendre que nous sommes en présence, non pas d'une fantaisie de savants ou d'une simple tentative d'obtenir de l'argent ou encore d'une manifestation d'orgueil régional, mais bien d'une initiative populaire, émanant du peuple grison tout entier, qui, par la voie des autorités constituées, veut trouver audience auprès du peuple suisse ». Cet appel nous paraît avoir été entendu.

Rarement encore une demande de revision constitutionnelle a éveillé dans le peuple suisse et dans toutes les parties du pays un écho aussi direct et aussi chaleureux que celle des Romanches en faveur de la reconnaissance de leur langue. Notre peuple a senti toute la fraîcheur d'un mouvement qui se propose de protéger un bien spirituel infiniment précieux: le droit,
la liberté et l'existence d'une vaillante population aimant et honorant sa langue comme l'héritage sacré, d'une longue suite de générations.

En présence d'un mouvement aussi réjouissant de l'âme de notre peuple, ne serait-ce pas un péché que de nous laisser aller, en songeant à de possibles difficultés d'interprétation, à une crainte mesquine et de succomber à la tentation de disséquer d'avance de telles possibilités ?

Dans le deuxième chapitre du présent message, nous avons exposé que la constituante de 1848 avait adopté tout d'abord pour l'article 109 un texte plus précis et que, par la suite, la commission de rédaction prit sur elle de choisir une solution plus simple et plus élastique. La façon de procéder des rédacteurs de notre première constitution fédérale et les expériences faites depuis lors dans ce domaine nous autorisent à réaliser avec

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une tranquille confiance le voeu du gouvernement grison. Avec un peu de bonne volonté, il ne sera d'ailleurs pas difficile de trouver, dans la pratique, une interprétation saine et raisonnable du nouvel article constitutionnel. Cela sera même d'autant plus aisé que le gouvernement grison a fixé lui-même, dans sa requête, les limites de cette interprétation.

Nous nous sommes mis d'accord avec le Petit conseil des Grisons pour rédiger le nouvel article 116 de la façon suivante: « L'allemand, le français, l'italien et le romanche sont les langues nationales de la Suisse.

Sont déclarés langues officielles de la Confédération: l'allemand, le français et l'italien. » Selon, nous, le premier alinéa du nouvel article 116 est une simple constatation de l'état de choses existant. Le romanche est solennellement reconnu, sur pied d'égalité avec l'allemand, le français et l'italien, comme langue de la Suisse, comme langue particulière et indépendante, ayant son caractère propre et son droit à l'existence. Par langue nationale, nous entendons une des langues qui sont parlées et écrites par la nation suisse et sont reconnues comme telles par la constitution.

Au contraire, dans le second alinéa, le nombre des langues officielles est limité, comme jusqu'ici, à l'allemand, au français et à l'italien. Sur ce point, il n'est donc rien changé à l'ordre actuel, ni en fait, ni en droit.

Là où, dans les lois, ordonnances et règlements existants, il est parlé des langues nationales, les dispositions en cause devront dorénavant se rapporter à la nouvelle notion de langues officielles et, par suite, être interprétées et appliquées dans ce sens. En rédigeant ainsi notre second alinéa d'une façon analogue au texte de l'article 116 actuel et différente de la proposition primitive du gouvernement grison, nous donnons la préférence à un texte qui déclare, comme jusqu'ici, l'allemand, le français et l'italien langues officielles de la Confédération. Dans le projet grison, le second alinéa disait : « Les langues officielles sont l'allemand, le français et l'italien. » II nous semble préférable de régler, comme par le passé, la question des langues pour la Confédération seule, et de laisser au droit cantonal le soin de le faire, en tant que de besoin, sur le terrain cantonal.

Comme le romanche est déclaré langue nationale,
mais non pas langue officielle, la deuxième difficulté que soulevait la requête grisonne perd sensiblement de son importance. Cette difficulté réside en ceci que nous ne nous trouvons pas en présence d'une langue rhéto-romane unique, mais de différents dialectes et même de différentes langues écrites. La . diversité des idiomes romanches nous causerait effectivement un grand embarras s'il s'agissait de conférer à l'un d'eux les droits d'une langue officielle fédérale. Mais comme nous y renonçons, nous pouvons aussi nous dispenser d'examiner laquelle .des langues romanches écrites doit être prise en considération. La reconnaissance du romanche se rapporte

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à la langue romanche comme notion collective des différents idiomes rhéto-romans qui sont parlés et écrits dans le canton des Grisons. Si, comme il est arrivé plusieurs fois, des lois fédérales importantes doivent être traduites en romanche, nous déciderons dans chaque cas, d'entente avec le gouvernement grison, dans laquelle des langues écrites la traduction devra se faire. Enfin, si l'interprétation et l'application du nouvel article 116 devait se heurter ici ou là à de réelles difficultés, il resterait toujours la possibilité de se sortir d'affaire en légiférant.

V.

LES AUTRES REQUÊTES DU PETIT CONSEIL DES GRISONS Nous vous proposons donc de donner suite, dans le sens des explications qui précèdent, à la requête principale du Petit conseil des Grisons, tendante à la revision de l'article 116 de la constitution fédérale. Cette requête principale était accompagnée d'une série d'autres, que nous examinerons encore brièvement. Celles qui n'ont pas déjà été traitées se résument dans les trois points que voici: 1° La Confédération voudra bien admettre que certaines lois particulièrement importantes devront aussi être traduites en romanche et qu'il devra également être tenu compte de cette langue pour la nomenclature des lieux, les inscriptions, etc. Les principes à observer dans ce domaine doivent être l'objet d'une ordonnance spéciale.

2° Si, dans les affaires pendantes devant des autorités administratives ou judiciaires de la Confédération, il est produit des pièces en romanche qu'il soit nécessaire de traduire, les frais de traduction ne doivent pas être mis à la charge des parties.

3° La Confédération voudra bien continuer à voter les crédits nécessaires pour permettre d'imprimer les différents vocabulaires, ainsi que le glossaire rhéto-roman, au fur et à mesure de leur achèvement.

Elle continuera également à soutenir financièrement les efforts de la « Ligia Romontscha » en vue de la conservation et de l'encouragement de la langue romanche.

Juridiquement, ces requêtes ne peuvent pas être traitées en même temps que la revision constitutionnelle. La réalisation des désirs qu'elles expriment rentre, d'ailleurs, pour la plus grande part, dans le cadre de mesures administratives et sont de la compétence des autorités administratives ou de l'Assemblée fédérale. Quelques brèves observations vous indiqueront les mesures qui, selon nous, devront être prises.

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, certaines lois fédérales importantes ont déjà été traduites dans l'une des langues romanches écrites, avec l'appui financier de la Confédération. Nous estimons naturellement que la Confédération ne saurait, à l'avenir, rester en deçà de ce qu'elle a fait jusqu'ici.

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Sur une demande de notre département de l'intérieur du 7 novembre 1935, le Petit conseil des Grisons a, par une lettre du 3 janvier 1936, précisé sa manière de voir au sujet de la traduction des lois fédérales en romanche.

Nous citons cette réponse : « En ce qui concerne la traduction en romanche des lois importantes, comme la constitution fédérale, le code civil, etc., il ressort déjà de notre requête du 21 septembre 1935 que les Eomanches et le Petit conseil ne maintiennent pas la requête de 1877, qui demandait à la Confédération de faire traduire en romanche, à ses frais, toutes les lois fédérales soumises à la votation du peuple. Pour des raisons pratiques, c'està-dire financières, nous sommes d'accord que ces traductions soient, lors de la votation populaire ou plus tard, limitées aux lois fondamentales, comme nous l'avons déjà dit ci-dessus. Nous pensons surtout à la constitution fédérale et à ses modifications, mais aussi au code civil, au code des obligations, au futur code pénal, à la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite et aux autres lois analogues qui, dans le domaine du droit public, pénal ou privé, jouent un si grand rôle pour notre peuple tout entier. En ce qui concerne la constitution fédérale, le code civil, le droit des obligations et la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, il existe déjà des traductions en langue romanche; il s'agirait donc uniquement d'y apporter les modifications que ces lois ont subies. Par ailleurs, il n'est pas opportun de désigner définitivement les lois qu'il y a lieu de traduire, car nous ne savons pas dans quelle voie la législation fédérale s'engagera.

Si, par exemple, l'on devait édicter un jour un còde fédéral de procédure civile ou pénale, il remplirait peut-être les conditions requises pour être traduit en romanche. C'est pourquoi nous avons proposé de fixer dans une loi spéciale ou dans une ordonnance, qui pourrait être établie parallèlement au projet de revision constitutionnelle, les principes à observer pour la traduction des lois en romanche. » Nous estimons qu'il devrait être donné suite, en principe, à la requête du Petit conseil grison de traduire en langue romanche écrite les lois fédérales les plus importantes. Ces traductions devraient toutefois se limiter aux lois qui touchent étroitement à la vie juridique du
peuple et sont, de ce fait, la propriété spirituelle de la collectivité. Nous doutons, à ce propos, qu'un code de procédure civile ou pénale rentre dans cette catégorie. Nous pensons, d'autre part, que l'on ne devrait, en règle générale, faire traduire une loi en romanche qu'après sa promulgation, afin d'éviter des frais inutiles. Comme il est admis par tout le monde que le romanche ne doit pas être une langue officielle de la Confédération, les traductions romanches, bien que publiées officiellement, n'auront naturellement pas le caractère d'un texte original authentique. Cela répond d'ailleurs à la pratique suivie par le canton des Grisons pour sa propre législation.

En ce qui concerne les frais de traduction, nous estimons que la Confédération ne saurait les supporter seule, aussi longtemps du moins que sa situation financière ne se sera pas sensiblement améliorée; nous songeons

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à une solution selon laquelle la Confédération prendrait à sa charge, par exemple, les deux tiers de ces frais et le canton un tiers. En revanche, il serait à notre avis irrationnel ou, tout au moins, prématuré de fixer par une loi ou par une ordonnance les conditions à remplir pour qu'un texte législatif soit traduit en romanche. Il nous paraît préférable de laisser pour le moment à la pratique le soin de réaliser le voeu du gouvernement grison ; l'avenir dira s'il est nécessaire d'édicter une loi fédérale ou une ordonnance à ce sujet. Dans ce domaine, il vaut mieux ne pas s'emprisonner dans des prescriptions, afin de ne pas entraver le libre jeu de la vie et de ses besoins.

Cette observation s'applique également à la requête du gouvernement des Grisons relative à la nomenclature des lieux et aux inscriptions. Dans sa lettre du 3 janvier 1936, le Petit conseil déclare de nouveau qu'il attache une grande importance à ce qu'il soit donné aussi des noms romanches aux régions romanches et mixtes du canton des Grisons dans les registres fonciers, sur les cartes, dans les horaires des chemins de fer et dans ceux des services automobiles de l'administration des postes, ainsi que sur les affiches et tableaux de toute espèce; il fait la même demande pour les inscriptions des postes fédérales, des douanes et de l'administration militaire dans lesdites régions. Nous n'hésitons pas à approuver en principe cette exigence, et en reconnaissons la légitimité. Ce serait, en effet, un nonsens de reconnaître solennellement le romanche comme une de nos quatre langues nationales et, en même temps, de lui refuser le droit de désigner des noms de lieux. Mais ces désirs, bien que légitimes, ne peuvent pas être satisfaits d'un jour à l'autre. Il faut procéder avec.circonspection et graduellement, si l'on ne veut pas léser les intérêts grisons, généraux et particuliers.

Nous pensons notamment à ceux des centres de l'industrie hôtelière, dont les noms de lieux germanisés (non sans la complicité des premiers intéressés) sont aujourd'hui connus du monde entier et ont été adoptés par la littérature touristique internationale. Le remplacement des noms de lieux romanches par des noms germaniques ou germanisés fut, selon nous, moins la conséquence de mesures officielles -- artificielles ou malintentionnées -- que le résultat
d'un phénomène naturel de dépouillement progressif, en un temps où la force de résistance du romanche était temporairement paralysée. Nous nous déclarons prêts à remédier progressivement, en liaison avec les autorités grisonnes, aux fautes qui ont été commises en commun envers cette partie du patrimoine linguistique romanche que constituent les noms de lieux. Nous sommes dans les mêmes dispositions à l'égard des autres voeux du Petit conseil qui sont rappelés au chiffre 1 ci-dessus.

Le gouvernement grison désire, deuxièmement, que les documents en langue romanche qui sont envoyés à des autorités administratives ou judiciaires de la Confédération soient traduits sans frais pour les parties, en tant que leur traduction se révèle nécessaire. Dans son rapport de gestion pour l'année 1885, le Tribunal fédéral a déjà communiqué que les actes

26 déposés en langue romanche sont traduits à ses frais, s'ils sont importants pour le jugement de la cause (cf. Salis, Droit fédéral suisse, II, page 114, n° 348). Et cette pratique n'a jamais été modifiée, ainsi que nous nous en sommes assurés. En revanche, les arrêts du Tribunal fédéral sont communiqués aux parties romanches en allemand (parfois aussi en italien).

Les frais résultant pour le tribunal de la traduction de documents romanches sont, paraît-il, insignifiants. Nous nous proposons d'inviter les services administratifs de la Confédération à procéder dorénavant de la même manière que le Tribunal fédéral. Cette invitation n'aura pas, cependant, le caractère d'une décision définitive. Elle devra, au contraire, nous permettre de faire des expériences et de constater quelle charge financière elle entraînera pour les différentes administrations.

La troisième requête du Petit conseil des Grisons a trait à l'aide financière de la Confédération pour l'achèvement et l'impression des vocabulaires romanches et du glossaire rhéto-roman et à la subvention allouée à la « Ligia Romontscha ». Nous avons déjà dit plus haut pour quelles raisons les différentes subventions fédérales en faveur de l'encouragement de la langue et de la culture romanches ont dû être réduites de la même manière que les autres. Nous estimons cependant, avec le gouvernement grison, que la Confédération ne devrait pas refuser d'augmenter ses prestations, en tant qu'elles paraissent indispensables pour l'impression des vocabulaires et du glossaire et ne dépassent pas une certaine mesure.

La situation de la langue et de la culture romanches est tellement unique, les conditions dans lesquelles elles se trouvent sont si extraordinaires et les valeurs à protéger si précieuses que les programmes financiers doivent cesser ici d'exercer leurs effets. Nous sommes prêts, sous réserve de l'approbation des chambres fédérales, à inscrire au budget les montants nécessaires.

La charge supplémentaire qui en résultera pour nos finances ne sera pas très importante, et nous tenons pour impossibles des conséquences quelconques sur les autres articles du budget.

VI.

REVISION DE L'ARTICLE 107 DE LA CONSTITUTION Aux termes de l'article 107, 1er alinéa, de la constitution, « les membres et les suppléants du Tribunal fédéral sont nommés par l'Assemblée
fédérale, qui aura égard à ce que les trois langues nationales y soient représentées ».

Cette disposition doit être mise en harmonie avec le nouvel article 116.

En effet, d'après celui-ci, il n'y a plus trois langues nationales, mais quatre.

Après vous avoir proposé de reviser l'article 116, nous nous voyons obligés, pour prévenir toute erreur d'interprétation et pour remédier à une divergence qui saute aux yeux, de vous proposer, en même temps, une modification correspondante de l'article 107. On pourrait, théoriquement, procéder de deux façons différentes : ou bien étendre aux « quatre langues

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nationales » le droit d'être représentées dans le Tribunal fédéral, ou bien préciser que ce droit est reconnu aux « trois langues officielles de la Confédération. » II ressort de la requête du Petit conseil des Grisons que, « sous ce rapport, les Romanches ne demandent pour l'avenir rien de plus que jusqu'ici ».

Nous en concluons qu'il ne doit rien être changé juridiquement à la composition actuelle du Tribunal fédéral, et proposons, en conséquence, d'adapter la terminologie de l'article 107 à la nouvelle rédaction de l'article 116.

L'article 107, 1er alinéa, serait, de ce fait, rédigé ainsi qu'il suit: « Les membres et les suppléants du Tribunal fédéral sont nommés par l'Assemblée fédérale, qui aura égard à ce que les trois langues officielles de la Confédération y soient représentées. » Cette revision n'a pas un caractère matériel, mais seulement rédactionnel.

Elle est cependant nécessaire pour empêcher qu'à l'avenir deux dispositions de la constitution ne concordent pas entre elles. Du point de vue matériel, la nouvelle rédaction proposée est identique à la disposition actuelle. La prescription selon laquelle l'Assemblée fédérale doit, lors de l'élection des membres et des suppléants du Tribunal fédéral, avoir égard à ce que les trois langues nationales soient représentées, remonte à une proposition que M. Airoldi, député tessinois au Conseil des Etats, fit à l'occasion de la discussion de la revision de la constitution, dans la séance du Conseil des Etats du 19 février 1872. M. Airoldi demandait d'abord la création de trois sections au Tribunal fédéral; la première devait être composée de citoyens de la Suisse allemande, la seconde de citoyens de la Suisse romande et la troisième de citoyens de la Suisse italienne. Le Conseil fédéral s'opposa à cette proposition, sur quoi M. Airoldi la retira dans la séance du 21 février 1872 et la remplaça par une nouvelle, conçue en ces termes: « Le Tribunal fédéral sera composé de manière que les trois langues nationales soient représentées. » Le Conseil des Etats approuva cette nouvelle proposition. Le Conseil national la refusa, mais renonça à son opposition dans sa séance du 29 février, le Conseil des Etats ayant déclaré maintenir sa décision.

L'adjonction Airoldi concernant la représentation des trois langues nationales au Tribunal fédéral ne se
trouve plus dans le projet de revision de la constitution élaboré par le Conseil fédéral le 4 juillet 1873. Elle fut toutefois reprise tant par la commission du Conseil national que par celle du Conseil des Etats, et fut adoptée successivement par le Conseil des Etats le 22 décembre 1873 et par le Conseil national le 24 janvier 1874. Il ressort des délibérations et surtout des motifs exposés par M. Airoldi, que dans l'idée de celui-ci comme dans celle des deux conseils législatifs, l'expression de langue nationale avait le sens de langue officielle. On attachait de l'importance à ce que fussent représentées au Tribunal fédéral toutes les langues dans lesquelles un litige pouvait être porté devant lui. Or personne ne

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songe aujourd'hui à introduire le romanche comme langue de discussion au Tribunal fédéral. En tant, d'ailleurs, qu'il s'agit de cas de recours, cela n'aurait absolument aucun sens, car le tribunal cantonal des Grisons rend ses arrêts en allemand, même lorsqu'il s'agit de procès qui ont été jugés en première instance par les tribunaux romanches. Nous proposons donc d'en rester au statut actuel, et de mettre simplement la disposition de l'article 107, relative à la représentation des langues au Tribunal fédéral, en harmonie avec la nouvelle rédaction de l'article 116.

VII.

OBSERVATIONS FINALES La revision constitutionnelle proposée n'est pas en soi suffisante pour résoudre le problème de la conservation du romanche. Le maintien, le développement et la défense de ce vénérable patrimoine linguistique restent, après comme avant, et en première ligne, la noble tâche du peuple romanche et du canton des Grisons. Mais la mention de cette langue comme langue nationale suisse dans la constitution fédérale sera, pour les efforts des Romanches, un puissant soutien. Si le peuple suisse et les cantons confédérés donnent leur assentiment à la reconnaissance solennelle du romanche, ce dont nous ne doutons pas un instant, cette impressionnante manifestation montrera aux Romanches qu'ils ne sont pas seuls à protéger leur langue et leur culture millénaires. D'autre part, la lutte opiniâtre des Romanches pour leur langue maternelle rappellera à l'ensemble du peuple suisse qu'avant les biens matériels il y a les valeurs de l'esprit, et que nous avons le devoir de défendre, à côté et au-dessus du bien-être économique de notre pays, sa richesse spirituelle.

En vous soumettant le projet d'arrêté fédéral ci-après, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 1er juin 1937.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, MOTTA.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

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(Projet.)

Arrêté fédéral re visant

les articles 107 et 116 de la constitution fédérale (reconnaissance du romanche comme langue nationale).

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu la requête du Petit conseil du canton des Grisons du 21 septembre 1935 et le message du Conseil fédéral du 1er juin 1937, arrête, :

Article premier.

L'article 107 de la constitution fédérale est abrogé et remplacé par la disposition suivante: Art. 107. Les membres, et les suppléants du Tribunal fédéral sont nommés par l'Assemblée fédérale, qui aura égard à ce que les trois · langues officielles de la Confédération y soient représentées.

La loi détermine l'organisation du Tribunal fédéral et de ses sections, le nombre de ses membres et des suppléants, la durée de leurs fonctions et leur traitement.

Art. 2.

L'article 116 de la constitution fédérale est abrogé et remplacé par la disposition suivante: Art. 116. L'allemand, le français, l'italien et le romanche sont les langues nationales de la Suisse.

Sont déclarés langues officielles de la Confédération: l'allemand, le français et l'italien.

Art. 3.

Le présent arrêté sera soumis à la votation du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécuter.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la reconnaissance du romanche comme langue nationale. (Du 1er juin 1937.)

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1937

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02.06.1937

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