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FEUILLE FÉDÉRALE 89e année

Berne, le 15 septembre 1937

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Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.- J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant une revision partielle des dispositions constitutionnelles qui régissent l'ordre économique.

(Du 10 septembre 1937.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un rapport et des propositions tendant à une revision partielle de la constitution fédérale. Cette revision doit fournir une base constitutionnelle à la future législation en matière économique.

A. INTRODUCTION Pour justifier matériellement une modification des dispositions constitutionnelles d'ordre économique jusqu'ici en vigueur, il faut démontrer, d'une part, que le régime actuel contient des imperfections et, d'autre part, que les modifications proposées sont en mesure de faire disparaître ces imperfections.

En conséquence, si l'on veut démontrer la nécessité d'une nouvelle réglementation, il faut apporter d'abord la preuve des imperfections de l'ordre actuel et, de cette manière, on déterminera aussi dans quelle direction la modification devra s'orienter. Il ne faut pas perdre de vue cependant que toutes les perturbations de la vie économique et sociale ne sauraient être imputées aux imperfections des dispositions d'ordre économique. Les difficultés peuvent provenir d'influences auxquelles aucun ordre économique et aucun pays ne sont à même de résister. Elles peuvent également résulter d'une application imparfaite des dispositions en vigueur et, finalement, elles peuvent être la conséquence de l'imperfection inévitable de toute organisation humaine.

Toutefois, ces dernières années, on a pris l'habitude de rendre le « régime » responsable de toutes les perturbations et imperfections qui se manifestent Feuille fédérale. 89" année. Vol. II.

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dans la vie économique. En raisonnant ainsi, on perd de vue que les principes de l'organisation économique actuelle étaient appliqués déjà avant la guerre et qu'il n'en est résulté ni crise, ni chômage, ni tension sociale pouvant, même de loin, être comparés à ceux d'aujourd'hui. Bien au contraire, un rapide progrès technique allait de pair avec une forte augmentation de bien-être, avec un progrès social également rapide et une stabilité relativement grande des bases économiques, de sorte que les oscillations du mouvement des affaires diminuaient d'amplitude.

Avant de prendre les perturbations actuelles comme point de départ d'un changement de l'ordre économique, il faudra déterminer lesquelles découlent de difficultés d'adaptation à des influences extérieures ayant un caractère accidentel ou passager et lesquelles sont le résultat d'imperfections proprement dites de l'organisation économique.

a. Perturbations ayant un caractère accidentel ou passager.

Relevons, en première ligne, que la guerre et la tension politique de l'après-guerre ont contribué dans une forte mesure à créer les difficultés actuelles et qu'elles contribueront aussi en partie à les maintenir sans qu'on puisse en rendre responsable l'ordre économique actuel.

Tout à fait indépendamment de la destruction des vies humaines et des capitaux, des changements survenus dans la répartition géographique des forces productrices et des débouchés et indépendamment de l'obération durable des finances, la guerre a imposé deux transformations immenses de la vie économique, soit l'adaptation de l'économie de paix à l'économie de guerre et la réadaptation de l'économie de guerre à l'économie de paix.

Ces deux transformations ont soulevé chaque fois des problèmes d'organisation de très grande envergure et qui constituent pour tout ordre économique une des plus rudes épreuves. On sait que les Etats ont donné ensuite une nouvelle orientation à leur politique en renforçant le nationalisme, ce qui a eu une forte répercussion sur l'économie. Sous cette influence, la production orientée jusqu'ici vers le marché mondial s'est réadaptée sur une grande échelle, afin de pouvoir travailler pour le marché intérieur. En conséquence, non seulement des capitaux considérables ont subi une dépréciation prématurée, mais le développement de la production à
destination du marché intérieur a nécessité de nouveaux placements importants. En outre, cette réadaptation n'a pu être réalisée qu'à l'aide d'un réseau complique d'interventions de l'Etat qui ont été, pour toute l'économie mondiale, un nouvel élément d'instabilité.

Ces perturbations consécutives à la guerre déterminèrent une instabilité continuelle des changes, que certains pays ne purent enrayer qu'à titre provisoire par une stabilisation légale. Toutefois, les conditions nécessaires pour une stabilisation définitive de tous les changes importants du marché mondial faisaient défaut, car les grandes différences des frais de production

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dans les divers pays, les engagements financiers, les fluctuations du capital spéculateur et les restrictions des échanges internationaux de marchandises pouvaient trop facilement déséquilibrer la balance des paiements.

Il faut attribuer une tout aussi grande importance à la résorption de l'inflation de guerre, qui s'est manifestée sous la forme d'une baisse continuelle des prix. Celle-ci entraîna une augmentation toujours croissante des dettes privées et publiques et une baisse des prix de production plus rapide que la baisse des salaires et des traitements. Il en résulta un renchérissement relatif du facteur de production travail par rapport au facteur de production capital. Ce renchérissement poussa le développement technique principalement vers la mécanisation et donna naissance à ce qu'on appelle le « chômage technologique ». Pendant la crise, s'y ajouta encore la diminution croissante de la marge de bénéfice des entrepreneurs. En même temps, la liquidité de l'argent et le taux relativement bas de l'intérêt encouragèrent la concurrence, de sorte que, partout, les différentes branches d'activité furent encombrées.

Cette tendance s'est encore aggravée en raison d'un fâcheux développement du crédit sur le marché international. La guerre et les traités de paix ont déclanché des mouvements de capitaux et d'intérêts qui étaient contraires à la marche normale de l'économie. Les capitaux à long terme faisant défaut, on les a remplacés en développant le crédit à court terme de nature inflationniste. Ne disposant pas de capitaux à long terme pour des placements à l'étranger, on eut recours à des crédits à court terme qui n'avaient pas de base solide, et les capitaux manquants furent remplacés par des crédits bancaires qui ne purent être liquidés quand vint la crise. Même en temps d'évolution économique plus régulière, cette structure artificielle du crédit aurait créé tôt ou tard de grosses difficultés.

Ces difficultés d'adaptation étaient accompagnées de grands changements dans la structure de l'économie. Même s'il est improbable que, dans son ensemble, le progrès technique d'après-guerre ait été plus rapide que celui d'avant-guerre, les transformations opérées dans certaines branches ont néanmoins augmenté l'instabilité. Nous avons déjà vu que le développement de la mécanisation a été la conséquence
du renchérissement du travail en tant que facteur de production. Il faut y ajouter l'augmentation de la production de denrées alimentaires et de matières premières agricoles d'outre-mer, qui doit être attribuée, en partie, à l'hypertrophie de guerre, en partie, à l'introduction du machinisme dans l'agriculture et, en partie, aux mesures artificielles de soutien des prix. D'autre part, la demande baissa en raison des tendances autarciques qui se manifestent en Europe, de sorte qu'il se produisit une chute des prix, entraînant une diminution de la production industrielle.

Les conditions de transport, modifiées par le développement immense de l'automobile, constituent un autre foyer d'instabilité. De même que les

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premières crises du 19e siècle étaient la conséquence du développement, par bonds, des chemins de fer, les crises d'après-guerre ont aussi été de toute évidence aggravées par le progrès subit de l'automobile, qui a entraîné un bouleversement fondamental des conditions de concurrence locale dans l'économie et partant un regroupement des forces productrices et de la puissance d'achat.

Enfin, il faut ajouter les perturbations dans la demande, qui est devenue très variable, car l'élévation générale du niveau de vie a augmenté la consommation des objets qui ne sont pas de première nécessité et dont la demande est sujette à plus de variation. En conséquence, l'appareil de production doit faire preuve d'une plus grande capacité d'adaptation et les capitaux sont exposés à des risques plus grands qu'avant la guerre.

Une grande partie des difficultés et perturbations des dernières années ne se présentent donc qu'une seule fois et elles disparaîtront avec leurs causes. Il en est ainsi notamment des conséquences proprement dites de la guerre. La même observation s'applique aux baisses des prix de l'aprèsguerre, qui, par suite de la dévaluation, seront très probablement suivies d'une période de hausse, si des influences contraires n'interviennent pas.

En conséquence, de nombreux problèmes prendront vraisemblablement un aspect tout différent; la charge des dettes, le développement du machinisme et l'aggravation de la concurrence dans les classes moyennes s'atténueront.

En revanche, on ne peut malheureusement s'attendre à un prochain fléchissement de l'esprit nationaliste et protectionniste ou de la tendance à placer l'économie sous le contrôle de l'Etat, de sorte que même la Suisse doit modifier dans une certaine mesure son point de vue à cet égard. Le fait que l'étranger manifeste maintenant avec vigueur une volonté collective oblige aussi notre pays à concentrer ses forces s'il veut conserver sa place sur le marché mondial.

b. Imperfections de l'ordre économique actuel.

Si l'on élimine des difficultés auxquelles l'économie suisse doit aujourd'hui faire face celles qui sont la conséquence des influences sus-indiquées -- influences qui se manifestent chacune une fois seulement et qui proviennent surtout de l'extérieur -- on constate indiscutablement que le « désordre » pouvant être imputé aux dispositions
d'ordre économique actuellement en vigueur est très inférieur à ce qu'on prétend de divers côtés. On arrive à cette conclusion notamment si l'on considère que tout autre ordre économique accuse également un certain nombre d'imperfections. En conséquence, si l'on veut porter un jugement équitable, il faut non pas comparer l'ordre économique en vigueur avec un ordre idéal, mais prendre pour point de comparaison un autre ordre, qui soit applicable et effectivement appliqué.

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D'autre part, une série de difficultés économiques et sociales découlent certainement du régime en vigueur ou de son application. Ces difficultés pourraient en conséquence être, sinon aplanies, tout au moins atténuées par des modifications apportées à l'organisation. Afin de les rendre compréhensibles, il faut exposer les principes fondamentaux de l'organisation économique en vigueur et les conditions de leur application.

L'ordre économique actuel, appelé libéral, repose sur le principe de la liberté économique ou de la libre concurrence, c'est-à-dire que l'économie est gérée d'après le principe de la responsabilité individuelle, fondé sur la liberté des contrats. En introduisant ce principe, on escomptait les avantages suivants: 1° Une sélection objective des hommes les plus capables et des méthodes les meilleures par l'émulation et le jeu de la concurrence au service du consommateur; 2° Une augmentation du rendement par le développement de l'initiative et des forces créatrices de l'individu; 3° Un contrôle réciproque et automatique des producteurs empêchant les plus forts d'acquérir une suprématie ayant un caractère de monopole; 4° Une adaptation élastique aux variations de la demande à l'aide de la libre formation des prix.

Ces avantages ont été réalisés en partie au delà de toute attente. Toutefois, quelques-uns d'entre eux ont disparu avec le temps ou ont eu des conséquences imprévues, car leur réalisation dépendait de certaines conditions qui se sont modifiées considérablement au cours des années. Aussi faut-il soumettre à un examen les divers points indiqués ci-dessus.

En principe, nul ne conteste que la liberté économique ait abouti dans ses grandes lignes à une sélection objective des personnes les plus capables dans le domaine économique, à l'application des méthodes les plus rationnelles et, en conséquence, à une augmentation massive de richesses, ainsi qu'à une élévation du niveau général de la vie. Il n'y a pas non plus d'opposition entre le principe de gain, qui repose sur la libre concurrence, et l'intérêt général. Plus l'économie privée favorise l'épanouissement de la capacité personnelle, plus les besoins économiques de l'Etat et la bienfaisance privée ont de biens à leur disposition.

Toutefois, l'économie se meut dans un milieu social, et non en vase clos, de sorte que le
principe de gain et d'énergie ne saurait être appliqué d'une manière absolue. Il doit, bien au contraire, s'accorder avec le maintien de l'équilibre social, la défense des intérêts nationaux et les autres normes éthiques en général. Lorsque, jadis, le libéralisme supplanta un ordre désuet, il n'en résulta aucun préjudice pour ces intérêts extra-économiques, car les liens éthiques, religieux et nationaux étaient assez forts pour empêcher

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que le principe de gain et d'énergie ne s'affirmât au détriment d'autres , influences extra-économiques. Toutefois, depuis lors, les liens éthiques, qui se manifestent sous la forme de la morale en général et de la morale commerciale en particulier, se sont relâchés. De même les relations nationales des êtres humains sont devenues en général moins étroites et, sous l'influence du développement des communications et des nouveaux courants d'idées, ont perdu en partie leur rigidité. En même temps, les conditions sociales ont pris un caractère moins personnel, alors que l'influence constructive et protectrice de la famille a diminué.

En conséquence, l'influence régulatrice des liens- moraux s'est affirmée moins fortement et les règles du libre jeu de la concurrence ont été négligées.

La concurrence féconde au service du consommateur a été remplacée en partie par une lutte utilisant des moyens de combat indésirables au point de vue économique. Comme tels on peut citer le fait de tromper le public, de propager des affirmations inexactes, de tourner les prescriptions légales, de contracter des emprunts à la légère, de payer des salaires au-dessous de la limite normale et de se servir de moyens de pression ayant un caractère de monopole. Dans certains cas, des moyens, légitimes en eux-mêmes, ont été appliqués avec si peu de mesure qu'ils ont forcément provoqué des perturbations dans l'ensemble de l'économie.

Toutefois, nous savons par expérience qu'une lutte sans règles, au cours de laquelle on se sert de tous les moyens, sans prendre en considération leurs répercussions sur la vie sociale, ne peut durer à la longue sans ruiner toute la communauté économique. L'Etat a donc le devoir de veiller à ce que soient respectés les engagements et règles de combat qui naguère étaient garantis dans une forte mesure par les moeurs et le sentiment de IM communauté nationale.

Ce but ne peut cependant être atteint qu'en partie au moyen de prescriptions légales, parce que, comme on l'a constaté, la contrainte extérieure peut souvent être tournée et que la matière est très complexe. Les associations professionnelles pourront apporter ici une contribution utile, en s'employant à résoudre le problème, en partie, au moyen de décisions qu'elles prendront elles-mêmes et, en partie, par un travail d'éducation continuel. De
plus, nous nous trouvons ici en présence d'un problème non seulement législatif, mais aussi politique, et, à cet égard, il est de première importance que les idéaux nationaux et moraux soient maintenus et renouvelés.

En dehors de la sélection par la concurrence féconde et de l'augmentation du rendement qui en résulte, l'ordre économique actuel a, de tout temps, justifié son existence en invoquant le fait que la concurrence empêche la création de monopoles, c'est-à-dire la suprématie de certains groupements.

Aussi disait-on que la liberté de l'économie privée était une forme d'organisation qui assurait le règne du consommateur et l'impuissance du producteur.

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Toutefois, la libre concurrence ne peut entraver la création de monopoles qu'à la condition: 1° qu'il n'existe qu'un nombre relativement considérable de petites entreprises ; 2° que la protection de l'Etat ne supprime pas complètement la concurrence étrangère; 3° que les intéressés puissent,garder une vue d'ensemble du marché.

Aujourd'hui, ces conditions ne sont plus remplies que dans une mesure très limitée. Au lieu d'un grand nombre de petites exploitations, il s'est créé dans différentes branches d'activité un petit nombre de grandes entreprises qui exercent une influence relativement considérable sur le marché et se font plus ou moins contrepoids. De ce fait augmente, en cas de course à la baisse, le danger d'un bouleversement continuel du marché sans qu'on puisse en attendre un assainissement. Ainsi, on éprouve le besoin de s'entendre tacitement ou expressément en vue de maintenir et de stabiliser les prix, ce qui affaiblit le contrôle réciproque et l'obligation de faire bénéficier les consommateurs des améliorations de la production.

Cette tendance a été aggravée par l'augmentation des droits d'entrée et des restrictions à l'importation, qui empêchent la concurrence étrangère d'exercer un contrôle efficace et permettent aux producteurs protégés d'éliminer dans une large mesure le contrôle réciproque en contractant des accords ayant le caractère de cartels.

L'intervention croissante de tels groupements a transformé le mécanisme actuel de l'équilibre entre l'offre et la demande, qui est fonction de la formation des prix. Dans certaines branches, l'élasticité des prix, des salaires et des taux d'intérêt, qui doit permettre de régler l'offre et la demande, a fait place à une rigidité qui a provoqué une forte oscillation de l'offre et de la demande, ainsi qu'une grande irrégularité dans l'occupation des entreprises. On a aussi le sentiment que ces changements sont partiellement en relation avec l'accumulation des matières premières invendables, le chômage de longue durée et l'occupation insuffisante des entreprises.

Cependant, cette évolution est également en liaison avec les tentatives légitimes de coordination qui seront examinées ultérieurement.

Quelle que soit l'appréciation qu'on porte sur cette évolution, il appartient en tout cas à l'Etat d'empêcher que certains groupes ne s'emparent
de la suprématie dans la mesure où le contrôle automatique recule, surtout lorsqu'il s'agit de branches qui ont une importance déterminante pour l'ensemble de la vie économique. Les normes qui doivent régir de telles interventions ne peuvent cependant prendre forme qu'au cours des années. Il faut en tout cas éviter que le progrès légitime ne soit entravé et qu'il ne se forme un monopole d'incapables qui pourrait avoir, pour l'ensemble, des conséquences encore pires que le monopole des capables.

Considérées dans leur ensemble, les méthodes de l'ordre économique existant ont fonctionné d'une manière satisfaisante, car il ne faut pas perdre

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de vue qu'avant la guerre on a pu réaliser une collaboration presque toujours souple sur le plan de l'économie mondiale. Tant que ces méthodes n'ont pas été troublées par des interventions de l'Etat, en particulier des droits protecteurs, ou par d'autres influences, telles que la guerre, elles ont régulièrement et dans une mesure toujours plus forte donné satisfaction aux besoins d'une population qui ne cessait d'augmenter, et cela sans provoquer ni chômage de longue durée ni crise grave. Toujours est-il que les efforts tentés jusqu'ici en vue de régler le fonctionnement de l'économie par un organisme central n'ont pas permis d'obtenir une plus grande capacité d'adaptation aux variations de la demande.

Toutefois, cette organisation décentralisée ne peut fonctionner sans heurts que si les bases de l'économie demeurent plus ou moins stables et si les intéressés peuvent garder, au moins partiellement, une vue d'ensemble sur le marché.

Or, dans les dernières années, ces conditions n'étaient en grande partie plus remplies. Tout d'abord, la guerre et les tendances nationalistes avaient considérablement changé les possibilités d'écoulement des marchandises.

Mais, avant tout, la base la plus importante de l'activité individuelle, c'est-à-dire la monnaie, a subi, à l'intérieur comme à l'extérieur, de très grandes perturbations. En temps de variations de change à l'étranger, de hausses ou de baisses générales et subites des prix, l'adaptation individuelle au marché ne peut pas fonctionner régulièrement, car l'échelle des valeurs se modifie et l'équilibre des frais est dérangé. L'Etat doit exercer une surveillance générale, afin d'empêcher que l'économie ne subisse un préjudice et de faciliter les adaptations individuelles.

L'activité économique de l'Etat, notamment sa politique en matière de commandes, de finances et d'impôts, exerce également une influence importante sur le processus économique. TJEtat a la, faculté d'agir dans certaines limites sur l'expansivité de l'économie privée, car il n'est pas lié aussi étroitement par des considérations de profit.

Finalement, on assiste depuis quelques décennies à une complication croissante de l'organisation et du processus économique. Cette évolution menace de provoquer des difficultés toujours plus grandes si les tâches ne sont pas concentrées et coordonnées
d'une manière appropriée. Les éléments d'une telle concentration se présentent sous divers aspects, tels que la formation de grandes entreprises et de consortiums, de groupes à caractère coopératif, de cartels, de syndicats et d'autres associations économiques.

Toutes ces créations contiennent des éléments de coopération légitimes en principe. On dira peut-être qu'il y a là une forme supérieure de direction de l'économie en gestation et que cette direction n'a donc plus besoin d'être créée, mais qu'il suffit de la développer. Toutefois, la législation et la politique économique n'ont pas encore tiré les conséquences de cette nouvelle situation. Elles se demandaient, selon le cas, si elles devaient

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combattre ou soutenir ces nouvelles formes d'organisation. Le moment est donc venu d'intégrer celles-ci sciemment dans l'ordre économique, afin qu'elles remplissent leur tâche et qu'on puisse en même temps surveiller leur tendance monopolisante.

Il ressort de ce qui a été dit que, dans le domaine de la réglementation économique, l'Etat est chargé aujourd'hui d'une série de tâches qui se sont posées depuis l'introduction de la liberté économique et qui doivent être accomplies, si l'on veut éviter de plus grandes perturbations. Ainsi s'est posé en même temps un important problème politique qui a deux aspects : la pénétration de l'économie par la politique et celle de la politique par l'économie. Depuis que l'Etat a acquis une plus grande influence sur le développement de l'économie, il est devenu de plus en plus important pour les groupes économiques de pouvoir agir sur la formation de la volonté de l'Etat, ce qui a donné une forte impulsion à la création des associations.

Cette intervention de la politique se manifeste soit dans des solutions politiques de problèmes économiques, soit dans une dissociation de la compétence et de la responsabilité: les autorités politiques prennent des décisions en matière économique, et c'est l'économie privée qui en subit les conséquences.

La pénétration de la politique par l'économie a été la conséquence forcée de la pénétration de l'économie par la politique, car, en cherchant à agir sur la volonté de l'Etat, les divers partis devaient de plus en plus s'orienter d'après des critères économiques, tandis que les idées politiques perdaient de leur efficacité en tant qu'éléments constitutifs des partis.

Il en résulta un éparpillement de ces derniers.

En résumé, on peut constater que, pour donner un ordre nouveau à l'économie en vue de faire disparaître les imperfections existantes, il n'est pas nécessaire de modifier la base de l'ordre économique actuel. Il suffit, d'une part, de rétablir le principe fondamental primitif de l'ordre économique libéral et démocratique, qui a subi un certain affaiblissement sous l'influence des nouvelles conditions et, d'autre part, de reconnaître que la vie économique continue à évoluer, sans qu'il soit nécessaire de renoncer au principe de la responsabilité qui est à la base de l'ordre actuellement en vigueur. Dans les limites de
ses possibilités, l'Etat doit surveiller la réglementation autonome de l'économie et, s'il le faut, en rétablir le fonctionnement. A cet égard, il ne devrait jamais perdre de vue qu'aucun pays ne peut pratiquer une politique complètement autonome, mais que tous demeurent solidaires de l'économie et de la politique mondiale et que les mesures prises par les pouvoirs publics ne peuvent donner un résultat que si elles tiennent compte des lois naturelles de l'économie.

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B. LE PROGRAMME ÉCONOMIQUE I. L'institution de la commission consultative pour la législation économique.

Nous avons été requis à plusieurs reprises et par différents milieux, pendant les années de crise, de présenter un programme économique.

On nous a reproché d'avoir proposé ou d'avoir pris des mesures qui manquaient de cohésion, parce que nous n'avions pas un tel programme.

Remarquons à ce sujet que la Confédération a pris une série de mesures qui, loin d'être improvisées, ont été mûrement pesées et sont reliées entre elles par un lien logique; ces mesures devaient en fin de compte permettre à l'économie suisse de traverser la crise en subissant le moindre dommage possible. La situation en perpétuel changement appelait presque chaque jour de nouvelles décisions et de nouvelles mesures; son développement ne pouvait se déterminer d'avance d'après un procédé schématique ou une doctrine rigide. L'Etat s'est trouvé pendant la crise dans la nécessité d'agir sous l'empire des besoins et des exigences du moment; impossible, donc, de se plier à un programme dressé de toutes pièces a jrriori, qui eût été souvent culbuté par les événements.

L'aspiration à un programme économique a trouvé son expression dans plusieurs postulats et motions. Le 3 avril 1935, M. Walter-Olten a développé devant le Conseil national la motion suivante: « Le Conseil fédéral est invité à examiner quels ont été jusqu'ici les effets des mesures de crise et, en combinant ces dernières avec de nouvelles mesures, à dresser un plan général de défense contre la crise.

Ce plan doit viser à accorder des secours efficaces, dans la limite des ressources disponibles, à ceux qui en ont vraiment besoin et à concentrer les forces que représentent les organismes d'entr'aide des syndicats et des corporations. » Le 7 janvier 1936, M. Wuthrich a déposé sur le bureau du Conseil national un postulat invitant le Conseil fédéral à « déposer avant l'ouverture de la session de printemps 1936 un programme général de reconstruction économique, s'appliquant en particulier à l'exportation et au tourisme ».

Le 31 janvier 1936, M. Musy a développé devant le Conseil national le postulat suivant: « Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'est pas urgent de présenter un programme général de redressement national, comportant solutions coordonnées des problèmes économiques et financiers. » Ce postulat fut accepté par le représentant du Conseil fédéral et, le 22 septembre 1936, c'est-à-dire peu de jours avant la dévaluation monétaire, il fut adopté par le Conseil national.

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L'ajustement de notre monnaie a créé une situation nouvelle, qui appelait une orientation nouvelle de la politique économique et financière du pays.

Dès lors disparaissait la pression qui s'exerçait sur l'économie suisse; il en résultait une certaine clarification qui permettait d'envisager, par delà les embarras immédiats de la crise, le but plus lointain d'une réforme durable de notre économie. Mais dès lors aussi s'atténuait la rigueur des conceptions antagonistes sur la voie à suivre pour combattre la crise.

Le terrain devenait donc propice à une entente. La dévaluation monétaire était bien, en effet, de nature à montrer à des milieux étendus de la population l'interdépendance de toutes les branches économiques et de tous les groupes professionnels; elle ne pouvait manquer de faire comprendre qu'il fallait absolument aboutir à un accord sur les fins essentielles de la politique économique et à une action commune pour acheminer notre économie vers une ère de prospérité.

C'étaient là des conditions qui permettaient à un collège d'experts de faire oeuvre fructueuse. Aussi le département de l'économie publique, d'entente avec le Conseil fédéral, arrêta-t-il, le 21 octobre 1936, l'institution d'une commission consultative pour la législation économique. Voici les principales questions qui étaient soumises à l'examen de cet organisme : a. Quelles sont les mesurés appropriées qu'il est possible de prendre, après la dévaluation monétaire, pour sortir notre économie de l'état de stagnation et d'improductivité dans lequel elle se trouve depuis des années ?

b. Quels sont les écueils à éviter pour sortir de la crise et par quels moyens peut-on y arriver ?

c. Est-il déjà possible -- et jusqu'à quel point -- de porter un jugement sur l'évolution future de notre économie, et comment doit être dressé un programme.traçant la direction à donner à cette évolution?

d. Quels modifications et compléments devront être apportés à la constitution, aux lois et aux ordonnances fédérales touchant la politique économique ?

La commission se mit immédiatement à l'ouvrage. Quatre sous-commissions furent constituées pour procéder aux études ultérieures, savoir: 1° Une sous-commission pour la 'politique économique extérieure (politique commerciale, encouragement à l'exportation et tourisme), présidée par le ministre
Stucki; 2° Une sous-commission pour la politique économique intérieure, présidée par M. Renggli, directeur de l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail; 3° Une sous-commission pour l'étude des questions que posent le marché de l'argent et des capitaux, ainsi que l'adaptation de la politique financière des collectivités publiques aux besoins de l'économie; le

8411 ,professeur Bachmann, président de la direction générale de la banque nationale suisse, fut appelé à la présider; 4° Une sous-commission de politique juridique, dont le chef du département de l'économie publique assuma lui-même la présidence et qui avait pour tâche de tracer la voie à suivre pour faire passer dans la législation les propositions des Ire, IIe et IIIe sous-commissions.

Ces sous-commissions ont été composées de telle sorte que les points de vue de l'économiste, du financier, de l'homme politique, de l'employé et de l'employeur pussent tous s'y faire valoir. Leur tâche tendait, en somme, à concilier sur une ligne médiane les diverses opinions émises sur les moyens de surmonter la crise et d'assurer l'aménagement futur de l'économie suisse. Leurs délibérations ont été empreintes d'un heureux esprit'de compréhension mutuelle. L'entente a pu se faire sur une série de questions importantes, et dans aucun domaine ne sont apparues des divergences irréductibles. Où les opinions divergeaient, il s'agissait plutôt de questions d'application plus ou moins étendue et plus ou moins rapide que de divergences fondamentales. Il est à remarquer notamment que personne n'a réclamé le retour à la liberté économique intégrale et que personne non plus n'a demandé l'instauration de l'économie dirigée ou du régime corporatif.

Ces sous-commissions ont consigné les résultats de leurs délibérations dans quatre rapports, qui ont été eux-mêmes discutés par la commission plénière, puis réunis en un rapport conclusif circonstancié, présenté au département de l'économie publique. Ce rapport est reproduit en appendice au présent message. Nous nous permettons d'y renvoyer. Que toutes les personnes qui ont collaboré à ce précieux travail d'orientation veuillent bien recevoir ici encore l'expression de notre profonde gratitude.

II. Notre attitude à l'égard des propositions de la commission consultative.

La commission consultative pour la législation économique, selon la tâche qui lui fut assignée, a englobé dans le champ de ses délibérations tout le domaine de la politique économique intérieure et extérieure; elle s'est aussi occupée de certains problèmes connexes de politique sociale.

Après avoir examiné ses propositions, nous pouvons les approuver dans leurs grandes lignes. La commission n'a visé aucun objectif révolutionnaire; elle s'est bornée à émettre des voeux qui sont réalisables dans les conditions présentes et qui subissent en partie depuis des années déjà l'épreuve de la discussion publique. Ainsi qu'elle le relève elle-même dans son rapport final, la commission n'entend nullement, par ses propositions, instaurer un nouveau régime économique; ce qu'elle veut, c'est indiquer à la politique économique une voie permettant d'atteindre son but, c'està-dire d'assurer l'approvisionnement du peuple suisse en tous les biens

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essentiels à son existence et de lui procurer un travail rémunérateur, dans des conditions conformes à la structure de notre économie nationale et à nos traditions de liberté. Son programme, qui a été mûrement pesé et formulé en termes mesurés, se tient, à notre sens, dans les limites des possibilités; il peut, par conséquent, servir de base à l'élaboration de notre politique économique pour l'avenir. Son importance est d'autant plus grande qu'il traduit un accord entre les représentants des différents groupes économiques et politiques. Aussi est-on fondé à espérer que, dans ses grandes lignes, il sera également accepté par le parlement et par la majorité du peuple.

Classées d'après les sujets traités, les propositions de la commission forment deux grandes catégories: celles de la première s'occupent de la période transitoire ouverte par la dévaluation et, plus particulièrement, des voies et moyens propres à surmonter définitivement la crise; celles de la seconde portent sur l'aménagement durable de'notre économie pour les temps à venir.

Le présent message traite surtout des propositions de la seconde catégorie. Mais nous n'entendons pas prendre ici ces propositions une à une, si importantes puissent-elles être, pour examiner les moyens de leur donner une conclusion pratique. Cela, nous le ferons lorsque nous vous soumettrons les projets de lois sur la matière. D'ailleurs, si le referendum était demandé dans la suite contre telle ou telle de ces lois, les questions en jeu pourraient alors se discuter à fond devant l'opinion publique. Nous ferons donc aussi abstraction, dans ce message, des quelques questions sur lesquelles la commission n'est pas parvenue à un accord unanime.

Nous nous bornerons ici à scruter de près deux questions fondamentales, à savoir les rapports entre l'Etat et l'économie et l'importance des associations professionnelles. Notre but est d'arriver ainsi à dessiner à grands traits les limites dans lesquelles la politique économique de la Suisse devra se mouvoir à l'avenir.

Vu le conflit qui divise les opinions en matière de politique économique, on éprouve en tout premier lieu le besoin d'élucider la question des rapports entre l'Etat et l'économie ; c'est d'autant plus nécessaire que, depuis la dévaluation, on réclame avec insistance le retour à la liberté économique et
l'abolition progressive de toutes les mesures interventionnistes de l'Etat.

Nous avons déjà exposé notre point de vue sur les relations entre l'Etat et l'économie dans notre message complémentaire du 7 avril 1936 relatif aux mesures extraordinaires d'ordre économique (1). Aussi vous prionsnous d'abord de vous reporter à nos explications d'alors, que nous tenons encore dans l'essentiel pour fondées. D'ailleurs, elles concordent avec les propositions de la commission consultative.

(») FF 1936, I, 633.

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Le stade actuel des relations entre l'Etat et l'économie est l'aboutissement d'une évolution qui s'étend sur des dizaines d'années. Déjà peu après que fut inscrit dans la constitution le principe de la liberté de commerce et d'industrie, l'Etat se vit dans la nécessité de prendre des mesures pour protéger les personnes de condition dépendante et les éléments de la population les moins bien pourvus dans l'ordre économique; par sa législation sociale, il dut veiller au bien-être de cette partie du peuple suisse. Si l'Etat s'est à l'origine borné à intervenir dans le domaine de la politique sociale, il s'est vu depuis obligé d'intervenir de plus en plus dans celui de l'économie proprement dite, c'est-à-dire dans la sphère d'activité des entreprises privées. La guerre et les crises ont grandement favorisé cette évolution en faisant éclore de multiples interventions. L'ingérence de l'Etat dans une économie autrefois beaucoup plus libre ne procède pas d'un changement dans les conceptions fondamentales, mais des nécessités de l'heure. Ce n'est point une propension à étendre son pouvoir qui a déterminé l'Etat à prendre soin des intérêts économiques, c'est la nécessité inéluctable de soutenir certaines branches économiques qui exigeaient une aide immédiate, faute de quoi elles menaçaient de succomber. De là est née une économie qui, fondée sur la liberté de l'activité privée, s'entremêle d'éléments à direction étatique.

De divers côtés partent aujourd'hui des appels réclamant un changement fondamental du régime actuel et une réforme des relations entre l'Etat et l'économie.

Un groupe demande la réalisation de l'économie libérale par l'application absolue et sans réserve d'une liberté de commerce et d'industrie considérée comme un dogme intangible, ce qui impliquerait pour l'Etat l'obligation de suivre dans l'ordre économique la maxime du « laissez faire ». Un autre groupe réclame la réforme des relations entre l'Etat et l'économie sur la base du système corporatif, soit selon la conception catholique de la société (encyclique « Quadragesimo anno»), soit selon les conceptions propres à des milieux étendus de l'artisanat. Un troisième groupe veut renforcer la direction des affaires économiques par les pouvoirs publics (plan du travail) en socialisant d'importants secteurs de l'économie (banques, compagnies
d'assurances, entreprises électriques).

Pour tirer au clair la question dans son principe, il faut partir de l'idée qu'il n'y a au fond que deux systèmes économiques qui, vus dans l'ordre spéculatif, soient logiquement applicables: le système de l'économie individualiste, à base de liberté, et le système de l'économie collectiviste, à base de contrainte. Dans le premier, l'activité économique est réputéeaffaire purement privée, à laquelle l'Etat n'a rien à voir et qui relève dès lors exclusivement du droit privé; dans l'autre, c'est une affaire publique, qui est par conséquent soumise aux normes imperatives du droit public.

Economie individualiste et économie collectiviste, économie libre et économie réglementée, ou de quelque autre terme qu'on désigne cette antithèse,.

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ce ne sont pas là des idéaux réalisables, mais seulement des abstractions idéologiques qui n'existent pas en réalité. Jamais encore un gouvernement n'a pu appliquer dans son intégrité l'un ou l'autre de ces deux systèmes.

·Dans tout ordre économique existant se rencontrent des éléments de l'un et de l'autre. L'ordre corporatif est dans le fond une variété de l'économie réglementée, avec cette particularité que la réglementation n'y émane pas en droite ligne de l'Etat, mais d'associations reconnues par l'Etat, soit qu'une certaine autonomie leur ait été accordée pour régler ellesmêmes, chacune dans son ressort, la vie économique, soit que l'Etat confère force obligatoire à leurs décisions et conventions.

Liberté et réglementation sont des buts du même rang, qui ne sont en soi ni bons ni mauvais. Tout excès de liberté appelle une réglementation et, inversement, tout excès de réglementation exige le contrepoids d'une liberté plus grande. L'équilibre entre ces deux tendances opposées qui dominent la vie collective dans son ensemble, et non pas seulement la vie économique, ne se peut établir une fois pour toutes. Il s'agit moins ici d'une affaire de principe que d'une question de juste mesure, qui doit s'apprécier selon les circonstances.

On a affirmé avec raison que la liberté et la réglementation jouent dans l'économie un rôle différent et doivent se juger différemment selon qu'on est en période de prospérité ou de dépression. Lorsque l'économie suit une marche ascendante, la liberté qui incite chacun à fournir son maximum d'effort aboutit à accroître les biens de consommation, car la concurrence engendre le progrès et favorise le bon marché des produits, ce qui est en somme tout profit pour la communauté. En pareille conjoncture, toute règle imposée à l'initiative privée par l'Etat est ressentie comme une entrave importune et une ingérence superflue. C'est tout le contraire lorsque l'économie suit une marche descendante. En période de forte dépression, lorsque l'aire économique et les possibilités de gain se rétrécissent, la libre concurrence apparaît ruineuse. La règle imposée par l'Etat ou l'association devient alors une planche de salut, si bien que la plupart des membres de la collectivité sont prêts à sacrifier une partie de leur liberté en échange d'une plus grande sécurité.

Remarquons aussi
que la juste mesure de liberté et de réglementation nécessaire ne saurait être la même pour toutes les branches économiques.

Le bien rural, assise d'une forte population paysanne, ne doit pas devenir un objet de placement de capitaux et de spéculation; si l'on veut empêcher qu'il ne soit détourné de son but, il faut donc lui garantir la protection d'une réglementation plus étendue qu'à la fortune mobilière. De même, la petite entreprise artisanale ne peut être placée à cet égard sur le même pied que la grande entreprise.

L'équilibre entre la liberté et la réglementation ne peut se faire si l'on se place sans plus sur le terrain de l'une ou de l'autre. Il faut, au contraire,

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partir d'un principe supérieur pour, de là, juger dans chaque cas si et jusqu'à quel point la liberté ou la réglementation répondent à une nécessité.

Or, ce principe supérieur, ce ne peut être que l'intérêt bien compris de la communauté tout entière, par quoi l'on ne doit pas entendre seulement son intérêt économique, mais tous les intérêts dont dépend son existence, c'est-à-dire, à part ceux d'ordre économique, ceux qui relèvent, par exemple, de la politique démographique et de la défense militaire, ainsi que ceux qui concourent à assurer l'équilibre social.

Nous avons déjà signalé au premier chapitre l'accroissement des tâches qui incombent à l'Etat dans l'ordre économique. Aucun pays ne peut éviter, dans les conditions présentes, de restreindre davantage la liberté individuelle. Sur toute la surface du globe, la vie économique est renfermée dans le cadre national et placée sous une dépendance plus étroite du pouvoir politique; une économie de caractère purement privé ne saurait donc plus suffire. En outre, la subordination totale de l'économie à l'Etat, qui s'est accomplie dans certains pays, réagit de telle sorte sur les autres pays que ceux-ci ont dû prendre des mesures de défense. Enfin, maintes relations commerciales avec l'extérieur n'ont plus aujourd'hui un caractère personnel; elles sont devenues des relations entre Etats et elles s'incorporent dans des traités de commerce, des accords de clearing et de compensation et des traités spéciaux. Aux libres échanges des particuliers se substituent des accords entre Etats. Les relations économiques internationales réclament dans ces conditions une énergique intervention des pouvoirs publics.

Et de cette réglementation officielle des relations économiques internationales naît la nécessité de mesures spéciales sur le plan national. En effet, si l'on veut être à même d'agir efficacement sur le plan international, il faut coordonner l'activité de certaines branches de production et établir certaines normes sur la direction de l'économie privée.

Indépendamment de ces mesures, qui nous sont imposées par le développement de la situation hors de nos frontières, l'expérience de ces dernières années enseigne que l'Etat ne saurait sans dommage notable abandonner à eux-mêmes certains secteurs de l'économie. Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que de
nombreuses restrictions, qu'il a fallu introduire pendant la crise, ne puissent pas être atténuées ou abolies à mesure que la conjoncture s'améliorera. Nous ne manquerons pas de continuer à desserrer les entraves partout où cela paraîtra se justifier. Mais quant à croire qu'il suffirait de revenir au régime de liberté de l'avant-guerre pour maîtriser toutes les difficultés de l'heure, c'est méconnaître le trait caractéristique de l'évolution que nous avons exposée au chapitre A, c'est perdre de vue certaines transformations qui sont un fait accompli et qu'on ne saurait omettre.

C'est pourquoi les rapports entre l'Etat et l'économie devront, à l'avenir, être réglés de façon à sauvegarder la continuité de l'évolution, tout en tenant compte des nécessités qui dérivent des transformations survenues.

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Dans les rapports entre l'Etat et l'économie, il faudra, estimons-nous, que la liberté économique de l'individu soit au premier rang et que l'Etat n'intervienne que là et dans la mesure où, étant données les conditions présentes, l'intérêt de la collectivité l'exige impérieusement. L'économie privée, qui se fonde sur la libre initiative de l'individu et sur sa responsabilité personnelle, formera comme devant la base de notre régime économique.

Mais il est du devoir de l'Etat, en face des intérêts économiques des particuliers, dont la durée et, par conséquent, l'importance sont limitées, d'assurer la permanence des intérêts économiques de la nation et, par delà l'économique, de ses intérêts tout court. Quant à savoir si l'Etat doit poursuivre ce but par des interventions directes ou en faisant appel au concours des associations, c'est une question que nous aborderons tantôt.

On peut poser en principe que l'Etat ne doit s'immiscer dans la vie économique des particuliers que là où elle ne peut par elle-même se dérouler normalement, ou bien où la liberté aboutit à des abus, ou bien où certaines branches économiques ou groupes professionnels ont un besoin spécial d'être protégés. En ce disant, nous ne pensons pas tant à des appuis financiers qu'à des mesures de coordination mettant l'économie à même de s'aider par ses propres moyens.

Dans l'accomplissement des tâches qui lui incombent pour régler la vie économique du pays, l'Etat pourra, dans la mesure qui sera déterminée par la législation, s'appuyer sur les associations, qui se sont formées sous l'empire de la liberté économique. Le libéralisme avait rompu les liens de l'ancien ordre économique et balayé les groupements qui l'étayaient, parce que, s'étant fossilisés, ces groupements étaient devenus un obstacle au progrès. Mais le libéralisme n'empêcha pas que, sous la pression de la concurrence, de nouveaux groupements ne prissent naissance qui se mirent à régler eux-mêmes les conditions du marché et de la concurrence et à fixer certaines limitations à la liberté. Sans entrer dans des détails, nous rappellerons seulement qu'il existe en Suisse -- sans compter les nombreux groupements régionaux et cantonaux -- plus de sept cents associations professionnelles, si bien qu'il y a pour ainsi dire une association pour chaque profession et chaque catégorie
économique. Cette éclosion progressive des associations professionnelles, dont l'origine remonte à une centaine d'années, a complètement transformé la structure de notre organisation économique. La condition fondamentale du libéralisme -- à savoir que la vie économique se déroule par le libre jeu de forces individuelles quasi équipollentes et qui se contrebalancent sur le marché -- s'est trouvée de ce fait en grande partie écartée. Aujourd'hui, ce ne sont plus des individus qui sont en face l'un de l'autre, mais dans une mesure toujours plus grande des groupements de nature diverse, associations, sociétés coopératives de production et de consommation, syndicats d'employeurs et d'employés, cartels et autres organismes à caractère de cartel. Qu'on trouve Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

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cette évolution bonne ou mauvaise, c'est un fait accompli et que le législateur ne saurait ignorer.

Toute notre vie économique est ainsi pénétrée d'organismes de droit privé qui, usant des moyens que leur offre le droit privé, s'efforcent de régler les conditions économiques dans leur sphère d'activité. Sous la pression des circonstances, ces organismes ont commencé à enserrer l'économie dans un réseau de liens et de limitations qui tendent, sinon a éliminer la concurrence, du moins à en modifier l'action. Ces liens ont pris avec le temps des proportions qui dépassent sans doute l'ampleur des interventions de l'Etat dans l'économie.

Ces ententes privées ont neutralisé dans une large mesure la portée effective de la liberté de commerce et d'industrie. A l'encontre d'une opinion, encore largement répandue dans le peuple, selon laquelle l'article 31 de la constitution fédérale assurerait une protection absolue contre les atteintes portées à la liberté de commerce et d'industrie, il importe de remarquer que cette disposition constitutionnelle ne protège le citoyen que contre des atteintes injustifiées de l'Etat, mais non point contre des limitations apportées à la liberté de commerce et d'industrie par d'autres citoyens ou par des associations. Le Tribunal fédéral a, tout au contraire, constaté que les cartels et les ententes conclues entre associations devaient être reconnus licites, précisément en vertu de l'article 31.

L'Etat ne peut assister indifférent à cette évolution en se contentant de regarder comment s'élabore, en face de l'ordre économique officiel, un ordre économique privé qui bride souvent bien plus la liberté individuelle que ne pourraient le faire les interventions de l'Etat. De là naît pour lui une double tâche : il doit d'une part protéger les citoyens contre l'arbitraire des associations et contre leurs empiétements sur sa sphère juridique; il doit d'autre part soutenir les associations dans leurs initiatives -- en tant qu'il les approuve -- pour mettre de l'ordre dans la branche dont elles s'occupent et leur octroyer aussi sous certaines conditions les moyens juridiques d'appliquer les normes voulues par la majorité des membres de l'association.

L'Etat a déjà reconnu de facto depuis des dizaines d'années l'importance des associations, puisqu'il subventionne depuis si longtemps
les principales associations centrales pour leur permettre d'entretenir des secrétariats permanents. Le législateur a aussi de plus en plus appelé les associations à collaborer à l'accomplissement de tâches officielles. Cette collaboration peut en principe revêtir deux formes : l'Etat charge les associations d'accomplir elles-mêmes certaines tâches, ou bien, après les avoir examinées, il confère force obligatoire générale aux décisions prises par les associations.

Les deux formes de collaboration sont consacrées par la législation en vigueur. Rappelons les caisses-maladie et les caisses-chômage fondées par des associations; ces caisses sont, sous certaines conditions, reconnues

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et subventionnées par l'Etat. Rappelons aussi la loi sur la formation professionnelle, qui a délégué aux associations professionnelles d'importantes fonctions, entre autres celle de faire passer des examens de fin d'apprentissage et des examens professionnels supérieurs à tous les candidats de la profession, qu'ils fassent ou non partie de l'association.

On trouve aussi dans la législation suisse une série d'exemples de dispositions donnant force obligatoire générale à des accords et à des décisions d'associations. Notamment, à propos d'oeuvres de secours et d'assainissement décrétées au profit de certaines branches économiques (industrie de la broderie, industrie horlogère, industrie hôtelière, agriculture), le Conseil fédéral a été autorisé à donner force obligatoire générale à tels ou tels accords (1). Relevons aussi que le règlement d'exécution du 11 juin 1934 de la loi du 26 septembre 1931 sur le repos hebdomadaire donne pouvoir aux autorités compétentes (aux gouvernements cantonaux ou, lorsqu'il s'agit de clauses applicables à plusieurs cantons, au département de l'economie publique) d'attribuer à des accords conclus entre associations sur le repos hebdomadaire un caractère obligatoire pour toute (*) Peuvent être énumérés comme exemples: a. L'arrêté fédéral du 13 octobre 1922 concernant une aide de la Confédération à ^industrie suisse de la broderie (RO 38, 544), lequel autorise le Conseil fédéral à déclarer d'applicabilité générale dans les groupements intéressés des contrats passés entre les associations économiques sur les prix de façon et les salaires, et à s'entremettre, si besoin est, afin de faciliter la conclusion de tels contrats. De même, l'arrêté fédéral du 23 décembre 1932 accordant une aide aux brodeurs-façonniers sur machine à navette (RO 48, 856) autorise le Conseil fédéral à déclarer, sous certaines conditions, les statuts et règlements de la « Caisse de crise des brodeurs-façonniers sur machine à navette » également obligatoires pour les brodeurs-façonniers qui ne font pas partie de cette caisse.

6. L'arrêté du Conseil fédéral du 13 mars 1936 complétant l'arrêté du Conseil fédéral du 30 décembre 1935 qui tend à protéger l'industrie horlogère suisse (RO 52, 143), interdit aux entreprises horlogères non affiliées aux organisations conventionnelles de vendre leurs produits à
des taux inférieurs aux tarifs établis par ces organisations et approuvés par le département de l'économie publique. En outre, le même arrêté subordonne la vente en vue de l'exportation ou l'exportation d'ébauches et de montres terminées à l'obtention d'un permis qui est délivré par la Chambre suisse de l'horlogerie ou par la Fiduciaire horlogère suisse. Ce permis est aussi délivré aux personnes qui ne font pas partie des organisations conventionnelles de l'industrie horlogère, à condition qu'elles déclarent avoir acheté ou vendent lesdits produits à des taux qui ne sont pas inférieurs aux tarifs établis par les organisations conventionnelles et approuvés par le département de l'économie publique.

c. L'arrêté fédéral du 5 avril 1935 prolongeant l'oeuvre de secours en faveur de l'industrie hôtelière suisse (RO 5l, 242), qui autorise le Conseil fédéral à accorder force obligatoire générale à la convention qui viendrait à être conclue entre les associations d'employeurs et d'employés de l'hôtellerie au sujet de la réglementation du pourboire, et à prendre les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution. Une telle convention (règlement sur les pourboires de l'industrie hôtelière suisse) a été conclue depuis lors, puis rendue obligatoire pour l'industrie hôtelière dans son ensemble par arrêté du Conseil fédéral du 12 juillet 1936 (RO 52, 481). Ce règlement, qui est entré en vigueur

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la branche économique en cause, s'ils répondent à l'intérêt public. A l'avenir aussi, le législateur se verra dans le cas de donner force obligatoire générale à des décisions d'associations lorsque ce but ne pourra pas être atteint par la voie amiable. Ainsi, l'actuel projet de loi fédérale sur la protection des travailleurs à domicile dispose que les salaires prévus dans des contrats collectifs de travail ou dans des tarifs établis unilatéralement peuvent être imposés d'autorité par le Conseil fédéral lorsque tel est l'avis de la commission d'experts ad hoc.

Selon l'opinion de la commission d'experts pour une nouvelle législation économique, les emplois abusifs de la liberté économique doivent être réprimés en premier lieu par une entente volontaire des milieux intéressés, le. cas échéant avec le concours de l'Etat. Pour le cas où ce moyen n'aboutirait pas, la commission propose de créer la possibilité juridique de donner à des accords et à des décisions d'associations force obligatoire générale pour les groupements professionnels intéressés : la condition en serait que l'existence de groupements professionnels viables en temps normaux et utiles à la communauté paraisse manifestement compromise (Constatations et lignes directrices concernant la politique économique intérieure, I, principes généraux, chiffre 5).

Si nous admettons en principe la proposition de la commission d'experts, voici, avant tous autres, les motifs qui nous y détermineront: En l'état actuel de la législation, une association a plus ou moins ses coudées franches pour remplir son objet; mais serait-elle animée des meilleures intentions qu'elle ne peut agir dans l'intérêt bien entendu de ses membres si l'union et la puissance lui font défaut. Ses efforts pour régler une question par la voie de l'entente volontaire échouent souvent devant l'attitude de certains de ses membres ou l'opposition des dissidents, parce que, faute de dispositions imperatives, elle n'a aucune prise sur eux. Et lorsque ses membres sont appelés à faire un sacrifice ou à assumer une obligation dans l'intérêt commun des personnes de la branche, il arrive souvent que même les accords intervenus sont voués à l'insuccès, parce que les dissidents n'y sont pas liés. Aussi diverses associations ont-elles déjà présenté des requêtes.aux autorités fédérales pour
obtenir que leurs décisions et les conventions qu'elles passent avec d'autres associations soient le 1er juin 1936 et porte présentement effet jusqu'au 30 septembre 1937, s'applique à tous les hôtels et à tous les établissements similaires, dans lesquels des pourboires sont versés sous quelque forme que ce soit, peu importe si ces hôtels et établissements font partie de la société suisse des hôteliers.

d. L'arrêté fédéral du 28 mars 1934 prolongeant l'aide aux producteurs de lait et les mesures prises pour atténuer la crise agricole, lequel autorise, en son article 6, le Conseil fédéral à obliger les producteurs qui mettent du lait dans le commerce à s'affilier à des sociétés de laiteries existantes et à livrer leur lait au local de coulage, en leur attribuant les mêmes droits et obligations qu'aux autres membres. En vertu de la même disposition, les sociétés de laiteries isolées peuvent être tenues à s'affilier à une section d'une centrale des producteurs de lait.

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rendues obligatoires pour toute la branche en cause et que les dispositions voulues par une majorité qualifiée puissent ainsi pénétrer dans la réalité.

Or, faute d'une base légale, sur quoi elles eussent pu s'appuyer, les autorités ont été jusqu'ici -- quelques cas exceptionnels mis à part -- dans l'impossibilité de satisfaire à semblables demandes.

D se commet, notamment en matière de conditions de livraison et de publicité commerciale, des abus que les associations ne parviennent pas à combattre par leurs propres forces. Et il est certain que des progrès plus grands pourraient être réalisés par les associations dans le domaine social (par exemple en ce qui concerne les vacances payées et le droit au salaire pendant les périodes de service militaire) si les intéressés, qui seraient en maintes circonstances prêts à agir de concert, avaient l'assurance que leurs concurrents devront aussi se conformer à l'arrangement. L'expérience a, en effet, suffisamment prouvé que les éléments clairvoyants d'une association s'efforcent en vain à introduire dans leur branche un sain état de choses lorsqu'ils ne parviennent pas à imposer la règle et aux membres de l'association et aux dissidents, qui ne se tiennent souvent en dehors de l'organisation qu'à seule fin de pouvoir défendre sans entrave leurs intérêts particuliers.

Nous avons déjà relaté dans la partie introductive de ce message que l'Etat avait vu ses fonctions grandir dans le domaine économique et que l'économie ne pourrait se passer à l'avenir de l'action protectrice et régulatrice de l'Etat. L'influence croissante de l'Etat sur l'économie a eu pour conséquence de surcharger le parlement de tâches d'ordre économique. Or, l'appareil législatif s'est révélé, surtout au cours des années de crise, d'un fonctionnement trop lent et trop lourd pour les tâches en question. Pour faire face aux exigences toujours nouvelles et sans cesse croissantes de l'économie, on a trouvé le biais des lois contenant simplement l'énoncé de principes généraux et de délégations de compétence, qui mettent le Conseil fédéral en situation de prendre de son propre chef les mesures nécessaires. Cette évolution, qui aboutit à autoriser le pouvoir exécutif, par la voie de la délégation de compétence, à édicter des ordonnances de caractère législatif, n'est point du tout particulière
à la Suisse; on peut l'observer dans d'autres pays démocratiques. Sa raison profonde doit être cherchée dans l'extension qu'il a fallu donner aux fonctions de l'Etat depuis la guerre et, surtout, au cours des dernières années de crise.

Nous avons jusqu'ici généralement usé de cette délégation de compétence législative en ce sens que soit nous-mêmes soit le département entrant en cause avons édicté les arrêtés et ordonnances sur la matière, après avoir pris l'avis et, autant qu'il se pouvait, tenu compte des propositions et des voeux des cercles économiques intéressés. Lorsque ceux-ci ont eux-mêmes arrêté des dispositions sur tel ou tel objet, mais qu'ils ne parviennent pas à en imposer l'application, il est assez naturel que l'Etat, au lieu de faire

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acte d'autorité, se borne à déclarer obligatoires pour toute la branche professionnelle en cause les dispositions qui ont été librement établies par une partie des intéressés. Il nous paraît utile de développer ce moyen, qui a déjà été appliqué dans certains cas -- nous pensons, ce disant, à l'industrie horlogère -- ; vous nous délégueriez donc la compétence de donner force obligatoire générale, sous certaines conditions, aux conventions et décisions d'associations. Deux voies seraient de ce fait ouvertes dans l'avenir à l'intervention de l'Etat: la voie directe des mesures législatives et la voie indirecte de l'attribution de la force obligatoire par l'autorité executive.

L'attribution de la force obligatoire présente de multiples avantages au regard de l'ingérence directe de l'Etat. La force obligatoire n'est prononcée qu'à la requête d'une ou de plusieurs associations; elle présuppose donc une entente préalable des intéressés. L'économie a ainsi la faculté de régler elle-même ses conditions dans une certaine mesure, et ce sous la surveillance et le contrôle de l'Etat. Une telle réglementation qui procède de l'initiative directe des intéressés est plus souple et mieux susceptible d'adaptation que la législation de l'Etat. La vie économique s'est à tel point compliquée et les contingences se différencient tant d'une branche à l'autre et d'une région à l'autre qu'il devient presque impossible au législateur de faire la part de cette diversité dans des prescriptions générales.

A propos de questions importantes, il s'est révélé qu'on se trouve souvent en présence de situations fort diverses et que tels usages du commerce ou telles coutumes de la vie économique sont tenus pour absolument légitimes dans certains groupes professionnels et considérés comme abus dans d'autres. Pour régler ces questions, le mieux sera donc de les soumettre à une réglementation souple qui émanera des cercles intéressés. Il en va de même des questions d'ordre social (fixation des conditions du travail, octroi de vacances, etc.); elles ne s'accommodent que très difficilement de règles générales. C'est particulièrement le cas dans l'artisanat, où les conditions changent à tel point d'une branche professionnelle à l'autre, aussi de la ville à la campagne, qu'on ne pourrait soumettre toutes les professions aux mêmes règles
sans se heurter aux plus grosses difficultés.

C'est bien pourquoi la loi sur la formation professionnelle ne fait en partie qu'énoncer des principes généraux, abandonnant les détails relatifs à chaque branche professionnelle soit à des ordonnances à édicter par l'autorité compétente sur la proposition de l'association professionnelle intéressée, soit à des règlements à établir par les associations elles-mêmes, moyennant qu'ils soient ensuite approuvés par l'autorité.

Ainsi qu'on le voit précisément par l'exemple de la, loi sur la formation professionnelle, le choix entre la réglementation directe par l'Etat sur la proposition des associations et la réglementation par la voie indirecte de l'attribution de force obligatoire n'est pas aussi important qu'on est souvent

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porté à le croire. Du point de vue économique, il est, en effet, indifférent que l'Etat édicté certaines prescriptions par la voie législative ou qu'il donne force obligatoire générale à un règlement d'association contenant ces mêmes prescriptions, car la liberté économique des personnes de la branche, qu'elles soient ou non membres de l'association en cause, est restreinte selon l'une comme selon l'autre solution. Mais il y a une différence sensible dans le moyen employé : tandis que l'un des deux moyens nécessite la mise en mouvement de l'appareil législatif, l'autre ne demande, sitôt le principe juridique consacré par la loi, qu'un acte administratif prononçant la force obligatoire générale. On trouve dans ce deuxième moyen l'avantage de pouvoir plus aisément modifier ou abroger les dispositions adoptées; il est de la sorte possible d'ajuster dans chaque cas d'espèce les mesures prises aux besoins du groupe économique à considérer et d'éviter une réglementation rigide qui briderait toute l'économie.

Il va d'ailleurs de soi que l'instrument que constitue la force obligatoire générale ne doit pas être mis à la disposition des associations sans certaines précautions. Les associations économiques, qui groupent généralement certains intérêts de façon exclusive, sont issues avant tout d'un besoin de défense et d'entr'aide; c'est dire qu'elles se soucient en premier lieu des intérêts de leurs membres. Il importe donc gué les lois d'exécution ménagent des garanties suffisantes contre tout abus. Sans vouloir entrer d'ores et déjà dans les détails de ces lois futures, nous allons toutefois nous arrêter à certaines garanties qui nous paraissent devoir être formulées dans la constitution même, tant elles sont importantes, voire indispensables. Ces garanties, les voici: 1. La force obligatoire générale doit être limitée à certains domaines, qui seront spécifiés dans la constitution. Nous envisageons comme tels la formation professionnelle, les conditions du travail, y compris les allocations accessoires d'ordre social, et la lutte contre la concurrence déloyale.

2. Afin que les intérêts privés et publics touchés par la déclaration de force obligatoire générale soient tous pris en considération, l'Etat instituera, selon la proposition de la commission consultative pour la législation économique, un collège
d'experts indépendants de tout groupe d'intérêts économiques et politiques, qui aura pour tâche de donner son avis sur les requêtes présentées par les associations. En outre, il faudra faire en sorte que les associations économiques centrales et les milieux intéressés aient l'occasion de se prononcer également sur ces requêtes.

3. Les associations qui demanderont le bénéfice de la déclaration de force obligatoire générale devront satisfaire à certaines conditions. Pour prévenir tout exclusivisme, elles devront être ouvertes à n'importe quelle personne de la profession remplissant les conditions voulues pour être admise. Par une détermination congruente des conditions à remplir par les associations pour présenter des requêtes valables, les lois d'exécution

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s'attacheront à prendre en considération les intérêts des minorités existant dans l'association ou en dehors d'elle et à sauvegarder la liberté d'association.

Nous tenons à hien marquer que la liberté de former des associations doit rester intacte. Le nouvel ordre légal aura son point de départ dans les associations économiques et professionnelles existantes. Or, la plus grande somme possible de liberté doit continuer à régner en matière d'association.

De même que, la liberté économique de l'individu se place au premier rang, l'entente volontaire entre associations doit primer l'intervention de l'Etat.

Autant qu'il se peut, les intéressés doivent tâcher d'établir par la voie de l'entente volontaire les règles juridiques répondant à leurs besoins, et l'Etat leur offrira ses bons offices comme médiateur. Wilhelm de Humboldt a caractérisé par les termes suivants la primauté de l'entente volontaire sur l'intervention de l'Etat : « L'Etat doit s'attacher surtout à amener les hommes par le chemin de la liberté à former des communautés dont l'action puisse se substituer à la sienne propre. » C'est seulement lorsque l'entente volontaire ne permet pas d'atteindre le but que l'Etat doit avoir la possibilité, sous certaines conditions, de donner force obligatoire générale aux accords intervenus. Aucune contrainte ne doit être exercée pour aboutir à un accord ; ce serait non seulement contraire à la notion de contrat, mais encore à l'essence de l'économie privée. Mais lorsque des associations sont parvenues d'elles-mêmes à établir un ordre juridique en matière de formation professionnelle ou de lutte contre la concurrence déloyale, cet ordre juridique doit être consacré dans son existence et ses effets, s'il sert des intérêts qui méritent protection et n'est en rien opposé aux intérêts de l'économie nationale.

Lorsqu'une entente ne peut pour quelque raison aboutir entre les intéressés, mais qu'une réglementation s'avère cependant nécessaire dans l'intérêt général, il reste toujours à l'Etat la possibilité d'intervenir directement par la voie de la législation ordinaire.

La future législation économique maintiendra le contact avec les conditions actuelles et s'attachera à en poursuivre le développement de façon méthodique.

L'ordre économique forme une partie de l'ordre collectif et doit par conséquent
concorder avec lui. La liberté du citoyen et le sens de sa responsabilité personnelle sont les éléments déterminants de notre charte politique ; ils doivent donc aussi demeurer le fondement de notre ordre économique.

Pas plus qu'il ne supporte un régime autoritaire dans l'ordre politique, le citoyen suisse ne voudrait se soumettre à un système économique à caractère autoritaire. L'ordre économique est en somme conditionné par le but de la politique économique et de la politique tout court: les règles qui régissent l'économie nationale ne sont rien autre qu'un moyen pour atteindre le but de la politique économique. Or, ce but ne peut être pour la Suisse que l'approvisionnement de la nation en tous les biens essentiels à son existence en même temps que la garantie d'un travail rémunérateur.

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La revision constitutionnelle envisagée n'est pas destinée à introduire un nouveau système économique. D'un côté demeurera comme devant la propriété privée sur les moyens de production, la liberté économique et la libre initiative ; de l'autre interviendra l'action protectrice et régulatrice de l'Etat dans l'intérêt de la communauté, mais seulement dans une mesure qui ne mette pas en question le principe fondamental de l'économie libre, c'est-à-dire le mécanisme régulateur des marchés. Un tel système se différencie de l'économie libre selon la formule du libéralisme classique par une plus grande extension de la fonction régulatrice qui est dévolue à l'Etat. Mais il se différencie aussi d'autres théories économiques par le maintien de la propriété privée sur les moyens de production et par l'absence de toute prescription déterminant l'activité économique dans ses détails.

Quant à déterminer dans le détail les interventions qui s'avéreront nécessaires, celles qui devront s'opérer par la voie directe de l'Etat et celles qui auront lieu par la voie indirecte des associations, ce sont là des points qu'il faut abandonner aux lois d'exécution. A ce propos, nous voulons préciser dès à présent que la tâche de l'Etat nous paraît être moins de décréter de nombreuses mesures de détail que d'édicter des dispositions fondamentales qui soient de nature à favoriser une vie économique ordonnée et prospère. Un tel système qui tend à maintenir un. sage équilibre entre la liberté et là réglementation, entre les intérêts particuliers et les intérêts généraux et qui, par delà l'économie, accorde une place aux fins plus élevées, nous paraît le plus adéquat à nos institutions politiques et sociales ; tout en se reliant à l'évolution antérieure, il tient compte des nécessités du présent et de l'avenir.

G. LES DISPOSITIONS D'ORDRE ÉCONOMIQUE DE LA CONSTITUTION FÉDÉRALE ACTUELLE I. Historique des dispositions d'ordre économique de la constitution fédérale, depuis 1848.

Du point de vue économique, la constitution fédérale de 1848 revêt de l'importance surtout parce qu'elle a permis de supprimer les multiples péages cantonaux et qu'elle a fait ainsi de la Suisse un territoire douanier unique. Son article 23 déclarait que ce qui concernait les péages relevait de la Confédération. L'article 24 conféra à la Confédération la faculté de racheter les péages, les droits de chaussée et de pontonage, les droits de douane et autres taxes semblables. La Confédération, par la suite, usa largement de cette faculté. L'article 30 abolit de même tous les privilèges de quelque importance en matière de transport de personnes et de marchandises. En outre, l'article 29 garantit le libre achat et la libre vente des

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denrées, du bétail et des marchandises, ainsi que des autres produits du sol et de l'industrie, leur libre entrée, leur libre sortie et leur libre passage d'un canton dans l'autre.

Mentionnons encore une autre disposition importante d'ordre économique: l'article 41, chiffre 4, qui garantissait la liberté d'établissement d'un canton dans l'autre aux personnes exerçant une industrie. Pour le reste, la constitution de 1848 ne conféra cependant à la Confédération aucune attribution dans le domaine de la politique économique interne et de la politique sociale.

La constitution fédérale de 1874 a hérité de celle de 1848 les dispositions concernant les péages, articles 28 et 29 (qui correspondent aux art. 23 et 25 de la constitution de 1848), et la perception des droits d'entrée sur les vins et les autres boissons spiritueuses, article 32 (correspondant à l'art. 32 de 1848). Les attributions conférées à la Confédération par les articles 28 et 29 furent le fondement de la politique commerciale de la Suisse, politique qui s'est développée au cours des lustres et a pris ime importance croissante. Quant à l'article 32, il a cessé d'avoir effet, puisqu'il prévoyait lui-même (2e al.) que tous les droits d'entrée perçus par les cantons devaient disparaître à l'expiration de l'année 1890. La constitution de 1874 a apporté en fait de dispositions nouvelles: l'article 31, proclamant comme principe économique la liberté de commerce et d'industrie, et l'article 34, unique disposition qui conférait à la Confédération des attributions dans l'ordre économique. Au cours des délibérations du projet de revision, dans les années 1870 et 1871, la tentative fut faite d'attribuer à la Confédération le droit exclusif de légiférer en matière d'industrie et de commerce. Cette tentative échoua, et la Confédération ne se vit conférer le droit de légiférer qu'en ce qui concerne précisément les matières spécifiées par ledit article 34, c'est-à-dire la protection du travail dans l'industrie, ainsi que les opérations des agences d'émigration et des entreprises d'assurance non instituées par l'Etat. Cette disposition constitutionnelle fut le point de départ de la politique sociale de la Confédération; d'elle également est sortie en partie la législation spéciale sur les assurances, laquelle a fortement contribué au développement des
compagnies d'assurance, dont le rôle est si grand dans l'économie de notre pays.

Tôt après l'entrée en vigueur de la constitution de 1874, le besoin se fit sentir d'élargir les attributions de la Confédération. Les revisions successives affectant la politique économique et sociale de la Confédération ont introduit les dispositions suivantes: l'article 326is sur les boissons distillées et sur les auberges (accepté en 1885 et modifié en 1930, avec introduction simultanée de l'art. 34quater); l'article 346is sur l'assurance en cas d'accident et de maladie (1890); l'article 246is sur l'utilisation des forces hydrauliques (1908);

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l'article 34g«afer sur l'assurance en cas de vieillesse, l'assurance des survivants et l'assurance en cas d'invalidité (1925); l'article 23bis sur l'approvisionnement du pays en blé (1929).

Du point de vue économique, la révision la plus importante fut l'introduction de l'article 34 fer. L'impulsion, qui venait des milieux représentés par l'union suisse des arts et métiers et par l'union syndicale suisse, débuta peu après 1880 et aboutit à un projet de revision qui fut présenté au peuple en 1894 et rejeté. L'idée fut bientôt reprise, et au second vote du peuple, en 1908, l'article 34fer, qui donnait à la Confédération le droit de légiférer en matière d'arts et métiers, fut accepté. Tôt après, un programme fut dressé pour la mise en pratique du nouvel article, programme qui fixait comme premier objet de la législation à établir la formation professionnelle, l'encouragement des arts et métiers (surtout leur protection contre la concurrence déloyale) et la protection des travailleurs dans les arts et métiers et le commerce. Différentes circonstances, notamment la guerre et la crise qui suivit, empêchèrent la réalisation immédiate de ce programme. Parmi les lois qu'il prévoyait, seule la loi sur la formation professionnelle a pu être introduite jusqu'à présent. Pour ce qui est de la concurrence déloyale, les chambres fédérales sont saisies d'un projet, et il existe un avant-projet de loi fédérale sur le travail dans le commerce et les arts et métiers. D'autres lois encore ont été établies en vertu de l'article 34 fer, pour régler certaines parties de la matière, telle la loi sur le repos hebdomadaire, et toute une série d'arrêtés pris pour remédier à la crise reposent sur cette même disposition constitutionnelle.

li. Manque d'attributions de la Confédération en matière de politique économique et sociale.

En vertu de la constitution actuelle, la Confédération a la faculté de légiférer sur: l'approvisionnement en blé (art. 23bis); l'utilisation des forces hydrauliques (art. 2àbis); c les douanes (art. 28 et 29) ; le régime des alcools (art. 32, 32bis et 32quater); la protection du travail dans l'industrie, ainsi que les opérations des agences d'émigration et des entreprises d'assurance non instituées par l'Etat (art. 34) ; l'assurance-maladie, accidents, vieillesse, survivants et invalidité (art. 346is
et 34quater) ; les arts et métiers (art. 34fer).

En revanche, pour un certain nombre d'autres problèmes économiques qui, par leur nature, exigent dans les circonstances actuelles une solution

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s'étendant également à tout le territoire suisse -- ce qui ne veut pas dire que de larges parties de la matière ne pourraient pas rester attribuées aux cantons -- la constitution actuelle ne donne pas à la Confédération le droit de légiférer.

Nous visons par là surtout l'agriculture. Sauf l'article 23ois (approvisionnement du pays en blé), la constitution actuelle ne contient, en ce qui concerne cette branche de notre économie nationale, pas de dispositions fixant les attributions respectives de la Confédération et des cantons et même pas de dispositions du tout. Aussi la Confédération n'a-t-elle pu, par exemple, se déterminer à l'égard de différentes décisions de la conférence internationale du travail relatives aux conditions du travail dans l'agriculture (voir à ce sujet notre message concernant la troisième et la quatrième conférence internationale du travail [r]).

Les circonstances ont cependant forcé la Confédération, bien que le droit ne lui en soit pas expressément reconnu, à établir à divers égards des dispositions pour l'agriculture. Citons la loi du 22 décembre 1893/5 octobre 1929 ( 2 ) concernant l'amélioration de l'agriculture par la Confédération, les nombreux arrêtés fédéraux concernant l'aide aux producteurs de lait et les mesures prises pour atténuer la crise agricole -- le dernier en date de ces arrêtés est celui du 18 mars 1937 ( 3 ) -- ainsi que les arrêtés fédéraux relatifs à l'aide financière en faveur des agriculteurs dans la gêne des 28 septembre 1928, 30 septembre 1932 et 28 mars 1934 ( 4 ).

Si la constitution ne reconnaît pas formellement à la Confédération le droit de légiférer en ce qui concerne l'agriculture, elle le fait, en revanche, pour ce qui est des arts et métiers par son article 34 ter. Mais l'interprétation de cet article soulève une double incertitude. On peut se demander, d'une part, dans quelle mesure il est conciliable avec l'article 31, qui garantit la liberté de commerce et d'industrie -- nous examinerons cette question de plus près dans le chapitre III ci-après -- et, d'autre part, les avis diffèrent sur le point de savoir quel est exactement son empire, autrement dit ce qu'il faut entendre par « Gewerbewesen », comme dit le texte allemand.

Il y avait tendance à interpréter ce terme dans un sens restrictif; on s'appuyait pour cela sur le texte français,
qui parle « d'arts et métiers », termes qui ont à peu près la signification qu'on donne au mot « artisanat » en français et « Handwerk » en allemand. Une étude approfondie faite à l'occasion de la préparation des lois d'exécution et notamment de la loi sur la formation professionnelle a cependant montré qu'il fallait donner à l'article 34 ter une interprétation plus large, c'est-à-dire reconnaître qu'il vise non seulement l'artisanat, mais encore l'industrie en général et le (!)

(2) (3) (*)

FF HO RO RO

1923, II, 67 s.

14, 174; 46, 5.

53, 159.

44, 774; 48, 497; 50, 259.

857 commerce. Aussi bien la loi sur la formation professionnelle énumère-t-elle ces trois branches de notre économie nationale comme étant régies par elle. L'article constitutionnel a été interprété de cette façon extensive pour d'autres lois encore, et cette interprétation a été adoptée par les chambres fédérales et tacitement approuvée par le peuple, de sorte que la controverse peut aujourd'hui être considérée comme pratiquement vidée.

S'il est ainsi certain que l'article 34 ter vise non seulement l'artisanat, mais aussi l'industrie en général et le commerce, il n'en reste pas moins qu'il y a encore certaines lacunes. On s'est par exemple aperçu, lorsqu'on a élaboré la loi sur le repos hebdomadaire, que la Confédération a bien la faculté de légiférer sur le travail dans l'une quelconque des trois branches susindiquées, mais que les prescriptions qu'elle établit ne sauraient s'appliquer aux établissements, tel un hospice ou un hôpital, qui exercent leur activité non par métier, mais à titre d'institution de bienfaisance.

Il a donc fallu renoncer à étendre les prescriptions relatives au repos hebdomadaire à certaines institutions auxquelles il eût été bon en soi que ces prescriptions pussent s'appliquer; c'est ce qui amena, à l'époque, la majorité de la commission du Conseil national pour ladite loi et ce conseil lui-même à adopter un postulat ainsi conçu : « Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu de reviser la constitution eri vue de créer la base nécessaire à une loi fédérale réglant les conditions de travail du personnel des établissements de tout genre destinés au traitement des malades. » Ce n'est pas seulement à l'égard des conditions de travail des personnes employées pour les soins aux malades que le droit de légiférer fait défaut à la Confédération, mais encore en ce qui concerne la formation professionnelle et les conditions de travail des personnes occupées dans le service domestique. En ce domaine également, il ne sera pas possible, sans une certaine uniformisation, de remédier aux abus qui régnent. Aussi la minorité de ladite commission a-t-elle présenté de son côté un postulat de portée générale qui a de même été adopté par le Conseil national et qui a la teneur suivante : « Le Conseil fédéral est invité à présenter un
rapport sur la question de savoir s'il n'y a pas Heu d'introduire dans la constitution une disposition qui investisse la Confédération du droit de légiférer sur la protection des travailleurs, les conditions du travail et le droit ouvrier. » Le droit de légiférer de la Confédération présente en outre une lacune pour ce qui est de l'important domaine de l'assurance-chômage -- les articles 34&IS et S^quater énumèrent seulement l'assurance-maladie, accidents, vieillesse, survivants et invalidité -- et enfin en ce qui concerne le place- ment et la création de 'possibilités de travail.

Mais en ces domaines également, la Confédération a dû, par la force des choses, établir certaines dispositions. Ici et là, pour l'assurance-

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chômage par exemple, on a tourné la difficulté en établissant non pas dos dispositions de fond, mais de simples dispositions subventionnelles. Bon nombre de ces mesures de crise ont été prises en vertu du « droit de nécessité » ; mais ce droit ne peut être, par essence, que temporaire. Les mesures dont il constitue la base devront donc être rapportées dans un avenir plus ou moins proche ou, si leur maintien se révèle indispensable, incorporées à la législation ordinaire. Et si la constitution en vigueur ne le permet pas, une revision partielle s'imposera pour leur donner une base constitutionnelle.

Notons en outre que la politique économique de la Confédération est appelée à prendre de l'extension dans différents sens. Nous renvoyons à cet égard aux desiderata formulés par la commission consultative pour la législation économique. Nombre de ces desiderata, il est vrai, se laisseront réaliser par la voie de simples mesures administratives, ceux par exemple qui tendent au développement du service économique attaché à nos légations et consulats, au développement du service institué par l'Etat et les groupements professionnels pour rechercher les possibilités d'emploi à l'étranger et à l'encouragement de l'oeuvre en faveur des Suisses à l'étranger. Pour une autre catégorie d'entre eux, il faudra introduire de nouvelles lois ou modifier celles qui existent, mais la base constitutionnelle est déjà donnée; citons ici par exemple les voeux concernant la répression de la concurrence déloyale et la réforme du régime du cautionnement. Il y a enfin une troisième catégorie de desiderata pour lesquels la base constitutionnelle fait défaut ou n'existe pas sans conteste, et qu'on ne pourra donc réaliser sans créer d'abord cette base; ce sont notamment certains voeux de la IIe commission, à savoir: création de la possibilité juridique de donner force obligatoire générale à des conventions et décisions de groupements professionnels, introduction d'une loi sur les cartels, mesures à prendre pour l'agriculture (régime légal et corporatif de la production agricole, formation professionnelle de l'agriculteur, désendettement de l'agriculture).

III.

Le principe de la liberté de commerce et d'industrie.

Le principe de la liberté de commerce et d'industrie a été formulé par l'école classique des économistes anglais libéraux qui défendait le principe de la libre concurrence ; il procède, en outre, de la théorie du droit naturel qui affirme la liberté de l'homme et la liberté de la propriété, ce qui conduisit à proclamer la liberté de posséder et d'acquérir, alors que l'Etat prétendait limiter ces droits. Plus tard, ce principe fut étendu au libre exercice du commerce et de l'industrie, au libre choix d'un métier et au droit de pratiquer ce métier sans égard au nombre des exploitants, à la liberté de fabrication et à la faculté d'écouler les produits, librement sans limitation locale (1). Le principe de la liberté de commerce et d'industrie (*) His, Geschichte des neuen schweizerischen Staatsrechtes, tome I, p. 494 s.

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a été -- en tant que droit naturel de l'homme -- inséré pour la première fois dans la constitution de quelques Etats de l'Amérique du Nord et, plus tard, dans la constitution française, après la Révolution.

C'est de là qu'il a passé dans la constitution de la République helvétique unitaire. Longtemps auparavant, les idées libérales avaient, en Suisse, suscité au système des corporations, alors en vigueur, une opposition croissante. A vrai dire, le principe de la liberté de commerce et d'industrie n'était pas expressément garanti dans la constitution de la République helvétique, mais il était considéré, selon l'exemple de la France, comme une conséquence naturelle des droits de l'homme et de sa liberté individuelle. En mai 1798, les limitations apportées à la liberté de commerce entre cantons furent supprimées. Toutefois, des raisons fiscales engagèrent le pouvoir central à maintenir les péages et les droits de chaussée et de pontonage, ainsi que d'autres impôts qui grevaient le trafic interne. Puis une loi d'octobre 1798 abolit la contrainte exercée par la corporation sur tous les métiers et sur toutes les branches de l'industrie. Cette loi proclamait. expressément la liberté de commerce qui faisait encore défaut dans la constitution, avec cette réserve que l'Etat conservait le droit d'exercer un contrôle de police et d'hygiène. Enfin en décembre de la même année, le système des « Ehehaften (c'est-à-dire des prérogatives industrielles foncières) » fut aboli et remplacé par celui des autorisations. Tôt après apparurent certains abus découlant de la liberté illimitée de commerce, abus qui obligèrent l'autorité à édicter de nombreuses ordonnances spéciales sur le colportage et l'exploitation des auberges.

Après la chute du régime helvétique, la souveraineté cantonale fut, en principe, rétablie dans ses droits. L'acte de médiation et le pacte de 1815 contenaient quelques prescriptions d'ordre économique applicables à l'ensemble de la Confédération, mais elles ne visaient que les relations intercantonales. C'est ainsi que, sous réserve des droits de douane et autres impôts en vigueur, le commerce intercantonal des denrées alimentaires, du bétail, des marchandises de détail fut déclaré libre et qu'en outre tout citoyen suisse fut, en vertu du droit d'établissement, autorisé à exercer librement son
métier dans chaque canton. En outre, la réglementation des questions économiques fut, en fait, complètement remise au droit cantonal et l'on vit réapparaître une diversité pareille à celle de l'époque antérieure à la République helvétique, chaque canton suivant ses voies propres. Tandis que les oligarchies corporatives retournaient en général au système corporatif et aux contraintes internes, les cantons de la Suisse romande conservaient une liberté étendue. Un troisième groupe de cantons choisit une solution intermédiaire en réintroduisant en principe les corporations et les prérogatives industrielles foncières, mais sous une forme plus ou moins modifiée.

Au cours des années suivantes, spécialement à l'époque dite de la régénération, le principe de la liberté de commerce et d'industrie prit une

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forte extension, même en Suisse allemande et dans presque tous les cantons, quoique les progrès fussent parfois lents dans telle ou telle région.

Les limitations furent peu à peu supprimées ou du moins adoucies, de sorte que vers 1848 la plupart des cantons, à l'exception de Baie-Ville, avaient complètement aboli les corporations de métiers et les prérogatives industrielles foncières, ou n'en avaient plus laissé subsister que quelques vestiges. La liberté de commerce et d'industrie, sous réserve de certaines limitations légales, était reconnue en principe. La constitution fédérale de 1848 ne posait pas encore, à vrai dire, le principe lui-même (1). Au cours des années suivantes, les derniers vestiges de l'ancienne constitution corporative disparurent successivement d'une manière toujours plus rapide, à mesure que se développait la liberté d'acquérir dans la direction donnée par la fin du XVIIIe siècle. Cette liberté trouva son expression définitive dans la constitution de 1874, qui fit de la liberté de commerce et d'industrie le plus important principe économique. Dans sa teneur actuelle -- les lettres b, c et d sont nées de revisions partielles -- l'article 31 de la constitution fédérale établit ce qui suit: La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération.

Sont réservés: a. La régale du sel et de la poudre de guerre, les péages fédéraux, les droits d'entrée sur les vins et les autres boissons gpiritueuses, ainsi que les autres droits de consommation formellement reconnus par la Confédération, à teneur de l'article 32; 6. La fabrication, l'importation, la rectification, la vente et l'imposition des boissons distillées, en conformité des articles 32 bis et 32 ter; c. Tout ce qui concerne les auberges et le commerce des boissons spiritueuses, en conformité de l'article 32 quater; d. Les mesures de police sanitaire destinées à lutter contre les maladies transmissibles, les maladies très répandues et les maladies particulièrement dangereuses de l'homme et des animaux; e. Les dispositions touchant l'exercice des professions commerciales et industrielles, les impôts qui s'y rattachent et la police des routes. Ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie.

Cette disposition confère à la Suisse une situation unique en son genre.

Les constitutions d'une série d'Etats étrangers ne contiennent aucune garantie de liberté; d'autres garantissent certains droits individuels, mais pas la liberté de commerce et d'industrie ; un troisième groupe enfin proclame, sous une forme ou sous une autre, la liberté de commerce et d'industrie, mais dans le cadre de la législation. Nous ne connaissons aucune constitution qui, de la même manière que la nôtre, garantisse et protège la liberté de commerce et l'industrie en tant que droit individuel. En Suisse, toute atteinte portée par des cantons au principe de la liberté de commerce (1) Pour les dispositions d'ordre économique de la constitution de 1848, nous renvoyons au chapitre Ier.

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et d'industrie, même s'il s'agit d'une amende de police de quelques francs, peut être soumise, par la voie d'un recours de droit public, à la plus haute autorité judiciaire, le Tribunal fédéral.

L'article 31 de la constitution fédérale ne garantit toutefois pas le système économique de la libre concurrence d'une -manière illimitée, mais seulement, comme s'exprime le Tribunal fédéral, dans les limites de l'ordre public. Partant de l'idée qu'en principe le libre déploiement des forces économiques individuelles et la concurrence qui en résulte constituent du point de vue du bien-être public, la meilleure façon d'organiser la vie économique, la constitution fédérale accorde à l'individu la faculté de mettre librement en valeur, sur le terrain économique, ses capacités personnelles et ses ressources matérielles. Cette liberté individuelle n'est limitée que par les intérêts supérieurs de la communauté (ATF 45, I, 357).

Le principe de la liberté de commerce et d'industrie vise simplement les rapports entre le citoyen et l'Etat (1). En ce qui concerne les rapports des personnes privées entre elles, il résulte de la jurisprudence que ni les lois qui les règlent, ni les ordonnances édictées en application de ces lois ne peuvent être attaquées pour atteinte portée à la liberté de commerce et d'industrie. On ne peut donc invoquer l'article 31 lorsqu'un voisin entend faire interdire l'exercice d'une profession en se fondant sur des dispositions réglant le droit de voisinage, lorsqu'il y a eu engagement contractuel de ne pas exercer une profession déterminée, lorsqu'on se trouve en présence de mesures de boycott ou en cas de limitations de la liberté d'acquérir imposées par des cartels ou par des organismes analogues.

Le fait que la liberté de commerce et d'industrie garantit contre l'Etat le système de la libre concurrence a les conséquences suivantes: 1° La limitation du nombre des exploitants est inadmissible, c'est-à-dire que chacun doit être admis à exercer n'importe quelle activité, abstraction faite des fonctions publiques et des monopoles, s'il satisfait aux conditions qui lui sont légalement imposées.

2° Si l'Etat intervient dans le domaine du commerce et de l'industrie, il doit placer tous les intéressés sur le même pied.

3° L'Etat ne doit limiter les exploitants pour la réalisation de leurs
produits que dans la mesure où son intervention est indispensable à l'exercice de sa mission de police.

Le principe de la liberté de commerce et d'industrie n'exclut pas en soi toute intervention de l'Etat, mais il ne peut s'agir que de limitations de nature policière, c'est-à-dire de prescriptions qui n'influent pas sur le résultat économique d'une profession ou sur le mode d'exploitation, et qui sont destinées uniquement à parer aux effets défavorables résultant (*) Cf. Burckhardt, Kommentar der schweizerischen Bundesverfassung, 3e éd., p. 225 s.

Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

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de la manière de travailler, dans l'ordre technique ou commercial, d'une exploitation déterminée. A cette catégorie appartiennent les limitations destinées à protéger l'ordre public, le repos, la sécurité, la moralité et la santé, ainsi que les ordonnances qui tendent à faire régner l'honnêteté et la bonne foi dans les affaires. Ce sont aussi les mesures de nature à protéger d'une part le public contre des manoeuvres malhonnêtes et d'autre part les commerçants honnêtes contre la concurrence déloyale.

En revanche, les effets de la libre concurrence comme tels, même s'ils sont fâcheux, ne doivent pas être combattus; les limitations d'ordre économique de tous genres devront à l'avenir être exclues. Il sera, dès lors, inadmissible de limiter le nombre des commerçants et artisans ou de limiter leurs opérations, de prescrire le prix d'une marchandise ou d'une catégorie de marchandises, d'imposer telle ou telle qualité de produits, de supprimer certaines professions à cause de leur action décisive sur l'économie ou de préférer certains professionnels à d'autres. C'est ainsi que le Tribunal fédéral, vu l'article 31 Cst., a déclaré contraire à la constitution la fermeture totale ou partielle de cinémas qui avait été ordonnée pour parer à l'abus des dépenses (ATF 40, I, 482; 41, I, 42; 50, I, 173).

Il s'est prononcé dans le même sens à l'égard de la perception d'un impôt spécial frappant les grands magasins ou les commerces à succursales, impôt qui, abstraction faite des raisons d'ordre fiscal, devait protéger en première ligne contre la concurrence des grandes entreprises les petits commerces non soumis à cet impôt (ATF 45, I, 357); tel a encore été le cas pour les limitations du colportage dont le but est de protéger le petit commerce et le commerce moyen stables contre la concurrence des marchands ambulants (ATF 52,1, 298 s.).

Il y a divergence quant à la question de savoir si la législation fédérale, c'est-à-dire « les prescriptions uniformes dans le domaine des arts et métiers » dont parle l'article 34 ter de la constitution, doit obéir au principe de la liberté de commerce et d'industrie, ou si l'article 31 n'est pas applicable à la législation fédérale sur les arts et métiers. La première de ces conceptions est défendue par les professeurs Fleiner et Giacometti, la seconde par le professeur
Burckhardt. Le texte de la disposition constitutionnelle et le système général de la constitution ne permettent pas de résoudre la question d'une manière décisive ; d'autre part, la genèse de l'article 34 ter ne fournit pas à cet égard des clartés suffisantes. Le projet du Conseil fédéral proposait, outre le nouvel article 34 ter, une adjonction à l'article 31; aux termes de cette adjonction, prévue au projet sous lettre /, « la législation fédérale sur les arts et métiers » visée par l'article 34 ter devait être réservée au regard du principe de la liberté de commerce et d'industrie. Le Conseil des Etats accepta l'article 34 ter, mais il repoussa l'adjonction proposée à l'article 31 ; le Conseil national accepta en revanche, à une faible majorité, cette adjonction. En second débat, le Conseil des Etats maintint sa pré-

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mière décision, sur quoi le Conseil national se résigna à supprimer l'adjonction. Toutefois, les opinions divergeaient sur le sens à donner à l'article 34 ter d'une part, à la réserve de l'article 31 et à sa suppression d'autre part.

Dans son commentaire, Burckhardt s'exprime comme suit ( 1 ): Le principe suivant lequel la Confédération devait être chargée de légiférer sur les arts et métiers n'a rencontré aucune résistance. On s'est demandé toutefois s'il y avait lieu d'adopter la réserve proposée par le Conseil fédéral à l'article 31. Cette réserve a été très combattue, mais pour des raisons diverses. Les uns l'estimaient superflue, l'article 31 étant soumis de plein droit à la réserve des autres articles constitutionnels: en formulant cette réserve, disaient-il, on risquerait de faire croire que la liberté en matière d'arts et métiers devrait être supprimée par la législation future (2). -Les autres voulaient au contraire laisser intact le principe de la liberté, estimant qu'on pourrait combattre avec succès, sans dépasser ces limites, les abus dans le domaine des arts et métiers. Certains mélangeaient les deux manières de voir ( 3 ). Les partisans de la réserve pensaient qu'en élaborant la loi on risquait d'entrer en contradiction avec le principe de la 'liberté du commerce, en admettant par exemple, la clause de limitation pour le colportage ou en instituant des associations professionnelles obligatoires.

Aussi, pour donner toute latitude au législateur et éviter de susciter à nouveau l'ancien conflit sur la violation de l'article 31, estimaient-ils qu'il fallait dire nettement que le législateur pouvait déroger au principe de l'article 31 (4). C'eût été sans nul doute la meilleure solution, d'autant plus qu'on n'était pas très au clair sur le principe lui-même qu'on discutait. » Toutefois, l'opinion qui faisait prévaloir l'article 34 ter sur l'article 31, semblait devoir l'emporter. « On estimait partout -- dit le commentaire de Burckhardt -- dans les autorités comme ailleurs, que cet article constitutionnel devait permettre à la Confédération d'édicter des prescriptions qui dérogeraient en fait à l'article 31, par exemple l'application au colportage de la clause de limitation. Pour des raisons sans pertinence, une partie de l'Assemblée fédérale redoutait de manifester cette volonté en
ajoutant une réserve à l'article 31 ; mais l'intention était réelle de donner à la Confédération des moyens lui permettant de combattre tous abus dans le domaine des arts et métiers. » Au cours des dernières années, le législateur fédéral s'est vu obligé à diverses reprises, pour assainir certaines branches de l'économie, d'apporter des limitations à la liberté de commerce et d'industrie.

(*) (2) (") (0) (6)

Burckhardt, Kommentar der schweizerischen Bundesverfassung, 3e éd., p. 292 s.

BS 16 508/509; 17 CN 669, CE 521.

BS 16 513, 17 CN 645, CE 523/524; 18 CN 107.

BS 16 512/513; 17 CN 649/650, 651, 662/663.

BS 17 CN 639/640, 644, 651, 661, 664, 669; 18 CN 107.

864

Nous rappelons en première ligne la loi du 16 octobre 1924 restreignant la construction et l'agrandissement d'hôtels (1), prorogée par les lois des 26 juin 1930 ( 2 ) et 29 septembre 1933 (3), et par l'arrêté fédéral du 5 avril 1935 ( 4 ). La crise grave qui s'est produite dans l'industrie hôtelière contraignit les autorités à prolonger par une loi nouvelle, pour une durée déterminée, la défense d'ouvrir de nouveaux hôtels, décrétée pendant la guerre en vertu des pleins pouvoirs et liée à d'autres mesures d'assainissement. Il s'agissait, en somme, de la clause de limitation appliquée à la construction ou à l'agrandissement d'hôtels ou de pensions d'étrangers.

La loi établie en vertu de l'article 34 ter de la constitution constitue indubitablement une atteinte à la liberté de commerce et d'industrie. Le Conseil fédéral a admis que la législation sur les arts et métiers prévue à l'article 34 ter pouvait déroger à ce principe. Dans le messages du 24 mars 1924 ( B ) il expose à ce sujet ce qui suit: La loi projetée ne peut être édictée qu'en vertu de l'article 34 ter de la constitution fédérale, lequel attribue à la Confédération le droit de statuer des prescriptions uniformes'dans le domaine des arts et métiers. Le rapport entro cette disposition et l'article 31 de la constitution fédérale n'est pas clair. La constitution fédérale ne dit pas si l'article 34 ter ne doit déployer ses effets que sous réserve de l'article 31 ou s'il prime celui-ci, soit si la Confédération demeure liée comme les cantons, dans son activité législative en matière d'arts et métiers, au principe de la liberté de.commerce et d'industrie. Dans l'affirmative, le législateur fédéral se bornerait forcément à édicter des prescriptions concernant la police des arts et métiers, telles qu'elles sont réservées aux cantons sous lettre e de l'article 31. A l'instar des cantons, il ne pourrait que combattre pour des raisons de police, par l'adoption de dispositions sur l'exercice des professions commerciales et industrielles, les effets nuisibles dos exploitations. Il n'aurait pas la faculté de prendre les mesures nécessaires à l'effet de limiter la libre concurrence pour des raisons économiques dans une branche d'industrie quelconque.

Or, une restriction pareille de la compétence législative devrait pourtant ressortir du texte de la
constitution. Contrairement à ce qui en est de l'article 31, lettre e, le texte de l'article 34 ter ne fait aucune réserve et paraît dès lors devoir être interprété d'une façon plutôt extensive.

Nous sommes d'avis que la règle de l'article 34 ter est venue restreindre la portée de celle, plus générale, qui figure à l'article 31, en ce sons que dans sa compétence législative, la Confédération ne serait pas absolument liée au principe de la liberté de commerce et d'industrie. D'ailleurs, nous ne saurions on déduire que cette limite ait perdu toute importance pour le législateur fédéral. Celui-ci ne touchera au principe de la liberté de commerce et d'industrie que dans la mesure où la solution de sa tâche l'y contraindra absolument. Pareille condition est remplie. Car il va de soi que la réglementation légale d'une industrie à l'effet de combattre les inconvénients de la libre concurrence poussée jusqu'à l'abus ne pourra atteindre son but sans que cette liberté soit restreinte.

C1) (2) (") (4) (6)

RO BO EO RO FF

4l, 50.

46, 535.

50, 1.

5l, 242.

1924, I, 557.

865

L'Assemblée fédérale adopta (1) cette manière de voir, bien que les opinions fussent diverses sur l'admissibilité de la clause de limitation.

Parmi les autres limitations apportées à la liberté de commerce et d'industrie, il faut mentionner l'arrêté fédéral du 14 octobre 1933/27 septembre 1935 ( 2 ) interdisant l'ouverture et l'agrandissement de grands magasins, de maisons d'assortiment, de magasins à prix uniques et de maisons à succursales multiples. Dans son message à l'appui du projet, le Conseil fédéral a émis une opinion un peu plus réservée au sujet de la priorité de l'article 34 ter. Il exposait ce qui suit : Dans le troisième groupe, c'est-à-dire parmi les mesures pour lesquelles la base constitutionnelle fait défaut ou est tout au moins contestée, nous faisons rentrer en particulier la fermeture d'exploitations existantes et la suppression de certaines de leurs divisions .. . Quant à interdire d'une manière générale d'ouvrir de nouveaux magasins de détail et d'agrandir ceux qui existent, comme le propose la commission d'étude des prix, ce serait également contraire à cette disposition en sa teneur actuelle (FF 1933, II, 164) ... Certains juristes estiment, il est vrai, que pour édicter des prescriptions uniformes quant aux arts et métiers, y compris le commerce, sur la base de l'article 34 ter de la constitution, il n'est pas besoin de tenir compte de la liberté de commerce et d'industrie garantie par l'article 31. Nous hésitons, quant à nous, à admettre cette interprétation extensive, qui ne répond d'ailleurs pas à la manière de voir de certains milieux, et c'est pourquoi nous avons prévu un nouvel article constitutionnel (p. 165) ...

Nous estimons en revanche qu'il est indiqué de prendre en considération les voeux qui tendent à empêcher une extension des grandes entreprises au cours des prochaines années et d'en faire l'objet d'un arrêté urgent. ... Une limitation, temporaire de cette espèce peut se justifier du point de vue constitutionnel eu égard à son analogie avec la défense de construire de nouveaux hôtels statuée dans la loi fédérale du 19 octobre 1924 (p. 165).

Une disposition analogue, interdisant l'ouverture de nouveaux ateliers de réparation de chaussures, a été inscrite dans l'arrêté fédéral du 28 septembre 1934/23 décembre 1936 (3) tendant à protéger le métier de cordonnier.

Dans le même ordre d'idées, mentionnons l'arrêté fédéral du 23 décembre 1932 (4) accordant une aide aux brodeurs-façonniers suisses sur machine à navette qui, en son article 10, autorise le Conseil fédéral, sous certaines conditions, à appliquer aux ouvriers brodeurs n'ayant pas adhéré à l'association les prescriptions des statuts et règlements « du fonds de crise de l'association suisse des brodeurs-façonniers ». A vrai dire, le Conseil fédéral n'a pas fait usage jusqu'ici de cette faculté.

Mentionnons en outre diverses mesures prises pour venir en aide à l'agriculture, notamment les arrêtés fédéraux des 13 avril 1933 (5) et (') (2) (3) H (5)

BS 1924. CE 203 s., ON 545 s.

KO 49. 845; 5l, 670.

RO 50, 682; 52, 1060.

RO 48, 856.

RO 49, 243.

866

28 mars 1934 (1) prolongeant l'aide aux producteurs suisses de lait et les mesures prises pour atténuer la crise agricole, mesures qui imposent aux producteurs de lait une série de restrictions portant entre autres sur le prix, la qualité, la vente du lait, ainsi que la création d'une coopérative.

Rappelons encore les mesures prises pour assainir l'industrie horlogère, en faveur de laquelle la liberté de commerce et d'industrie a été notablement restreinte par les arrêtés du Conseil fédéral et les ordonnances du département de l'économie publique, fondés eux-mêmes sur l'arrêté fédéral du 14 octobre 1933/11 décembre 1935 concernant les mesures de défense économique contre l'étranger. C'est ainsi que les arrêtés du Conseil fédéral des 30 décembre 1935 ( 2 ) et 13 mars 1936 (3) destinés à protéger l'horlogerie suisse contiennent entre autres des prescriptions sur les prix de vente des montres et des parties détachées de montres et interdisent d'exporter des mouvements bruts, des chablons et toutes autres parties détachées de montres sans une attestation de la chambre suisse de l'horlogerie ou de la « Fiduciaire horlogère suisse ». Ces arrêtés interdisent aussi aux maisons d'horlogerie d'ouvrir de nouveaux locaux et d'agrandir des locaux existants, comme on l'avait fait pour les grands magasins.

Mentionnons enfin l'arrêté fédéral du 20 juin 1936 ( 4 ) sur le contrôle des prix de marchandises et l'arrêté du Conseil fédéral du 27 septembre 1936 (5) sur les mesures extraordinaires concernant le coût de la vie, qui prévoient entre autres l'établissement de normes pour la fixation des prix.

IV. Déficience de l'état de choses actuel.

En résumé, il faut constater que la constitution actuelle s'est sous un double aspect montrée déficiente pour la législation d'ordre économique.

D'un côté, la Confédération n'a pas le droit de légiférer pour résoudre nombre de problèmes qui, en l'état actuel des choses, ne pourraient trouver leur solution que sur le plan fédéral, notamment certains problèmes concernant l'agriculture (nous ne reviendrons pas ici sur la question de la portée de l'article 34 ter, puisque cette question est aujourd'hui pratiquement tranchée). D'un autre côté, il y a incertitude sur la signification que prend l'article 34 ter par rapport à l'article 31. On s'est jusqu'à présent tiré d'affaire de la façon qui suit. D'une part, on a fait reposer sur l'article 2 de la constitution certaines dispositions qui se montraient indispensables.

D'autre part, on a recouru à une interprétation qui consiste à admettre (!)

(a) (») (4) (5)

RO RO RO RO RO

50, SI, 52, 52, 52,

255.

833.

143.

523.

766.

867

que l'article 34 ter prime l'article 31 et que par conséquent la législation fédérale sur l'artisanat, l'industrie et le commerce n'est pas absolument subordonnée au principe de la liberté de commerce et d'industrie; cela permettait de dire qu'il est loisible, vu l'article 34 ter, de toucher à ce principe, du moins à titre temporaire.

On est bien obligé de reconnaître que l'état de choses actuel n'est pas satisfaisant. Si le parlement et le Conseil fédéral ont procédé comme nous venons de l'indiquer, c'est que les nécessités économiques réclamaient impérieusement une intervention de la Confédération. Les autorités fédérales eussent-elles repoussé les nombreuses demandes de secours qui leur étaient adressées en objectant des raisons d'ordre constitutionnel, c'est bien alors que la critique se serait exercée; on leur aurait reproché de manquer de résolution et de ne pas être conscientes de leur responsabilité.

Il est toutefois évident que le mode de faire actuel ne saurait subsister à la longue. Dans l'intérêt d'un régime juridique satisfaisant et par respect pour la constitution, il est indispensable de remédier à la situation. Pour cela, il faut d'un côté, déterminer à nouveau, selon les besoins de l'heure présente, les attributions de la Confédération en matière économique, c'est-à-dire les étendre de façon que puissent être réalisés les desiderata présentés par la commission consultative ; de l'autre côté, les choses doivent être réglées de telle sorte qu'il n'y ait plus de controverse possible au sujet de la compatibilité des articles 31 et 34 ter. Il n'est nullement question -- nous le déclarons expressément -- d'abolir le principe de la liberté de commerce et d'industrie. Ce principe sera maintenu, mais on donnera au législateur la faculté d'y déroger exceptionnellement, dans des cas que la constitution elle-même déterminera. Les lois et arrêtés qui seront établis le seront naturellement par la voie constitutionnelle.

D. LES NOUVELLES DISPOSITIONS DE LA CONSTITUTION FÉDÉRALE I. Les tentatives faites jusqu'à présent en vue de modifier les dispositions d'ordre économique de la constitution fédérale.

1. Motions et 'postulats.

Depuis de nombreuses années, les chambres fédérales ont eu à s'occuper, lors de leurs délibérations sur toute une série de motions et de postulats, de la revision des dispositions constitutionnelles régissant l'ordre économique. Ces motions et postulats ont été si nombreux que nous ne pouvons pas nous étendre ici sur toutes les discussions dont ils ont été l'objet ; aussi nous bornerons-nous à ne mentionner que les propositions qui sont encore pendantes.

868

C'est ' immédiatement après la guerre qu'une première tentative a été faite en vue d'une revision de la constitution; elle fut l'objet des motions Scherrer-Fullemann, Musy et Forrer. A vrai dire, ces trois motions ne se bornaient pas à demander une simple modification des dispositions constitutionnelles d'ordre économique ; elles visaient à des réformes plus vastes, comme la revision totale de la constitution par exemple. Cependant, ainsi qu'il ressort des délibérations du parlement (1), les questions économiques et sociales, notamment la protection du travail dans le commerce et l'artisanat, ainsi que l'assurance-chômage, ont joué un rôle important dans les discussions.

Ces trois motions sont ainsi conçues: 1. Motion Scherrer-Fullemann, adoptée par le Conseil national le 14 février

1919.

« Le Conseil fédéral est invité à soumettre à bref délai un rapport et des propositions aux chambres fédérales sur l'opportunité d'une revision totale de la constitution qui aurait pour but d'étendre les droits populaires et d'assurer les principales réformes sociales qu'appelle la situation difficile d'une grande partie de la population, ainsi que les moyens financiers nécessaires à leur exécution.» 2. Motion Musy, adoptée par le Conseil national le 14 février 1919.

« Les soussignés, opposés au caractère impératif de la motion ScherrorFüllemann ainsi qu'à la revision de la constitution fédérale dans le sens d'une centralisation plus accentuée, prient le Conseil fédéral d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de procéder de préférence à une revision partielle, inspirée par le respect de nos institutions föderatives. Basé sur l'autonomie politique et financière des cantons, dont le maintien est nécessité par les diversités ethniques de nos populations, et sur le respect des libertés individuelles, le projet de revision porterait spécialement sur les points suivants: 1° Garantie donnée aux cantons et aux citoyens contre les empiétements de la centralisation.

2° Le problème social sera envisagé dans son ensemble et fera l'objet d'une étude immédiate. Les réformes et les institutions nécessaires, en particulier la création de l'assurance-vieillesse et invalidité, seront réalisées au plus tôt sur la base de la solidarité et du rapprochement des classes, avec l'appui financier de la Confédération, en faisant abstraction de toute organisation et autant que possible de toute institution centralisée.

3° Application pratique et intégrale du principe de la liberté de conscience et de croyance et de la liberté du culte garantie par les articles 49 et 50, al. 1, de la constitution; suppression de toutes les dispositions d'ordre exceptionnel contraires au principe de la liberté garantie par la constitution. » 3. Motion Forrer, adoptée par le Conseil national le 14 février 1919.

« Le Conseil fédéral est invité à soumettre à bref délai aux chambres fédérales un rapport et des propositions sur l'étendue et la nature des modifications qui devraient être apportées à la constitution pour adapter notre législation aux conditions nouvelles et notamment pour introduire les réformes sociales nécessaires en leur assurant les moyens financiers. » f 1 ) BS 1918; CN, p. 481 s.; 1919, p. 224 s.

869 De nouvelles tentatives furent faites à la suite de la crise économique, soit à partir de 1931. Certaines demandes avaient en vue une restriction de la liberté de commerce et d'industrie; d'autres réclamaient une protection plus efficace des classes moyennes, en particulier du petit commerce et de la petite industrie; quelques-unes enfin envisageaient l'établissement d'un programme économique. Voici les motions et postulats qui furent déposés à cet effet: 4. Postulat Gelpke, adopté par le Conseil national le 19 juillet 1931.

« Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport sur la question de savoir si, en vue de protéger l'économie nationale contre les abus et notamment contre l'influence délétère de la surindustrialisation, il n'y a pas lieu d'engager une revision partielle de la constitution qui permette de restreindre dans certaines conditions la liberté du commerce et de l'industrie. » 5. Postulat Schneider, adopté par le Conseil national le 19 juillet 1931.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y a pas lieu de donner à l'article 31 de la constitution la teneur suivante: « La liberté du commerce et de l'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération. La législation fédérale peut déroger à ce principe si les intérêts généraux l'exigent. » 6. Motion Schirmer, adoptée par le Conseil national le 6 décembre 1934.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il ne devrait pas demander à l'Assemblée fédérale des pouvoirs lui permettant, en attendant une revision constitutionnelle, d'apporter provisoirement à la liberté du commerce et de l'industrie les restrictions ' qui s'imposent d'urgence et en particulier de déclarer obligatoires pour les professions intéressées les conventions entre les syndicats professionnels ou les mesures prises par ces derniers, lorsqu'elles répondent à un besoin et ne nuisent pas à la prospérité publique. » 7. Motion Amstalden, adoptée par le Conseil des Etats dans la form'e d'un postulat le 8 juin 1933.

« Par lettre du 24 février 1931, adressée à l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail et communiquée au département de l'économie publique, la commission des classes moyennes (arts et métiers) du parti populaire conservateur suisse a présenté une série de desiderata concernant la future législation fédérale
sur les arts et métiers; elle réclame une protection efficace et une amélioration du sort des classes moyennes qui exercent une activité autonome, en particulier de l'artisanat, de la petite industrie et du petit commerce. En date du 13 novembre 1931, la commission a renouvelé ses requêtes en les accompagnant de voeux dûment motivés. En avril 1932, avec l'appui du comité central du parti populaire conservateur et du groupe parlementaire, elle a présenté à nouveau ses revendications.

Comme il n'a pas encore été donné suite à ces voeux, les soussignés demandent au Conseil fédéral d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'élaborer et de soumettre aux chambres, en application et en exécution de l'article 34 ter de la constitution, des dispositions législatives pour la protection et l'amélioration du sort des classes moyennes exerçant une activité autonome. Les dispositions attendues doivent tendre en particulier:

870

1° A protéger les classes moyennes vivant des arts et métiers, de l'artisanat et du commerce contre l'empiétement des exploitations collectives et des grandes entreprises (grands magasins, bazars à prix uniques, magasins exploités par les fabricants eux-mêmes, magasins à succursales multiples, etc.); 2° A combattre sous toutes ses formes la concurrence illicite et déloyale, à sauvegarder les valeurs morales des classes moyennes et à protéger les intérêts légitimes des autres classes, notamment ceux de la clientèle; 3° A améliorer le sort des classes moyennes par des dispositions législatives et des mesures financières destinées à amender les méthodes de production et de distribution des marchandises, à développer les débouchés, à permettre et à favoriser l'allocation de prêts, à développer les organismes d'entr'aide économique et sociale, etc.; 4° A faciliter l'union des patrons et dos employés par l'application des principes paritaires et corporatifs.

Toutes les mesures législatives ou administratives propres à donner suite à ces voeux peuvent être prises en vertu de l'article 34 ter de la constitution, sans qu'il soit nécessaire de reviser ou d'abroger l'article 31 relatif à la liberté du commerce et de l'industrie.

En raison de l'urgence d'une protection étendue des classes moyennes qui vivent du commerce et de l'industrie et vu la menace qui pèse sur elles, le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu d'élaborer sans retard, dans le sens indiqué, une loi générale ou des lois partielles pour protéger les arts et métiers et améliorer leur sort. » 8. Motion Joss, adoptée par le Conseil national dans la forme d'un postulat le 14 juin 1933.

« Le Conseil fédéral n'ignore pas que la liberté illimitée du commerce et de l'industrie, garantie par l'article 31 de la constitution, a permis l'éclosion d'entreprises malsaines, en particulier de trusts, de grands magasins, de bazars à prix uniques, qui privent le commerce autochtone do ses moyens d'existence et ruinent quantité de petits établissements. Un gouvernement bourgeois ne peut pas plus longtemps assister passivement à'cet inquétant mouvement.

En conséquence, le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu de prendre dos mesures pour sauvegarder l'existence des petites entreprises.

Les soussignés recommandent
notamment: 1° D'assigner, par une revision de l'article 31 de la constitution, des limites bien déterminées à la liberté du commerce et de l'industrie, pour permettre une application du principe de la justice et de la loyauté commerciale et une juste rémunération du travail honnête; 2° D'édicter une loi qui entrave la création et l'exploitation de nouveaux grands magasins, bazars à prix uniques et entreprises analogues d'inspiration étrangère, ainsi que le commerce ambulant; 3° De développer la législation sur le travail dans les arts et métiers et contre la concurrence déloyale; 4° D'incorporer à la loi l'ordonnance actuelle sur les soumissions, qui permet aux adjudicataires de retirer un prix raisonnable de leur travail; 5° D'édicter des dispositions législatives sur la banque; 6° De prendre sans délai une ordonnance extraordinaire pour préserver les classes moyennes des dangers qui les menacent. »

871 9. Postulat Vallotton, adopté par le Conseil national le 26 septembre 1935.

« Le commerce de détail et l'artisanat suisses sont durement touchés par la crise et la diminution de leur chiffre d'affaires. Des enquêtes officielles ont cependant révélé que le commerce de détail souffrait surtout de la concurrence faite par les .Uniprix' et par quelques autres grandes entreprises.

En fait, des milliers de commerçants et artisans se voient acculés à la faillite, malgré leur labeur et la qualité de leurs produits, parce qu'ils ne peuvent lutter contre les méthodes souvent détestables des .Uniprix' et des ,Mi-gros'.

Pour sauver de la détresse les commerçants et les artisans, il est urgent que la Confédération intervienne plus efficacement qu'elle ne l'a fait jusqu'à maintenant.

C'est pourquoi le Conseil fédéral est prié de bien vouloir, dans le plus bref délai possible, présenter aux chambres fédérales un rapport sur les mesures qui pourraient être prises pour assurer l'existence des petits commerçants et artisans, notamment contre les ,Uniprix' et les ,Mi-gros'. » 10. Postulat Musy, adopté par le Conseil national le 23 septembre 1936.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'est pas urgent de présenter un programme général de redressement national, comportant solutions coordonnées des problèmes économiques et financiers. i> Un autre groupe de postulats demandaient d'attribuer force obligatoire aux décisions prises ou aux conventions passées par des syndicats professionnels.

11. Postulat Grospierre, adopté par le Conseil national le 6 juin 1928.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu dans le but d'éviter des conflits: de favoriser la conclusion de contrats collectifs dans l'industrie, et, plus spécialement, de rendre lesdits contrats obligatoires pour toutes les industries où ils sont conclus entre la majorité des ouvriers et la majorité des patrons. » 12. Motion von Arx, adoptée par le Conseil national dans la forme d'un postulat le 6 juin 1928.

« Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport sur la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de déposer un nouveau projet de loi sur la réglementation du travail qui, notamment, favorise la conclusion de contrats collectifs de travail et prévoie l'arbitrage obligatoire. » 13. Postulat ßchirmer, adopté
par le Conseil national le 6 juin 1928.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner, en liaison avec la question des contrats collectifs, s'il ne serait pas possible de s'inspirer du règlement des conditions du travail dans le contrat collectif pour régler également les conditions du contrat d'entreprise. » 14. Postulat Berthoud, adopté par le Conseil national le 19 juin 1931.

« Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport et des propositions sur la possibilité et l'opportunité de légiférer en vue de permettre aux associations et groupements professionnels de prendre, dans des limites à fixer par la loi et

872 sous réserve d'approbation par l'autorité, des décisions ayant force obligatoire pour la profession. » 15. Postulat Schirmer, adopté par le Conseil national le 6 décembre 1934.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y a pas lieu de prendre sans délai des mesures pour assainir l'économie nationale suisse, empêcher les abus de la concurrence, renforcer l'influence des organismes professionnels et étendre leur compétence, et notamment d'attribuer un caractère obligatoire aux décisions prises ou aux conventions passées par des syndicats professionnels isolés ou une pluralité d'entre eux, lorsqu'elles répondent à des besoins légitimes et ne portent pas atteinte aux intérêts vitaux d'autres milieux. » 16. Postulat de la commission du Conseil national pour la prolongation des mesures protectrices dans le métier de cordonnier, adopté par le Conseil national le 15 décembre 1936.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il ne conviendrait pas de créer, avant l'expiration de l'arrêté sur l'aide aux cordonniers, une base juridique permettant de rendre obligatoires des conventions passées entre les fabricants et les cordonniers sur la délimitation de leurs domaines d'activité respectifs. » En outre, il y a lieu de mentionner les trois postulats ci-après qui ont pour objet la formation professionnelle et les conditions de travail du personnel préposé aux soins et à la garde des malades et, d'une façon toute générale, la protection des travailleurs.

17. Postulat de la commission du Conseil des Etats pour la loi sur la formation professionnelle, adopté par le Conseil des Etats le 12 mars 1930.

« Le Conseil fédéral est invité à examiner si et dans quelle mesure la Confédération peut encourager la formation professionnelle du personnel préposé aux soins et à la garde des malades et à faire rapport à ce sujet. » 18. Postulat de la commission du Conseil national (majorité) pour la- loi sur le repos hebdomadaire, adopté par le Conseil national le 1er octobre 1930.

« Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu de reviser la constitution en vue de créer la base nécessaire à une loi fédérale réglant les conditions de travail du personnel des établissements de tous genres destinés au traitement des malades. » 19. Postulat de la commission du
Conseil national (minorité) pour la loi sur le repos hebdomadaire, adopté par le Conseil national le 1er octobre 1930.

« Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu d'introduire dans la constitution une disposition qui investisse la Confédération du droit de légiférer sur la protection des travailleurs, les conditions du travail et le droit ouvrier. » Enfin, il y a lieu de citer deux postulats et une motion qui n'ont pas encore été discutés par les chambres fédérales. Les postulats demandent, entre autres, une nouvelle réglementation des relations entre l'Etat et

873

l'économie et la réglementation du droit de nécessité, et la motion, une réglementation constitutionnelle et légale de l'assurance-chômage.

20. Postulat Huber (St-Gall), du 9 mars 1937.

« Le Conseil fédéral est invité à déposer aussitôt que possible un rapport et des propositions sur la manière dont il pourrait être mis fin à la confusion et à la dégénérescence croissantes du droit et dont pourrait être institué un ordre légal et constitutionnel digne d'un Etat policé. Cette réforme devrait obéir en particulier aux prescriptions suivantes: 1° Réglementation nouvelle des rapports entre l'Etat et l'économie.

2° Nouvelle répartition des tâches et des attributions de la Confédération et des cantons et établissement d'un équilibre financier correspondant.

3° Garantie des bases démocratiques de l'Etat, protection des droits populaires, garantie contre l'abus de la clause d'urgence et des pouvoirs extraordinaires.

4° Claire définition et délimitation des tâches et des attributions des organes actuels de l'Etat et, le cas échéant, de ceux qui viendraient à être créés.» 21. Motion Saxer, du 19 juin 1936.

« Le Conseil fédéral est invité à soumettre à l'Assemblée fédérale un projet de réglementation constitutionnelle et légale de l'assurance-chômage qui unifie les dispositions en vigueur et modifie la répartition des charges publiques. » 22. Postulat Hunziker, du 22 juin 1937.

« Le Conseil fédéral est invité à déposer un rapport et des propositions sur la question de savoir: 1° Comment le droit de nécessité actuellement encore en vigueur et le droit d'édicter des arrêtés fédéraux urgents, qui ne sont prévus que partiellement dans la constitution fédérale, pourraient être restreints par une limitation de durée -- ce qui serait sans doute le plus rationnel -- ou ancrés dans la constitution ; 2° S'il n'y aurait pas lieu d'assurer une nouvelle base constitutionnelle aux mesures de nécessité qui s'imposeraient à l'avenir, en déterminant les conditions à remplir pour l'adoption de ces mesures, ainsi que la durée de validité de ces dernières.

La réglementation nouvelle devrait pouvoir exercer ses effets au plus tard à l'expiration de la période législative en cours.» Par le projet de revision qui vous est soumis, différents postulats et motions que nous avons cités ci-dessus aux chiffres 1 à 22 deviennent
sans objet; ce sont les nos: 4. Postulat Gelpke, du 19 juin 1931.

5. Postulat Schneider, du 19 juin 1931.

6. Motion Schirmer, du 6 décembre 1934.

8. Chiffre 1 de la motion Joss, du 14 juin 1933.

10. Postulat Musy, du 23 septembre 1936.

14. Postulat Berthoud, du 19 juin 1931.

15. Postulat Schirmer, du 6 décembre 1934.

18. Postulat de la commission du Conseil national (majorité) pour la loi sur le repos hebdomadaire, du 1er octobre 1930.

19. Postulat de la commission du Conseil national (minorité) pour la loi sur le repos hebdomadaire, du 1er octobre 1930.

874

2. Conférences de Vevey et de Lucerne en 1933/1934. " Le département de l'économie publique, qui s'occupait depuis plusieurs années déjà du problème de la revision des articles d'ordre économique de la constitution, se vit amené en 1933 à convoquer les représentants des groupements économiques les plus importants, ainsi que des membres des chambres fédérales, à une conférence pour discuter ce problème. Les délibérations de cette commission d'experts eurent lieu à Vevey du 8 au 10 mai 1933 et à Lucerne du 21 au 23 février 1934.

Pour l'objet principal des délibérations -- celles-ci portèrent en outre sur la question de l'institution d'un conseil économique suisse, ainsi que sur des questions de prix et sur le contrôle des prix -- ledit département avait établi un avant-projet de revision.

Les délibérations montrèrent que l'on était généralement d'accord sur la nécessité de donner à la Confédération des attributions législatives pour encourager l'agriculture, l'industrie, le commerce et l'artisanat et pour protéger le travail. De même, les avis concordaient pour la plupart sur la question de savoir si l'on pouvait restreindre avec mesure la liberté de commerce et d'industrie pour remédier à des abus qui régnent dans la vie économique. En outre, on discuta à fond la question du concours à prêter par les cantons et les groupements professionnels en matière de politique économique.

Sur la base du résultat de ces délibérations, le département fédéral de l'économie publique élabora le nouveau projet suivant:

Art. 34.

La Confédération encourage l'agriculture, l'industrie, l'artisanat et le commerce. Elle protège le travail.

La Confédération a le droit d'établir, par la voie législative, des prescriptions uniformes sur ces branches d'activité, notamment aussi sur le placement des travailleurs et l'assurance-chômage. Elle peut, à cet égard, prendre des mesures particulières pour protéger et maintenir les exploitations petites et moyennes.

La législation fédérale statue sur la coopération des cantons en déterminant les domaines et les droits qui leur sont réservés.

La Confédération peut aussi faire appel à la coopération des groupements professionnels et leur déléguer certaines attributions.

La législation fédérale peut déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, lorsque l'intérêt général l'exige impérieusement.

Art. 31.

L'article 31 de la constitution fédérale reçoit, dans l'énumération des réserves qui y sont faites à l'égard de la liberté du commerce et de l'industrie, l'adjonction suivante: « /. La législation prévue à l'article 34. »

875

Les articles 34 et 34 ter actuels sont abrogés.

Ces travaux préparatoires ont été interrompus par la campagne menée pour le vote du peuple sur l'initiative tendant à la revision totale de la constitution; dans la suite, la Confédération dut s'occuper de mesures urgentes à prendre pour parer à la crise. Ces circonstances firent que la question de la revision constitutionnelle se trouva reléguée à l'arrière-plan.

II. Propositions de la IVe sous-commission.

e

La IV sous-commission de la commission consultative pour la législation économique instituée l'année dernière, sous-commission dont le rôle était de tracer la voie à suivre pour faire passer dans la pratique les recommandations des trois premières sous-commissions, a exprimé l'avis, dans son rapport, qu'on ne saurait donner suite à certaines de ces recommandations sans modifier préalablement la constitution. Elle, propose donc une revision partielle des articles d'ordre économique de la constitution. Le Conseil fédéral se range à cette proposition; il estime qu'une revision de la constitution est nécessaire non seulement pour la réalisation des desiderata formulés par la commission, en d'autres termes pour la politique économique à venir, mais encore en raison de la législation économique établie jusqu'à présent.

La IVe sous-commission a établi pour l'élaboration des nouvelles dispositions constitutionnelles certains principes, auxquels le Conseil fédéral souscrit également, à savoir: La commission constate tout d'abord qu'un article établi pour un temps limité, en vue de mesures de crise à caractère temporaire, ne serait pas propre à assurer la réalisation des desiderata formulés, car ceux de ces desiderata qui concernent l'artisanat et l'agriculture notamment visent un régime permanent. Elle fait ressortir que pour la politique agraire en particulier, à laquelle jusqu'à présent la constitution ne consacrait aucune disposition, il importe d'avoir une base constitutionnelle suffisamment déterminée. Pour ces raisons, la commission recommande d'adopter un article sur le régime économique qui ait une portée durable.

La commission est d'avis en outre que le nouvel article constitutionnel devra contenir tous les principes nécessaires pour réaliser les desiderata formulés, tout en abandonnant les détails aux lois d'exécution, 'il ne se bornera pas, toutefois, à régler les attributions; il devra aussi énoncer quelques principes touchant au fond, principes qui préciseront la direction à imprimer à la politique économique.

Ensuite, la commission estime que l'Etat ne doit s'ingérer dans la vie économique que dans la mesure strictement nécessaire, par exemple pour soutenir des branches économiques et des catégories professionnelles

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menacées dans leur existence; pour le surplus, c'est-à-dire pour toutes les branches qui n'ont pas besoin de l'appui de l'Etat, il faut que le principe de la liberté de commerce et d'industrie inscrit dans l'article 31 de la cons·titution fédérale demeure en vigueur. Ce principe devra donc subsister, mais sous réserve des exceptions que porte la constitution actuelle ou que déterminera le nouvel article constitutionnel.

Enfin, pour ce qui est de la forme, la commission considère qu'il convient d'établir deux articles, l'un traitant de la politique économique, l'autre concernant la protection du travail et le chômage. Elle recommande de régler à cette occasion la question de la relation entre l'article 31 et l'article 34 ter de la constitution, question controversée depuis de longues années, et d'opérer la mise au point suivante: biffer, parce que devenue partiellement superflue, l'énumération des réserves que l'actuel article 31, 2e alinéa, fait à l'égard de la liberté de commerce et d'industrie; biffer l'actuel article 32, qui a perdu son objet depuis l'année 1890; incorporer l'actuel article 34 ter au nouvel article 32 et faire des dispositions concernant la protection du travail et le chômage le nouvel article 34 ter.

En résumé, la IVe sous-commission propose de modifier l'article 31 et d'établir deux nouveaux articles 32 et 34 ter. Le texte adopté en séance plénière est le suivant: Art. 31.

La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération.

Des dispositions peuvent être édictées sur l'exercice du commerce et de l'industrie et sur les impôts qui s'y rattachent; à moins que la constitution n'en décide autrement, ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie.

Art. 32.

En tant que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande de façon continue et sous réserve de la liberté de commerce et d'industrie, la Confédération peut établir des dispositions uniformes et prendre des mesures pour encourager l'agriculture, l'artisanat, le commerce, l'industrie et les transports.

Elle a le droit, sans être liée par le principe de la liberté de commerce et d'industrie, mais en sauvegardant les intérêts généraux, d'édicter des prescriptions: a. Pour conserver une forte population paysanne et une
agriculture capable, ainsi que pour consolider la propriété rurale; 6. Pour protéger d'importantes branches économiques et d'importants groupes professionnels qui sont menacés dans leur existence ;

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c. Pour soumettre les cartels et les groupements analogues à une réglementation ; d. Pour donner force obligatoire générale à des conventions et à des décisions qui émanent d'associations professionnelles et de groupements économiques analogues et qui concernent la formation professionnelle, les conditions du travail, y compris les allocations accessoires d'ordre social, ou la lutte contre la concurrence déloyale, en tant qu'elles tiennent suffisamment compte des intérêts légitimes des minorités, qu'elles ne portent pas atteinte à la liberté d'association et sont approuvées par des experts indépendants.

III. Objet des nouveaux articles constitutionnels.

Le Conseil fédéral se rallie au projet de revision reproduit ci-dessus, que présente la commission d'experts pour une nouvelle législation économique ; sont réservées quelques modifications qu'il a paru nécessaire d'apporter au texte lors d'un nouvel examen. Cette revision constitutionnelle comblerait d'une part les lacunes que présente la constitution en ce qui concerne la législation économique de la Confédération et créerait d'autre part la base cpnstitutionnelle nécessaire à la réalisation des voeux formulés par ladite commission (cf. chapitre C, section II, in fine). Parmi les voeux dont il est question dans ce chapitre, ceux qui concernent la force obligatoire générale à donner à des décisions des associations et à des accords conclus par des associations pourraient être réalisés sur la base de l'article 32, lettre d ; ceux qui se rapportent à une loi sur les cartels pourraient l'être en application de l'article 32, lettre c. Quant aux voeux relatifs à certaines mesures dans le domaine de l'agriculture, ils se fondent sur l'article 32, alinéas 1 et 2, lettre a. Nous pensons que l'article 32 permettrait aussi d'introduire le certificat obligatoire de capacité nécessaire pour exercer une profession d'une manière indépendante. Pour ce qui est de la force obligatoire générale des décisions et des accords, on peut soutenir, il est vrai, que les articles 34 ter et 64 de la constitution actuelle permettent déjà à la Confédération, du moins dans le domaine des « arts et métiers », de déclarer que les conventions conclues entre les patrons et les associations ouvrières ont un caractère obligatoire. Nous nous référons à cet égard à la loi fédérale du
27 juin 1919 (1), portant réglementation des conditions de travail, loi qui fut adoptée par les chambres puis rejetée par le peuple à une faible majorité. Ladite loi prévoyait une telle possibilité. Nous estimons cependant qu'il serait préférable, pour ne laisser subsister aucun doute, d'insérer dans la constitution même le principe de la force obligatoire générale des décisions et accords des associations et de déterminer en même temps, d'une façon générale, les conditions et le champ d'application de ces décisions et accords.

H FF 1919, III, 880.

Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

62

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Le texte des nouvelles dispositions constitutionnelles que nous proposons figure dans le projet d'arrêté fédéral ci-annexé portant revision partielle des articles de la constitution fédérale relatifs au domaine économique.

Nous nous référons à ce projet.

Les nouvelles dispositions de la constitution appellent les explications suivantes, que nous diviserons, pour plus de clarté, en trois chapitres.

Dans le premier, nous commenterons le texte constitutionnel; dans les deux autres, nous traiterons du rôle des cantons et des associations professionnelles. Nous ajouterons un quatrième chapitre consacré à la prorogation des mesures extraordinaires.

1. Commentaire des nouvelles dispositions constitutionnelles.

Art. 31.

Le nouvel article 31 est rédigé comme il suit: « La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération.

Des dispositions peuvent être édictées sur l'exercice du commerce et de l'industrie et sur les impôts qui s'y rattachent; à moins que la constitution n'en décide autrement, ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie. » L'article 31 actuel, qui proclame le principe de la liberté de commerce et d'industrie, n'est pas modifié quant au fond par la revision proposée.

Le 1er alinéa de notre projet correspond mot pour mot au 1er alinéa actuel.

Le 2e alinéa est sensiblement plus court sans que le sens en soit modifié.

Dans sa teneur actuelle, il vise des objets fort divers. Sont réservés: 1° Les péages fédéraux (lettre a) ; 2° Des monopoles cantonaux et fédéraux, notamment les monopoles du sel et de la poudre de guerre (lettre a) et de l'alcool (lettre 6); 3° Les droits d'entrée cantonaux sur les vins et les autres boissons spiritueuses, ainsi que les autres droits de consommation formellement reconnus par la Confédération, conformément à l'article 32 (lettre a); 4° L'interdiction de l'absinthe (lettre 6); 5° La législation sur les auberges et'le commerce des boissons spiritueuses, conformément à l'article 32 quater (lettre c) ; 6° Les mesures de police sanitaire de la Confédération et des cantons destinées à combattre les maladies transmissibles, les maladies très répandues et les maladies particulièrement dangereuses de l'homme et des animaux (lettre d);

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7° Les dispositions touchant l'exercice des professions commerciales et industrielles, les impôts qui s'y rattachent et la police des routes. Ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie.

L'article 31, 2e alinéa, contient ainsi bien des choses, mais non pas tout, et il n'a pas été rédigé avec méthode; cela s'explique par sa genèse. Il contribue à obscurcir la portée du principe de la liberté de commerce et d'industrie. Par exemple, on ne voit pas nettement si son 2e alinéa entend interdire aux cantons d'autres monopoles que celui du sel visé sous lettre a; on ne voit pas non plus pourquoi la « régale » de la poudre de guerre est seule citée parmi les monopoles fédéraux. Il semble donc indiqué, à l'occasion de la revision des autres dispositions d'ordre économique, d'améliorer l'article 31, 2e alinéa.

En ce qui concerne les « péages fédéraux », l'article 28 déclare que les péages relèvent de la Confédération et confère à celle-ci le droit de percevoir des droits d'entrée et des droits de sortie. La question est ainsi nettement tranchée et il ne peut s'élever aucun doute sur les rapports de cette disposition avec l'article 31. Il s'ensuit que la réserve contenue à cet égard à l'article 31, 2e alinéa, lettre a, paraît superflue.

L'énumération des monopoles limitant la liberté de commerce et d'industrie est- d'ailleurs incomplète. A côté du monopole du sel prévu sous lettre a, les cantons ont possédé de tout temps celui de la pêche, de la chasse et des mines. Au monopole fédéral de la poudre de guerre prévu aux articles 31, 2e alinéa, et 41 et à celui de l'alcool (art. 32 bis), s'ajoutent encore le monopole des postes (art. 36), des télégraphes (art. 36), des billets de banque (art. 39), de la monnaie (art. 38), de l'assurance-maladie et accidents (art. 34 bis), ainsi que de l'assurance-vieillesse et survivants (art. 34 quater). Or, il n'y a aucune raison de mentionner certains monopoles au nombre des réserves de l'article 31, 2e alinéa, et de passer les autres sous silence, puisqu'ils ont tous le même rapport avec la liberté de commerce et d'industrie. Abstraction faite de cette considération, notons que le principe de la liberté de commerce et d'industrie ne s'applique point aux domaines de l'activité économique que s'est réservés la
collectivité (Confédération, canton ou commune); aussi est-il devenu sans objet à l'égard de ces activités. Il ne reste plus de « prescriptions » à édicter sur l'exercice du commerce et de l'industrie, et il est par conséquent trop tard pour demander que ces prescriptions soient fondées sur le principe de cette liberté. On peut seulement se demander si la collectivité peut s'attribuer de nouvelles fonctions économiques et, si oui, lesquelles. Pour la Confédération, cette question est tranchée, puisqu'elle ne peut assumer une nouvelle mission que si la constitution l'y autorise. L'article 3 de la constitution dit, en effet, que les cantons exercent tous les droits qui ne sont pas conférés au pouvoir central.

880

II en va différemment pour les cantons. Peuvent-ils s'attribuer ou attribuer à leurs communes d'autres activités économiques que celles qui sont prévues à l'article 31 de la constitution ? Il est admis que rénumération contenue dans cet article ne saurait être considérée comme complète et que les cantons possèdent encore d'autres monopoles que celui du sel: monopoles de la pêche, de la chasse et des mines. On a toutefois mis en doute qu'ils puissent instituer des monopoles qui n'existaient pas en 1874, par exemple ceux de l'assurance mobilière, des bureaux de placement, de l'alimentation en gaz et en eau et de la distribution d'énergie électrique. Dans la doctrine, ce droit est contesté; en fait, on a cependant admis l'introduction de nouveaux monopoles chaque fois qu'elle pouvait se fonder sur des raisons pratiques et non pas seulement sur des considérations d'ordre fiscal. En tout cas, on peut dire que, dans sa teneur actuelle, l'article 31, 2e alinéa, n'éclaircit pas la question mais qu'il l'embrouille plutôt et qu'il serait par conséquent préférable de renoncer à une énumération incomplète et de nature à induire en erreur.

Les droits cantonaux d'entrée sur le vin et les autres boissons spiritueuses, ainsi que les autres droits de consommation formellement reconnus par la Confédération, aux termes de l'article 32, ont disparu en 1890. Cette disposition est donc devenue sans objet (cf. art. 32, 2e al.).

La mention de l'article 32 ter (interdiction de l'absinthe) figurant sous lettre 6 pourrait aussi être biffée sans inconvénient, puisque cet article interdit expressément « la fabrication, l'importation, le transport, la vente, la détention pour la vente de la liqueur dite absinthe » et il ne peut ainsi exister aucun doute quant au rapport entre cette disposition et l'article 31.

Il est certain que les législations cantonales fondées sur l'article 32 quater de la constitution actuelle .peuvent déroger au principe de la liberté de commerce et d'industrie et qu'il est loisible aux cantons de réduire suivant les besoins le nombre des auberges et des débits de boissons spiritueuses.

Les mots « restrictions exigées par le bien-être public » qui figurent à l'article 32 quater, 1er alinéa, ont, dès le début, été compris de cette façon, et c'est aussi le sens que leur a donné le Tribunal fédéral. Bien
entendu, la constitution peut créer, dans une de ses dispositions, une exception à un principe contenu dans une autre disposition sans qu'il soit nécessaire de réserver cette exception dans l'article qui énonce le principe lui-même.

Une réserve expresse ne s'imposerait que s'il régnait quelque obscurité sur la relation existant entre les deux dispositions constitutionnelles.

Comme il n'y a rien à craindre de semblable dans le cas particulier, la lettre c de l'article 31 pourrait être supprimée.

En ce qui concerne la lettre d, nous constatons que les mesures' de police en matière commerciale et industrielle -- nous l'avons déjà exposé au chapitre C, section III -- ne portent aucune atteinte au principe de la liberté de commerce et d'industrie lorsqu'elles sont justifiées, c'est-à-dire

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quand elles ne sont pas arbitraires. On peut donc considérer comme superflue la lettre d, qui réserve des mesures de police sanitaire portant atteinte à la liberté de commerce et d'industrie. La situation est ici la même qu'en matière de monopoles. Il n'y a, en effet, aucune raison de mentionner expressément les mesures de police sanitaire à l'article 31, 2e alinéa, alors qu'on ne réserve pas d'autres mesures analogues concernant par exemple la police du feu, des moeurs ou des industries ou la sécurité.

Ainsi, seule revêt de l'importance la lettre e, qui, à vrai dire, ne constitue pas une réserve à l'égard de la liberté de commerce et d'industrie, puisqu'aux termes de la dernière phrase les dispositions en cause « ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie ». Nous estimons que cette disposition doit être maintenue et constituer le 2e alinéa de l'article 31. Toutefois, les mots «et la police des routes », qui sont superflus, pourraient être supprimés.

Au surplus, quelques modifications d'ordre rédactionnel nous paraissent indiquées. Il conviendrait, en particulier, de remplacer, en allemand, le terme de « Verfügungen » par « Vorschriften », puisqu'il ne s'agit pas uniquement de dispositions prises dans des cas spéciaux, mais de règles d'une portée générale. D'autre part, il serait indiqué de remplacer les diverses réserves incomplètes par une réserve générale énonçant clairement que le principe de l'article 31 doit être appliqué partout où « la constitution n'en décide autrement ».

Ce remaniement de l'article 31, 2e alinéa, exige une modification rédactionnelle peu importante de l'article 32 quater, 2e alinéa. Cette disposition devra renvoyer à l'article 31, 2e alinéa, et non plus à l'article 31, lettre e.

Art. 32.

Comme nous l'avons déjà dit, l'article 32 actuel et l'article 6 des dispositions transitoires qui lui est connexe ne sont plus en vigueur depuis la fin de 1890 et peuvent donc être supprimés (cf. Burckhardt, Kommentar der Schweiz. Bundesverfassung, 3e édition, p. 254). L'ancien article 32 serait remplacé par le nouvel article 32 que nous proposons. Celui-ci détermine les attributions de la Confédération dans le domaine économique et met fin à la divergence qui a de tout temps existé au sujet des rapports entre les articles 31 et 34 ter actuels.

Le 7er alinéa du projet a la teneur suivante: « En tant que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande de façon continue et sous réserve de la liberté de commerce et d'industrie, la Confédération peut établir des dispositions uniformes et prendre des mesures pour encourager l'agriculture, l'artisanat, le commerce, l'industrie et le tourisme. » .

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Cette disposition se substitue quant au fond à l'article 34 ter actuel, qui se borne à attribuer à la Confédération le droit de légiférer « dans le domaine des arts et métiers ». Ainsi que nous l'avons déjà exposé, la notion d'« arts et métiers » a cependant été considérée comme s'appliquant non seulement aux métiers sensu stricto, mais aussi au commerce et à l'industrie.

L'innovation créée par l'article 32, 1er alinéa, consiste en ceci que ladite disposition prévoit pour la Confédération à la fois la faculté de légiférer sur ces activités et le droit de les encourager; en outre, les attributions de la Confédération sont étendues à l'agriculture et au tourisme. Nous nous sommes déjà exprimés sur la question de l'agriculture. Il n'y a donc pas lieu d'y revenir. En ce qui concerne le tourisme, notons que, pour des raisons politiques et économiques, les Etats étrangers s'attachent souvent à diriger le mouvement touristique (les tarifs de chemins de fer pour le trafic interne et de transit sont, par exemple, devenus un moyen de servir la politique commerciale et économique). Vu l'importance prise depuis longtemps par le tourisme, également dans notre économie, nous estimons nécessaire de vouer à ce domaine aussi une attention plus grande.

Nous jugeons même indispensable de coordonner, mieux que par le passé, tous les efforts qui tendent à sauvegarder nos intérêts en matière de transports. C'est pourquoi il nous paraît indiqué de conférer d'une manière toute générale à la Confédération le droit d'encourager cette branche d'activité. Nous pensons entre autres à la propagande touristique à l'étranger et aux réductions de taxes accordées aux touristes étrangers. En revanche, l'industrie dite des étrangers et les branches qui s'y rattachent -- industrie hôtelière, exploitation d'établissements de bains d'eaux minérales ou thermales, de kursaals, de plages et autres lieux de divertissements -- rentrent dans la notion d'industrie.

La Confédération ne pourra exercer les attributions que lui confère l'article 32 « qu'en tant que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande de façon continue ». Le 1er alinéa dispose en outre expressément que la Confédération ne peut établir des dispositions ni prendre des mesures que sous réserve du principe de la liberté de commerce et d'industrie.

Le 2e alinéa est
rédigé en ces termes: « Elle a le droit, sans être liée par le principe de la liberté de commerce et d'industrie, mais en sauvegardant les intérêts généraux, d'édicter des dispositions: a. Pour conserver une forte population paysanne et une agriculture capable, ainsi que pour consolider la propriété rurale; b. Pour protéger d'importantes branches économiques et d'importants groupes professionnels qui sont menacés dans leur existence ; c. Pour soumettre les cartels et les groupements analogues à une réglementation ;

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d. Pour donner force obligatoire générale à des conventions et à des décisions qui émanent d'associations professionnelles ou de groupements économiques analogues et qui concernent la formation professionnelle, les conditions du travail, y compris les allocations accessoires d'ordre social, ou la lutte contre la concurrence déloyale, en tant qu'elles tiennent suffisamment compte des intérêts légitimes des minorités, n'ont rien de contraire à la liberté d'association et sont approuvées par des experts . indépendants. » Contrairement à ce que prévoit le 1er alinéa, la Confédération peut, au besoin, édicter les dispositions prévues au 2e alinéa sans être liée par le principe de la liberté de commerce et d'industrie. Les exceptions à ce principe sont cependant énumérées limitatitement aux lettres a à, d. -- En outre, il faut, ici aussi, que ces dispositions répondent de façon continue à 1'« intérêt d'une saine économie nationale ». Le 2e alinéa emploie l'expression « en sauvegardant les intérêts généraux ». Il faut considérer ces termes comme une simple abréviation; en réalité, cette expression a la même signification que celle du 1er alinéa.

Lettre a : A plus d'un égard, l'agriculture ne peut être protégée que par certaines restrictions de la liberté de commerce et d'industrie ; mentionnons, à titre d'exemple, la réglementation de l'industrie laitière.

En disant « conserver une forte population paysanne » et « conserver une agriculture capable » on exprime à peu près la même idée. Ces deux expressions ne se couvrent cependant pas entièrement. La première considère l'agriculture en tant que groupement humain, tandis que la seconde voit dans l'agriculture une branche de la production. Nous jugeons nécessaire d'employer les mots « une forte population paysanne », car une « agriculture capable » peut aussi se concevoir sous la forme de la grande exploitation. Or, pour des raisons d'ordre social et politique, il est de toute importance que nous maintenions dans nos campagnes le plus grand nombre possible d'exploitations viables, de petite ou de moyenne grandeur.

Parmi les prescriptions destinées à « consolider la propriété rurale », les premières qui s'imposent concernent la réglementation du commerce des immeubles ruraux. Nous entendons par là aussi bien le commerce proprement dit que les ventes
d'immeubles conclues entre paysans.

Lettre b. Comme dans le domaine de l'agriculture, il sera nécessaire, pour protéger d'autres branches de l'activité économique et d'autres groupements professionnels, de déroger dans certains cas au principe de la liberté de commerce et d'industrie. Cette liberté ne pourra cependant être restreinte que si d'importantes branches économiques ou d'importants groupes professionnels sont menacés dans leur existence. Par « branche économique », il faut entendre toute une partie de l'économie nationale, comme l'industrie du tourisme ou l'industrie textile. Quant aux « groupes professionnels »,

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ils représentent des divisions d'une branche économique; par exemple, l'industrie de la broderie est une division de l'industrie textile.

Déjà dans la commission d'experts pour une nouvelle législation économique, des représentants des coopératives ont proposé d'ajouter à la lettre 6 la phrase « en considérant d'une manière particulière les coopératives » ou « eu égard aux mesures prises par les coopératives ». Dans la suite, le comité suisse de liaison entre coopératives, par une requête adressée le 13 août 1937 au département de l'économie publique pour être communiquée au Conseil fédéral, a fait une proposition analogue, qui vise à compléter le 2e alinéa de l'article 32 par la disposition suivante : « Elle (la Confédération) a le droit, sans être liée par le principe de la liberté de commerce et d'industrie, mais en sauvegardant les intérêts généraux et en ayant égard au libre développement de l'entr'aide coopérative, d'édicter des dispositions: » Sans vouloir méconnaître l'importance des coopératives, qui se sont fortement développées chez nous dans des sphères variées, nous ne croyons pas que cette adjonction soit indiquée. L'une des raisons en est qu'une pareille disposition spéciale en faveur des coopératives éveillerait certainement les désirs d'autres milieux, et l'on devrait se demander si des dispositions particulières ne devraient pas être prévues aussi en faveur des petites exploitations. La seconde raison, qui est la principale, c'est que l'adjonction proposée n'est, en réalité, absolument pas nécessaire. Les dispositions légales prévues par le 2e alinéa de l'article 32 ne peuvent, en effet, être édictées que si elles sauvegardent les « intérêts généraux », et il est clair que ces intérêts comprennent aussi ceux des coopératives. D'autre part, la disposition de la lettre b permettra aussi d'assurer aux petites exploitations la protection dont elles pourront avoir besoin, dans la mesure où il s'agit de groupes importants et indispensables.

Lettre c. Le problème des cartels a déjà été l'objet de nombreuses requêtes adressées aux autorités fédérales et a suscité de fréquentes discussions au parlement. Rappelons la motion Grimm, du 6 juin 1924, relative aux prix dans la profession de pharmacien, les interpellations Grimm, Brügger et Schmid-Zurich concernant les cartels, les trusts et
la fixation des prix et la réponse donnée aux interpellateurs par le chef du département de l'économie publique le 14 juin 1927. Mentionnons en outre le rapport du Conseil fédéral du 6 mars 1935 sur l'initiative populaire pour combattre la crise économique et ses effets (1) et le message du 18 mars 1935 concernant le contrôle des prix ( 2 ). Citons enfin la motion Feldmann du 23 décembre 1936, qui n'a pas encore été discutée par les chambres et qui a la teneur suivante: « Le Conseil fédéral est invité à déposer un rapport et des propositions sur une réglementation légale des cartels.

(!)

FF 1935, III, 273.

(2) FF 1935, III, 539.

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La législation sur les cartels devrait avoir pour but: 1° De faire servir les cartels au calcul et à l'établissement de prix équitables pour tous; 2° De protéger les intérêts publics contre des conventions de cartels qui ont un caractère abusif; 3° De donner à la commission d'étude des prix un statut bien déterminé et de lui confier les attributions nécessaires. » La IIe sous-commission de la commission d'experts pour une nouvelle législation économique a aussi recommandé d'examiner le problème de la réglementation des cartels.

Les autorités fédérales se sont occupées depuis longtemps de ces questions sans que l'examen de ce problème complexe et difficile ait pu aboutir jusqu'ici à une solution définitive. Aussi serait-il prématuré de parler aujourd'hui déjà du contenu d'une législation sur les cartels. On peut toutefois constater d'ores et déjà qu'il ne s'agit pas d'interdire ou de combattre les cartels, mais seulement de les contrôler, de prescrire notamment une certaine publicité et de lutter contre les abus. Comme on peut se demander si cette législation sur les cartels trouverait une base sûre dans la constitution actuelle, il nous paraît indiqué, à l'occasion de la revision partielle, de dissiper toute incertitude et de donner la compétence nécessaire à la Confédération. Quant à savoir si une loi spéciale sera nécessaire et quel devra être son contenu, c'est une question qui demeure ouverte.

Pour ce qui concerne le texte de la disposition figurant sous lettre c, notons que le terme de « cartels » est très vague et qu'il semble utile de dire « les cartels et les groupements analogues » ; cela permettrait au besoin d'appliquer la loi à tous les groupements qui poursuivent un but semblable, par exemple aux trusts.

Lettre d. Nous nous sommes déjà exprimés, au chapitre B, section II, sur l'ensemble de la question de la force obligatoire générale des décisions des associations et des conventions conclues entre associations. Nous nous bornerons à donner ici quelques explications sur le texte constitutionnel que nous proposons.

Constatons tout d'abord que la force obligatoire générale ne saurait découler directement de la nouvelle disposition constitutionnelle, mais qu'une loi d'exécution devrait être établie qui réglerait notamment les conditions et la procédure, y compris le régime des oppositions
et des recours. Cette loi devrait aussi régler la caducité des conventions et des décisions qui ne sont plus conformes aux conditions légales. Elle devra désigner les autorités compétentes pour conférer la force obligatoire générale. Il y aura lieu d'examiner si, dans certains cas, les autorités cantonales doivent aussi avoir une pareille compétence.

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Pourront recevoir force obligatoire générale au sens du projet les « conventions et décisions qui émanent d'associations professionnelles ou de groupements économiques analogues ». Il faut entendre par « décisions » les décisions internes prises par ces associations et par « conventions » les accords conclus entre deux ou plusieurs associations, par exemple entre des associations ouvrières et patronales. En règle générale, la force obligatoire générale sera conférée à des conventions bilatérales ou plurilatérales. Toutefois, lorsqu'il n'y a pas de cocontractant ou qu'une seule association est intéressée, on pourra déclarer obligatoires de simples décisions.

Outre les associations professionnelles proprement dites, le projet mentionne « les groupements économiques analogues » pour tenir compte des organismes qui n'ont pas adopté la forme d'un groupement professionnel, mais qui poursuivent des buts semblables.

Pourront seules recevoir force obligatoire générale les conventions et décisions qui « tiennent suffisamment compte des intérêts légitimes des minorités, n'ont rien de contraire à la liberté d'association et sont approuvées par des experts indépendants ». Par liberté d'association, il faut entendre le droit de fonder une association, d'entrer dans une association déjà fondée ou de renoncer à y entrer. La création d'associations obligatoires est expressément interdite; la force obligatoire générale suppose des associations librement créées et des accords librement consentis. En revanche, il découle de la notion de force obligatoire générale que les décisions des associations ou les conventions lient aussi les tiers.

Nous prévoyons la création d'un collège restreint d'experts économiques indépendants, dont la mission sera d'examiner les propositions des associations tendant à conférer la force obligatoire générale à des décisions et conventions et de donner son avis aux autorités compétentes. La force obligatoire générale ne sera conférée que si elle est recommandée par ce collège. Même dans ce cas, l'autorité ne sera pas tenue de déclarer obligatoire la décision ou la convention, mais elle aura la faculté de le faire si elle juge fondée la proposition de l'association.

L'attribution de la force obligatoire générale est prévue pour le domaine de la formation professionnelle, des conditions
du travail, y compris les allocations accessoires de nature sociale, et de la lutte contre la concurrence déloyale; cette énumération esb limitative. La formation professionnelle est déjà réglée par la loi fédérale du 26 juin 1930, mais il existe encore diverses questions que la loi n'a pas touchées et qui pourraient trouver leur solution dans la force obligatoire générale conférée aux décisions ou conventions des associations. Nous pensons par exemple à la réglementation des contrats d'apprentissage (denier d'apprentissage, salaire de l'apprenti, assurance) ainsi qu'à la couverture des frais occasionnés par les examens de fin d'apprentissage contrôlés par les associations. Par « conditions du travail » il faut entendre le contenu du contrat de travail, notamment la fixation du salaire et celle des heures de travail. Les allocations accessoires

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de nature sociale comprennent entre autres le salaire payé pendant les vacances ou le service militaire et le salaire familial. Il existe déjà des prescriptions relatives à la concurrence déloyale, tant sur le terrain fédéral que dans la législation cantonale ; une loi fédérale, encore à l'état de projet, est d'ailleurs appelée à régler cette matière dans le détail. Quelques lacunes subsisteront cependant. On pourra laisser aux associations le soin de les combler -- sous réserve de la décision des autorités appelées à les examiner et à statuer sur l'octroi de la force obligatoire. Mentionnons, à titre d'exemple, les prescriptions sur l'emploi de certaines désignations de qualité et de provenance, telles que « travail à la main », « vêtement sur mesure », « soie naturelle », « produit suisse ».

Le 3e alinéa a la teneur suivante: Les dispositions prévues aux 1er et 2e alinéas seront édictées par voie législative. La législation relative à ces objets prendra en considération la coopération des cantons et réservera à ceux-ci les domaines et les tâches qui ne nécessitent pas l'établissement de règles générales par la Confédération. · En outre, elle pourra prévoir la coopération des associations professionnelles et des groupements économiques analogues à l'exécution des dispositions législatives.

Nous renvoyons aux sections 2 et 3 ci-après pour tout ce qui concerne, dans cet alinéa, les attributions des cantons et des associations professionnelles. Nous nous bornons à mentionner que dans la dernière phrase, qui détermine la collaboration des associations professionnelles, l'expression « dispositions législatives » doit être comprise dans son sens étendu et s'applique aux lois proprement dites, aux arrêtés fédéraux et aux ordonnances.

Le 3e alinéa prévoit en outre expressément que les dispositions d'exécution prévues aux 1er et 2e alinéas seront édictées par voie législative.

Art. 34 ter.

Le contenu de l'article 34 ter actuel est repris par le nouvel article 32.

Il peut donc être supprimé. Nous proposons un nouvel article 34 ter rédigé comme il suit: La Confédération a le droit d'établir des dispositions uniformes sur la protection des travailleurs, le service de placement, l'assurancechômage et la formation professionnelle.

Elle combat le chômage et en atténue les conséquences ; en période de crise, elle peut édicter des dispositions sur les moyens de créer et de financer des possibilités de travail.

Les dispositions et prescriptions mentionnées aux 1er et 2e alinéas seront édictées par voie législative.

La coopération des cantons est garantie.

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Le lei alinéa du nouvel article 34 ter confère à la Confédération le droit de légiférer sur la protection des travailleurs, sur le service de placement et sur l'assurance-chômage, ainsi que sur la formation professionnelle.

En ce qui concerne tout d'abord la protection des travailleurs, la constitution actuelle donne à la Confédération le droit de régler le travail des enfants dans les fabriques, la durée du travail qui pourra y être imposée aux adultes, ainsi que la protection à accorder aux ouvriers contre l'exercice des industries insalubres et dangereuses (art. 34 Cst.). L'article 34fer adopté en 1908 autorise en outre la Confédération à prendre, entre autres, des mesures pour protéger les ouvriers de l'industrie, des arts et métiers et du commerce, car les « prescriptions uniformes » qu'il prévoit comprennent aussi la protection des ouvriers dans ces divers domaines. La constitution actuelle présente cependant encore deux lacunes. L'une concerne l'agriculture; elle sera comblée par le nouvel article 32. L'autre se rapporte au travail exécuté en dehors des exploitations du commerce, de l'industrie et des arts et métiers; elle concerne en particulier le personnel de maison et, partiellement, les gardes-malades. La seconde lacune sera comblée par le nouvel article 34 ter, qui supprime la limitation du droit de légiférer à certains modes d'exploitation (fabriques) et à certaines branches économiques (arts et métiers) et qui confère à la Confédération la compétence de légiférer sur la protection des travailleurs.

La présente révision constitutionnelle, qui étend la compétence de la Confédération à un plus vaste domarne, ne touche pas quant au fond la législation sur la protection des travailleurs. Parmi les objets sur lesquels la Confédération a légiféré jusqu'ici et qu'elle pourra réglementer aussi à l'avenir, mentionnons à titre d'exemple: la durée du travail, l'hygiène dans l'industrie, la protection contre les accidents, l'occupation des femmes et des jeunes gens, la conciliation et l'arbitrage volontaires.

On peut se demander si l'article 34 de la constitution ne devrait, pas être supprimé puisque son 1er alinéa est absorbé par le nouvel article 34 ter et que son 2e alinéa est, semble-t-il, déjà compris dans l'article 34 ter actuel et englobé dans le nouvel article 32. Nous estimons cependant
préférable de nous limiter aux modifications absolument nécessaires, d'autant plus que la suppression de l'article 34 entraînerait un nouveau numérotage des articles 34 bis à 34 quater. Nous croyons donc devoir laisser cette question ouverte jusqu'au jour d'une revision totale de la constitution.

Le service de placement et l'assurance-chômage manquaient jusqu'ici d'une base constitutionnelle en tant que ces institutions dépassaient le cadre des « arts et métiers » au sens de l'article 34 ter. La Confédération s'est toutefois vue obligée de prendre certaines mesures dans ces domaines.

Pour des motifs d'ordre constitutionnel, elle s'est cependant bornée à édicter des dispositions subventionnelles et des prescriptions générales.

Pensant que le développement de cette législation s'imposera, nous jugeons

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qu'il serait indiqué de mentionner expressément dans la constitution le service de placement et l'assurance-chômage.

En ce qui concerne la formation professionnelle, la situation est la même que pour la protection des travailleurs. Ici aussi, l'article 34 ter constitue encore la base constitutionnelle; il n'embrasse cependant que le domaine des « arts et métiers ». Il en résulte une lacune pour les autres branches de l'économie, notamment l'agriculture, et pour les professions qui ne rentrent pas dans la notion d'industrie, d'arts et métiers et de commerce, par exemple pour celles de gens de maison et de gardes-malades. Le nouvel article 34 ter, rédigé en termes généraux, comblera cette lacune.

Le 2e alinéa du nouvel article 34 ter confie à la Confédération la tâche de combattre le chômage et d'atténuer ses conséquences. Il l'autorise à édicter, en vue de périodes de crise, des prescriptions législatives sur les moyens de créer et de financer des possibilités de travail. Les circonstances montreront quelles mesures devront être prises dans tel ou tel cas pour atteindre ce but ; il n'est donc pas possible d'établir d'avance un programme à cet effet. Bornons-nous à rappeler l'activité déployée dans ce domaine par la Confédération au cours des dernières années (oeuvres de secours pour certains groupes d'entreprises (ind.ustrie de la broderie, industrie horlogère, industrie hôtelière), mesures tendant à promouvoir l'exportation (lutte contre le chômage par des travaux productifs, garantie des risques, financement de l'exportation), subventionnement de travaux de chômage, institution d'un service volontaire de travail et de camps de travail, encouragement de la colonisation intérieure et extérieure. Mentionnons encore l'influence exercée sur le marché du travail, notamment par les restrictions imposées à l'immigration de la main-d'oeuvre étrangère et par les mesures prises en vue d'obtenir une main-d'oeuvre indigène en état de satisfaire qualitativement et quantitativement aux besoins de notre économie (formation, réadaptation et initiation professionnelles, déplacement de la main-d'oeuvre. A l'avenir aussi, des mesures de cet ordre s'imposeront.

On devra cependant s'assurer de la possibilité de s'adapter à des circonstances nouvelles. Il ne suffira en particulier pas de lutter contre le chômage
existant; on devra chercher à prévenir autant que possible tout chômage futur. Si les mesures administratives ne suffisent pas, les prescriptions nécessaires devront être édictées par la voie législative.

2. Situation des cantons.

Il est dans la nature des choses que la législation établie par la Confédération tienne soigneusement compte de la structure federative de notre Etat. La législation d'ordre économique ne fait pas exception. Elle devra donc, à l'avenir comme précédemment, charger les cantons d'exécuter sur une grande échelle les mesures nécessaires. Dans de nombreux domaines,

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ce sont les cantons qui agiront et la Confédération se bornera à les soutenir.

Les cantons devront en tout cas être appelés à collaborer dans une large mesure à l'exécution des lois.

On ne doit toutefois pas oublier que la Suisse constitue un seul territoire économique, que ce territoire paraît aujourd'hui exigu si on le compare avec d'autres et qu'il ne saurait être question de le morceler en 25 parties.

Il s'ensuit que la tâche de la Confédération est de diriger la politique économique et d'édicter les lois fondamentales d'ordre économique et social (loi sur les fabriques, loi sur la formation professionnelle, etc.). Les oeuvres de secours en faveur de certains groupes professionnels ne peuvent souvent s'accomplir que sur le terrain fédéral, nos différentes industries étendant leur activité au delà des frontières cantonales. C'est ainsi que pour l'horlogerie, par exemple, on ne peut concevoir qu'une réglementation s'appliquant à tout le territoire suisse, et il ne serait pas normal de la soumettre à des conditions spéciales dans les cantons de Neuchâtel et de Soleure et dans le Jura bernois.

D'autre part, les conditions économiques diffèrent beaucoup d'un canton à l'autre. Ce sont là des différences dont la législation économique de la Confédération doit tenir compte. Dans de nombreux domaines, la Confédération devra donc se borner à établir des lois générales que la législation cantonale devra compléter; quant à d'autres questions économiques qui n'intéressent, d'une façon générale, que les cantons, elles pourront, dans une mesure plus large encore, être laissées à la compétence cantonale.

La remarque qui précède vaut en particulier pour les questions agricoles.

Les cantons s'occuperont, comme précédemment, des améliorations foncières, des remaniements parcellaires, de l'aménagement des chemins, etc.

La Confédération aura pour tâche de soutenir ces efforts conformément aux règles de la législation fédérale. La situation est analogue dans le domaine de l'élevage du bétail. Des lois cantonales continueront à régir cette matière, et les cantons ne se verront pas privés de leur initiative.

Ils pourront distribuer, comme précédemment, des primes pour les bestiaux et prendre d'autres mesures encore dans l'intérêt de l'élevage du gros et du petit bétail. Les cantons devraient conserver le droit
d'édicter des dispositions législatives pour lutter contre les dommages qui menacent la production agricole et pour en atténuer les conséquences. Nous pensons entre autres à la lutte contre les parasites. Les cantons pourraient en outre encourager et réglementer l'assurance du bétail et l'assurance contre la grêle comme aussi prendre ou appuyer des mesures destinées à faciliter l'écoulement des produits agricoles (vin et fruits, p. ex.).

Nous croyons que la délimitation des attributions de la Confédération et des cantons n'offrira en pratique aucune difficulté sérieuse. Il ne semble

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cependant guère possible de faire figurer d'ores et déjà dans la constitution la liste détaillée des attributions qui doivent être réservées aux cantons.

Il appartiendra à la législation de déterminer ces attributions, matière par matière. C'est pour cette raison que les nouveaux articles constitutionnels ne contiennent que certaines règles générales sur la collaboration des cantons. En réalité, la revision constitutionnelle ne modifiera pas sensiblement la compétence des cantons. L'objet principal de la revision est d'adapter la constitution aux circonstances actuelles. A ce propos, nous tenons à relever ce qui suit: La revision de l'article 31 ne modifie en rien la situation des cantons.

Ceux-ci demeurent liés par le principe de la liberté de commerce et d'industrie. Nous pensons qu'il ne saurait en être autrement. Au cours des dernières années de crise, on a constaté que, malgré le principe de la liberté de commerce et d'industrie, les cantons ont manifesté ici et là un certain exclusivisme économique. Considéré du point de vue de l'économie générale, cet exclusivisme, qui peut se comprendre en soi, doit être qualifié d'indésirable. Si les cantons étaient dispensés d'observer le principe de la liberté de commerce et d'industrie, on pourrait redouter de leur part des mesures plus graves encore, gravement préjudiciables à notre économie nationale.

En vertu des nouvelles dispositions constitutionnelles, la Confédération pourra cependant, dans les cas où l'article 32, 2e alinéa, l'autorise à ne pas respecter le principe de la liberté de commerce et d'industrie, confier aux cantons le soin de régler certaines questions et, dans les limites de la législation fédérale, leur conférer en même temps le droit de déroger au principe susnommé.

Jj'artide 32 que nous proposons d'adopter confère à la Confédération, comme attribution nouvelle, la compétence pour légiférer sur l'agriculture et le tourisme et pour encourager ces branches de l'économie. Il lui donne en outre le pouvoir, dans les cas prévus au 2e alinéa, d'édicter des dispositions uniformes qui dérogent au principe de la liberté de commerce et d'industrie. Comme nous l'avons déjà exposé, la Confédération s'est vue souvent contrainte d'intervenir dans ces domaines, notamment dans celui de l'agriculture. D'ailleurs -- nous tenons à le répéter --
elle n'a nullement l'intention de se substituer aux cantons ou de les diminuer. Au contraire, on devra, ici précisément, laisser aux cantons non seulement le soin d'exécuter les lois fédérales, mais encore celui de légiférer dans une mesure importante de façon à pouvoir prendre les dispositions qui conviennent à leurs conditions particulières. L'article 32, 3e alinéa, tient compte de cette nécessité ; il prescrit expressément que la législation fédérale prendra en considération la coopération des cantons et réservera à ceux-ci les domaines et les tâches qui ne nécessitent pas l'établissement de règles générales par la Confédération.

892 II en est un peu autrement des matières réglées par le nouvel article 34ter (protection des travailleurs, service de placement, assurance-chômage, lutte contre le chômage et création d'occasions de travail). Les mesures de cette nature exigent, à notre avis, une unification plus étendue. Il appartient donc à la Confédération d'édicter les lois qui leur serviront de base. Toutefois, la collaboration des cantons est nécessaire, ici aussi; le 3e alinéa la garantit expressément. Seules une entente étroite entre la Confédération et les cantons et l'union de leurs forces assureront le succès.

3. Rôle des associations professionnelles et des organismes économiques analogues dans l'exécution des prescriptions légales.

Nous possédons en Suisse un grand nombre d'associations bien organisées qui peuvent être appelées à coopérer à l'accomplissement des tâches économiques. Cette collaboration se conçoit sous deux formes, savoir: le droit des associations de proposer l'attribution de la force obligatoire générale à certaines décisions et conventions et la participation à l'exécution de prescriptions légales, par quoi il ne faut pas seulement entendre les lois au sens strict du terme, mais aussi les arrêtés fédéraux et les ordonnances.

Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'attribuer une certaine autonomie aux associations.

Nous nous sommes déjà exprimés plus haut d'une façon détaillée sur l'attribution de la force obligatoire générale. Nous pouvons donc nous borner à examiner la seconde forme sous laquelle les associations pourront collaborer. Elle est prévue à l'article 32, 3e alinéa. Le Conseil fédéral et le département de l'économie publique ont déjà fait appel aux associations chaque fois que ce fut possible, et la législation elle-même prévoit, dans de nombreux cas, leur collaboration. La coopération de l'Etat et des associations se présente sous des aspects divers. Ainsi, les associations ont été consultées de tout temps lors de l'élaboration d'actes législatifs. Cette procédure sera maintenue, et il paraît superflu de la mentionner spécialement dans la constitution. Les associations centrales ont toujours été représentées au sein des commissions. Pour assurer l'exécution de certaines lois, des commissions permanentes ont été créées avec mission de donner des avis aux autorités. Citons la commission
des fabriques, la commission d'experts pour le tarif douanier et la commission d'experts de la cordonnerie, dans lesquelles les représentants des associations siègent et délibèrent; ils ont ainsi l'occasion de collaborer aux tâches publiques. Cette collaboration devient plus étroite lorsque l'Etat reconnaît, sous certaines conditions, les institutions créées par les associations -- par exemple les caisses d'assurance-maladie et les caisses d'assurance-chômage -- ou leur confère directement certaines fonctions publiques. Qu'on songe au rôle que jouent les associations agricoles dans l'oeuvre de soutien du prix du lait et à la

893 loi sur la formation professionnelle, qui autorise les associations, sous certaines conditions, à'organiser des examens de fin d'apprentissage et des examens professionnels supérieurs.

La complexité de la vie économique et l'augmentation des tâches de l'Etat dans ce domaine spécial rendent nécessaire une collaboration étroite des organes de l'Etat et des représentants des entreprises privées. Les associations et les institutions créées par elles se sont souvent révélées de précieux intermédiaires entre les individus et l'Etat. Chaque fois que ces intermédiaires qui auraient pu être chargés d'exécuter les prescriptions légales ont fait défaut, la Confédération s'est vue contrainte de créer des organismes spéciaux. Ce fut notamment le cas lors de l'exécution d'oeuvres de secours. Nous rappelons que la société fiduciaire suisse pour l'hôtellerie et la société coopérative fiduciaire de la broderie se virent confier par la Confédération l'exécution des mesures en faveur de certaines branches de l'économie.

Il faut aussi se souvenir qu'une coopération bien organisée de l'Etat et des associations a une grande importance pour la préparation de l'économie en vue d'une guerre. L'économie de guerre doit pouvoir compter largement sur la collaboration des associations, et il est certainement avantageux que ce travail en commun commence et se développe en temps de paix.

De nombreuses mesures, notamment celles qui tendent à améliorer la qualité des produits agricoles, ne peuvent être prises sans la collaboration énergique et intelligente des associations, l'Etat ne disposant pas de moyens suffisants pour exercer un contrôle efficace. Bien que de multiples prescriptions doivent être édictées pour l'ensemble de la Suisse, il ne s'ensuit pas que leur exécution doive être centralisée. Ne serait-ce que pour parer à un développement excessif de l'appareil administratif et assurer la collaboration de l'Etat et des entreprises privées, il peut être opportun de confier l'accomplissement de certaines tâches aux associations ou aux institutions créées par elles. La future législation économique accordera donc toujours plus d'importance aux associations professionnelles, tout en sauvegardant le principe de la liberté d'association; elle leur demandera de prêter leur concours, comme aussi d'assumer une responsabilité.
Cette collaboration permanente de l'Etat et des associations suppose une organisation. Il est clair que les associations qui prétendent collaborer doivent remplir des conditions déterminées. C'est pourquoi la commission d'experts pour une nouvelle législation économique propose d'établir une loi sur les associations. Doit-on édicter ïine loi générale sur les associations ou faut-il régler dans des lois spéciales la collaboration des associations et les conditions qu'elles doivent remplir pour coopérer à l'exécution des prescriptions légales ? C'est une question que nous pouvons nous dispenser Feuille fédérale. 89° année. Vol. II.

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de traiter ici, parce que les conditions varieront peut-être selon l'objet en cause (1).

On devrait exiger, par exemple, que les associations qui désirent collaborer régulièrement disposent d'une organisation qui garantisse une gestion rationnelle. Il faudrait prévoir aussi un contrôle suffisant (obligation de donner des renseignements sur la gestion, en tant qu'elle intéresse la collaboration à l'exécution des lois, obligation de rendre compte de l'emploi des deniers publics). Si les associations possèdent un droit de recours contre des prescriptions cantonales (comme dans les arrêtés fédéraux sur l'interdiction d'ouvrir des magasins et sur la protection du métier de cordonnier), il faudra prévoir des garanties contre l'abus de ce droit.

Outre la coopération des associations, le projet prévoit celle de « groupements économiques analogues ». Nous avons en vue des organismes tels que les offices centraux de l'union des coopératives de cautionnement des arts et métiers, de l'union du travail à domicile et l'office d'expansion commerciale et d'autres organismes nés de l'initiative privée qui peuvent être appelés à accomplir des tâches économiques.

4. Prorogation des prescriptions extraordinaires.

Si notre projet de revision est accepté par les chambres et par le peuple, la Confédération disposera d'une base constitutionnelle solide pour édicter toutes les mesures nécessaires dans l'ordre économique. Toutefois, en tant que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande d'une façon continue, l'article 32, 2e aunéa, lettre 6, du projet autorise aussi l'exécution de mesures de secours, pareilles à celles qui ont été prises en faveur de l'industrie hôtelière, de l'industrie de la broderie, de l'industrie horlogère, du commerce de détail et autres, fondées en général sur les articles 34 ou 2 de la constitution lorsqu'elles dérogeaient au principe de la liberté de commerce et d'industrie. Tant au parlement que dans les avis de certains gouvernements cantonaux (souvent invités à se prononcer), il a fréquemment été déclaré que les arrêtés fédéraux instituant des mesures extraordinaires d'ordre économique n'étaient agréés qu'à la condition que tout fût mis en oeuvre pour leur donner à bref délai une base constitutionnelle indiscutable par la voie d'une revision de la constitution.

( J ) L'ordonnance
I du 23 septembre 1932 portant exécution de la loi fédérale sur la formation professionnelle prescrit, par exemple, que les associations qui désirent être invitées à donner leur avis doivent se faire inscrire dans un registre des associations professionnelles et présenter leurs statuts et un état des membres de leur comité chargé de les représenter. Quand une association est affiliée à un groupement central et que celui-ci est inscrit pour la profession sur le registre, le groupement central a seul droit à être consulté.

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L'amélioration de la base constitutionnelle n'impliquera pas l'obligation de maintenir, sous la forme de lois, les mesures prises jusqu'à présent.

Au contraire, on pourra renoncer à maint arrêté parce que la situation économique se sera améliorée ou que certaines branches de l'économie auront su, par leurs propres moyens, consolider leur situation et revenir d'elles-mêmes à la santé, sous la protection des prescriptions fédérales extraordinaires.

A la fin de cette année, certains arrêté fédéraux cesseront d'avoir effet.

Ce sont: 1° L'arrêté fédéral du 14 octobre 1933 concernant les mesures de défense économique contre l'étranger, prorogé par l'arrêté fédéral du 11 décembre 1935 (*), 2° L'arrêté fédéral du 20 juin 1936 sur le contrôle des prix de marchandises (2), 3° L'arrêté fédéral du 29 septembre 1936 sur les mesures extraordinaires d'ordre économique (3), 4° L'arrêté fédéral du 27 septembre 1935 interdisant l'ouverture et l'agrandissement de grands magasins, de maisons d'assortiment, de magasins à prix uniques et de maisons à succursales multiples (4).

Comme il n'est pas possible de créer dans le courant de cette année les bases constitutionnelles désirées, nous sommes obligés de vous soumettre, au sujet de ces arrêtés, des projets spéciaux qui vous sont parvenus déjà avant le présent message et dans lesquels nous vous proposons, en tant que c'est nécessaire, une nouvelle prorogation des mesures actuelles.

Cette proposition répond aux vues de la commission d'experts, qui envisage, jusqu'au moment de la revision constitutionnelle, que nous devons continuer à combattre les effets de la crise par des mesures spéciales prises après consultation des intéressés et des associations économiques générales.

Nous fondant sur l'exposé qui précède, nous vous recommandons d'adopter le projet d'arrêté fédéral qui vous est soumis. Nous vous proposons, en outre, de classer les motions et postulats indiqués sous chapitre D, H KO 49, 831; 5l, 804.

( 2 ) RO 52, 523.

( 3 ) RO 52, 773.

( 4 ) RO 5l, 670.

896 section I, l in fine (p. 873), qui sont devenus sans objet du fait de la revision constitutionnelle proposée.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 10 septembre 1937.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, MOTTA.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

Annexes : Projet d'un arrêté fédéral portant revision partielle des articles de la constitution fédérale relatifs au domaine économique.

Rapport présenté au département fédéral do l'économie publique par la commis'' sion d'experts pour une nouvelle législation économique.

897 (Projet.)

Arrêté fédéral portant

revision partielle des articles de la constitution fédérale relatifs au domaine économique.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu les articles 84, 85, chiffre 14, 118 et 121 de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 10 septembre 1937, arrête : Article premier.

1. Les articles 31, 32 et 34 ter de la constitution sont abrogés et remplacés par les dispositions suivantes: Art. 31. La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération.

Des dispositions peuvent être édictées sur l'exercice du commerce et de l'industrie et sur les impôts qui s'y rattachent; à moins que la constitution n'en décide autrement, ces prescriptions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce ',,.et d'industrie.

Art. 32. En tant que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande de façon continue et sous réserve de la liberté de commerce et d'industrie, la Confédération peut établir des dispositions uniformes et prendre des mesures pour encourager l'agriculture, l'artisanat, le commerce, l'industrie et le tourisme.

Elle a le droit, sans être liée par le principe de la liberté de commerce et d'industrie, mais en sauvegardant les intérêts? généraux, d'édicter des dispositions: a. Pour conserver une forte population paysanne et une agriculture capable, ainsi que pour consolider la propriété rurale; b. Pour protéger d'importantes branches économiques et d'importants groupes professionnels qui sont menacés dans leur existence ;

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c. Pour soumettre les cartels et les groupements analogues à une réglementation ; d. Pour donner force obligatoire générale à des conventions et à des décisions qui émanent d'associations professionnelles ou de groupements économiques analogues et qui concernent la formation professionnelle, les conditions du travail, y compris les allocations accessoires d'ordre social, ou la lutte contre la concurrence déloyale, en tant qu'elles tiennent suffisamment compte des intérêts légitimes des minorités, n'ont rien de contraire à la liberté d'association et sont approuvées par des experts indépendants.

Les dispositions prévues aux 1er et 2e alinéas seront édictées par voie législative. La législation relative à ces objets prendra en considération la coopération des cantons et réservera à ceux-ci les domaines et les tâches qui ne nécessitent pas l'établissement de règles générales par la Confédération. En outre, elle pourra prévoir la coopération des associations professionnelles et des groupements économiques analogues à l'exécution des dispositions législatives.

Art. 34 ter. La Confédération a le droit d'établir, par voie législative, des dispositions uniformes sur la protection des travailleurs, le service de placement, l'assurance-chômage et la formation professionnelle.

Elle combat le chômage et en atténue les conséquences; en vue de périodes de crise, elle peut édicter des dispositions sur les moyens de créer et de financer des possibilités de travail.

Les dispositions et prescriptions mentionnées aux 1er et 2e alinéas seront édictées par voie législative.

La coopération des cantons est garantie.

2. A l'article"32 quater, 2e alinéa, de la constitution, les mots « , . . . dans les limites de l'article 31, lettre e . . . » sont remplacés par les mots « . . . dans les limites de l'article 31, 2e alinéa ... ».

3. L'article 6 des dispositions transitoires de la constitution est abrogé.

Art. 2.

Le présent arrêté sera soumis à la votation du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est chargé d'en assurer l'exécution.

899 Traduction.

RAPPORT présenté

o

au département fédéral de l'économie publique par la commission d'experts pour une nouvelle législation économique.

(Du 4'juin 1937.)

Monsieur le Conseiller fédéral, Par décision du 21 octobre 1936, votre département a institué la commission d'experts pour une nouvelle législation économique. En font partie : le conseiller fédéral Obrecht, chef du département de l'économie publique, président, le ministre Stucki, délégué du Conseil fédéral pour le commerce extérieur, suppléant du président, M. Menggli, avocat, directeur de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, le Dr Käppeli, directeur de la division de l'agriculture.

Membres : M. W. Amstalden, député au Conseil des Etats, à Sarnen, le professeur G. Bachmann, président de la direction générale de la banque nationale suisse, à Zurich, M. R. Baumann, ancien député au Conseil national, secrétaire général de l'union Helvétia, à Lucerne, M. R. Bratschi, député au Conseil national, à Berne, le Dr J. L. Cagianut, président de la société suisse des entrepreneurs, à Zurich, M. R. Grimm, député au Conseil national, à Berne, M. P. Jaberg, directeur général de l'union de banques suisses, à Zurich,

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le DT B. Jäggi, président du comité de surveillance de l'union des sociétés suisses de consommation, à Baie, le Dr C. Köchlin, président de la chambre bâloise du commerce, à Baie, le professeur E. Laur, directeur du secrétariat des paysans suisses, à Brougg, le Dr J. M. Musy, député au Conseil national, ancien conseiller fédéral, à Middes s. Payerne, M. A. Picot, député au Conseil national, à Genève, M. F. Porchet, conseiller d'Etat, président de l'union suisse des paysans, à Lausanne^ M. R. Reichling, député au Conseil national, à Stufa, M. Jos. Scherrer, député au Conseil national, président de l'union suisse des travailleurs chrétiens-sociaux, à St-Gall, M. A. Schirmer, député au Conseil national, président de l'union suisse des arts et métiers, à St-Gall, le Dr E. Schulthess, ancien conseiller fédéral, président de la commission fédérale des banques, à Berne, le Dr M. Weber, conseiller économique de l'union syndicale suisse, à Berne, le Dr E. Wetter, député au Conseil national, vice-président de l'union suisse du commerce et de l'industrie, à Zurich, M. F. Wüthrich, député au Conseil national, à Zurich.

Experts : le professeur E. Böhler, de l'école polytechnique fédérale, à Zurich, le professeur P. Keller, de l'école de hautes études commerciales, à St-Gall, le professeur R. König, de l'université de Berne, à Berne.

Secrétaire : le D M. Holzer, de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne.

r

La première séance de la commission se tint le 4 novembre 1936. M. le conseiller fédéral Obrecht y exposa dans le détail ses vues sur la nouvelle orientation à donner à la politique économique et financière du pays. Il dit entre autres choses: « Le 23 septembre 1936, le Conseil national a adopté un postulat, déposé par M. Musy, qui invitait le Conseil fédéral à examiner « s'il n'est pas urgent de présenter un programme général de redressement national, comportant solutions coordonnées des problèmes économiques et financiers ». L'ajustement de notre monnaie qui est intervenu depuis lors a créé une situation nouvelle appelant une orien-

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tation nouvelle de la politique économique et financière du pays.

C'est ce qui m'a déterminé à instituer une commission consultative pour la législation économique, commission qui devrait, par un sérieux effort, trouver un terrain d'entente pour la solution des questions de politique économique. Les délibérations de cette commission devraient aboutir à la rédaction d'un nouvel article constitutionnel qui formerait la base juridique de la nouvelle politique économique du pays. Les études qui avaient été faites précédemment dans le même ordre d'idées et qui auraient dû conduire à la revision des articles 31 et 34 ter de la constitution fédérale furent interrompues par la campagne de propagande pour la revision totale de la constitution. Puis est venue la préparation des mesures qu'il fallait prendre d'urgence contre la crise et qui ont momentanément empêché de poursuivre les travaux préparatoires d'une nouvelle législation économique. Avant d'aborder la discussion sur cet objet, il est nécessaire de se former une idée claire de l'aménagement futur de l'économie suisse. Je distingue ici trois étapes ou -- plus exactement -- trois tâches : 1. Aussi bien dans le temps que dans l'ordre des questions à traiter, la première étape est de doubler définitivement, grâce a la dévaluation, le cap des difficultés auxquelles se heurtait notre économie, autrement dit, de trouver enfin une issue à la crise afin de remettre en marche notre économie paralysée. Il s'agit tout d'abord de revigorer les branches d'activité les plus éprouvées (industries exportatrices, tourisme et industrie du bâtiment). Le résultat se mesurera au recul du chômage.

2. Puis viendra, comme deuxième tâche, la consolidation de nos positions économiques. Il devra s'ensuivre un nouveau recul du chômage. Ce sera une période d'adaptation, progressive et méthodique, des prix et des salaires a l'évolution et à l'amélioration de la conjoncture, et aussi -- dans la mesure où l'on ne pourra pas l'éviter -- au renchérissement du coût de la vie et du coût de la production.

3. Cette tâche accomplie, on pourra envisager le passage à un nouvel ordre économique, auquel il faut préparer à temps les voies d'accès. C'est donc déjà en prévision de cette «nouvelle ère économique » que les deux premières tâches doivent être accomplies. » Voici les principales
questions soumises aux délibérations de la commission : a. Quelles sont les mesures appropriées qu'il est possible de prendre, après la dévaluation monétaire, pour sortir notre économie de l'état de stagnation et d'improductivité dans lequel elle se trouve depuis des années ?

902 6. Quels sont les écueils à éviter pour sortir de la crise et par quels moyens peuvent-ils être évités ?

c. Est-il déjà possible -- et jusqu'à quel point -- de porter un jugement sur l'évolution future de notre économie, et comment doit être dressé un programme traçant la direction à donner à cette évolution ?

d. Quelles modifications et compléments devront être apportés à la constitution, aux lois et aux ordonnances fédérales touchant la politique économique ?

Les membres de la commission' se sont réunis une deuxième fois les 26 et 27 novembre. L'exposé de M. le conseiller fédéral Obrecht leur donna l'occasion d'un échange de vues général sur la situation de l'économie suisse depuis la dévaluation et sur la politique à suivre dans l'avenir en matière économique. Il s'est révélé que l'entente pouvait se faire sur une série de questions importantes. Personne n'a réclamé le retour à la liberté économique intégrale; personne non plus n'a demandé l'instauration de l'économie dirigée ou du régime corporatif.

Quatre sous-commissions ont été constituées pour procéder aux études ultérieures, savoir: 1° Une sous-commission pour la politique économique extérieure (politique commerciale, encouragement à l'exportation et tourisme); 2° Une sous-commission pour la politique économique intérieure; 3° Une sous-commission pour l'étude des questions que pose le marché de l'argent et des capitaux, ainsi que l'adaptation de la politique financière des collectivités publiques aux besoins de l'économie; 4° Une sous-commission ayant pour tâche de tracer la voie à suivre pour faire passer dans la réalité pratique les propositions des Ire, IIe et IIIe sous-commissions.

Ces quatre sous-commissions furent composées comme il 'suit (les noms des membres faisant partie de la commission pionière sont marqués d'un astérisque): |re sous-commission.

Président: *le ministre Stucki, délégué du Conseil fédéral pour le commerce extérieur, à Berne.

Membres : *M. R. Baumann, ancien conseiller national, secrétaire général de l'union Helvétia, à Lucerne, le Dr F. Ehrensperger, de l'association suisse du tourisme, à Zurich, M. A. Gassmann, directeur général des douanes, à Berne, *M. R. Grimm, député au Conseil national, à Berne,

903

le Dr J. Hotz, directeur de la division du commerce, à Berne, M. R. Jouvet, président de la chambre de commerce de Genève, à Genève, *le professeur E. Laur, directeur du secrétariat des paysans suisses, à Brougg, *M. A. Schirmer, député au Conseil national, président de l'union suisse des arts et métiers, à St-Gall, *le Dr E. Schulthess, ancien conseiller fédéral, président de la commission fédérale des banques, à Berne, *le Dr E. Wetter, député au Conseil national, vice-président de l'union suisse du commerce et de l'industrie, à Zurich.

Secrétaire : M. Britschgi, avocat, à Berne.

Ile sous-commission.

Président : *M. P. Renggli, directeur de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne.

Membres : M. B. Bavier, inspecteur cantonal des forêts, à Coire, *le Dr J. L. Cagianut, président de la société suisse des entrepreneurs, à Zurich, le Dr E. Dübi, directeur général des usines de L. de Roll, à Gerlafingen, *le Dr B. Jäggi, président du conseil de surveillance de l'union des sociétés suisses de consommation, à Baie, *le professeur E. Laur, directeur du secrétariat des paysans suisses, à Brougg, *le Dr J. Käppeli, directeur de la division de l'agriculture, à Berne, *le Dr C. Köchlin, président de la chambre bâloise du commerce, à Baie, M. R. Pahud, délégué pour les questions de prix, à Berne, M. E. Péquignot, secrétaire du département fédéral de l'économie publique, à Berne, *M. Jos. Scherrer, député au Conseil national, président de l'union suisse des syndicats chrétiens-sociaux, à St-Gall, *M. A. Schirmer, député au Conseil national, président de l'union suisse des arts et métiers, à St-Gall, M. Ph. Schmid-Rùedin, député au Conseil national, secrétaire général de la société suisse des commerçants, à Zurich,

904 le Dr H. Sulzer, président de l'union suisse du commerce et de l'industrie, à Winterthour, *le Dr M. Weber, conseiller économique de l'union syndicale suisse, à Berne.

Experts : *le professeur E. Böhler, de l'école polytechnique fédérale, à Zurich, *le professeur P. Keller, de l'école de hautes études commerciales, à St-Gall.

Secrétaire : le Dr M. Holzer, de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne.

IIIe sous-commission.

Président : *le professeur G. Bachmann, président de la direction générale de la banque nationale suisse, à Zurich.

Membres : *le D J. L. Cagianut, président de la société suisse des entrepreneurs, à Zurich, le Dr H. Däniker, directeur de la banque cantonale de Zurich, à Zurich, M. H. Fischer, président de l'association suisse des banques locales, caisses d'épargne et de prêts, à Aarau, *M. P. Jaberg, directeur général de l'union de banques suisses, à Zurich, *le Dr C. Köchlin, président de la chambre bâloise du commerce, à Baie, M. R. La Roche, président de l'association suisse des banquiers, à Baie, *le Dr J. M. Musy, député au Conseil national, ancien conseiller fédéral, à Middes s. Payerne, le Dr J. Oetiker, directeur de l'administration fédérale des finances, à Berne, *M. P. Porchet, conseiller d'Etat, président de l'union suisse des paysans, à Lausanne, M. H. Byffel, directeur du contrôle fédéral des finances, à Berne, le Dr A. Seiler, député au Conseil national et conseiller d'Etat, à Liestal, le Dr G. v. Schulthess, secrétaire de l'union des villes suisses, à Zurich, le professeur P. Volmar, directeur de la compagnie des chemins de fer des Alpes bernoises, à Berne, *le Dr M. Weber, conseiller économique de l'union syndicale suisse, à Berne.

r

905 Experts : M. H. Blau, directeur de l'administration fédérale des contributions, à Berne, le Dr E. Kellenberger, suppléant du directeur de l'administration fédérale des finances, à Berne, *le professeur R. König, de l'université de Berne, à Berne, M. E. Scherz, directeur de la banque cantonale de Berne, à Berne.

Secrétaire : le Dr Schwegler, fondé de pouvoirs de la banque nationale suisse, à Zurich.

IVe sous-commission.

Président: M. H. Obrecht, conseiller fédéral.

Membres : *Î/L.W.Amstalden, député au Conseil des Etats, à Sarnen, *le professeur G. Bachmann, président de la direction générale de la banque nationale suisse, à Zurich, *M. R. Bratschi, député au Conseil national, à Berne, le professeur W. Burckhardt, de l'université de Berne, à Berne, *M. R. Grimm, député au Conseil national, à Berne, le Dr H. Huber, juge au Tribunal fédéral, à Lausanne, M. F. Joss, député au Conseil national et conseiller d'Etat, à Berne, *le Dr J. M. Musy, député au Conseil national, ancien conseiller fédéral, à Middes s. Payer ne, *M. A. Picot, député au Conseil national, à Genève, *M. R. Reichling, député au Conseil national, à Stäfa, *M. P. Renggli, directeur de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne, *M. A. Schirmer, député au Conseil national, président de l'union suisse des arts et métiers, à St-Gall, *le Dr E. Schulthess, ancien conseiller fédéral, président de la commission fédérale des banques, à Berne, *le ministre Stucki, délégué du Conseil fédéral pour le commerce extérieur, à Berne, *le Dr E. Wetter, député au Conseil national, vice-président de l'union suisse du commerce et de l'industrie, à Zurich.

906

Experts : *le professeur E. Böhler, de l'école polytechnique fédérale, à Zurich, *le professeur P. Keller, de l'école de hautes études commerciales, à St-Gall, *le professeur R. König, de l'université de Berne, à Berne.

Secrétaire :

M. W. Hauser, avocat, de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne.

Les Ire, IIe et IIIe sous-commissions se sont immédiatement mises à l'ouvrage; arrivées au terme de leurs délibérations, elles en ont consigné les résultats dans des rapports circonstanciés qu'elles ont soumis à l'examen de la IVe sous-commission. Celle-ci avait pour tâche de rechercher les voies et moyens propres à faire passer dans la réalité pratique les propositions des autres sous-commissions. De son côté, la IVe sous-commission a rédigé un rapport dans lequel elle conclut qu'une série de propositions ne demandent que des mesures administratives, tandis que d'autres appellent une modification de la législation en vigueur ou des lois nouvelles et d'autres encore de nouvelles dispositions constitutionnelles. En consé·quence, la IVe sous-commission a estimé qu'une revision partielle de la constitution fédérale s'imposait.

Les rapports des quatre sous-commissions ont été soumis à la commission pionière, qui s'est réunie deux fois pour les examiner, du 20 au 22 mai et le 4 juin 1937. Elle les a approuvés en la forme indiquée ci-après.

Sa tâche principale, telle qu'elle l'a envisagée, consistait à concilier sur une ligne médiane les différentes opinions touchant les moyens de surmonter la crise et de réformer les bases de l'économie suisse. Elle croit pouvoir affirmer qu'elle a atteint l'essentiel du but poursuivi. Les délibérations ont été empreintes d'un esprit de compréhension. Certes, maintes revendications ont dû être abandonnées, et l'accord n'a été souvent obtenu qu'au prix de concessions réciproques. Mais l'entente ne s'en est pas moins faite sur la plupart des questions traitées; lorsque tel n'a pas pu être le cas, l'opinion de la minorité de la commission a été également consignée dans le rapport. Dans aucun domaine de la politique économique ne sont apparues des divergences irréductibles; à vrai dire, les différents groupes n'ont pas abandonné leur point de vue propre sur la direction à donner à la politique économique, mais ils en ont fait abstraction dans l'intérêt d'une solution admissible. Où les opinions divergeaient, il s'agissait plutôt de questions d'application plus ou moins étendue et plus ou moins rapide que de divergences fondamentales.

Nous reproduisons ci-après textuellement les quatre rapports:

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Constatations et lignes directrices concernant la politique économique extérieure.

(Rapport de la Ire sous-commission, du 22 janvier 1937.)

I. Remarques préliminaires.

La sous-commission de la politique commerciale et du tourisme (Ire souscommission) s'est réunie le 8 janvier 1937. Après avoir entendu un exposé du délégué du Conseil fédéral pour le commerce extérieur, elle a examiné d'une manière approfondie l'ensemble des problèmes qui relèvent de sa compétence.

Ont été invités à prendre part aux délibérations de la sous-commission, avec l'assentiment du chef du département fédéral de l'économie publique : MM. Ehrensperger, à Zurich, et Baumann, ancien conseiller national, à Lucerne, en qualité de représentants du tourisme, ainsi que M. R. Jouvet, directeur de la chambre de commerce de Genève, à Genève, comme représentant de la Suisse romande. MM. Ehrensperger et Schulthess, ancien conseiller fédéral, s'étaient fait excuser, l'un pour raison de santé, l'autre parce qu'absent de Berne. M. C. Koechlin, président de la chambre de commerce de Baie, a également pris part aux délibérations, en remplacement de M. Wetter, empêché.

Le présent rapport a été élaboré par le président de la commission et approuvé par celle-ci au cours de sa deuxième séance, tenue le 22 janvier 1937.

Précisant les problèmes soumis à son examen, la sous-commission a à la fois restreint et étendu le champ de ses investigations. Ainsi elle n'a étudié la politique commerciale et le tourisme que sous leurs aspects internationaux, en laissant de côté les questions de politique intérieure qu'ils soulèvent; en revanche, elle s'est occupée de l'ensemble des problèmes que pose notre politique économique à l'égard de l'étranger, soit la question des échanges internationaux de marchandises et de personnes et du mouvement international des capitaux.

Partant de l'idée que, conformément au programme général, une souscommission spéciale serait chargée d'examiner sous quelle forme législative il conviendrait de donner suite aux voeux des sous-commissions, la Ire sous-commission s'est occupée des problèmes précités quant au fond seulement, sans se prononcer sur la forme législative à adopter.

908

II. Considérations générales. But.

La politique économique à l'égard de l'étranger fait partie de la politique économique générale et doit viser aux mêmes fins. Le but de la politique économique générale sera toujours d'assurer du travail au peuple suisse et de procurer à toutes les couches de la population un revenu suffisant.

Notons à ce propos que la lutte contre le chômage revêt actuellement plus d'importance qu'auparavant.

Il fut un temps où la Suisse voyait sa situation économique se raffermir et sa richesse augmenter et où sa population jouissait d'une aisance relative et ne souffrait pas sérieusement du chômage. C'était l'époque où l'économie de notre pays était encore reliée normalement à celle de l'étranger et où la situation économique internationale présentait approximativement les caractéristiques suivantes: a. Les monnaies de tous les pays importants étaient rattachées fermement à l'or et représentaient une quantité fixe de métal jaune. Elles restaient presque parfaitement stables pendant de longues périodes. Ces circonstances permettaient des estimations sûres, valables pour longtemps.

Le créancier pouvait en outre compter que le débiteur solvable et disposé à régler sa dette n'en serait pas empêché par des mesures de l'Etat.

6. Les personnes et les capitaux pouvaient circuler librement d'un pays à l'autre.

c. Le commerce international des marchandises était libre en général; la seule entrave qui existât consistait dans l'obligation de payer des droits d'entrée lors de l'importation dans un autre territoire douanier. Ces droits, qui étaient supportables, étaient stabilisés dans de très nombreux traités de commerce à long terme; par suite de l'application de la clause de la nation la plus favorisée, ils étaient toujours les mêmes, quelle que soit la provenance de la marchandise.

En d'autres termes, l'acheteur pouvait acheter les marchandises dont il avait besoin là où la qualité était la meilleure et les prix le plus bas, le débiteur pouvait payer ce qu'il devait et le touriste voyager où bon lui semblait.

Dans les temps dont nous parlons, que nous avons vécus avant la guerre et aussi, jusqu'à un certain point, dans l'après-guerre, notre politique économique à l'égard de l'étranger était essentiellement tarifaire; nous voulons dire par là qu'elle consistait simplement dans
l'établissement d'un tarif douanier national et dans la conclusion de traités de commerce à long terme. Le tarif douanier devait servir à trois fins: oe. Protéger convenablement la production nationale; 6. Nous assurer des avantages dans des négociations avec l'étranger; c. Procurer au budget fédéral la plus grande partie de ses ressources.

909

Le principe directeur de la politique douanière de la Suisse était en outre d'obtenir et de concéder en matière douanière le traitement inconditionnel et illimité de la nation la plus favorisée.

L'application de ces règles eut pour conséquence une balance commerciale déficitaire pour la Suisse. Le déficit résultant des échanges de marchandises était cependant plus que compensé par les ressources apportées par le tourisme, les encaissements d'intérêts de capitaux suisses placés dans d'autres pays et les « services » de toute nature rendus par la Suisse à l'étranger. Notre pays avait toujours une balance des paiements active, et sa richesse augmentait d'année en année. Les conditions de vie de toutes les couches de la population s'amélioraient dans une mesure correspondante.

La Suisse ne peut donc que déplorer l'échec de toutes les tentatives faites sur le plan international pour ramener les conditions décrites plus haut ou, tout au moins, pour rétablir dans une large mesure l'état d'avantguerre. Elle devra donc soutenir avec la plus grande énergie tous les efforts qui pourraient être tentés dans cette direction. Il faut cependant faire une'réserve: Le fait que les revenus de l'économie suisse sont placés en grande partie à l'étranger présente, à côté d'avantages indéniables, des inconvénients sérieux, qui rendent beaucoup plus difficile notre politique actuelle à l'égard de l'étranger. C'est pourquoi il conviendra, dans l'avenir également, de surveiller les exportations de capitaux suisses.

III. La situation avant la dévaluation.

Les efforts prodigués par la Société des Nations, la commission d'étude pour l'union européenne et d'autres institutions et conférences internationales en vue de régler par la voie d'accords plurilatéraux les problèmes économiques de l'heure actuelle ayant tous échoué, la Suisse s'est vue contrainte de ne plus compter que sur elle-même. Elle a dû, dès lors, pratiquer une politique particulière à l'égard de l'étranger. Pauvre en matières premières et privée d'accès à la mer, elle n'avait et n'a pour arme que son pouvoir d'achat relativement élevé. Notre pays a usé autant que possible de ce pouvoir d'achat pour sauvegarder ses intérêts économiques dans les rapports avec l'étranger (exportation de marchandises, tourisme, créances financières). Il a favorisé autant que
faire se pouvait les importations en provenance des pays qui lui offraient à cet égard des compensations suffisantes. Cette politique nous a conduits à abandonner dans une certaine mesure le traitement de la nation la plus favorisée et à considérer de plus en plus le régime des échanges dans nos rapports avec les divers Etats individuellement; elle nous a aussi amenés à désigner dans de nombreux cas les pays où les importateurs suisses seraient autorisés à se ravitailler. Ces mesures ont, en général, fait renchérir les marchandises importées.

Pour régler ses relations économiques avec l'étranger suivant le principe de la compensation et pour protéger son marché intérieur, la Suisse Feuille fédérale. 89« année. Vol. II.

64

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avait le choix entre deux moyens: Relever les taux du tarif douanier; limiter la quantité des importations et régler leur provenance. Elle a adopté le second de ces moyens. La commission estime qu'il serait indiqué et même nécessaire de rappeler les raisons de ce choix, qui non seulement étaient valables récemment mais, selon toutes prévisions, le seront encore dans un avenir prochain: La vente en Suisse des marchandises de nombreux pays a été très fortement stimulée par diverses circonstances: dévaluation de la monnaie d'un grand nombre de pays; disparité considérablement accrue des coûts de production par suite de cette opération et sous l'effet d'autres facteurs encore; allocation de primes à l'exportation pratiquée ouvertement ou sous une forme déguisée par de nombreux Etats; fait que la Suisse a maintenu jusqu'à une date toute récente la valeur de sa monnaie et n'a pris, ni avant ni après la dévaluation, aucune mesure unilatérale restreignant la liberté des paiements internationaux. Notre industrie nationale aurait certainement été anéantie par la pression accentuée de la concurrence étrangère si l'on n'avait pas pris des mesures spéciales de protection.

Cette protection ne pouvait être assurée par les droits du tarif douanier, dont le taux était en général modéré. Si l'on avait cherché à l'assurer en relevant les droits d'entrée, il aurait fallu calculer ceux-ci en se fondant sur les prix pratiqués par notre concurrent le plus dangereux; il aurait donc fallu majorer fortement tous ces droits. Selon l'opinion admise dans presque tous les pays -- et qui est aussi celle à laquelle la Suisse demeure fidèle, avec raison -- la clause de la nation la plus favorisée doit toujours être appliquée en ce qui concerne le taux des droits d'entrée. Avec le système de protection envisagé, la Confédération aurait donc dû frapper de droits d'entrée fortement majorés les importations en provenance de tous les pays. Elle n'aurait cependant pu le faire qu'en dénonçant des traités de commerce avantageux. La mesure en question aurait en outre entravé les importations en provenance de nombreux pays qui sont restés de relativement bons acheteurs de produits suisses et qui sont en même temps au nombre des concurrents les moins dangereux de notre industrie.

Il en serait résulté, fatalement, de graves conflits dans
le domaine de la politique commerciale et de nouvelles difficultés pour notre exportation.

D'ailleurs, un relèvement général et accentué des droits de douane aurait fortement augmenté les frais de production et le coût de la vie en Suisse, déjà élevés; la situation de notre industrie d'exportation et de notre tourisme s'en serait trouvée aggravée. De l'avis de la commission, la Suisse a agi sagement en ne s'engageant pas dans cette voie. Elle a eu raison de maintenir presque tous les droits d'entrée à leur ancien niveau, de les appliquer de la même façon aux marchandises des diverses provenances et de se protéger en limitant la quantité des marchandises qui peuvent être importées en Suisse et en soumettant l'importation à des règles dépendant de la situation particulière de nos relations économiques avec chaque

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pays. Ce système présente aussi naturellement de sérieux inconvénients.

La commission estime cependant qu'ils sont moins graves que ceux qui résulteraient d'une forte augmentation générale des droits de douane ou de l'application de taux variant selon les pays.

La commission considère comme économiquement fondées les règles suivantes, appliquées en matière de restrictions d'importation: a. Les importations ne doivent être restreintes que lorsqu'il s'agit de protéger contre une concurrence anormale une branche viable de l'industrie suisse.

6. En principe, le traitement de la nation la plus favorisée ne doit pas être étendu à l'application des mesures de restriction d'importation.

C'est ainsi seulement qu'il sera possible de tenir compte des différences de situation des Etats concurrents et de l'importance variable des différents pays en tant que consommateurs de produits suisses.

c. Les restrictions d'importation doivent servir à des fins de politique commerciale de la même manière que les taux du tarif général en temps normal.

d. Les importations, contrôlées et réglementées selon les principes qui précèdent, doivent, dans la mesure du possible, être mises au service de l'exportation des marchandises, du tourisme et des créances financières.

Ce système a permis indubitablement d'obtenir des résultats importants dont bénéficieront les exportations de marchandises suisses et aussi, dans une certaine mesure, le tourisme et les créances financières.

Cependant, comme l'exportation suisse reculait de façon alarmante et qu'il n'était pas possible de réduire sensiblement les frais de production, d'autres mesures ont encore dû être prises par l'Etat, savoir: a. La lutte contre le chômage par des travaux productifs; 6. La garantie contre le risque à l'exportation; ' c. Le développement de la propagande commerciale à l'étranger.

De différents côtés, on a demandé des facilités sous la forme du financement des exportations, et une solution pratique a été trouvée.

IV. La situation après la dévaluation.

La dévaluation a amélioré considérablement les perspectives qui s'ouvrent devant notre industrie d'exportation et notre tourisme. Sans vouloir se prononcer sur l'importance relative de l'industrie travaillant pour le marché national et de l'industrie d'exportation et du tourisme, la commission croit fermement que notre politique économique n'atteindra pas le but indiqué plus haut si une grande partie de la population ne peut

912

trouver emploi dans l'industrie d'exportation, l'industrie hôtelière et les transports et si ces branches ne comptent dans une large mesure à l'actif de la balance suisse des paiements. Même après la dévaluation, notre politique économique doit donc chercher méthodiquement, en utilisant tous les moyens dont elle dispose, non seulement à conserver les avantages que l'industrie d'exportation et le tourisme ont retirés de la dévaluation, mais encore à les accroître par des mesures appropriées. Il va de soi cependant qu'on devra examiner attentivement les conséquences qu'auront pour toutes les autres branches de l'économie les mesures prises par l'Etat.

Partant de cette idée, la commission estime que notre politique économique à l'égard de l'étranger doit se conformer, après la dévaluation, aux principes que voici: 1° La situation de l'industrie travaillant pour le marché national et des salariés ne devra en aucun cas être aggravée par des mesures prises en faveur de l'exportation et du tourisme; 2° Les lignes directrices de notre politique économique à l'égard de l'étranger, indiquées plus haut sous chiffre III, devront être maintenues avec les modifications suivantes : a. Les avantages que l'industrie d'exportation et le tourisme ont retirés de la dévaluation s'amoindriront à mesure qu'ils seront compensés par des hausses de prix et des augmentations de salaires sur le marché national. Les mesures prises jusqu'ici en faveur de l'exportation et du tourisme ne sont dès lors plus justifiées lorsqu'elles favorisent sensiblement la hausse des prix. Cela étant, il faudra que l'Etat cesse, en principe, d'obliger les importateurs à se procurer dans certains pays les marchandises qui peuvent jouer un grand rôle dans l'établissement des frais de production et du coût de la vie en Suisse et qui ne s'achètent dans ces pays qu'à des prix supérieurs à ceux du marché mondial. Il conviendra dès lors, d'une façon générale, de liquider les clearings conclus avec certains pays, lorsque leurs résultats ne sont tant soit peu favorables que parce que les importations en provenance de ces pays sont artificiellement stimulées et les marchandises payées à des prix surfaits. Ces clearings devront être remplacés, si possible, par un autre système de compensation. La commission trouve en outre dangereux de laisser s'accumuler
dans certains pays des créances commerciales, car nous nous trouvons, sur le terrain de la politique commerciale, dans une position d'autant plus faible que nos créances à l'égard des pays en cause sont plus élevées.

b. Il est une chose dont on doit bien se rendre compte, c'est que la dévaluation n'a pas amélioré les perspectives d'avenir pour l'exportation des marchandises et le tourisme lorsqu'il s'agit d'Etats qui ont entravé la liberté des paiements internationaux et n'autorisent le paiement des

913 marchandises suisses et le règlement des dépenses de leurs ressortissants dans notre pays qu'au moyen de nouvelles livraisons de marchandises.

Il n'est dès lors pas justifié, en général, de faire en sorte que les moyens dont dispose l'Etat pour sa politique économique servent à faciliter l'exportation des marchandises suisses à destination de ces pays et les séjours de leurs ressortissants en Suisse. Ces moyens ne doivent servir qu'à l'égard des pays avec lesquels il est réellement possible d'intensifier nos échanges sans risquer d'échouer par suite de la législation sur les devises. Ce que nous venons de dire demeure également vrai pour la propagande en faveur de l'exportation des marchandises et le tourisme, ainsi que pour les mesures de soutien direct (garantie contre le risque à l'exportation, financement des exportations, etc.). Doit cependant être réservé le cas où l'emploi desdits moyens permettrait seul d'user de possibilités d'exportation et de paiement.

c. La commission, tout en approuvant le maintien des dispositions légales sur les subsides de fabrication, vu qu'à plus d'un égard, la situation n'est pas suffisamment éclaircie ni stabilisée, déclare cependant que ces subsides ne devraient être versés qu'exceptionnellement, dans des cas tout à fait spéciaux.

d. En général, la dévaluation a sensiblement accentué l'effet protecteur des mesures prises en faveur de l'industrie nationale. On doit donc se demander s'il n'y aurait pas lieu de supprimer les mesures de protection extraordinaires que constituent les restrictions d'importation et si une réduction générale des droits de douane ne se justifierait pas. La commission émet à ce propos l'avis suivant: aa. Les mesures prises de son propre chef par le Conseil fédéral en vue de faciliter l'importation ont atteint leur but. Elles ont en effet permis de retarder l'adaptation des prix intérieurs aux nouvelles conditions.

Quelques droits de douane devront cependant être rétablis ou relevés en tant que le justifie la sauvegarde des intérêts des producteurs indigènes.

66. Il sera possible d'accorder de nouvelles facilités à l'importation.

On devra le faire notamment lorsque des facilités correspondantes seront concédées en faveur de notre exportation ou de notre tourisme à la suite de négociations internationales.

ce. Comme les recettes
douanières jouent un grand rôle dans l'établissement du budget de la Confédération, les nouvelles facilités en faveur de l'importation devront de préférence être accordées en matière de restrictions d'importation. Des réductions de droits ne devront être concédées que lorsqu'il n'en résultera aucun préjudice sérieux pour une branche viable de la production suisse, que la diminution éventuelle des recettes douanières restera dans des limites supportables et enfui que les concessions accordées par l'autre partie seront, du point de vue de la création d'occasions de travail, d'une valeur au moins équivalente.

914

dd. Lorsqu'on opérera de nouvelles suppressions de restrictions d'importation à la suite de négociations avec un autre Etat, il faudra aussi considérer que le commerce sera de ce fait libéré d'entraves dont il avait extrêmement souffert ces derniers temps et que les négociants de la nouvelle génération disposeront ainsi de nouveaux champs d'activité.

ee. Enfin, la commission tient à relever qu'il ne serait guère possible d'augmenter les exportations suisses à destination des pays qui ne limitent pas les paiements internationaux si nous n'offrions pas de notre côté à ces pays des possibilités d'écoulement accrues pour leurs produits.

//. La commission ne peut actuellement recommander de supprimer complètement les restrictions d'importation, ainsi que leur base légale et cela pour les deux raisons que voici: Premièrement, la situation internationale -- en particulier dans le domaine monétaire -- est encore trop incertaine et trop obscure; secondement, la suppression complète des restrictions d'importation enlèverait à la Suisse toute possibilité de favoriser, dans l'intérêt de l'exportation des marchandises, du tourisme et des créances financières, les Etats qui sont intéressants et importants pour son économie et d'exercer une pression sur les autres.

e. La question de l'élaboration d'un nouveau tarif douanier suisse a également été examinée par la commission. Le texte de notre tarif actuel, qui date de 1902, est certes loin d'être moderne, et les taux devraient être revisés. Le projet de nouveau tarif des douanes établi par le Conseil fédéral a été soumis aux chambres fédérales le 9 janvier 1925 et examiné par la commission des douanes du Conseil national. Celle-ci a cependant interrompu ses travaux, d'entente avec le Conseil fédéral, vu le grand changement des conditions économiques intervenu dans 1'entre-temps.

De l'avis de la commission, les conditions économiques actuelles ne sont pas non plus suffisamment connues et stables pour que les travaux relatifs à l'élaboration du nouveau tarif puissent être continués ou repris sur une nouvelle base. Ils pourront et devront l'être aussitôt que l'on sera fondé à admettre que les droits de douane ont retrouvé, en Suisse comme dans les principaux pays, l'importance décisive qu'ils avaient avant l'application des autres mesures prises pour influer sur
les échanges internationaux. Le moment venu, on devra tenir largement compte, dans l'élaboration du nouveau tarif, des travaux du comité économique de la Société des Nations concernant l'unification de la nomenclature douanière.

/. La commission reconnaît que des crédits importants doivent pouvoir être affectés à la propagande en faveur de l'exportation et du tourisme suisse. Elle insiste cependant sur la nécessité d'éviter tout éparpillement des forces, de bien déterminer et concentrer les efforts à accomplir et d'agir d'après des principes identiques pour l'exportation et le tourisme.

En ce qui concerne en particulier le développement des services commerciaux des légations et consulats de Suisse, toute l'activité dans ce

915

sens devrait être exercée par le département de l'économie publique ou dirigée par lui. Le personnel de ces services commerciaux devra être soigneusement choisi et formé et dépendre directement du département de l'économie publique; s'il donne satisfaction, il devra être assuré, financièrement et socialement, d'une situation aussi bonne que possible.

3° Dans la politique économique à l'égard de l'étranger, le tourisme et l'industrie d'exportation devront être mis sur le même pied, mieux qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. Cette égalité devra être respectée tant dans la propagande à l'étranger que dans les accords de clearing et de compensation. Quant à l'importance à attribuer à l'exportation des marchandises et au tourisme, d'une part, et aux intérêts financiers, d'autre part, la commission estime qu'il n'est pas possible d'établir des règles déterminant d'une façon précise l'attitude à observer à cet égard. Elle est d'avis cependant que les solutions choisies jusqu'ici étaient en général les plus justes.

4° La commission a aussi examiné certains problèmes sans arriver à des conclusions et des propositions précises. Elle se contente, pour le moment, d'attirer l'attention de la commission plénière et des autorités fédérales sur ces questions. Il s'agit des points suivants: a. Contrôle et, le cas échéant, réglementation par l'Etat des importations de capitaux étrangers. Quant à l'exportation des capitaux, la commission a déjà émis l'avis qu'elle devrait nécessairement être surveillée.

b. Considérant qu'il sera impossible, même dans les conditions les plus favorables, d'employer de nouveau suffisamment tous les chômeurs, la commission estime qu'on devra se préoccuper de l'aide aux chômeurs âgés et du problème de l'émigration.

c. On fait aux exportateurs de marchandises suisses le reproche de vendre à des prix trop élevés -- ce qui entrave l'augmentation du volume des ventes -- et, dans d'autres cas, d'offrir leurs produits à l'étranger à des prix trop bas en se faisant une concurrence ruineuse, ce qui réduit d'autant les recettes provenant de l'exportation. Il faut se demander, à ce propos, si les ententes que concluent au sujet des prix certains groupements professionnels doivent être déclarées obligatoires par l'Etat. Cette question, qui est examinée par une sous-commission spéciale en ce qui concerne les prix pratiqués sur le marché intérieur, se pose également pour les prix à l'exportation.

916

Constatations et lignes directrices concernant la politique économique intérieure.

(Rapport de la IIe sous-commission, du 11 mars 1937.)

I. Principes généraux de la politique économique intérieure.

1. La commission reconnaît pleinement les progrès qui ont pu être accomplis, en matière économique et sociale, sous le régime de la liberté.

Eu égard aux interventions toujours plus fréquentes des pouvoirs publics à l'étranger, aux modifications continuelles des bases de l'économie, à la complexité croissante de la vie économique et à ses répercussions sociales, ainsi qu'à certains abus de la libre concurrence, elle estime néanmoins que, ces prochains temps, il faudra accomplir de 'plus grands efforts d'affermissement au sein des diverses branches de l'économie et que l'Etat devra intervenir dans la vie économique plus largement qu'avant la guerre ; cela ne signifie cependant pas qu'il faille maintenir la forme et l'étendue actuelles des restrictions en vigueur.

2. De l'avis de la commission, cette nouvelle orientation ne représente pas l'abandon du principe de la liberté économique ; tout en tenant compte des nouvelles conditions économiques, elle vise, au contraire, à rétablir la responsabilité de l'individu et à lui redonner la possibilité d'exercer ses capacités et de déployer son énergie au service de la nation.

Mis à part le rétablissement et le contrôle d'une concurrence saine et libre et d'une économie autonome, l'Etat ne doit intervenir qu'autant que des intérêts importants et manifestement nationaux sont compromis par des abus de la liberté économique. Pour que des mesures protectrices puissent êtres prises en faveur de professions particulièrement menacées ou d'exploitants indépendants qui, par suite de circonstances extraordinaires, ne sont pas tout à fait à la hauteur de leur tâche, il faut que l'existence de groupements professionnels viables en temps normaux et utiles à la communauté soit en jeu et que des considérations de concurrence ne prédominent pas.

3. D'après la commission, le principal moyen d'aider les entreprises indépendantes ébranlées est de les affermir intérieurement en augmentant leur puissance de rendement, en habituant les exploitants à être parfaitement corrects en affaires et en développant leurs capacités professionnelles.

Le rôle des associations professionnelles est ici important.

917

II y a lieu d'examiner à cet égard si l'on ne devrait pas reviser les dispositions légales sur les associations à but économique.

4. Par contre, la commission pense que la politique économique ne peut à la longue s'accommoder de toutes ces mesures imposées par l'Etat: limitation du nombre des grandes entreprises par des prescriptions de police, interdictions d'ouvertures et d'agrandissements, application de la clause de limitation, restrictions de la production.

Sans vouloir contester qu'en période de crise ou dans d'autres circonstances extraordinaires ces mesures ne puissent se justifier temporairement dans un cas particulier, la commission tient qu'elles ne doivent pas être appliquées d'une manière générale.

A la longue, l'Etat ne saurait décider de l'opportunité des diverses formes d'exploitation. Les interdictions d'agrandir sont éludées; elles contrarient les progrès techniques et, en outre, ont des effets fâcheux sur l'industrie du bâtiment; l'application de la clause de limitation crée en faveur des établissements existants une espèce de monopole et empêche des jeunes gens capables d'entrer dans la vie professionnelle. On pourrait craindre au surplus que les établissements privilégiés ne soient payés si cher que toute l'oeuvre entreprise ne se révèle bientôt illusoire.

Les opinions divergent au sujet de l'arrêté sur les grands magasins.

Des membres se sont prononcés contre sa prorogation, d'autres pour; d'autres encore voudraient qu'on le soumette au referendum. La commission estime, dans sa majorité, que les coopératives devraient être libérées désormais de l'interdiction d'ouvrir des succursales.

5. Vu les conditions exposées ci-dessus, la commission pense qu'il importe d'abord de chercher à réprimer les abus par une entente volontaire des milieux intéressés, le cas échéant avec le concours de l'Etat.

Pour le cas où ce moyen n'aboutirait pas, on devrait créer la possibilité juridique de donner à des accords et à des décisions d'associations force obligatoire générale pour les groupements professionnels intéressés; la condition en serait que l'existence de groupements professionnels viables en temps normaux et utiles à la communauté paraisse manifestement compromise.

6. La commission est consciente de la nécessité de prévoir des garanties suffisantes pour empêcher que l'on abuse
de la mesure en question, spécialement en ouvrant la procédure et en déterminant le champ d'application.

7. Des expériences suffisantes et concluantes faisant défaut dans ce domaine, à l'étranger aussi bien qu'en Suisse, la commission estime que l'institution dont il s'agit, susceptible de développement, ne devrait pas être réglée d'une façon rigide comme un système définitif.

918 8. Pour ne prétériter aucun des intérêts privés ou publics qui seraient touchés par l'attribution de la force obligatoire, l'Etat nommerait un collège de 3 à 5 spécialistes des problèmes économiques, indépendants des groupements économiques et politiques intéressés, qui seraient chargés d'étudier, quant au fond, les demandes d'attribution de la force obligatoire présentées par des associations; le Conseil fédéral ne pourrait agréer ces demandes qu'avec l'assentiment de la majorité des experts.

De plus, il faut permettre aux principales associations économiques et à tous les milieux intéressés de se prononcer sur les demandes.

En subordonnant la validité de celles-ci à des conditions appropriées, on pourvoira à ce que les minorités soient équitablement prises en considération.

Il faudra enfin ouvrir des possibilités de recours et de revision en prévision d'abus ou d'inconvénients avérés. A cet effet, les accords et décisions seront publiés.

Le droit de l'exploitant, les coopératives y comprises, de répartir le bénéfice net ne doit pas être amoindri par ces accords.

9. Quant au contenu des accords et décisions pouvant acquérir force obligatoire générale, la commission considère une énumération soigneuse des questions qui peuvent en être l'objet et une application prudente comme nécessaires au succès de l'expérience.

Si, en principe, aucune question ne doit être exclue de cette réglementation, on devra empêcher, par tous moyens, que celle-ci ne dérange sans nécessité le fonctionnement du mécanisme des prix et des marchés. En règle générale, les questions de prix et d'organisation de la production n'en doivent pas être l'objet. Des exceptions ne pourront être faites que dans des cas particuliers de détresse extraordinaire; les mesures ainsi prises seront temporaires et accompagnées de garanties spéciales et d'un contrôle effectif des entreprises en cause. On remédiera à la formation malsaine des prix en réglementant la comptabilité, en prescrivant une méthode de calcul des prix et en prévoyant, le cas échéant, l'obligation de renseigner des offices neutres. Pour l'agriculture, ce sont les principes énoncés dans la section III (politique agraire) qui s'appliquent.

L'attribution de la force obligatoire ne doit pas non plus servir à distinguer entre divers types d'entreprises, pourvu qu'on
veille à l'observation des principes d'une saine concurrence et des engagements à l'égard des tiers.

Lorsque l'attribution de la force obligatoire aboutit à une protection de fait, il convient de prendre pour norme non point les entreprises dont le rendement est le plus faible, mais une entreprise travaillant bien et rationnellement.

919

Afin d'empêcher que la mesure en question ne donne lieu à des profits injustifiés (monopoles) ou ne diminue le rendement, on pourrait étendre l'obligation de renseigner, notamment aux conditions de gain.

On devrait prévoir également la possibilité de subordonner l'attri-.

bution de la force obligatoire à certaines conditions relatives à l'organisation des groupements professionnels intéressés et à la puissance de rendement des entreprises qui y appartiennent.

10. Il faudra prendre des mesures appropriées contre la concurrence déloyale, en renonçant à des prescriptions trop rigides et en tenant compte des conditions spéciales de chaque branche.

En outre, la législation et les tribunaux devraient être plus sévères à l'égard des maisons qui ont provoqué leur insolvabilité par des actes frauduleux ou par négligence.

11. La commission est convaincue que ces propositions n'impliquent nullement l'abandon du principe de la liberté économique ; elles tendent uniquement à éliminer la concurrence d'entreprises sans émulation, qui ne réussissent à subsister qu'en versant à leurs ouvriers des salaires inférieurs à la moyenne, en ne payant pas leurs dettes et en fournissant un travail de qualité insuffisante.

Elle pense au contraire qu'une concurrence loyale demeure indispensable pour empêcher l'économie de s'ankyloser et de se monopoliser et pour ne pas entraver le progrès de la technique.

12. La commission recommande d'étudier s'il ne conviendrait pas de légiférer sur les cartels.

13. La commission recommande d'examiner promptement sous quelle forme légale il pourrait être donné suite à ces divers voeux. Jusqu'à leur réalisation définitive, la Confédération doit continuer à lutter contre la crise par des mesures appropriées, qu'elle prendra, dans le cadre des propositions ci-dessus, après avoir consulté les intéressés et les principales associations économiques et institué, au besoin, des commissions d'experts.

II. Politique des arts et métiers.

1. Une des premières tâches de la politique économique de l'Etat est de maintenir une classe moyenne indépendante dans l'artisanat et le commerce.

2. Condition de la' prospérité économique et du progrès technique dans l'artisanat, la liberté de commerce et d'industrie provoque toutefois des abus qui ne permettent pas toujours à l'individu, en période de crise notamment, d'engager sa responsabilité ni d'user de ses capacités et de son énergie sur une base saine. C'est ce dont souffrent la majorité des entreprises petites et moyennes, qui ont par conséquent besoin que l'Etat les

920 aide davantage avec la collaboration plus étroite des associations et des coopératives.

3. Ces entreprises doivent surtout s'affermir intérieurement, en se réformant et en augmentant leur puissance de rendement. On obtiendra ainsi des résultats durables.

L'établissement de la législation nécessaire relève, partant, de la politique économique de l'Etat.

4. Il paraît indispensable ^.'empêcher l'afflux d'éléments incapables dans l'artisanat et le commerce de détail.

A cette fin, la commission trouve en principe désirable d'instituer un brevet de capacité obligatoire pour exercer une profession de manière indépendante. Ce brevet serait institué dans les diverses professions à la demande d'une association centrale intéressée; il y aura alors lieu d'étudier si les examens de maîtrise prévus par la loi sur la formation professionnelle permettent de l'obtenir. L'Etat aurait à veiller à ce que ces professions ne se ferment pas, mais restent ouvertes à tous les candidats qualifiés.

5. La commission estime qu'on devrait soutenir tous les efforts destinés à augmenter la puissance de rendement des entreprises des classes moyennes.

Elle recommande à cet effet: a. De maintenir et de développer la formation professionnelle dans le commerce et l'artisanat, sans viser cependant à une spécialisation trop poussée; 6. D'encourager les efforts faits en vue d'élever le rendement des entreprises ; c. De propager l'usage de la comptabilité et d'une méthode exacte de calcul des prix ; d. D'aider les entreprises par des conseils judicieux, qui permettront d'étendre le crédit artisanal et d'assainir les maisons dans la gêne; e. De s'entendre avec fournisseurs et clients par des contrats sur les conditions de livraison et de crédit, afin de prévenir l'endettement progressif des petites et moyennes exploitations.

6. La commission croit que ces buts seraient atteints le plus commodément par des ententes volontaires ou par des accords et des décisions d'associations qui pourraient être déclarés obligatoires (chiffre 5 des principes généraux de la politique économique intérieure) ou par des mesures législatives complémentaires (chiffres 3 et 10 de ces principes).

7. La commission croit que, sur certains points, il serait possible de s'entendre également avec les grandes entreprises, au moyen de conventions dont la conclusion pourrait être facilitée, le cas échéant, par l'administration fédérale.

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8. La commission est convaincue que, par leurs propres efforts, les classes moyennes sont à même d'assurer leur existence dans le cadre des principes généraux de la politique économique.

III. Politique agraire.

1. La commission unanime affirme que des mesures de protection sont indispensables pour maintenir en Suisse une saine paysannerie. Elle estime qu'il y a lieu de tirer profit d'une façon rationnelle et aussi variée que possible des moyens de production de l'agriculture suisse. Cependant, pour atteindre ce but, il ne faut pas tabler uniquement sur des mesures de caractère officiel; mais ce qui n'est pas moins important, c'est que les agriculteurs, aidés de leurs associations, mettent tout en oeuvre pour se tirer eux-mêmes d'affaire.

2. La dévaluation de monnaies étrangères et les changements intervenus dans la production agricole d'Etats étrangers ont imposé les mesures spéciales prises pour soutenir l'agriculture suisse.

La dévaluation du franc suisse a, jusqu'à un certain point, allégé les charges de l'agriculture suisse, soit par un accroissement des prix d'exportation, notamment pour le fromage, soit par une réduction du taux de l'intérêt des dettes, ce qui, à vrai dire, n'a eu lieu que par endroit et dans une mesure restreinte. On peut aussi attendre l'amélioration des revenus agricoles de l'accroissement du volume des ventes qui résultera de l'assainissement de l'économie générale dû à la dévaluation.

Aussi la commission désire-t-elle que l'on examine la possibilité de supprimer les mesures officielles de soutien des prix, sans toutefois perdre de vue les changements intervenus dans les frais de production.

3. L'état actuel des revenus de l'agriculture suisse montre qu'il est désirable de maintenir les mesures prises en vue de protéger les prix. On ne doit cependant pas considérer que cette protection a pour but de garantir à l'agriculteur un revenu déterminé. La capacité professionnelle et l'exploitation rationnelle doivent constituer comme devant les bases du succès et assurer, malgré la protection de l'Etat, une production agricole dont les frais seront aussi peu élevés que possible. Dans cette idée, la commission salue les efforts faits par l'agriculture suisse en vue d'atteindre des prix qui correspondent au coût de production obtenu dans des domaines acquis à des prix
raisonnables et exploités rationnellement. Les frais de production doivent être calculés de telle sorte que le bien rural assure, non seulement le service de l'intérêt usuel payé dans l'ensemble du pays pour les capitaux engagés dans l'agriculture, compte tenu de la sécurité du placement, mais encore la possibilité, pour l'agriculteur et les membres adultes de sa famille collaborant régulièrement à l'exploitation, d'obtenir un gain correspondant au minimum aux salaires payés aux domestiques.

922

Désirant voir introduire dans l'agriculture des méthodes modernes d'exploitation, la commission appuie les mesures prises par les pouvoirs publics pour encourager la formation professionnelle.

4. L'intervention des pouvoirs publics dans la formation des prix des produits agricoles exige que l'Etat et les associations professionnelles réglementent la production agricole. La commission pense que cette réglementation ne pourra se faire qu'exceptionnellement par une limitation de la production et qu'elle devra résulter, d'une façon générale, du régime adopté pour les importations.

5. De l'avis de la commission, la principale cause de la situation difficile d'un bon nombre d'exploitations agricoles réside dans le fait que le terrain exploité est estimé trop haut et payé trop cher. Dans bien des cas, la surestimation du terrain a conduit à un endettement qui était hors de proportion avec le rapport réel de l'exploitation. La commission voit dans une augmentation des revenus agricoles (meilleurs prix pour les produits destinés à l'exportation et augmentation de la vente dans le pays) la possibilité de créer une proportion plus favorable entre le rapport et l'endettement; elle reconnaît cependant la nécessité d'assainir les exploitations qui sont trop endettées pour qu'une hausse des prix et une augmentation du volume des ventes puissent leur être d'une certaine utilité. Elle recommande dès lors une procédure d'assainissement qui corresponde à celle qu'appliquent les caisses cantonales de secours agricole bien administrées et qui supprime les valeurs fictives avec l'aide des créanciers, des cautions et des deniers publics.

6. Pour parer à' un nouvel endettement, la commission recommande de fixer une limite d'endettement et de déclarer obligatoire en matière de succession le principe d'après lequel la valeur d'une exploitation agricole doit être fixée d'après le rendement. Elle est d'avis que ces mesures doivent être prises sans délai. Comme il est cependant douteux qu'elles soient suffisantes pour atteindre le but proposé, il y a lieu d'envisager une réglementation légale du marché des exploitations agricoles et des cautionnements. La commission est en outre d'avis que l'interdiction d'aliéner les immeubles agricoles pendant un délai déterminé doit être maintenue.

7. La commission estime que la population
agricole des régions de montagne a particulièrement besoin d'être protégée. Elle applaudit à la création de possibilités de travail par l'encouragement donné aux travaux d'amélioration foncière, à la vente des bois et au travail à domicile.

923 IV. Durée du travail et heures de travail dans l'industrie et les arts et métiers.

A. Régime de la loi sur les fabriques.

1. La commission reconnaît que les effets du régime de la semaine de 48 heures établi par la loi sur les fabriques ont en général été satisfaisants.

Si des changements sont désirés, il faut les apporter non par la voie d'arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence, mais par celle d'une revision de la loi.

2. La commission est d'avis que, pour maintenir notre capacité de concurrence envers l'étranger, il faut continuer d'appliquer d'une façon élastique le régime de la loi sur les fabriques. Toutes les fois que les établissements ont pratiquement la possibilité de faire face au surcroît d'ouvrage en rengageant des ouvriers en chômage, l'autorité a cependant raison, aux yeux de la commission, de ne point accorder largement les permissions de modifier la semaine normale de travail (semaine de 52 heures au plus, art. 41 de la loi) ou de prolonger exceptionnellement la journée (heures supplémentaires, art. 48).

3. Une diminution de la durée hebdomadaire du travail pour les exploitations à marche continue (maximum légal actuel: 56 heures) n'est pas réclamée, mais on demande que l'autorité, en considération de la vie de famille de l'ouvrier, fasse un usage plus modéré du droit d'autoriser le travail du dimanche.

La commission est unanime à estimer que le travail du dimanche doit être autorisé lorsque des raisons techniques le rendent indispensable.

Une partie des membres recommandent de rejeter les demandes en autorisation de travail du dimanche motivées par des raisons économiques, tandis que les autres s'en tiennent à la disposition de l'article 53 de la loi sur les fabriques.

B. Durée du travail et heures de travail dans le commerce et les arts et métiers.

4. Les représentants des milieux syndicaux demandent l'achèvement des travaux, depuis longtemps entrepris, pour l'élaboration d'une loi fédérale destinée à uniformiser la durée du travail et les heures de travail dans le commerce et les arts et métiers. On pourrait, disent-ils, tenir compte des conditions spéciales qui existent dans les arts et métiers en prévoyant pour ceux-ci un régime plus élastique et un délai de transition. Comme le régime qui serait ainsi introduit supprimerait en partie les méfaits de la concurrence et que la semaine de 48 heures agirait comme un levier du progrès, il ne se produirait pas de surcroît de charges.

924

Les représentants des arts et métiers déclarent, en revanche, que ces travaux ne doivent pas être entrepris avant que les problèmes économiques des arts et métiers aient été résolus ; les arts et métiers, disent-ils, ne supporteraient pas aujourd'hui une pareille charge, car de nombreux artisans sont dans une situation plus mauvaise que leurs ouvriers. Ils invoquent en outre les difficultés qu'il y aurait à surveiller plus de cent mille établissements et la diversité des conditions qui règne d'une branche à l'autre.

La majorité de la commission reconnaît en principe qu'une telle réglementation serait désirable du point de vue social, mais est d'avis que le moment actuel, à cause des circonstances économiques, ne s'y prête pas. Maintenant que la dévaluation a rétabli l'équilibre entre notre situation et celle du marché international, il faut tout faire pour empêcher que la capacité de concurrence de l'industrie suisse ne soit remise en question.

Dans ces conditions, la commission, en sa majorité, estime inopportun de discuter actuellement les détails de l'oeuvre à entreprendre pour réglementer la durée du travail. Cette réglementation devrait toutefois pouvoir s'établir, pense-t-elle, par des accords entre associations, et ces accords devraient être conclus dès qu'il sera possible de leur attribuer force obligatoire générale. Une loi établissant quelques règles générales serait alors édictée pour assurer la mise sur pied d'une telle réglementation.

5. La commission est d'avis que tous les milieux de l'économie privée devraient prêter leur concours pour faire disparaître le chômage au plus tôt.

Lorsque l'ouvrage augmente, on devrait, pour cela, engager autant que possible un plus grand nombre de bras, au heu de faire faire pendant longtemps des heures supplémentaires ou du travail de nuit.

G. Réduction de la durée du travail dans les fabriques.

(Semaine de 40 heures.)

6. On est unanime à estimer qu'il ne saurait être question pour le moment d'une réduction subite et uniforme de la durée du travail, parce que cela représenterait une trop lourde charge pour l'industrie exportatrice et favoriserait le machinisme.

En revanche, des représentants des milieux ouvriers sont d'avis qu'on devrait, pour combattre la crise, envisager la possibilité d'introduire pour certaines branches une réduction
variable, sans réajustement des salaires.

Il s'agirait principalement de branches dans lesquelles on a intensément rationalisé, si bien que, malgré une forte augmentation de l'ouvrage, la main-d'oeuvre disponible ne pourrait pas être réemployée.

Bien qu'on ait fait, de différents côtés, des réserves à l'égard de cette proposition, la commission a accepté que la question fût étudiée, étant

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entendu qu'il s'agirait d'une réglementation volontaire pour telles ou telles branches, à introduire avec l'assentiment des milieux intéressés.

7. Sur la question de savoir s'il est désirable de réduire la durée du travail à titre durable, les avis se sont opposés les uns aux autres.

Les représentants des salariés se sont prononcés en partie pour une réduction; il considèrent que l'amélioration des conditions d'existence est propre à favoriser le développement de l'économie nationale et que, dans certaines branches, il faut tenir compte de ce que le travail est devenu plus astreignant pour l'ouvrier par suite de la rationalisation.

Les représentants de l'industrie exportatrice pensent, au contraire, qu'une réduction représenterait une charge intolérable du point de vue de la concurrence, car l'amélioration de la situation économique repose sur une base incertaine. Cette amélioration est pour une part la conséquence du développement des armements, qui amène les pays étrangers à se fournir temporairement en Suisse. Au surplus, l'ouvrage ne demeurera abondant que si le régime de la durée du travail et des heures de travail reste élastique. La Suisse doit d'ailleurs constamment compter avec la concurrence de pays qui n'observent guère les dispositions sur la durée du travail. Enfin, par le renchérissement qu'elle produirait, la réduction de la durée du travail mettrait en question les avantages apportés par la dévaluation.

8. La commission elle-même exprime unanimement son désir de voir s'améliorer encore les conditions d'existence des ouvriers et des employés.

A ses yeux, le progrès social et le développement économique sont étroitement liés l'un à l'autre. Le revenu réel de l'économie nationale ayant été fortement diminué par la crise en voie de disparition, il s'agit maintenant de le ramener au niveau qu'il avait précédemment, ce qui ne sera possible qu'à la condition de maintenir notre capacité de concurrence envers l'étranger. Le relèvement de la situation des ouvriers et employés doit être recherché tout d'abord par la voie de la résorption du chômage.

Quant à savoir si et dans quelle mesure une réduction de la durée du travail avec réajustement des salaires devrait avoir lieu, c'est un point sur lequel les avis divergent.

En tout cas, la Suisse, petit pays qui vit de l'exportation, ne
pourra songer à pratiquer cette réforme que lorsque les grands pays industriels l'auront eux-mêmes opérée.

D. Introduction de vacances payées.

9. Il est reconnu en principe que l'institution de vacances payées répond à une aspiration sociale justifiée.

La commission est cependant en sa majorité d'avis que, dans les conditions actuelles, il faudrait laisser l'économie privée assurer ce progrès Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

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social de son propre mouvement, c'est-à-dire sans obligation légale, mais éventuellement avec le concours des syndicats.

Les représentants des salariés voudraient que le bienfait des vacances payées reçût de l'extension; ils réclament des dispositions légales fixant un minimum.

V. Relèvement de l'âge minimum d'admission des enfants à une activité professionnelle.

1. Le projet tendant à relever à 15 ans l'âge minimum d'admission des enfants à un travail rémunéré dans les professions régies par la législation fédérale (donc dans toutes les professions à l'exception de l'agriculture, l'économie forestière et le service de maison) a l'approbation des représentants ouvriers, non seulement en raison du fait que le marché du travail pourrait ainsi être allégé de 3 à 4000 personnes, mais aussi parce que les jeunes gens pourraient alors mieux répondre aux exigences accrues par la rationalisation.

Les membres de la commission qui représentent le patronat déclarent qu'en raison des décisions prises antérieurement par leurs associations, ils ne sont pas en mesure d'approuver cette innovation, mais qu'ils sont prêts à examiner encore une fois la question au sein de leurs groupements.

A l'exception de ces réserves, aucune objection n'est soulevée par les membres de la commission. Un représentant de l'artisanat relève que l'union suisse des arts et métiers a donné, précédemment, son approbation à cette mesure, pourvu qu'on adapte simultanément la scolarité obligatoire à la nouvelle réglementation; à défaut de quoi, il serait difficile d'empêcher les jeunes gens d'entrer dans les entreprises industrielles.

2. Dans les cantons où la scolarité obligatoire ne dure pas jusqu'à l'âge de 15 ans révolus et où il y a en conséquence un hiatus entre la sortie de l'école et l'exercice d'une activité professionnelle, il conviendrait, pour soustraire les jeunes gens à l'oisiveté, d'encourager les efforts faits pour les placer dans l'agriculture et le service domestique, le cas échéant en intercalant un stage d'une année dans l'agriculture. On devrait cependant renoncer à prévoir un placement obligatoire et se contenter de créer un contrôle suffisant pour empêcher les abus. Les associations agricoles sont disposées à prêter leur appui à ces efforts.

La commission se prononce contre l'allocation de subsides aux parents,
car la perspective d'une telle mesure renforcerait l'opposition contre cette innovation.

La commission approuve le projet d'encourager les institutions qui ont pour mission d'occuper les enfants en question, en tant qu'il n'est

927 pas nécessaire d'accorder une subvention dépassant le montant de celles qui sont allouées à la formation professionnelle.

3. La commission accepte (avec les réserves précitées) que l'on demande aux cantons d'adapter leur législation en matière d'enseignement primaire à la législation fédérale concernant l'âge minimum d'admission à une activité professionnelle.

Différents membres estiment toutefois qu'il ne faudrait pas chercher à obtenir ce résultat en élevant d'une manière générale l'âge d'admission à l'école. En revanche, on pourrait, disent-ils, permettre aux parents de renvoyer d'une année l'entrée de leurs enfants à l'école. Au cas où l'on prolongerait la durée de la scolarité, il faudrait éviter de surcharger les programmes et insister surtout sur la préparation à la vie pratique.

TI. Aplanissement des conflits du travail.

1. L'arrêté du Conseil fédéral du 27 septembre 1936 sur les mesures extraordinaires concernant le coût de la vie dispose à son article premier: « En vue d'éviter une hausse injustifiée du coût de la vie et de faciliter l'adaptation de l'économie publique aux conditions résultant de la dévaluation de la monnaie, le département fédéral de l'économie publique est autorisé à: a. (Concerne le prix des marchandises) ...

b. (Concerne l'inventaire des marchandises) ...

c. Arbitrer d'office et sans appel les conflits de salaires collectifs qui s'étendraient à plus d'un canton et ne seraient pas résolus par l'accord des parties. » Par cet arrêté, adopté en considération de la dévaluation de la monnaie, le Conseil fédéral s'est attribué le droit d'arbitrer les conflits de salaires.

2. La commission (à l'exception de M. le conseiller national SchmidRüedin) est d'avis qu'il ne serait nullement bon que l'Etat eût d'une façon durable le droit d'arbitrer les conflits de salaires. La faculté pour l'Etat de fixer les salaires lui paraît impliquer les plus graves inconvénients et elle note que les expériences faites à l'étranger avec l'arbitrage obligatoire des conflits de salaires font apparaître les grands dangers d'ordre politique de ce système d'intervention.

3. La majorité de la commission souscrit pour la durée de l'année 1937 au régime que l'arrêté du Conseil fédéral du 27 septembre a introduit, mais elle attend du Conseil fédéral qu'il use de son droit d'arbitrage avec la
plus grande prudence et qu'il l'exerce par l'intermédiaire d'organes pris en dehors de l'administration publique.

Une minorité de la commission s'élève contre la faculté conférée à l'Etat d'arbitrer les conflits de salaires, même ainsi limitée dans le temps ; elle craint

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qu'en intervenant pareillement, l'Etat ne compromette son autorité, ainsi que la paix politique et sociale.

4. En ce qui concerne le choix des arbitres, les avis divergent. Une majorité voudrait que l'on fît appel exclusivement à des personnes neutres, entièrement indépendantes des parties, tandis qu'une minorité demande qu'on adjoigne aux neutres un représentant des employeurs et un représentant des salariés.

La commission recommande au Conseil fédéral de se mettre en rapport avec les parties avant de désigner les arbitres, de s'assurer leur assentiment pour les choix envisagés et de créer ainsi un élément de confiance propre à faciliter les opérations.

5. La commission est d'avis que les arbitres devraient déterminer euxmêmes dans chaque cas le champ d'application de leurs sentences et tenir compte équitablement, pour cela, des conditions de concurrence régnant dans la branche où le conflit s'est élevé.

6. La commission estime unanimement: a. Que l'obligation de signaler les conflits de salaires doit être instituée pour l'année 1937, afin que l'autorité fédérale puisse prendre toutes mesures en vue d'empêcher qu'ils ne tournent en lutte ouverte; 6. Que, pendant les opérations de conciliation et d'arbitrage, les parties doivent être tenues de renoncer à tous moyens de contrainte, comme aussi de comparaître et de prendre part aux débats.

7. La commission considère le système volontaire (paritaire) de conciliation qui existe actuellement comme susceptible de développement.

Les représentants des milieux syndicaux expriment le désir que les possibilités de développement soient étudiées sous les aspects suivants: a. Possibilité d'étendre le système volontaire de conciliation aux entreprises qui ne sont pas soumises à la loi sur les fabriques; b. Possibilité d'établir un office fédéral permanent de conciliation pour les conflits qui s'étendent sur plus d'un canton, office devant lequel seraient aussi portés en seconde instance les conflits locaux non aplanis par l'office du premier degré.

VII. Politique des prix.

1. Pour que la dévaluation puisse avoir les résultats économiques attendus, un contrôle officiel des prix est indispensable. La commission unanime le reconnaît.

Elle estime que le moment de supprimer ce contrôle, rendu nécessaire par la dévaluation, n'est pas encore venu, la libre formation des prix pouvant compromettre l'avantage essentiel de l'opération; cet avantage,

929

c'est, pour la Suisse, de pouvoir entrer en concurrence par ses prix avec les autres pays sur le marché international.

2. La commission recommande cependant un relâchement progressif des prescriptions qui régissent les prix ; cela permettrait de passer peu à peu à des prix plus élevés, rendus nécessaires par le nouveau cours du franc et par la hausse de certains prix du marché international. Elle pense aussi qu'une notable amélioration du marché intérieur pourrait résulter d'une lente évolution des prix dans le pays, combinée avec l'augmentation du volume des affaires et l'accroissement des revenus des travailleurs de l'industrie privée qui s'opéreraient si le degré d'occupation augmentait et si les salaires fortement réduits par la crise étaient adaptés aux conditions nouvelles.

3. Dans la mesure où la situation économique s'améliorera, le contrôle officiel des prix devra être ramené à la tâche qui lui est dévolue par l'arrêté fédéral du 20 juin 1936 et l'ordonnance du 29 juin 1936 relative au contrôle des prix de marchandises : surveiller « les prix dont la libre formation est limitée par des mesures officielles de protection ou par des accords à caractère de cartel ».

4. Les mesures officielles destinées à influencer les prix doivent être prises sur la base d'une entente entre les autorités compétentes et l'économie privée. La fixation officielle des prix n'est qu'un pis aller; les autorités doivent, par leurs mesures, faciliter le passage à un état de libre formation.

YIII. Mesures destinées à procurer de l'ouvrage et à favoriser la production.

I. Mesures destinées à procurer de l'ouvrage.

A. Principes généraux.

1. La résorption du chômage est, d'une manière générale, considérée comme la tâche la plus urgente de la politique économique suisse.

2. La meilleure façon de procurer de l'ouvrage aux chômeurs est de réemployer chacun d'entre eux dans sa profession; c'est pourquoi la commission attend ce résultat, avant tout, de la reprise de l'activité économique et des mesures qui, dans l'ordre de la politique économique générale, sont de nature à favoriser cette reprise (encouragement des exportations, abaissement du loyer de l'argent, etc.). Les interventions de l'Etat à seule et unique fin de procurer de l'ouvrage, telles que la commande de travaux de construction ou le subventionnement de travaux privés, ne sont donc tenues que pour des mesures subsidiaires.

930

3. Cependant, comme il paraît improbable que le chômage, qui atteint des proportions excessives à l'heure actuelle, puisse être immédiatement et pleinement résorbé, notamment par l'activité de la construction, la commission est d'avis que l'intervention de l'Etat pour procurer de l'ouvrage s'impose jusqu'à un certain point comme mesure transitoire.

4. L'intervention de l'Etat pour procurer de l'ouvrage n'est toutefois admise, en principe, dans les circonstances actuelles que sous les conditions suivantes : a. Il doit s'agir de projets présentant une utilité suffisante pour l'économie nationale ou de projets intéressant la défense nationale.

b. Les projets doivent être soigneusement étudiés du point de vue technique, entrepris en temps opportun et exécutés suivant un rythme s'adaptant à l'évolution du chômage.

c. Les sommes nécessaires doivent représenter une charge supportable qui ne grève pas sensiblement la production. Une certaine dérogation au principe de l'équilibre budgétaire peut être admise s'il est pourvu à un amortissement rigoureux des sommes employées.

5. Les mesures destinées à procurer de l'ouvrage doivent, en premier lieu, atténuer le chômage cyclique. C'est par d'autres mesures (réadaptation professionnelle, service de placement, aide aux chômeurs âgés, etc.) que doivent être combattus le chômage organique et le chômage saisonnier.

6. On s'accorde à admettre qu'il faut actuellement surtout fournir du travail à l'industrie de la construction, car c'est de cette industrie que dépendent directement ou indirectement la grande majorité des chômeurs.

On espère, toutefois, qu'une partie des travailleurs qui ont passé dans cette branche au cours des dernières années pourront retourner à leur activité originaire.

7. La commission est d'avis que, dans ses grandes lignes, le programme actuel des mesures à prendre par la Confédération pour procurer de l'ouvrage répond bien aux besoins. Si la crise devait continuer à sévir dans la construction avec la même acuité qu'à présent, il faudrait envisager une extension des travaux à exécuter; le programme complet, prévoyant toutes les modalités techniques, devra en être dressé dès maintenant.

Une minorité de la commission considère que l'arrêté fédéral du 23 décembre 1936 concernant la lutte contre la crise et la création de possibilités de
travail ne permet pas de réduire le chômage autant qu'il serait possible.

B. Choix des projets.

8. ~L'administration est seule qualifiée pour choisir les différents projets à exécuter en Vue de procurer de l'ouvrage. Elle devra tenir compte des

931 capacités professionnelles des chômeurs et de l'état de maturité des projets et prendre aussi en considération le marché du travail et la dépense. La commission ne peut se prononcer que sur les questions de principe.

9. Comparant les deux moyens généraux de procurer de l'ouvrage, on a relevé qu'il vaut mieux subventionner des travaux privés que d'exécuter des travaux publics; la raison en est que les travaux privés offrent une garantie plus grande en ce qui concerne l'intérêt économique et sont aussi moins onéreux pour les finances publiques, la majeure partie de la dépense étant supportée par l'économie privée. La priorité doit donc être donnée, en principe, au premier de ces deux moyens généraux de procurer de l'ouvrage. Il faudra toutefois se garder de subventionner des travaux qui seraient, de toute façon, entrepris actuellement déjà.

Dans le domaine des travaux publics, les travaux normaux doivent être préférés aux travaux de secours, les premiers présentant en général un plus grand intérêt pour l'économie nationale. Il faudra surtout éviter de réduire les ressources affectées aux travaux normaux au profit de travaux de secours, moins utiles à l'économie.

Parmi les travaux de secours, ceux qui sont de nature à augmenter la puissance économique ou militaire du pays doivent passer avant ceux qui ont pour seule utilité de procurer de l'ouvrage.

10. Ont été cités, en cours de discussion, comme travaux publics normaux ou travaux de secours propres à procurer de l'ouvrage: a. Les ouvrages et les installations servant à la défense nationale ; b. Les travaux d'amélioration pour le compte des chemins de fer fédéraux, qu'il s'agisse de travaux utiles à la défense nationale ou de mesures de nature à augmenter la capacité commerciale de l'entreprise (modernisation du matériel roulant, doublement des voies, suppression de passages à niveau); c. 'L'extension du réseau routier, considérée également sous l'aspect militaire (construction de routes alpestres et de routes de transit en plaine); d. La correction de cours d'eau, les reboisements, etc.

11. Dans le domaine du subventionnement de l'activité productrice privée, la commission approuve la suppression des subsides de fabrication.

La base juridique de cette aide devrait être toutefois maintenue jusqu'à ce que soit éclaircie la situation économique
à l'étranger, notamment en prévision de la nécessité de se prémunir contre le dumping qui pourrait être pratiqué par d'autres pays.

En revanche, la garantie de l'Etat contre le risque à l'exportation est envisagée comme un moyen indispensable de favoriser le commerce extérieur de la Suisse. Mais il faudrait élever sensiblement les taux à proportion

932

desquels la garantie est accordée, assouplir les prescriptions et accélérer les formalités.

La commission voit un élément très impartant de l'action de l'Etat en faveur du progrès économique dans le développement de la politique commerciale (pouvoir d'achat national utilisé comme moyen d'augmenter l'exportation par la conclusion de traités de commerce, d'accords de clearing et de compensation).

Le principal genre d'ouvrage auquel devrait s'appliquer le subventionnement de l'activité privée, ce serait les réparations de maisons d'habitation.

Peuvent entrer en considération comme autres travaux pouvant bénéficier de ce subventionnement l'exécution anticipée de réunions parcellaires et de mensurations de forêts et de fonds ruraux, les améliorations du sol affecté à la production agricole et à la production forestière, l'intensification de la production agricole, l'extension de la viticulture, de la culture maraîchère, de l'aviculture, de l'exploitation des forêts en hiver et des travaux domestiques à la campagne; on devra cependant faire en sorte qu'il n'en résulte pas un renchérissement du coût de la vie.

Ce qui importe en tout cas, c'est d'empêcher que le subventionnement de l'économie privée ne devienne une habitude et qu'on n'entreprenne plus que des travaux subventionnés. Il conviendra de s'acheminer vers l'abolition de ce subventionnement à mesure que la situation économique s'améliorera. Le subventionnement des réparations de maisons d'habitation devrait, pour favoriser l'accélération de ces travaux, être limité à l'année 1937.

En outre, il faudra empêcher que l'allocation de subventions n'amène entre des communes ou des cantons une concurrence, d'où ne résulterait aucune augmentation des possibilités de travail, mais seulement un déplacement des lieux de production.

C. Couverture financière.

12. On s'accorde à admettre qu'il importe d'avoir égard aux finances publiques dans l'adoption des mesures destinées à procurer de l'ouvrage, attendu que de trop lourdes charges financières pourraient bien vite susciter de l'inquiétude sur le marché des capitaux et contrarier, par conséquent, le redressement de l'économie privée.

Quelques membres de la commission ont toutefois fait remarquer que, si l'on dépense davantage pour procurer de l'ouvrage, on dépensera d'autant moins pour l'assistance
aux chômeurs, cependant que les recettes fiscales augmenteront. Pour déterminer l'importance du sacrifice financier à envisager, il faut donc aussi prendre en considération, disent-ils, l'accroissement du revenu total de l'économie nationale.

933

13. Il n'entre pas dans les attributions de la sous-commission de résoudre les questions techniques que soulève la couverture financière des mesures destinées à procurer de l'ouvrage. Les opinions exprimées sur l'emploi du « bénéfice » procuré à la banque nationale par la dévaluation firent apparaître de grandes divergences de vues. On s'est, en revanche, accordé à reconnaître l'importance d'un rapide amortissement des dépenses à engager.

D. Organisation.

14. Pour que les mesures à prendre puissent être exécutées rationnellement, la coopération et la coordination des différents services administratifs en cause est indispensable. La centrale des possibilités de travail devrait être mise en état de répondre de tous points à cette exigence.

Le développement du service de travail est, en principe, approuvé pour des raisons d'ordre moral, en prévision du cas où l'évolution du chômage le rendrait nécessaire. Quant à décréter ce service obligatoire, cela ne paraît ni nécessaire ni utile à la résorption du chômage, le nombre des inscriptions dépassant celui des places vacantes. Si le service obligatoire était réclamé pour d'autres raisons, on devrait étudier la question sur une plus large base. Il est désirable que les projets soient préparés plus soigneusement du point de vue technique comme du point de vue économique et que, pour cela, on fasse appel autant qu'il se peut à des entrepreneurs du bâtiment manquant d'ouvrage.

Une plus large place devrait en outre être faite aux ateliers-camps, considérés comme un moyen de faciliter aux chômeurs la reprise de l'exercice régulier de leur profession.

Enfin, le voeu a été exprimé qu'une plus grande attention soit vouée à l'orientation professionnelle.

E. Règles à suivre pour l'exécution.

15. Les règles observées jusqu'à présent dans le subventionnement sont approuvées dans leurs grandes lignes.

16. Tout en s'appliquant comme par le passé à procurer de l'ouvrage aux chômeurs âgés, notamment à ceux des professions commerciales, on devrait veiller à ce que les ouvriers du bâtiment âgés ou mariés ne soient pas seuls employés à des travaux de secours, mais que l'occasion soit donnée aux ouvriers plus jeunes de se développer dans l'exercice de leur profession.

La commission exprime le voeu qu'on s'abstienne autant que possible de remplacer des hommes par des femmes. En outre, elle recommande de vouer une attention particulière à l'emploi des Suisses rentrés de l'étranger.

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17. Eu égard au manque d'ouvrage dont souffrent les chefs d'entreprise, les commandes des pouvoirs publics devront être passées, en principe, aux entreprises privées.

18. Il conviendra, selon les circonstances, de ne pas subordonner le subventionnement des travaux publics à une allocation conjointe du canton et de la commune lorsque, faute d'agir ainsi, le financement de l'entreprise serait compromis.

19. Dans le domaine des travaux privés, il conviendra de ne pas fixer la subvention d'après la situation du bénéficiaire, attendu qu'il ne s'agira pas d'aider celui-ci, mais de procurer de l'ouvrage.

20. Les crédits ouverts doivent être employés le plus rapidement possible afin de soutenir promptement et fortement le mouvement de reprise.

21. Il faudra avec le temps échelonner les commandes de travaux publics de façon à réserver ces travaux aux périodes de crise. On devra aussi tenir compte des hauts et des bas de l'activité saisonnière.

II. Autres mesures destinées à favoriser la production.

1. La commission approuve les efforts entrepris pour introduire des branches nouvelles de production, en tant qu'il s'agit de produits pouvant soutenir sans appuis spéciaux la concurrence étrangère.

Par contre, on a marqué avec force, au sein de la commission, qu'il fallait se garder de reprendre la fabrication de produits qui ne pourraient se vendre que sous la protection de droits d'entrée élevés ; il en résulterait une hausse des prix sur le marché suisse et, par conséquent, un affaiblissement de la capacité de concurrence de nos industries exportatrices.

Font exception les branches de production indispensables à la défense nationale ou servant à l'utilisation de matières premières ou de forces naturelles existantes dans le pays, toutefois sous les réserves du paragraphe suivant en ce qui concerne ces dernières.

2. Quant à savoir l'importance qu'il convient d'attribuer, dans l'intérêt de l'économie nationale, à l'emploi de matières premières indigènes, c'est un point sur lequel les opinions divergent.

On s'accorda à admettre qu'il est dans l'intérêt de notre économie et de notre marché du travail à.'employer autant que possible des matières premières d'origine suisse (par ex. du bois), à condition qu'il n'en résulte pas une dépense sensiblement plus élevée.

Certains membres de la commission ont
cependant signalé le danger auquel seraient exposées les exportations si l'on employait des matières premières suisses beaucoup plus coûteuses. D'autres ont affirmé que tous

935

les pays se préoccupent plus d'accroître leur production nationale que de conserver certaines importations.

On a, enfin, fait remarquer qu'il existe entre la production nationale et les importations un rapport optimum qui assure au maximum le ravitaillement de la collectivité et l'emploi des forces nationales et que ce ravitaillement et cet emploi seraient moins bien assurés si l'on s'attachait uniquement à se servir de matières premières indigènes sans souci des frais.

3. Il a été généralement reconnu que, dans le domaine des recherches scientifiques, l'Etat doit jouer en Suisse un rôle important ; en effet, le volume de la production y étant moindre que dans la plupart des autres pays, les frais du développement industriel doivent y être également moindres.

D'ailleurs, la plupart des Etats étrangers affectent de grosses sommes aux travaux de recherches, et cela dans l'intérêt de l'économie de guerre.

De l'avis unanime de la commission, il y a là une tâche que l'Etat peut et doit remplir.

Son accomplissement dépend, toutefois, de la collaboration des producteurs à l'exécution d'un programme de recherches, ainsi que d'un contact étroit entre les hommes de la pratique et nos écoles supérieures. On a, en outre, demandé si les nouveaux crédits affectés à la défense nationale ne permettraient pas de mettre des fonds à disposition pour d'importants travaux de recherches.

4. Si l'on a généralement reconnu que les entreprises existantes disposent pour leurs besoins courants de crédits suffisants, voire plus que suffisants, on a, par contre, relevé que le financement de projets étrangers relatifs à un domaine déterminé (par ex. des projets de construction) se heurtait à certaines difficultés qu'il faudrait aplanir, non seulement pour procurer de l'ouvrage à de nombreux ingénieurs suisses, mais encore pour favoriser l'exportation de matériel suisse.

5. De nouveau, le voeu a été exprimé qu'une corrélation plus étroite soit établie entre l'exportation de capitaux et l'exportation de marchandises (voir le rapport de la IIIe sous-commission, p. 46).

IX. Colonisation intérieure et émigration.

I. Colonisation intérieure.

1. La commission considère que les mesures prises jusqu'ici par la Confédération pour favoriser la colonisation intérieure (arrêté fédéral du 20 juin 1936) constituent une base appropriée et pour le moment suffisante, qui permet de poursuivre les essais de colonisation et de réunir de nouvelles expériences.

936

2. La commission fait toute réserve en ce qui concerne les entreprises de colonisation de grande envergure; elle demande qu'avant toute mesure d'exécution on tienne pleinement compte des intérêts économiques, qui pourraient, le cas échéant, pâtir de l'extension de la culture herbagère sur des terrains à litière ou marécageux.

Elle recommande, par contre, la création d'exploitations rurales isolées, création qui, d'après les travaux de l'association suisse de colonisation intérieure et d'agriculture industrielle, paraît possible si on la combine avec des améliorations foncières et des remaniements parcellaires.

3. La commission reconnaît l'opportunité d'augmenter les crédits pour les améliorations foncières et demande que les offices s'occupant de colonisation intérieure et de création de possibilités de travail collaborent étroitement.

4. La commission désire que l'on détermine, pour les terres de colonisation, les moyens juridiques (affermage, défense d'hypothéquer, interdiction temporaire d'aliéner) qui permettent d'empêcher la spéculation privée de profiter des augmentations de valeur, dues essentiellement aux subsides publics.

II. Emigration.

1. La commission approuve la politique pratiquée jusqu'ici par la Confédération, qui s'abstient de dresser de grands plans de colonisation d'Etat et cherche à aider individuellement les émigrants.

2. Elle désire qu'une aide soit apportée à l'émigration. Pour ce qui est de l'émigration paysanne, en particulier dans les pays d'Europe, elle devrait être facilitée par la création, dans les centres de colonisation, d'une ou de plusieurs grandes exploitations agricoles qui permettraient aux émigrants suisses de s'acclimater aux conditions locales, dans l'ordre technique et économique.

3. La commission demande le développement de services d'information organisés par les pouvoirs publics ou des associations. Ces services auraient pour tâche d'indiquer et d'examiner les possibilités de colonisation qui se présentent à l'étranger pour l'agriculture, comme aussi les occasions de travail pour les diverses professions.

4. La commission salue les mesures prises en faveur de nos compatriotes à l'étranger. Elle voit dans les colonies suisses à l'étranger d'importants avant-postes dont les liens moraux et matériels avec la mère-patrie doivent être maintenus et
resserrés.

X. Economie de guerre.

La commission est unanime à penser qu'il est nécessaire d'encourager immédiatement et très énergiquement les mesures préparatoires qui doivent

937

assurer les ressources économiques et financières de la Suisse en cas de guerre.

Elle approuve toutes les mesures d'organisation envisagées à cet effet par le département fédéral de l'économie publique et exprime le désir que la politique économique tienne à l'avenir suffisamment compte des exigences de l'économie de guerre.

Constatations et lignes directrices concernant les finances et le crédit.

(Rapport de la IIIe sous-commission, du 6 mars 1937.)

I. Conservation et augmentation de la liquidité sur le marché de l'argent.

A. Conditions et mesures propres à maintenir la confiance dans les finances publiques.

1. Mesures propres à assurer l'équilibre des recettes et des dépenses, y compris l'amortissement des dettes, de la Confédération, des cantons et des communes.

a. La politique financière des collectivités publiques doit être dominée par la volonté de faire régner la plus stricte économie dans la gestion des ressources disponibles et de soumettre les dépenses à un contrôle serré.

b. Des dépenses additionnelles peuvent être faites pour des mesures extraordinaires -et nettement circonscrites, occasionnées par la crise et destinées à ranimer l'économie ; la condition doit en être toutefois que d'importants amortissements soient prévus et qu'il soit dûment pourvu à leur couverture financière.

2. La persistance de l'ère des déficits dont souffrent les finances publiques provient en grande partie des mesures de soutien que la crise impose aux corporations de droit public. En même temps que la situation économique se raffermira, il faudra s'acheminer vers l'abolition de ces mesures ou, tout au moins, vers leur réduction à un degré en rapport avec les ressources disponibles.

3. L'assainissement des chemins de fer fédéraux, y compris celui des caisses d'assurance et de retraite du personnel des chemins de fer et des

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administrations fédérales, doit être intégré aux mesures destinées à rétablir l'équilibre budgétaire et à sauvegarder le crédit de la Confédération.

4. La commission attend des cantons qu'ils témoignent toute leur sollicitude aux finances des communes et qu'ils avisent, notamment par une meilleure répartition des charges cantonales et communales, aux moyens de mettre hors de toute atteinte la confiance dans le crédit public.

La Confédération devrait avoir la possibilité, de remettre dans une situation normale les communes qui, durement éprouvées par la crise, ne sont plus à même de suffire à leurs,tâches, malgré les mesures de surveillance et de contrainte prises par les cantons. Pour cela, elle devrait pouvoir, exceptionnellement, leur prêter directement son appui financier, lorsque le canton est lui-même hors d'état de le faire parce qu'il a, sans sa faute, épuisé ses ressources.

5. Il faut tâcher d'avoir le plus tôt possible une vue nette sur la structure des finances cantonales et communales. A cette fin, on devra s'attacher à unifier les comptabilités cantonales et communales ou à user de quelque autre moyen qui permette de comparer les régimes financiers des corporations de droit public. En ce qui concerne les communes, il serait notamment désirable de dresser la statistique des dépenses de l'assistance publique.

Cette question a aussi son importance pour les impôts fédéraux, dont le rendement dépend du régime fiscal des cantons.

B. Conditions et mesures 'propres à maintenir la confiance dans les banques.

1. La loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne : a. Assure la surveillance sur les placements de capitaux à l'étranger ; b. Met obstacle à l'expansion des affaires malsaines dans le pays; c. Institue le contrôle impartial des banques par un service de revision qualifié.

Elle a créé ainsi les conditions indispensables à une saine pratique en matière de crédit et, par cela même, au retour d'une confiance durable dans les banques.

2. Il convient de s'abstenir de toutes les mesures de contrainte, législative ou administrative, qui iraient au delà des dispositions de la loi fédérale sur les banques ; elles seraient de nature à ébranler la confiance des épargnants.

3. Pour maintenir la confiance dans les banques, une politique financière et monétaire reposant sur des principes sains est absolument nécessaire..

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C. Mesures propres à maintenir la, confiance dans l'économie nationale considérée dans son ensemble.

1. Rétablissement et affermissement de la puissance de rendement et du rendement effectif de l'économie privée.

Pour atteindre ce but, il faut assurer pour aussi longtemps que possible aux industries exportatrices l'avantage qui est résulté de la dévaluation pour l'ajustement de leurs frais de production au niveau mondial; il faut aussi favoriser l'agriculture, les industries travaillant pour le marché intérieur et l'artisanat, ainsi que leur garantir la protection des pouvoirs publics, en tant qu'elle est justifiée du point de vue de l'économie générale.

2. Le maintien de la confiance dans l'économie nationale commande avec la même force d'aménager de façon satisfaisante les finances des corporations de droit public et des chemins de fer fédéraux, ainsi que de sauvegarder la stabilisation monétaire.

3. Durant une certaine période, il conviendra de continuer à soutenir les branches de l'économie (marché intérieur ou exportations) qui pourraient subsister par leurs propres moyens dans des conditions tant soit peu normales ou qui sont d'une importance vitale pour le pays; ces mesures de soutien devront ménager la transition entre la conjoncture de crise et les conditions normales.

4. On devra renoncer à tout impôt qui ne pourrait que diminuer la matière imposable.

5. Favoriser la publicité économique destinée à renseigner objectivement l'opinion publique en Suisse et à l'étranger (publication plus fréquente des rapports de la commission de recherches économiques).

D. Endiguement de l'afflux de capitaux étrangers par la réduction ou la suspension de l'intérêt.

Le trop grand afflux de capitaux étrangers venant se réfugier en Suisse est de nature à amener une surabondance d'argent qui pourrait, le cas échéant, enfler anormalement le volume du crédit. Pour cette raison et parce qu'un reflux toujours possible de cet argent, essentiellement instable, pourrait susciter de l'inquiétude sur le marché suisse de l'argent et des capitaux, il n'est pas dans l'intérêt de l'économie nationale que des capitaux étrangers affluent en Suisse en trop grande quantité.

Entre autres mesures propres à endiguer un pareil afflux, il convient de recommander les suivantes: a. Soumettre les placements à vue de maisons
et de particuliers étrangers à l'accord par lequel les membres de l'association suisse des banquiers sont convenus que les fonds déposés à vue par des banques suisses ou étrangères ne porteront pas intérêt;

940 6. Pour empêcher des entrées excessives de fonds étrangers venant se placer dans les banques suisses sur livrets d'épargne ou livrets de dépôts, ne servir à ces placements qu'un faible intérêt; c. Pour protéger efficacement les banques contre des retraits massifs de fonds, qui seraient opérés notamment par des déposants étrangers, échelonner les délais de retrait d'après des règles strictes.

II. Mesures propres à abaisser les taux d'intérêt, consistant notamment à faire bénéficier le marché des capitaux de la liquidité de l'argent.

A. Elargissement par les banques de la création d'effets de change et de la remise d'acceptations, avec but de faire profiter le commerce, l'industrie, l'artisanat et l'agriculture des conditions avantageuses de l'escompte.

Un emploi plus étendu de l'acceptation de lettres de change dans les relations commerciales est techniquement possible et économiquement désirable.

L'artisanat et les associations agricoles pourraient tirer d'importants avantages d'une négociation 'plus étendue de lettres de change qui leur permettrait d'obtenir à bon compte des crédits d'exploitation. Il ne conviendrait cependant pas qu'ils tirent des traites sur les banques pour financer des marchés à long terme, pour monnayer des crédits immobilisés ou pour pratiquer des opérations à caractère de spéculation.

B. Abaissement des taux d'intérêt bancaire, créancier et débiteur, sans préjudice des différences d'intérêt indispensables.

1. La baisse des taux d'intérêt, qui s'opère présentement sur toute la ligne, doit être favorisée de façon systématique par une politique sur le marché de l'argent et des capitaux. Les associations de banquiers, les autorités ou la banque nationale devront inviter les maisons de banque qui n'ont pas une vue d'ensemble sur l'évolution générale à appuyer de leur mieux l'orientation actuelle du marché de l'argent et des capitaux vers un abaissement des taux d'intérêt: 2. Si désirable soit-il que l'industrie, le commerce, l'artisanat et l'agriculture puissent se procurer de l'argent à bon marché, il ne faut pas que le mouvement qui se fait en ce sens soit forcé par des mesures artificielles.

En voici les raisons (*) : a. Lorsque les taux d'intérêt sont trop bas pour les créanciers, ils ont un effet prohibitif. Ils sont de nature à exercer une influence défavorable
(*) Des réserves ont été faites au sein de la commission plénière par des représentants des milieux agricoles à l'égard de l'avis exprimé sous chiffre 2, notamment contre la lettre d (refus d'introduire un maximum légal du taux d'intérêt).

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6.

c.

d.

e.

/.

sur l'esprit d'épargne et incitent à placer les capitaux dans des valeurs réelles (pays ou étranger), ou bien à thésauriser.

Les taux d'intérêt trop bas réduisent le revenu de ceux qui doivent vivre de leurs rentes et restreignent le rendement des fonds placés par les caisses d'assurance et de retraites et les caisses de prévoyance ; ces caisses entrent de ce fait dans une ère de déficits mathématiques qui les expose à se trouver en difficultés.

Les taux d'intérêt trop bas incitent à pousser l'endettement et les placements de capitaux au delà de la mesure compatible avec un emploi productif.

Les autorités doivent bien se garder de fixer, par mesure législative, des limites maxima au taux de l'intérêt, aussi bien de l'intérêt créancier que de l'intérêt débiteur; les leçons de l'expérience sont là pour montrer que ces limites, outre qu'elles sont inopérantes, peuvent ébranler la confiance du public épargnant.

Un abaissement exagéré des taux de l'intérêt créancier compromettrait la puissance de rendement des banques, les fonds étrangers placés en obligations à moyen ou long terme étant encore temporairement liés pour des sommes importantes à des taux d'intérêt élevés.

Un abaissement lent des taux d'intérêt doit aussi être préféré à une accélération artificielle de ce mouvement, parce qu'un nouveau renchérissement du crédit provoqué par des événements politiques ou une reprise inattendue des affaires est dans le domaine des possibilités. Or une situation adaptée à des taux d'intérêt très bas ne pourrait, sans préjudice pour l'économie nationale, se réadapter à des taux élevés.

C. Encouragement à l'émission de lettres de gage.

1. Comme la lettre de gage est émise à long terme et que l'intérêt peut par conséquent se maintenir à un taux bas pendant les périodes où l'argent est cher, il importe beaucoup que les établissements de crédit foncier profitent, ces temps prochains, de la conjoncture favorable pour convertir autant qu'ils le pourront des obligations de caisse en lettres de gage.

2. Pour rendre la lettre de gage plus intéressante aux yeux du public et pour favoriser sa négociabilité, il faut prêter une attention accrue aux lettres de gage amortissables.

3. On doit chercher à augmenter le placement de lettres de gage auprès des collectivités publiques et des établissements d'assurance. A cette fin, il faut étudier les possibilités suivantes: a. Aux termes de l'article 7 de la loi du 28 juin 1928 concernant le placement des capitaux de la Confédération, les fonds spéciaux Feuille fédérale. 89e année. Vol. II.

66

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de la Confédération doivent être placés jusqu'à concurrence d'au moins un tiers en lettres de gage ou en obligations émises par des établissements suisses de crédit foncier, ou bien encore en titres de gage immobilier. Or cette proportion n'est pas encore atteinte.

Il est donc, semble-t-il, opportun que la Confédération négocie aujourd'hui à des cours favorables une partie des obligations qu'elle tient dans son portefeuille des fonds spéciaux pour acquérir des lettres de gage portant intérêt à un taux réduit. Elle contribuera ainsi à rendre meilleur marché les fonds étrangers prêtés à long terme aux caisses de prêts hypothécaires, ce qui allégerait le marché hypothécaire.

' 6. La Confédération n'a pas la compétence d'édicter des prescriptions sur le placement des fonds disponibles des cantons et des communes.

Les autorités fédérales devraient toutefois inviter les cantons et les communes à placer plus largement leurs disponibilités en lettres de gage. La diffusion de la lettre de gage recevrait ainsi une impulsion bienvenue.

c. En vertu du droit de haute surveillance que lui confère l'article 50 de la loi du 13 juin 1911 sur l'assurance en cas de maladie et d'accidents, la Confédération devrait prescrire à la caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents de placer ses capitaux en lettres de gage dans une plus grande proportion que ce n'est actuellement le cas.

d. Dans les biens affectés par les sociétés suisses d'assurances sur la vie à leurs fonds de sûreté, les lettres de gage ne formaient en 1935 qu'une proportion d'environ 1 pour mille. Or, aux termes de l'article 12 de la loi du 25 juin 1930 sur la garantie des obligations assumées par les sociétés suisses d'assurances sur la vie, il appartient au Conseil fédéral de déterminer, par voie d'ordonnance, les biens que les sociétés sont autorisées à affecter au fonds de sûreté et la mesure dans laquelle le fonds doit être constitué par des valeurs suisses.

Il y aurait lieu dès lors d'examiner si le Conseil fédéral, en vertu de la compétence qui lui est conférée, pourrait prescrire ou, dans la négative, pourrait se faire autoriser à prescrire aux sociétés d'assurances sur la vie de placer une certaine proportion de leurs fonds de sûreté en lettres de gage.

D. Fondation d'une caisse d'épargne postale.

(Proposition de minorité Dr
Max Weber.)

En vue de promouvoir un abaissement plus prononcé du loyer de l'argent, il importe d'examiner si la Confédération ne devrait pas fonder une caisse d'épargne postale. Une telle institution serait de nature à

943

accroître les placements de fonds de la petite épargne, même dans les localités écartées, et ce serait là un nouveau moyen de favoriser les placements en lettres de gage.

E. Création d'une dette flottante de la Confédération.

Etant donnés le changement complet qui s'est produit sur le marché de l'argent et des capitaux et l'absence presque absolue de demandes de crédits à la banque nationale, il y aurait avantage, semble-t-il, à influencer le marché de l'argent et des capitaux par le moyen des bons de caisse de la Confédération (rescriptions), tout en maintenant à la disposition de la Confédération, grâce à une dette flottante, de l'argent à bas prix. Pour la partie non convertie des emprunts fédéraux, les fonds nécessaires au remboursement seraient fournis, en tant que de besoin, par la remise de bons de caisse à la banque nationale. Cela permettrait: a. D'accroître encore la liquidité du marché monétaire, la banque nationale fournissant à la Confédération, contre l'acceptation de bons de caisse, l'argent nécessaire au remboursement des emprunts arrivant à échéance. D'autre part, la banque nationale aurait aussi la possibilité, en faisant passer ces bons de caisse sur le marché, de diminuer la liquidité de celui-ci (politique du marché ouvert); 6. De favoriser l'abaissement du taux de l'intérêt sur le marché des capitaux ; c. De créer des conditions favorables à la consolidation à des taux réduits des dettes flottantes des cantons et des communes.

F. Ouverture de crédits à fin de rescriptions par la banque nationale.

Pour faciliter la création de possibilités de travail et l'octroi de crédits, la banque nationale est prête à ouvrir des crédits aux banques pour leur permettre d'escompter des rescriptions des cantons et des communes.

Les sommes qui seraient versées de la sorte par les banques seraient grevées, en sus du taux d'escompte officiel, d'un supplément modique, mais suffisant. Les rescriptions porteraient les signatures des banques qui auraient ouvert les crédits.

Les crédits à fin de rescriptions seront ouverts soit à court terme, avec faculté de les couvrir d'après les rentrées d'impôts, soit à plus long terme, avec obligation de les couvrir suivant un certain plan en corrélation avec la base financière d'un programme de travaux destinés à parer au chômage.

III. Groupement de
capitaux suisses et étrangers déposés dans des banques suisses en vue de leur placement à l'étranger.

1. On constate actuellement que les capitaux disponibles ne trouvent pas en Suisse d'affectation appropriée dans une mesure suffisante; c'est

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là un phénomène tout général qui donne un regain d'actualité à la question de leur placement à l'étranger.

2. On est en principe d'avis que le placement de capitaux à l'étranger se justifie et est souhaitable non seulement pour des raisons économiques, mais encore pour des raisons de politique monétaire ; il importe cependant que les besoins de notre pays soient pris en considération et, notamment, que l'économie suisse puisse trouver des capitaux à des conditions acceptables.

3. Après les événements de ces dernières années, le placement de capitaux à l'étranger est devenu une affaire d'intérêt public. Aussi doit-il être soumis à la surveillance que commandent des considérations économiques, de politique monétaire et de politique des changes. Les prescriptions de l'article 8 de la loi sur les banques qui régissent les placements de capitaux à l'étranger tiennent largement compte de l'intérêt public, de sorte qu'il n'y a pas lieu, pour surveiller ces placements, de s'entourer de précautions plus étendues. A condition qu'elles soient pleinement appliquées, les prescriptions de l'article 8 précité peuvent être actuellement tenues pour suffisantes.

4. Si longtemps que la pléthore d'argent, présentement concentrée sur quelques établissements, ne s'étendra pas de façon satisfaisante à toute la banque et, par voie de conséquence, à l'économie suisse en général, il ne paraît pas désirable, en principe, que les banques suisses ouvrent des crédits considérables à des entreprises étrangères ou assument la couverture d'emprunts émis à l'étranger.

Des prêts à l'étranger qui se tiendraient dans des limites raisonnables doivent cependant pouvoir être envisagés pendant l'actuelle période transitoire, s'ils sont de nature à procurer directement à l'économie suisse de notables avantages, soit dans le domaine de la politique commerciale, soit parce qu'ils favoriseraient nos exportations, soit enfin parce qu'ils nous vaudraient d'autres équivalents.

Proposition de, minorité Jaberg tendant à prendre la place du chiffre 4 ci-dessiis.

(Appuyée par cinq membres de la commission.)

4 a. Comme de très grosses sommes ont été remboursées ces dernières années et continueront à l'être ces temps prochains sur des crédits et des emprunts étrangers, il semble que d'importants crédits pourraient être accordés ou que des
emprunts pourraient être financés à l'étranger dans des limites raisonnables ; la condition en serait que ces opérations offrent les garanties désirables et ne se heurtent pas à des difficultés de transfert.

Elles pourraient se faire notamment dans les cas où l'économie suisse serait assurée d'en retirer des avantages immédiats, soit dans le domaine de la politique commerciale, soit par la stipulation de clauses de livraison.

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5. Si la liquidité du marché de l'argent et des capitaux continue à se développer et rouvre des perspectives normales aux placements à l'étranger, il importera que les banques suisses n'accordent des crédits ou n'assument la couverture d'emprunts hors du pays, autant que faire se pourra, qu'en échange d'avantages économiques pour l'activité de nos industries. Il conviendra que les banques suisses ne prennent pas seulement la grande industrie en considération, mais aussi les milieux de l'artisanat et qu'elles s'intéressent notamment aux projets et à l'exécution de grands travaux de construction à l'étranger.

6. Pour assurer à une partie des fonds étrangers la couverture demandée par une sage politique monétaire et permettre à ces fonds, selon leur tendance, de se placer en valeurs étrangères, il y aura lieu de prévoir l'admission à nos bourses suisses de valeurs étrangères de premier ordre. Pour que cette introduction de valeurs étrangères se règle uniformément d'après des critères conformes aux prescriptions qui régissent les émissions étrangères dans la loi fédérale sur les banques, il conviendrait que les bourses de valeurs instituent par voie de libre entente un bureau central d'admission des valeurs étrangères. Un premier pas a déjà été fait dans cette direction, puisque les trois bourses dirigeantes du pays sont prêtes à prendre l'initiative d'un accord entre les bourses suisses pour soumettre à des règles uniformes l'admission future de valeurs étrangères aux susdites bourses.

Demeurerait d'ailleurs réservé, selon l'article 8 de la loi sur les banques, le droit du Conseil fédéral et de la banque nationale d'opposer leur veto à l'admission de valeurs étrangères ou de subordonner leur autorisation à des conditions, si la tendance du change, celle du taux de l'intérêt de l'argent ou des capitaux ou la protection d'intérêts économiques le justifiaient.

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Constatations et lignes directrices concernant une revision des dispositions de la constitution fédérale relatives à l'ordre économique.

(Rapport de la IVe sous-commission, du 4 mai 1937.)

I.

Après avoir examiné les rapports des Ire, IIe et IIIe sous-commissions, la IVe sous-commission a été unanime à conclure que, pour réaliser une série de propositions contenues dans ces rapports, il faudrait modifier la constitution fédérale. Ce serait nécessaire notamment pour donner force obligatoire aux conventions et décisions et faire passer dans la pratique diverses propositions relatives à la politique agraire.

Quant aux voeux tendant à obtenir une réglementation des entrées de fonds étrangers et une législation sur les cartels, il n'a pas été possible d'affirmer définitivement si leur réalisation nécessiterait une revision de la constitution, attendu que cela dépendrait du contenu des lois d'exécution. La commission estime toutefois qu'il conviendra de conférer expressément à la Confédération la compétence de légiférer sur les cartels et les trusts.

Les propositions présentées au sujet des finances et du crédit ont été disjointes, en tant qu'elles doivent être traitées en rapport avec la revision des dispositions constitutionnelles portant sur les finances.

II.

La commission s'est prononcée contre l'adoption d'un article traitant des crises pour une durée limitée (dans le sens d'une solution transitoire), estimant que les propositions formulées ne pourraient pas aboutir de la sorte et qu'elles demandent -- notamment celles qui ont rapport à l'artisanat et à l'agriculture -- non pas des mesures de crise, mais des mesures permanentes. En ce qui concerne la politique agraire, qui ne forme l'objet d'aucune disposition constitutionnelle, il a été généralement reconnu nécessaire d'inscrire dans la constitution des dispositions suffisamment explicites.

Pour ces raisons, la commission recommande d'adopter un article sur le régime économique qui ait une portée durable.

III.

La commission est d'avis que le nouvel article constitutionnel devra contenir tous les principes nécessaires pour réaliser les voeux formulés,

947

tout en abandonnant les détails aux lois d'exécution. Il ne se bornera pas, toutefois, à régler les questions de compétence; il devra aussi énoncer quelques principes touchant au fond, qui préciseront l'orientation à imprimer à la politique économique.

IV.

La commission est d'avis que l'Etat ne devra s'ingérer dans la vie économique que dans la mesure strictement nécessaire (par exemple, pour protéger des branches économiques et des groupes professionnels menacés dans leur existence). Pour le surplus, c'est-à-dire pour toutes les branches qui n'ont pas besoin de l'appui de l'Etat, le principe de la liberté de commerce et d'industrie demeurera en vigueur. Sous réserve de la législation à édicter sur la base du nouvel article constitutionnel, l'article 31 de la constitution subsistera en principe.

V.

La commission tient pour indiqué de formuler deux articles, le premier traitant de la politique économique, le second du chômage. A cette occasion, il conviendra, estime-t-elle, de revoir tous les articles de la constitution qui traitent de l'ordre économique et d'élucider une bonne fois la question que pose depuis de longues années la relation entre l'article 31 et l'article Biter de la constitution. A cette fin, elle propose: a. De reviser l'article 31, 2e alinéa, de la constitution, qui enumero une à une les réserves faites à la liberté de commerce et d'industrie, afin de lui donner la forme d'une réserve générale; 6. D'insérer le nouvel article d'ordre économique à la place de l'actuel article 32, qui est devenu sans objet depuis l'année 1890; c. D'intégrer l'actuel article 34 ter au nouvel article d'ordre économique en le remplaçant par une disposition nouvelle sur les mesures destinées à combattre le chômage.

En se fondant sur ces considérations, la IVe sous-commission propose le texte suivant comme teneur des articles constitutionnels dont il s'agit:

Art. 31.

La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération.

Des dispositions peuvent être édictées sur l'exercice du commerce et de l'industrie et sur les impôts qui s'y rattachent ; à moins que la constitution n'en décide autrement, ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie.

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Art. 32 (*).

En tant que la liberté de commerce et d'industrie est sauvegardée et que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande de façon régulière, la Confédération peut établir des dispositions uniformes et prendre des mesures pour encourager l'agriculture, l'industrie, l'artisanat et le commerce, ainsi que pour protéger le travail.

Elle a le droit d'édicter des prescriptions restreignant la liberté de commerce .et d'industrie : a. Pour conserver une forte population paysanne et une agriculture capable, ainsi que pour consolider la propriété rurale; 6. Pour protéger d'importantes branches économiques et groupes professionnels dont l'existence est menacée; c. Pour régler la coopération des associations professionnelles et économiques à l'exécution de dispositions législatives, ainsi que pour donner force obligatoire à des conventions et décisions d'associations professionnelles et d'organismes économiques analogues concernant la formation professionnelle, les conditions du travail et la concurrence, tout en sauvegardant les intérêts généraux et les intérêts légitimes des minorités; d. Sur les cartels et les trusts.

La législation règle la coopération des cantons et détermine les domaines et les droits qui leur demeurent réservés.

Art. 34 fer (**).

La Confédération combat le chômage et en atténue les conséquences.

Elle peut établir des dispositions uniformes sur le service de placement, sur l'assurance-chômage et, en temps de dépression économique, sur les moyens de créer et de financer des possibilités de travail.

La législation règle la coopération des cantons et détermine les domaines et les droits qui leur demeurent réservés.

VI.

En liaison avec l'établissement d'une nouvelle base constitutionnelle pour la politique économique, la commission a examiné, en outre, si la clause d'urgence ne devrait pas être réglée à nouveau. Etant donnée l'impopularité des arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence, les nouvelles dispositions sur la matière seraient plus facilement acceptées -- a-t-on (*) L'actuel article 32 serait biffé parce que sans objet, de même que l'article 6 des dispositions transitoires.

(**) L'actuel article 34«er serait biffé, parce qu'incorporé au nouvel article 32.

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déclaré au sein de la commission -- si elles rendaient l'emploi de la clause d'urgence plus difficile. A cette fin, il faudrait aussi englober dans la revision l'article 89 de la constitution.

On a objecté qu'une proposition tendant à reviser la base juridique générale qui régit l'emploi de la clause d'urgence déborderait la tâche d'une commission consultative pour la législation économique. L'article 89 exclut le droit de referendum non seulement pour les arrêtés portant sur l'ordre économique, mais aussi pour ceux qui portent sur n'importe quel autre objet.

Les membres de la sous-commission n'ont pas pu se mettre d'accord sur cette question. Aussi l'ont-ils laissée ouverte, dans la pensée que la faculté devait être réservée aux autorités ou au peuple, par voie d'initiative, de la reprendre et, le cas échéant, d'en poursuivre la solution.

VII.

La commission tient, en outre, pour nécessaire de prolonger de deux ans la validité des arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence qui sortent effet jusqu'à fin 1937, dans la pensée que la revision constitutionnelle proposée aura été dans l'intervalle élaborée et soumise au verdict populaire. Il faut, de plus, prévoir le temps nécessaire pour l'adoption des lois d'exécution. Voici les arrêtés fédéraux qu'il conviendrait de proroger: 1. Arrêté fédéral du 27 septembre 1935 portant interdiction d'ouvrir et d'agrandir des grands magasins, des maisons d'assortiment, des magasins à prix uniques et des maisons a succursales multiples ; 2. Arrêté fédéral du 11 décembre 1935 prorogeant celui du 14 octobre 1933 concernant les mesures de défense économique contre l'étranger; 3. Arrêté fédéral du 20 juin 1936 sur le contrôle des prix de marchandises; 4. Arrêté fédéral du 20 septembre 1936 sur les mesures extraordinaires d'ordre économique.

Il appartiendra au département de l'économie publique et à ses divisions d'examiner de plus près si ces arrêtés doivent être tous prorogés ou si certains d'entre eux doivent être abrogés ou modifiés.

Tels sont, reproduits en leur entier, les rapports des quatre souscommissions.

A propos du voeu formulé par la IIe sous-commission touchant la réglementation légale du cautionnement dans l'agriculture, il a été proposé au sein de la commission plénière d'examiner si des mesures ne devraient

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pas être prises pour assainir l'état général des choses en matière de cautionnement. Dans de nombreuses parties du pays, a-t-on fait remarquer, les cautionnements contractés ont pris de telles proportions qu'ils menacent de susciter de graves inconvénients. Cette situation a fait surgir dans le canton de Soleure une initiative populaire tendant à instituer sous la direction de l'Etat une sorte d'assurance contre le cautionnement. Ce n'est pas par cette voie, a estimé la commission plénière, que le problème peut être résolu. Les autorités fédérales pourraient en revanche, a-t-elle pensé, voir si le cautionnement personnel ne devrait pas être restreint par une revision des dispositions du code des obligations sur la matière; l'un des objets de cette revision serait de prescrire l'établissement de registres de cautionnement qui feraient connaître les engagements excessifs de telles ou telles cautions.

Touchant la partie du rapport de la IIIe sous-commission qui traite de l'organisation des bourses de valeurs, la commission plénière a exprimé l'avis que, s'il n'était pas possible de résoudre la question de façon satisfaisante par la voie d'une entente entre les bourses elles-mêmes, les autorités fédérales devraient envisager l'établissement d'une loi fédérale sur les bourses de valeurs.

Indépendamment des questions qui concernent le marché de l'argent et des capitaux, la IIIe sous-commission s'était occupée des mesures propres à atténuer de façon méthodique l'endettement des corporations de droit public, des entreprises de transport publiques et privées, ainsi que de l'économie privée en général (agriculture, artisanat et industrie hôtelière). Etant donnée l'importance de la politique financière pour l'aménagement de la politique économique, elle avait, en outre, formulé une série de principes sur le rapport entre les finances publiques et l'économie privée. Considérant qu'il s'agissait là, pour une part, de questions dont le Conseil fédéral s'était déjà saisi (telles que le désendettement de l'agriculture et l'assainissement des CÏT et des chemins de fer privés), pour l'autre part de questions ressortissant à d'autres départements, notamment au département des finances et des douanes, la commission plénière n'a pas reproduit cette partie du rapport de la IIIe sous-commission dans son propre rapport.
Elle a cependant décidé de la soumettre néanmoins au département de l'économie publique, dans la pensée que les propositions qui y sont faites seront portées à la connaissance du Conseil fédéral et des départements en cause comme reflétant l'opinion propre de la IIIe sous-commission.

Les rapports des quatre sous-commissions ont été approuvés par la commission plénière, tels qu'ils sont reproduits ici, à l'exception du projet de dispositions constitutionnelles nouvelles, établi par la IVe sous-commission. Après des délibérations approfondies, la commission plénière a décidé de proposer au département de l'économie publique le texte ci-après pour remplacer les articles 31, 32 et 34 ter actuels de la constitution:

951 Art. 31.

La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute l'étendue de la Confédération.

Des dispositions peuvent être édictées sur l'exercice du commerce et de l'industrie et sur les impôts qui s'y rattachent ; à moins que la constitution n'en décide autrement, ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie.

Art. 32.

En tant que l'intérêt d'une saine économie nationale le commande de façon continue et sous réserve de la liberté de commerce et d'industrie, la Confédération peut établir des dispositions uniformes et prendre des mesures pour encourager l'agriculture, l'artisanat, le commerce, l'industrie et les transports.

Elle a le droit, sans être liée par le principe de la liberté de commerce et d'industrie, mais en sauvegardant les intérêts généraux, d'édicter des prescriptions : a. Pour conserver une forte population paysanne et une agriculture capable, ainsi que pour consolider la propriété rurale ; b. Pour protéger d'importantes branches économiques et d'importants groupes professionnels qui sont menacés dans leur existence ; c. Pour soumettre les cartels et les groupements analogues à une réglementation ; d. Pour donner force obligatoire générale à des conventions et à des décisions qui émanent d'associations professionnelles et de groupements économiques analogues et qui concernent la formation professionnelle, les conditions du travail, y compris les allocations accessoires d'ordre social, ou la lutte contre la concurrence déloyale, en tant qu'elles tiennent suffisamment compte des intérêts légitimes des minorités, qu'elles ne portent pas atteinte à la liberté d'association et sont approuvées par des experts indépendants.

L'exécution des dispositions prévues aux alinéas 1 et 2 a lieu par la voie législative. La législation relative à ces objets prendra en considération la coopération des cantons et réservera à ceux-ci les matières qui ne nécessitent pas l'établissement de règles générales. En outre, elle déterminera la coopération des associations professionnelles et des groupements économiques analogues à l'exécution des dispositions législatives.

Art. 34 ter.

La Confédération a le droit d'établir, par la voie législative, des dispositions uniformes sur la protection des travailleurs, le service de placement et l'assurance-chômage.

952 Elle combat le chômage et en atténue les conséquences; en temps de crise économique, elle peut édicter des dispositions législatives sur les moyens de créer et de financer des possibilités de travail.

La coopération des cantons est garantie.

Le représentant des sociétés coopératives proposa d'ajouter à l'article 31 ou à l'article 32 l'alinéa suivant: « Les sociétés coopératives fondées sur le principe de l'entr'aide et dont le but est de rendre service avant tout à leurs membres dans le domaine de la production, de l'utilisation des produits et de la satisfaction de besoins économiques et domestiques ne doivent être gênées par la législation ni dans leur création, ni dans leur activité, ni dans leur développement. » La commission plénière, estimant que le texte proposé par elle ne contenait rien qui pût susciter des craintes aux sociétés coopératives et constatant qu'aucune loi spéciale quelconque n'était envisagée qui pût porter préjudice à ces sociétés, a décidé de ne pas proposer de mentionner expressément les sociétés coopératives dans la constitution fédérale. D'ailleurs, les lois à édicter en application de l'article 32 seraient soumises au referendum.

La commission appuie sur le fait que les nouveaux articles constitutionnels relatifs à l'ordre économique et le rapport de la commission forment un tout. Ce rapport, qui délimite les tâches de la politique économique suisse, doit être considéré en même temps comme le commentaire des nouvelles dispositions constitutionnelles. La commission ne pouvait pas, cela va de soi, insérer le programme économique dans ces dispositions ; il lui a cependant paru indispensable de dresser un programme détaillé qui définirait clairement le but de la politique économique à suivre et la revision que devrait subir la constitution.

Les propositions que la commission, après mûre réflexion, soumet au département fédéral de l'économie publique, se tiennent dans les limites du possible. Elles ne visent aucun objectif révolutionnaire; au contraire, elles ne portent que sur des voeux réalisables dans les conditions présentes et qui subissent en partie depuis des années déjà l'épreuve de la discussion publique. La commission s'est aussi occupée, au cours de ses délibérations, de formes économiques foncièrement nouvelles, telles que le régime corporatif et l'économie dirigée. Or elle est arrivée à la conclusion que ni les corporations intégrées dans l'Etat ni une économie dirigée par un organisme central ne constituent une solution répondant aux conditions particulières à la Suisse. Elle a été, en outre,
unanime à estimer qu'il ne saurait être question, en l'état actuel des choses, d'un retour au libéralisme classique ni d'une politique générale de soutien s'appliquant à toutes les branches économiques et qui se ramènerait, en résultat final, à un interventionnisme sans plan. Les rapports entre l'Etat et l'économie ne se laissent

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pas enfermer dans une simple formule. Sans doute de nombreuses limitations qu'il a fallu apporter au libre jeu des forces économiques pendant la crise peuvent-elles et doivent-elles disparaître à mesure que la situation s'améliorera. D'autre part, il est des branches économiques et des groupes professionnels qui devront pouvoir encore compter à l'avenir sur la protection de l'Etat. La commission a exprimé son avis sur les rapports entre l'Etat et l'économie dans une série de principes qui forment l'introduction aux lignes directrices concernant la politique économique intérieure.

Le principe consacré par l'article 31 doit être maintenu, sous réserve de la législation qui procédera du nouvel article constitutionnel. L'Etat ne doit s'ingérer dans la vie économique que là où c'est nécessaire pour combattre les abus de la liberté économique ou pour sauvegarder d'importants intérêts généraux. Pour le surplus, le principe de la liberté de commerce et d'industrie doit demeurer en vigueur.

La commission n'entend nullement, par ses propositions, introduire un nouveau système économique; elle veut indiquer à la politique économique une voie praticable pour poursuivre son but, c'est-à-dire pour assurer l'approvisionnement du peuple suisse en tous les biens essentiels à son existence et pour lui procurer un travail rémunérateur, dans des conditions conformes à la structure de notre économie nationale et à nos traditions de liberté.

La commission prie avec instance les autorités fédérales de s'attaquer aussi rapidement que possible à la solution des grosses questions de politique financière qui se posent devant le pays.

Elle se permet, à ce propos, de soumettre à l'examen des autorités les voeux suivants: a. Il a été relevé que les bases statistiques dont on dispose en Suisse pour juger l'évolution économique sont défectueuses et incomplètes.

Or, comme cette évolution est bien plus rapide qu'avant la guerre, elle appelle un contrôle constant. Aussi la statistique économique devrait-elle être améliorée. Etant données les tâches croissantes qui incombent à l'Etat, ce serait d'ailleurs fort désirable.

6. En outre, le désir a été exprimé que les mesures économiques de l'Etat soient l'objet d'une publicité plus développée, afin que le public en soit mieux informé, tant en Suisse qu'à l'étranger. La commission
croit qu'une organisation appropriée et une concentration des moyens mis en oeuvre donneraient en ce domaine de meilleurs résultats que ceux qui ont été obtenus jusqu'ici, sans entraîner pour l'Etat une notable augmentation de la dépense.

c. Enfin, la commission relève que l'article S&ter (nouveau) de la constitution rendrait l'Etat plus ou moins responsable du cours de la conjoncture économique. Aussi les enseignements des années de crise

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devraient-ils être mis à profit. C'est dire qu'un examen attentif et approfondi devrait être consacré dès à présent aux mesures pouvant empêcher ou atténuer les crises futures, en tant que de telles mesures rentrent dans la sphère d'action de la politique économique suisse.

Telles sont, Monsieur le Conseiller fédéral, les propositions et recommandations que la commission, après un sérieux examen, vous soumet à l'intention du Conseil fédéral, en vue d'asseoir sur des bases nouvelles la politique économique de la Suisse.

Veuillez agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, l'assurance de notre haute considération.

«vi

Au nom de la commission d'experts pour une nouvelle législation économique: Le suppléant du président, (signé) STUCKI.

Le secrétaire, (signé) HOLZER.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant une revision partielle des dispositions constitutionnelles qui régissent l'ordre économique. (Du 10 septembre 1937.)

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