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FEUILLE FEDERALE SUISSE ET RECUEIL DES LOIS SUISSES

71e année.

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Berne, le 3 septembre 1919.

Volume IV.

Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant

la question de l'accession de la Suisse à la Société des nations.

(Du 4 août 1919.)

La guerre mondiale a exposé la Suisse aux plus grands dangers et l'a mise aux prises avec des difficultés qui, plus d'une fois, ont paru insurmontables. Cependant Dieu a épargné à notre pays les horreurs de la guerre et de la famine. Nous devons en être profondément reconnaissants.

Toutefois les temps difficiles ne sont pas encore passés.

Ce n'est que grâce à une grande clairvoyance, à beaucoup de travail et avec le concours de circonstances favorables, indépendantes de notre volonté, que la Suisse pourra raffermir les bases de sa prospérité. Notre politique extérieure et intérieure aura à poursuivre cette tâche encore pendant des années.

La conclusion de la paix nous met, d'autre part, en fa,ce d'une question qui exige une prompte réponse notre entrée dans la Société des nations. Il ne s'agit pas ici d'une modification progressive de notre orientation politique, d'une adaptation plus ou moins rapide à des circonstances nouvelles, mais d'un oui ou d'un non. Une politique traditionnelle de neutralité a permis à la Suisse de vivre de son existence propre et de ne chercher d'appui durable ni auFeuille fédérale suisse. 71e année. Vol. IV.

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près d'un Etat, ni auprès d'un groupe d'Etats déterminé.

Doit-elle entrer dans l'association d'Etats créée par la Conférence de la paix Ì Pareille question ne s'est plus posée à notre pays depuis qu'en 1815, les Puissances représentées au Congrès de Vienne ont invité la Suisse à prendre part aux mesures communes destinées à rétablir la paix troublée par le retour de Napoléon de l'île d'Elbe. La décision qui doit être prise aujourd'hui a cependant une portée plus grande encore. L'organisation dont il s'agit est destinée à ouvrir à la politique internationale des voies entièrement nouvelles, non seulement pour l'avenir immédiat, maib pour un temps aussi lointain qu'il est possible de le concevoir.

Il est 'particulièrement difficile, à l'époque actuelle et dans l'état actuel du monde, de se décider à entrer, en matière de politique extérieure, dans une voie qui, sous tant de rapports, est inexplorée. Des Etats anciens disparaissent ou subissent des modifications ou des diminutions importantes. Des Etats nouveaux apparaissent ou sont en voie de formation. Le monde n'a pas encore reconquis son équilibre. Quand le retrouvera-t-il et quel sera cet équilibre ?

Nul ne peut le dire, d'autant plus que de puissants mouvements sociaux se font sentir à l'intérieur même des Etats et peuvent réagir sur les relations internationales. En outre, il ne s'agit pas d'entrer dans une organisation déjà éprouvée par d'autres Etats, mais d'une nouveauté conditionnée par un état de choses ancien. On ne peut donc écarter purement et simplement les craintes et les appréhensions fondées sur les expériences du passé et qui, jusqu'ici, se sont exprimées dans notre pays avec plus de force que les sentiments de joyeuse confiance, tandis que d'autre part les partisans d'une réforme intégrale éprouvaient quelque déception à ne pas trouver dans le système proposé la réponse à leurs désirs les plus chers.

Le Conseil fédéral a conscience de la gravité et de l'importance exceptionnelles de la décision que nous avons à prendre. C'est avec joie qu'il avait salué l'idée, née des misères de la guerre, d'une organisation nouvelle destinée à assurer le respect du droit et le maintien de la paix. C'est avec joie qu'il a vu tous les belligérants accepter cette idée et faire de sa réalisation l'une des conditions essentielles de la conclusion
de la paix. Cette attitude du Conseil fédéral n'est, cependant, pas une raison pour lui d'approuver sans réserves la Société des nations créée par la Conférence de Paris. Il ne voit pas davantage un motif d'abstention dans

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le fait que cette Société ne répond pas, sur des points essentiels, aux espérances qu'il avait conçues. Sa tâche est d'examiner quelle décision l'intérêt de la Suisse exige. Dans ce but, il s'agit d'étudier le problème sans parti pris, à fond, sous tous ses aspects et, sur la base de cette étude, d'exposer aux Chambres et au peuple tous nos espoirs comme toutes nos appréhensions.

Si c'est le souci du bien de la patrie qui doit nous dicter notre décision, nous ne devons cependant pas nous en tenir à ses intérêts immédiats. Nous devons nous efforcer de juger la question d'un point de vue plus élevé que celui de l'intérêt national prochain et exclusif. Pour tout Etat, et surtout pour un Etat petit et pacifique comme la Suisse, l'avenir ne peut être assuré -- la guerre nous l'a suffisamment appris -- que par le développement et le renforcement d'une communauté internationale basée sur le droit, bien plus que par la faculté de rester à l'écart des conflits s'élevant entre les grandes puissances. Cet intérêt national est en même temps un intérêt de l'humanité tout entière. Le servir loyalement et avec efficacité est aussi dans la ligne de la politique suisse; nous pouvons et nous devons faire dans ce but les sacrifices nécessaires. C'est dans la persistance de l'état d« choses actuel, dans lequel le droit est sans protection et dans lequel par conséquent les Etats sont les ennemis les uns des autres, qu'est pour notre pays le danger le plus grand, sinon peut-être le plus immédiat.

I. L'idée de la Société des nations depuis la guerre mondiale et la genèse du Pacte de Paris.

L'idée d'assurer la paix du inonde pa,r une organisation Période établie au-dessus des Etats a été soutenue, dès la fin du àjf^^jf^t moyen-âge, non seulement par des écrivains politiques la guerre.

mais même par des hommes d'Etat. Depiiis un siècle, elle a été défendue en particulier par les adeptes du mouvement pacifiste*).

Ce sont les conférences de La Haye qui constituent la tentative la plus importante faite à cet égard dans le domaine de' la politique pratique. Le point faible de la convention de La Haye relative au règlement pacifique des différends internationaux, est le fait que, partant du principe de la souveraineté absolue de chaque Etat, ce traité ne crée aucune obligation d'accepter la médiation ou l'arbitrage *) Annexes au Message, I, 5.

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et qu'il s'abstient d'instituer une organisation internationale destinée à assurer le respect du droit. Le droit manque ici de protection, même quand certains Etats se sont, par des traités particuliers, obligés à avoir recours à une procédure d'enquête ou d'arbitrage.

Lu guerre.

Les temps qui ont immédiatement précédé la guerre mondiale ont clairement démontré l'insuffisance d'un tel régime juridique et l'urgente nécessité de garantir la paix d'une manière plus efficace. Dès les premières années 'd« la guerre, les hommes d?Etat dirigeants des plus importantes puissances belligérantes ont reconnu la légitimité de l'exig'ence d'une réorganisation de la politique internationale.

Le Saint-Siège a aussi émis une importante déclaration dans ce sens. Mais c'est surtout le président des Etats-Unis qui, tout d'abord dans son message du 22 janvier 1917, puis, une fois les Etats-Unis entrés en guerre, dans divers discours prononcés en 1918, a insisté sur l'absolue nécessité d'ententes internationales destinées à assurer le maintien de la paix. Au cours de la dernière année de la guerre,? l'idée d'une Société des nations; soutenue dans beaucoup d Etats par des associations privées influentes, a pris xxne place toujours plus large dans les manifestations officielles die l'opinion aies gouvernements d'Etats belligérants et neutres. En acceptant, par le traité d'armistice du 11 novembre 1918, le programme des 14 points du président Wilson comme base de la paix ù conclure, les deux partis belligérants ont admis que la Société des nations devait devenir le fondement du futur état de paix*).

La commisLa Suisse n'est nullement restée inactive à cet égard.

^taüve ^a Société suisse de la paix avait déjà, par des mémoires suisse.

dit 23 octobre 1917 *°) et du 9 mars 1918, proposé de convoquer une commission extra parlementaire pour l'examen de la question de savoir à quelles conditions la Suisse pourrait adhérer à une Société des nations. Le 4 mai 1918, le Conseil fédéral chargea le Département politique de nommer une commission consultative restreinte pour étudier les problèmes relatifs à la réorganisation du droit des gens après la guerre. Cette commission fut notablement élargie par décision du 18 septembre 1918. Le 11 février 1919, le Conseil fédéral a fait aux Chambres un rapport***) sur sa composition et son activité. A propos de l'examen du rapport de *) Annexes I, 5.

**) Annexes I, 1.

***) Annexes I, 7.

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gestion du Département politique, le président de la Confédération a, dans un discours prononcé au Conseil national le 6 juillet 1918*), exposé d'une manière générale l'attitude prise par le Conseil fédéral à l'égard du problème de la Société des nations. La Suisse a ainsi été, sinon le premier, en tous cas un des premiers Etats neutres qui aient reconnu l'importance capitale du problème et qui aient manifesté leur volonté de coopérer à sa solution. La Suisse ne s'en tint pas à l'expression de cette volonté. L'étude de la question y fut activement poursuivie.

Le conseiller juridique du Département politique prépara, sur l'ensemble des problèmes relatifs à la Société des nations, un rapport**) qui servit dé base aux délibérations de la première session de la commission consultative. Dans une seconde .session, cette commission discuta un projet de pacte et de statut constitutionnel de la Société des nations ***). Le Pacte de Paris, enfin, a fait l'objet d'un examen approfondi, au cours d'une troisième et d'une quatrième session de la commission. Tous les membres de la commission, sauf deux (et quatre absents) se sont prononcés pour l'adhésion.

Le Conseil fédéral avait tout lieu d'admettre que l'orga- La Connisation de la Société des nations serait fixée dans une con- férence de férence internationale générale, parallèle à la Conférence ^ neutres de la paix ou réunie à la fin de cette dernière. Par uno note du 20 novembre 1918, la Suisse avait demandé aux Puissances de pouvoir participer aux négociations et aux diécisi'Ons à prendre, pour autant qu'il slagirait de questions l'intéressant spécialement ou de problèmes d'importance générale tels que celui de la Société des nations. C'est à titre de préparation pour une conférence de ce genre que, die même que les commiss-ions analogues constituées dans certains Etats voisins, la commission consultative suisse avait préparé un projet complet et détaillé. Nous n'avions nullement la prétention de faire adopter ce projet tel quel, mais nous nous basions sur les expériences faites, notamment, aux conférences de La Haye et de Londres, et d'après lesquelles des solutions concrètes et formulées, quant aux points les plus importants, peuvent seules apporter des éclaircissements utiles et servir de base à des propositions qui aient des chances d'être adoptées dans une conférence.

*) Annexes I, 6.

**) Annexes I, 4.

·**} Annexes I, 0.

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Société des Ce n'est, qu'après que les négociations relatives aux prénations et liminaires de pais eurent commencé à Paris que les Puistraité de° sances prirent la décision de traiter la question de la Société paix.

des nations de la même manière que les autres problèmes de la paix. Une participation directe des neutres était dès lors exclue. Quoique le résultat de négociations ainsi engagées ne lie pas les neutres, bien que ces derniers soient libres d'entrer dans la Société des nations ainsi créée ou de ne pas le faire, la question n'est plus entière pour eux. Les Etats qui u'oat pas pris part aux négociations ont, de la sorte, étt; privés de l'influence qu'ils eussent été en droit d'y exercer.

La Suisse doit faire les plus expresses réserves au sujet de cette manière de traiter des questions internationales d'intérêt général, et elle ne saurait la considérer comme un précédent engageant l'avenir. A tous les Etats intéressés à, la solution d'un problème, la possibilité doit être donnée de se faire entendre, et cela sur le pied de l'égalité. Cettee règle a été admise, en principe, dès le milieu du XIX siècle. Une exception regrettable n'y a été faite que par la Conférence de Londres de 1908/09 relative au droit maritime et, maintenant et tout spécialement, par la Conférence de Paris. Ce mode de faire, qui est contraire aux principes de la démocratie et de l'égalité des Etats, a du resto lése non seulement les droits des neutres, mais même ceux de certains Etats belligérants. Seuls les Etats considérés comme grandes puissances, c'est-à-dire les cinq grands Etats alliés et associés (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Japon) ont été représentés dans toutes les commissions de qui, en fait, dépendaient les décisions. Très inégale a été l'influence des «puissances à intérêts particuliers ».

Le fait que les questions relatives à la Société des nations ont été traitées comme une partie inséparable du traité de paix a pourtant eu un avantage : les puissances signataires du traité sont ainsi contraintes d'accepter l'organisation internationale nouvelle, si elles veulent avoir la paix.

Renvoyer à plus tard les négociations relatives à cette réorganisation eût pu l'exposer à écbouer devant la, méfiance de certains Etats, ou bien il n'eût peut-être pas été possible d'imposer aux Etats des
obligations étendues. Il n'en est pas moins vrai que la création, par un nombre limité d'Etats, d'une organisation internationale qui tend à être universelle, est éminemment contestable. Elle l'est d'autant plus que l'itn-

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perfection de la méthode suivie n'est nullement compensée par les mérites de la convention adoptée. Cette convention ne donne pas satisfaction à plusieurs exigences dont la réalisation est considérée, par les Etats exclus des négociations, comme nécessaire en vertu de leur droit à l'égalité de traitement et dans l'intérêt de leur sécurité.

Il est cependant juste de reconnaître que plusieurs des membres les plus influents de la commission de la Société des nations ont mis la plus grande bienveillance à fournir à 'notre représentant à Paris l'occasion de faire connaître les désirs de la Suisse. On ne peut affirmer avec certitude qu'une conférence générale nous eût permis do prendre une plus grande part à la rédaction du Pacte.

Une commission fut constituée par la Conférence plé- Projet du nière die la paix, le 25 janvier 1919, sous la présidence d'e igio"61 M. Wilson, pour préparer le Pacte de la Société des nations.

Elle comprenait à l'origine deux représentants de chacune des grandes puissances! alliées et associées et un, représentant de chacun des Etats suivants : Belgique, Brésil, Chine, Portugal et Serbie. Elle fut ultérieurement élargie par l'admission de la Grèce, de la Pologne, de la Roumanie et de la Tchéeo-Slovaquie. Cette commission publia un premier projet le 14 février 1919.

La publication de ce projet qui, sans différer essentiellement d'il pacte actuel, a cependant subi de nombreuses modifications de détail, avait pour but de provoquer une discussion publique. Pour beaucoup, ce projet fut une grande déception. D'une part, il n'assurait pas d'une manière absolue le maintien de la paix. D'autre part, il n'offrait que des garanties insuffisantes en ce qui concerne l'avènement d'un ordre de choses plus équitable, tant au point de vue social qu'à celui des revendications des nationalités. Enfin il ne semblait pas accorder aux Etats qui se sentent menacés une protection assez efficace contre le danger de guerres nouvelles.

Les Etats neutres furent invités par les puissances re- Conférence présentées au Congrès à faire connaître leurs voeux dans des neutresune conférence convoquée pour le 20 mars. Quelque critiquable que fût, en principe, ce mode de traiter des questions internationales, le Conseil fédéral -- de même que tous les autres neutres auxquels l'invitation avait été adressée -- ne .crut pas devoir rester à l'écart, les intérêts matériels en

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Proposuisses

cause l'emportant de beaucoup sur les objections de forme que l'on pouvait élever. Cette conférence, qui eut lieu à Paris les 20 et 21 mars et dont le protocole fut réglé de la façon la plus satisfaisante pour la dignité des Etats conviés, réunit les délégués de treize Etats neutres*). La Suisse y fut représentée par une délégation se composant des membres suivants : M. le conseiller fédéral Calonder, M. le conseiller national Alfred Frey et MM. les professeurs Max Huber et W. Rappard. M. Paul Logoz remplissait les fonctions de secrétaire de la délégation.

Les travaux préparatoires du Département politique et de la commission consultative ont facilité dans une large mesure la tâche du Conseil fédéral, en ce qui concerne l'attitude qu'il avait à prendre à l'égard du projet de pacte élaboré à Paris. Dans sa séance du 10 mars, le Conseil fédéral >avait adopté une série de thèses qui servirent de base à une note **), ainsi qu'aux propositions faites et aux déclarations émises par la Suisse à la conférence des Etats neutres.

Avant cette conférence, un échange de vues eut lieu à Paris entre la. délégation suisse et les délégués des autres Etats neutres. Elle permit de constater que leurs intérêts essentiels étaient identiques.

Les propositions suisses ***) portèrent principalement sur les vomis suivants : a. Principe de l'admission, dans la Société des nations, de tous les Etats qui satisfont aux exigences du Pacte.

b. Développement des instances de conciliation et d'arbitrage dans le sens de l'avant-projet suisse, de manière qu'on ne défère au Conseil exécutif -- organe essentiellement politique et soumis à l'influence prédominante des grandes puissances -- que les litiges non aplauis par voie de conciliation ou déclarés, par jugement d'une cour des conflits, impropres à recevoir une solution judiciaire. En outre, obligation de recourir, pour tout litige, à un essai de conciliation devant une commission impartiale.

c. Institution immédiate d'un tribunal d'arbitrage organisé d'une manière conforme au principe de l'égalité des Etats.

*) En ce qui concerne les Etats non représentés qui n'ont pas pris part à la guerre, voir ci-après p. 53.

**) Annexes II, 9.

***) Annexes II, 10.

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d. Insertion dans le Pacte de dispositions permettant à l'Assemblée des délégués des Etats sociétaires de présenter plus facilement des propositions de médiation.

e. Protection de la souveraineté des Etats, dans les domaines que les dispositions du Pacte ne touchent pas, en vue d'exclure toute intervention dans les affaires internes et notamment dans l'organisation sociale des Etats membres de la Société.

f. Possibilité de dénoncer le Pacte en cas de révision portant sur ses éléments essentiels. Ceci en vue de sauvegarder l'indépendance des Etats qui n'ont pas une représentation permanente au Conseil exécutif.

Pour avoir des chances de succès, les propositions suisses devaient être faites dans le cadre du projet de Baris. Leur adoption sans modification essentielle eût notablement amélioré le Pacte, dans le sens d'une extension du pouvoir donné aux juridictions impartiales, et d'une diminution du champ d'activité laissé aux influences de caractère politique.

La plupart dies propositions suisses, de même que celles que firent d'autres Etats neutres', furent -- sous une forme ou sous une alitée -- prises en considération par la commission compétente de la Conférence de la paix. Toutefois, comme le projet lui-même était manifestement le résultat de longues négociations et de compromis délicats, il n'était guère permis de s'attendre à ce qu'il fût profondément modifié, d'autant plus que les idées 'défendues par la Suisse avaient déjà été soutenues dans la commission elle-même, malheureusement sans succès, par d'autres Etats. Il serait néanmoins injuste de considérer l'audition des neutres comme ayant été une simple formalité. Dans une séance spéciale, les Etats neutres furent informés de la manière dont leurs propositions avaient été prises en considération et un procès-verbal leur fut remis au sujet des délibérations auxquelles leurs suggestions avaient donné lieu.

Dans ses séances des 10 et 11 .avril, la commission de la Text? déSociété des nations arrêta le texte définitif du Pacte. Après finitif.

révision par un comité de rédaction, ce texte fut adopté sans changement, sauf une »adjonction de peu d'importance, à la séance iplénière du 28 avril 1919. C'est à l'égard de ce Pacte de la Société des nations (Covenant), qui est inscrit en tête du traité de paix, que nous avons à prendre position *).

*) Voir ci-après, p. 117 et suir.

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IT. Les principes da (Jovenant.

InterpréOn trouvera dans un appendice *) au présent Message un tation du commentaire des diverses dispositions du Pacte. Pour l'insPacte.

tant, il s'agit seulement de souligner les principes essentiels qu'on doit prendre en considération si l'on veut apprécier sa portée politique.

Dans les nombreux projet de chartes d'une Société des Principaux problèmes nations publiés au cours de ces dernières années et émanant relatifs à la de milieux plus ou moins officiels, on peut noter trois tenSociété des nations. dances principales : d'une part, la Société des nations peut tendre à embrasser et à organiser la vie internationale dans son ensemble, ou limiter son action à la prévention de la guerre par l'organisation d'un système de règlement pacifique des conflits. D'autre part, l'organisation destinée à assurer le maintien de la paix peut, ou bien viser à l'exclusion absolue de toute guerre, c'est-à-dire imposer pour tous les litiges internationaux un règlement basé sur le droit ou l'équité, ou bien se borner à opposer à la guerre le plus d'obstacles possibles, dans l'espoir qu'en gagnant du temps et en donnant à l'opinion publique la possibilité de s'exprimer et d'agir, on arrivera à franchir l'instant critique et à ouvrir les voies à une solution pacifique du conflit. Enfin la Société des nations peut disposer de sanctions plus ou moins efficaces en vue d'assurer l'observation des principes sur lesquels elle est fondée.

Il est visible que le Pacte de Pai-is est un compromis entre ces diverses tendances. Il devait nécessairement l'être, tous les Etats n'étant pas également disposés à accepter des obligations dans Fintérêt de la paix du monde, et tous n'ayant pas la même confiance dans l'efficacité et la viabilité d'une Société des nations. Les hommes d'Etat qui ont élaboré le Pacte ont dû se soumettre à la nécessité de trouver une solution qui pût obtenir non seulement leur propre assentiment, mais aussi cehii des parlements appelés à ratifier leur oeuvre. Si l'on tient compte des difficultés qui en résultent, on comprendra que le Pacte ne réalise intégralement aucun des divers systèmes exposés ci-dessus. Le Pacte veut embrasser toute la vie internationale, mais il s'abstient de résoudre d'une manière précise et imperative les problèmes capitaux de l'économie mondiale. Il
veut assurer le maintien de la paix et la garantir contre toute atteinte, mais il ne considère comme illicites que les guerres *) Voir ci-après, p. 129 et suiv.

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déclarées sans que la procédure destinée à sauvegarder la paix ait été suivie, ou malgré l'avis donné par tous les Etats non intéressés au conflit. Et ce n'est que dans ces cas-là que toute la puissance de l'ensemble des Etats sociétaires garantit le maintien et la protection de la paix.

Comparé au statut d'une Société des nations idéale, le ^a Société pacte de Paris est une oeuvre très imparfaite et rien n'est ^}f\^^ plus facile que d'en faire la critique. Mais, pour être juste, ·· interon doit se demander, avant tout, ce qui est pratiquement national actuel.

réalisable et apprécier le Pacte au regard de l'état 'actuel de la vie internationale et des tentatives faites jusqu'ici pour l'assainir. Il est indéniable, à ce point de vue, que le Pacte du 28 avril 1919 réalise un progrès capital sur l'organisation internationale qu'il aspire à remplacer. La Société des nations qu'il institue peut être comparée à une confédération d'Etats plutôt qu'à une simple alliance ou à une organisation telle que celle que les conférences de La Haye tentèrent vainement de créer. Ceux qui ont suivi l'évolution des idées pacifistes1, ceux qui savent à quelles difficultés s'est heurtée l'organisation de l'arbitrage même entre deux Etats seulement, ceux qui enfin n'oublient pas qu'il y a peu de temps encore, l'idée d'une intervention collective contre une rupture de l'état de paix était considérée comme une utopie sortant diu domaine de la politique pratique, ceux-là verront dans le Pacte de Paris ime innovation vraiment considérable, un progrès essentiel de la politique internationale, un événement d'une importance capitale dans l'histoire du monde. Il est vrai qu'il faut, pour cela, croire à l'avenir de la Société des nations et admettre qu'elle réalisera au moins ce que permettent les limites, étroites en apparence, qui lui sont imposées.

Apprécier une nouveauté dans le domaine politique est toujours, pour une large part, affaire de tempérament.

Ceux qui veulent s'en tenir au texte, matériellement incomplet, et au surplus peu clair, en bien des points, du Pacte de Paris, et qui considèrent l'égoïsme et la méfiance comme étant les facteurs inévitables et dominants de la politique internationale, ceux-là verront peut-être dans la Société des nations une oeuvre mort-née ou un moyen déguisé de consacrer la domination de certaines grandes puissances sur le reste du monde et d'assurer à tout jamais le maintien de l'état de choses actuel. Mais pour ceux qui basent leur con-

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Limitation des guerres,

Principes de la procédl gìementè~ pacifique des conflits,

fiance sur le fait de l'évidence toujours plus grande du mal que fait la guerre et sur la répulsion croissante des peuples à l'égard du recours à la violence dans les relations entre Etats, la Société des nations apparaîtra tout au moins comme une sérieuse tentative d'ouvrir à la politique internationale le chemin d'un avenir meilleur.

L'idée fondamentale du Pacte de Paris est que certaines catégories de guerre doivent être interdites et que l'Etat qui enfreint cette interdiction est l'ennemi de tous les membres de la Société des nations et doit être combattu par tous.

La guerre elle-même, comme moyen extrême de sauvegarder les intérêts de l'Etat, n'est pas interdite. Car la Société des nations, telle que ses fondateurs ont jugé possible de l'organiser, m'est pas à même d'assurer une protection complète de ces intérêts. Ne sont interdites que les guerres considérées comme particulièrement dangereuses pour la paix générale, c'est-à-dire les guerres de surprise, ou guerres d'agression, et les guerres déclarées à un Etat qui s'est conformé à une sentence arbitrale ou à un avis donné par le, Conseil unanime.

Dans nombre de 'cas, il est difficile de résoudire la question de savoir si c'est pour une cause juste ou injuste qu'un Etat veut recourir à la guerre. Ce n'est donc pas ce critère qu'adopté le Pacte de la Société des nations. Ses prescriptions sont basées sur un fait extérieur et.du reste très important : le recours, avant l'ouverture des hostilités, à une procédure d'arbitrage ou de médiation et, par là même, l'observation des délais de cette procédure.

Si un différend ne peut pas être aplani par voie de négociations directes et si les parties persistent dans leurs pré*en^ons> ce^e d'entre elles qui est décidée à recourir à la guerre pour sauvegarder son droit doit, tout d'abord, se prêter à la procédure prescrite par le Pacte, en vue d'amener, si possible, ume solution pacifique du conflit. Le litige doit être soumis soit à une cour d'arbitrage, soit au Conseil exécutif ou à l'Assemblée de la Société des nations (art. XII).

Si le différend est jugé par un tribunal d'arbitrage, la sentence dioit être exécutée loyalement et l'affaire est liquidée. Malheureusement, le Pacte ne fixe pas d'une manière obligatoire les cas dans lesquels les parties seront tenues de soumettre leur différend à l'arbitrage.

Si les parties ne sont pas liées par un traité particulier d'arbitrage, ou si elles ne peuvent pas se mettre d'accord

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pour soumettre leur différend à un tribunal, le litige diit être déféré au Conseil ou, au cas où l'une des parties en fait la demande, à l'Assemblée des délégués. A la différence d'une sentence arbitrale, la décision du Conseil est un simple avis. Mais si cette décision a été prise à l'unanimité par le Conseil et éventuellement, en outre, à la majorité des voix de l'Assemblée, -- la voix des parties n'entrant pas en ligne de compte, -- il est interdit de recourir à la guerre contre l'Etat qui s'y est conformé.

La décision du Conseil ou de l'Assemblée doit être prise dans le délai maximum die six moisu Les tribunaux d'arbitrage ont pour se prononcer un. délai « convenable » qui, en tout cas, ne peut être plus court que celui que le Pacte impartit au Conseil ou à l'Assemblée. De plus^ après le moment où l'instance compétente a fait connaître son opinion, les parties sont tenues d'attendre encore trois mois au moins avant d^avoir recours à la guerre.

Ce système a pour but non seulement -- et en première ligne -- de donner une solution positive au litige, mais aussi de gagner du temps et de donner au conflit, la publicité qu'impliqué la procédure imposée aux parties. Si le Conseil n'arrive pas à prendre une décision à l'unanimité, avec ou sans la majorité des voix des Etats représentés à l'Assemblée des délégués, la majorité du Conseil;, ainsi que tout Etat représenté au Conseil ou à l'Assemblée, peut donner la plus large publicité soit aux faits qui sont à la base du différend, soit à ses propres propositions. Se fiant aux tendances qu'on sait pacifiques de tous les peuples, les auteurs du Pacte espèrent que la guerre sera, en fait, rendue impossible, ou réduite à n'être qu'une éventualité problématique, par le seul fait de l'exclusion de toute attaque brusquée et par suite de la publicité donnée aux négociations auxquelles tout litige dangereux devra en tout cas donner lieu.

A cet espoir, une base matérielle est donnée, même pour les sceptiques, par une seconde disposition capitale du Pacte : l'Etat qui recourt à la guerre au mépris des prescriptions et des délais qui viennent d'être rappelés, est en quelque sorte mis au ban de la Société des nations. Il est considéré comme l'ennemi commun et est combattu par tous ses membres. Les avantages de l'attaqué brusquée seront ainsi, à l'avenir, compensés et dépassés par le risque d'attirer sur

Délais et Pu«lic'te.

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Lacunes.

soi l'hostilité du reste du monde. Une déclaration de guerre mobilise toutes les passions, qui dès lors t'ont obstacle au retour de la paix. L'obligation de respecter certains délais, pendant lesquels auront lieu des négociations pacifiques, mobilisera au contraire toutes les forces de l'intelligence et de la réflexion, qui peuvent agir en faveur de la conciliation et du maintien de la paix.

L'histoire politique des derniers temps semble donner raison à cette manière de voir. Non seulement la guerre mondiale, mais presque .toutes les guerres modernes ont éclaté brusquement, sur une décision rapide excluant toute tentative de médiation par le moyen de conférences internationales ou de commissions d'enquête impartiales. En revanche, des différends dangereux, tels que le conflit anglo-américain relatif à la question de l'Alabama (1868 ù 1872), le conflit anglo-russe dans l'affaire de Hiill (1904), le conflit franco-allemand de Casablanca (1909), le conflit austro-russe de 1913, ont pu être aplanis par voie d'arbitrage, d'enquête ou de négociations internationales, bien que la tension de la situation politique générale et les divergences de vues entre les parties ne fussent nullement moins graves qu'aux époques ou l'on a prétendu que la guerre était inévitable. Plus la solution des litiges par les organ.es de la communauté des Etats deviendra la règle, plus il deviendra difficile, pour un Etat déterminé, de recourir à la force pour faire prévaloir sa volonté.

Tandis que jusqu'ici, le droit des gens considérait toute guerre comme une affaire n'intéressant que les parties en cause et leurs alliés et s'abstenait de toute distinction entre guerres licites et guerres illicites, la Société des nations supprimera tout au moins certaines espèces de guerres ou leur opposera les forces réunies de la collectivité. C'est là la première borne qui, dans l'histoire de l'humanité, ait été mise à la souveraineté et, par là même, à l'arbitraire des Etats.

Les deux lacunes principales de l'organisation instituée par le Pacte sont les suivantes. D'une part, la guerre reste admise comme l'un des moyens de la politique internationale. La première condition du désarmement, la renonciation à toute guerre, quelle qu'elle soit, reste ainsi irréalisée.

D'autre part, dans les cas où les parties ne se soumettent pas volontairement à la juridiction d'un tribunal d'arbitrage, la Société des nations ne met pas fin aux litiges internatio-

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naux par une sentence exécutoire et juste, rendue par une autorité impartiale. Le Pacte se borne à exclure certaines formes du recours à la force et il ne les exclut qu'au cas où les parties se mettent d'accord pour soumettre leur différend à l'arbitrage, ou si une solution est recommandée par l'unanimité ou, le cas échéant, par la majorité qualifiée des Etats non intéressés au conflit.

L'explication de ce déficit -- la froide raison doit le re- Difficulté connaître -- c'est qu'il est très difficile, pour ne pas dire im- d'organiser procépossible, actuellement, d'imposer aux Etats des obligations une dure assuplus étendues. En effet, si l'on voulait non seulement inter- rant la paix d'une dire et empêcher le recours à la guerre comme moyen de résoudre les différends quels qu'ils soient, mais terminer par manière un jugement exécutoire les litiges s'élevant entre Etats, et absolue.

si l'on voulait imposer la décision ainsi prise par la force de la Société des nations, on se heurterait aux principes établis du droit des gens. En sa forme actuelle, îe droit international est dominé par l'idée de la souveraineté des Etats bien plus que par celle de la solidarité internationale. Ce droit ne peut pas être consacré par la Société des nations.

Mais alors qui pourra l'adapter aux exigences nouvelles de la vie internationale et de la justice ?

On peut concevoir deux chemins : ou bien le droit pourrait être progressivement établi par la seule jurisprudence des tribunaux d'arbitrage ou des autres organes de la Société des nations. Mais cela reviendrait à leur conférer un pouvoir pratiquement exorbitant et qui, en réalité, dépasserait de beaucoup les limites de la jurisprudence proprement dite. Ou bien le droit des gens devrait être élaboré et développé par les décisions obligatoires d'une conférence d'Etats, selon la méthode suivie pour le développement du droit interne.

La Société des nations tendrait par là à se rapprocher du type de l'Etat fédératif. Mais il est plus que douteux qu'à l'heure actuelle, déjà, un nombre suffisant d'Etats -- si même il se trouvait des Etats pour admettre cette idée -- consentiraient à sacrifier leur souveraineté au pouvoir d'un législateur international. Au surplus, comment faudrait-il organiser l'organe législatif de la Société des nations pour être assuré qu'il aurait
réellement à son service la puissance des principaux Etats membres, sans toutefois réduire dans une trop forte mesure la part d'influence accordée aux moins importants 1 L'avant-projet suisse propose, à cet égard, une solution bien étudiée et peut-être acceptable. Il

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m'admet cependant, au profit de l'organe législatif, le pouvoir de prendre des décisions ayant force obligatoire que dans les cas où ce pouvoir lui aurait été conféré par le vote unanime des Etats fédérés. Plus une Société des nations est parfaite, plus elle empiète sur la souveraineté de ses membres, et plus grandes sont les difficultés politiques à surmonter pour la faire accepter.

Sanctions.

On doit considérer déjà comme un grand progrès le fait que tous les Etats -- et en particulier tous les grande Etats, dont le concours effectif est indispensable pour combattre la guerre -- s'engagent non seulement à renoncer à lia guerre à de certaines conditions, mais à considérer comme leur ennemi tout Etat qui en agrédit un autre ou qui brave mi avis donné par la Société des nations unanime. C'est aussi un progrès moral, car ce fait substitue au principe, jusqu'ici dominant, de l'égoïsme d'Etat -- chacun pour soi -- l'idée nouvelle de la solidarité internationale -- tous pour un.

Cette solidarité à l'égard de tout perturbateur de la paix implique, pour les Etats sociétaires, des obligations infiniment plus importantes que la restriction de leur droit de faire la guerre. L'application des sanctions prévues par le Pacte met en cause tous ces Etats, même les plus pacifiques et cela d'une manière qui peut leur imposer les phi« lourds s'acrifices'. Nous aurons à examiner de plus près cette .partie du Pacte, en étudiant la question de notre neutralité.

Constatons d'emblée qu'il s'agit là d'obligations telles qu'aucun Etat n'en a jamais assumé de pareilles en dehors d'un traité d'alliance. Si le Covenani voulait aller plus loin, il aboutirait à apporter à l'indépendance des Etats des restrictions devant lesquelles, peut-être, ceux-là même reculeraient qui, aujourd'hui, critiquent le plus vivement la faiblesse de la Société. Pour faire aboutir une oeuvre politique quelconque, il faut savoir s'en tenir à ce qui est pratiquement réalisable à un moment donné. Ce principe obligeait peut-être les auteurs du Pacte à agir ainsi qu'ils l'ont fait.

Garanties Outre les articles XII, XV, XVI et XVII, qui imposent de la paix. aiax Etats, même s'ils ne font pas partie de la Société des nations, des restrictions très précises de leur droit de faire la guerre, le Pacte contient encore une série d'autres dispositions
destinées à assurer le maintien de la paix. Elles concernent la limitation et le contrôle des armements (art.

VIII), la gar-antie mutuelle de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique (art. X), le droit de la Société des

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nations de se saisir de tout fait de nature à mettre la paix en danger (art. XI et XIX). Mais, dans tous ces cas, il s'agit de directives générales en matière politique, et non de devoirs déterminés imposés aux Etats. L'efficacité de ces dispositions dépend essentiellement de l'autorité que pourra avoir la Société des nations. L'exigence de l'unanimité l'empêchera d'avoir une politique qui menacerait l'indépendance de ses membres. Si les grandes puissances restent unies, elles pourront, il est vrai, exercer une très forte pression. Mais cela s'est déjà produit antérieurement. En revanche, la Société des nations a l'avantage de rendre la paix plus stable. Par là même, elle assure une sécurité plus grande >aux petits Etats qui peuvent être impliqués dans les conflits entre grandes puissances. Dans l'état inorganique actuel de la communauté internationale, les Etats faibles peuvent dans certains cas tirer avantage des divergences existant entre les Etats plus forts. Mais leur existence repose pourtant sur des bases précaires et ils ne peuvent que gagner à la création d'un ordre de choses dominé par l'idée de paix, lequel leur permettra de se développer plus complètement et plus sûrement.

L'article X du Pacte de Paris, en particulier, a fait Sî?t*uu<|uot naître des craintes. Il déclare que les membres de la Société ^territorial.

des nations s'engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure, c'est-à-dire contre toute attaque brusquée, leur intégrité territoriale et leur «indépendance politique présente » (existing politicai indépendance) (cf. cic après p. 133, commentaire de l'art. X).

Pour saisir le sens exact de cet article, on doit le rapprocher des autres dispositions destinées à assurer le main- ' tien de la paix. De là résulte, en vertu des règles générales de l'interprétation, que les obligations prévues à l'article XVI pour le cas d'action collective de la Société des nations n'existent que dans les éventualités expressément énumérées dans cet article. Elles ne peuvent pas être étendues au cas où d'autres mesures seraient décrétées par la Société et en particulier au cas où elle interviendrait pour assurer le maintien du statu quo territorial et politique. On doit en conclure, à notre avis; que les Etats sociétaires sont tenus de s'abstenir de toute entreprise violente,
mais qu'ils ne sauraient être astreints, dans tous les cas, à défendre l'Etat attaqué de la manière prévue par l'article XVI.

e Feuille fédérale suisse. 71 année. Vol. IV.

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On pourrait concevoir, toutefois, que la Société des nations veuille protéger le territoire et l'indépendance de ses membres non seulement contre les agressions interdites par les articles XII à XV, mais encore contre toute entreprise quelconque. Cependant comme toute guerre -- même une guerre tolérée par le Pacte -- implique dans la règle une attaque dirigée contre le territoire ennemi, une entreprise de ce genre ne saurait en elle-même impliquer dans tous les cas une violation de l'article X. Il n'y aurait collision que si un belligérant se refusait à évacuer un territoire occupé ou si, d'emblée, il manifestait la volonté de faire une guerre de conquête. Or les conséquences de ce fait ne sont nullement celles que l'article XVI attache aux guerres de surprise.

Le Conseil exécutif se bornera à faire des recommandations destinées à assurer le maintien du statu quo territorial. Le Conseil ne pourrait formuler des avis obligatoires qu'à l'unanimité et seulement pour ses membres et ipour les autres Etats invités, en l'espèce, à se faire représenter au Conseil (art. IV, § 5). Il n'y a donc pas lieu d'admettre que cette disposition doive entraîner des obligations très lourdes pour les membres de la Société des nations. L'art. X, pour autant qu'il peut servir de base à des obligations sortant du cadre de l'art. XII, ne vise qu'à réglementer l'intervention que les puissances ont toujours eue en vue en cas de déplacements de frontières opérés par la force.

Le Pacte n'a du reste en aucune façon la tendance à perpétuer, dans tous les cas, les situations internationales existantes, dont relèvent les frontières territoriales. L'art. XIX prévoit, au contraire, la possibilité de modifications apportées dans l'intérêt de la paix à l'état de choses existant.

Souscrire au Pacte et, par là même, accepter l'article X, équivaut non à donner une approbation implicite à la répartition territoriale actuelle, mais seulement à admettre ce principe que le statu quo ne peut pas être modifié par la violence.

Situation A côté des dispositions visant à assurer le maintien de de^'grandes ^ .pai:s' ^ 1ui nous intéresse particulièrement, c'est l'orgapuissances. nisation de la Société des nations et la question de savoir quelle est la situation faite à un Etat tel que la Suisse. De fait, l'hégémonie des grandes puissances a
toujours existé.

Elle ne s'est cependant manifestée en droit qu'au Congrès de Vienne. Cependant, dès la seconde conférence de La Haye, on voit poindre la tendance à accorder à certains Etats, c'est-à-dire aux grandes (puissances, une situation privile-

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giée à l'égard de certaines institutions internationales. Cette tendance s'est manifestée très nettement dans l'organisation de la Conférence de Paris et dans celle de la Société des nations. A teneur de l'article IV du Pacte, le Conseil se compose des plénipotentiaires de cinq grandes puissances, qui y sont représentées à titre permanent, et de ceux de quatre autres Etats qui, de temps en temps, peuvent être remplacés par d'autres. Comme l'unanimité est nécessaire pour la plupart des décisions du Conseil -- unanimité qui doit, dans certains cas, être complétée par la majorité des voix de l'Assemblée des délégués, où tous les Etats sont représentés -- aucune action importante de la Société des nations ne peut aboutir sans l'assentiment de chacun des Etats qui ont un plénipotentiaire au Conseil. Une situation privilégiée est incontestablement faite par là aux grandes puissances, qui sont représentées en permanence au Conseil.

Pour autant qu'elles ne sont pas directement liées par les dispositions du Pacte lui-même, ces puissances -- abstraction faite de certaines décisions administratives d'ordre formel -- gardent leur liberté pleine et entière, puisqu'aucune décision ne peut être prise sans leur assentiment. Les autres Etats, par contre, peuvent -- il est vrai, dans une mesure restreinte seulement -- se trouver liés, au moins indirectement, contre leur volonté par une décision du Conseil. Si, par exemple, ce dernier a fait à l'unanimité une proposition visant à régler un conflit (art. XV), tous les Etats sont tenus de participer à l'application des sanctions prévues par l'article XVI contre l'Etat qui ferait la guerre au mépris de l'avis unanime du Conseil exécutif. Le traité de paix avec l'Allemagne contient enfin une série de dispositions d'après lesquelles le Conseil peut prendre des décisions à la majorité des voix, en ce qui concerne divers points touchant à l'application du traité (voir ci-après p. 58 et suiv.).

A côté des cinq grandes puissances, quatre autres Etats sont représentés au Conseil. Le Pacte n'a pas créé par là une autre catégorie de privilégiés, car l'Assemblée peut désigner, librement et quand il lui plaît, d'autres Etats. Aucun Etat n'a plus de droits qu'un autre à être désigné. Cette organisation ne peut pas être considérée comme une atteinte au 'principe de l'égalité des
Etats, car il est évidemment impossible que tous soient représentés au Conseil.

A la différence du Conseil, l'Assemblée est organisée Principe d« exclusivement sur la base du principe de l'égalité des Etats, l'égalité des Etats Chaque Etat, grand ou petit, y a un droit de vote identique, '

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à la seule exception de la Grande-Bretagne, qui est représentée comme empire et dont les quatre Dominions et l'empire indien ont chacun une voix. Cependant l'égalité admise pour l'Assemblée ne compense pas, pour les Etats petits ou moyens, l'infériorité de leur situation au Conseil. Car c'est le Conseil qui, dans l'organisation actuelle, est indiscutablement l'organe le plus important de la Société des nations.

Le Conseil a, en principe, la même compétence que l'Assemblée. Mais il n'a, en face d'elle, nullement la situation subordonnée qu'a par exemple un pouvoir exécutif dans la dépendance du corps législatif. La manière imprécise et incomplète dont la limite est tracée entre la compétence du Conseil et celle de l'Assemblée est de nature à assurer la prépondérance au Conseil, moins nombreux, plus vite réuni, et dans lequel les grandes puissances ont la majorité. Une proposition de la Suisse *) de délimiter nettement les attributions du Conseil et de l'Assemblée et de confier à cette dernière, en particulier, la tâche d'assurer le développement du droit international, est malheureusement restée un voeu pie.

Quelle que soit la très grande importance que la Suisse doive attacher à ne pas être traitée comme un membre d'une catégorie inférieure dans la Société des nations, il faut bien tenir compte des différences énormes qui .existent entre les divers Etats, au point de vue de la grandeur et de la puissance politique et économique. Une organisation qui veut être viable ne doit pas être en désaccord trop marqué avec des faits importants. Elle doit donc établir un rapport convenable entre l'influence effective d'un Etat et sa situation juridique. Sans doute, il eût été plus agréable pour les Etats petits et moyens que le Pacte prît comme base non pas la qualité de grande puissance ,,comme telle, mais plutôt, ainsi que l'avait fait l'avant-projet suisse, l'étendue des obligations assumées par chacun au profit de l'ensemble et le chiffre de sa population. Il ne faut cependant pas s'achopper à la forme quand elle n'est, en réalité, que l'expression de faits inéluctables et qu'elle ne compromet pas l'idéal poursuivi.

Les grandes puissances représentées d'une manière permanente au Conseil ne peuvent pas, de ce chef, exercer sur les autres Etats une contrainte. Leur situation privilégiée est essentiellement
négative, c'est-à-dire que rien ne peut être fait sans leur assentiment. Et à cela, il y a la raison que, quoique concevable en droit, le fait que l'une des gran*) Annexes II, 9.

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des puissances puisse être majorée est politiquement inadmissible, c'est-à-dire pourrait mettre en danger l'existence même de la Société des nations, tout au moins tant Qu'elle ne s'est pas définitivement affermie.

Le privilège accordé à certaines grandes puissances serait par contre inacceptable, s'il devait se manifester dans le domaine de la juridiction, qui doit en principe être indépendante, ou si du domaine des dispositions d'organisation il devait passer dans celui du -droit international matériel. En sa forme actuelle, le Pacte ne contient lien de pareil. Il n'y a aucune raison d'admettre que l'on pourrait généraliser l'application des dispositions par lesquelles le traité impose à l'Allemagne, par exemple en matière de communications par terre et par eau, des obligations qui n'ont pas pour compensation des droits vis-à-vis des autres contractants. La plupart de ces dispositions n'ont du restre qu'une portée provisoire (art. 320 et 378 du traité).

Une des principales critiques adressées au Pacte consiste Société de à dire qu'il fonde non pas une Société de nations, mais une gouvernesimple alliance de gouvernements. L'influence prépondérante, mnetSnlesde dit-on, devrait appartenir à des délégations parlementaires ou populaires, non à des ministres ou à des plénipotentaires.

La Société des nations devrait être plus démocratique.

De très grosses difficultés pratiques s'opposent à la réalisation immédiate de cette idée. L'attitude d'un Etat dans la Société des nations relève de la politique étrangère de cet Etat. Or il va de soi que cette politique doit avoir une unité de direction. Il est difficile de concevoir qu'un parlement envoie des représentants siéger dans les conseils de la Société des nations et donne des instructions à ses délégués, tandis que d'ailleurs, c'est le gouvernement qui dirige les relations internationales de la manière accoutumée. En revanche, aucune disposition du Pacte n'empêche que les mandataires des Etats soient nommés par les parlements, si, dans certains pays, la constitution confère ce pouvoir à la représentation populaire. Le Pacte parle seulement d'Etats, non de gouvernements. Il part toutefois de l'idée que les représentants des Etats au Conseil doivent être les chefs responsables de leur politique. Car ce n'est qu'à cette condition que le Conseil pourra
vraiment incarner la volonté politique effective et exécutoire des Etats. Si l'entrée dans la Société des nations devait entraîner une modification complète de l'ordre établi par le droit constitutionnel de chaque Etat, en

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ce qui concerne les organes compétents pour diriger la politique étrangère, il serait impossible que le Pacte fût accepté à bref délai.

ReprésenOn pouvait concevoir aussi, à côté d'un Conseil de retation des présentants des gouvernements, l'existence dans la Société parlements. ,jes natiOns d'une assemblée de délégués des parlements.

Après avoir examiné cette idée, la commission consultative suisse l'a provisoirement écartée. Une représentation populaire proprement dite, représentant non des Etats, mais les partis (classes, nationalités1, groupes d'intérêts, etc.), suppose aussi l'existence d'un gouvernement de la Société des nations indépendant des divers Etats sociétaires. Le parlement fédéral ne peut pas reposer sur une base unitaire, tant que l'organe exécutif est un conseil fédératif Or, il n'est guère possible de songer, pour la Société des nations, à un gouvernement centralisé. Les gouvernements d'Etats jusqu'ici entièrement indépendants, et tout spécialement ceux des grandes puissances, ne se laisseraient pas éliminer de la sorte. En admettant qu'ils s'y prêtassent au moment de la formation de la Société, on aurait à craindre dans son sein des divergences presque inévitables entre leurs représentants et ceux des peuples. Ces divergences ne pourraient que paralyser la collectivité. On ne doit pas non plus se dissimuler les difficultés qui s'opposeraient à ce qu'un parlement très nombreux, composé des délégués des Etats les plus divers, puisse avoir une activité fructueuse.

Le moyen le meilleur et le plus simple de démocratiser la Société des nations est de commencer par démocratiser réellement la politique, et non pas la politique étrangère seulement, de chaque Etat. Est-ce à dire qu'il faille abandonner l'idée d'introduire des principes plus démocratiques dans l'organisation de la Société des nations ? Nullement.

Mais il faut tenir compte des réalités. La convention relative à la réglementation internationale du .travail, par la représentation des intérêts ouvriers et patronaux qu'elle prévoit, est dans ce sens une tentative qui pourrait être élargie et généralisée (cf. p. 84 et suiv.).

On a aussi reproché aux négociations de paix et à celles qui ont abouti à l'adoption du Pacte d'avoir eu un caractère anti-démocratique. Il ne faut cependant pas oublier que les négociateurs s'appuyaient
soit sur de fortes majorités parlementaires, c'est-à-dire indirectement sur le suffrage universel, soit même sur des élections plébiscitaire!?. Même sous un régime démocratique, il est nécessaire que certains hommes prennent sur eux de grandes responsabilités, notamment

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en matière de politique internationale, pulsane la collaboration des parlements n'est pas toujours possible pouf des négociations délicates.

Ceux qui reprochent au Pacte d'être peu démocratique, sous sa forme actuelle, négligent un fait important à cet égard. La publicité garantie par la procédure de médiation, prévue à l'article XV, assure aux peuples la possibilité d'exprimer leur opinion sur les conflits s'élevant entre gouvernements et les protège contre le danger d'être mis en présence de faits accomplis. L'article XVIII, d'après lequel les traités secrets n'auront pas force obligatoire à l'avenir, restreint sensiblement le domaine de la politique secrète et réalise une exigence de la démocratie qui, tout récemment encore, était considérée comme une pure utopie. Si les peuples, et surtout les partis politiques, consentent à s'intéresser à la politique internationale plus que par le passé, la Société des nations leur offre la possibilité d'élever la voix à temps dans les situations critiques et à l'encontre d'ententes dangereuses.

S'il est vrai que la Société des nations ne réalise que très imparfaitement le principe de l'égalité des Etats, et si le Pacte lui-même ne prévoit aucune intervention directe des représentations populaires ou des peuples eux-mêmes, l'indépendance de ceux-ci subit en somme fort peu d'atteintes, cela, à vrai dire, aux dépens de la solidité et de l'efficacité de la Société elle-même. On doit reconnaître que dans la mesure même où la Société des nations se rapprocherait, par son organisation et ses tâches, du type d'un Etat démocratique, c'est-à-dire d'un Etat fédératif, au sens que nous donnons à cette expression, l'indépendance de ses membres devrait être restreinte.

L'indépendance des Etats, membres de la Société est protégée essentiellement par les principes suivants que consacre le Pacte : 1. Toutes les décisions imposant des obligations aux Etats sociétaires doivent être prises à l'unanimité. Or, tout Etat qui n'est pas représenté au Conseil est invité à y déléguer un représentant pour l'examen des affaires qui l'intéressent et jouit par suite d'un droit de veto (art. IV et V).

2. En cas de revision du Pacte, tout Etat qui n'accepte pas la révision votée à la majorité des voix peut sortir de la Société. Toute obligation nouvelle résulte donc du libre consentement de l'Etat qui l'assume. Le principe, contractuel est ainsi sauvegardé (art. XXVI).

Principe de la publicité.

Indépendance dans la Société des nations.

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3. Chaque Etat membre de la Société des nations peut en. sortir moyennant un préavis de deux ans (art. I).

4. La Société des nations n'a pas à s'occuper des affaires qui relèvent exclusivement de la souveraineté nationale des Etats sociétaires (art. XV, § 8).

L'obligation la plus importante qui, pour les membres de la Société, découle du Pacte est celle de participer à l'application des mesures destinées à réprimer les guerres interdites. A cet égard, le maintien de sa neutralité assure à la Suisse une situation spéciale (cf. p. 29 et suiv. ci-après).

L'autre devoir important que la Société des nations impose à ses membres est celui de renoncer en une certaine mesure à recourir à la force pour la sauvegarde de leurs intérêts.

Cela n'est que la consécration formelle d'une politique qui est l'expression d'un principe déjà érigé en maxime d'Etat par la Suisse : le recours à la guerre seulement en cas de légitime défense contre une attaque directe ou, toutes les voies pacifiques ayant été épuisées, comme ultime moyen de protection du droit et d'intérêts vitaux.

La question de savoir qui statuera sur l'étendue dos obligations imposées aux Etats sociétaires est résolue par le Pacte pour ie cas de conflit entre deux ou plusieurs Etats, mais non pour le cas où il y aurait divergence de vues entre un Etat et un organe de la Société, par exemple le Conseil.

Les rapports nés du Pacte étant d'ordre essentiellement contractuel, on ne saurait admettre que certains Etats sociétaires puissent imposer à d'autres une interprétation déterminée du Covenant. En fait, cependant, un Etat ne pourra guère se soustraire à l'effet d'une décision prise par le Conseil unanime, ce dernier pouvant éventuellement invoquer l'article XVI, dernier alinéa, pour prononcer l'exclusion de tout Etat qui ne se conformerait pas aux dispositions au Pacte.

Tâches poLa plupart des partisans de l'idée de la Société des nasitives de la tions reconnaissent que, si elle n'a d'autre but que le regienato deS meD* ^es conflits internationaux, elle ne peut pas- être un organismo vraiment vivant et acquérir l'autorité nécessaire.

La Société des nations doit devenir le centre de la vie internationale, au sens juridique du terme, et, par son activité positive, s'imposer aux peuples comme un facteur d'union et de conciliation. Ce but, le Pacte
cherche à l'atteindre, tout d'abord dans le domaine de la prévoyance sociale. Il est vrai qu'en sa forme actuelle, il manque essentiellement de force coercitive et qu'il se borne à poser des principes d'action (art. XXIII). Sur un point, toutefois, l'oeuvre est com-

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mencée. Une convention créant un organisme permanent pour la réglementation internationale du travail a été élaborée, convention de portée essentiellement organisatrice, à laquelle adhéreront tous les Etats membres de la Société des nations, et qui constitue un progrès notable réalisé dans ce domaine et un complément précieux du Pacte *). Insuffisantes, en revanche, sont les règles posées en ce qui concerne le domaine très important des communications internationales. On devrait, en tout cas, assurer à tous les Etats la liberté du transit. L'élaboration d'une convention générale est prévue, mais il n'est pas encore certain que cette oeuvre puisse être menée à chef (art. XXIII, e).

Une autre lacune du Pacte résulte de l'absence de dispositions protégeant les droits civils et politiques, en particulier ceux des minorités linguistiques et confessionnelles.

L'oppression de ces minorités a été, au cours des cent dernières années, une des principales causes de guerre. Une délimitation des Etats, basée strictement sur des caractères ethniques, n'étant ni possible, ni même toujours justifiée et opportune, le danger de conflits de ce genre subsistera toujours, si chaque Etat ne suit pas une politique vraiment libérale à l'égard des minorités.

La question du' droit de libre disposition entraîne beaucoup plus loin encore que. celle de la protection des minorités. On entend, par droit de libre disposition, le droit que des groupaments homogènes de population doivent avoir de décider s'ils veulent constituer un organisme politique indépendant ou se joindre à un Etat, autre que celui dont ils font partie.

Ces problèmes ont été étudiés de très près par la commission, consultative suisse. Quoique unanime en principe, la commission, n'a pas cru devoir insérer dans son projet de Pacte des dispositions imposant aux membres de la Société des obligations immédiates. Elle s'est contentée d'insérer une déclaration solennelle dans le préambule.

Plus on examine la question et mieux on voit la difficulté qu'il y a à trouver, pour exprimer le principe, dont la justesse n'est pas contestée, une formule -concrète adaptée à toutes les situations et qui soit politiquement applicable.

Ce qui, pour les uns, est un des côtés faibles du Pacte, l'imprécision et le 'Caractère non obligatoire de beaucoup de ses dispositions, est au contraire, pour d'autres, ce qui fait son grand mérite. La Société des nations est un organisme *) Annexes VI.

Protection des minorités et droit de libre disposition.

Caractère général du Pacte de la Société des nations.

592 en voie de formation. C'est l'expérience qui le développera.

Il ne faut donc pas, sans nécessité, entraver ce développement par des dispositions qu'il pourrait être difficile de modifier. Toute réglementation superflue n'aurait pu que rendre un accord plus difficile et, par là même, compromettre la réalisation du but essentiel : poser les fondements nécessaires sur la base desquels une Société des nations qui réponde à son but pourra être édifiée, si la politique parvient à s'inspirer d'un esprit vraiment international. Cette méthode essentiellement empirique qui, pour l'avenir de la Société des nations, met son espoir dans la force de l'expérience progressivement acquise, plutôt que dans la logique d'un système immédiatement réalisé, répond sans doute aux conceptions des hommes d'Etat anglais et américains, dont l'influence semble avoir été particulièrement grande dans l'élaboration du Covenant. C'est une méthode qu'approuveront ceux qui connaissent les exigences de la politique pratique. La Suisse a d'autant moins de raisons de s'en défier que les hommes d'Etat qui l'ont préconisée, et notamment le préaident Wilson, le colonel House et Lord Robert Cecil, ont donné des preuves réitérées de leur bienveillance à l'égard de notre pays.

III. Neutralité et Société des nations.

La neutralité La neutralité est, depuis quatre cents ans, l'attitude trasuisse.

ditionnelle de la Suisse. Depuis un siècle, cette neutralité est formellement reconnue par la plupart des Etats qui, pour nous, entrent spécialement en ligne de compte. Le peuple suisse voit dans la neutralité la base de son indépendance et de sa sécurité. C'est au point de vue de la neutralité, enfin, que, depuis longtemps, les Suisses sont accoutumés à envisager les problèmes de la politique étrangère.

Il en résulte que le fait nouveau de la Société des nations affecte les bases de la situation internationale de la Suisse plus profondément que ce n'est le cas pour aucun autre pays. Non seulement la participation ou la non participation à une guerre ont pour peu de peuples ou d'Etats une importance aussi vitale que pour notre pays, mais aucun autre Etat n'a suivi une politique aussi invariable à cet égard que la Suisse. Entrer dans une voie nouvelle au point de vue de sa politique extérieure équivaut, pour elle, à une rupture avec un long passé et peut modifier profondément ses destinées. La Suisse tient à sa. neutralité non seulement par instinct de conservation, mais aussi parce qu'elle a la conviction de servir ainsi des intérêts supérieurs.

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II est indéniable qu'au point de vue de la logique et de la pure raison, neutralité et Société des nations sont deux notions qui s'excluent l'une l'autre. Neutralité veut dire maintien de la paix par non participation aux différends d'autrui. La Société des nations vise au contraire à assurer la paix par l'action solidaire de ses membres. A une époque où tant de peuples ont tout sacrifié à une cause qu'ils tenaient pour juste, la neutralité se heurte souvent à un défaut de compréhension très naturel. On la condamne comme une attitude d'indifférence à l'égard d'une cause qui est celle de la justice. La neutralité telle que la Suisse la pratique n'a cependant rien de commun avec la neutralité dictée exclusivement par des raisons d'opportunité. Etant une politique de principe, elle est permanente et caractérisée par la sécurité absolue qu'elle peut inspirer autour d'elle.

L'Etat perpétuellement neutre renonce à la possibilité d'exploiter les avantages de l'heure propice par une participation inopinée à la guerre. Il n'est pas indifférent, mais il tend à être impartial.

Des compromis ont été apportés à la réalisation, par L'intérêt le Pacte, de l'idée de la solidarité de tous en face de qui- spécial de la conque trouble la paix. Car la Société des nations doit comp- j^^Lf ^je ter avec des Etats qui ont des besoins très divers et dont la sa neutravolonté et la capacité de protéger l'ordre juridique établi lité.

par elle ne sont point identiques. L'Amérique revendique un statut particulier et réserve sa doctrine de Monroë. D'autre part, divers Etats considèrent comme insuffisamment sûres les garanties données à la paix par le Pacte et ils ne croient pas pouvoir renoncer à la sécurité spéciale que leur procurent des alliances défensives. La guerre elle-même, qui est la cause efficiente de la neutralité, n'est pas absolument proscrite.

Il n'y a donc, de lai part de la Suisse, rien d'incompréhensible ni d'injustifié à ne pas se résoudre à sacrifier une institution qui a fait ses preuves, aussi longtemps que les conditions de la politique ancienne n'auront pas fait place à une situation entièrement nouvelle. Ce n'est pas par égoïsme, c'est par instinct de conservation que la Suisse se demande quels sont les dangers auxquels l'exposerait une participation sans réserve aux actions de la communauté contre
un Etat qui a violé la paix. Si la coopération d'un pays aussi petit que la Suisse peut avoir quelque importance, c'est au cas où la lutte éclaterait entre ses voisins.

Y participer, c'est pour la Suisse la perspective quasi certaine de voir son territoire tout entier servir de champ de

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bataille. Ce danger est d'autant plus grand que l'action collective ne commencera qu'après que l'Etat en rupture de pacte aura passé à l'attaque. Et cette attaque, un Etat isolé ne la tentera que s'il espère s'assurer la supériorité par une action rapide et sans ménagements. Entourée de plusieurs vie économique est très développée, la Suisse, si elle se trouve impliquée dans une guerre moderne, risque plus qu'aucun autre pays du monde d'être complètement anéantie. De là son aversion marquée à l'égard d'une politique qui pourrait, d'une manière quelconque, l'engager dans une guerre à laquelle ses intérêts vitaux ne l'obligent pas à prendre part.

JustificaII est vrai que la guerre qui vient de se terminer a prétion ^u cisément fait comprendre que, en définitive, la guerre intésuisse resse tous les Etats, parce- qu'ils peuvent tous s'y trouver entraînés et parce que la guerre ébranle les bases du droit des gens, qui est commun à tous les Etats. C'est ce qui justifie l'affirmation de la solidarité de tous et l'idée même de la Société des nations. Mais la solidarité n'implique nullement une coopération identique de tous les Etats. Vouloir appliquer à tous, mécaniquement, un traitement identique conduirait aux plus graves injustices étant donné les grandes différences qui, en fait, existent entre eux.

Même dans une longue guerre, un grand Etat ne peut guère être atteint et anéanti dans sa totalité. Nombre d'Etats, grâce au fait qu'ils .sont à distance des points menacés par les conflits politiques, ou grâce à leur situation excentrique à la périphérie du continent, sont moins que d'autres exposés .au danger de devenir le théâtre de la guerre. Même s'ils participent activement à une campagne, la guerre ne les atteint que dans une mesure restreinte. Un pays comme la Suisse, au contraire, placé au centre du continent, aurait à sacrifier d'un coup, le cas échéant, tout son territoire et sa population entière, et cela même sans prendre une part active aux opérations. Il suffirait pour lui faire courir ce risque qu'il ait à reconnaître aux troupes d'exécution un droit de passage à travers son territoire.

Même avec la réserve de sa neutralité, un pays tel que la Suisse court des risques plus grands que d'autres Etats qui ont pu faire à la Société des nations le sacrifice de la leur.

C'est pourquoi, en demandant à rester neutre, la Suisse n'a nullement formulé une exigence injuste, elle ne prétend pas

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à un traitement de faveur. Tout ce qu'elle a demandé ainsi, c'est une équitable répartition des risques et des charges.

Le maintien de la neutralité de la Suisse s'imposait Nécessité aussi parce que la Société des nations n'exclut pas absolu- fru^é °^I ment la guerre et que, par conséquent, la neutralité garde manente, sa raison d'être dans tous les cas où il ne s'agit pas d'une action collective au sens de l'article XVI du Pacte. Il serait difficile de concevoir que la Suisse pût maintenir sa neutralité perpétuelle à l'égard de certaines guerres pour l'abandonner dans d'autres. Il est vrai que les actions collectives sont dans l'intérêt supérieur de tous et qu'on peut les considérer comme des mesures de police. Mais, extérieurement, ces actions auront la forme d'une guerre ordinaire, et il est permis de prévoir que, dans certains cas, on pourra se demander si l'on est en présence d'une guerre tolérée ou d'une guerre faite en violation du Pacte. Or, la neutralité perpétuelle, telle quelle a été reconnue en 1815, n'a toute sa valeur -- non seulement pour la Suisse, mais aussi pour les autres Etats -- qu'à la condition d'être maintenue dans tous les cas et d'être ainsi un facteur absolument fixe dans le calcul stratégique.

Dans son Mémorandum du 8 février 1919 sur la neutralité de la Suisse*), le Conseil fédéral a signalé les considérations d'humanité qui sont en faveur du maintien de la neutralité. Les intérêts généraux dont il parle devraient être sauvegardés par l'existence d'un territoire neutre et inviolable, aussi bien en cas de guerre faite par la Société des nations à un Etat rebelle que précédemment. A ce point de vue aussi, la neutralité perpétuelle est conforme non seulement aux intérêts de la Suisse, mais aux intérêts de l'Europe et de l'humanité en général.

Si donc le maintien de la neutralité dans la Société des nations peut être considéré comme un accroc fait à la logique, il est cependant, en fait, pleinement justifié. Comme tous les organismes politiques, la Société des nations n'est pas un système basé seulement sur des principes abstraits.

Elle est, au contraire, conditionnée piar les particularités historiques et géographiques de ses membres et elle consti*) Annexes III, 13.

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tue un compromis entre l'idée d'une organisation pacifique intégrale et les contingences politiques de l'heure présente.

Attitude du déraf à l'égard de la question de Ia lïé*TM

Abstraction faite des raisons qui viennent d'être expo^ ^ était, pour d'autres motifs, du devoir du Conseil fédérai de faire tous ses efforts pour sauver le principe de la neutralité helvétique. La Société des nations est destinée ^ englober tous ou presque tous les Etats. Bester en dehors d'elle, c'est courir le .risque de s'isoler. On ne peut pas la comparer à une alliance quelconque ou à une union internationale sans caractère politique, à laquelle on peut adhérer sans grande hésitation. Elle vise à être une nouvelle organisation du monde dont la Suisse doit en principe faire partie. C'eût été, pour le peuple suisse, une alternative douloureuse que de devoir choisir entre sa neutralité et la Société des nations. Si ce choix lui avait été imposé, il aurait eu de la peine à prendre le résolution d'abandonner une politique ancienne et éprouvée pour une idée grande, sans doute, mais nouvelle et peut-être, aux yeux de beaucoup, d'origine étrangère. Le Conseil fédéral n'avait pas le droit de laisser les choses en venir là. La constitution lui fait un devoir non seulement de sauvegarder la neutralité de la Suisse en cas de guerre, mais aussi d'orienter toute sa politique selon ce principe.

s es>

Après une discussion approfondie, la commission consultative pour ainsi dire unanime s'est, dans sa session de janvier 1919, prononcée en faveur du maintien de la neutralité dans la Société des nations, et cela, en partant de son avantprojet, qui prévoit un organisme infiniment plus développé que celui qui s'offre aujourd'hui à nous. La raison décisive, pour cette commission, a été l'intérêt supérieur qui justifie l'existence d'Etats constamment pacifiques pouvant, comme Baie, Schaffhouse et Appenzell dans l'ancienne Confédération, jouer le rôle de médiateurs par destination. On a tenu compte aussi de la nécessité de répartir équitablement, entre les Etats membres, les risques résultant de l'existence même de la Société des nations.

Le Conseil fédéral n'ignorait pas que la reconnaissance de la> neutralité perpétuelle de la Suisse dans la Société des nations se heurterait à de graves difficultés et que, chez les belligérants, l'idée même de neutralité était en défaveur et souvent mal comprise. Il adressa cependant à tous

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les Etats son Mémorandum du 8 février 1919, prévenant ainsi tout malentendu dont le résultat eût été* de faire croire que la Suisse était disposée à sacrifier sa politique traditionnelle.

Les représentants diplomatiques de notre pays, de même que d'autres personnes qualifiées, que le Conseil fédéral avait chargées de la mission de confiance de défendre les intérêts suisses à Paris, n'ont rien négligé pour faire comprendre l'attitude particulière de la Suisse. Ce fut une tâche difficile et ingrate vis-à-vis de l'étranger.

En présence des résistances très vives et du reste aisément explicables, auxquelles se heurtait la reconnaissance de la neutralité, il ne pouvait s'agir pour la Suisse, qui jusqu'ici a toujours pris comme Etat neutre une position très particulière, fondée sur des considérations historiques et juridiques exceptionnelles, que d'ohtenir le maintien de sa neutralité, mais non d'assurer une mission spéciale à l'ensemble des Etats neutres envisagés comme .tels.

A la conférence du 21 mars 1919, la Suisse ne fit pas de propositions relatives à la neutralité. Elle se borna à rappeler l'envoi de son Mémorandum. En revanche, le chef du Département politique, qui se trouvait alors à Paris, en profita pour s'entretenir de la question de la neutralité avec quelques hommes d'Etat dirigeants. Plusieurs d'entre eux se montrèrent disposés à tenir compte de notre situation spéciale. D'autre part, les déclarations faites à la conférence des neutres ne permettaient pas de douter que les principaux auteurs du Pacte ne considérassent l'acceptation des obligations découlant de l'art. XVI comme constituant l'élément essentiel de l'organisation nouvelle. Ce n'est qu'en ce qui concerne la participation active aux interventions militaires que la libre décision des Etats membres pouvait être réservée. Il n'était pas admissible qu'on ne fît aucune distinction entre la situation essentiellement différente de la Société bravée par un Etat en rupture de pacte et celle de cet Etat lui-même. C'eût été la négation du principe même de la Société des nations. Nos délégués apprirent aussi que dans certains milieux militaires on attachait une grande importance à la possibilité, pour les troupes d'exécution, de traverser le territoire de tout Etat sociétaire, et que le territoire suisse entrait en ligne de compte à
cet égard.

C'est pour ce motif que le Conseil fédéral jugea opportun de déléguer à Paris deux officiers supérieurs de l'étatmajor général, en les chargeant d'exposer les raisons d'ordre

Négociations concernant la neutralité.

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militaire qui, tant au point de vue suisse qu'au point de vue de la Société des nations elle-même, militent en faveur du maintien de la neutralité de notre pays. Par la suite, on a abandonné vis-à-vis de la Suisse l'exigence d'un droit de passage éventuel.

Au cours des conversations et des négociations qui ont eu lieu à Paris du milieu de janvier au milieu de mai, plusieurs manières de faire reconnaître la situation spéciale de la Suisse perpétuellement neutre ont été envisagées. L'espoir d'obtenir cette reconnaissance, dans le «sens du projet suisse, en corrélation avec l'attribution du siège de la Société, ne se réalisa pas. A teneur du texte définitif du Pacte, la Suisse ne pouvait faire aucune réserve en entrant dans la Société des nations. Par contre, l'article XXI du Pacte permettait de faire reconnaître que la neutralité est un engagement pour la sauvegarde de l'état de paix. Cet article déclare que de tels engagements ne sont incompatibles avec aucune disposition du Pacte. Il cite comme exemples « les traités d'arbitrage et les ententes régionales, comme la doctrine de Monroë ». H est incontestable que les traités de 1815, et notamment l'Acte du 20 novembre concernant notre neutralité, constituent à un degré eminent un « engagement pour le maintien de la paix», qui, à teneur de l'article XXI du Pacte, peut subsister dans la Société des nations.

Les délégués suisses exposèrent cette manière de voir à M. Wilson, président de la commission de la Société des nations, et M. Ador, président de la Confédération, au cours de son second séjour à Paris (28 avril au SI mai 1919), eut la satisfaction de convaincre plusieurs des hommes d'Etat les plus compétents.

ReconnaisII restait encore à surmonter une difficulté très sérieuse : S a sous nft?it,-ai1tl Quelle forme la neutralité pourrait-elle être reconnue neutralité dans le de manière que cette reconnaissance liât tant les Etats memtraité de bres de la Société des nations que ceux qui resteraient en paix.

dehors ? Le traité de paix, dont le Pacte du 28 avril forme la première partie, offrit la base voulue. L'occasion de faire adopter cette solution fut fournie par le gouvernement français, lorsqu'il exprima le voeu de faire constater 'dans le traité de paix que la question des zones de la Savoie, qui font l'objet de dispositions des traités de 1815, devait être considérée comme une question à régler par voie de négociations entre la France et la Suisse.

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Les négociations relatives à la suppression de la zone neutralisée du Faucigny et du Châtiais et celles qui ont trait au régime des zones franches de la Savoie et du pays de Gex feront l'objet d'un message spécial aux Chambres. Il suffit de rappeler ici que l'article 435 du traité de paix*), qui a trait à ces problèmes, admet la neutralité suisse telle qu'elle a été reconnue par les traités de 1815, et notamment par l'Acte du 20 novembre, et constate qu'il s'agit là d'un engagement international pour le maintien de la paix.

Cela constitue d'une part une reconnaissance de la neutralité suisse par les Etats signataires du traité de paix, reconnaissance indépendante de l'adhésion de la Suisse à la Société des nations, et d'autre part une interprétation authentique de l'article XXI du Pacte. La Suisse pourra donc, sans avoir à faire de réserve, entrer dans la Société avec sa neutralité, en vertu des articles XXI du Covenant et 435 du traité de paix.

Il est permis de voir là une solution heureuse du problème et une preuve du fait que les représentants des puissances à la Conférence de Paris, en particulier M. le président Poincaré, M. Clemenceau, président du Conseil des ministres de la République française, ainsi que M. Orlando qui, à cette époque, était le chef du gouvernement italien, ont compris la situation spéciale et La mission historique de notre pays.

Partant de la supposition que la Suisse entrera dans la Société des nations comme Etat perpétuellement neutre, on se trouve d'emblée en face des questions suivantes : le fait qu'elle sera membre de la Société des nations exercera-t-il une influence sur la neutralité et sur la politique générale de la Suisse ? Si oui, laquelle ? Une neutralité perpétuelle est-elle en principe compatible avec l'adhésion à la Société des nations ?

Ces questions doivent être étudiées et l'on doit y répondre avec la plus grande objectivité, avec la franchise la plus entière. Mais il faut se souvenir que le droit des gens évolue comme toutes les parties du droit et qu'à l'époque actuelle, plus qu'à aucune autre, les formes de la vie des peuples sont en voie d'évolution.

Si la neutralité consistait non seulement à rester à l'écart des guerres entre d'autres Etats, mais encore à renoncer en ·) Annexes III, 14.

Feuille fédérale suisse. 71e année. Vol. IV.

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Société des nations et neutralité per-

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principe au droit de faire une distinction quelconque entre les belligérants à raison de la valeur de leur cause, il est certain que Société des nations et neutralité seraient deux notions inconciliables. Mais une neutralité ainsi comprise manquerait de toute base morale. Car elle procéderait de l'idée que les Etats ne sont pas soumis à la loi morale du bien et du mal et que les conflits surgissant entre eux sont exclusivement une question de force, toute notion de justice et d'équité en étant exclue, ou bien l'attitude d'impartialité absolue adoptée à l'égard de l'une et de l'autre partie ne serait que l'expression de la faiblesse et de la peur. S'il est vrai que, dans la genèse et le développement de la neutralité suisse, le sentiment de notre défaut d'unité intérieure -- sentiment né des guerres confessionnelles et des guerres de nationalités -du passé -- ait joué un rôle important, le peuple suisse ne saurait pourtant admettre que sa neutralité le condamne à une politique d'indifférence et à une attitude timorée.

Ce qui jusqu'ici a exclu, pour les.neutres et en particulier pour la Suisse, la possibilité de faire éventuellement certaines distinctions entre les belligérants, c'est que le droit des gens laissait à chaque Etat une entière liberté de décision au sujet de la paix et de la guerre. D'autre part, les causes historiques des différends internationaux sont le plus souvent si complexes que les contemporains se trouvent hors d'état de porter sur elles, en toute impartialité, un jugement d'ensemble. De là, jusqu'à nos jours, la possibilité et même la nécessité d'une neutralité inconditionnée. Cela est tout particulièrement vrai pour un pays qui, comme le nôtre, a érigé la neutralité en maxime d'Etat.

La Société des nations vise à créer une situation entièrement nouvelle. Elle n'institue pas encore un tribunal impartial ayant mission de trancher tous les différends internationaux, et dont la Société elle-même devrait faire exécuter les jugements. Mais elle proscrit du domaine de la politique internationale les actes de violence les plus dangereux pour la communauté. Elle interdit aux Etats de faire la guerre avant d'avoir recouru à une procédure visant au règlement pacifique du conflit L'Etat qui rompt l'état de paix au mépris des dispositions du Pacte se met dans son tort, même si ses
prétentions n'ont en elles-mêmes rien d'injuste. Le Pacte fournit ainsi aux Etats non engagés dans le conflit un critère leur permettant de juger eux-mêmes l'attitude des parties. C'est là un fait nouveau qui ne peut pas n'avoir aucune répercussion sur la neutralité.

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Si le critère établi par la Société des nations répond aux exigences de la justice et sauvegarde les intérêts de l'humanité, l'Etat neutre ne restera plus indifférent. Sa conduite, au sein de la Société, s'inspirera des intérêts de la communauté, tout au moins dans la mesure où l'on peut équitablement l'attendre de lui.

La question délicate de savoir quelle évolution la neutralité subira dans la Société des nations ne se pose qu'en vue des cas où la Société exigerait de «es membres des prestations incompatibles avec la neutralité ou qui fussent difficilement conciliables avec elle. Tels «ont, en particulier, les devoirs que peuvent créer les sanctions prévues à l'article XVI.

Le Pacte du 28 avril 1919 est muet en ce qui concerne la neutralité. Il tolère, d'autre part (art. XV, al. 7, et XVII), certaines guerres, soit entre Etats membres de la Société et Etats non sociétaires, soit entre Etats restés en debors d'elle. Il en résulte que, sous ce rapport, le droit de la neutralité, comme les autres principes du droit des gens actuel, restent applicables d'une manière générale. Aucun doute ne semble jamais avoir été émis à cet égard.

La question est controversée de savoir si, lorsqu'un conflit au sujet duquel la procédure de l'article XV a été observée sans résultat, dégénère en une guerre, les Etats sociétaires non intéressés doivent rester neutres. Nous répondons par l'affirmative (cf. commentaire de l'art. XV, p. 139 et s. ciaprès). Il est certain, en tout cas, que chacun des membres de la Société a alors le droit d'observer une neutralité absolue. La Société des nations elle-même restera naturellement neutre à l'égard! de toutes les guerres tolérées par le Pacte.

La neutralité doit être considérée non seulement comme un droit, mais comme un devoir politique, pour l'Etat qui abrite le siège de la Société. Autrement, les démêlés de cet Etat pourraient avoir pour conséquence d'imposer à la Société des nations un état de guerre contraire à sa volonté et à son statut. L'Etat dans lequel on a placé le siège doit être en mesure de faire respecter l'inviolabilité de son territoire par les tiers belligérants. Il doit s'abstenir de toutes conventions, telles que des alliances défensives conclues au profit d'autres Etats et par lesquelles il pourrait s© trouver impliqué dans les conflits d'autrui. Enfin il doit tout faire pour arriver à un règlement pacifique des

La neutralité dans les guerres tolérées par la Société des nations.

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litiges qui l'intéressent directement. De là l'intérêt particulier et le très vif désir qu'il a de voir combler les lacunes que présente à cet égard le Pacte de la Société des nations.

Les articles X, XI et XVII, al. 4, prévoient que la Société des. nations doit ou peut prendre des mesures en vue de sauvegarder la paix du monde, en cas de menace de guerre ou de guerre déclarée. Le Pacte ne dit pas, toutefois, comment les organes de la Société devront alors procéder et de quels moyens ils pourront se servir. Il est certain, cependant, que l'on ne peut exiger des membres de la Société l'attitude prescrite par l'article XVI que si les conditions prévues par cet article se trouvent réalisées. Nous l'avons déjà exposé à propos de l'article X (p. 17 ci-dessus).

Le droit des membres de la Société de rester neutres et même d'observer une neutralité absolue et sans distinction aucune, ne peut donc pas être diminué -- abstraction faite du cas où l'art. XVI serait appliqué -- par les mesures que la Société des nations pourrait être amenée à prendre à l'égard de conflits armés.

La neutraTout autre est la situation dans l'hypothèse d'une guerre lite et les contre laquelle la Société des nations interviendra comme lèctivroC de te^6- Dans cette hypothèse, il n'y a, en principe, pas de la Société neutralité. En vertu de l'article XVI du Pacte, l'Etat qui des nations, a troublé la paix se trouve, sans autre, en état de guerre vis-à-vis de tous les membres de la Société.

Pour les pays qui n'ont pas érigé la neutralité en maxime d'Etat, ou qui n'ont contracté aucune obligation à ce sujet, la question est simple : veulent-ils, en devenant sociétaires, assumer le risque d'être impliqués, le cas échéant, dans une guerre de la Société des nations Ì C'est une question purement politique.

Il n'en est pas ainsi pour la Suisse. Pour elle, conclure un traité pouvant l'obliger à entrer en guerre contre un Etat qui ne l'aurait pas directement attaquée, serait en contradiction >avec la notion de neutralité, telle que la suppose établie notre Constitution fédérale et telle que les puissances l'ont formellement reconnue en 1815.

On po'urrait dire, il est vrai, que les actions collectives de la Société n'intéressent pas la neutralité au sens traditionnel du mot, parce qu'elles sont, non pas des guerres au sens que le droit des gens a jusqu'ici donné à ce terme, mais des expéditions de police et de punition, dirigées par la

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communauté des Etats contre des criminels internationaux.

Toutefois ces actions auront la même forme que les guerres ordinaires et, en particulier, les Etats qui ne font pas partie de la Société des nations n'admettraient pas une telle distinction, qui n'est guère soutenable au point de vue du droit des gens actuel. L'Etat en rupture de pacte, lui aussi, contesterait, autant que faire se peut, que l'action collective dirigée contre lui soit juridiquement fondée. Au surplus, l'article XVI parle catégoriquement de l'état de guerre, qui résulte ipso facto de la rupture de la paix.

La neutralité suisse ayant été déclarée compatible avec le Pacte de la Société des nations, la Suisse ne peut avoir à assumer les obligations qui-sont imposées aux autres membres de la Société par l'ouverture de l'état de guerre entre celle-ci et un Etat rebelle. En revanche, la Suisse serait naturellement tenue de remplir tous les devoirs gui ne touchent pas sa neutralité.

Il n'est pas aisé de tracer la limite entre les devoirs qu'imposé la neutralité et ceux qui résultent 'du Pacte, car la notion de neutralité peut être définie de diverses manières. Cependant la neutralité engendre certains devoirs incontestables, au premier rang desquels figurent celui de ne pas prendre part aux opérations de guerre et celui de défendre l'intégrité du territoire neutre. La Société des nations elle-même ne pourrait exiger, à cet égard, une autre attitude d'un Etat sociétaire neutre. D'autre part, le Pacte impose aux Etats sociétaires quantité d'obligations qui ne peuvent en rien entrer en conflit avec la neutralité. Il n'y a donc, dans ce domaine, aucune raison de faire une situation à part à l'Etat neutre.

Entre ces deux catégories d'obligations, il y a place pour une classe intermédiaire, au sujet de laquelle on peut conserver des doutes. Plus grande sera l'extension donnée à la notion de neutralité, en ce qui touche aux devoirs de l'Etat neutre, plus restreinte sera sa liberté d'adapter son attitude aux exigences de la Société des nations.

On doit chercher à tracer entre ces deux groupes d'obligations une limite qui permette au neutre de compter sur le respect de sa neutralité, sans cependant laffaiblir l'efficacité des actions collectives de la Société. La meilleure -solution consisterait à conclure une convention spéciale avec les divers Etats qui, pour nous, entrent en ligne de compte à ce

Neutralité et obligations visà-vis de la Société des nations.

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point de vue. Mais il était impossible de conclure, au cours des négociations relatives à la paix générale, un accord de ce genre et nous ne pouvons pas non plus le faire actuellement. Il ne s'agit donc, pour le moment, que de poser les principes qui, à notre avis, devraient diriger notre politique de neutralité en cas d'action collective de la Société des nations.

La neutralité perpétuelle de la Suisse étant seule de son espèce dans la Société, le Pacte ne règle pas La matière de ses rapports avec les actions d'exécution. L'article XVI, qui part de l'idée d'un état de guerre existant entre la Société et un Etat en rupture de pacte, n'est à proprement parler pas applicable. Il permet pourtant de préciser, par déduction, la situation juridique d'un neutre. L'opposition collective à certaines formes de guerre est un des buts principaux du Pacte de Paris. L'Etat neutre qui accède à la Société doit aider les autres membres dans cette tâche, dans la mesure où sa neutralité le lui permet. C'est un devoir de fidélité, une obligation qui doit être reconnue comme étant dans la nature des choses, même si elle ne fait l'objet d'aucune disposition contractuelle.

Portée de Avant d'en venir au contenu de la neutralité, une quesl'Acte du 20 tion préalable doit encore être élucidée. L'attitude que la D °l8Î5 Cuisse doit observer, en sa qualité d'Etat perpétuellement neutre, est-elle déterminée par le sens qu'on donnait en 1815 au mot de neutralité ou par ce que cette neutralité est devenue pour le droit des gens actuel Ì C'est dans le dernier sens que la question doit être résolue. L'Acte du 20 novembre 1815 ne parle que de neutralité, sans préciser la portée de ce terme. Les puissances signataires n'avaient en vue que la situation militaire de notre pays en cas de guerre mettant aux prises nos voisins. Mais on ne peut pas en déduire que, par là, la neutralité suisse ait été définie pour tous les temps. A une époque donnée, il ne peut y avoir qu'une seule espèce de neutralité, qui est la somme des droits et obligations réciproquese des neutres et des belligérants. Aux XVIIe et XVIII siècles, on a considéré comme compatibles avec la neutralité des choses qui, aujourd'hui, apparaîtraient comme étant inconciliables avec elle. La neutralité perpétuelle de la Suisse, pour autant qu'elle est un rapport de droit des gens, est une notion dont le contenu matériel se modifie en même temps que le droit de la neutralité.

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Si l'on veut émettre un jugement juste sur la portée de Neutralité la neutralité et sur la mesure dans laquelle elle est concilia- etdepolitique neutrable avec les obligations imposées aux membres de la Société lité.

des nations, il est nécessaire de distinguer entre neutralité et politique d& neutralité. La neutralité est l'ensemble des droits et des devoirs internationaux qui sont inhérents à l'état de neutralité. La politique de neutralité est l'attitude d'un Etat neutre dans les affaires qui ne sont pas réglementées par le droit de la neutralité, mais sur lesquelles la neutralité exerce une influence indirecte. Un Etat à neutralité perpétuelle, tel que la Suisse, a un intérêt tout particulier à s'assurer, par sa politique, plus que le droit au respect de sa neutralité, c'est-à-dire à gagner la confiance générale. Cet Etat s'abstiendra de bien des choses qui ne lui sont pourtant pas interdites par le droit pur. Mais précisément parce qu'elle dépend de la libre volonté du neutre, la politique de neutralité est une question d'appréciation politique, et la liberté de l'Etat neutre à cet égard ne peut et ne doit être limitée, ni supprimée par une extension exagérée de ses devoirs de neutralité. Elle est justement le domaine dans lequel l'Etat neutre peut revendiquer, visà-vis des belligérants, son entière liberté et dans lequel, selon leur attitude, il peut leur être favorable ou défavorable. Cette liberté, la Suisse la revendique pour elle-même en vertu des droits que lui confèrent son indépendance et sa souveraineté.

Bien ne saurait être plus contraire aux intérêts d'un neutre et surtout d'un Etat perpétuellement neutre que d'étendre outre mesure la notion des obligations découlant de la neutralité, car le droit fondamental du neutre, celui d'être épargné par la guerre et de ne pas avoir à subir de trouble dans ses relations pacifiques avec d'autres Etats, va de soi. Les devoirs découlant de la neutralité ne doivent pas être étendus au delà d'une limite laissant subsister, pour les belligérants, un intérêt suffisant à respecter la neutralité. Les belligérants doivent être satisfaits si le neutre ne se mêle pas, d'une manière qui puisse leur être dommageable, de la guerre qu'ils se font. Ils vont eux-mêmes, pour sauvegarder leurs intérêts de guerre, jusqu'à l'extrême limite de ce que les neutres
peuvent admettre. L'histoire de la neutralité est, somme toute, celle des souffrances endurées par les neutres.

On a déclaré 'artificielle la distinction qu'il faut faire Contenu et de la entre neutralité et politique de neutralité et certains ont, en nature neutralité.

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ce qui concerne les devoirs découlant de la neutralité, insisté non pas sur les obligations que les traités et la coutume imposent aux neutres, mais sur le devoir qu'auraient ces derniers de donner une orientation déterminée à leur politique : tenir la balance égale entre les deux belligérants et éviter autant que possible d'exercer sur la guerre une influence quelconque.

A cette manière de voir, on doit objecter que le droit positif est loin d'imposer aux neutres des obligations aussi étendues. La neutralité dans les guerres continentales -- les seules qui entrent ici en ligne de compte -- fait actuellement l'objet des dispositions de la 5e convention de La Haye, du 18 octobre 1907*). Quoiqu'elle n'ait pas été ratifiée par tous les Etats (par exemple par la Grande-Bretagne) et quoiqu'elle ne soit applicable que si les dispositions en sont acceptées par l'ensemble des Etats belligérants, on peut admettre que cette convention était l'expression du droit de la neutralité, tel qu'il était généralement reconnu à l'époque où elle a été conclue. Cette convention ne contient .aucune définition de la neutralité. On peut, par contre, en déduire trois grands principes : 1. Toute utilisation directe du territoire neutre pour les hostilités, pour le passage, ou d'une manière générale pour une entreprise militaire quelconque, est interdite aux belligérants. Les neutres ne doivent pas la tolérer. Ils doivent, en principe, interner les belligérants qui francbiraient leur frontière.

2. Les neutres ont le droit de permettre aux belligérants de se faire livrer, par de simples particuliers, à travers ou en provenance de leur territoire, du matériel de guerre ou d'autres choses utiles aux .armées, ou de recevoir des nouvelles quelconques même par le moyen de leurs installations télégraphiques. Si un neutre croit devoir apporter des restrictions à ces relations, il doit appliquer le même traitement à tous les belligérants. Ce sont les seuls cas dans lesquels le principe de l'identité de traitement soit expressément posé.

3. La convention de La Haye réglemente exclusivement les faits qui peuvent avoir une répercussion directe sur la conduite de la guerre.

Cette convention peut en tout temps être dénoncée moyennant un préavis d'un an. Son abrogation remettrait en vigueur le droit coutumier qui, sans être essentiellement *) Annexes III, 15.

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différent, donnerait cependant aux neutres, à cause de son caractère imprécis, une plus grande liberté d'action.

Malgré toutes les modifications que la notion de neutra- Va neu*ïalité a subies au cours des derniers siècles, elle est toujours |jTM^^1§Î apparue,. dans la doctrine et dans la pratique internatiotaire, nales, comme une notion d'ordre essentiellement militaire.

Le fait qu'une puissance armée lutte contre une autre puissance armée est l'élément essentiel de la guerre envisagée comme un rapport de droit des gens. La situation faite aux Etats neutres à l'égard des belligérants et au point de vue de cette lutte constitue la neutralité. Une simple guerre de tarifs, la rupture de toutes les relations et même ce qu'on appelle le blocus pacifique, qui consiste à bloquer une côte sans action militaire simultanée, ne donnent naissance à aucun rapport juridique de neutralité. Ces situations peuvent tout au plus aboutir à la guerre.

Le caractère militaire de la neutralité résulte aussi du fait que, dans les cas où une neutralité permanente a été reconnue ou imposée, cette mesure a été dictée par des raisons d'ordre exclusivement ou du moins principalement stratégique. C'est pour permettre à la Suisse de défendre efficacement sa neutralité qu'en 1815 on a amélioré ses frontières. La Savoie n'a été neutralisée que pour des raisons militaires. La même constatation peut être faite au sujet de la Belgique et du Luxembourg. Ce dernier dépendait d'ailleurs de l'Allemagne au point de vue économique. Quant à la neutralisation spéciale du canal de Suez et du Congo, il se peut que des considérations de politique commerciale aient été déterminantes.

· Au cours de la dernière guerre, toutefois, la guerre dite économique (blocus, interdiction du commerce avec l'ennemi, etc.) a eu une importance toute particulière. Cette forme de la guerre n'est du reste pas une nouveauté. La guerre maritime a été. en tout temps, avant tout une lutte pour des intérêts économiques contre le commerce maritime ennemi, sinon même contre le commerce neutre, et les Etats anglo-saxons ont toujours défendu les principes qu'en matière économique ils ont appliqués, d'accord avec leurs alliés, au cours de la guerre qui vient de prendre fin. Il suffit du reste de rappeler le blocus continental de Napoléon pour montrer le rôle que la guerre
dite économique a déjà joué dans le passé. Le fait que cette fois-ci presque tous les Etats prenaient part à la guerre et le développement extraordinaire que les relations économiques internationales avaient

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pris au cours des dernières décades ont tout spécialement accentué le contre-coup de cette guerre économique sur le parti belligérant auquel elle était faite et sur les neutres.

C'est ainsi que l'on a forgé l'expression de « neutralité économique », qui fait pendant à celle de « guerre économique ».

Neutralité gj cette expression a un sens, elle peut signifier deux economi- h .

que.

cnoses.

1. Le droit des neutres à ne pas souffrir de trouble dans leurs relations économiques ou financières et leurs rapports personnels avec les belligérants et les autres neutres. L'acte final de la seconde conférence de La Haye contient un « voeu » dans ce sens. Mais l'histoire des cinq dernières années établit que .le bénéfice de cette « neutralité économique » est un leurre, que partout où les « nécessités de la guerre » semblent l'exiger, la guerre économique est conduite inexorablement sur terre et sur mer, même au préjudice des neutres et qu'elle est même étendue à leur territoire par le système des listes noires et le contrôle exercé sur les maisons de commerce de leur ressort. Les traités de commerce et d'établissement, même s'ils n'étaient suspendus par aucune clause de guerre, ont en fait cessé d'exister. Par conséquent, l'avantage de la neutralité pour le neutre, l'inviolabilité à laquelle il est en droit de prétendre, est en fait évidemment réduit à très peu de chose, en matière économique, par le caractère qu'a pris la guerre contemporaine.

2. La neutralité dite économique pourrait aussi comporter une charge. Ce serait, pour le neutre, l'obligation de maintenir toutes ses relations économiques, financières et personnelles avec les belligérants, ou du moins de traiter en principe les deux partis sur un pied de parfaite égalité, en ce qui concerne les restrictions imposées à leur commerce ou les prestations sollicitées par eux. C'est surtout à cela que l'on pense quand on parle de neutralité économique.

Abstraction faite des articles 7 à 9 de la 5e convention de La Haye, qui concernent le commerce du matóriel de guerre et l'usage des moyens de communications postales, télégraphiques et téléphoniques, aucun texte n'oblige les neutres à accorder le même traitement aux deux partis belligérants, ni à maintenir avec eux les relations économiques. Sauf en ce qui concerne la liberté du commerce maritime
des neutres qui, depuis des siècles, joue un grand rôle dans la doctrine relative au droit des gens et dans les traités internationaux, les conditions de ce qu'on appelle la guerre économique ne sont réglées ni par des conventions, ni même

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par des principes positifs établis par la coutume. Cela s'explique par le fait que, sur ce point, on se trouve en face d'une matière au sujet de laquelle le droit des gens ne s'est pas encore affirmé parce qu'aucune conception générale n'a pu prévaloir jusqu'ici. Il existe en particulier de profondes divergences entre la conception qui prévaut sur le continent et l'opinion anglo-américaine, et ce fait a rendu, de même, extrêmement difficile l'élaboration du droit applicable au commerce maritime des neutres. Dans ce domaine très peu développé du droit des gens, chaque Etat agit comme il lui convient, pour autant que des considérations d'ordre politique n'y font pas obstacle. Si cet état de choses peut être invoqué contre les neutres, ces derniers doivent pouvoir aussi l'invoquer pour eux-mêmes. Comment, au surplus, un neutre pourrait-il se défendre contre l'attitude injuste d'un belligérant, sans se joindre au parti adverse, si toute sa politique était dominée par l'idée que la neutralité l'oblige à accorder toujours le même traitement aux deux partie en guerre ?

L'importance extraordinaire que la lutte économique a prise, au cours de la dernière guerre, pourrait conduire à étendre à ce domaine les devoirs proprement dits de la neutralité. Mais alors on devrait en même temps assurer la vie économique des neutres, car, à cet égard, les neutres pâtissent presque autant que les belligérants et pour la même raison : l'interdépendance économique de la plupart des Etats modernes. Comme toutes les expériences faites jusqu'ici, et tout spécialement celles de la dernière guerre, font voir que les belligérants mènent la guerre économique sans merci, il est très probable que toute extension des devoirs des neutres à cet égard équivaudrait, pour ces derniers, purement et simplement à un supplément de charges.

Les neutres doivent donc examiner en toute indépendance comment ils sauvegarderont le plus efficacement leurs intérêts légitimes dans ce conflit d'intérêts, qui met en danger leur existence elle-même.

La rupture des relations économiques, telle qu'elle est prévue à l'article XVI, peut toucher, non seulement aux devoirs de la neutralité, mais aussi à d'autres obligations internationales, telles que celles qui découlent des traités de commerce, d'établissement, 'des conventions postales et ferroviaires,
etc. Le neutre qui voudra suspendre l'application de traités de ce genre, pendant la durée d'une action colléetive de la Société des nations, justifiera son attitude

Rapports entre les obligations assaj"6'68 U-'6^ de tîwsT les devòta intonutionmi antres que ceux qni découlcnUeh nen-

610

en invoquant l'article XX du Pacte, qui donne aux obligations contractées vis-à-vis de la Société la priorité sur tous autres traités internationaux. Le neutre pourra aussi se baser sur le fait que la violation de la paix garantie par le Pacte le menace lui-même et l'autorise à prendre des mesures de représailles. Le plus souvent, du reste, la suspension de l'application de ces traités sera justifiée, comme mesure de rétorsion, par le fait que les belligérants eux-mêmes ne se conformeront plus à ces traités ou ne les exécuteront que très imparfaitement.

Il est à souhaiter cependant qu'on prenne l'habitude d'insérer à l'avenir, dans les traités de ce genre, une clause réservant expressément les obligations résultant du Pacte de la Société des nations.

Portée Si nous estimons que les devoirs des neutres ne vont pas > d'une orien- si jojn gu'on j'a parfois prétendu, nous ne nous dissimulons tation nou, T , , , , -, j , ..

velie de la Pourtant pas qu une rupture generale des relations econopolitique de miques et autres comportera une modification de la politique neutralité, qui a été, jusqu'ici, considérée comme étant celle de la neutralité. Le neutre ira peut-être ainsi jusqu'à l'extrême limite de ce qu'autorisent les obligations que lui impose sa neutralité.

Ces mesures seront ressenties d'autant plus vivement par l'Etat en rupture de pacte que, peut-être, le neutre les prendra à son égard au moment où cet Etat se trouvera en guerre avec la presque totalité du monde et où, par conséquent, un blocus économique lui sera particulièrement sensible.

Il y a donc lieu de prévoir que les relations entre cet Etat et l'Etat neutre se tendront et que, l'Etat en rupture de pacte ayant alors un intérêt moins grand au respect de la neutralité, les risques d'invasion s'aggraveront pour notre pays. Si l'Etat rebelle a intérêt à violer notre neutralité, le traitement .différentiel que nous lui appliquerons au point de vue économique pourrait évidemment lui servir de prétexte. Il déclarerait ou bien que nous sommes nous-mêmes sortis de notre neutralité en ne tenant pas la balance égale entre les deux partis belligérants, ou que la suspension des traités et la rupture des relations ordinaires constituent un casus belli.

Nous reviendrons, dans les chapitres Vil et VIII du présent Message, à la question des risques militaires et économiques qu'entraînera, pour nous, une telle attitude politique.

611

Bien que la gravité de tels risques ne nous échappe nullement, nous croyons que, dans les guerres d'exécution de la Société des nations, une telle modification de notre politique sera non seulement justifiée, mais pour ainsi dire inévitable.

Elle est inévitable, même pour un neutre qui ne ferait pas partie de la Société, parce que cette dernière fera tout pour empêcher que les neutres ne puissent paralyser son action. Il serait, pour la Suisse, extrêmement difficile, à cause de sa situation géographique et économique, de se soustraire aux effets indirects du blocus établi par la Société. En déclarant d'emblée qu'elle prendra part, dans une certaine mesure, à ce blocus, la Suisse évitera d'être peu à peu contrainte d'en arriver là et elle créera de prime abord une situation nette, ce qui est un avantage pour tous les intéressés.

Cette orientation nouvelle de la politique de neutralité est justifiée, avant tout, parce que l'Etat neutre, autant que les autres États, a intérêt à éviter la guerre et, par conséquent, à coopère^ à l'effort de la Société des nations. A l'égard d'un Etat qui le menacerait lui-même en contrevenant aux prescriptions du Pacte et qui, dans les mesures qu'il prendra pour sauvegarder ses intérêts de guerre, sera -- ainsi que l'expérience le démontre -- porté à considérer comme secondaires les exigences de la vie économique des neutres, il pourra, lui aussi, prendre sans ménagement les mesures qui lui paraissent nécessaires pour sauvegarder son intérêt au maintien de la paix.

Cette attitude nouvelle de l'Etat neutre est justifiée, au surplus, par le fait qu'elle ne sera pas adoptée arbitrairement, en vertu d'un intérêt momentané ou au profit de l'un quelconque des partis opposés, mais dans des conditions parfaitement déterminées, connues d'avance, et dans l'intérêt exclusif d'une organisation générale destinée à assurer la paix. Une telle politique n'est donc pas incompatible avec le but suprême de la neutralité perpétuelle. La Suisse modifierait, le cas échéant, la ligne de conduite qu'elle a suivie jusqu'ici, non pour augmenter sa puissance ou pour servir les intérêts de quelque autre Etat, mais pour servir la cause de la paix, c'est-à-dire pour atteindre le but qu'elle a toujours assigné pour sa part à une politique de neutralité qui, aux termes de l'Acte du 20 novembre 1815, est dans les vrais intérêts de l'Europe entière.

Nécessité d'une orientation nouvelle de la politique de neutralité.

Justificatìon au §ßinia 6^^.

tralité perpétuelle.

612

Applicacation prapoUtiquede neutralité différend^ctioncollectivedela Société des nations,

En ce qui concerne la politique de neutralité qui sera d'action collective de la Société des nations, ^ guère possible d'entrer dans le détail, étant donné qu'à maints égards il s'agira d'une situation essentiellement nouvelle. Il serait à désirer que la politique de neutralité diflérenoiee au Profit de la Société des nations fût reconnue expressément, par voie de convention, par tous les Etats, ou du moins par ceux qui, à cet égard, entrent pour nous en ligne de compte. Nous ne pouvons cependant pas admettre avec certitude la possibilité de conclure des conventions de ce genre. Nous devons nous rendre compte, au contraire, que peut-être notre manière de voir ne sera pas immédiatement et partout admise et que l'orientation nouvelle à donner à notre politique de neutralité pourra nous faire courir certains risques. Cette question est traitée dans les chapitres VII et VIII du présent Message, .qui étudient les conséquences militaires et économiques de la décision que nous avons à prendre à l'égard de la Société des nations.

En cas d'action collective de la Société des nations, les grandes lignes de notre politique de neutralité semblent être clairement indiquées à un double point de vue : Dans le domaine militaire, nous nous en tiendrons autant que possible au principe observé jusqu'ici d'une neutralité stricte vis-à-vis des deux partis belligérants. Dans le domaine économique, nous devrons nous solidariser avec la Société des nations, à la fois dans son intérêt et dans le nôtre. Nous exposons dans les chapitres VII et VIII, que nous venons de citer, quelles pourront être les conséquences pratiques de cette attitude.

Mais il peut y avoir toute une série de situations, notamment dans le domaine des relations personnelles, qui sortent des limites de la neutralité militaire et de celles de la solidarité économique. Qu'on songe, en particulier, à l'accomplissement des tâches humanitaires qui, depuis longtemps, tiennent 'au coeur du peuple suisse.

Il va de soi, à notre avis, qu'en aucun cas il ne «aurait y avoir contradiction entre les obligations que peuvent nous imposer les principes établis par l'art. XVI du Pacte et le droit d'asile en vertu duquel, depuis des siècles, notre pays a pu accueillir des fugitifs de toutes sortes. Les ressortissants de l'Etat rebelle qui chercheraient un asile en Suisse ne le feront qu'en tant que poursuivis par cet Etat lui-même ou en conflit avec son gouvernement. Les accueillir ne constisujvie en cas n>est

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tuerait donc pas une brèche faite au blocus dans l'intérêt de cet Etat.

De même, la Suisse considérera non seulement comme un droit, mais comme un devoir supérieur de maintenir certains rapports personnels avec l'Etat mis au ban de la Société et avec ses ressortissants. Il s'agit ici de la mission charitable qui, dans notre pays, a été assumée en temps de guerre par la Croix-Kouge et par d'autres organisations publiques et privées. Quelle que soit la gravité de la faute commise par l'Etat en rupture de pacte et quelle que soit la rigueur avec laquelle la lutte doive être menée contre lui, il est pourtant impossible de faire abstraction de 'Certains devoirs d'humanité, par exemple vis-àvis des blessés, des malades, des prisonniers, des évacués et des expulsés.

La société civile peut éliminer un individu ou même l'anéantir. La communauté des Etats, par contre, ne peut pas, sans danger pour elle-même, mettre tout un peuple, d'une manière durable, au ban de l'humanité, ou risquer d'exclure à jamais la possibilité d'une reprise des relations pacifiques. L'obligation morale qu'imposé le respect de la souffrance humaine est ici d'autant plus imperative que l'état de choses créé par les guerres de la Société des nations ne pourra être que passager. En toute guerre on doit prévoir l'éventualité du rétablissement des relations amicales..

On n'a en aucun cas le droit de rompre le lien de l'humanité.

On doit, /pour les mêmes raisons, c'est-à-dire dans l'intérêt supérieur de la Société des nations, envisager le maintien des relations diplomatiques entre l'Etat neutre et l'Etat en rupture de pacte. Il est vrai que la rupture des relations diplomatiques n'est pas absolument incompatible avec l'état de paix. C'est pourtant une mesure qui, d'ordinaire, est suivie de la guerre. L'Etat rebelle devrait pouvoir, par un moyen légitime, normal, conserver des rapports avec la Société des nations. C'est l'Etat neutre qui sera le plus apte à servir d'intermédiaire et il ne pourra accomplir cette tâche que s'il reste lui-même en relations officielles avec l'Etat en cause.

Au surplus, et quels que puissent être les détails de l'application de la politique de neutralité, la Suisse estime qu'en observant en tout état de cause une neutralité militaire

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stricte, elle maintient ce qui, au point de vue tant historique que juridique, a toujours constitué l'essence même de la neutralité. Par conséquent si, contre notre attente, la Société des nations ne devait pas vivre, la Suisse pourrait toujours revenir à l'attitude qui a été la sienne jusqu'ici.

Car les modifications que peut subir notre politique de neutralité sont déterminées par notre désir d'observer en tout cas la politique la plus propre à assurer la paix au peuple suisse et au monde..

Modification du droit de la neutralité par opposition à une modification de la seule politique de neutralité.

Il est vrai que tous n'admettent pas l'opinion soutenue dans le présent Message et d'après laquelle on doit distinguer entre droit de la neutralité et politique de neutralité. Nous avons examiné plus haut les objections qu'on a faites à cette distinction. Pour être complets, cependant, nous devons nous placer aussi au point de vne de ceux qui soutiennent qu'il y a identité entre ces deux notions et supposer que la neutralité impose à l'Etat neutre, dans l'intérêt presque exclusif des belligérants, des obligations aussi strictes que possible. Dans ce cas, un traitement différent des deux partis belligérants, tel que le présent Message le prévoit pour le cas d'action collective de la Société, sous réserve do tout ce qui touche aux opérations militaires, équivaudrait à une modification essentielle du droit actuel de la neutralité. Mais une telle modification serait pleinement justifiée.

De même qu'au cours de ses quatre siècles d'existence, la notion de neutralité a déjà évolué à maints égards, de même aussi elle devra s'adapter au régime juridique nouveau qu'instituera la Société des nations. Autrefois, quand la neutralité était avant tout essentiellement une notion du droit de la guerre maritime, elle n'était somme toute qu'un compromis entre les intérêts commerciaux des neutres et les intérêts militaires des belligérants : cela n'a pas contribué à rehausser son prestige.

C'est la neutralité perpétuelle de la Suisse, telle qu'on la reconnut en 1815 dans l'intérêt de l'Europe, qui introduisit dans le droit de la neutralité une idée supérieure : la limitation de la guerre par sa localisation. Le jurisconsulte belge Descamps a soutenu à son tour, lors de la première conférence de La Haye, cette idée importante que les neutres doivent sortir du rôle égoïste et passif qu'ils avaient joué jusqu'alors et exercer une action positive en faveur du maintien et du rétablissement de la paix («pacigérat»).

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La guerre mondiale a contribué à faire prévaloir en outre dans des cercles étendus et, avant tout, dans les Etats qui ont fondé la Société des nations, une conception nouvelle. Au regard d'une lutte dans laquelle l'une des parties combat pour le droit et l'autre pour une cause injuste, il ne doit plus y avoir de neutralité, ou, du moins, plus de neutralité inconditionnée. La cause juste est la cause de tous. Elle représente l'intérêt supérieur auquel tous les autres intérêts, y compris ceux des neutres, doivent être subordonnés.

La Société des nations est l'organisation qui doit, pour la première 'fois, donner corps à cette idée. Une neutralité différentielle doit être considérée comme admissible dans l'intérêt de ce nouvel ordre de choses. Autre est la question de savoir si la Société des nations se développera et se consolidera, vraiment dans ce sens. Gela dépend de sa durée et de sa viabilité. Si elle s'affermit, les neutres ne pourront pas éviter que le droit de la neutralité ne se modifie. Ils n'auront d'ailleurs pas à regretter cette évolution si la Société des nations ne met sa puissance qu'au service de la paix ou, mieux encore, si elle n'en fait usage que pour assurer une équitable conciliation des intérêts internationaux et une jurisprudence internationale basée sur la justice.

IV. Le siège de la Société des nations à Génère.

L'article VII du Pacte désigne Genève comme siège de la . Situation Société des nations. Le même article confère au Conseil le ^uri.^i pouvoir d'établir le siège en un autre lieu, par décision prise à l'unanimité, et cela non seulement à titre temporaire et pour des raisons extraordinaires, mais à titre permanent. Le texte désignant Genève n'est donc pas protégé contre toute modification par la clause de revision du Pacte, et l'on n'est pas fondé à parler ici d'un droit spécial et contractuel de la Suisse ou de la création, au profit de la Suisse, d'une situation juridique spéciale résultant du fait qu'elle abritera le siège de la Société.

L'article VII n'en a pas moins une grande importance Raisons du pour la Suisse. Le choix de Genève semble pouvoir être ex- 9?oif ^e pliqué par des raisons de deux ordres.

sénevé.

On a dû tenir compte, tout d'abord, de considérations élevées de politique générale. La Suisse, restée neutre pendant toute la guerre, peut offrir aux autorités de la Société des Feuille fédérale suisse. 71° année. Vol. IV.

44

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Négociations concernant l'établissement du siège à Genève.

nations cette atmosphère sereine qu'on ne saurait demander à un pays qui, ayant pris part à la guerre, est encore sous le coup des événements terribles d'un passé récent. Elle constitue un milieu particulièrement favorable à l'accomplissement des tâches politiques de l'avenir. Son histoire, le caractère fédératif de sa constitution, les expériences qu'elle a faites dans ses cantons étroitement unis, malgré la diversité des races, des langues et des confessions religieuses de ses populations, lui permettront de servir utilement les intérêts de la Société des nations.

D'autre part, des raisons historiques ont certainement dû contribuer au choix de la ville désignée par le Pacte. Une chaîne de souvenirs unit la cité de Genève aux démocraties anglaise et américaine. Le développement de l'Etat moderne est étroitement lié au nom de Rousseau. Enfin la CroixRouge, fondée à Genève et d'où elle est encore dirigée, est un symbole de la fraternité humaine qui unit les hommes par delà toutes les frontières et même pendant la guerre.

La désignation de Genève a une portée d'autant plus grande que d'autres Etats avaient posé leur candidature au siège de la Société. Ainsi la Belgique neutre et loyale qui, dans une lutte héroïque, s'est sacrifiée à la cause du droit des gens.

L'idée d'établir le siège de la Société en Suisse, et plus particulièrement à Genève, n'a pris corps qu'au cours des délibérations de la commission de la Société des nations à Paris*. La commission consultative suisse avait déjà proposé, il est vrai, d'installer les organes de la Société en . Suisse et dans d'autres Etats ayant eu, comme notre pays, une politique constamment pacifique. Mais la Suisse no fit aucune démarche officielle jusqu'au moment où, du sein de la Conférence de la paix elle-même, on lui demanda, en vue de la décision que la commission de la Société des nations avait à prendre, de se déclarer prête à accepter le siège de la Société*). Le Conseil fédéral avait déjà été informé que des membres influents de cette commission préconisaient le choix de Genève. Nous ne pouvions que nous féliciter de ces dispositions, d'autant plus que rétablissement du. siège dans notre pays constitue à nos yeux un argument important en faveur du maintien de notre neutralité perpétuelle.

La Suisse, siège de la Société, aura pour mission non seule*) Annexes IV, 16.

617

ment de défendre contre toute attaque'son territoire et ce siège lui-même, mais de se tenir elle-même en dehors des conflits et de contribuer, de la sorte, à assurer aux organes de la Société l'atmosphère d'impartialité et l'indépendance morale qui leur permettront de résister à l'influence des passions politiques.

Les négociations relatives à l'établissement du siège à Genève, comme toutes les négociations conduites au sujet de, la Société des nations, l'ont été -- cela va d'ailleurs de soi dans tous les Etats -- sous réserve de ratification par les organes constitutionnels compétents. Le choix de Genève laisse intacte notre liberté de décision en ce qui concerne l'accession de la Suisse à la Société. Il va de soi que nous ne pouvions pas songer à ajourner toute déclaration relative au siège jusqu'au moment où le peuple suisse se serait prononcé sur la question de notre entrée dans la Société. La commission de la Société des nations voulait fixer le lieu où serait établi le siège, et d'autres Etats, qui avaient posé leur candidature, pouvaient faire valoir des titres sérieux.

Agir autrement que le Conseil fédéral n'a estimé devoir le faire eût donc fait perdre à la Suisse l'occasion unique qu'elle avait d'avoir sur son territoire le centre de l'organisation internationale nouvelle.

Le fait que le siège est en Suisse n'impose à notre pays Devoirs de aucune obligation spéciale, sauf celle d'accorder les immuouïsse, nités diplomatiques, prévues à l'article VII du Pacte, aux représentants des Etats membres et iaux fonctionnaires de la Société elle-même, et de reconnaître l'inviolabilité des bâtiments et des terrains occupés par la Société, ses services et ses réunions. Il est naturel que la Société des nations jouisse des mêmes privilèges et des mêmes immunités que tout Etat avec lequel nous entretenons des relations diplomatiques.

Le pays dans' lequel est établi le siège de la Société doit en outre mettre à sa disposition les terrains nécessaires. La Confédération pourrait, s'il le fallait, exercer dans ce but le droit d'expropriation. Le Conseil fédéral, par l'organe de |ses délégués, a communiqué à la commission de la/ Société des nations qu'il était prêt à prendre les mesures nécessaires pour lui assurer les immeubles dont elle aurait besoin.

La commission a déclaré, de son côté, que la
Société prendrait tous les frais à sa charge. Il appartient donc aux Chambres et aux autorités cantonales et communales de Genève d'examiner dans quelle mesure elles veulent par-

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tieiper à l'installation du siège. Les organes de la Société et les plénipotentiaires des Etats membres, accrédités auprès d'elle, doivent pouvoir se rendre compte qu'en leur personne notre pays salue joyeusement les représentants d'un grand idéal.

Tant que les fonctionnaires de la Société seront en petit nombre, on pourra considérer comme suffisantes les règles communes -- du reste imparfaites à maints égards -- du droit des gens sur les privilèges diplomatiques. Si en revanche la Société des nations se développe, si ses fonctionnaires se multiplient et si ses services finissent par occuper des terrains importants, il y aura lieu de régler par voie de convention l'ensemble de ces relations entre la Société et les autorités locales, fédérales et cantonales. Peut-être devra-ton aussi insérer dans la législation fédérale des dispositions spéciales concernant la Société, par exemple desi dispositions assurant à ses fonctionnaires une protection spéciale.

L'établissement du siège en Suisse entraînera aussi, très probablement, l'installation d'une station radiotélégraphique sur notre territoire. Car il est d'une grande importance, pour la Société des nations, d'avoir un service de nouvelles bien organisé et indépendant (voir aussi p. 73 ci-après).

V. Etats faisant partie de la Société des nations.

L'article I du Pacte fait une distinction entre les membres originaires de la Société et les Etats admis plus tard.

Membres Les membres originaires sont énumérés dans l'annexe

originaires.

du

pacte>

Ce sont ou peuvnt

être les Etats suivants :

a. Tous les Etats alliés et associés qui se sont trouvés; en guerre avec l'Allemagne. Ces Etats sont au nombre de vingt-sept, non compris les quatre Dominions britanniques et l'Inde, qui seront individuellement membres de la Société, en même temps que l'Empire britannique comme tel. En signant le traité de paix, ces Etats ont créé la Société des nations. Le Pacte entrera donc en vigueur, pour ces Etats, dès qu'ils l'auront ratifié et que les conditions requises poui l'entrée en vigueur du traité de paix avec l'Allemagne seront réalisées. Avant la guerre, ces Etats avaient une population totale d'environ 900 millions d'âmes*), ce qui représente environ le 60 % de la population totale du globe.

*) Cela pour 26 de ces Etats, c'est-à-dire sans compter la Chine qui n'a pas signé le traité du 28 juin 1919. En la comptant, on arrive au chiffre total de 1250 millions d'habitants, soit les 4/5 de l'humanité

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b. Les treize Etats neutres invités à la conférence des 20 et 21 mars 1919 peuvent entrer dans la Société en faisant, dans les deux mois qui suivront l'entrée en vigueur du traité de paix, une déclaration d'adhésion sans réserves. Ils acquièrent ainsi la qualité de membres originaires. L'Espagne a déjà fait cette déclaration d'adhésion. Elle a été provisoirement désignée comme devant être l'un des quatre Etats représentés au Conseil à côté des grandes puissances (art. IV du Pacte). Les douze autres Etats neutres accepteront-ils l'invitation qui leur est adressée ? On l'ignore encore. Divers indices font cependant présumer que soit en Europe, soit hors d'Europe, les Etats qui n'ont pris aucune part à la guerre sont tous ou pour la plupart disposés à accéder à la Société des nations.

Sans la Suisse, ces Etats ont une population totale d'environ 116 millions d'âmes.

Les Etats qui, sans appartenir au groupe des anciennes Etats non puissances centrales, n'ont pas été invités à entrer dans la Adhérer Société, sont les suivants : Le Luxembourg et le Monténégro, dont la prétention est peut-être motivée par une perspective de réunion à d'autres Etats membres de la Société.

Les petits Etats d'Andorre et de Saint-Marin, ainsi que les principautés de Lichtenstein et de Monaco, n'ont jusqu'ici pas fait figure d'Etats indépendants. Sauf le Lichtenstein, ils ont toujours été représentés au point de vue international par d'autres Etats qui sont au nombre des fondateurs de la Société. La France a du reste demandé l'admission de la principauté de Monaco.

L'Albanie et le Mexique n'ont pas été invités à adhérer, sans doute, parce qu'à l'époque de l'adoption du Pacte ils n'avaient pas de gouvernement reconnu par la majorité des Etats.

Nous ignorons pourquoi Costa-Bica et Saint-Domingue n'ont pas été invités.

Quant à l'Abyssinie et à l'Afghanistan, c'est probablement à cause du caractère encore très incomplet du développement de leurs rapports internationaux.

A eux tous, ces divers Etats ne comptent que 30 millions d'habitants .environ, dont 15 pour le Mexique, 8 pour l'Abyssinie et 5 pour l'Afghanistan.

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II y a encore un groupe d'Etats qui, sans avoir eu eomme tels la qualité de belligérants, ne sont pas invités à devenir membres originaires de la Société. Ce sont, à l'exception de la Pologne, les pays qui se sont détachés de la Russie et aspirent à l'indépendance : l'Ukraine, la Lithuanie, la Livonie, l'Esthonie, la Lettonie, la Géorgie, etc.

La Finlande, dont la consolidation politique est la plus avancée et dont l'existence a été reconnue par la Suisse et par d'autres Etats, ne faisait partie ni du groupe des puissances alliées et associées, ni du groupe des neutres et, par suite, ne figure pas dans la liste des membres originaires.

C'est la réorganisation de la Russie qui, sans doute, déterminera pour ces divers Etats le moment où leurs rapports avec la Société des nations pourront être établis. Il est difficile d'évaluer actuellement le chiffre de leur population.

Les iplus importants parmi les Etats qui ne sont pas mentionnés dans le Pacte comme membres originaires sont, d'une part, les puissances dites centrales : l'Allemagne, l'Autriche allemande, la Hongrie, la Bulgarie et la Turquie.

D'autre part, la Russie. L'exclusion momentanée des puissances centrales, en particulier, est de nature à donner à la Société un caractère politique spécial. Avec la Russie, ces Etats comprennent plus de la moitié de la population de l'Europe. Leur admission dans la Société est de la plus grande importance, tout au moins pour l'Europe, d'autant plus que, même après la conclusion de la paix, l'Europe restera le principal foyer des différends internationaux, à cause de la multiplicité des Etats qu'elle comprend et de leur grande diversité sociale et économique.

En chiffres ronds, les divers groupes 'd'Etats ont au point de vue' de la population l'importance suivante : 1. Signataires du traité de paix 900 ou 1250 millions 2. Neutres invités à accéder 120 » 3. Puissances centrales, pour les territoires qu'elles ont gardés 100 » 4. Russie, dans ses limites d'autrefois, mais sa.ns la Pologne 160 » 5. Autres Etats non invités 18 » 6. Afghanistan et Abyssinie 13 »

621

L'admission de nouveaux membres, qu'il s'agisse d'Etats Conditions existants non mentionnés dans l'annexe du l'acte, ou d'Etats ^,,,,,,{tS?'

sion ultéqui se formeraient à l'avenir, est prononcée par les deux rieure.

tiers de l'Assemblée des délégués de tous les Etats sociétaires (art. I). C'est l'Assemblée qui se prononce sur la réalisation des conditions requises pour l'admission. Le règlement concernant les forces et armements de l'Etat qui veut devenir membre est établi par le Conseil (art. VIII). L'Assemblée est juge de la question de savoir si l'Etat qui demande son admission offre des « garanties effectives de son intention sincère d'observer ses engagements internationaux ».

Comme un petit nombre d'Etats seulement sont représentés au Conseil, les Etats admis ultérieurement n'auront naturellement, tout d'abord, pas de représentants. Toutefois la situation sera, à cet égard, assez singulière, s'il s'agit de puissances comme l'Allemagne et la Kussie qui, malgré les territoires qu'elles ont perdu et malgré l'ébranlement qu'elles ont subi, continuent à être parmi les Etats les plue importants soit à cause du chiffre de leur population, soi(; par suite de leur développement social et économique. Admettre ces Etats dans la Société, sans leur accorder une place au Conseil, · serait créer une situation qui, à la longue, deviendrait intenable. C'est pourquoi l'article IV prévoit qu'avec l'approbation de la majorité de l'Assemblée, le Conseil peut augmenter le nombre des membres représentés au Conseil d'une manière permanente ou temporaire. Il est vrai que, le Conseil devant prendre sa décision à l'unanimité, cette extension équitable pourra rencontrer des difficultés. L'insertion de cette disposition dans le texte définitif du Pacte démontre cependant qu'on a compris la nécessité d'un élargissement éventuel du Conseil.

, '·' Le fait que deux Etats voisins de notre pays, l'Allemagne et l'Autriche allemande, sont pour le moment exclus de la Société, malgré leur demande expresse d'y être admis, et le fait que l'Etat le plus peuplé d'Europe, la Kussie, reste aussi en dehors, sont de la plus grande importance pour la Suisse.

La décision d'entrer dans la Société est rendue d'autant plus délicate pour notre pays que, ses voisins du nord et de l'est en étant exclus, il se trouvera à la périphérie de la
Société, c'est-à-dire dans une situation en laquelle les garanties instituées par le Pacte pourront ne pas lui être assurées d'une manière absolument complète. L'exclusion de certains Etats

622

Rapports entre la Société et les Etats qui ne sont pas membres.

La Société doit être universelle.

et, pour la Suisse, spécialement l'exclusion d'Etats voisins, peut être dangereuse iaussi parce que, isolés politiquement, ces pays seront moins aptes à réagir contre la fermentation révolutionnaire. Cette .agitation s'en trouvera même favorisée.

L'article XVII du Pacte permet à la Société d'imposer l'observation de son statut (art. XII à XV) aux Etats qui ne sont pas sociétaires. La communauté internationale doit avoir le droit d'exiger de tous les Etats le recours à la procédure pacifique prévue pour le règlement des conflits. Ce système ne va pourtant pas eans inconvénients graves, d'autant plus que l'article XVII ne garantit pas un mode de règlement excluant toute apparence de partialité. D'un côté, en effet, le Pacte n'impose pas expressément aux membres de la Société l'obligation de suivre dans ce cas la procédure prescrite par les articles XII à XV. De l'autre, l'Etat qui n'est pas membre n'a pas le droit d'exiger que le différend soit jugé par un tribunal d'arbitrage à'la constitution duquel les deux parties prendraient une part égale, ou soit soumis à une instance du même genre. Il peut au contraire se voir contraint d'accepter la juridiction du Conseil ou de l'Assemblée, qui, composés de représentants des Etats associés à sa partie adverse, peuvent encourir le reproche de n'être pas suffisamment impartiaux. Le Conseil peut, iau surplus, apporter les modifications qui lui paraissent nécessaires aux dispositions applicables aux Etats membres. Le Pacte, qui lui donne ce pouvoir, ne dit ni dans quel sens, ni dans quelles limites ces modifications peuvent être ordonnées.

Il est dans l'intérêt non seulement des Etats qui ne font pas partie de la Société, mais aussi des Etats membres que la procédure de règlement pacifique soit appliquée aux Etats non sociétaires avec une entière impartialité. Sans cela, les dispositions de l'article XVI, relatives aux sanctions, pourraient mettre les Etats membres dans une situation délicate.

La Suisse neutre ne peut envisager qu'avec inquiétude l'éventualité d'un conflit de ce genre, et le fait même qu'une action collective de la Société pourrait être décidée dans ces conditions anormales est, pour notre pays, une raison essentielle de s'écarter le moins possible de la politique de neutralité qu'il a suivie jusqu'ici.

Des considérations d'un autre ordre
entrent aussi en ligne de compte pour la Suisse. Une série d'Etats sont momentanément exclus de la Société. Ce fait est de nature à créer une certaine opposition entre ces Etats et la Société,

623 d'autant plus que ces Etats sont d'anciens ennemis des membres les plus importants de la Société.

Il résulte cependant des déclarations contenues dans la réponse finale faite par les Alliés aux négociateurs allemands *) qu'en principe, la Société des nations doit être considérée comme ouverte à tous et que l'Allemagne peut espérer y être admise dans un avenir non éloigné. C'est aussi dans ce sens que des voix autorisées se sont fait entendre dans les pays alliés, notamment en Angleterre.

Nul ne conteste que, par destination, la Société des nations soit universelle. C'est ainsi qu'elle a été comprise non seulement en Suisse, mais aussi au loin, par la plupart de ceux qui, pendant la guerre, ont, officiellement ou à titre privé, préconisé la création d'une fédération de ce genre. L'universalité est exigée, d'ailleurs, par des raisons d'opportunité politique. Une Société des nations dont seraient exclus un ou plusieurs Etats qui, à cause de leur situation géographique ou par suite de leur activité économique, ont de l'importance pour les Etats membres, serait hors d'état d'assurer réellement le maintien de la paix.

L'exclusion crée des divergences et ces divergences provoquent des groupements hostiles. On irait ainsi à fin contraire du but qu'on s'est proposé : la paix fondée sur la solidarité des nations.

VI. La Société des nations et le traité de paix.

Les vingt-six articles du Pacte, avec l'annexe qui s'y Liaison extrouvé jointe, constituent le chapitre premier du traité de térieure du paix. Cette union formelle du C avenant et du traité de paix traité U s'explique par des considérations politiques. D'après les communications officielles faites, au cours des hostilités, sur les « buts de guerre », et d'après les déclarations faites au moment de la conclusion de l'armistice, une organisation internationale pacifique devait constituer la base de l'ordre de choses nouveau qu'aurait à établir le traité de paix. La paix devait non seulement mettre fin à la guerre en cours, mais empêcher le retour de la guerre. On attendait en outre de la Société .des nations qu'elle fournît la solution des problèmes non résolus par le traité et qu'elle instituât une organisation juridique internationale dans le sens des idées que le prési*) Annexes V, 19.

624

Significa^ne^feresde8 la liaison du Pacte et du traité de Paix>

'

Autres rapports.

dent Wilson a développées pour la première fois dans son message du 22 janvier 1917. La Société des nations devait encore recevoir la mission d'exécuter le traité de paix, comme une autorité placée en quelque sorte au-dessus des parties, partout où il n'était pas opportun de confier cette exécution aux Etats directement intéressés.

L'importance de la Société des nations pour toute l'oeuvre de la paix suffit à justifier l'union étroite du Pacte et du traité. Cette union, qui empêchait que l'un fût adopté sans l'autre par les belligérants, était peut-être une condition sine qua non de la création de la Société, Seul, le Pacte de la Société des nations n'eût peut-être pas été accepté par tous, faute de foi en l'idée nouvelle qu'il réalise et parce que, d'autre part, la Société des nations risquait de se heurter à l'opposition irréductible de beaucoup de gouvernements et de parlements qui n'eussent pu se résoudre à admettre l'atteinte qu'elle pouvait leur paraître porter à l'indépendance des Etats.

Pour les neutres, ainsi que nous l'avons déjà exposé, l'UI1ion du Pacte et du traité n'est pas sans inconvénients.

Non seulement elle a exclu toute participation officielle des neutres aux négociations, mais encore les Etats qui n'ont pas participé à la guerre ne peuvent pas, sans certaines hésitations, souscrire à une partie d'un traité dont le reste est destiné avant tout à liquider la guerre et que les vaincus considèrent comme leur ayant été imposé par la violence et comme trop dur à leur égard.

On doit cependant insister sur le fait qu'en entrant dans la Société des nations, les neutres ne deviennent nullement parties au traité de paix lui-même et ne déclarent en aucune manière en approuver ou en improuver les dispositions. Le 'Pacte de la Société des nations a son existence juridique propre, ainsi que le démontre le fait que tous les membres de la Société, même s'ils ont signé le traité de paix, ont en tout temps le droit de sortir de la Société, tandis qu'ils ne peuvent évidemment pas dénoncer le traité de paix.

Entre le traité de paix et le Pacte, il y a cependant des rapports qui ont plus de conséquence que la liaison formelle dont il vient d'être question.

Le traité de paix conclu avec l'Allemagne*) renvoie fréquemment au Pacte de la Société des nations et, inversement.

*) Annexes Y, 18.

625

ce dernier se réfère sur deux points au traité de paix. C'est ainsi que le traité modifie dans certains cas (art. 50, § 40; art 213; art. 280) les dispositions du Pacte relatives aux majorités requises pour les décisions des organes de la 'Société. D'autre part, c'est l'article XXII du Pacte qui fixe le régime applicable aux colonies allemandes et à certaines communautés qui appartenaient 'autrefois à l'empire ottoman. Comme tous les Etats membres de la Société jouissent, en matière de commerce, de l'égalité de traitement dans certains territoires coloniaux, les membres qui n'ont pas pris part à la guerre acquièrent par là, indirectement, un certain avantage au détriment de l'Etat cédant.

Les articles du traité de paix qui se réfèrent au Pacte n'ont, du moins pour la plupart, rien qui semble pouvoir donner lieu à des difficultés en ce qui concerne la neutralité.

Abstraction faite de la partie XIII (art. 387 à 426) qui a trait à la législation internationale du travail (cf. ci-après p. 84 et s.), il convient de citer ici les dispositions chargeant la Société des nations de statuer sur les litiges relatifs à certaines voies de communication internationales : maintien de la navigabilité de l'Elbe, de l'Oder, du Niémen, du Danube (art. 336 à 338); constitution d'une commission internationale pour le Niémen (art. 342); disposition générale concernant la compétence de la Société en ce qui touche au règlement des différends relatifs aux communications, en particulier par la voie du Rhin (art. 376); libre navigation sur le canal de Kiel (art. 386). A teneur de l'article 98, la Société des nations établira, à défaut d'accord entre les parties, les termes d'une convention relative aux communications entre la Prusse orientale et le reste de l'Allemagne et entre la Pologne et Dantzig.

Du point de vue de la neutralité, quelques objections pourraient en revanche être formulées au sujet du fait que la Société des nations est directement chargée de l'exécution de certaines parties du traité de paix. La Société assume par exemple pendant 15 ans, comme fidéi-commissaire, le gouvernement de la Sarre. Dans ce but, le Conseil nomme une commission de gouvernement. La Société est chargée aussi d'organiser le plébiscite destiné à décider de la souveraineté sous laquelle ce territoire sera placé au bout de 15 ans et,
sur la base de ce plébiscite, de statuer sur l'attribution de ce territoire (art. 48 et 49, et annexe à ces articles, §§ 16 à 30, 35 à 40). *) *) La Société aura également à statuer sur le résultat de la consultation populaire qui doit avoir lieu au sujet des territoires à céder à la Belgique en vertu de l'art. 34 du traité.

626

La Société aura un droit de protection sur la ville libre de Dantzig, où elle installera un haut-commissaire ('arti 102 et 103).

L'article 80 donne à la Société un droit d'intervention de nature purement politique à l'égard de l'Autriche allé- · mande. L'indépendance de cet Etat est déclarée inaliénable, si ce n'est du consentement du Conseil de la Société. Il s'agit manifestement, dans cet article, du rattachement à l'Allemagne.

La Société des nations a encore diverses compétences, qui entraînent pour l'Allemagne des obligations spéciales et qui donnent aux Etats intéressés la possibilité de sauvegarder unilatéralement leurs intérêts par l'intermédiaire de la Société : art. 213 (constitution de commissions d'enquête par le Conseil, pour des investigations d'ordre militaire); art. 280 (prolongation par le Conseil de la validité des avantages économiques conférés aux puissances alliées et associées par les articles 264--272 et 276). Le Conseil peut également, en vertu de l'article 378, prolonger la durée des privilèges accordés aux puissances alliées et associées, sans réciprocité, en ce qui concerne les voies de communication.

L'article 304 charge le Conseil de constituer, à défaut d'accord entre les .parties, les tribunaux arbitraux qui doivent statuer sur les litiges auxquels -donnerait lieu l'application des articles 296--303 et 306--311*). Enfin l'article 289 érige la Société des nations en juge de la question de savoir quels sont les traités conclus antérieurement avec l'Allemagne qui doivent être remis en vigueur.

Le traité de pais ne confère cependant nullement à la Société des nations un mandat général d'exécuter ses dispositions et il ne la charge pas de statuer sur tous les différends auxquels l'application du traité peut donner naissance. Dans la plupart des cas, ce sont les intéressés euxmêmes, c'est-à-dire les Etats alliés et associés -- et parmi eux spécialement les grandes puissances -- qui ont à assurer l'exécution du traité de paix.

La possibilité, pour la Société des natioivs, de prendra des décisions au sujet de l'application et même de l'extension du traité de paix n'est guère compatible avec l'attitude de stricte neutralité qu'elle conserve à l'égard des situations acquises auxquelles elle n'a pas touché, ceci surtout tant que l'Allemagne comme partie intéressée ne sera pas, elle aussi, équitablement représentée dans la Société.

*) Voir aussi art. 312, Annexes V, 18.

627

La Société des nations fera-t-elle usage de ses pouvoirs de manière à détendre la situation créée par le traité entre les parties contractantes ? Cela est incertain, mais il faut l'espérer. En tous cas, rester à l'écart ne serait certainement pas pour les neutres un moyen d'aider la Société des nations à dépouiller peu à peu son caractère d'association fondée unilatéralement par un parti belligérant, celui des puissances alliées et associées. Parmi ceux qui critiquent le plus vivement la liaison du Pacte et du traité de paix, certains oublient peut-être que, sans la Société des nations, des solutions eussent pu prévaloir dans le traité qui leur eussent paru beaucoup moins acceptables encore.

Ce n'est pas ici le Heu de rechercher quelles répercussions de fait et de droit le traité de paix pourra avoir sur les relations internationales de la Suisse. Nous devons nous borner à constater qu'en principe, le traité ne saurait créer d'obligations à la charge de la Suisse, pour laquelle il est res inter alios acte. L'accession de la Suisse à la Société des nations ne peut en rien modifier cette situation.

TU. L'importance militaire de la Société des nations pour la Suisse.

A -un 'double point de vue, le Pacte peut influer sur la: Importance du Pacte au situation militaire de la Suisse. D'une part, à teneur de l'ar- point de vue ticle VIII, la Société doit fixer une limite aux armements militaire de ses membres. De l'autre, en cas d'application de l'article XVI, la solidarité entre les Etats sociétaires peut imposer à chacun d'eux des obligations pouvant avoir une répercussion militaire.

Abstraction faite de ces dispositions du Pacte qui, à ce point de vue, ont une importance immédiate, le fait, p ouiun Etat, d'être membre de la Société des nations, est det nature à influer sur sa situation politique et, par là même, indirectement sur sa situation militaire. Les Etats non sociétaires, eux aussi, devront nécessairement tenir compte du fait nouveau que constitue la Société des nations et, en conséquence, se plier à une orientation nouvelle, peut-être aussi dans le domaine de la défense nationale.

Etant donné l'importance de la question, le Conseil fédéral Rapports de a chargé son Département militaire d'étudier la portée que la Commisla peut avoir, au point de vue militaire, l'accession de la Suisse sion de naà la Société des nations. Ce département a lui-même soumis la défense tionale.

question à la Commission de la défense nationale, qui s'en

628

est occupée au cours de plusieurs séances. Cette Commission a renoncé à présenter à ce sujet un rapport unique, ses membres différant d'opinion sur plusieurs des points les plus importants. Elle a formulé deux avis contraires. L'un de ses rapports conclut nettement au maintien absolu de la neutralité dans tous les cas et soutient l'opinion que l'entrée de la Suisse dans la Société des nations serait dangereuse pour sa sécurité et son indépendance. D'après l'autre, au contraire, la Suisse doit accéder à la Société des nations, les inconvénients qui peuvent en résulter n'étant pas d'une importance décisive.

Le Conseil fédéral croit de son devoir de faire connaître ici les objections opposées, du point de vue militaire, à l'adhésion de la Suisse à la Société des nations. Il convient toutefois, à cet égard, de remarquer ce qui suit: la question de savoir quels risques l'accession à la Société peut faire courir à notre pays, en cas de conflits tels que ceux qu'entraînerait, notamment, l'application de l'article XVI du Pacte, ne peut guère être considérée comme un problème purement militaire, qu'on puisse résoudre en partant de situations politiques ou stratégiques plus ou moins probables. Ce qui est déterminant au point de vue du. jugement à émettre à cet égard, c'est plutôt et avant tout la question de savoir si l'on peut tenir pour probable que la Société restera politiquement unie et qu'en cas de conflit entraînant son intervention, elle ne trouvera pas en face d'elle un groupement de puissances ayant des chances de pouvoir lui tenir tête. Or ceci est un problème d'ordre essentiellement politique. Il en est de même de la question de savoir quelles sont les perspectives de guerre que peut engendrer la situation créée par le traité de paix et quello est la confianco que l'on peut avoir dans l'efficacité de l'organisation institués par le Pacte pour assurer le maintien de la paix. Il va d'ailleurs sans dire qu'on doit tenir compte non seulement de la situation actuelle et de la supposition que la Société des nations se développera d'une manière satisfaisante, mais aussi du fait qu'avec le temps, un nouvel équilibre des forces peut s'établir qui serait de nature à paralyser plus ou moins complètement son action au moment critique.

La question II y a longtemps que la réduction des armements est rede la
limita- clamée par les pacifistes. La réaliser devait être la tâche armements essentielle de la première Conférence de La Haye. Une autre tentative, beaucoup moins hardie, fut faite dans ce sens .à la seconde. Elle échoua également et la course aux armements continua de plus belle. Il était donc naturel qu'au cours de la guerre qui vient de prendre fin,

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l'idèo d'une limitation des armements nationaux et même celle de la substitution d'une armée internationale aux armées nationales fussent reprises par ceux qui voulaient travailler à l'établissement d'une paix durable. Le programme wilsonien des quatorze points exige, lui aussi, que la force armée de chaque Etat soit réduite au minimum compatible avec les exigences du maintien de sa sécurité intérieure.

Les articles VIII et IX du Pacte ne réalisent ce postulat L'article que d'une manière très imparfaite. Le Pacte se borne à re- nûtationde^ connaître que le maintien de la paix exige la réduction des armements, armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l'exécution des obligations internationales imposée par une action commune. Il combine ainsi les deux idées, en partie contradictoires, des pacifistes: d'une part, les armées nationales doivent être réduites aux proportions d'une simple force de police; d'autre part, réunies, elles doivent permettre de constituer une force internationale écrasante capable d'empêcher le retour de la guerre.

Le point faible de l'article VIII, c'est qu'il permet au Conseil de faire seulement des « recommandations » aux Etats sociétaires touchant la limitation de leurs armements. Les Gouvernements sont absolument libres d'y donner suite, ou non. S'ils s'y conforment, les limites fixées par le Conseil ne peuvent plus être dépassées sans son assentiment.

Le plan des armements doit être soumis tous les dix ans, au moins, à un nouvel examen. Si un remaniement est décidé, les Etats sociétaires sont libres de l'accepter ou de le refuser.

Ces dispositions du Pacte reviennent à dire que les armements feront l'objet de négociations internationales. Ce qui permet d'admettre la possibilité de résultats positifs, c'est notamment, abstraction faite des raisons qui résulteront des nécessités de la politique intérieure ou de l'état des finances des idirers pays, la réduction très forte que le traité de paix itapose aux armements de l'Allemagne. Cette limitation est évidemment de nature à faciliter des mesures analogues aussi dans d'autres Etats. La réponse des Alliés aux contre-propositions .allemandes *) montre aussi que les dispositions concernant l'armée et la flotte allemandes constituent en quelque mesure le point fixe qui pourra servir de base à la fixation du niveau des armements.

*) Annexes V, 19.

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Fabrication Les dispositions du Pacte concernant le contrôle ou l'étaprivée des tisation de l'industrie privée des armements sont encore plus dvT'màtérie'l nettement dépourvues de force obligatoire. Il s'agit là d'une de guerre, exigence formulée depuis longtemps, à cause des rapports dont on présume l'existence entre les capitalistes intéressés à cette industrie et une partie de la presse ou certains milieux politiques. L'article VIII se borne à charger le Conseil d'aviser aux moyens de parer à ce danger. Aucune autre compétence n'est donnée à cet égard aux organes de la Société.

Echange de Les Etats membres de la Société s'engagent à échanger, renseigne- de la manière la plus franche et la plus complète, tous renments.

seignements relatifs à l'échelle de leurs armements, à leurs programmes militaires et navals et à la condition de celles de leurs industries qui sont susceptibles d'être utilisées pour la guerre. Des propositions ont été faites qui visaient à conférer à la Société des nations, dans ce domaine, un droit d'enquête. Ces propositions n'ont pas prévalu, les Gouvernements n'ayant pu se résoudre à accepter un tel contrôle et peut-être aussi parce que les inventions les plus importantes et les plus dangereuses peuvent être tenues secrètes. Ce n'est qu'à l'égard de l'Allemagne qu'un droit de contrôle de ce genre est prévu (article 213 du traité de paix du 28 jtoin 1918 *)· Importance Les dispositions du Pacte concernant les armements ^n'intédel'art.VIII ressent les Etats non sociétaires qu'au point de vue suivant: Estate" no s* ^'un î^6 CS -E^te sollicite son admission dans la Société sociétaires. ^es nations, il est, à la différence des Etats qui en sont membres originaires, tenu d'accepter en ce qui concerne ses forces et armements militaires et navals, le règlement que le Conseil estimera devoir lui imposer en tenant compte de sa situation particulière et du plan général. D'autre part, on doit s'attendre à ce que la Société des nations ne reste pas indifférente à l'égard des armements des Etats non sociétaires. Il est probable qu'elle usera de son influence pour éviter que le programme des armements établi pour ses membres ne soit compromis par d'autres Etats.

L'exactitude de cette manière de voir semble être confirmée par la substitution, dans le texte définitif de l'article VIII,
al. 2, du mot « Etat » à l'expression « Etat membre ».

Importance La Commission de la défense nationale a été unanime à de la Société déclarer que le souci de notre neutralité, que nous entrions en ce qui dans la Société des nations ou que nous restions en. dehors, concerne exige en tout cas une armée forte et prête. Seule une neul'armée tralité armée peut compter sur le respect. Elle seulo est de suisse.

*) Annexes V, 18.

631

nature à assurer à la Suisse la considération et l'influence qu'elle doit ambitionner dans 'la Société des nations. La Commission de la défense nationale voit, pour notre pays, le danger essentiel, dans le fait qu'une fois entré dans la Société, notre peuple pourrait se bercer d'un sentiment exagéré de sécurité et perdre ainsi de vue les devoirs que lui imposent les exigences de notre défense nationale. Quelle que puisse être la, sécurité que la Société des nations sera en mesurel de procurer à ses membres, quelle que soit, d'une manière générale, la mesure dans laquelle elle pourra vraiment assurer la paix du monde, il est certain qu'un Etat qui veut' être, en tout cas, capable de maintenir sa neutralité, doit pouvoir défendre lui-même l'inviolabilité de son territoire et donner aux belligérants la conviction qu'il en a les moyens.

Même en cas d'action collective et vis-à-vis de la Société des nations elle-même, la Suisse devra maintenir d'une manière absolue le principe d'après lequel c'est à elle seule °de décider si elle entend demander l'aide d'autres Etats contre celui des belligérants qui viendrait à l'attaquer. Peu importerait à cet égard qu'il s'agît d'une violation de notre neutralité au cours d'une guerre entre nos voisins, ou de l'aide que nous pourrions avoir à demander, soit en vertu de l'Acte de 1815, soit en invoquant l'article X du Pacte, au cas où un conflit entre la Suisse elle-même et un autre Etat mettrait en danger notre intégrité territoriale. La Suisse neutre ne pourrait pas admettre qu'à titre préventif et pour la protéger, la Société des nations prît de son propre chef des mesures quelconques sur son territoire'. ' D'autre part, si nous nous refusons tant à prendre une part active aux entreprises militaires de la Société ou à autoriser des troupes d'exécution à traverser notre territoire, qu'à permettre à la Société d'intervenir à titre préventif pour nous protéger, la Société des nations doit avoir du moinsi la certitude que notre neutralité sera réellement maintenue et qu'elle ne sera pas, pour elle, une eause indirecte de danger.

Les sacrifices particuliers que nous aurons à faire pour être à même d'assurer, autant que possible, par nos propres moyens, la défense de notre territoire, seront plus que compensés par le fait que nous pourrons ainsi maintenir notre neutralité
et que nous serons moins exposés à voir notre pays devenir le théâtre de la guerre. Pour la Suisse, comme pour les autres Etats, la mesure des armements nécessaires est déterminée par les armements îd'autrui. La réduction considérable Feuille fédérale suisse. 1\" année. Vol. IV.

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32

La neutralité de la Suisse ^"société"6 des nations àl'égarddes ^xe|res to~ le Pa&Ue'

des forces militaires de l'Allemagne permet d'anticiper une limitation générale des armements. Ce qui peut la faciliter aussi, c'est une détente générale de la situation politique, un affermissement de la sécurité générale. Ce résultat, la Société des mations vise à l'atteindre. Mais c'est l'avenir qui montrera si elle l'atteint réellement. Ce qui fait la difficulté de tout le problème, c'est que la limitation des armements et la consolidation de la paix générale sont la condition l'une de l'autre et que, par conséquent, pour que le but puisse être atteint, elles doivent marcher de pair.

A la question de savoir si, au cas où la Suisse n'entrerait que plus tard dans la Société des nations, elle courrait le risque de se voir imposer une réduction de ses forces militaires compromettant sa sécurité, on peut répondre par la négative. Car il importera à la Société des nations elle-menu» que la Suisse, puisqu'elle veut reste* neutre, soit capable de défendre sa neutralité. Son intérêt coïncide avec le nôtre.

Pour ces mêmes raisons, il n'y a pas lieu de craindre que, si la Suisse accède à la Société des nations comme membre originaire, le Conseil ne lui propose une réduction dangereuse de ses forces militaires. Il est également hors de prévision que la Société des nations puisse nous imposer des armements excessifs. Les compétences conférées au Conseil par l'article VIII du Pacte ne visent que la limitation des armements.

Dans la partie du présent Message qui traite de la neutralité, nous avons rappelé la distinction faite par le Pacte entre les guerres tolérées et celles qui donnent lieu à une ac ti°n collective, au sens de l'art. XVI (cf. ci-dessus, p. 35).

Dans les guerres tolérées, la neutralité reste, en fait et en droit, donc aussi au point de vue militaire, ce qu'elle a été jusqu'ici. Les partisans du statu quo absolu croient cependant Devoir exprimer la crainte que, même dans ce cas, la valeur de notre neutralité et la confiance qu'elle inspire ne soient plus les mêmes si elle cesse d'avoir en tout état de cause un caractère immuable et indiscutable.

En cas de guerre ne donnant pas lieu à l'application de l'article XVI, mais dont la Société des nations pourrait avoir à s'occuper en vertu des articles X, XI, XIII, et} XVII, alinéa 4, la neutralité subsiste sans changement, ainsi que nous l'avons
exposé plus haut (page 36). Si. à rencontre de l'opinion soutenue dans le présent Message, notre politique de neutralité devait se modifier dans tous les cas où la So-

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ciéfcé des nations comme telle intervient à l'égard de conflits armés, la probabilité du risque qui, pour nous, est lié à une politique différentielle, deviendrait évidemment plus grande.

Mais cela n'engendrerait pas une situation militaire spéciale.

Au point de vue de la défense nationale, la question la iplus importante que nous ayons à noue poser est la suivante. Quelles chances notre neutralité a-t-elle d'être respectée si la Suisse, se bornant à observer une neutralité militaire stricte, donne à sa politique de neutralité une orientation nouvelle en se solidarisant avec la Société des nations, notamment au point de vue économique ? En d'autres termes : quelle est, pour les belligérants, la valeur d'une neutralité purement militaire de la Suisse et, inversement, quelle est pour la Suisse la valeur d'une neutralité absolue dans tous les domaines?

On doit à cet égard' ; remarquer tout d'abord que la peu traute militaire, tout au moins en ce qui concerne ses manifestations essentielles, doit être stricte. Au point de vue militaire, nous ne pouvons qu'observer une neutralité absolue, soutenue par des forces suffisantes, et de nature à inspirer ·confiance aux deux partis belligérants. Toute autre attitude serait déloyale et dangereuse. La reconnaissance de notre neutralité oblige les belligérants à respecter l'inviolabilité d© notre territoire.

Elle oblige en même temps la Suisse à ne permettre, suri son, territoire, aucun acte pouvant constituer une immixtion dans les opérations militaires. Il ne saurait être question d'une participation de troupes suisses à ces opérations. La neutralité exclut aussi, en droit comme au point de vue militaire, tout passage de troupes belligérantes à travers l'Etat neutre.

En vertu de cette même règle, il serait inadmissible de ne pas interner des troupes de l'armée d'exécution qui se seraient réfugiées sur territoire suisse, et de les laisser retourner sur le théâtre des opérations.

On a fait remarquer de divers côtés qu'une laction collective de la Société des nations, telle que la prévoit l'article XVI, est tojut à fait improbable tant que l'Etat ou les Etats en rupture de Pacte n'auront pas la perspective de pouvoir tenir tête à lai Société. En cas d'action collective, on ne devrait donc pas s'attendre à ce que le conflit ®e produisît entre un Etait;
rebelle et une Société des nations disposait d'une supériorité marquée. a,u triple point de vue politique, économique et militaire. L'Etat neutre se troluverait au contraire en présence de deux partis belligérants de forces à peu près égales.

La neutralité de la Suisse membre de la Société des nations à l'égard des actions collectives.

634

Valeur tralité sfìe's deux partis belligérants sont .traités remment

Ce raisonnement est fondé. Mais il démontre précisément que dans tous les autres cas, c'est-à-dire en ce qui concerne la plupart des conflits, la Société des nations atteindra son but, en d'autres termes que l'article XII du Pacte sera observé. Car, comme toute règle de droit, l'article XVI vise avant tout à agir préventivement, à détourner des guerres injustifiables, et ceci par la puissance et le caractère général des mesures de répression qu'il prévoit. Or, ce résultat pourra être atteint d'autant plus sûrement que la Société des nations sera en mesure d'opposer à l'Etat en rupture de pacte une résistance plus cohérente et plus universelle.

C'est pourquoi la Société des nations a intérêt à ce que le plus grand nombre possible d'Etats participent aux sanctions économiques.

On peut évidemment concevoir que la Société des nations ait à entreprendre une action collective dans des conditions très défavorables pour elle et, en particulier, pour certains de ses membres. .Cela serait le cas, si plusieurs Etats puissants unissaient leurs forces pour résister à la Société et surtout si des dissensions intérieures parmi les autres Etats compromettaient une action commune. Cependant, ce danger se trouve très sensiblement diminué par l'unanimité requise par l'art. XV., al. 6, et cela pour les situations les plus délicates. On pourrait aussi imaginer une situation politique et militaire telle que la Suisse fût, tout d'abord, à proximité de deux partis belligérants de force à peu près égale et que ce ne fût qu'après quelque temps que la Société des nations fût en mesure d'imposer sa supériorité militaire et économique.

Il est clair qu'une quantité de situations intermédiaires sont possibles entre le cas où la Société des nations se trouverait eu face d'un seul Etat rebelle et le cas d'une scission en deux groupements de force à peu près égaie. Moins sera marquée la supériorité initiale de la Société, spécialement sur les théâtres de la guerre voisins de la Suisse, plus facilement l'Etat ou les Etats en rupture de pacte se décideront à violer notre neutralité, surtout si notre politique est de nature à favoriser la Société des nations.

On trouvera ci-après les principales raisons pour les1ue^es une neutralité exclusivement militaire a peu, ou même, de l'avis de quelques-uns, n'a pas de chances d'être respectée.
L'Etat auquel la politique de neutralité différentielle causera un préjudice fera valoir qu'une telle neutralité n'en est pas une et qu'il n'a donc pas à ménager l'Etat prétendu

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neutre. Le prestige que la neutralité suisse doit à son passé et au caractère absolu qu'elle a eu jusqu'ici s'évanouirait,1 si ce principe devait être atténué ou diminué d'une manière quelconque .au profit de la Société des nations. Les armes économiques, ajoute-t-on, peuvent être les plus redoutables.

La dernière guerre l'a montré. Celui qui les emploiera contre un belligérant sera considéré par lui comme un ennemi et traité en conséquence. La rupture des relations personnelles viendra encore aggraver sensiblement la tension produite par le blocus économique.

Le poids de ces raisons ne doit pas être méconnu. On peut cependant y opposer ce qui suit : Contester la neutralité réelle d'un Etat qui ne tiendrait pas la balance égale entre les deux partis belligérants ne peut être, pour l'un d'eux, qu'un prétexte, peut-être favorable, ou un moyen de justifier une violation projetée de la neutralité. En réalité, une politique différentielle ne sera presque jamais, à elle seule, une cause de guerre. La décision d'attaquer l'Etat neutre ne saurait être dictée que par des intérêts militaires ou peut-être économiques. Si des raisons de oe genre existent, ou si l'on croit à leur existence, le belligérant résolu à violer la neutralité saura trouver, même si elle est observée d'une manière absolue et générale, un prétexte dans telle mesure prise par son adversaire, qu'il déclarera menaçante pour lui-même. Les hostilités peuvent être facilitées et justifiées par des motifs plus ou moins plausibles. Mais, abstraction faite des cas où il s'agit d'une pure politique de prestige, ces motifs n'en seront pas la cause déterminante. A l'avantage escompté s'opposeront toujours des désavantages. Tout d'abord le fait que certaines forces devront être employées à vaincre la résistance de l'Etat neutre, ensuite les mesures militaires que la violation de la neutralité provoquera à coup sûr de la part de la Société des nations. Vis-à-vis d'un Etat en rupture de pacte pour lequel les considérations militaires seront sans doute décisives, notre propre force militaire sera la meilleure sauvegarde de notre neutralité. Et ce qu'une neutralité différentielle peut perdre de sa valeur vis-à-vis de cet Etat, elle le regagnera du côté de la Société des nations.

Que dans les guerres où les neutres sont en petit nombre et de faible
importance et où l'un des partis belligérants a peine à se suffire à lui-même, les mesures économiques puissent être d'une importance capitale et même décisive, cela

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est certain. Mais si les Etats de la Société des nations appliquent rigoureusement l'article XVI du Pacte, la Suisse est incapable de fournir au point de vue économique un appoint appréciable. L'attitude adoptée par elle à cet égard n'entre donc matériellement pas en ligne de compte. Quant aux avantages économiques que pourrait procurer l'occupation de la Suisse, ils seraient loin de compenser les risques généraux d'ordre politique et militaire qu'un tel acte de violence ferait courir à son auteur. Au surplus, à l'égard d'un grand pays, même si le blocus est hermétique, ce n'est qu'au bout d'un temps plus ou moins long qu'il peut faire sentir ses effets.

Caractère Ce >qui, en réalité, est l'essentiel pour les belligérants, parce stable de^ la que cela seul est de nature soit à lavoir une influence directe sur leurs opérations soit à subir leur influence, c'est l'attitude militaire qu'adopté l'Etat neutre. Ce qui importe à chacun des belligérants, c'est que le neutre ne prenne pas part aux entreprises militaires du parti adverse et qu'il empêche que des opérations dirigées contre lui-même ne soient directement facilitées, préparées ou exécutées sur territoire neutre. La principale condition du respect de la neutralité par les belligérants semble être le fait que ces derniers puissent compter, au point de vue militaire, sur une conduite déterminée d'avance et invariable de l'Etat neutre, et cela en tout temps. L'attitude du neutre dans d'autres domaines qui peuvent toucher à la neutralité (enrôlement de volontaires, livraison de matériel de guerre par l'industrie privée, utilisation d'installations servant à la transmission des nouvelles) n'a, par contre, qu'une importance relativement secondaire. A cet égard, du reste, le neutre pourra d'une manière générale s'en tenir au droit de la neutralité, tel qu'il existe actuellement, sans pour cela favoriser l'Etat rebelle au détriment de la Société des nations.

Même si l'on n'attribuait pas grande valeur, du point de vue politique et militaire, à une neutralité pouvant être différentielle, on devrait cependant reconnaître qu'une telle neutralité peut, à cause de son caractère stable et déterminé, avoir une certaine importance pour celui des belligérants au préjudice duquel les différences sont faites. Cela sera vrai surtout au début de la guerre, lorsque
les parties, qui ont à compter avec tant d'inconnues, sont disposées à reconnaître la neutralité telle qu'elle leur est offerte. Il est vrai que cette manière de voir est expressément combattue par l'un des rapports de la Commission de la défense nationale. Mais cela ne suffit pas à écarter le fait qu'une politique de neutralité différentielle n'est pas une question d'opportunité

O 637

politique, que les conditions auxquelles elle serait observée sont connues d'avance et fixées par traité, et que ce fait sera de nature à démontrer aux belligérante que l'inégalité'de traitement éventuellement établie entre eux par l'Etat neutre ne peut pas être considérée comme une mesure devant conduire à la guerre. Les belligérants devront reconnaître au contraire à cette politique un caractère de fixité analogue à celui de la neutralité militaire elle-même. L'invariabilité de l'attitude adoptée par la Suisse à leur égard leur sera garantie non seulement par tout son passé, mais par son intérêt évident à ne pas entrer dans une guerre où elle aurait tout à perdre.

Quant au danger de voir notre neutralité violée par la Société des nations elle-même, il n'est pas grand, pour deux raisons. D'une part une atteinte au droit aussi odieuse ne pourrait que causer un tort moral grave à la Société dea nations qui représente l'idée même du droit. D'autre part, on ne peut guère concevoir que la Société puisse se trouver dans une situation militaire si désespérée qu'elle doive songer à une violation de neutralité. Risquons-nous peut-être, au contraire, de voir la Société des nations nous imposer son aide 1 A cet égard, une bonne armée est ' notre meilleure sauvegarde.

Quant à l'intérêt que la Suisse peut avoir à maintenir dans tous les cas une neutralité absolue et inconditionnée, il sera le plus grand, d'après celui des rapports de la Commission de la défense nationale qui conclut au refus d'adhérer, quand l'intérêt militaire que l'un des partis belligérants peut avoir au maintien de notre neutralité sera lui-même le plus faible, c'est-à-dire quand ce belligérant sera beaucoup plus fort que l'autre et que, en même temps, la politique de neutralité différentielle sera dirigée contre lui. Si c'est la Société des nations qui a la supériorité des forces, une politique qui lui est favorable ne constitue pas pour nous un danger spécial. Si, par contre, c'est l'Etat rebelle qui est le plus puissant, les bases mêmes de la Société des nations seront ébranlées et elle aura alors évidemment intérêt à permettre au neutre d'adopter une attitude lui donnant le plus possible de chances de faire respecter sa neutralité.

Le même rapport de la Commission de la défense nationale fait ressortir que l'honneur de la Suisse
aurait nécessairement à souffrir du fait que notre pays, tout en participant aux sanctions économiques prévues par l'article XVI, se refuserait à prendre une part quelconque aux mesures

Intérêt de la Suisse à une neutralité inconditionnée.

Le point de vue moral.

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Siège de la Société des nations et neutralité suisseencas de guerre tolérée.

En cas d'action collective au sens del'artXVI.

militaires destinées à défendre le droit qui aurait été violé.

Nous avons déjà exposé plus haut (p. 28 et s.), en indiquant les raisons qui justifient le maintien de notre neutralité, que la Suisse ne prétend nullement qu'on lui accorde un privilège injustifié, mais demande simplement une équitable répartition des risques. La plupart des membres de la Société des nations ne participeront pas aux mesures militaires prévues à l'article XVI, alinéa 2, et ne seront pas non plus invités à autoriser les' troupes d'exécution à traverser leur territoire. Ils seront donc dans une situation analogue à celle d'un Etat neutre se bornant à prendre part aux sanctions économiques. D'un autre côté, l'Etat neutre sera, autant que les autres pays, atteint par les mesures de rétorsion que pourra prendre l'Etat rebelle. On ne peut donc pas dire qu'il y ait disproportion choquante entre les avantages auxquels il prétend et les risques qu'il doit courir.

On peut se demander, au contraire, si l'honneur do la Suisse et de ses citoyens n'aurait pas précisément à souffrir au cas où, dans un conflit entre la Société des nations! gardienne de la paix et du droit et un Etat qui chercherait à s'assurer un avantage par une agression illicite, la Suisse voulait à tout prix tenir la balance égale entre les deux partis aux prises.

Le fait que le siège de la Société est établi en Suisse est important à divers égards au point de vue militaire. Co fait est de nature à assurer à notre pays une protection renforcés au cas d'une guerre à laquelle la Société ne prendrait aucune part et pendant laquelle la Suisse observerait vis-à-vis des deux belligérants une attitude absolument identique. La violation de notre neutralité serait une transgression de l'article XII et mobiliserait la Société contre notre agresseur.

On peut admettre aussi qu'en pareil cas, l'action militaire prévue à l'art. XVI, alinéa 2, se produirait immédiatement et dans une large mesure, surtout de la part des Etats qui ont garanti l'inviolabilité de notre territoire. La Société des nations elle-même aurait tout intérêt à nous défendre, la violation de notre territoire étant une menace dirigée contre elle.

Beaucoup moins favorable est la situation en cas de guerre donnant lieu à une intervention de la Société. Tout d'abord, ce n'est pas la violation de notre neutralité
qui provoquerait l'action de la Société, puisque cette action serait déjà en cours. Il serait cependant possible que, dans ce cas, un plus grand nombre d'Etats participassent à l'action mili-

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taire commune. Mais, d'autre part, le fait que le siège est fixé en Suisse pourrait donner lieu à des complications au point de vue de la neutralité et, à cet égard, être une source de danger. II. pourrait arriver que le commandement suprême des troupes d'exécution mobilisées en vertu de l'art. XVI, al. 2, se trouvât momentanément au siège de la Société, c'est-à-dire à son centre politique. La présence sur notre territoire d'un certain nombre d'officiers supérieurs ne pourrait sans doute pas être assimilée par l'autre belligérant à la présence de troupes pour lui menaçantes. Gar ces officier", qui ne séjourneraient pas au siège de la Société pour bénéficier, comme d'un avantage spécial, de la protection du territoire neutre, pourraient, suivant la situation militaire, se transporter dans tel ou tel autre Etat. Il n'en est pas moins vrai que leur séjour sur notre territoire ne serait guère compatible avec notre neutralité.

Le service des nouvelles donnerait lieu, peut-être, à d'autres difficultés. Il va de soi que l'Etat qui abrite le siège de la Société ne peut pas interdire, restreindre, ou censurer, même en cas d'action collective au sens de l'article XVI, les communications par une voie quelconque entre les organes de la Société et l'étranger. Tant que le parti adverse sera mis au bénéfice du même traitement, il n'y aurait, à teneur des articlefo 8 eit 9 de la 5e Convention de La Haye,, aucune difficulté. A teneur de l'article 3 de la même Convention, la neu.tralité ne serait pas non plus atteinte par l'existence sur notre territoire d'une station de télégraphie sans fil ou par fil de la Société des nations, à la condition qu'elle n'ait pas été installée pendant la guerre et qu'elle serve aussi aux communications publiques. Toutefois, comme un traitement rigoureusement égal des deux partis belligérants pourrait favoriser en réalité l'Etat en rupture de pacte, il serait possible qu'un conflit se produisît entre les exigences de notre neutralité et nos devoirs vis-à-vis de la Société des nations.

On pourrait craindre enfin que l'adversaire de la Société n'attaquât précisément son siège, soit pour désorganiser son centre, soit peut-être aussi pour porter un coup au prestige de la Société en contraignant ses organes à évacuer leur résidence. Les progrès de l'aviation augmentent fortement la
possibilité d'une attaque de ce genre.

Dans ces cas-là, tout au moins si l'Etat en rupture de pacte n'est pas très éloigné de nous, le fait d'avoir le siège dans notre pays peut constituer un certain danger et il peut

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être un obstacle à l'observation stricte des dispositions de la 5e Convention de La Haye.

La neuSi nous restions en dehors de la Société et si -- conséquence tralité de la probable -- le siège était transporté dans un autre pays, la Suisse urra dehor^de'îa P° it suivre en principe la politique de neutralité qui u Société. l i paraîtrait répondre le mieux aux exigences d'une neutralité absolue- C'est là, de l'avis de ceux qui voient dans une' neutralité inconditionnée la plus sûre sauvegarde de notre sécurité et de notre indépendance, l'avantage principal du refus d'entrer dans la Société des nations. Ils admettent en fait que l'application de l'article XVI pourrait contraindre la Suisse à se joindre plus ou moins complètement aux mesures économiques de la Société des nations, ceci uniquement pour pouvoir vivre. Mais ils considèrent l'inégalité de traitement qu'elle serait alors forcée d'établir entre les deux belligérants comme une atteinte infiniment moins grave au principe de la neutralité que ne le serait une politique volontairement favorable à la Société des nations. Cela diminuerait considérablement, selon eux, les risques d'une violation de notre neutralité.

Il est vrai qu'en pareil cas, le danger d'une violation de notre neutralité par la Société ne serait pas plus grand que si nous en faisions partie, les raisons contraires, morales et militaires, étant alors les mêmes que si nous avions accédé à la Société. Mais la Société des nations pourrait être moins disposée à respecter la neutralité d'un Etat non sociétaire que celle d'un Etat membre, pour autant qu'elle n'aurait pas en face d'elle un adversaire qui fût à peu près de sa force. En même temps, l'Etat en rupture de pacte serait peut-être lui-même plus enclin à respecter notre neutralité. D'après celui des rapports de la Commission de la défense nationale qui conclut au refus d'adhérer, c'est la neutralité absolue qui offrirait pour nous les graranties les plus sûres, dans ce cas d'équilibre approximatif des forces en présence, qui est la supposition normale au début des guerres. On ne doit pas oublier, par contre, qu'à teneur des articles XII et XVI du Pacte, ]a Société promet à ses membres, en cas d'agression, une garantie qui ne pourrait guère, sur la base de l'article XVII, être étendue à temps à un Etat non sociétaire.

Mais ce
qui serait décisif pour l'appréciation de la situation militaire dans laquelle nous nous trouverions si nous restions en dehors de la Société, ce serait notre situation politique générale. Il est difficile d'admettre que l'isolement de la

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Suisse et le refroidissement de ses rapports avec les grands Etats de la Société des nations seraient sans influence sur sa situation en temps de guerre et sur la possibilité, pour elle, de maintenir son existence nationale, au point de vue militaire et économique, dans les crises à venir. Nous y reviendrons dans les conclusions du présent Message (p. 102 et suiv.).

TIII. L'importance économique de la Société des nations pour la Suisse.

Le Département de Féconomie publique a examiné cette question et l'a soumise à une commission spéciale. Cette étude l'a conduit à se prononcer pour l'adhésion de la Suisse.

On estime assez généralement que l'une des tâches prin- Clauses écocipales de la Société des nations est d'assurer une situation nomiques économique internationale équitable, la paix économique du Pacte.

étant une des bases essentielles de la paix politique. Le pro: jet allemand de statut de la Société des nations, par exemple, contient des dispositions détaillées sur la liberté du commerce, le libre passage, etc. On doit constater toutefois que les avis sont très divers au sujet des moyens propres à assurer la paix économique. Les uns attendent d'une liberté de commerce absolue l'élimination de toutes les causes de tension internationale. D'autres demandent, au contraire, que les nations économiquement faibles soient protégées contre celles qui, grâce aux aptitudes commerciales de leur population ou parce qu'elles détiennent certaines matières premières importantes, sont dans une situation privilégiée pour la lutte économique internationale. Si on avait tenté de résoudre ces problèmes d'un seul coup, pour tous les Etats, par des dispositions du Pacte de la Société des nations, il est très douteux qu'on eût pu atteindre un résultat positif dans le temps très court dont on disposait.

Les fondateurs de la Société n'ont cependant pas complètement renoncé à aborder la question de la réglementation des intérêts économiques. Le Pacte lui-même n'offre à cet égard que les dispositions ci-après :

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Liberté de transit et traitement équitable du commerce (art.XXIII, e).

1. A teneur de l'article XXIII, lettre a, la réglementation internationale du travail est une des tâches de la Société des nations. Un résultat positif a déjà été atteint par l'élaboration d'une convention dont il sera traité au chapitre IX du présent Message (cf. p. 84 et suiv.).

2. L'article XXIII, lettre e, pose, en ce qui concerne les relations commerciales et les communications, certains principes généraux dont nous aurons à examiner la portée pratique.

3. Les dispositions de l'article XVI (sanctions) sont d'une très grande importance au point de vue économique.

Ce sont celles du Pacte qui ont le plus de portée à cet égard et elles sont, pour les membres de la Société, avant tout une source de risques, et de risques graves.

Mais ce qui importe plus que les avantages immédiats et les inconvénients directs qui peuvent résulter de l'accession à la Société des nations, c'est la situation politique générale que peut créer la décision d'entrer dans la Société ou de rester à l'écart, situation politique qui sera déterminante au point de vue de nos relations économiques et pour la conclusion des traités de commerce en général.

A teneur de l'article XXIII, lettre e, les membres de la Société, sous réserve des dispositions des conventions internationales actuellement existantes ou qui seront ultérieurement conclues, doivent prendre «les dispositions nécessaires pour assurer la garantie et le maintien de la liberté des communications et du transit, ainsi qu'un équitable traitement du commerce de tous les membres ».

La Suisse a été, jusqu'ici, vis-à-vis des Etats qui ont la plus grande importance dans ce domaine, au bénéfice de traités de commerce, d'amitié et d'établissement consacrant le principe de la liberté de transit et du libre établissement des ressortissants des deux pays contractants, et contenant des dispositions relatives aux relations commerciales. Le régime le plus généralement admis est celui de la nation le plus favorisée.

Comme le Pacte n'établit aucune limite déterminée en ce qui concerne le droit qu'a chaque Etat de réglementer ces questions à son gré, l'article XXIII, lettre e, uè contient en

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somme qu'une déclaration de principe. On serait déçu si l'on en attendait des avantages immédiats. Il serait, en revanche, également erroné de croire que cette disposition est dénuée de toute valeur pratique. Elle implique un programme de développement' des relations commerciales et des communications, incontestablement favorable à nos intérêts économiques.

Il est très important, pour un pays qui, comme le nôtre, est au centre du continent, d'avoir la possibilité de communiquer librement non seulement avec ses voisins, mais même avec les Etats dont d'autres pays le séparent. Il lui importe en particulier d'avoir un libre accès à la mer. Ce principe est posé par l'un des quatorze points du président Wilson. Normalement, la liberté des communications et l'égalité de traitement, dont doivent bénéficier les transporta de tous les Etats, est une conséquence naturelle de la concurrence entre les diverses lignes terrestres et maritimes et entre les divers ports. Il est cependant important qu'elle soit constatée par un traité liant, si possible, un grand nombre d'Etats et excluant du domaine des relations internationales toute différenciation ou toute restriction arbitraires.

Les communications par chemins de fer font l'objet de la convention de Berne, du 14 octobre 1890, et des conventions qui la complètent. Cette convention, qui avait été dénoncée par plusieurs Etats (France, Belgique, Italie et Serbie), a été renouvelée, aux termes de l'article 366 de traité de paix avec l'Allemagne, entre les signataires, et elle doit, dans le délai de cinq ans, être remplacée par un traité nouveau et élargi.

La situation de la Suisse est améliorée par les articles 354 à 356 du traité de paix, qui posent pour tous les Etats le principe de la liberté de navigation sur le Rhin, de Baie à la mer, et qui donnent à la Suisse le droit d'être représentée à la commission du Rhin aux côtés de la France, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne et de l'Italie. La Suisse obtient ainsi la reconnaissance pleine et entière de ses droits d'Etat riverain, qui, depuis le traité de Vienne, lui ont été injustement refusés.

La Conférence de Paris a aussi prévu l'élaboration d'uno conventions générale concernant le transit, les voies flu-' viales, les ports et les chemins de fer. A l'article 379 du traité, l'Allemagne a d'avance donné son adhésion à cette

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convention, au cas où elle aura été approuvée par la Société des nations. La Suisse a obtenu de pouvoir faire connaître ses desiderata à la commission chargée d'étudier ce problème.

Le traité de paix contient une série de dispositions dans l'intérêt de la liberté des communications et notamment au profit des Etats qui n'ont pas d'accès à la mer, ou qui n'y ont qu'un accès insuffisant. Les principes qui sont ainsi reconnus peuvent avoir, par voie de conséquence, une importance réelle pour la Suisse. Ils montrent, au surplus, dans quel sens le programme établi par l'article XXII, lettre e, du Pacte, pourrait être réalisé.

En ce qui concerne le commerce, le Pacte se borne à poser ce principe général que les Etats membres de la Société devront à cet égard s'assurer mutuellement un traitement équitable. Le traité de paix ne contient d'ailleurs pas de dispositions touchant directement aux relations commerciales de la Suisse.

Aux termes de l'article XXIII, lettre e, du Pacte, « les nécessités spéciales des régions dévastées pendant la guerre de 1914 à 1918 devront être prises en considération ». Cela signifie sans doute que, dans la Société des nations et malgré le principe de l'égalité de traitement posé en faveur de tous ses membres, des mesures seront prises pour éviter que les Etats dont la guerre n'a pas anéanti l'industrie ne puissent, grâce à ce fait, gagner une tro.p grande avance économique sur ceux qui devront, pendant les années qui vont venir, vouer toutes leurs forces à la restauration de leur industrie.

Ce qui fait l'importance de la Société des nations pour notre vie économique, c'est l'essor qui peut résulter pour elle de sa constitution. Tout d'abord, un pays tel que la Suisse, pour lequel les échanges internationaux ont une importance primordiale, a tout intérêt au développement du droit international et à tout ce qui peut assurer la sécurité des relations entre les peuples. Nous devrions donc en tout état de cause saluer avec joie l'idée d'une rénovation de la politique internationale, qui est à la base de la Société des nations. Elle rend à tout le moins possible une organi^sation économique du monde qui ne peut être que favorable à un petit peuple laborieux, mais sans puissance politique.

Sans la Société des nations, en revanche, l'isolement des Etats et leur rivalité engendrerait un état de choses dans

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lequel la vie économique internationale, au lieu d'être dominée par les principes, subirait de plus en plus le contrecoup des intérêts et des passions politiques. La Suisse doit cependant se demander, non seulement quel est l'intérêt qu'elle peut avoir, à un point de vue général, à la création d« la Société des nations, mais aussi quelle influence la décision qu'elle prendra relativement à son entrée dans la Société peut exercer sur ses relations commerciales. Cette question sera étudiée plus loin (p. 104 et suiv. ci-après).

Tandis qu'il n'offre que peu d'avantages positifs en matière économique, le Pacte (art. XVI) impose aux Etats sociétaires et même, indirectement, à tous les Etats, une obligation très lourde, celle de rompre les relations économiques avec tout Etat qui contrevient aux prescriptions des articles XII, XIII ou XV. Cette sanction est aussi applicable, à teneur de l'article XVII, à l'Etat non sociétaire qui, ayant accepté les obligations de membre de la Société aux fins de règlement d'un différend, ne les exécute pas ou qui, refusant d'accepter ces obligations, recourt à la guerre contre un Etat membre. Il est peu probable qu'un Etat s'expose aux risques d'un tel conflit avec la Société. Cela peut néanmoins arriver et nous devons examiner cette question des sanctions 'de très près et voir toutes les conséquences que pourrait entraîner pour nous l'application de l'article XVI.

Les sanctions économiques comprennent : 1. La rupture immédiate et générale de toutes relations commerciales et financières.

2. L'interdiction de tous rapports entre les nationaux des Etats sociétaires et ceux de l'Etat en rupture de pacte.

3. Les mesures visant à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles entre les nationaux de l'Etat rebelle et ceux de tout autre Etat quelconque.

Le terme « nationaux » (en anglais : nationals) peut être interprété, conformément à la doctrine anglo-américaine, comme s'appliquant non pas aux ressortissants de l'Etat dont s'agit, mais aux personnes qui, ayant leur domicile sur son territoire, sont soumises à sa souveraineté. Si l'on admet cette Interpretation, ce que semble autoriser la genèse du premier projet de Paris, l'application de l'article XVI irait notablement moins loin et cette clause du Pacte serait moins rigoureuse que son texte français ne peut je faire croire à première vue.

Les sanctions économiques d'après l'art. XVI.

Cas d'application.

Formes des sanctions économiques.

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Appui mufuel.'

La rupture mentionnée plus haut, sous chiffre 1, est la plus importante des mesures prévues. Elle sera effectuée par la fermeture des frontières. Cette rupture entraînera aussi l'interdiction de tous paiements à des personnes domiciliées dans l'Etat bloqué.

L'interdiction de tous rapports, dont il est question cidessus sous chiffre 2, peut comprendre, si le terme « nationaux » a, abstraction faite du domicile, le sens que lui donne le droit public, l'interdiction de tous rapports tant à travers la frontière, qu'à l'intérieur des Etats participant au blocus. Il est difficile de voir comment, en ce qui concerne ce dernier point, l'article XVI pourrait être appliqué pratiquement sans internement ou sans expulsion.

Ces mesures-là, que l'article XVI ne prescrit pas expressément, seraient incompatibles avec la neutralité. La Suisse se trouverait au surplus dans une situation impossible, si elle devait les prendre, étant donné la forte proportion d'étrangers que comprend sa population, surtout dans certaines villes.

Très importante est l'obligation (chiffre 3 ci-dessus) que l'article XVI impose aux Etats sociétaires de « faire cesser » tous rapports entre les nationaux de l'Etat en rupture de pacte et ceux de tout autre Etat quelconque. Cette disposition a évidemment pour but d'empêcher que les nationaux d'Etats tiers ne rendent illusoires le blocus établi par les Etats sociétaires sur leur territoire et les -interdictions édictées par eux/ On en arriverait sans doute à un système de contrôle des relations personnelles et du trafic des marchandises analogue à celui qui a été construit peu à peu au cours de la dernière guerre. Mais, en cas d'application des sanctions de la Société des nations, ce contrôle deviendrait vraisemblablement encore plus complet et plus rigoureux.

A teneur de l'alinéa 3 du même article XVI, les membres de la Société conviennent de se prêter l'un à l'autre un mutuel appui. C'est le correspectif nécessaire de l'inégalité des risques. Les mesures économiques prises en vertu de l'art. XVI peuvent avoir une répercussion très différente sur les divers Etats participant au blocus. Il pourrait arriver qu'elles aient, pour tel ou tel Etat sociétaire, des conséquences plus graves que pour l'Etat bloqué lui-même.

Le droit de réclamer l'aide des autres membres de la Société se double du devoir de leur prêter appui. Il n'est

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pas possible de préciser la mesure dans laquelle chaque Etat pourra ainsi être aidé ou aura lui-même à fournir son aide aux autres Etats fédérés. C'est une question d'espèces. On peut admettre en règle générale que l'appui à prêter à d'autres, par un Etat donné, sera d'autant plus important que cet Etat courra lui-même moins de risques. Les Etats éloignés du théâtre de la guerre seront les premiers appelés à secourir économiqiiement ceux qui sont le plus exposés à subir les conséquences militaires et économiques de l'action commune.

Cela est dans l'intérêt non seulement de la Société, mais aussi des Etats qui sont le moins atteints.

Le Pacte ne prévoit pas expressément, mais on doit considérer comme allant de soi l'obligation, pour l'Etat rebelle, d'indemniser les membres de la Société du dommage, au moins direct, que leur auront causé son attitude contraire au droit et l'application des sanctions ordonnées contre lui.

Cette obligation pourra induire l'Etat en rupture de pacte à s'abstenir de répondre aux mesures prises contre lui par des représailles, ou du moins lui dicter une certaine modération à cet égard.

Il est improbable que la Suisse puisse jamais être l'objet des sanctions de l'article XVI. Elle peut, en revanche, être atteinte par leur application, soit au cas où elle y prendrait part, soit au cas où, en tant qu'Etat neutre resté en dehors de la Société, elle n'y participerait pas ou, du moins, n'y participerait que dans une mesure aussi restreinte que possible. Si, devenue membre de la Société, la Suisse voulait et pouvait maintenir ses relations en même temps avec la Société des nations et avec l'Etat rebelle, sa situation ne serait guère différente de celle qu'elle aurait si elle prétendait maintenir .sa neutralité en restant à l'écart de la Société. Car cette dernière ne permettrait pas plus à un de ses membres neutres qu'à un Etat neutre non sociétaire d'affaiblir l'efficacité de ses sanctions.

La participation aux sanctions, dans la mesure où elle est conciliable avec la neutralité, peut incontestablement entraîner des conséquences graves pour notre pays. La Suisse est, pour ses importations et ses exportations, si dépendante de divers autres pays, elle est notamment en relations économiques si étroites avec ses voisins que la rupture soudaine de ces rapports ébranlerait
nécessairement notre vie économique. La Suisse a aussi, en proportion de son exiguité, un nombre considérable de ressortissants étae Feuille fédérale suisse, 71 année. Vol. IV.

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La situation de la Suisse en cas de sanctions économiques.

Conséquences de la participation aux sanctions.

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Conséquennonr>artîcipationaux sanctions,

blis à l'étranger. Elle a au dehors des intérêts économiques de toute espèce. Nous ne devons .pas nous dissimuler enfin que l'Etat en rupture de pacte répondrait sans doute par des mesures de rétorsion aux mesures que nous pourrions prendre à l'égard de ses nationaux II y a lieu de remarquer, toutefois, que ces risques ne seront importants, en règle générale, qu'au cas où l'action de la Société des nations se produirait dans notre voisinage, c'est-à-dire si elle est dirigée contre un ou plusieurs de nos voisins. Dans ce cas -- nous avons fait à cet égard des expériences plus que concluantes au cours de la guerre qui vient de prendre fin -- notre commerce et nos relations avee l'étranger subiraient de toute manière les restrictions et les interruptions les plus préjudiciables, et cela, vraisemblablement, de la part de chacun des belligérants. Cependant, comme la rupture des relations serait complète, ou à peu près complète, avec l'Etat en rupture de pacte, nous subirions de ce côté-là un préjudice plus grave que si nous voulions continuer à observer la politique de neutralité que nous avons suivie jusqu'ici. En revanche, notre participation aux sanctions aurait l'avantage de nous assurer des relations plus libres avec les autres Etats qui y prendraient part, c'est-àdire avec la plus grande partie du monde. Notre pays se trouverait, dès lors, probablement dans une situation moins précaire que si, n'ayant en principe l'appui d'aucun des partis belligérants, il devait négocier à la fois avec l'un et l'autre, pour les licences indispensables d'importation et d'exportation, et se sentait ainsi de plus en plus étroitement bridé au point de vue économique. Les avantages que nous procurerait de la sorte la qualité de membre de la Société peuvent donc être considérés comme compensant les; risques politiques et économiques qui en résultent.

On doit se demander enfin quelle serait la situation de ^a Cuisse, si e^e restait en dehors de la Société des nations» c'est-à-dire si elle voulait eu principe main tenir les relations économiques avec les deux partis aux prises Ì Elle se trouverait, d'un côté, en face de l'Etat ou des Etats en rupture de pacte qui, bloqués par le reste du monde, seraient probablement hors d'état de lui fournir ce qui lui est indispensable. La Société des nations serait, selon toute vraisem^
blance, tout au moins économiquement, la plus forte et la plus apte à se suffire à elle-même. Or, à teneur de l'art. XVI, les Etats membres de la Société seraient tenus de faire ces-

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ser, avant tout sur leur territoire, mais aussi probablement sur le théâtre de la guerre maritime, toutes relations économiques et autres, entre les nationaux de l'Etat en rupture de pacte de toute autre personne quelconque. Les Etats soumettraient donc à des conditions strictes leurs relations avec un Etat neutre, si même -- comme cela a déjà été tenté au cours de la'dernière guerre -- ils n'allaient pas jusqu'à subordonner le maintien de ces relations à une certaine réglementation des relations du neutre lui-même avec l'Etat en rupture de pacte.

La Société des nations mettrait d'autant plus d'énergie à assurer, à travers l'Etat neutre, l'efficacité du blocus dirigé contre son adversaire qu'elle estimerait, ce faisant, sauvegarder non seulement les intérêts de certains Etats déterminés, mais ceux de l'humanité tout entière. On peut donc prévoir qu'au point de vue économique, la Société ne manifesterait pas une bienveillance particulière vis-à-vis d'un Etat qui prétendrait tenir la balance égale entre elle et l'Etat rebelle et qui voudrait, dans ce domaine, suivre une politique ayant pour effet d'atténuer la portée des mesures prises par elle.

L'Etat neutre courrait donc le risque de devoir, en fin de compte, s'adapter au blocus établi, à peine de se trouver complètement isolé. Que ce fût volontairement et en vertu d'engagements pris d'avance, ou sous la pression d'une contrainte que l'Etat neutre ait renoncé à son droit de maintenir ses relations normales avec l'Etat en rupture de pacte, cela serait, en fait, indifférent à ce dernier. On peut le reconnaître sans contester pour cela que la manière dont la rupture serait effectuée peut avoir son importance au point de vue politique.

Il n'existe, en définitive, pas de raisons purement économiques qui puissent déterminer un Etat neutre à tenter de maintenir, dans le cas d'ailleurs très rare d'une action coercitive de la Société des nations, le principe du traitement égal des deux partis en présence, principe dont, au surplus, l'application pratique ne pourrait être que très incomplète et imposerait au neutre des sacrifices sensibles.

Pareille politique ne pourrait se justifier que si le risque de guerre était considérablement aggravé par la participation aux sanctions économiques et si l'on était convaincu de la nécessité d'une telle attitude. Nous avons examiné ailleurs cet aspect du problème.

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IX. La Société des nations et la réglementation internationale du trayait.

Travaux faits jusquici dans le domaine de la règleibernatici naie du ravai.

II existe actuellement, dans le domaine de la protection ,ju travail, deux conventions qui sont l'une et l'autre de 1906, savoir: j La Convention internationale sur l'interdiction du travail de nuit des femmes employées dans l'industrie, g. La Convention internationale (sur l'interdiction de i»empi0i du phosphore blanc (jaune) dans l'industrie des allumettes.

'Une troisième convention avait été préparée en 191-3 par une conférence technique à Berne. La guerre a toutefois empêché la réunion d'une conférence diplomatique pour la conclusion de cet accord.

Il n'existe pas, jusqu'ici, de Bureau international officiel du travail. Par contre, l'Association internationale pour la protection légale des travailleurs entretient un bureau à Baie. Ce bureau, subventionné par les divers Etats industriels, était chargé jusqu'à présent des travaux préparatoires sur la base desquels des conventions internationales étaient élaborées.

Relations Dans le domaine de la protection du travail, le traité de réciproques paix contient en germe des innovations importantes. Sia partie.XIII est constituée par les dispositions sur la réglementation internationale du travail, que la Conférence de Paris a adoptées dans sa séance iplénière du 11 avril 1919.

Quoique ne faisant pas partie du Pacte de la Société des nations, ces dispositions sont pourtant une première étape dans le sens de la réalisation du principe posé à l'art. XXIII, lettre a, du Pacte et d'après lequel les membres de la Société s'efforceront d'assurer et de maintenir des conditions de travail équitables et humaines. En ce qui concerne l'organisation qu'elles prévoient, les dispositions de la partie XIII 'du traité sont aussi, à maints égards, liées à l'existence de la Société des nations.

La protection du travail est jusqu'ici le seul domaine dans lequel, ea matière économique, on ait non seulement posé des principes dans le Pacte, mais «aussi créé une certaine organisation. Les autres dispositions positives du Covenaiit ont essentiellement pour but de prévenir des con-

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flits politiques. Mais, ainsi que la commission consMltative suisse l'avait déjà reconnu, l'organisation internationale des conditions du travail doit précisément être considérée comme l'une .des tâches eminentes de la Société des nations.

Tous les Etats membres de la Société adhérent de droit à la convention que constitue la partie XIII du traité. En entrant dans la Société, la Suisse adhérerait donc, elle aussi, ipso facto à cette convention, sans qu'une ratification parlementaire soit nécessaire. Quant à la situation faite aux Etats qui ne font pas partie de la Société, elle n'est pas clairement déterminée. Il y a lieu d'admettre que ces Etats ne participeront pas à la convention. C'est une raison de plus pour admettre tous les Etats dans la Société.

L'Inde et les Dominions britanniques sont considérés comme parties indépendantes à la convention. D'autres Etats coloniaux pourront être admis de la même manière par la Société. Pour le surplus, les colonies sont, sous certaines réserves, considérées au point de vue de la convention comme comprises dans les Etats signataires.

L'adoption des dispositions constituant' la partie XIII Caractère du traité :de paix peut être considérée comme un fait parti- général, culièrement heureux. Au point de vue de l'organisation, ces dispositions réalisent des progrès importants. Elles évitent de donner aux grandes puissances une prépondérance exagérée et, somme toute, respectent le principe de l'égalité des Etats.

A maints égards et notamment en ce qui concerne les pouvoirs donnés à la Conférence des représentants des Etats membres et le règlement des litiges, la convention que reproduisent les articles 387 à 426 du traité se rapproche de très près de l'avant-projet suisse de statut d'une 'Société des nations. Elle réalise presque exactement les postulats de cet avant-projet. Elle crée une organisation pour le développement de la législation internationale du travail, organisation obligatoire pour tous les Etats membres de la Société.

Elle renonce, par contre, à admettre que le droit matériel puisse être créé par voie de décisions prises à la, majorité; le traité préfère se borner à favoriser la conclusion de concordats.

En dehors de la convention, le traité de paix formule, en ce qui concerne la partie matérielle de la législation internationale du travail, toute une série d'exigences de principe. Ces exigences ont cependant plutôt le caractère d'un

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programme, car les Etats ne sont pas tenus de les réaliser immédiatement (voir ci-après p. 89).

Organisa1. Organisation. La convention prévoit la création de tion.

trois organes : a. Une Conférence générale des représentants des Etats membres. Elle tient des sessions chaque fois que besoin est, mais au moins une fois par an, dans la règle au lieu où la Société a son siège. Tous les Etats y sont représentés de la même manière par deux délégués du gouvernement, un délégué des employeurs et un délégué des travailleurs (art.

3) *). Fait tout nouveau dans une conférence internationale officielle, le vote n'a pas lieu par Etat : chaque délégué vote individuellement (art. 4).

&. Un Conseil d'administration de 24 membres (12 représentants des gouvernements, 6 représentants des patrons et 6 représentants des ouvriers), qui a en particulier le contrôle du Bureau international du travail (art. 7).

Des 12 représentants des gouvernements, 8 sont nommés par les Etats dont l'importance industrielle est la plus considérable (en cas de contestation à ce sujet, c'est le Conseil de la Société des nations qui statue) et les 4 autres par les membres désignés à cet effet pa-r les délégués gouvernementaux à la conférence générale, exclusion faite des délégués des 8 membres déjà représentés. Les représentants qui constituent lo Conseil d'administration sont nommés pour trois ans.

c. Un Bureau international du travail, à la tête duquel se trouve un directeur et qui a son siège au lieu où lu Société elle-même a le sien. Ce bureau est chargé notamment de centraliser et de répandre toutes informations concernant la réglementation internationale de la condition des travailleurs et du régime du travail, ainsi que de préparer les travaux de la Conférence générale (art. 10).

Décisions 2. Mode de décision de la Conférence générale. Pour de la Conférence. autant qu'il ne s'agit pas de questions da réglementation interne, les décisions de la Conférence doivent recueillir une majorité des deux tiers et peuvent être prise sous l'une des deux formes suivantes (art. 19) : *) La «Convention créant un organisme permanent pour la réglementation internationale du travail» est contenue dans les art. 387 et suivants du traité de paix. Nous citons non pas ces articles, mais les articles correspondants de la convention séparée qui a été remise aux neutres. Voir Annexes VI, 20.

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a. « Recommandations » aux gouvernements, en vue de l'élaboration de lois nationales.

b. Projets de conventions internationales, sujettes à ratification par les Etats membres. Pour les Etats qui n'ont pas le pouvoir de légiférer en matière de protection du travail, les propositions de la Conférence sont considérées comme des « recommandations » au sens de la lettre a.

Dans les deux cas, les gouvernements doivent, dans le délai d'un an, soumettre les décisions de la Conférence aux autorités compétentes pour les réaliser. Si ces dernières refusent de donner suite à la décision internationale qui leur est soumise, cette décision devient sans objet pour l'Etat en question. La commission a, de plus, exprimé le voeu que la Conférence reçoive le pouvoir de légiférer dans le domaine du droit du travail.

Les projets de décision qui ne recueilleront pas la majorité des deux tiers pourront faire l'objet d'une convention particulière entre ceux des Etats qui en auraient le désir (art. 21).

3. Contrôle et règlement des différends.

Contrôle et solution des Chacun des Etats contractants doit présenter au Bulitiges, reau international du travail un rapport annuel sur les me-, sures prises par lui pour mettre à exécution les conventions auxquelles il >a adhéré (art. 22).

Le droit de porter plainte au Bureau international pour violation d'une convention internationale concernant la protection du travail appartient : a. aux organisations professionnelles ouvrières et patronales (art. 23) ; b. à chacun des Etats contractants (art. 25); c. au Conseil d'administration, qui peut agir d'office ou sur proposition d'un délégué à la Conférence (art. 25).

Dans le cas a, le gouvernement mis en cause doit avoir l'occasion de s'expliquer, en tous cas au sein du Conseil d'administration. S'il ne s'explique pas ou si sa répons« ne satisfait pas le Conseil, ce dernier peut publier la plainte et la réponse éventuelle. Dans les cas b et c, en revanche, le Conseil peut provoquer la formation d'une commission d'enquête (art. 26). Cette commission est constituée par le Secrétaire général de la Société des nations, de la manière

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suivante : un représentant des travailleurs, un représentant des ipatrons et une personne n'appartenant à aucune de ces deux catégories; aucun des trois délégués ne doit, au surplus, relever de l'un des Etats intéressés à la plainte.

Ces trois personnes sont choisies sur une liste constituée par la désignation, par chaque Etat contractant, dans les 6 mois après la mise en vigueur du traité, de trois personnes représentant chacune des catégories désignées plus haut.

La commission d'enquête rédige un rapport dans lequel, si la plainte est justifiée, elle indique les mesures à prendre pour donner satisfaction au plaignant et quelles sanctions d'ordre économique les Etats pourraient être appelés à appliquer en cas de défaut d'obéissance (art. 28). Ce rapport .doit être publié.

Dans le délai d'un mois, les parties doivent dire si elles acceptent le rapport de la commission et, au cas où elles ne l'accepteraient pas, si elles désirent en appeler à la Cour permanente de justice internationale ou, en attendant sa création, à un tribunal .arbitral constitué par le Conseil de la Société des nations (art. 29). Le jugement de la Cour internationale est sans appel (art. 31). Si un Etat ne se conforme pas aux conclusions du rapport ou à l'arrêt de la Cour, tout autre Etat pourra lui appliquer les sanctions d'ordre économique que le rapport ou l'arrêt auront prévues en l'espèce (art. 33).

Ces sanctions pourront être appliquées jusqu'à ce qu'une nouvelle commission d'enquête ait, sur la demande de l'Etat fautif, constaté qu'il s'est conformé aux recommandations de la Cour internationale (art. 34).

Toutes les difficultés relatives à l'interprétation de la convention et de celles qui seraient, sur cette base, ultérieurement conclues entre les parties, seront soumises à l'appréciation de la Cour permanente internationale (art. 38). Les dispositions relatives au contrôle et au droit de plainte sont de nature à favoriser des progrès importants dans le domaine de la réglementation internationale du travail.

Eévision.

4. Kévision. La convention peut être révisée par la Conférence générale, à la majorité des deux tiers. Toutefois, les dispositions révisées ou nouvelles n'entreront en vigueur qu'après ratification de la décision de la Conférence par tous les Etats représentés au Conseil de la Société des nations -- donc y compris les grandes puissances -- et par les trois quarts des Etats représentés à l'Assemblée des délégués. La

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dénonciation de la convention n'est pas prévue. Elle semble être impossible autrement que par voie de dénonciation du Pacte de la Société des nations elle-même.

5. Dispositions matérielles sur la protection du travail. Protection Ainsi que nous l'avons déjà fait observer, les règles de fond ouvrière.

concernant la protection du travail qui ont été insérées dans le traité de paix, n'ont pas le caractère de normes immédiatement obligatoires pour les Etats contractants. Ces règles, .qui réalisent en bonne partie les postulats du programme établi par la Conférence (1er au 4 octobre 1917) du Syndicat international du travail (S. I. T.), sont -- outre le principe d'ordre plutôt moral, d'après lequel le travail ne doit pas être considéré comme une marchandise -- les suivantes : a. Droit d'association (S.I. T., II, a).

b. Interdiction du travail des enfants de moins de 14 ans (S.I.T., VII, a, 15 ans). De 14 à 18 ans (S.I.T., VII, b, 15 à 18 ans), le travail doit être compatible avec le développement physique de l'adolescent et lui permettre de continuer son instruction professionnelle.

c. Le salaire doit assurer un niveau de vie convenable.

d. Le salaire doit être égal, sans distinction de sexe, pour un travail de valeur égale (S.I.T., VIII, é).

e. Kepos hebdomadaire, autant que possible le dimanche (S.I.T., IV, d).

f. Adoption, de la journée de 8 heures ou de la semaine de 48 heures (S. I. T., IV, a). Provisoirement, journée de 10 heures au maximum.

g. Assimilation des étrangers aux nationaux, en ce qui concerne les règles lapplioables aux conditions du travail et à l'assurance sociale (S.I.T., III, 6).

h. Organisation d'un service d'inspection, comprenant des femmes (S.LT., X, a et b).

Aucune disposition n'a été admise en ce qui concerne la Travaux prépaliberté d'établissement, le travail à domicile et l'hygiène.

ratoires.

La première session de la Conférence doit avoir lieu à Washington, en octobre 1919 (art. 29). Elle aura à traiter les sujets suivants (art. 39) : a. Application du principe de la journée de 8 heures ou de la semaine de 48 heures.

b. Moyens de prévenir le chômage.

c. Travail des femmes.

d. Travail des enfants.

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e. Extension et application des conventions internationales adoptées à Berne en 1906.

La commission constituée pour préparer cette conférence comprend -des représentants des Etats suivants : Etats-Unis, France, Grande-Bretagne; Italie, Japon, Belgique et Suisse.

D'autres Etats peuvent être invités à se faire représenter.

Quelle que puisse être sa décision au sujet de l'entrée dans la Société des nations, la Suisse participe déjà ù ces travaux préparatoires. Elle espère pouvoir être représentée 'au Conseil d'administration, en considération de son développement économique et comme étant l'un des huit Etats dont l'importance industrielle est la plus considérable.

X. Epoque et modalités de l'adhésion.

Ainsi que la remarque en a été faite plus haut (p. 5,3).

Délai pour adhérer à les treize Etats neutres mentionnés dans l'Annexe du Pacte la Société peuvent accéder à la Société, comme membres originaires, COIÏ1IBP membre par une déclaration sans réserve faite dans les deux mois originaire. qui suivront l'entrée en vigueur du Covenant (art. I). Le défaut d'observation de ce délai n'empêcherait pas ces Etats d'entrer plus tard dans la Société, mais leur admission aurait alors lieu dans les formes prévues pour les Etats qui ne figurent pas dans l'Annexe du Pacte.

Le Covenant ne fixe pas la date de son entrée en vigueur.

Il résulte, en revanche, ides dispositions finales du traité depaix avec l'Allemagne que ce traité déploiera ses effets dès qu'il aura été ratifié par l'Allemagne et par trois des principales puissances alliées et associées (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon) et que c'est à partir de cette date que commenceront à courir les délais prévus *).

Il y a donc lieu d'admettre que le délai de deux mois, prévu à l'article I du Pacte, court du jour où le traité de paix est ratifié par trois des grandes puissances alliées et associées.

L'adhésion en qualité de membre originaire a les avanImportance pour la tages suivants : l'entrée dans la Société, ayant lieu de plein Suisse droit, n'est pas subordonnée à un vote de l'Assemblée. Ou d'une adhésion com- évite ainsi les objections, d'ailleurs mal fondées, qui pourme membre raient être faites à la situation particulière accordée à la originaire.

*) Voir Annexes, V, 18 i. f.

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Suisse dans la Société. D'autre part, les membres originaires conservent leur liberté à l'égard du Conseil quant aux mesures à prendre pour la limitation des armements (art. VIII). Cette limitation est dictée par un règlement à l'Etat qui n'entre pas dans la Société comme membre originaire. C'est une condition de son admission (art .1, § 2).

Si, après avoir refusé d'entrer dans la Société comme membre originaire, la Suisse devait néanmoins être amenée à solliciter plus tard son admission, la détermination de ses forces militaires par le Conseil des puissances lui apparaîtrait comme une atteinte douloureuse à sa dignité et à son indépendance.

Mais il y a plus. Le refus de la Suisse de signer le Pacte comme membre originaire serait considéré comme une marque de défiance, ou du moins comme un manque de confiance à l'égard de la Société. Nous perdrions ainsi la situation morale acquise grâce à l'attitude très nette que notre pays a prise jusqu'ici en faveur de l'idée d'une Société des nations.

La question du siège, elle aussi, pourrait se poser à nouveau.

Même si le Conseil ne déplaçait pas sans autre le siège de la Société, actuellement fixé à Genève, les rapports entre la Suisse et la Société, en ce qui concerne le siège, ne pourraient plus être ce qu'on a espéré, puisque la condition essentielle de l'adhésion de la Confédération ne serait pas réalisée.

Le fait de renoncer à devenir membre originaire de la Société des nations, sans équivaloir à un refus absolu d'en faire partie, aurait cependant à maints égards, tant au point de vue interne qu'à celui des relations extérieures, les inconvénients d'un tel refus. En restant momentanément à l'écart, la Suisse ne hâterait nullement l'admission des Etats actuellement exclus et, si elle entrait avec eux dans la Société, son attitude serait interprétée non pas comme une preuve d'indépendance, mais au contraire comme un témoignage de dépendance à l'égard de ces Etats. Demander une admission tardive dans de telles conditions serait manifestement, de la part de la Suisse, renoncer à avoir, dans la Société des nations, un rôle qui réponde à sa mission internationale.

Le Conseil fédéral, quant à lui, ne saurait en aucun cas prendre la responsabilité de laisser écouler, sans se prononcer, le délai de deux mois que nous impartit le Pacte. Il appartient aux Chambres de décider si la Suisse doit répondre dans ce délai à l'invitation qui lui est adressée.

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Délai et Le Conseil fédéral estime eu outre que c'est iau pays qu'il votatiqn po- appartient de statuer en dernier ressort par un plébiscite et par l'adoption d'un article additionnel à la constitution. L'observation ,du délai de deux mois est, dès lors, très difficile.

Toutefois, d'après les communications qui nous ont été faites de source autorisée, il y & lieu d'admettre qu'une déclaration provisoire faite par les autorités fédérales, sous réserve de la ratification du peuple et des cantons, suffirait pour que le délai de deux mois fût considéré comme ayant été observé. A l'époque où la démocratie conquiert le domaine de la politique internationale, on ne comprendrait pas que l'application des principes démocratiques pût être préjudiciable au seul pays du monde où le peuple lui-même aura à déclarer sa volonté 'd'entrer dans la Société des nations. Il est évident qu'un délai de deux mois, suffisant pour permettre à un parlement de se prononcer, ne l'est plus lorsqu'il faut organiser en outre une consultation populaire, d'autant plus qu'il s'agit d'une question toute nouvelle et de première importance, et que, jusqu'à l'entrée en vigueur du traité de paix, l'examen de cette question manque de base juridique.

Il résulte aussi des principes généraux du droit que celui qui doit faire valoir un droit dans un délai déterminé ne se trouve pas forclos si, sans faute de sa part, il s'est trouvé dans l'impossibilité d'observer ce délai.

Conditions La 'nécessité où nous sommes de conclure rapidement de l'entrée a l'inconvénient de nous obliger à prendre une décision avant 6 du^Scteir ^e savo*r luels sont les Etats qui ratifieront le traité do paix et quels sont les autres neutres qui accéderont à la Société comme membres originaires. Pour la Suisse, il importe en particulier que la Société comprenne tous les grands Etats, surtout d'Europe, qui sont parmi ses fondateurs. L'accession des Etats-Unis est aussi, pour nous, d'une importance capitale. Cet Etat, dont le chef a été l'un des principaux représentants de l'idée même de la Société des nations et qui, grâce à sa situation géographique, est à l'écart des conflits européens, est tout particulièrement appelé à être, dans la Société, une puissance conciliatrice et pondératrice.

Il paraît impossible que la Société des nations existe en fait avant que le
traité de paix et, avec lui, le Pacte aient été ratifiés par les cinq principales puissances alliées et associées. Il résulte de l'article IV 'du Covenant que leur participation à la Société est indispensable à son fonc-

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tionnement. La première réunion du Conseil et de l'Assemblée doit avoir lieu sur convocation du président des EtatsUnis. Si donc, par suite d'événements improbables et imprévisibles, l'un des Etats représentés au Conseil d'une façon permanente devait renoncer à faire partie de la Société, de nouvelles négociations devraient être entreprises, car il serait nécessaire de modifier le Pacte lui-même.

A teneur de l'article I, la déclaration d'adhésion doit Adhésion être donnée sans .réserve. On doit entendre par « réserve », sai^egr^T~ au sens de ce texte, une déclaration par laquelle un-Etat, maintien de membre de la Société se refuserait à assumer une des obli- la neugations résultant du Pacte, ou prétendrait imposer une inter- tralité.

prétation personnelle de telle ou telle disposition du Pacte, ou encore revendiquerait un droit spécial, autre que ceux qui appartiennent à tous les sociétaires. Une réserve fait brèche au Covenant au profit de celui qui la formule. L'exclusion formelle de toute réserve s'explique par les déplorables expériences faites à l'occasion de la seconde conférence de La Haye. Des conventions qui étaient le résultat de compromis laborieux n'ont, en définitive, .été signées ou ratifiées par certains Etats que sous réserve de l'exclusion des articles qui ne leur convenaient pas.

Une réserve proprement dite, au sujet de la neutralité, qui modifie profondément les obligations découlant de l'article XVI, ne serait donc pas admissible. Mais1 la Suisse ne fera pas une réserve en déclarant que sa neutralité subsiste, en vertu de l'article XXI, comme engagement international assurant le maintien de la paix et, comme tel, compatible avec toutes les dispositions du Pacte. Car sur ce point, la réserve est faite par le Covenant lui-même, comme pour la doctrine de Monroë. Il n'y a pas ici une déclaration faite unilatéralement par l'Etat intéressé. L'article 435 du traité de paix reconnaît, en effet, que la neutralité de la Suisse doit être considérée comme un engagement international pour le maintien de la paix. Le Pacte de la Société des nations, ayant été inséré dans le traité de paix et ayant été signé par les mêmes Etats, l'article 435 interprète authentiquement l'article XXI.

Comme notre pays attache une importance particulière au maintien de sa neutralité et qu'aucun doute ne doit
subsister à ce sujet, il importe qu'en accédant à la 'Société la Suisse fasse sur ce point une déclaration expresse. Il est incontestable que le maintien de la neutralité a trait spé-

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cialement aux sanctions de l'article XVI, car il n'est nécessaire que pour ce cas, mais rien ne doit être négligé pour éviter des divergences dans l'interprétation de points importants. La Suisse tient autant à ne pas décevoir la Société des nations par une interprétation trop extensive de sa neutralité, qu'à ne pas surprendre l'adversaire éventuel ds la Société par une politique qui, à son avis, aurait un caractère différentiel trop marqué.

XI. Réglementation constitutionnelle de l'adhésion.

Caractère

Le Covenant du 28 avril 1919 est le premier traité de ce

propre du genre qu'on ait jamais conclu. Il ne constitue pas une conPacte. , fédération d'Etats, au sens que l'on a donné jusqu'ici à ce

Nécessité d'une révision constitutionnelle.

terme; l'organisme qu'il crée est trop lâche et sa tendance trop universelle. D'autre part, la Société des nations a un but politique beaucoup plus marqué qu'une Union internationale. Enfin son étendue et sa perpétuité la distinguent d'une .simple alliance. Une forme politique nouvelle est née d'une situation historique sans précédent et d'une conception nouvelle des relations internationales. On pourrait être tenté de considérer la Société des nations comme une des alliances qu'en vertu de l'article 85, chiffre 5, de la Constitution fédérale, l'Assemblée fédérale peut conclure ellemême, sans en référer au peuple. Mais les auteurs de nos constitutions de 1848 et de 1874 n'ont certainement pas songé à une association d'Etats de ce genre en rédigeant la disposition de l'article 85 que nous venons de citer.

En résulte-t-il qu'une révision constitutionnelle soit nécessaire ?

La Société des nations étant, par sa nature même, quelque chose d'unique, il ne peut s'agir que de l'attitude à prendre à l'égard du Pacte du 28 avril 1919, et non de l'élaboration d'une disposition constitutionnelle générale concernant les Sociétés de nations.

Examinons les raisons pour lesquelles une révision constitutionnelle peut être jugée nécessaire : On doit se demander en premier lieu si la situation juridique créée par l'accession de la Suisse à la Société des nations change quelque chose à l'état de droit consacré par la Constitution. Le Pacte lui-même n'apporte à notre constitution aucune modification de ce genre. La Société

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des nation® ne porte atteinte ni à l'organisation, ni aux compétences de la Confédération. Les obligations assumées par la Suisse ne sont en principe pas plus étendues que celles que pourraient lui imposer, par exemple, un traité d'arbitrage ou une union administrative.

On pourrait se demander, d'autre part, si la Société des nations laisse notre droit constitutionnel intact en ce qui concerne la neutralité. Mais le principe de la neutralité demeure, bien qu'il doive recevoir une interprétation nouvelle.

Même si tel n'était pas le cas, c'est-à-dire même si la Suisse devait accepter toutes les obligations découlant de l'article XVI, on devrait constater que la neutralité en elle-même n'est pas mentionnée dans notre Constitution parmi les buts de l'union fédérale. Au contraire, les constituants de 1847, à l'inverse de ce qu'avaient fait les auteurs du projet d'acte fédéral de 1832, ont renoncé à faire mention de la neutralité à l'article 2, sans doute sous l'impression des diverses tentatives d'intervention que les puissances signataires des traités de 1815 avaient faites en excipant à tort de leur droit de garantie. On doit dire, cependant, que la Constitution fédérale est basée sur l'idée de la neutralité perpétuelle, considérée comme acquise. Les articles 85, chiffre 6, et 102, chiffre 9, font du maintien de notre neutralité en même temps que de notre indépendance, l'une des tâches des autorités fédérales.

Les considérations juridiques qui précèdent ne sont toutefois pas décisives. Nous sommes en face d'une situation nouvelle, non prévue par la Constitution fédérale. Il s'agit d'une question de première importance. Les autorités fédérales ont, dès lors, le devoir politique de soumettre cette question, en dernier ressort, à l'organe dont elles tiennent leur pouvoir. En matière de législation constitutionnelle, il existe des limites de forme ; il n'y en a point en ce qui concerne le fond. Une autorité constitutionnellement compétente ne doit pas se soustraire par la voie de la revision constitutionnelle à une responsabilité qui lui incombe indubitablement. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit en l'espèce. Nous nous trouvons justement en présence d'un cas pour lequel aucune disposition n'existe dans la constitution.

Depuis sa sortie du saint Empire en 1499, consacrée par les traités de Westphalie en 1648, et abstraction faite de l'époque de la République helvétique et ,de la Médiation,

Baisons politiques à l'appui d'une votation constitutionnelle.

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la Suisse a toujours été un Etat libre de toute attache organique et politique. Conformément à ce principe, elle a toujours interprété sa neutralité dans le sens d'une passivité aussi complète que possible à l'égard des guerres éclatant entre d'autres Etats. La Société des nations et l'orientation nouvelle qu'elle doit donner à notre politique de neutralité modifieront les bases des relations de la Suisse avec l'étranger. Le peuple doit être mis en mesure de faire connaître son opinion sur ce point. Rien ne serait plus pernicieux pour notre politique intérieure qu'une décision des Chambres suspecte de n'être pas conforme à l'opinion de la majorité du peuple. Bien ne pourrait faire plus de tort à l'idée de la Société des nations qu'un reproche fait aux autorités d'avoir décidé de l'entrée de notre pays dans la Société, contre le gré du peuple et çpour des raisons que le peuple ne connaît pas ou n'approuve pas.

Si nous devons nous engager dans la voie de la révision constitutionnelle, l'Assemblée fédérale aura à se prononcer sur un arrêté qui sera ensuite soumis au vote du peuple et des cantons, conformément à l'article 123 de la Constitution fédérale.

Cet arrêté pourrait être rédigé de telle sorte qu'il conDélégation de pouvoirs férât à l'Assemblée fédérale le pouvoir de ratifier le Pacte.

ou décision Les Chambres pourraient alors user ou non de ce pouvoir.

définitive dupeupleet Autrement, l'Assemblée fédérale se prononcerait pour l'addescantons? hésion sous réserve de l'approbation du peuple et des cantons. La décision d'entrer dans la Société ne deviendrait alors définitive qu'en vertu de ce vote populaire.

De ces deux systèmes, le premier semble exclu. Sur une question de cette importance, le peuple voudra statuer et non pas se borner à donner aux Chambres des pleins pouvoirs qui le laisseraient dans l'incertitude quant au résultat.

Ce procédé des pleins pouvoirs ne nous permettrait du resto pas d'observer le délai de deux mois qui nous est imparti pour devenir membre originaire. Dans l'autre système, en revanche, un vote affirmatif des Chambres permettrait de faire en temps utile une déclaration d'adhésion, sous réserve du résultat de la votation · populaire. Il n'est pas possible de dire dès maintenant si cette déclaration n'aurait que le caractère d'une communication, ou si elle devrait
être plutôt assimilée à la signature d'un traité, sous réserve de ratification. Il faudra choisir une procédure évitant, dans la mesure du possible, tout ce qui pourrait avoir Tappa-

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rence d'une atteinte portée à la liberté de décision du peuple et qui, en même temps, soit reconnue suffisante pour .sauvegarder le droit que nous devons exercer dans le délai prévu.

L'arrêté fédéral que les Chambres pourront voter doit, Kp^ne£u en premier lieu, résoudre la question de l'entrée de la Suisse droit cons.

dans la Société. Doit-il s'en tenir à cela ? Deux autres points titutionnel doivent en tous cas être précisés simultanément par l'ar- fédéral, réte : la révision du Pacte et le cas où la Suisse voudrait sortir de la Société.

La révision doit être ratifiée par chacun des Etats sociétaires. Tout Etat qui refuse cette ratification peut sortir de la Société. S'il n'use pas de ce droit, il est lié par le Covenant révisé, tant qu'il ne l'a pas dénoncé. Qui déclarera valablement que la Suisse accepte ou refuse une révision du Pacte ?

La révision aura pour effet d'apporter des modifications au Pacte, tel que le peuple et les cantons l'auront éventuellement accepté. Doit-on admettre, dès lors, que toute révision devra être soumise également au vote du peuple et des cantons ? Ce serait trop compliqué, d'autant plus que, le plus souvent, la révision portera sur des points secondaires du Covenant. De plus, la question qui maintenant va être soumise au pays est celle de savoir si la Suisse entrera dans la Société. Il ne s'agit nullement de décider si les dispositions du Pacte doivent être considérées comme étant des articles nouveaux de notre constitution. En acceptant le Covenant, on admet aussi son article XXVI, d'après lequel la révision est possible. Il n'y a donc pas lieu de mettre une révision éventuelle sur le même plan que' la décision fondamentale d'accession à la Société, quoiqu'il soit possible qu'on ait à entreprendre des révisions portant sur des points essentiels.

Dans ce dernier cas, rien n'empêcherait les Chambres d'en appeler de nouveau au peuple lui-même.

La meilleure solution semble être celle qui consisterait à assimiler, au point de vue de notre droit public, la révision du Pacte à la conclusion d'un traité international. Car, en fait, ratifier une décision de révision équivaut à assumer des obligations internationales nouvelles. On doit à cet égard considérer comme étant d'importance secondaire le fait que la révision du Covenant a lieu, non pas selon les formes habituelles de la conclusion d'un traité, mais sur la base d'une décision de l'Assemblée et du Conseil.

e Feuille fédérale suisse. II année. Vol. IV.

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Approbation d'accords spéciaux en rapport avec la Société des nations.

Dénonciation du Pacte et sortie de la Société.

Les Chambres sont actuellement saisies de l'initiative concernant les traités internationaux. On ne sait pas encore si un contre-projet sera présenté ni, s'il en est ainsi, quel sera 'Son contenu. Il ne serait en tout cas pas opportun de compliquer le projet de révision de l'article 89 de la Constitution fédérale d'une disposition spéciale touchant les révisions du Pacte de la Société des nations. D'autre part, il ne semhle pas indiqué de restreindre d'avance, en ce qui concerne la révision du Covenant, les droits que l'initiative vise à donner au peuple de se prononcer sur les traités en général. Assimiler la révision du Pacte à la conclusion d'un traité, c'est prévoir que l'article 89 révisé de la Constitution fédérale sera aussi applicable éventuellement à l'approbation d'une révision de ce genre.

La solution que nous proposons paraît d'autant plus opportune qu'on doit penser non seulement à la révision du Pacte, mais aussi aux accords qui seront vraisemblablement conclus entre Etats membres de la Société des nations. Un accord sur la protection internationale du travail a déjà été élaboré, qui liera tous les Etats sociétaires. Il est probable que d'autres conventions du même genre verront le jour.

Ainsi l'accord snr le transit international qui est en préparation (cf. art. XXIII e du Pacte). D'autres concordats encore, auxquels les Etats fédérés seront libres d'adhérer on non, seront vraisemblablement proposés par l'Assemblée, dont une des tâches essentielles sera, à notre avis, de travailler au développement du droit international.

Une dernière question doit être examinée, celle du droit de dénonciation du Pacte prévu à l'article I et celle du droit de sortir de la Société, que l'article XXVI donne aux Etats membres. Le Pacte ne peut être dénoncé que moyennant un préavis de deux ans, tandis que chacun des membres peut se retirer en tout temps et sans avis préalable, s'il n'accepte pas un amendement ratifié par les autres.

L'exercice du droit de dénonciation est en général considéré comme rentrant dans les attributions d'un gouvernement. L'approbation des parlements n'est nécessaire que pour conclure un traité, non pour y mettre fin. Cependant, si l'on envisage les relations établies par un traité tel que le Pacte, la dénonciation ou la sortie est, dans tous cas, un acte d'une très grande importance, qui peut avoir des conséquences encore plus graves que l'adhésion. Un tel acte aurait aussi pour effet de mettre à néant la décision prise par

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le peuple et les cantons au sujet de l'adhésion, ainsi que les dispositions constitutionnelles adoptées à cette occasion. Il y a donc lieu d'assimiler les décisions relatives à la dénonciation du Pacte, ou à la sortie de la Société, à la décision d'en devenir membre.

Le Bacte ne peut être dénoncé que moyennant un préavis de deux ians>, mais il peut être dénoncé en tout temps (art. I). L'art. XXVI, d'autre part, ne fixe aucun délai en ce qui touche à l'exercice du droit de sortie (voir cependant p. 147 ci-après). Les retards que pourrait entraîner une votation populaire sont donc ici sans inconvénients.

Il reste à examiner la question de la place à donner à l'article nouveau dans la Constitution fédérale. On pourrait songer à l'insérer soit après l'article 8 (droit de la Confédération de conclure des traités), comme article 8bis, soit à la suite de l'article 85 (compétences de l'Assemblée fédérale), comme article 85bis, soit enfin parmi les dispositions transitoires, puisque sa partie essentielle, c'est-à-dire ce qui concerne l'approbation de la déclaration d'adhésion, n'a qu'une valeur transitoire «t deviendra sans objet après l'accession à la Société. Ni l'une ni l'autre de ces solutions n'est cependant satisfaisante, car, l'article dont il s'agit visant un traité déterminé, il serait un corps étranger dans les chapitres actuels de la Constitution. D'autre part, les dispositions transitoires concernent la mise en vigueur de la Constitution de 1874. Le mieux semble donc être d'ajouter à la Constitution un chapitre IV nouveau, intitulé « Société des nations » et comprenant un article unique (art. 124).

Placeàdonner l'articleànouveau dana la Constitution.

XI T. Conclusions.

Ainsi que nous l'avons exposé au début du présent Mes- Point de f sage, la question de notre adhésion à la Société des nations vue a,4^u^6 doit être envisagée à un double point de vue. Nous avons doit ^jtatTM être tout d'abord à rechercher quels avantages et quels inconvé- examiné.

nients cette adhésion doit entraîner pour notre pays. Mais nous devons nous demander aussi quel est notre devoir au point de vue des intérêts supérieurs de l'humanité, dont notre peuple n'est qu'une faible partie. Du salut de la collectivité dépend celui de ses membres.

Inde- ï ï Notre indépendance est le plus précieux de nos biens politiques. A cette indépendance la Société des nations ne pendance.

peut pas apporter de restrictions, puisque la Suisse a le droit de dénoncer le Pacte en cas de révision non acceptée

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par elle et peut toujours sortir de la Société moyennant un préavis de deux ans. D'autre part, la qualité de membre de la Société n'imposerait à la Suisse aucune obligation qui ne fût pas assumée aussi par les autres Etats sociétaires.

Les devoirs qui y sont attachés ne sont d'ailleurs pas de nature à modifier l'attitude qui, abstraction faite de la politique de neutralité, serait la nôtre même si le Pacte n'existait pas.

Certains craignent cependant l'état de dépendance indirecte dans lequel nous pourrions nous trouver à l'égard des Etats sociétaires les plus puissants. Par suite de l'exclusion provisoire de certains grands Etats, les membres plus faibles de la Société des nations pourraient courir le danger d'être entraînés, aux côtés des puissances principales de la Société, dans un conflit politique entre elles et les Etats exclus. Le fait que la Société des nations n'embrasse pas, dès sa constitution, l'Europe entière, pourrait évidemment mettre la Suisse dans une situation délicate au point de vue de son indépendance. Mais cette indépendance ne serait pas mieux sauvegardée par le refus d'entrer dans la Société. Bien au contraire. Il n'est plus possible aujourd'hui do continuer la politique du passé, politique basée sur l'équilibre des puissances continentales et de leurs alliances. La guerre a détruit l'équilibre ancien et, de plus, l'Empire britannique et les Etats d'outre-mer -- tout particulièrement les Etats-Unis -- sont entrés en rapports politiques beaucoup plus étroits avec les pays du continent européen.

La Société des nations, qui unira le plus grand nombre des Etats civilisés en une association, relâchée si l'on veut, mais pourtant stable, doit, tant qu'elle subsistera -- et nous avons foi en sa viabilité et en son développement futur -- exclure une orientation politique basée sur un éqxiilibre instable entre Etatsi isolés. Du fait que les temps où l'indépendance de la Suisse a été le moins assurée, dans le passé, ont été ceux où un Etat déterminé avait une situation 0prédominante, tels, par exemple, la seconde moitié du XVII siècle et l'époque de Napoléon I, on ne peut tirer des conséquencesi pour le présent. L'hégémonie appartenait alors à une seule puissance. La Société des nations, au contraire, se compose d'un grand nombre d'Etats dont les intérêts, en ce qui nous concerne,
sont très divers. Nous ne croyons pas que l'on ait nulle part l'intention d'exercer une pression sur la Suisse.

Nous pouvons aussi espérer que, parmi les puissances diri-

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géantes au sein de la Société, il s'en trouvera toujours qui nous soutiendront. Cet espoir est justifié par le fait que, pendant la guerre de cinq ans qui vient de prendre fin, notre pays a toujours, malgré des difficultés de toutes sortes, trouvé la compréhension et l'appui qui lui étaient nécessaires. En outre et enfin, ce qui infirme toute èomparaison qu'on peut être tenté d'établir entre le présent et un passé éloigné, c'est le fait nouveau de la démocratie, dont le triomphe s'affirme peu à peu dans tous les pays.

Si la Suisse restait à l'écart de la Société des nations, ce n'est qu'en apparence que son indépendance réelle serait plus grande. Notre abstention n'enlèverait évidemment rien de son importance à la Société. Elle n'en comprendrait pas moins la .plupart des Etats, et les plus puissants d'entre eux.

C'est de ses membres que nous continuerons à dépendre pour les matières premières et les denrées alimentaires qui nous sont indispensables, et c'est leur territoire qui restera le marché principal de notre industrie. A maints égards, nous dépendrions donc, malgré tout, de ces Etats. Mais que deviendraient nos relations avec ces pays si nous refusions de nous joindre à la Société fondée par eux, s'ils considéraient cette attitude comme une marque de défiance à leur égard et s'ils y voyaient le désir de rester, par égoïsme, à l'écart de l'organisation créée dans l'intérêt commun de l'humanité ? Nous avons de justes raisons de craindre qu'on interprète de la sorte une réponse négative de notre part. En restant en dehors de la Société, nous aurions au surplus, en cas de conflit avec une des puissances dirigeantes, beaucoup moins de chances d'obtenir d'une autre d'entre elles l'appui amical qui nous serait nécessaire.

Si nous prétendons nous isoler, nous serons inévitablement refoulés du côté des Etats qui sont actuellement exclus de la Société. Nous sommes trop dépendants de chacun de nos voisins au point de vue tant économique que culturel, pour pouvoir nous isoler réellement vis-à-vis de la Société des nations et pouvoir, en même temps, rester indépendants des Etats qui n'en font pas .partie. Ces derniers, d'autre part, qui ont actuellement à lutter avec de graves difficultés financières et dont l'économie publique a, en partie, une certaine analogie avec la nôtre, seront hors d'état de
nous fournir l'équivalent de ce que nous devrions recevoir des membres de la Société des nations. Nous aurions, au contraire, à redouter de leur part une immigration dépassant notre pou-

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voir d'assimilation et une pénétration économique à laquelle . notre isolement ne nous permettrait guère d'opposer la résistance nécessaire.

Sécurité.

L'indépendance de notre pays est étroitement liée à sa sécurité vis-à-vis de l'extérieur; Plus faible est la probabilité d'une attaque dirigée contre notre territoire, plus le danger de la guerre en soi peut être conjuré, plus aussi est assurée notre indépendance. Nous sommes trop faibles visà-vis de nos grands voisins et, entraînés dans une guerre "* aux côtés de l'un d'eux, nous- n'aurions pas comme alliés la puissance nécessaire pour conserver la direction de nos propres intérêts.

Si donc la Société des nations atteint son but, même imparfaitement, elle augmentera notre sécurité. La situation politique du continent pendant le dernier quart 'de siècle et la tension croissante de cette situation au cours des dix années qui ont précédé la guerre ont été si menaçantes, surtout pour un pays comme le nôtre, elles ont rendu notre existence en réalité si précaire, que nous devons accueillir avec soulagement tout ce qui peut, d'une manière quelconque, empêcher le retour à l'état de choses ancien. Le fait que nous avons été, grâce à un destin favorable, épargnés par la guerre, ne doit pas être une raison de nous endormir dans une sécurité trompeuse. Nous devons au contraire nous efforcer de comprendre la leçon de la catastrophe à laquelle nous avons eu le bonheur d'échapper et, pour l'avenir, orienter notre politique étrangère en conséquence.

On pourrait peut-être alléguer que, si la Société des nations assure vraiment le maintien de La paix générale, elle peut le faire aussi bien sans nous qu'avec nous. Un tel raisonnement serait non seulement indigne de nous, parce qu'il implique à la fois, vis-à-vis .de la Société, un dé.faut de confiance et l'espoir d'en tirer des avantages, mais même erroné. C'est seulement si nous faisons partie de la Société que nous serons dans tous les cas en droit d'invoquer les garanties de paix créées par les articles XII à XVII du Pacte; ce n'est que si nous souscrivons au Covenant que nous pourrons bénéficier de la garantie complémentaire que son article X ajoute, pour nous, à la garantie territoriale de l'acte de 1815 qui reconnaît notre neutralité.

Si, de l'existence de la Société des nations, c'est-à-dire de l'atténuation du risque de guerre, nous attendons une

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augmentation de la sécurité dont nous jouissons, nous ne devons cependant nullement nous dissimuler que le fait d'appartenir à la Société peut, à certains égards, être pour nous la cause d'une aggravation de risques parce qu'en cas d'action collective, nous ne pourrions pas tenir la balance égale entre les deux partis. Quelle est la gravité de ce danger ? On peut être d'avis différents soit quant à la question de savoir si l'éventualité d'une action commune pourra réellement se réaliser, soit aussi en ce qui concerne la mesure dans laquelle des différenciations dans notre politique de neutralité pourraient servir de prétexte à une invasion de notre pays. Comme au sein de la Commission de la défense nationale ce péril a été mis en avant avec insistance, nous devons, en pesant toutes les raisons qui militent pour ou contre notre entrée dans la Société des nations, le considérer comme l'objection principale à notre adhésion. Ce danger, auquel il faut joindre le contre-coup que notre participation aux sanctions doit nécessairement avoir sur notre vie économique est, en fait, le seul préjudice matériel que l'on ait à prévoir pour le cas de notre accession à la Société des nations.

Mais nous devons nous dire, tout d'abord, que ce préjudice représente la part de risque dont nous devons nous charger si nous voulons coopérer à la réalisation de l'idée nouvelle. Au surplus, nous devons nous rendre compte que nous nous trouverions dans une situation des plus difficiles, peut-être même intenable, si nous prétendions maintenir une neutralité absolue même à l'égard des actions collectives.

Cette situation ne peut pas être 'Comparée avec celle 'qui nous a été faite au cours de la dernière guerre, et encore moins dans les guerres passées. Membre désolidarisé de la Société, nous serions dans une situation équivoque vis-à-vis d'elle. Et nous ne serions pas en meilleure posture vis-à-vis de son adversaire, avec lequel nous verrions toutes nos relations rompues de fait par suite du blocus collectif exercé, autour de nous, contre lui.

Si nous ne faisions pas partie de la Société, nous serions isolés politiquement dans tous les cas. La Société des nations ne pourrait que difficilement conserver une attitude amicale à l'égard d'un Etat qu'elle considérerait comme favorisant son adversaire. Et la conduite de ce dernier,
combattu par la plus -grande partie du monde, serait sans doute déterminée par des considérations d'opportunité pure et non par des sentiments de gratitude inspirés par notre neutralité absolue.

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La situation militaire.

Situation économique

Nous sommes, il faut nous en rendre clairement compte, en présence do faits nouveaux, en face desquels nous avons à prendre des décisions qui ne sauraient n'avoir pour nous que des avantages.

Abstraction faite de la question de savoir quelles sont les chances que la neutralité a d'être respectée en cas d'action collective, l'examen de la situation militaire établit que nos charges militaires seraient 'approximativement les mêmes que nous accédions à la Société des nations ou que nous restions en dehors d'elle. Le devoir d'assurer l'inviolabilité de notre territoire en cas de guerre nous imposerait, puisque nous devons nous défendre par nos propres moyens, l'obligation d'avoir une armée suffisante et bien préparée, et non pas l'obligation de fournir simplement un contingent à une armée collective qui aurait à nous défendre. Nous avons, d'autre part, plus de chances d'éviter que la Suisse ne devienne le théâtre de la guerre.

On ne peut pas dire encore si la Société des nations pourra, ainsi qu'elle se le propose, arriver à réaliser une réduction effective des armements. Il est certain, en revanche, que si une telle limitation est possible, elle ne pourra être obtenue que par l'action de la Société des nations. Si ce but ne peut pas être atteint, nous allons à cet égard au devant d'un état de choses probablement pire que celui qui a précédé la dernière guerre. Il est sans doute secondaire, en ce qui concerne le succès du mouvement tendant à mettre fin à la course aux armements, que la Suisse fasse ou ne fasse pas partie de la Société. Mais si nous désirons que ce but soit atteint, nous devons collaborer à sa réalisation, puisqu'on désire notre concours.

Le Pacte n'assure des avantages économiques aux Etats sociétaires que sous une forme très imprécise. Ce serait donc une erreur d'accéder à la Société dans l'idée que, par là, nous obtiendrons des garanties dont profiteroxit d'emblée et directement nos relations commerciales avec l'étranger.

On doit comprendre, en revanche, que si nous restons à l'écart de la Société des nations, notre isolement politique rendra très difficile d'établir notre commerce extérieur sur des bases sûres et avantageuses. Nombre d'Etats sont, aujourd'hui et, sans doute, pour un certain temps encore, disposés à orienter leur politique commerciale dans le sens du protectionnisme. Il est possible aussi que Jes Etats que la

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guerre a unis se favorisent mutuellement dans le domaine des relations commerciales. En tout cas, un Etat qui, invité à se joindre à la Société des nations, aura préféré n'y pas adhérer, se trouvera en règle générale dans une situation moins favorable pour la conclusion de traités de commerce que si, par l'intermédiaire de la Société, il était entré en rapports plus étroits avec ses membres. A une époque où les questions de sentiment ont une influence si considérable sur la politique, on ne doit pas non plus négliger ces impondérables en ce qui concerne la solution des problèmes économiques. II serait d'un optimisme exagéré d'admettre qu'en sa qualité de gros acheteur, la Suisse pourrait, quelle que fût d'ailleurs sa situation internationale, s'assurer un marché satisfaisant comme vendeur.

En examinant cet aspect du problème de la Société dèsnations, on ne doit jamais perdre de vue que l'existence économique de la Suisse repose dans une très large mesure sur ses relations avec l'étranger. Nos industries travaillent surtout pour l'exportation. Nos matières premières nous viennent du dehors. Nos transports, c'est-à-dire tant l'utilisation de nos voies de communication par l'étranger que les transports nécessaires pour nos importations, dépendent d'accords internationaux.

Si le Pacte de la Société .des nations, par son texte même, ne nous offre que très peu de chose au point de vue de la politique 'Commerciale, si même, aux yeux des sceptiques, il ne nous offre rien du tout à cet égard, notrf; adhésion éventuelle à la Société n'est pas moins de natura à nous rapprocher des autres Etats membres et ,611e constitue un facteur moral essentiel que la Suisse pourrait invoquer le jour où elle serait menacée dans ses intérêts vitaux. Si nous restons à l'écart, quantité de négociations et de possibilités d'accords seront exclues. Les relations entre les peuples seront réglées en notre absence et nous perdrons les meilleures occasions de nous faire entendre.

Si l'on ne doit pas méconnaître que le système de sanctions organisé par le Pacte peut être une source de dangers et de préjudice économique grave, tout spécialement pour un pays qui, comme la Suisse, dépend étroitement du reste du monde, il'faut se souvenir aussi que ces dangers et ce préjudice nous menacent d'ailleurs, quoique sous des formes différentes, aussi bien si nous nous refusons à entrer dans la Société des nations

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La situation au point de vue de la solution des questions sociales.

que si nous y accédons. Si nous restions à l'écart, il nous serait probablement, dans le cas de sanctions décrétées par la Société, encore plus difficile qu'au cours de la dernière guerre d'assurer notre existence économique. Le blocus serait encore plus général et plus strict et, n'appartenant p.as à la Société des nations, la Suisse ne pourrait pas compter sur autant de bienveillance et de sympathies que par le passé. Par contre si, comme membre de la Société, la Suisse prend part aux mesures économiques dirigées contre un Etat rebelle, elle doit compter non seulement avec la rupture des relations entre elle-même et cet Etat, mais encore avec les mesures de rétorsion que 'Ce dernier pourra prendre, cbez lui, à l'égard des biens appartenant à la Suisse et même à ses ressortissants. Ce risque peut être très grave, surtout en cas de conflit intéressant les Etats qui nous avoisinent. Il a pour compensation l'obligation que le Pacte impose aux Etats fédérés 'de se prêter un appui mutuel >en matière économique.

Le fait que, en n'accédant pas à la Société des nations, la Suisse ne pourrait pas non plus adhérer à la convention relative à la réglementation internationale du travail, a moins d'importance. Kien, en effet, n'empêcherait la Suisse de développer elle-même sa propre législation du travail. Cependant, elle abandonnerait le rôle initiateur qu'elle a joué jusqu'ici en matière de protection internationale du travail, et elle perdrait par là toute influence dans ce domaine. Coopérer est poxir elle, ici encore, un devoir moral.

Certains milieux font au pacte de Paris une opposition très vive. On la justifie en disant que ce Pacte est en quelque mesure la consécration des principes conservateurs, qu'il sert les intérêts du capitalisme et qu'il a pour but de tenir en bride les Etats avancés dans la voie du socialisme ou du communisme. On déduit de là que la Suisse ne doit pas souscrire au Pacte et qu'elle doit, au contraire, prendre parti contre les tendances de la Société qu'il crée, jusqu'à ce que la révolution, inévitable et prochaine, ait permis de fonder une Société des nations vraiment démocratique et sociale. De ce point de vue, on soutient que la Suisse devrait, au surplus, conserver une attitude de neutralité absolue, parce que l'opposition des intérêts sociaux qui divisent notre pays et qui seront représentés, d'un côté par la Société, de l'autre par les Etats exclus, prendra la place des divergences confessionnelles et

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raciales qui ont fait, dans le passé, et font aujourd'hui encore pour nous, dans une certaine mesure, de la neutralité une nécessité.

A cette argumentation on doit objecter, en premier lieu, qu'aucun article du Covenant ne préjuge la question de savoir quel doit être le régime constitutionnel des Etats sociétaires ou la forme donnée à leur organisation économique et sociale et que la Société des nations n'a aucun droit d'intervenir dans les affaires intérieures de ses membres. Le fait que les pays dans lesquels le mouvement social s'est manifesté avec une force particulière ne sont pas au nombre des membres originaires ne prouve nullement que ces Etats doivent être définitivement exclus de la Société. Leur exclusion momentanée est due à d'autres raisons : d'une part, ils ont été en guerre ou n'ont pas encore conclu la paix avec les fondateurs de la Société; d'autre part certains d'entre eux n'ont pas encore de gouvernement stable et reconnu. Les expériences qui, en matière sociale, ont été faites par la Eussie, la Hongrie et l'Allemagne démontrent au surplus que même des transformations de l'ordre social peuvent s'accomplir dans le cadre des Etats nationaux, tels qu'ils ont existé jusqu'ici. La Société des nations, dont les Etats sont la base, n'est donc pas un obstacle à des innovations dans le domaine économique.

La question de savoir quels seront les systèmes économiques représentés dans la Société dépend au contraire exclusivement du développement politique que prendront les Etats membres. Il convient de remarquer, du reste, que quelquesuns des plus importants parmi les Etats fondateurs de la Société sont des pays très avancés au point de vue de l'évolution démocratique et de l'organisation sociale.

Si la Société des nations est un moyen de faciliter l'oeuvre de reconstruction économique, elle ne peut qu'être en même temps un agent de progrès social. La production s'intensifiera et les conditions d'existence s'amélioreront dans la mesure même où la vie économique sera affranchie du risque de guerre et où les ressources économiques pourront être consacrées aux oeuvres de la paix.

Si sceptique que l'on puisse être à l'égard de la Société des nations et des avantages économiques qu'elle apportera, on doit pourtant reconnaître que, sans elle, les relations internationales deviendront encore plus incertaines, les exigences de la préparation à la guerre encore plus grandes et

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Rapports entre la Suisse et les autres Etats.

Là situation internatiomission de la Suisse,

que, par conséquent, les Etats auront d'autant moins de chances de pouvoir progresser et donner aux peuples plus de liberté et de justice sociale.

Les relations entre la Suisse et les autres Etats ne peuvent que gagner à l'association que représente la Société des nations. Si la Suisse voulait rester en dehors, ses rapports avec quelques-unes des puissances dirigeantes se refroidiraient inévitahlemeflt.

Quant aux rapports avec les Etats actuellement exclus, ils seront différents selon que ces pays aspireront à entrer dans la Société, ou, qu'ils s'uniront plus ou moins étroitement contre sa politique. Dans le premier cas, le fait, pour la Suisse, de faire partie de la Société, ne saurait nuire à ses relations avec les Etats restés en dehors d'elle. Elle pourrait au contraire, grâce aux relations maintenues, servir de trait d'union entre eux et la Société. Dans l'autre hypothèse, par contre, la Suisse se trouverait dans une situation également difficile, qu'elle soit ou non membre de la Société. Si, après ia,voir accédé à la Société des nations, nous devions constater qu'elle renonce à sa mission de pacification universelle, nous serions obligés d'examiner la question de savoir si nous pouvons continuer à en faire partie. Nous avons cependant le ferme espoir que cette situation, douloureuse pour nous, ne se réalisera pas, car, dans ce cas, nous nous trouverions dans les conditions les plus défavorables qu'on puisse concevoir pour un Etat qui veut rester indépendant.

Nous comptons, au contraire, que dans un avenir prochain la Société des nations deviendra réellement universelle. Si tel ne devait pas être le cas, des germes de dissolution se développeraient tôt ou tard en elle. L'indépendance de la Suisse serait alors menacée, non plus par le danger d'une orientation partiale de sa politique, mais par l'insécurité générale qui serait la conséquence inévitable du retour à l'anarchie dans les relations internationales.

La situation internationale de la Suisse sera affermie par la qualité de membre de la Société des nations et, en Par*iculier' Par le f&it lue 1e siège de la Société se trouvera dans notre pays. Nous entrerons par là en contact plus étroit avec les facteurs principaux et les organes permanents de la vie internationale. Les réunions du Conseil et de l'Assemblée auront lieu dans la règle à Genève. Les premières années, peut-être même d'une manière durable, le Conseil siégera

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plus ou moins en permanance. De là naîtront des relations de toutes sortes par lesquelles nous serons appelés indirectement à recevoir et à donner. Particulièrement importante sera l'influence que pourront exercer les offices permanents de l'association, c'est-à-dire le . Secrétariat général et les autres organisations dépendant de la Société. La concentration de l'activité internationale que la Société des nations espère réaliser créera, à sou siège, un foyer des intérêts mondiaux où notre pensée politique trouvera des éléments nouveaux. Ces influences que nous subirons seront imputables non à tel ou tel Etat en particulier, mais à tous, et leur caractère universel fera que, loin de les craindre, nous les accueillerons avec joie. Elles donneront à notre pays l'impulsion et la force nécessaires pour élever sa tâche nationale à la hauteur d'un idéal international. Ce qui, pendant longtemps, a été la raison d'être de la Suisse, c'est Qu'elle représentait, surtout en Europe, le principe « démocratique et républicain. Dans la mesure où ce principe est maintenant réalisé dans la vie de tous les peuples et spécialement de tous nos. voisins, il cesse de conférer à la Suisse une individualité politique à part et il ne suffit plus à lui assigner une mission spéciale.

La fédération de démocraties librement constituées dans le but de développer et d'assurer l'ordre juridique international est, dans le domaine politique, la grande tâche de l'avenir. C'est l'idée qui est à la base de la Société des nations. La Suisse se trouve déjà dans La .ligne de l'évolution future par son histoire, qui est celle du développement progressif de l'idée federative, et par la diversité des races qu'elle unit. En coopérant à l'oeuvre entreprise par la Société des nations^ elle restera fidèle à sa nature la plus intime, elle servira une politique dont le but positif peut unir dans un même élan tous les confédérés. Est-il un fait qui, mieux que l'attribution à la Suisse du centre de la Société des nations, soit de nature à enrichir et à développer notre pensée et notre action politiques ? Une occasion unique nous est offerte de nous élever au-dessus de notre exiguïté territoriale et de l'étroitesse d'esprit dont, malheureusement, elle a été parfois la cause. Que nous ayons ou non un représentant au Conseil, qu'il y ait plus ou moins de Suisses dans les offices de la Société des nations, c'est chose secondaire. Une mission telle que celle que l'avant-projet suisse voulait donner

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Avantages et inconpointdeSvue spécialement suisse,

aux Etats neutres eût, il est vrai, été précieuse et pour la Société des nations et pour nous-mêmes. Mais, même si nous n'avons pas une part effective à la direction de la Société, l'esprit suisse pourra exercer sur elle une influence indirecte. Car, entre la Société des nations et cet esprit, on peut dire qu'il y a comme une harmonie préétablie.

Que seraient, en dehors de la Société des nations, notre situation et notre mission internationales ? Nous perdrions tôt ou tard l'influence et l'autorité morale que nous pouvons avoir aujourd'hui. Et rien ne pourrait, aux yeux des peuples, compenser notre petitesse matérielle.

Au surplus, ce n'est pas seulement notre situation internationale qui serait compromise par un refus d'entrer dans la Société des nations. Nous aurions à redouter aussi des difficultés intérieures, d'autant plus dangereuses pour notre patrie qu'elles trouveraient peut-être, à cause de notre isolement politique, un appui dans certaines attractions du dehors.

L'espoir d'obtenir, en restant à l'écart, une modification du Pacte de la Société des nations dans le sens de nos voeux et de nos idéaux serait trompeur et reposerait sur une exagération dangereuse de notre importance et de notre force créatrice. Bester en dehors de la Société, c'est nous exposer à l'impuissance politique.

Si, en nous plaçant exclusivement au point de vue suisse, nous embrassons encore une fois d'un coup d'oeil les avantages et les inconvénients de l'une et de l'autre solution, nous avons quelque peine à préciser des avantages tangibles et décisifs, ou en tout cas à établir que les avantages l'emportent nettement sur les inconvénients. Aux yeux même de beaucoup, les risques militaires et économiques qui, évidemment, résultent de notre solidarité avec la Société des nations, assombrissent la perspective qu'elle^ nous offre d'une sécurité plus complète et d'une situation internationale plus haute. Mais le danger de l'isolement politique et économique doit peser d'un plus grand poids que ces considérations, alors même que le préjudice résultant d'un refus d'adhérer n'est pas immédiatement à craindre et qu'on pourrait être tenté de croire qu'en ce cas nous jouirions de la même -sécurité -- une sécurité peut-être surestimée -- que par le passé. Quoi qu'il en soit, les éléments du problème envisagé à ce point de vue sont si complexes et si difficiles à apprécier .avec certitude qu'un jugement catégo-

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rique est extrêmement diffìcile et peu sûr. On doit, reconnaître que c'est une question de sentiment plus que de raison.

Donc, si nous ne nous plaçons qu'à un point de vue Le point éroitement national et utilitaire, la décision, qui tout compte gBne de> vue fait doit être affirmative, est difficile à prendre. Du point * de vue général, par contre, une considération s'impose qui est décisive. C'est qu'au moment où les nations sont appelées à créer une organisation internationale nouvelle et meilleure, le peuple suisse consulté ne peut pas rester indifférent. Si les événements devaient, en définitive, donner raison aux sceptiques et aux pessimistes, si la Société des nations .devait dégénérer en une simple alliance de puissances visant à la domination, ou si elle devait un jour reconnaître son impuissance et disparaître, ceux qui, de prime abord, auront eu la prudence de douter d'elle pourront railler la naïveté des optimistes qui lui avaient fait confiance. Mais qu'auront perdu ces derniers î Une espérance, non pas le témoignage de leur conscience d'avoir voulu quelque chose de juste et de grand.

Qu'on admette, au contraire, que, de l'organisme imparfait qui nous est proposé, sorte avec l'aide du temps une Confédération universelle conforme à l'idéal entrevu. Dans quelle situation nous trouverions-nous alors si par étroitesse, par scepticisme ou par égoïsme, nous avions laissé échapper l'occasion qui nous est aujourd'hui offerte d'apporter notre voix à une cause qui est celle de l'humanité et dont la poursuite est conforme aux principes qui sont à la base de l'Etat suisse Ì Le fait que l'idée de la Société des nations peut se réaliser sans l'aide de notre petit pays ne nous libère en aucune façon de la responsabilité qui nous incombe au sujet de la 'décision que le devoir nous impose aujourd'hui.

Le devoir d'agir ressort pour nous de la terrible leçon que vient de nous donner la guerre. Ou bien aurions-nous oublié nos angoisses au sujet de notre pays, la disette qui l'a menacé, toutes les horreurs de la haine et de la calomnie déchaînées ? Allons-nous, à peine le danger immédiat écarté, attendre l'avenir avec indifférence, les bras croisés et exposer nos enfants et nos petits-enfants à un sort qui peut être pire ? Il est insensé de se contenter de dire qu'il y a toujours des guerres. La guerre est le fléau de l'humanité, la violation de la loi morale suprême. Elle ne reste d'ailleurs pas ce qu'elle était autrefois. Les progrès de la

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technique lui donnent un développement monstrueux et nul ne peut dire où s'arrêtera son pouvoir de destruction.

Dès aujourd'hui, elle est devenue un danger pour notre civilisation tout entière, un danger en Comparaison duquel tous les renoncements et tous les risques que peut nous apporter la Société des nations ne sont rien.

Nous ne pourrions refuser notre collaboration à la Société des nations que si elle était un obstacle à l'avènement d'une organisation pacifique équitable et durable. C'est ce que beaucoup lui reprochent. Ils invoquent soit les imperfections du Pacte, soit le fait qu'il est étroitement lié, en la forme et au point de vue politique, à un traité de paix considéré comme injuste. D'autres enfin déclarent qu'il serait impassible d'améliorer l'état de choses existant, en matière de relations internationales, tant que l'organisation sociale restera ce qu'elle est. La discussion est inutile avec ceux qui font valoir ce dernier argument, car ils se placent sur un autre terrain que nous-mêmes. Nous ne pouvons guère, non plus, espérer convaincre ceux qui ne partagent pas notre manière de voir parce qu'ils condamnent le traité de paix.

Les jugements portés à cet égard s'inspirent, en effet, souvent de raisons de sentiment. Sur ce point, notre neutralité nous impose d'ailleurs une certaine réserve. Quant à ceux qui critiquent les imperfections du Pacte, nous leur répondons que ces déficits ne nous ont nullement échappé, mais qu'ils étaient presque inévitables, tout au moins en partie, dans les circonstances politiques actuelles. Comment une oeuvre parfaite eût-elle pu naître de la situation créée par la guerre qui vient de prendre fin Ì On ne doit pas non plus oublier que parmi les détracteurs les plus irréductibles du Pacte de Paris, nombreux sont ceux qui, tout récemment encore, tournaient en dérision l'idée d'une Société des nations ou ne l'admettaient que comme un moyen de duper l'opinion publique. Ils cherchent aujourd'hui à la discréditer en prétendant la mesurer, en sa forme actuelle, à l'aune d'un idéal pour l'instant irréalisable.

Ceux qui restent sur le terrain solide des réalités politiques et qui, en même temps, aspirent sincèrement à la réalisation de cette grande idée, jugeront le Pacte en tenant compte de ce qui peut en sortir et de ce que nous aurions s'il n'existait pas. Nous croyons avoir montré que la Société des nations réalise un très grand progrès sur le

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passé et qu'elle offre de réelles perspectives de développement. Ces espoirs seront-ils justifiés par les faits î Nul ne pouvant en apporter la preuve, c'est une question de foi.

Toute grande décision dépend d'un acte de foi, car elle est basée sur l'appréciation de l'avenir et sur l'évaluation d'impondérables.

Nous avons cette foi, parce que la Société des nations est un postulat de la raison et de la morale. Notre confiance est justifiée par la persévérance avec laquelle les hommes d'Etat qui ont donné au Pacte l'empreinte de leurs conceptions, ont lutté contre toutes les résistances et tous les scepticismes, pénétiés qu'il étaient de la grandeur et de la nécessité de leur oeuvre.

Si la Société des nations ne pouvait pas vivre, il faudrait désespérer de la réorganisation de la vie internationale. C'est une constatation qui s'impose. Non seulement ce serait la persistance, dans ce domaine, de l'état actuel de méfiance invétérée, la continuation de la course aux armements et l'ébranlement toujours plus grave du sentiment du droit, mais cela conduirait à une situation absolument intenable, à des catastrophes sociales, étant donné l'état d'épuisement économique et moral de tant de peuples. La guerre latente et l'absence de toute organisation stable assurant l'évolution pacifique de la vie internationale ne pourraient engendrer que la misère sociale et économique. Ce serait la ruine des espérances de ceux qui croyaient à la possibilité d'une amélioration progressive des conditions de la politique internationale. Si les souffrances indicibles de la dernière guerre ne suffisent pas à décider les hommes à sortir de l'ornière, si par sottise, par étroitesse de vues ou par frivolité, l'humanité laisse aujourd'hui l'ancien état de choses suivre son cours, on ne sait vraiment pas ce qu'il faudra pour provoquer la réforme nécessaire.

Le président .Wilson déclarait récemment que la Société des nations est actuellement l'unique espoir de l'humanité.

Rien n'est plus exact. Qui donc, si ce n'est elle, permettra à l'humanité de vivre et de se développer dans la paix ? Quel autre moyen y aurait-il de remédier, sans de nouvelles guerres encore plus néfastes que celles du passé, aux états de choses qui, parce qu'ils sont injustes ou ne donnent pas satisfaction aux besoins nouveaux d'une situation nouvelle, sont un danger pour la paix ? Et de quel droit peut-on croire qu'une nouvelle guerre pourra créer une Feuille fédérale suisse. Il' année. Vol. IV.

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base meilleure pour l'institution d'une Société des nations î Le sentiment du droit est si affaibli dans le monde que de nouveaux conflits guerriers ne pourraient que rendre plus difficile encore, pour l'humanité, la réorganisation de la vie internationale sur la base de la justice et de l'équité.

Si nous avons la conviction que la Société des nations est une nécessité, que l'occasion d'en réaliser l'idée s'offre aujourd'hui pour la première fois, et que cette Société pourra se transformer en une association pacifique de tous les peuples d'autant plus vite que les neutres y auront apporté leur rapide et joyeuse adhésion, la Suisse n'a pas le droit de rester en arrière. Elle a, au contraire, le devoir de prendre position au premier rang des neutres, de même que, jusqu'ici, elle a été, parmi eux, un des plus sincères partisans du principe.

En restant en dehors de la Société, la Suisse perdrait toute influence sur son développement. On se préoccupe de la révision du Pacte. Il faut qu'on sache que, même réunis dans une action commune, les neutres ne pourraient pas obtenir actuellement la modification du Covenant accepté en même temps que la paix. Ce n'est qu'en qualité de membres de la Société qu'ils pourront exercer une initiative efficace. Ce serait une erreur de placer son espoir en une autre Société des nations. Si, pour une raison quelconque, l'oeuvre actuelle devait échouer, on peut dire, à vues humaines, qu'une tentative nouvelle ne serait pas faite de sitôt.

Rares sont, dans l'histoire, les moments auxquels peut se réaliser une idée qui se heurte à tant de préjugés et à tant de jalousies. Nous sommes à un de ces moments. Prenons garde d'être petits à l'instant solennel où nous sommes appelés à nous prononcer, par des actes, pour la grande idée de la Société des nations.

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Nous vous proposons d'accepter le projet d'arrêté fédéral ci-après et vous prions, Messieurs, d'agréer l'expression de notre haute considération.

Berne, le 4 août 1919.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le préaident de la Confédération, ADOE.

Le chancelier de la Confédération, STEIGER.

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(Projet.)

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la CONFÉDÉRATION SUISSE, Après avoir pris connaissance d'un Message du Conseil fédéral en date du 4 août 1919; Constatant que la neutralité perpétuelle de la Suisse, reconnue notamment par l'Acte du 20 novembre 1815, est envisagée par l'article 435 du traité de paix conclu, le 28 juin 1919, entre les Puissances alliées et associées et l'Allemagne, comme un engagement international pour le maintien de la paix, et que la neutralité perpétuelle de la Suisee doit, conformément à l'article XXI du Pacte de la Société des nations, être considérée comme n'étant incompatible avec aucune des dispositions dudit Pacte, décrète : I. Un chapitre quatrième (Société des nations) sera ajouté à la Constitution fédérale du 29 mai 1874. Il comprendra l'unique article suivant (art. 124) : «La Suisse accède au Pacte de la Société des nations adopté, le 28 avril 1919, par la Conférence de la paix réunie à Paris.

« Les dispositions de la Constitution fédérale concernant la ratification de traités internationaux sont 'applicables à la ratification des amendements apportés audit Pacte et à l'approbation des conventions de tout genre qui sont en rapport avec la Société des nations.

« Les décisions relatives à la dénonciation du Pacte ou à la sortie de la Société des nations doivent être soumises au vote du peuple et des cantons. » II. Le présent arrêté fédéral sera soumis au vote du peuple et des cantons.

III. Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du pré·ent arrêté.

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PACTE de la Société des nations*).

Les Hautes Parties Contractantes, Considérant que pour développer la coopération entre les nations et pour leur garantir la paix et la sécurité, il importe d'accepter certaines obligations de ne pas recourir à la guerre, d'entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l'honneur, d'observer rigoureusement les prescriptions du Droit international, reconnues désormais comme règle de conduite effective des Gouvernements, de faire régner la justice et de respecter scrupuleusement toutes les obligations des Traités dans les rapports mutuels des peuples organisés, adoptent le présent Pacte qui institue la Société des nations.

Article premier. · Sont membres originaires de la So- Gomposiciété des nations, ceux des Signataires dont les noms figu- tion de la rent dans l'annexe au présent Pacte, ainsi que les Etats, Société, également nommés dans l'annexe, qui auront accédé au présent Pacte sans aucune réserve par une déclaration déposée au Secrétariat dans les deux mois de l'entrée en vigueur du Pacte et dont notification sera faite aux autres membres de la Société.

Tout Etat, Dominion ou Colonie qui se gouverne librement et qui n'est pas désigné dans l'annexe, peut devenir Membre de la Société si son admission est prononcée par les deux tiers de l'Assemblée pourvu qu'il donne des garanties effectives de son intention sincère d'observer ses engagements internationaux et qu'il accepte le règlement établi *) Voir la note précédant l'annexe II, 11, en ce qui concerne les différences entre le texte adçpté le 28 avril 1919 et celui que contient le traité de paix du 28 juin 1919. L'annexe II, 11, reproduit le texte anglais, allemand et italien du Pacte.

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par la Société en ce qui concerne ses forces et ses armements militaires, navals et aériens.

Tout Membre de la Société peut, après un préavis de deux ans, se retirer de la Société, à la condition d'avoir rempli à ce moment toutes ses obligations internationales y compris celles du présent Pacte.

Organes.

Art. II. L'action de la Société, telle qu'elle est définie dans le présent Pacte, s'exerce par une Assemblée et par un Conseil assisté d'un Secrétariat permanent.

Assemblée.

Art. III. L'Assemblée se compose de Représentants des Membres de la Société.

Elle se réunit à des époques fixées et à tout autre moment, si les circonstances le demandent, au siège de la Société ou en tel autre lieu qui pourra être désigné.

L'Assemblée1, connaît de toute question qui rentre dans la sphère d'activité de la Société ou qui affecte la paix du monde.

Cbaque Membre de la Société ne peut compter plus de trois représentants dans l'Assemblée et ne dispose que d'une voix.

Conseil.

Art. IV. Le Conseil se compose de Représentants des Etats-Unis d'Amérique, de l'Empire Britannique, de la France, de l'Italie et du Japon *) ainsi que de Représentants de quatre autres Membres de la Société. Ces quatre Membres sont désignés librement par l'Assemblée et aux époques qu'il lui plaît de choisir. Jusqu'à la première désignation par l'Assemblée, les représentants« de la Belgique, du Brésil, de l'Espagne et de la. Grèce eont membres du Conseil.

Avec l'approbation de la majorité de l'Assemblée, le Conseil peut désigner d'autres Membres de la So"iété dont la représentation sera désormais permanente au Conseil. Il peut, avec la même approbation, augmenter le nombre des Membres de la Société qui seront choisis par l'Assemblée pour être représentés au Conseil.

Le Conseil se réunit quand les circonstances le demandent, et au moins une fois par an, au siège de la Société ou en tel autre lieu qui pourra être désigné.

*) Le texte définitif du traité de paix du 28 juin 1919, au lieu de citer les noms de ces Etats, se borne à parler des «principales puissances alliées et associées >, conformément à la terminologie adoptée dans le reste du traité; voir aussi noteprécédantl'annexell.ll.

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Le Conseil connaît de toute question rentrant dans la sphère d'activité de la Société ou affectant la paix du monde.

Tout Membre de la Société qui n'est pas représenté au Conseil est invité à y envoyer siéger un représentant lorsqu'une question qui l'intéresse particulièrement est portée devant le Conseil.

Chaque Membre de la Société représenté au Conseil ne dispose que d'une voix et n'a qu'un représentant.

Art. V. Sauf disposition expressément contraire du pré- Procédure, sent Pacte ou des clauses du présent Traité*), les décisions de l'Assemblée ou du Conseil sont prises à l'unanimité des Membres représentés à la réunion.

Toutes questions de procédure qui se posent aux réunions de l'Assemblée ou du Conseil, y compris la désignation des commissions chargées d'enquêter sur des points particuliers, sont réglées par l'Assemblée ou par le Conseil et décidées à la majorité des Membres de la Société représentés à la réunion.

La première réunion de l'Assemblée et la première réunion du Conseil auront lieu sur la convocation du Président des Etats-Unis d'Amérique.

Art. VI. Le Secrétariat permanent est établi au siège de Secrétariat.

la Société. Il comprend un Secrétaire général, ainsi que les secrétaires et le personnel nécessaires.

Le premier Secrétaire général est désigné dans l'annexe.

Par la suite, le Secrétaire général sera nommé par le Conseil avec l'approbation die la majorité de l'Assemblée.

Les secrétaires et le personnel du Secrétariat sont nommés par le Secrétaire général avec l'approbation du Conseil.

Le Secrétaire général de la Société est de droit Secrétaire général de l'Assemblée et du Conseil.

Les dépenses du Secrétariat sont supportées par les Membres de la Société dans la proportion établie pour le Bureau international de l'Union postale universelle.

Art. VII. Le siège de la Société est établi à Genève.

Siège et Le Conseil peut à tout moment décider de l'établir en immumtéstout autre lieu.

Toutes les fonctions de la Société ou des services qui s'y rattachent, y compris le Secrétariat, sont également accessibles aux hommes et aux femmes.

*} II s'agit ici du traité de Versailles du 28 juin 1919.

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Limitation des armements.

Commission militaire et navale.

Garantie de territoire et d'indépendance.

Les Représentants des Membres de la Société et ses agents jouissent dans l'exercice de leurs fonctions des privilèges et immunités diplomatiques.

Les bâtiments et terrains occupés par la Société, par ses services ou ses réunions sont inviolables.

Art. VIII. Les Membres de la Société reconnaissent que le maintien de la paix exige la réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l'exécution des obligations internationales imposée par une action commune.

Le Conseil tenant compte de la situation géographique et des conditions spéciales de chaque Etat prépare les plans de cette réduction, en vue de l'examen et de la décision des divers Gouvernements.

Ces plans doivent faire l'objet d'un nouvel examen et, s'il y a lieu, d'une revision tous les dix ans au moins.

Après leur adoption par lesi divers Gouvernements, la limite des armements ainsi fixée ne peut être dépassée sans le consentement du Conseil.

Considérant que la fabrication privée des munitions et du matériel de guerre soulève de graves objections, les membres de la Société chargent le Conseil d'aviser aux mesures propres à en éviter les fâcheux effets, en tenant compte des besoins des Membres de la Société qui ne peuvent pas fabriquer les munitions et le matériel de guerre nécessaires à leur sûreté.

Les Membres de la Société s'engagent à échanger, de la manière la plus franche et la plus complète, tous renseignements relatifs à l'échelle de leurs armements, à leurs programmes militaires, navals et aériens et à la condition de celles de leurs industries susceptibles d'être utilisées pour la guerre.

Art. IX. Une commission permanente est formée pour donner au Conseil son avis sur l'exécution des dispositions des articles I et VIII et, d'une façon générale, sur les questions militaires, navales et aériennes.

Art. X. Les Membres de la Société s'engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l'intégrité territoriale1, et l'indépendance politique présente de tous les Membres de la Société. En cas d'agression, de menace ou de danger d'agression, le Conseil avise aux moyens d'assurer l'exécution de cette obligation.

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Art. XI. 11 est expressément déclaré que toute guerre ou axenace de guerre, qu'elle affecte directement ou non l'un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des Nations. En pareil cas, le Secrétaire général convoque immédiatement le Conseil, à la demande de tout Membre de la Société.

Il est, en outre, déclaré que tout Membre de la Société a le droit, à titre amical, d'appeler l'attention de l'Assemblée ou du Conseil sur toute circonstance de nature à affecter les relations internationales et qui menace par suite de troubler la paix ou la bonne entente entre nations dont la paix dépend.

Art. XII. Tous les Membres de la Société conviennent que, s'il s'élève entre eux un différend susceptible d'entraîner une rupture, ils le soumettront soit à la procédure de l'arbitrage, soit à l'examen du Conseil. Ils conviennent encore qu'en a.ucun cas ils ne doivent recourir à la guerre avant i'expiration d'un délai de trois mois après la sentence des arbitres ou le rapport du Conseil.

Dans tous les cas prévus par cet article, la sentence des arbitres doit être rendue dans un délai raisonnable et le rapport du Conseil doit être établi dans les six mois à dater du jour où il aura été saisi du différend, Art. XIII. Les Membres de la Société conviennent que s'il s'élève entre eux un différend susceptible, à leur avis,d'une solution arbitrale et si ce différend ne peut se régler de façon satisfaisante par la voie diplomatique, la question sera soumise intégralement à l'arbitrage.

Parmi ceux qui sont généralement suceptibles de solution arbitrale on déclare tels les différends relatifs à l'interprétation d'un Traité, à tout point de droit international, à la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la rupture d'un engagement international, ou à l'étendue ou à la nature de la réparation due pour une telle rupture.

La Cour d'arbitrage à laquelle la cause est soumise est la Cour désignée par les Parties ou prévue dans leurs Conventions antérieures.

Les Membres de la Société s'engagent à exécuter de bonne foi les sentences rendues et à ne pas recourir à la guerre contre tout Membre de la Société qui s'y conformera.

Faute d'exécution de la sentence, le Conseil propose les mesurée qui doivent en assurer l'effet.

Menaces de guerre,

Procédure en cas de différend.

Arbitrage,

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Cour de jusArt. XIV. Le Conseil est chargé de préparer un projet tice.

de C011r permanente de justice internationale et de le soumettre aux Membres de la Société. Cette Cour connaîtra de tous différends d'un caractère international que les Parties lui soumettront. Elle donnera aussi des avis consultatifs sur tout différend ou tout point dont la saisira le Conseil ou l'Assemblée.

Examen de Art. XV. S'il s'élève entre les Membres de la Société un différends différend susceptible d'entraîner une rupture et si ce difféseU ou ris- rend n'est pas s(mmis à l'arbitrage prévu à l'article XIII, les semblée. " Membres de la Société conviennent de le porter devant le Conseil. A cot effet, il suffit que l'un d'eux avise de ce différend le Secrétaire général qui prend toutes dispositions en vue d'une enquête et d'un examen complets.

Dans le plus bref délai les parties doivent communiquer l'exposé de leur cause avec tous faits pertinents et pièces justificatives. Le Conseil peut en ordonner la publication immédiate.

Le Conseil s'efforce d'assurer le règlement du différend.

S'il y réussit, il publie, dans la mesure qu'il juge utile, un exposé relatant les faits, les explications qu'ils comportent et les termes de ce règlement Si le différend n'a pas pu se régler, le Conseil rédige et. publie un rapport, voté soit à l'unanimité, soit à la majorité des voix, pour faire connaître les circonstances du différend et les solutions qu'il recommande comme les plus équitables et les mieux appropriées à l'espèce.

Tout Membre de la Société représenté au Conseil peut également publier un exposé des faits du différend et ses propres conclusions.

Si le rapport du Conseil est accepté à l'unanimité, le vote des Représentants des Parties ne comptant pas dans le calcul de cette unanimité, les Membres de la Société s'engagent à ne recourir à la guerre contre aucune Partie qui se conforme aux conclusions du rapport.

Dans le cas où le Conseil ne réussit pas à faire accepter son rapport par tous ses membres autres que les Représentants de toute Partie au différend, les Membres de la Société se réservent le droit d'agir comme ils le jugeront nécessaire pour le maintien du droit et de la justice.

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Si l'une des parties prétend et si le Conseil reconnaît que le différend porte sur une question que le droit international laisse à la compétence exclusive de cette Partie, le Conseil le constatera dans un rapport, mais sans recommander aucune solution.

Le Conseil peut, dans tous les cas prévus au présent article, porter le différend devant l'Assemblée. L'Assemblée devra de même être saisie du différend à la requête de l'une des Parties; cette requête devra être présentée dans les quatorze jours à dater du moment où le différend est porté devant le Conseil.

Dans toute affaire soumise à l'Assemblée, les dispositions du présent article et de l'article XII relatives à l'action et aux pouvoirs du Conseil, s'appliquent également à l'action et aux pouvoirs de l'Assemblée. Il est entendu qu'un rapport fait par l'Assemblée avec l'approbation des Représentants des Membres de la Société représentés au Conseil et d'une majorité des autres Membres de la Société, à l'exclusion, dans cbaque cas, des Représentants des Parties, a le même effet qu'un rapport du Conseil adopté à l'unanimité de ses membres autres que les Représentants des Parties.

Art. XVI. Si un Membre de la Société recourt à la guerre, Sanctions, contrairement aux engagements pris aux articles XII, XIII ou XV, il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres Membres de la Société.

Ceux-ci s'engagent à rompre immédiatement avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux du Membre de la Société en rupture de pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles entre les nationaux de cet Etat et ceux de tout autre Etat, membre ou non de la Société.

En ce cas, le Conseil a le devoir de recommander aux divers Gouvernements intéressés les effectifs militaires, navals ou aériens par lesquels les Membres de la Société contribueront respectivement à la constitution des forces armées destinées à faire respecter les engagements de la Société.

Les Membres de la Société conviennent, en outre, de se prêter l'un à l'autre un mutuel appui dans l'application des mesures économiques et financières à prendre en vertu du présent article pour réduire au minimum les pertes et les inconvénients qui peuvent en résulter. Ils se prêtent également un mutuel appui pour résister à toute mesure spéciale

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dirigée contre l'un d'eux par l'Etat en rupture de pacte. Us prennent les dispositions nécessaires pour faciliter le passage à travers leur territoire de tout Membre de la Société qui participe à une action commune pour faire respecter les engagements de la Société.

Peut être exclu de la Société tout Membre qui s'est rendu coupable de la violation d'un des engagements résultant du Pacte. L'exclusion est prononcée par le vote de tous les autres Membres de la Société représentés au Conseil.

Différend Art XVII. En cas de différend entre deux Etats, dont un affectantun seulement est Membre de la Société ou dont aucun n'en fait Etatìf^non8 Partie» l'Etat ou les Etats étrangers à la Société sont invités membres de à se soumettre aux obligations qui s'imposent à ses Membres la Société, aux fins de règlement du différend, aux conditions estimées justes par le Conseil. Si cette invitation est acceptée, les dispositions des articles XII à XVI s'appliquent sous réserve des modifications jugées nécessaires par le Conseil.

Dès l'envoi de cette invitation, le Conseil ouvre une enquête sur les circonstances du différend et propose telle mesure qui lui paraît la meilleure et la plus efficace dans le cas particulier.

Si l'Etat invité, refusant d'accepter les obligations de Membre de la Société aux fins de règlement du différend, recourt à la guerre contre un Membre de la Société, les dispositions de l'article XVI lui sont applicables.

Si les deux parties invitées refusent d'accepter les obligations de Membre de la Société aux fins de règlement du différend, le Conseil peut prendre toutes mesures et faire toutes propositions de nature à prévenir les hostilités et à amener la solution du conflit.

EnregistreArt. XVIII. Tout traité ou engagement international ment des conclu à l'avenir par un Membre de la Société devra être traites.

immédiatement enregistré par le Secrétariat et publié par lui aussitôt que possible. Aucun de ces traités ou engagements internationaux ne sera obligatoire avant d'avoir été enregistré.

Nouvel Art. XIX. L'Assemblée peut, de temps à autre, inviter les examen des Membres de la Société à procéder à un nouvel examen des ai 8 ' traités devenus inapplicables, ainsi que des situations internationales dont le maintien pourrait mettre en péril la paix du monde.

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Art. XX. Les Membres de la Société reconnaissent chacun, Engagements inen ce qui le concerne, que le présent Pacte abroge toutes compatibles obligations ou ententes inter se incompatibles avec ses ter- avec le mes et s'engagent solennellement à n'en pas contracter à Pacte.

l'avenir de semblables.

Si avant son entrée d'ans la Société, un Membre a assumé des obligations, incompatibles avec les termes du Pacte, il doit prendre des mesures immédiates pour se dégager de ces obligations.

Art. XXI. Les engagements internationaux, tels que les Engagecomtraités d'arbitrage, et les ententes régionales^ comme la doc- ments patibles trine de Monroe, qui assurent le maintien de la paix, ne sont avec le considérés comme incompatibles avec aucune des disposiPacte.

tions du présent Pacte.

Art. XXII. Les principes suivants s'appliquent aux colo- Mandats.

nies et territoires qui, à la suite de la. guerre, ont cessé d'être sous la souveraineté des Etats qui les gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient d'incorporer dans le présent Pacte dés garanties pour l'accomplissement de cette mission.

La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d'assumer cette responsabilité et qui consentent à l'accepter; elles exerceraient cette tutelle en qualité de Mandataires et au nom de la Société.

Le caractère du mandat doit différer suivant le degré de développement du peuple, la situation géographique du territoire, ses conditions économiques et toutes autres cir·constances analogues.

Certaines communautés, qui appartenaient autrefois à l'Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l'aide d'un Mandataire guident leur administration jusqu'au moment où elles seront capables de se conduire seules. Les voeux de ces communautés doivent être pris d'abord en considération pour le choix du Mandataire.

Le degré de développement où se trouvent d'autres peuples spécialement ceux de l'Afrique centrale, exige que

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le Mandataire y assume l'administration du territoire à des conditions qui, avec la prohibition d'abus, tels que la traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l'alcool, garantiront la liberté de conscience et de religion, sans autres limitations que celles que peut imposer le maintien de l'ordre public et des bonnes moeurs, et l'interdiction d'établir des fortifications ou des bases militaires ou navales et de donner aux indigènes une instruction militaire, si ce n'est pour la police ou la défense du territoire, qui assureront également aux autres Membres de la Société des conditions d'égalité pour les échanges et le commerce.

Enfin il y a des territoires, tel que le Sud-Ouest africain et certaines îles du Pacifique austral qui, par suite de la faible densité de leur population, de leur superficie restreinte, de leur éloignement des centres de civilisation, de leur contiguïté géographique au territoire du Mandataire, ou d'autres circonstances, ne sauraient être mieux administrés que sous les lois du Mandataire, comme une partie intégrante de son territoire, sous réserve des garanties prévues plus haut dans-l'intérêt de la population indigène.

Dans tous les cas le Mandataire doit envoyer au Conseil un rapport annuel concernant les territoires dont il a la charge.

Si le degré d'autorité, de contrôle ou d'administration à exercer par le Mandataire n'a pas fait l'objet d'une Convention antérieure entre les Membres de la Société, il sera expressément statué sur ces points par le Conseil.

Une commission permanente sera chargée de recevoir et d'examiner les rapports annuels des Mandataires et de donner au Conseil son avis sur toutes questions relatives à l'exécution des mandats.

Art. XXIII. Sous la réserve et en conformité des dispoAction intersitions des conventions internationales actuellement existannationale. tes ou qui seront ultérieurement conclues, les Membres de la Société : a. s'efforceront d'assurer et de maintenir des conditions de travail équitables et humaines pour l'homme, la femme et l'enfant sur leurs propres territoires, ainsi que dans tous pays auxquels s'étendent leurs relations de commerce et d'industrie, et, dans ce but, d'établir et d'entretenir les organisations internationales nécessaires; b. s'engagent à assurer le traitement équitable des populations indigènes dans les territoires soumis à leur administration;

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c. chargent la Société du contrôle général des accords relatifs à la traite des femmes et des enfants, du trafic de l'opium et d'autres drogues nuisibles; d. chargent la Société du contrôle général du commerce des armes et des munitions .avec les pays où le contrôle de ce commerce est indispensable à l'intérêt commun; e. prendront les dispositions nécessaires pour assurer la garantie et le maintien de la liberté des communications et du transit, ainsi qu'un équitable traitement du commerce de tous les Membres de la Société, étant entendu que les nécessités spéciales des régions dévastées pendant la guerre de 1914--1918 devront être prises en considération; f. s'efforceront de prendre des mesures d'ordre international pour prévenir et combattre les maladies.

Art. XXIV. Tous les bureaux internationaux antérieurement établis par traités collectifs seront, sous réserve de Bureaux interl'assentiment des parties, placés sous l'autorité de la Société. nationaux.

Tous autres bureaux internationaux et toutes commissions pour le règlement des affaires .d'intérêt international qui seront créés ultérieurement seront placés sous l'autorité de la Société.

Pour toutes questions d'intérêt international réglées par des conventions générales, mais non soumises au contrôle de commissions ou de bureaux internationaux, le Secrétariat de la Société devra, si les Parties le demandent et si le Conseil y consent, réunir et distribuer toutes informations utiles et prêter toute l'assistance nécessaire ou désirable.

Le Conseil peut décider de faire rentrer dans les dépenses du Secrétariat celles de tout bureau ou commission placé sous l'autorité de la Société.

Art. XXV. Les Membres de la Société s'engagent à enCroixcourager et favoriser l'établissement et la coopération des Rouge.

organisations volontaires nationales de la Croix-Bouge, dûment autorisées, qui ont pour objet l'amélioration de la santé, la défense préventive contre la maladie et l'adoucissement de la souffrance dans le monde.

Art. XXVI. Les amendements au présent Pacte entreront en vigueur dès leur ratification par les Membres de la Révision.

Société dont les Représentants composent le Conseil et par la majorité de ceux dont les Représentants forment l'Assemblée.

Tout Membre de la Société est libre de ne pas accepter les amendements apportés au Pacte, auquel cae il cesse d« faire partie de la Société.

694

Annexe.

I. Membres originaires de la Société des nations.

Signataires du Traité de Paix: Etats-Unis d'Amérique Belgique Bolivie Brésil Empire Britannique Canada Australie Afrique du Sud Nouvelle-Zélande Inde Chine Cuba Equateur France Grèce Guatemala Haïti

Hedjas Honduras Italie Japon Libéria Nicaragua Panama Pérou Pologne Portugal Roumanie Etat Serbe-CroateSlovène Siam Tchéco-Slovaquie Uruguay

États invités à accéder au Pacte: Argentine Chili Colombie Danemark Espagne Norvège Paraguay

Pays-Bas Perse Romana Salvador Suède Suisse Venezuela

II. Premier Secrétaire général de la Société des nations.

Sir James Eric Drummond.

695

Appendice.

Commentaire da Pacte de la Société des nations.

Les dispositions les plus importantes du Pacte de la Société des nations sont expliquées dans les sections I à X du présent Message. Les remarques suivantes, qui sont accompagnées de renvois aux chapitres correspondants du Message, sont destinées à servir de commentaire à diverses dispositions du Pacte, pour autant qu'elles ne sont pas immédiatement compréhensibles et dans la mesure où elles présentent un intérêt pour la Suisse.

Le texte français et le texte anglais ont, à titre égal, la valeur de textes originaux du traité de paix conclu avec l'Allemagne, traité dont le Pacte forme la première partie.

Sur les membres originaires, voir ci-dessus p. 52. Sur le délai pour adhérer donné aux neutres « invités », voir p. 90.

Sur l'admission ultérieure d'autres Etats, p. 55, Sur le droit de dénonciation, p. 98.

D'après l'alinéa 2, les pays qui, sans être souverains, jouissent d'une complète autonomie administrative peuvent, eux aussi, être admis comme membres de la Société des nations.

Ce sont tout d'abord le Canada, l'Australie, la NouvelleZélande, l'Afrique du Sud, ainsi que l'Inde, qui entrent en ligne de compte à cet égard. On pourrait craindre que certains Etats n'obtiennent, d'une manière détournée, par l'admission d'Etats non souverains, une majorité de voix, si cette admission ne devait être prononcée par une majorité des deux tiers.

Le Pacte présente une lacune en ce qui concerne les relations entre les pays dotés d'une semblable autonomie et les colonies, d'une part, et la métropole, d'autre part. Comme ces Etats et ces pays forment une unité internationale en cas de conflit, aucun de leurs votes ne devrait en vertu de l'article XV, al. 6 et 10, entrer en ligne de compte dans le règlement des différends qui concernent l'un d'entre eux.

La solution juste serait de n'accorder à un membre non souverain de la Société des nations qu'un droit de vote limité aux matières qu'il a le droit de régler souverainement dans ses relations internationales (question de frontières, relations économiques, immigration, etc.).

Feuille fédérale suisse. 71« année. Vol. IV.

49

. ,,

696

Ad art. II.

u convient de remarquer que l'Assemblée est mentionnée dans le Pacte avant les autres organes de la Société des nations. En principe et en cas de doute, c'est donc l'Assemblée qui constitue l'organe suprême de la Société.

L'Assemblée est essentiellement compétente sur les questions d'organisation (art. I, VI, XXVI), tandis que l'action politique, et notamment le droit d'intervenir dans les cas particuliers, est presque exclusivement concentrée dans les mains du Conseil (art. X, XI, XV, XVI, XVII).

Ad art. III.

Les représentants des Etats à l'Assemblée ne doivent pas être nécessairement des représentants des gouvernements ; mais ils ne disposent ensemble que d'une voix unique, par Etat. Le Pacte ne contient aucune disposition sur leurs instructions. La fonction de membre du Conseil n'est pas incompatible avec celle de délégué à l'Assemblée.

L'article III réalise le voeu formulée par la seconde conférence de La Haye, de voir les Etats se réunir périodiquement en assemblées générales.

Il est fâcheux que le Pacte soit muet sur le droit de l'Assemblée de se réunir spontanément, ainsi que sur le droit d'une minorité d'Etats à demander la réunion d'une conférence.

·Ad art. IV.

Sur la situation privilégiée des grandes puissances, voir p. 18 et s. La proportion de 5 à 4 n'est d'ailleurs pas défavorable aux autres Etats, si l'on considère le chiffre des populations (environ 700 millions pour les cinq grandes puissances et 550 pour les autres Etats de la Société des nations).

On n'a pas déterminé quand et de quelle manière prendront place au Conseil les Etats qui n'y sont pas représentés de façon permanente. Le Pacte devra être complété sur ce point. A titre d'exemple, on peut relever que la seconde conférence de La Haye, a, dans la convention concernant le Tribunal international des prises (Feuille féd. 1909, I, p. 333), posé la règle que les Etats n'appartenant pas aux huit grandes puissances alors reconnues, sont représentés à tour de rôle et que cette représentation dure, au cours d'une période de douze ans, un'nombre d'années qui varie pour chaque Etat selon son importance. Tous les Etats auraient ainsi place au Conseil à leur tour; mais, d'autre part, leur influence serait faible, vu la trop grande fréquence du changement. Lors de la Conférence des neutres,

697

on a aussi examiné la possibilité pour des Etats de se grouper afin d'obtenir une représentation au Conseil en tant que groupes.

L'alinéa 2 permet d'augmenter le nombre des membres du Conseil, aussi bien des membres permanents que des membres désignés par l'Assemblée. Il ne sera guère possible de modifier au détriment des Etats qui ne sont pas de grandes puissances la proportion actuelle de 5 à 4, car, pour les deux catégories de membres, cette modification exige le consentement de la majorité des Etats.

Le Conseil siégera en permanence aussi longtemps que la situation politique ne sera pas redevenue normale et tranquille. D'après l'avant-projet suisse, le Conseil de médiation devait être permanent afin d'assurer, en un siège central, un contact ininterrompu entre tous les Etats. La question reste ouverte de savoir si les Etats qui ne sont pas représentés dans le Conseil entretiendront des délégués au siège de la Société des nations, ainsi que le prévoyait l'avantprojet suisse (art. 5).

L'alinéa 5, en vertu duquel tout Etat qui n'est pas représenté au Conseil est invité à y faire siéger un délégué lorsqu'on y traite une question qui l'interesso particulièrement, doit être compris en ce sens que cet Etat exerce alors tous les droits d'un membre du Conseil, y compris le droit de veto (to sit as a member, dit le texte anglais). C'est au Conseil qu'il appartient de décider si un Etat doit être représenté ou non; mais si l'Etat intéressé n'est pas invité à prendre part aux délibérations, il ne sera pas lié par les décisions qui le concernent.

Cette invitation doit .avoir lieu, d'une part en cas de différends, conformément à l'article XV, d'autre part lorsque sont traitées les affaires intéressant particulièrement un Etat non représenté au Conseil. On doit considérer comme intéressant particulièrement la Suisse, notamment les questions qui touchent à la neutralité. Ce n'est que lorsqu'il s'agit des différends prévus à l'article XV que les voix des parties intéressées ne sont pas comptées.

Le traité de paix prévoit des majorités particulières pour certaines décisions du Conseil. Tel est le cas au § 40 du Eèglement concernant le bassin de la Sarre, ainsi qu'aux article 213 et 280 du traité de paix (voir Annexes V, 18).

Le principe de l'unanimité est conforme aux usages adoptés jusqu'ici dans les assemblées internationales. Au

*' '

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point de vue formel, il constitue un gros obstacle aux décisions; mais en réalité il est souvent plus facile d'obtenir l'unanimité que d'atteindre une majorité qualifiée, pour cette raison qu'un Etat n'assumera pas, sans de graves motifs, la responsabilité directe de faire échouer, par son veto, une résolution sérieusement voulue par toutes les, autres puissances. En outre, admettre qu'une grande puissance peut être majorisée risquerait de provoquer des tensions dangereuses. L'efficacité de la Société des nations pourrait être ainsi mise à une rude épreuve. Est-ce que l'Amérique, par exemple, aurait pu s'engager d'avance à participer à un conflit européen en faveur d'une cause gué l'opinion publique américaine trouverait injuste ? L'exigence de l'unanimité présente l'avantage pratique de pouvoir s'adapter à la diversité des circonstances. De plus, elle constitue une garantie efficace contre l'hégémonie du Conseil. On ne comptera d'aillettrs, dans chaque séance, que les voix des Etats représentés, en sorte qu'un Etat pourra facilement s'abstenir de voter sans compromettre l'unanimité, en invitant ses représentants à ne pas assister à la séance Al. 2.

Il faut évidemment considérer comme une question de procédure l'appel dans le Conseil, à teneur de l'article IV, al. 5, d'Etats qui n'y sont pas représentés. Par commissions chargées d'enquêter sur des points particuliers il faut entendre notamment les commissions d'enquête qui seront constituées pour examiner les différends prévus à l'art. XV.

Ad art. VI.

Le Secrétariat doit avoir un caractère tout à fait international, et il fatidra par conséquent qu'il comprenne des ressortissants d'un grand nombre d'Etats.

L'a'ctivité du Secrétariat n'est pas déterminée d'une manière précise, abstraction faite du secrétariat de l'Assemblée et du Conseil. Elle consistera vraisemblablement, comme pour d'autres offices internationaux, à réunir et à publier toutes les informations importantes intéressant la Société des nations, ainsi qu'à préparer les travaux du Conseil et de l'Assemblée. La commission consultative suisse avait préconisé l'institution d'un service absolument impartial de publicité, pour les nouvelles politiques internationales ; son rôle serait considérable.

Les frais du Secrétariat seront supportés par tous les membres de la Société des nations, d'après le barème établi pour l'Union postale universelle; il a déjà été adopté par plusieurs autres conventions (voir Annexes, IV, 17).

699 M art VH Voir ci-dessus, p. 49 et s.

- Voir ci-dessus, p. 61 et s.

AdartVIIIetlX.

A notre avis, pour fixer la portée de cet article, il faut Ad art. X.

notamment observer ce qui suit (voir ci-dessus, p. 17 et s.) : a) Les membres de la Société des nations ne s'engagent à protéger l'intégrité territoriale des Etats que contre les agressions, ils ne la garantissent pas contre toute modification. La possibilité de modifier l'état de fait actuel est prévue, tout au moins en principe, à l'article XIX, et il y a été fait allusion dans les déclarations de plusieurs des atiteurs influents du Pacte.

b) Cet 'article ne vise que les agressions extérieures, c'est-à-dire provenant d'autres Etats, et non pas les guerres civiles, qu'il s'agisse de troubles sociaux ou de la tentative d'établir l'autonomie politique de certains territoires. La Société des nations se distingue de la Sainte-Alliance et de la pentarcMe légitimiste de 1815 en ce qu'elle n'a rien d'une assurance mutuelle des gouvernements.

c) L'expression « indépendance présente » du texte français ne rend pas exactement le sens des termes anglais « existing indépendance ». Dans le texte français originaire le mot « existing » n'était pas traduit. Ce n'est pas le degré d'indépendance existant en 1919 (pleine souveraineté, autonomie, etc.) qui est protégé, mais l'état de choses qui existera, en droit, au moment de l'agression injuste.

d) Le Conseil ne peut, selon cet article, que donner des conseils (aviser, advise), et non pas des ordres directs. De même il n'est aucunement question ici des sanctions générales prévues à l'article XVI; on ne peut y recourir que lorsque sont violés les articles XII, XIII ou XV. A l'appui du fait qu'en sa qualité d'Etat perpétuellement neutre, la Suisse ne peut être tenue à garantie territoriale, on peut citer le traité du 11 mai 1867 concernant la neutralisation du Luxembourg, dont l'art. 2 exonère la Belgique, à cause de sa neutralité, de .toute obligation de garantie, quoiqu'elle soit partie au traité lui-même.

Voir ci-dessus, p. 17 et s. et 36.

Cet article consacre le droit pour la Société des nations Ad art. XI.

d« considérer toute menace de guerre comme une affaire d'intérêt général; à la différence du texte du 14 février 1919, la rédaction actuelle accentue l'idée qu'il s'agit alors d'une affaire
d'intérêt général en permettant à la Société des nations de prendre les mesures préventives nécessaires, tandis que le texte primitif les abandonnait à la libre appréciation des

700

Ad art. XII.

particuliers. On a efficacement paré au danger que des gouvernements agissent à leur guise et créent des faits accomplis, en déclarant q,ue le Conseil doit immédiatement se réunir dès qu'un membre quelconque de la Société le demande. On ne peut donc plus, sans violation manifeste du Pacte, faire échouer la réunion du Conseil et empêcher ainsi la Société des nations de s'occuper du conflit.

Sur la procédure prescrite par les articles XII à XV, voir plus haut, p. 12 et s.

On ne saurait déterminer d'avance si un différend est susceptible d'entraîner une rupture. Mais, avant d'entrer en guerre, tout Etat doit observer la procédure rendue obligatoire par l'article XII; il doit même y recourir aussitôt qu'un conflit prend une tournure telle qu'il peut conduire à une « rupture », par quoi il faut entendre non pas nécessairement la guerre, mais la brusque cessation des négociation« (likely to lead to a rupture). Il est de toute importance qu?.

les différends soient aplanis aussi vite que possible par une procédure pacifique, et non pas seulement lorsqu'ils ont atteint un degré d'acuité tel que la possibilité d'une guerre doive être sérieusement prise en considération.

C'est pour la même raison que la délégation suisse*) a demandé que, ainsi que le prévoyait l'av?nt-projet suisse (art. 28 et suiv.), une procédure de conciliation précédât tout examen du différend par le tribunal arbitral ou par IR Conseil. On ne devrait même recourir aux moyens pacifiques de l'article XII qu'après avoir épuisé toutes les tentatives susceptibles d'amener une entente amiable entre les parties. L'Etat qui succombera devant le tribunal ou devant le Conseil sera volontiers porté aux récriminations. En outre, il est certainement de l'intérêt des petits Etats, de ceuxlà surtout qui ne sont pas représentés au Conseil, de n'être qu'exceptionnellement obligés de porter leur cause devant une instance dont la composition est déterminée par la considération de la puissance plutôt que par un souci d'impartialité à l'égard des parties en litige. On pourra d'ailleurs remédier à cet inconvénient par des traités d'arbitrage obligatoire, dont la conclusion est expressément réservée par l'article XXI d.u Pacte.

Le délai de trois mois doit être observé dans tous les cas, c'est-à-dire après toute sentence, même prononcée par le tribunal prévu à l'article XIV, car, si ce n'est point un *) Annexes, IL 10.

701

tribunal d'arbitrage au sens ordinaire du mot, ce n'en est pas moins un tribunal librement choisi par les parties. Les trois mois courent également à partir de l'établissement d'un rapport par le Conseil ou l'Assemblée, conformément à l'article XV. Ce rapport ne doit pas être confondu avec les « conclusions » (recommendations) prises à l'unanimité ou à la majorité des votants; il devra être élaboré dans tous les cas, même lorsqu'il est certain (art. XV, al. 8) qu'il s'agit d'une affaire purement intérieure dans laquelle la Société des nations n'a pas à s'immiscer.

L'alinéa 2 donne aux arbitres un « délai raisonnable » pour rendre leur sentence. Ce délai est en tout cas de six mois au moins, comme pour le Conseil, car une procédure judiciaire comporte des enquêtes contradictoires et prend naturellement plus de temps que le libre examen d'une affaire par une instance politique.

Il est extrêmement regrettable que la Société des nations n'ait pas introduit l'arbitrage obligatoire. A cet égard, elle reste en deçà des voeux de la grande majorité des Etats à la seconde Conférence de La Haye, laquelle avait voulu introduire le principe de l'arbitrage obligatoire, bien que ce fût dans une mesure limitée et en l'entourant des restrictions de clauses précises.

L'article XIII reconnaît bien, dans ses alinéas 2 et 3, le principe de l'arbitrage et il le fait dans une mesure très étendue; mais, juridiquement parlant, il n'oblige pas les parties à l'accepter. Il faut cependant remarquer qu'en principe tous les litiges susceptibles d'être résolus par une décision judiciaire doivent être soumis à un tribunal arbitral lorsqu'ils n'ont pu être aplanis par des négociations diplomatiques directes, et cela sans attendre qu'ils aient pris une acuité telle qu'ils risquent d'entraîner une rupture.

D'après l'article XIII, les Etats n'ont le devoir de se soumettre à une procédure judiciaire que lorsqu'ils s'y sont engagés par un traité d'arbitrage. La plupart de ces traités, et notamment ceux que la Suisse a conclus, contiennent la clause dite de l'honneur et des intérêts vitaux, en vertu de laquelle tout Etat peut librement décider, dans chaque cas particulier, si le différend est susceptible ou non d'être résolu judiciairement. Même dans le cas de l'article XIII, al. 1er, les parties peuvent, en l'absence de disposition
contraire du Pacte, prendre à ce sujet la décision qui leur convient. La valeur pratique des traités d'arbitrage est ainsi fort compromise; aussi la Suisse a-t-elle proposé, conformément à l'avant-

Ad art xlli

- -

702

projet de sa commission consultative, la création d'une « Cour des conflits », chargée de décider si un différend peut être soustrait à la connaissance d'un tribunal contrairement à la requête du demandeur *). Malheureusement, sa proposition n'a pas triomphé. Sans une institution de ce genre, on ne peut guère espérer un développement satisfaisant de l'arbitrage. La Cour des conflits assure, d'une part, aux tribunaux la connaissance des cas susceptibles de faire l'objet d'une sentence judiciaire, et, d'autre part, elle empêche que l'arbitrage empiète sur le domaine purement politique, au risque d'être discrédité ou refusé; elle évite aussi que les juges ne se laissant entraîner, dans l'intérêt des puissants, à des compromis d'ordre politique, au lieu de s'inspirer de raisons de droit.

Lorsqu'une sentence d'arbitrage a été rendue, tout acte de guerre est interdit, même après l'expiration du délai do trois mois, pourvu que, dans ce délai, l'Etat astreint par le tribunal à foire, à subir ou à ne pas faire quelque chose, se soumette à la sentence. Ce n'est pas l'Etat au profit duquel intervient la sentence qui peut, en première ligne, en poursuivre l'exécution. C'est la Société des nations qui. prend elle-même les mesures propres à assurer l'exécution de la sentence. Il en est autrement des décisions prises par le Conseil à l'unanimité, à l'exécution desquelles la Société des nations n'est pas obligée de pourvoir. On n'a pas déterminé par quelles mesures la Société des nations doit assurer l'obéissance due à une sentence arbitrale. Comme les conditions de l'article XVI ne sont pas remplies, elle devra se borner à des démarches 'diplomatiques, ou recommander aux Etats qui voudront y consentir de prendre d'autres mesures, par exemple des représailles économiques.

Ad art. XIV.

Une des grandes lacunes du Pacte est qu'il n'organise pas de Tribunal. Il a été reconnu, cependant, dans la réponse de la Conférence aux neutres, que la constitution de ce tribunal devait être une des tâches principales de la Société des nations et déjà des démarches préparatoires ont été faites dans ce sens.

La Suisse s'est appuyée sur son avant-projet (art. 12 et suiv.X pour présenter à la conférence des neutres **) la proposition d'organiser une Cour internationale permanente qui *) Annexes, II, 10.

**) Annexes, II, 10.

703

offrirait toutes les garanties nécessaires d'indépendance visà-vis des influences politiques. Si l'on se souvient du fait que la IIe Conférence de La Haye n'est arrivée à aucun résultat positif dans >ce domaine parce que les grandes puissances voulaient se réserver une situation privilégiée dans l'organisation du tribunal, il faut espérer que pour le Tribunal de la Société des nations, on adoptera une solution acceptable pour tous les Etats. Le contre-projet de la délégation allemande de la paix correspond presque entièrement sur ce point au projet suisse, qui permettrait d'organiser le tribunal d'une manière pratique, tout en le faisant reposer sur des principes inattaquables.

La Cour de justice internationale n'est compétente1 que lorsque- les deux parties consentent à se soumettre à sa juridiction; elle n'est pas compétente comme dans l'avant-projet suisse (article 37) toutes les fois que les parties n'arrivent pas, dans un délai raisonnable, à se mettre d'accord sur la constitution d'un tribunal arbitral.

La dernière phrase de l'article XIV contient une disposition précieuse, analogue à l'article 55 de l'avant-projet suisse.

Souvent, les différends portés devant le Conseil ou l'Assemblée seront en tout ou partie des contestations purement juridiques, dont il n'est pas opportun de confier la solution à» une instance essentiellement politique. Ce sera notamment le cas lorsqu'une partie se sera, à tort, Soustraite à la procédure arbitrale. Le Conseil, ou l'Assemblée, selon 'le cas, pourra soumettre alors les questions juridiques à la Cour, pour préavis. L'avis du tribunal n'aura pas, il est vrai, la valeur d'une sentence exécutoire; mais il est probable qu'il servira souvent de base à une décision unanime du Conseil, imposant la paix aux parties, et qu'on, parera ainsi avec isuccès à toute tentative faite par ni; Etat de se soustraire au devoir fondamental ^qui lui incombe de consentir à l'arbitrage.

Tandis que l'arbitrage doit être accepté par les deux parties, un seul Etat peut demander l'application de la procédure a^f ^ e*; ^prévue à l'art. XV. Une partie ne pourrait s'y soustraire qu'en violant le Pacte de la Société des nations, et malgré son. abstention la procédure suivrait son cours. Le Conseil peut donner à .l'affaire, dès son début, la plus large publicité.

Le Pacte ne contient
malheureusement aucune disposition qui oblige expressément les Etats et au besoin la presse, à veiller à oc que les publications de la Société des nations reçoivent effectivement une large diffusion; la commission consultative suisse y avait pourvu.

704

Al. 3.

En premier lieu le Conseil s'efforcera d'assurer le « règlement du différend» (settlement), c'est-à-dire de faire accepter une solution amiable par les deux parties. Avant cette tentative d'accommodement, le cas devra, dans la règle, être l'objet d'une enquête. Pour ces enquêtes, il convient de constituer, conformément à la Ir6 Convention de La Haye, une Commission où les deux parties soient également représentées et qui aurait aussi à présenter des propositions d'arrangement.

Divers Etats neutres, et non pas la Suisse seulement, insistent pour que ces enquêtes et ces négociations d'arrangement soient confiées à des organes indépendants du Conseil et abj solument impartiaux. L'article XV n'exclut pas ce procédé, mais il ne le prescrit pas non plus.

Al. 4 et 5.

Les alinéas 4 ofc 5 organisent la procédure qui doit intervenir lorsque le Conseil n'a pas abouti à un «règlement».

Dans tous les cas, l'alinéa 8 excepté, le Conseil a la- mission d'adopter, à l'unanimité ou à la majorité, une proposition qui réponde aux exigences de l'équité et de l'opportunité; il n'est pas lié par des règles d© droit matériel. Tous les1 Etats représentés dans le Conseil -- les parties intéressées y auront toujours des représentants -- peuvent publier leurs constatations et leurs propositions; la minorité du Conseil, ou la partie qui n'a pas obtenu satisfaction, le feront certainement, c© qui entraînera probablement d'autres publications en réplique.

Al. 6 et 7.

Les alinéas 6 (dt 7 règlent les effets du rapport du Conseil.

Si le rapport est accepté à l'unanimité des Etats non intéressés au différend, U a pour effet que ni l'une ni l'autre des parties -- et «on pas seulement la partie demanderesse -- ne peut recourir à la guerre à l'occasion d© l'affaire liquidée par l'unanimité du Conseil, pour autant que l'autre partie satisfait aux obligations résultant pour elle du rapport. A la différence du projet du 14 février 1919, à la différence aussi de l'article XIII concernant les sentences arbitrales, la Société das nations n'intervient pas directement pour assurer l'exécution du rapport. Elle l'abandonne aux parties: tout d'abord à celle qui doit remplir les obligations résultant du rapport; ensuite, si elle s'y refuse, à l'autre partie, qui peut, après trois mois au plus tôt, poursuivre elle-même l'exécution. Dans le
cas seulement où, l'une des parties se conformant au rapport, l'autre commence les hostilités, les sanctions de l'article XVI sont appliquées à celui qui rompt la paix.

L« fait que la Société des nations n'entre pas positivement en action pour faire prévaloir ses vues, présente l'avantage

705

de faciliter la formation de l'unanimité. Mais oe système est entaché d'un grave défaut: lorsque l'Etat défendeur bénéficie d'un état de possession, le réclamant même auquel le Conseil unanime a donné raison, ne peut que se faire justice par ses propres moyens, si l'autre partie ne s'exécute pas volontairement. Or, dans bien des cas, et notamment pour un petit pays dans la situation de la Suisse, la possibilité de la justice propre est complètement illusoire pour le réclamant.

Si l'unanimité n'est pas obtenue, les parties jouissent d'une complète liberté d'action après l'expiration du délai de trois mois: elles peuvent donc recourir à la guerre.

Une question difficile et qui a donné lieu à des interprétations diverses, est celle de savoir quelles sont, dans cette éventualité, les relations des autres Etats avec les parties belligérantes. L'expression «les membres de la Société des nations », aux alinéas 6 et 7, peut signifier, ou bien tous les membres sans distinction, ou bien seulement les membres qui, en tant que parties, doivent assumer les obligations résultant des articles XII et XV.

Si on s'en tenait à la première interprétation, on arriverait à ce résultat que tous les Etats de la Société des nations jouiraient de leur pleine liberté d'action toutes les fois que l'unanimité n'aurait pas été obtenue au Conseil. Ce serait aussi le cas pour des Etats qui, le différend n'ayant pas été porté devant l'Assemblée, n'auraient pris aucune part à la procédure. Que les parties puissent recourir à la guerre, cela est bien certain. Mais d'autres Etats ont-ils aussi ce droit?

On pourrait le croire, puisque l'alinéa 7 ne fait aucun© distinction. Néanmoins, une telle interprétation, paraît inacceptable, non seulement parce qu'elle comporterait un affaiblissement considérable de toute la Société des nations et qu'elle serait absolument inconciliable avec la tendance fondamentale du Pacte, qui est d'assurer la paix, mais encore parce qu'elle serait en contradiction directe avec l'article XII. Cet article fondamental prescrit que, dans tous les cas, une procédure déterminée doit avoir été observée avant qu'on puisse recourir à la guerre. Le fait qu'un conflit entre deux Etats n'ai pas pu être liquidé à l'unanimité, ne peu't pas libérer des Etats tiers des obligations que leur impose l'article XII. Si,
en vertu d'une alliance défensive, un Etat veut se placer aux côtés d'une des parties, il faut qu'il le fasse comme partie litigante déjà pendant la procédure pacifique, ou bien il doit introduire lui-même une nouvelle procédure. Il résulte claire-

706

ment ide l'article XV qu'un Etat ne peut pas être à la fois juge et partie -- principe qui est d'ailleurs évident --. Or, il, faïut qualifier de «partie» non pas seulement l'Etat qui a le rôle de partie dans la procédure pacifique, mais tout aussi bien celui :qui se propose de prendre part à tan conflit armé éventuel.

L'interprétation d'après laquelle les alinéas 6 et 7 ne concernent que les membres de la Société des nations entre lesquels s'est élevé lé différend, semble à la fois plus conforme à la nature des choses et à toute l'économie des articles XII à XV. Par l'article XII, les membres de la Société des nations assument des devoirs précis dans leurs relations réciproques, en prévision de conflits possibles. L'article XV développe le principe posé à l'article XII; il précise ce qui doit résulter, selon le cas, de l'intervention du Conseil: tantôt les parties restent liées l'une envers l'autre, tantôt elles peuvent agir comme bon leur semble après l'expiration d'un délai de trais mois.

On ne peut pas conclure de l'emploi du mot «parties» à l'article XV, et notamment aux alinéas 6 et 7, qu'il faille entendre «tous les membres de la Société» chaque fois que, dans ces textes, il est parlé de «membres de la Société, des nations». Quant à la constatation du résultat du vote, les parties sont désignées par le mot «parties» parce qu'on ne les considère pas dans leurs relations réciproques, mais par opposition aux Etats non intéressés au différend. La phrase: «les membres do la Société s'engagent à ne recourir à la guerro contre aucune partie qui se conforme aux conclusions du rapport», signifie que, dans ce cas, une intervention militaire est exclue contre tout Etat, c'est-à-dire contre chacune des diverses parties intéressées au différend et sans considérer laquelle a été originairement la demanderesse.

D'après l'interprétation que nous proposons, les dispositions de l'article XII ont pour effet de limiter aux parties qui ont participé comme telles à la procédure pacifique, les conflits militaires qui peuvent surgir entre Etats. Les autres Etats par contre ne peuvent exercer leur influence pour liquider le différend que dans des formes qui ne contreviennent pas aux dispositions du Pacte. Ils ne sont pas pour autant condamnés à une passivité absolue ou tenus d'observer une attitude identique envers
les deux parties. Mais les membres de la Société des nations pourraient tout au plus puiser dans l'article X le droit de prendre immédiatement des mesures d'ordre militaire, et encore ne pourraient-ils le faire que dans un but purement défensif.

707

C'est dans ce sens également que devrait être interprétée la liberté d'action des membres de la Société des nations qui ne sont pas parties au différend, si, par «membres de la Société des nations», on entendait régulièrement l'ensemble des Etats associés.

L'idée exprimée dans cet alinéa est la suivante: La SoAl. 8.

ciété des nations n'a pas à s'occuper de tout ce qui, d'après le droit des gens, est pour un Etat une affaire intérieure, autrement dit des affaires dans lesquelles un Etat peut exercer sa souveraineté sans être entravé ni par des traités ni par les principes généraux du droit international. La Société des nations ne doit pas davantage s'immiscer dans les affaires intérieures de ses membres en leur donnant des conseils qui n'ont pas le pouvoir de les obliger.

L'Assemblée bénéficie de toutes les compétences attri- Al. 9 et 10.

buées au Conseil par l'article XV, dès qu'elle a été saisie! de l'affaire par le Conseil ou à la demande d'une des parties.

Mais c'est l'une ou l'autre de ces deux instances qui décide; il n'y a pas de procédure d'appel. La possibilité de porter tous les différends devant l'Assemblée est une garantie très sérieuse pour les Etats qui n© sont pas représentés au Conseil.

A l'origine, on avait prévu pour l'Assemblée aussi la nécessité de l'unanimité; mais l'unanimité n'aurait presque iamais pu y être obtenue. C'est la Suisse*) qui a demandé qu'on fixât une majorité qualifiée; la rédaction actuelle at«int, sous une autre form©, à peu près le même but.

L'importance et les effets de l'article XVI ont été exposés Ad art. XVI.

ci-dessus (p. 38, 79 et suiv.).

Par cet article, l'état de guerre est déclaré une fois pour Al. 1.

xrates lorsque certaines conditions sont remplies; il n'y a donc jlua lieu de prendre nouvelle décision, telle qu'une déclaraion de guerre formelle. Voir supra, p. 38, l'importance de cet article pour la Suisse neutre.

L'article XVI mentionnant expressément les articles XII, XIII et XV, il n'est pas possible de l'appliquer au cas de violation d'autres dispositions du Pacte.

Dans la règle, la violation du Pacte sera chose manifeste; au besoin, il appartiendra au Conseil -- ou à l'Assemblée, si Annexes, II, 10.

708

le différend a été porté devant elle -- de constater si les conditions de l'article XVI sont remplies.

Al. 2.

Ici, à la différence de l'alinéa 1er, il s'agit d'actions auxquelles les Etats ne sont tenus que s'ils ont accepté d'y participer au sein même du Conseil, ou s'ils s'y sont obligés par une .alliance défensive.

Al. 3.

Les sanctions économiques ayant une répercussion très diverse sur les Etats qui les appliquent et chacun d'eux étant, on le comprend, très diversement exposé aux mesures de rétorsion, l'appui mutuel que doivent se prêter les Etats est le corollaire indispensable de la solidarité qui les unit contre l'Etat qui a rompu la paix.

Le droit de passage, qui n'est autre chose qu'une aide militaire mutuelle, est concédé par le Pacte même; il ne nécessite aucune décision du Conseil, non plus que le consentement de l'Etat sui- le territoire duquel il s'agit de passer; un arrangement n'est nécessaire que pour les modalités du passage (usage des chemins de fer, etc.).

Al. 4.

L'alinéa 4, à le prendre à la lettre, contient une disposition pénale qui. pourrait être appliquée à toute violation du Pacte de la Société des nations. Néanmoins cette disposition ayant été placée dans l'article XVI, qui indique les sanctions applicables à la violation des articles XII, XIII et XV, il faut en conclure que l'exclusion, elle aussi, ne peut être prononcée que contre l'Etat qui trouble la paix et qu'elle a pour but unique d'exclure cet Etat de toute participation ultérieure, au Conseil et à l'Assemblée (cf. p. 24 supra).

Ad art. XVII.

Sur la situation des Etats restés en dehors de la Société des nations, voir supra, p. 56.

En principe, la procédure de l'article 17 est la même que celle que les articles XII à XV établissent pour les membres de la Société des nations. Il faut cependant relever les différences suivantes dans l'application de l'article XV:
'b) Lorsque la procédure est en cours, le Conseil peut encore décider, si cela lui paraît nécessaire, des modifications à apporter ad hoc aux articles XII à XVI. Mais un droit aussi essentiel que l'appel à l'Assemblée ne devrait pouvoir subir aucune atteinte.

709

Cette importante disposition ne concerne que les traités Ad art. XVIII.

futurs. Mais c'est une limitation qui n'a rien de grave, car l'article XX du Pacte abroge tous les anciens traités incompatibles avec la Société des nations, lorsqu'ils ont été conclus entre ses membres, ou il oblige ceux-ci à s'en dégager au plus tôt, lorsque d'autres Etats y sont intéressés. Dans les relations entre membres de la Société des nations, le Pacte est le traité nouveau qui déroge au droit ancien, et, pour les conventions futures, il est le droit supérieur qui prime toute entente particulière. Sa valeur est analogue à celle que le droit public attribue à la constitution par rapport à la législation ordinaire.

L'enregistrement, et non la publication par le Secrétariat, est la condition de la validité internationale. Mais il faut admettre que tous les membres de la Société ont le droit de consulter le registre des engagements tenu par le Secrétariat.

Toutes les conventions entre membres doivent être enregistrées, quelle qu'en soit là nature. Cependant; les ententes dénuées de forme, et dont chaque partie peut se désister à sa guise, échappent à cette règle.

Cet article n'impose aucune obligation immédiate aux Ad apf- xl*Etats, il ne donne aucune compétence à la Société des nations, mais il pose le principe important de l'évolution du droit existant et de la modification des droits acquis.

A(j art xx Voir à ce sujet le commentaire de l'article XVIII.

- Voir supra, p. 32 et 93, le rapport entre cet article) et la M art. XXI.

neutralité suisse.

L'expression « ententes régionales » peut être diversement entendue; on peut imaginer que des Etats voisins forment, au sein de la Société des nations, des communautés pluß étroites afin d'y développer plus complètement les principes de la Société des nations. L'union pan-américaine serait un organisme de ce genre.

Les traités d'arbitrage obligatoire ne sont en rien contraires à la Société des nations, car rien se s'oppose à, ce que des Etats s'engagent à faire trancher leurs différends par la voie judiciaire. A ce propos, il convient de relever que la.

Convention de la Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux est toujours en vigueur.

Cet article, qui n'a pas de signification immédiate pour A<| art- xxll> la Suisse, ne contient aucune prescription de nature vraiment juridique, à l'exception de trois derniers alinéas, qui

710

traitent de la surveillance de la Société des nations sur l'exécution des mandats. Il développe un programme pour l'administration des colonies cédées par l'Empire allemand et des contrées à séparer de l'empire ottoman. Une commission permanente de la Société des nations réunit tous les rapports que les Etats mandataires doivent lui adresser chaque année et donne son avis à ce sujet.

Ad art. XXIII.

En vertu de cet article, comme en vertu du précédent, les Etats n'assument aucune obligation immédiate; dans ses dispositions essentielles, il se borne à développer un programme d'activicé pour la Société des nations dans le domaine de l'économie publique et de la prévoyance sociale.

litt. a.

L'organisation prévue à la lettre a pour le développement du droit ouvrier international a trouvé sa première réalisation dans la XIIIe partie du traité de paix avec l'Allemagne (voir supra, p. 84 et suiv. et Annexes, VI).

litt. b.

En exigeant un traitement équitable des populations indigènes, le lettre & entend déclarer que tous les Etats sont liés par les principes applicables aux mandats coloniaux d'après l'article XXII. Cette disposition, ainsi que celle de la lettre d interdisant le commerce des armes, rentre dans un domaine déjà réglementé en partie par divers accords inter nationaux (acte du Congo, du 26 février 1885, acte anti esclavagiste de Bruxelles, du 2 juillet 1890, acte d'Algésiras d/u 7 avril 1906).

litt. d.

litt. c.

litt./.

La lutte contre certaines formes immorales et dangereuses du commerce, qui avait déjà été entreprise avant la guerre par des traités internationaux, doit être poursuivie sous le contrôle de la Société des nations (arrangement internationa concernant la répression de la traite des blanches du 18 mai 1904, monopole de l'opium de l'article 72 de l'acte d'Algésiras) Pour les mêmes raisons que dans les cas prévus à la lettre c, on a confié à la Société des nations l'hygiènel internationale ainsi que les mesures à prendre pour prévenir ei combattre les épidémies; une action efficace n'est en effe possible que sur une très large base et si elle comporte un emploi et une mise en valeur méthodiques de toutes les collaborations locales. Le plus important des accords déjà conclus dans ce domaine est la convention sanitaire internationale pour l'application de mesures protectrices contre la peste, le choléra et la fièvre jaune, du 3 décembre 1903.

711

L'activité de la Société dea nations en ce qui concerne la santé publique doit être encouragée et popularisée par l'organisation de la Croix-Rouge mentionnée à l'article XXV.

Le domaine très important des relations économiques n'a litt, e malheureusement été traité que d'une manière extrêmement succinte dans le Pacte de la Société des nations. Voir à ce sujet supra, p. 75 et suiv.

Il existe déjà un grand nombre de bureaux internationaux; Ad art. XXIV.

ce sont des offices créés par des traités internationaux pour diriger les affaires réglementées par ces accords; un certain nombre de ces bureaux, et parmi les plus importants, se trouvent à Berne (Bureau de l'Union Postale Universelle et de l'Union Internationale des Télégraphes, Bureau International des Télégraphes, Bureau International de la Propriété Intellectuelle, Bureau de l'Union pour les transports par chemin de fer; il y a en outre un Institut International d'Agriculture à Borne, un Office de l'Union Métrique à Paris, etc.). Ces offices doivent être placés, avec le consentement des Etats qui sont membres de ces Unions, sous la surveillance de la Société des nations, alors que jusqu'à présent ce contrôle était confié, dans la règle, au gouvernement de l'Etat où l'office international a son siège, ce gouvernement ayant en outre le droit de procéder aux nominations nécessaires. La possibilité d'obtenir le consentement des Etats intéressés à cette nouvelle organisation, résulte indirectement du fait que toutes ces conventions d'union peuvent être résiliées. Comme tous les bureaux internationaux qui doivent encore être créés et toutes les commissions internationales permanentes seront également soumis à la Société des nations, il faut prévoir qu'avec le temps, toute une administration internationale se formera au soin de la Société des nations.

Pour les cas où des bureaux spéciaux ou des com'missions spéciales ne seront pas constitués, les fonctions qu'ils auraient à assumer pourront avec le consentement du Conseil être dévolues au secrétariat de la Société dès nations.

L'article XXV, a été inséré dans le Pacte; à la demande d'un Ad art- xxv comité constitué par les représentants des sociétés nationales de la Croix-Rouge de l'Amérique, de la France, de la GrandeBretagne, de l'Italie la paix ne devait pas interrompre l'action charitable qui s'est exercée sous le drapeau de la CroixRouge au cours de la guerre, ont décidé la création d'ufio Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge. Les statuts de cette Fewlle fédérale suisse. 71« année. Vol. IV.

50

712

Ligue comportent un programme de paix conforme à l'article XXV. Dans leur désir de rendre an éclatant hommage de gratitude au Comité international de la Croix-Rouge à Genève, les fondateurs de la ligue ont aussi fixé son siège dansl cette ville. Toutes les Sociétés nationales de la Croix-Rouge des pays alliés et neutres ont été invitées à y adhérer et la plupart ont déjà répondu favorablement à cette invitation, qui sera vraisemblablement étendue à toutes les autres Sociétés nationales de la Croix-Rouge, dès que la Société des nations aura revêtu un caractère universel.

La possibilité de modifier un traité international par des · XXVI. (Jécigj.Q.jis prises à la majorité est, en droit international, une nouveauté radicale. Jusqu'à présent, les Unions internationales restaient en vigueur, dans leur forme antérieure, pour tous les Etats contractants qui ne ratifiaient pas le traité révisé. Mais le maintien simultané d'accords anciens et nouveaux concordants sur les points essentiels n'est pas possible pour la Société des nations, dont le Pacte constitutif contient surtout des dispositions de caractère organique: c'est pour cela quiom a posé la règle que le Pacte révisé sera obligatoire pour tous les membres et qu'il remplacera entièrement l'ancien.

Mais comme les Etats ne seraient guère disposés à se soumettre d'avance, actuellement déjà, à une décision d'autres Etats, on a réservé à tout Etat dissident le droit de sortir de la Société des nations. C'est un droit dont ne sauraient se passer les Etats qui ne sont pas représentés dans le Conseil et en 'Conséquence, ne jouissent pas du droit de veto prévu à l'article XXVI. Cette règle est conforme, dans son principe, à une proposition formulée par la Suisse*). Mais la proposition suisse ne permettait la sortie que lorsqu'il s'agissait de modifications essentielles, et elle laissait à une instance judiciaire le soin de décider, au besoin, si cette exigence était, oui ou non, .réalisée.

La procédure de révision n'est pas précisée par le Pacte.

Il faut supposer que c'est l'Assemblée qui délibérera sur la révision et la décidera. Mais la décision n'entrera en vigueur que lorsqu'elle aura été ratifiée par les Etats particuliers et qu'on aura pu constater ainsi qu'elle été prise à la majorité prévue par l'article XXVI. Il y a lieu d'admettre que, pour la décision de l'Assemblée soumise à la ratification des Etats *) Annexes, II, 10.

713

particuliers, il n'est besoin ni d'une majorité qualifiée, ni de l'unanimité. II n'est d'ailleurs pas nécessaire de supposer que la ratification d'un Etat est préjugée par le vote émis par lui dans l'Assemblée. Ce qui est déterminant pour l'adoption d'une révision ainsi que pour l'exercice du droit de sortie, c'est, ou bien la ratification, ou bien te refus de ratification. La sortie, ensuite d'un refus de ratification, doit être signifiée aussitôt que passible et ne peut pas intervenir plus tard à un moment quelconque. Le refus de ratifier ne signifie pas en soi qu'un Etat a l'intention de sortir; il ne peuij être considéré que comme l'attitude définitive adoptée par un Etat au cours de la votation sur la révision. Ce n'est que lorsque celle-ci a été définitivement acceptée, conformément à l'article XXVI, que les Etats qui ne la ratifient pas peuvent) déclarer s'ils entendent se soumettre à la majorité ou s'ils préfèrent sortir de la Société des nations. A notre avis1, il y a lifeu d'appliquer ici la règle que l'avant-projet suisse formule expressément et d'après laquelle un Etat qui n'a pas ratifié peut seul se retirer.

714

Annexe au XIIe rapport de neutralité.

(Législation nouvelle édictée sur la base de l'arrêté fédéral du 3 avril 1919.)

Ad 575

Rapport du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'arrêté du 8 juillet 1919 modifiant et complétant les dispositions du code suisse des obligations du 30 mars 1911 relatives aux sociétés anonymes, aux sociétés en commandite par actions et aux sociétés coopératives.

(Du 20 août 1919.)

Par arrêté fédéral du 3 avril 1919, vous avez maintenu les pouvoirs extraordinaires du Conseil fédéral à l'égard des mesures absolument indispensables à la sauvegarde des intérêts économiques du pays. Et si vous avez ainsi laissé subsister, au printemps, cette catégorie des pouvoirs extraordinaires, c'était en particulier pour nous donner la possibilité d'introduire par la voie d'un acte législatif extraordinaire les dispositions modifiant le régime des sociétés par actions et des sociétés coopératives.

Or, nous avons adopté le 8 juillet 1919 cet acte législatif extraordinaire et fixé son entrée en vigueur au 15 du même mois. L'arrêté est publié dans le tome XXXV du Recueil officiel des lois de la Confédération, pages 533 et suivantes.

A teneur de la disposition sous chiffre I, al. 3, de l'arrêté fédéral du 3 avril 1919 limitant les pouvoirs extraordinaires du Conseil fédéral, il nous incombe de porter à rotre connaissance dans la plus prochaine session, avec un rapport

715

circonstancié, les ordonnances édictées en vertu de ces pouvoirs. Nous nous acquittons ici de cette mission en ce qui concerne notre arrêté du 8 juillet 1919. Vous avez à décider si cet arrêté doit demeurer en vigueur.

I.

En janvier 1918, l'Union suisse du commerce et de l'industrie a chargé une commission composée de représentants de l'industrie, du commerce, de la banque, des assurances, de la science et de l'administration d'examiner .quelles mesures il convenait de prendre pour écarter le danger de l'envahissement économique de la Suisse par l'étranger.

Cette commission a d'abord élaboré un projet d'arrêté sur les documents d'origine, destiné à être adopté en vertu de nos pouvoirs extraordinaires, ainsi qu'un projet d'ordonnance II revisé complétant le règlement du 6 mai 1890 sur le registre du commerce et la Feuille officielle du commerce. Nous avons adopté ces deux projets, sans les modifier sensiblement, le premier en date du 30 août 1918 (Recueil officiel XXXIV, p. 927) et le second le 16 décembre de l'année dernière également (Recueil officiel XXXIV, p. 1262).

Après achèvement de ces travaux, la commission appelée à s'occuper de l'emprise étrangère a abordé la question de savoir s'il était nécessaire, pour combattre l'emprise éconoiiomique de l'étranger en Suisse, de modifier la législation régissant les sociétés commerciales. Elle a d'abord déterminé, sous la forme de postulats, les points sur lesquels la législation sur les sociétés par actions et les sociétés coopératives paraissait devoir être revisée au point de vue de l'emprise économique de l'étranger. Et la commission a constaté que la plupart des propositions de revision portaient sur des prescriptions du code des obligations comprises dans les « dispositions générales » du titre vingt-sixième relatif aux sociétés anonymes. Cette constatation a engagé la commission à élaborer un projet dont la première partie modifie intégralement les dispositions générales ('art. 612 à 628) existantes. Cette première partie du projet renferme des dispositions sur l'empire de la législation relative aux sociétés anonymes, sur la nature, la valeur nominale et le prix d'émission des actions, sur le contenu des statuts, les conditions de la fondation par opérations successives ou simul-

716

tanées et l'acquisition de la personnalité par l'inscription au registre dit commerce, sur rétablissement de succursales, la limitation du droit de représentation, l'émission d'actions nouvelles et privilégiées, la création de bons de jouissance, de parts de fondateur, d'actions de jouissance, sur la revision des statuts, les droits acquis, les décisions de l'assemblée générale qui nécessitent une majorité qualifiée et> enfin, sur l'acquisition des actions par la société elle-même. Hormis ces prescriptions formant sa première partie, le projet comprend encore sept autres dispositions qui complètent ou modifient certaines règles des autres chapitres du droit concernant les sociétés anonymes (art. 649, 655, 676) et les sociétés coopératives (art. 678, 684, 695 et 705). L'on s'est inspiré le plus possible, dans l'élaboration de ces propositions, du projet de loi fédérale portant revision des titres XXVI à XXXIII du code suisse des obligations, rédigé par M. le professeur Eugène Huber, en collaboration avec une commission d'experts. Quant à la forme, la commission chargée d'étudier la question de l'emprise économique étrangère proposait de considérer son projet comme répondant à un besoin urgent et de l'adopter en vertu des pouvoirs extraordinaires.

Dès lors, notre département de justice et police a soumis le projet prémeutionné de la commission, daté de mars 1919, à la commission de revision des obligations, en priant celle-ci de voir s'il convenait d'user des pouvoirs extraordinaires dans ce domaine et, le cas échéant, quelle forme il faudrait donner à l'acte législatif. La commission de revision, du code des obligations a tenu séance du 16 au 18 juin 1919. Ses travaux ont abouti à la présentation de deux projets. Le premier de ces projets se rallie, quant à l'étendue de la revision du code des obligations, aux propositions de la commission de l'Union suisse du commerce et de l'industrie, tout eu introduisant certains amendements matériels jugés opportuns, tandis que le deuxième projet n''a fait siennes qiie celles des propositions de ladite commission qui sont directement en rapport avec l'envahissement économique de la Suisse. La commission de revision du code des obligations accompagne ses deux projets des considérations que voici : « Nôtre commission pourrait se déclarer d'accord, au point de vue matériel, avec les propositions de l'Union suisse du commerce et de l'industrie, moyennant que nos amende-

717

ments soient pris en considération. Mais des craintes ont surgi chez nous, d'une part en ce sens qu'un tel empiétement sur le droit civil par la voie d'une ordonnance fondée sur les pouvoirs extraordinaires serait à notre avis susceptible de créer du mécontentement dans les milieux les plus divers et, d'autre part, en ce qu'un pareil acte législatif pourrait compromettre et retarder la revision de la partie non encore modifiée du code des obligations. C'est par ces motifs que notre commission a élaboré un projet réduit qui lui paraît contenir toutes les propositions visant l'emprise économique étrangère. La commission considère le projet ainsi conçu comme répondant à un besoin urgent et elle croit qu'il constitue une mesure économique absolument indispensable. A l'unanimité de ses membres, elle recommande au Conseil fédéral de° l'adopter en vertu de ses pouvoirs extraordinaires. La commission s'en remet par contre au Conseil fédéral du soin d'examiner, à la lu m i ève de considérations politiques, si la relation systématique qui unit dans le premier projet les prescriptions reconnues urgentes à celles qui ne répondent pas à un besoin pressant justifierait l'adoption de ces dernières sous la forme d'un acte législatif basé sur les pouvoirs extraordinaires maintenus par l'Assemblée fédérale. » A cette occasion, la commission exprime l'avis que la revision de la partie non encore remaniée du code des obligations doit être accélérée.

Nous avions dès lors à choisir entre le «premier » projet, le plus étendu, issu des travaux de la commission concernant l'emprise économique étrangère, et le « deuxième » projet, plus réduit, recommandé par la commission de revision du code des obligations.

Le « premier » projet se présente dans sa partie principale comme un tout et il a pour but de remplacer un groupe de dispositions qui sont en corrélation entre elles. Le « deuxième » projet, en revanche, n'offre ni intérieurement ni extérieurement cette unité qui caractérise le précédent. Il contient des dispositions sans cohésion, jointes les unes aux autres dans l'unique but de conjurer le danger d'envahissement économique. Au surplus, il faut observer que c'est le « premier » projet qui trace à la re vision les limites les plus farges. Alors que le « deuxième » projet restreint la revision aux dispositions en rapport avec l'emprise économique étrangère, le « premier » projet comporte les règles rentrant formellement dans la «partie générale» de la1 législation

718

sur les sociétés anonymes et il aboutit ainsi à remanier toute une série de dispositions qui, sans avoir un point de contact avec la question de l'influence étrangère, ont été à d'autres égards et depuis bien longtemps reconnues comme devant être soumises à revision. Ces deux constatations sont plutôt favorables au « premier » projet. Et, malgré cela, c'est au « deuxième » projet que nous avons donné la préférence.

Nous nous sommes inspirés, dans cette détermination, de considérations politiques. Les pouvoirs extraordinaires ont été limités et sont destinés à l'abandon. La législation fondée sur ces pouvoirs est appelée à disparaître graduellement.

Conformément à l'esprit de l'époque, nous ne devons faire usage de nos pouvoirs extraordinaires que si une disposition en cause, considérée isolément, répond à un besoin iirgent. Or tel n'est pas le cas d'un certain nombre de prescriptions contenues dans le « premier » projet. Il suffit de songer à celles qui reproduisent littéralement ou tout au moins dans leur esprit d'anciennes dispositions du code des obligations.

La relation systématique de telles dispositions qui ne répondent pas à un besoin pressant avec d'autres présentant un caractère d'urgence ne justifierait pas d'une façon suffisante leur adoption en vertu des pouvoirs extraordinaires. Nous estimons que la commission de revision du code des obligations a eu raison de faire par ce motif un choix entre les dispositions du « premier » projet et de séparer ainsi les prescriptions urgentes de celles qui ne le sont point. Les premières ont été réunies dans l'acte législatif qui fait l'objet du présent rapport, tandis que les secondes seront adoptées à l'oeeasion de la revision, en la voie ordinaire, de hi partie non encore modifiée du code des obligations.

II.

L'on voit se créer cbez nous un nombre chaque année croissant de sociétés anonymes qui ont en Suisse leur siège tout en demeurant étrangères au point de vue économique. C'est ainsi, entre autres, qu'augmenté l'emprise économique de l'étranger dont notre pays souffre actuellement.

Ce sont des raisons diverses qui déterminent ces sociétés anonymes étrangères à prendre domicile en Suisse. Aux anciens motifs s'en est ajouté, au cours de ces dernières années, un nouveau : l'interdiction de faire du commerce avec l'ennemi ou, d'une façon plus générale, les entraves que la guerre a apportées aux relations internationales du coin-

719

mercé. Sous le couvert de l'anonymat, les sociétés en question, s'attribuant faussement un caractère suisse, espèrent pouvoir se servir avantageusement de notre territoire pour poursuivre les intérêts de leur pays d'origine. Ou encore, elles comptent se servir du sol neutre pour y faire le commerce qui leur est interdit ou rendu, difficile dans le territoire dont elles sont originaires.

Nous ne pouvons pas lutter efficacement contre l'emprise étrangère aussi longtemps que sont en vigueur les traités d'établissement inspirés d'un esprit libéral, d'ailleurs conclus avant la guerre, ,qui assurent à l'étranger, ainsi qu'à la société étrangère la libre circulation et leur garantissent la liberté de commerce et d'industrie. Notre arrêté du 8 juillet 1919 n'entend pas combattre l'emprise étrangère elle-même.

Il a pour but unique de conjurer certains dangers qui sont inhérents à l'affluence de l'élément étranger et peuvent être écartés au moyen de règles du droit privé.

Il convient d'observer, en laissant de côté ce qui est purement secondaire, que notre arrêté intervient dans deux directions. D'une part, cet acte astreint la société anonyme à rendre publics les faits dont il est possible de tirer des conclusions quant à la nationalité de l'institution et, d'autre part, il exige un minimum d'éléments nationaux dans les organes dirigeants de la société anonyme, de la société en commandite par actions et de la société coopérative.

1. Publicité plus étendue quant à la nationalité de la société anonyme. Nous inspirant des solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence, nous considérons comme suisse la société anonyme qui a son siège d'affaires en Suisse. En cela, nous envisageons comme déterminante une circonstance purement extérieure. Nous ne faisons pas de différence suivant que l'entreprise se rattache intrinsèquement au pays de son siège ou à l'étranger. Il nous paraît juridiquement indifférent que les personnes intéressées directement ou indirectement dans la société anonyme soient des étrangers, que le capital investi provienne de l'étranger, que l'ensemble de l'activité économique de la société soit dirigé vea-s l'étranger.

Mais si nous ne différencions pas sous ces rapports ou à des points de vue analogues, il nous paraît cependant opportun de mettre les tiers en mesure d'établir selon de tels critères la distinction entre les sociétés réellement suisses et les entreprises qui se désignent faussement comme telles..

720

Par une publicité plus étendue, nous voulons fournir aux autorités et aux particuliers de la Suisse et de l'étranger des indications sur la base desquelles il soit possible de juger si. une société anonyme juridiquement suisse appartient économiquement à notre pays ou non. Nous espérons empêcher ainsi que la société réellement suisse soit mise sur le même pied que l'entreprise pseudo-helvétique et se voie traitée comme si elle n'était pas suisse. Nous avons donc édicté, dans notre arrêté du 8 juillet 1919, les dispositions dont il est question ci-après : C'est le plus souvent dans la petit© société anonyme que l'on voit des étrangers- se servir de l'institution comme d'un paravent, sous un drapeau faussement suisse, pour nouer des relations commerciales ou conclure des affaires sur le terrain international. Notre arrêté du 8 juillet 1919 entend remédier à cet ab"s en disposant sous chiffre I que lors de la fondation de nouvelles sociétés anonymes dont le capitalactions, est inférieur à un demi-million de francs, il ne peut être émis que des actions nominatives. La commission chargée de s'occuper de l'emprise économique étrangère avait fixé la limite à un million de francs. La liste des actionnaires est appelée à permettre ou à faciliter la constatation de la nationalité des personnes en mains desquelles le capital social se trouve. Pareille disposition a une grande portée au point de vue de l'emprise étrangère. Mais elle comporte aussi des inconvénients. Cette prescription peut éventuellement être éludée. Puis elle s'applique aussi aux sociétés purement suisses et les prive ainsi de l'avantage de pouvoir émettre des actions au porteur. De plus, il est permis de se demander si la différence de traitement entre les grandes et les petites sociétés est suffisamment justifiée dans le cas particulier.

Les fondateurs et souscripteurs assignent dans la règle à la nouvelle société anonyme son but et sa tendance. C'est généralement dansi la période de fondation qu'une influence déterminante s'exerce sur la nature de la personne morale.

Il en résulte qu'une plus grande facilité de prendre connaissance de ce qui concerne la fondation permettra aux intéressés de se faire d'autant mieux une idée du caractère de la société anonyme, au point de vue national également.

A cet égard, l'arrêté soumis à votre examen constitue un grand progrès. Les fondateurs doivent établir le projet de statuts et le revêtir de leur signature. Il faut pouvoir cons-

721

tater qui a élaboré les premiers statuts et tracé ainsi la voie à la future société anonyme (chiffre II). L'appel à souscrire les actions a lieu, dans la fondation par opérations successives, sous la forme d'un prospectus portant la signature des fondateurs. Les promoteurs, dont la personnalité peut être significative quant à la nature de la nouvelle société, sont ainsi tenus de se montrer au grand jour dans le public qu'ils veulent atteindre par leur appel. Le prospectus doit contenir au surplus des renseignements circonstanciés sur les principales conditions de l'adhésion des souscripteurs. Enfin, les souscriptions d'actions ne sont valables que sous la forme d'une déclaration écrite se référant au projet de statuts et au prospectus (chiffre III). En formant ainsi la base sur laquelle le souscripteur entend faire partie de la société anonyme, le projet de statuts ne peut plus subir, lors de l'assemblée constitutive, des modifications, essentielles qu'avec le consentement de tous les souscripteurs présents à l'assemblée générale (chiffre IV). Selon la législation ordinaire, les décisions de l'assemblée générale prévues aux articles 618, 619, 626 et 664 du G. 0. doivent être constatées par un acte authentique ou sous, seing privé.

L'acte sous seing privé est signé de tous ceux qui y ont pris part (618) ou adhéré (619, 626, 664). Le nouvel arrêté supprime le choix et exige l'acte authentique comme unique forme admissible de constatation, parce qu'il voit dans la coopération de< l'officier public compétent une garantie contre les manoeuvres déloyales et les décisions illégales (chiffre V).

Le projet de statuts signé des fondateurs, en cas de fondation par opérations- successives le prospectus revêtu également de leur signature, les statut» approuvés par l'assemblée générale et l'acte authentique constatant les décisions de l'assemblée constitutive sont remis à l'autorité préposée au registre qui les conserve en dépôt (chiffre V i. f. et chiffre VII). De cette façon, les intéressés se voient mis en mesure de prendre connaissance des principaux documents et faits de la fondation qui sont déterminants quant au caractère de la société anonyme.

L'émission d'actions, nouvelles équivaut à une fondation partielle. Le prospectus est exigé pour l'offre des actions nouvelles, comme dans la fondation. Un
prospectus signé des fondateurs est requis dans tous les cas de fondation par opérations successives et lorsque des actions nouvelles sont offertes en souscription publique, non réservée aux anciens actionnaires, cette offre ne peut être faite que sur la base

722

d'un prospectus signé de l'administration. Il est d'ailleurs naturel que le contenu légal du prospectus ne soit pas exactement le même les deux fois (chiffre III et VIII).

Les circonstances qualifiant la fondation et l'élévation du capital social sont aussi susceptibles de renseigner sur la nationalité de la société anonyme. Elles sont également soumises à la publication. Font ainsi l'objet de l'inscription au registre et de la publication dans la Feuille officielle du commerce les apports ne consistant pas en espèces acceptés par la société, lors de la fondation ou de l'émission d'actions nouvelles, contre remise d'actions, d'espèces ou d'autres biens, ainsi que les avantages particuliers accordés par elle qui dépassent la commission usuelle de banque (chiffre VI).

Des dispositions importantes au point de vue de l'emprise étrar.erère figurent sons chiffre VI en ce qui concerne la société anonyme et sous chiffre X pour la société en commandite par actions. D'après la législation ordinaire (art. 653 C. 0.), seules les personnes autorisées à engager la société par leur signature sont tenues de se faire inscrire au registre du commerce. Or la disposition sous chiffre VI de notre arrêté exige que tous les membres de l'administration, autorisés ou non à signer pour la société, fassent l'objet de l'inscription au registre et de la publication, avec indication du nom et du prénom, du lieu d'origine (de la nationalité pour 1er, étrangers), du domicile et de la profession. Ainsi, la Feuille officielle du commerce indiquera désormais la nationalité et le domicile des membres de l'administration.

Il y aura là de sérieux indices sur l'appartenance intrinsèque de la société. L'inscription au registre du commerce de tous les membres de l'administration d'une société anonyme existante doit avoir lieu à l'occasion de la plus prochaine élection dans cet organe et au plus tard jusqu'au 15 juillet 1922.

Le chiffre X pose des exigences analogues à l'égard de la gérance et du conseil de surveillance de la société en commandite, par actions.

Les sociétés anonymes dont le capital social est d'un million de francs ou supérieur ou qui ont en cours des obligations au porteur, sont tenues de publier, six mois au plus tard dès la date du bilan, dans la Feuille officielle suisse du commerce leur bilan et leur compte de profits et pertes, tels qu'ils ont été approiivés par les actionnaires (chiffre IX).

C'est essentiellement pour des motifs de politique écono-

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nuque que notre arrêté exige des sociétés anonymes importantes la publication de leur bilan. Mais les considérations relatives à l'emprise économique de l'étranger jouent pourtant un certain rôle à cet égard. L'exposé de la situation financière d'une société anonyme peut renseigner d'une façon circonstanciée sur la vie intérieure de cette personnalité morale et fournir des indications ou tout au moins des points de repère quant à sa nationalité. En soumettant à l'exigence en question même les petites sociétés qui ont en cours des obligations au porteur, nous ne faisons que sauvegarder les intérêts des créanciers.

La pratique suivie jusqu'ici admet les sociétés coopératives ayant un capital social déterminé d'avance, de même que l'émission de parts sociales au porteur. L'on peut se demander si cette pratique est en harmonie avec le code des obligations. Lfarrêté du 8 juillet 1919 dispose (cbiffre XII) que la fondation de sociétés coopératives nouvelles ayant un capital social déterminé d'avance n'est pas autorisée et qu'il n'est pas permis d'émettre des parts sociales au porteur. Cette disposition a pour but d'éviter que l'on cboisisse la forme de la société coopérative pour échapper aux rigueurs des prescriptions régissant la société anonyme.

2. Nationalisation des organes directeurs. Les sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions et sociétés coopératives avec siège en Suisse sont des facteurs de notre vie économique et, juridiquement, des personnalités morales suisses. Et pourtant elles peuvent demeurer étrangères à notre économie nationale ou même lui être hostiles. Notre arrêté cherche à ramener sur le terrain national ou tout AU moins à en rapprocher les personnes morales établies en Suisse dont l'orientation n'est pas helvétique. Il entend nationaliser dans ce but les organes de ces sociétés.

Les dispositions sous chiffre XI prescrivent que. la majorité des membres de l'administration de la société anonyme, du conseil de surveillance de la société en commandite par actions, ainsi que de la direction et du comité de surveillance ou d'administration de la société coopérative doivent être citoyens suisses domiciliés en Suisse. Il est stipulé au surplus que l'un au moins des citoyens suisses faisant partie de l'administration d'une société anonyme doit avoir procuration pour représenter la société.

Nous reconnaissons qu'il y a une certaine contradiction dante1 le fait que l'on cherche à imprimer une tendance à

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l'activité de la personne morale étrangère, alors que la personne physique étrangère demeure libre de travailler eans restrictions quelconques. Nous avouons également que la disposition en cause ne pourra atteindre complètement son but. Une société anonyme ou coopérative n'est pas suisse par le simple motif que ses organes dirigeants sont composés dans leur majorité de citoyens suisses domiciliés en Suisse. L'argent permettra de trouver aussi parmi les Suisse des hommes de paille.

Les dispositions relatives à la nationalisation sont applicables aux sociétés anonymes, en commandite par actions et coopératives anciennes et nouvelles. Les sociétés existant lors de l'entrée en vigueur de notre arrêté ont à mettre leurs organes eu harmonie avec les prescriptions nouvelles ponile 15 juillet 1922 au plus tard. Elles «ont tenues de se conformer même auparavant à cette obligation, s'il est procédé avant le 13 juillet 1922 au renouvellement d'un de leurs organes. En cas de sortie individuelle de membres des organes prédésignés, la société n'est pas liée par les nouvelles prescriptions pour le remplacement.

Considérant dans son ensemble le contenu essentiel de l'arrêté du 8 juillet 1919, nous constatons que les dispositions si diverses le composant sont pourtant maintenues en corrélation entre elles par leur but commun qui est de protéger notre vie économique contre l'emprise étrangère.

TH.

L'arrêté fédéral du 3 avril 1919 limitant les pouvoirs extraordinaires du Conseil fédéral autorise celui-ci à prendre exceptionnellement les mesures « absolument indispensables à la sauvegarde des intérêts économiques du pays ».

Notre arrêté du 8 juillet 1919 a pour but de conjurer des dangers qui sont inhérents à l'emprise économique de l'étranger et dirigés contre notre économie nationale. Ce sont donc des intérêts économiques que les- dispositions nouvelles entendent sauvegarder.

Pour quiconque conçoit la gravité de l'envahissement par l'étranger, le besoin de prendre des mesures de protection est évident. A l'homme averti, notre arrêté du 8 juillet 1919 paraîtra absolument indispensable.

L'arrêté était absolument indispensable aussi en raison du besoin pressant auquel il devait répondre. Il arrive même

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un peu tard. Mais la voie de la législation ordinaire ou l'attente de la revision de la partie non remaniée du code des obligations eussent exigé beaucoup plus de temps encore et le retard aurait été par trop considérable. Les dispositions nouvelles doivent atteindre des opérations économiques qui se déroulent aujourd'hui même, prévenir un dommage ,qui menace maintenant notre économie nationale. Une loi fédérale entrant en vigueur seulement après des mois ou des années ne commanderaient ,que fort imparfaitement la situation, même si elle était pourvue d'effet rétroactif.

Nous avons donc pu considérer comme remplies en l'espèce, en édictant le 8 juillet 1919 les dispositions soumises à votre examen, les conditions posées par l'arrêté fédéral du 3 avril 1919 pour l'usage des pouvoirs extraordinaires.

Le préambule de notre arrêté exprime l'idée que les nouvelles dispositions extraordinaires doivent demeurer en vigueur jusqu'à ce qu'elles soient remplacées par la loi fédérale, actuellement en préparation, portant revision de la partie non encore remaniée du code des obligations, de même que lei? prescriptions de l'ordonnance du 20 février 1918 sur la communauté de's créanciers dans les emprunts par obligations, prescriptions fondées également sur les pouvoirs extraordinaires, sont destinées à ne cesser de produire leurs effets qu'après l'entrée en vigueur de la loi fédérale précitée.

Vu ce qui précède, nous vous proposons de décider que l'arrêté du Conseil fédéral du 8 juillet 1919 modifiant et complétant les dispositions du code suisse des obligations du 30 mars 1911 relatives aux sociétés anonymes, aux sociétés en commandite par actions et aux sociétés coopératives demeure en vigueur.

Berne, le 20 août 1919.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le vice-président, MOTTA.

Le chancelier de la Confédération, STEIGER.

Annexe : Arrêté du Conseil fédéral du 8 juillet 1919 (voir Recueil officiel, tome XXXV, page 533).

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la question de l'accession de la Suisse à la Société des nations. (Du 4 août 1919.)

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