06.461 Initiative parlementaire Réhabilitation des Suisses engagés volontaires durant la guerre civile espagnole Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 6 novembre 2008

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous soumettons un projet de loi fédérale sur la réhabilitation des volontaires de la guerre civile d'Espagne, rapport que nous transmettons simultanément au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'adopter le projet d'acte ci-joint. Une minorité de la commission propose de ne pas entrer en matière sur le projet de loi et de classer l'initiative parlementaire.

6 novembre 2008

Au nom de la commission: La présidente, Gabi Huber

2008-2877

8207

Condensé Les volontaires qui ont lutté contre le franquisme aux côtés des Républicains durant la guerre civile d'Espagne ont été parmi les défenseurs de la liberté et de la démocratie, valeurs qui sont aussi les nôtres. En s'engageant, ils ont combattu la montée du totalitarisme au péril de leur vie, et sont par là entrés dans l'Histoire. Or, malgré la noblesse de leurs motivations et leur action courageuse, ces personnes ont en Suisse été sanctionnées. Et, contrairement aux personnes qui ont aidé des victimes des persécutions nazies à fuir, les jugements et décisions prononcés à leur encontre n'ont pas été annulés: ainsi, ces personnages d'exception n'ont toujours pas été réhabilités formellement à ce jour.

La Commission des affaires juridiques du Conseil national propose un projet de loi visant à annuler les jugements et décisions prononcés en Suisse contre les personnes qui ont lutté contre le franquisme aux côtés des Républicains durant la guerre civile d'Espagne. La commission a préféré opter ici pour une procédure de réhabilitation générale et abstraite uniquement, en particulier pour tenir compte de l'urgence liée à l'âge des volontaires encore survivants.

8208

Rapport 1

Genèse du projet

1.1

Initiative parlementaire

Le 21 septembre 2006, le conseiller national Paul Rechsteiner a déposé une initiative parlementaire visant à annuler les condamnations pénales prononcées contre les Suisses qui ont participé en tant que volontaires à la guerre civile espagnole ou qui ont lutté pour la démocratie au sein de la Résistance. Il a argué que ces personnes ont également, par leur action, défendu la liberté et les institutions démocratiques en Suisse et que leur condamnation pénale par la Suisse fait de notre pays un cas judiciaire unique parmi les démocraties du monde entier; aussi a-t-il estimé urgent de les réhabiliter formellement. Le 15 novembre 2007, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a procédé à l'examen préalable de ladite initiative et décidé, par 12 voix contre 9, d'y donner suite en vertu de l'art. 109, al. 2 de la loi sur le Parlement (LParl)1. Son homologue du Conseil des Etats s'est ralliée à l'unanimité à cette décision le 15 avril 2008 (art. 109, al. 3, LParl).

1.2

Travaux de la commission

Se fondant sur l'art. 111, al. 1, LParl, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (ci-après «la commission») a élaboré un projet, qu'elle a adopté le 6 novembre 2008 par 15 voix contre 6. Une minorité de la commission (Kaufmann, Geissbühler, Heer, Reimann Lukas, Schwander) propose de ne pas entrer en matière sur le projet de loi et de classer l'initiative parlementaire.

La portée de la loi fédérale proposée est limitée, car sa mise en oeuvre n'entraîne ni frais ni mesures spécifiques. C'est pourquoi la commission a renoncé à ouvrir une procédure de consultation.

La commission a été secondée dans ses travaux par le Département fédéral de justice et police, comme le prévoit l'art. 112, al. 1, LParl.

2

Grandes lignes du projet

2.1

Situation initiale

La présente initiative est en relation étroite avec une initiative déposée en 1999, également par le conseiller national Paul Rechsteiner, qui demandait déjà la réhabilitation par la Suisse non seulement des personnes qui avaient aidé des victimes des persécutions nazies à fuir, mais également de celles qui avaient lutté contre le fascisme aux côtés des brigades internationales durant la guerre civile d'Espagne ou combattu le nazisme au sein de la Résistance2.

1 2

RS 171.10 99.464 Initiative parlamentaire. Réhabilitation des personnes ayant sauvé des réfugiés ou lutté contre le nazisme et le fascisme

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2.1.1

Loi fédérale du 20 juin 2003 sur l'annulation des jugements pénaux prononcés contre des personnes qui, à l'époque du nazisme, ont aidé des victimes des persécutions à fuir

Le 20 juin 2003, l'Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur l'annulation des jugements pénaux prononcés contre des personnes qui, à l'époque du nazisme, ont aidé des victimes des persécutions à fuir (ci-après «la loi de 2003»)3, édictée en réponse à l'initiative parlementaire déposée par le député Paul Rechsteiner en décembre 1999. Ce texte, entré en vigueur le 1er janvier 2004, prévoit un double mécanisme visant d'une part à annuler les jugements pénaux de manière générale et abstraite et d'autre part à faire constater, sur demande ou d'office, que, dans un cas concret, l'acte général d'annulation trouve application (cf. rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 29 octobre 20024). Dès l'examen de cette loi, des minorités des deux commissions des affaires juridiques ont fait valoir ­ avec les mêmes arguments qu'aujourd'hui ­ qu'il serait souhaitable d'étendre la validité de cette loi aux personnes s'étant engagées aux côtés des Républicains durant la guerre civile d'Espagne ainsi qu'à celles ayant soutenu la Résistance française pendant la deuxième guerre mondiale. Toutefois, au Conseil national comme au Conseil des Etats, cette proposition s'est heurtée à l'opposition de la majorité, dont les députés ont relevé que la disposition en vertu de laquelle l'essentiel des condamnations avaient été prononcées à l'encontre des volontaires s'étant engagés en Espagne ou en faveur de la Résistance ­ soit l'art. 94 du code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)5 ­ était toujours en vigueur, contrairement aux dispositions concernées du droit des étrangers qui avaient fondé les jugements frappant les personnes ayant aidé des victimes des persécutions nazies à fuir. A quoi s'ajoute qu'une infraction à l'art. 94 CPM contrevenait au droit ordinaire, alors que les personnes ayant aidé des fugitifs avaient été condamnées en application de dispositions de droit spécial6.

2.1.2

Les volontaires de la guerre civile d'Espagne

Pour l'exposé du contexte historique, la commission renvoie à son rapport du 29 octobre 20027: «Environ 650 citoyens suisses se sont engagés au côté de la République espagnole dans les brigades internationales et dans les milices qui ont précédé leur constitution.

Les témoignages écrits tels que lettres et archives des procès montrent que ces Suisses étaient animés par des convictions politiques. Ils estimaient que la montée du fascisme constituait une menace pour la paix, pour la liberté et pour la démocratie en Europe et en Suisse. [...] Un quart des volontaires suisses sont morts dans les combats. La plupart des survivants ont été jugés par les tribunaux militaires.

3 4 5 6 7

RS 371 FF 2002 7226 ss RS 321.0 BO N 2002 2151, BO E 2003 569; FF 2002 7239 FF 2002 7231 ss (le rapport se fonde pour l'essentiel sur les résultats d'une étude financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, cf. Nic Ulmi, Peter Huber, Les combattants suisses en Espagne républicaine (1936­1939), Antipodes 2001)

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[...]

Depuis 1928, le code pénal militaire (CPM) prévoit à son art. 94 l'interdiction pour ceux qui sont astreints au service militaire de s'engager dans une armée étrangère.

Le 14 août 1936, le Conseil fédéral édicta un arrêté8 qui interdisait toute forme de soutien aux belligérants en Espagne et qui élargissait l'application de l'art. 94 CPM à tous les ressortissants suisses.

[...]

On a dénombré en tout 550 procès9. Il y a parfois des doublons: certains procès par contumace sont suivis d'une révision lors du retour du volontaire en Suisse. Les sentences définitives pour engagement en Espagne sont au nombre de 420 sur environ 500 volontaires. Une partie des condamnations frappe des gens qui sont morts en Espagne. Un petit cinquième des volontaires a échappé à toute sanction. Les condamnations des combattants suisses dans les forces républicaines espagnoles sont maintenant circonscrites de manière précise par la recherche historique.

Les condamnations les plus lourdes sont le résultat d'un cumul d'infractions: prise de service dans l'armée républicaine espagnole, insoumission à des cours de répétition ou défaut à la mobilisation de guerre en Suisse, dilapidation du matériel. [...]

Certains jugements tiennent compte des motivations idéales de l'engagement pour adoucir les peines. [...] La durée des peines s'étale sur une fourchette allant de 15 jours à quatre ans. Le 80 % des peines se resserre sur une durée de un à six mois, la durée moyenne de la peine infligée est de 3,8 mois. La même sévérité est appliquée vis-à-vis des volontaires engagés en Espagne républicaine que vis-à-vis de la trentaine de volontaires suisses qui s'engageront dans l'armée de Franco. On trouve aussi environ une fois sur dix des peines assorties du sursis ainsi que quelques cas où la grâce est demandée et obtenue10. A quelques exceptions près, les condamnations se basent principalement sur l'art. 94 CPM. Les tribunaux n'ont pas besoin de faire recours à l'arrêté du Conseil fédéral du 14 août 1936. La peine supplémentaire de privation des droits civiques de un à cinq ans a été prononcée dans environ 60 pour cent des cas.»

2.2

Considérations de la commission

En 1938, une campagne a été lancée en Suisse pour demander l'amnistie des brigadistes condamnés; mais en février 1939, les Chambres fédérales rejetaient cette proposition11. Pour la suite et jusqu'en 1999, plusieurs interventions parlementaires ont été déposées en faveur des volontaires suisses en Espagne, mais aucune n'a

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Arrêté du Conseil fédéral concernant le transit des armes, munitions et matériels de guerre à destination de l'Espagne, des possessions espagnoles et de la zone espagnole du Maroc du 14 août 1936 (RO 52 [1936] 661).

Nic Ulmi, Peter Huber, op. cit., p. 229 et suiv.

Sur 19 demandes de grâces, dix sont rejetées, sept acceptées et deux acceptées partiellement, pour ce qui concerne la privation des droits civiques.

Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant les demandes d'amnistie en faveur des participants à la guerre civile espagnole du 20 janvier 1939 (FF 1939 116); procès-verbal des délibérations du Conseil national du 1er février 1939 (non publié), p. 24 et suiv.; procès-verbal des délibérations du Conseil des Etats du 4 février 1939, p. 29 et suiv. (non publié)

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abouti, à l'exception d'un postulat Pini12 adopté en 1992 par le Conseil national. En 1999, la commission a déposé une motion exigeant l'amnistie, éventuellement la grâce, des volontaires suisses en Espagne ainsi que de ceux ayant soutenu la Résistance française13. Le Conseil fédéral a néanmoins proposé de la rejeter, faisant valoir que, selon lui, les conditions pour une amnistie n'étaient pas remplies. Pour ce qui est de l'idée de la grâce, il s'y est opposé avec d'autant plus de vigueur qu'elle n'aurait eu, en l'espèce, aucun effet juridique ou pratique. Le Conseil national s'est rallié à l'avis du gouvernement. À noter enfin que l'idée d'étendre la réhabilitation aux Suisses qui se sont engagés dans la guerre d'Espagne et à ceux qui ont combattu le nazisme au sein de la Résistance française a également été rejetée lors de l'examen de la loi de 2003.

Après avoir réexaminé la question, la majorité de la commission est aujourd'hui d'avis qu'il serait juste, après avoir réhabilité ces volontaires «d'un point de vue politique et moral»14, de leur accorder également une réhabilitation du point de vue juridique. Elle estime qu'une des conditions à la réhabilitation totale de ces volontaires est que l'Assemblée fédérale annule les jugements et les décisions. Une telle mesure est justifiée car les volontaires qui ont lutté contre le franquisme aux côtés des Républicains durant la guerre civile d'Espagne se sont engagés au péril de leur vie pour la liberté et la démocratie, ce qui, nous le savons aujourd'hui, était aussi clairvoyant que juste. En un mot, le temps est venu de rendre justice à l'engagement désormais historique de ces volontaires, à l'instar de ce qu'ont fait d'autres pays (en dernier lieu le Luxembourg)15.

Il convient toutefois de souligner qu'en proposant cette réhabilitation, la commission ne vise nullement à remettre en cause ou à accorder une valeur nouvelle à l'interdiction de s'engager dans une armée étrangère, inscrite à l'art. 94 CPM. Son seul objectif est de faire comprendre que, compte tenu de la place qu'occupe la démocratie dans l'échelle des valeurs de la Suisse, compte tenu aussi de ce que l'Histoire nous a appris depuis, le combat pour l'idéal démocratique doit primer sur l'application aveugle de la loi. Encore une fois, cette réflexion s'appuie sur les leçons objectives
de l'Histoire, et il n'entre aucunement dans l'intention de la commission de critiquer l'attitude des autorités de l'époque.

On peut se demander si, pour des raisons d'égalité de traitement, le champ d'application de la loi ne devrait pas être étendu à l'ensemble de la résistance au nazisme et au fascisme, c'est-à-dire à l'ensemble des actions entreprises soit directement contre les représentants ou les infrastructures des régimes concernés et de leurs vassaux, soit indirectement en faveur de ceux qui en étaient victimes ou qui les combattaient. La commission a notamment examiné l'éventualité de réhabiliter, via cette loi, également les personnes qui ont agi aux côtés de la Résistance française durant la deuxième guerre mondiale et qui, à ce titre, ont été sanctionnées en Suisse.

A cet égard, il faut distinguer deux types d'engagement, qui ont tous deux donné

12 13 14 15

91.3214 Po. Réhabilitation des combattants suisses de la guerre d'Espagne (BO N 1992 2718) 99.3065 Mo. CAJ-N Combattants suisses des brigades internationales et de la Résistance française. Condamnation pénale Cf. réponse du Conseil fédéral du 22 mai 1996 à la question ordinaire Grobet (96.1030 Réhabilitation des combattants suisses de la guerre d'Espagne) Ralph Hug, «Sie glotzten uns nur verständnislos an», in: Der Bund du 10 novembre 2007

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lieu à des poursuites16: d'une part, le soutien et l'engagement militaire dans la Résistance française; d'autre part, le soutien actif à la Résistance depuis la Suisse. Ce soutien depuis la Suisse a été relativement important et a couvert notamment des activités de rassemblement et d'acheminement de matériel, de médicaments, d'armes pour la Résistance et les maquis, d'accueil et d'hébergement de résistants, d'activité de renseignement et de diffusion d'informations, et d'aide aux évadés des camps d'internement suisses. On estime le nombre des personnes sanctionnées en Suisse ayant soutenu la Résistance à 300 au moins17. La majorité de la commission ne souhaite pas étendre l'application de la loi aux personnes qui ont rejoint la Résistance française; les historiens n'ont en effet pas réussi à déterminer avec suffisamment de clarté qu'elles étaient les motivations de ces engagés volontaires, contrairement à celles des engagés antifranquistes. Une minorité demande au contraire la réhabilitation dans le cadre de cette loi de l'une comme de l'autre catégories de volontaires, estimant que les uns n'ont pas moins lutté contre le nazisme et le fascisme que les autres.

Pour ce qui est de la mise en oeuvre de l'initiative parlementaire, la commission propose une procédure plus simple que celle qui a été appliquée à la réhabilitation des personnes ayant aidé des victimes des persécutions nazies à fuir. Dans ce dernier cas, comme il a été exposé plus haut, la réhabilitation s'est faite en deux phases distinctes; pour la réhabilitation visée avec la présente initiative, proposition est faite de renoncer à la deuxième étape, qui consisterait à faire examiner et constater par la Commission des grâces de l'Assemblée fédérale, officiant en tant que commission de réhabilitation, si un jugement ou une décision tombe concrètement sous le coup de la loi. Cette décision a été prise à la lumière de l'expérience faite avec l'application de la loi de 2003, qui a montré que la «réhabilitation sui generis» était coûteuse et laborieuse. À ce jour, ladite commission a en effet prononcé 122 décisions constatant la réhabilitation de Suisses ayant aidé des fugitifs sous le IIIe Reich18. Or, en ce qui concerne les volontaires engagés pendant la guerre civile d'Espagne, on dénombre en Suisse 420 sentences militaires19, auxquelles
il faut ajouter quelque 39 jugements et décisions civiles. Compte tenu de la charge de travail élevée qu'entraînerait une réhabilitation individuelle, la commission estime qu'il serait disproportionné d'appliquer cette procédure en l'espèce. Elle fait valoir en outre que des listes de Suisses ayant lutté contre le franquisme aux côtés des Républicains durant la guerre civile d'Espagne ont été publiées20, si bien qu'une fonction de la constatation individuelle et concrète de la réhabilitation est, en partie du moins, déjà remplie pour ce groupe de personnes. Elle relève encore qu'il semble que les personnes et les familles concernées elles-mêmes sont d'avis que la solution proposée par la commission suffit. Elle juge impératif de prononcer très rapidement une

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17

18 19 20

Concernant la participation et l'aide à la Résistance française, voir notamment le rapport du 19 octobre 2002 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (FF 2002 7233 ss) Luc Van Dongen, Des Suisses dans la Résistance française (1944­1945), in: Guerre et paix, Mélanges en l'honneur du prof. Jean-Claude Favez, Ed. Georges, Genève 2000, p. 285.

Communiqués de la commission de réhabilitation du 6 décembre 2006 et du 19 mars 2008 Nic Ulmi, Peter Huber, op. cit., p. 232 Nic Ulmi, Peter Huber, op. cit., p. 311 et suiv. et consultation de la page internet www.spanienfreiwillige.ch (existe uniquement en allemand). A noter que les listes ne se limitent pas aux engagés volontaires pendant la guerre d'Espagne ayant été condamnés

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réhabilitation générale et abstraite, de sorte que les volontaires survivants en aient encore connaissance.

Précisons enfin que, comme pour les personnes ayant aidé des victimes des persécutions nazies à fuir, la réhabilitation n'ouvrirait aucun droit à des dommages-intérêts ni à une indemnité pour tort moral ­ ce que les intéressés, d'ailleurs, n'ont jamais réclamé.

Une minorité propose de ne pas entrer en matière sur le projet et, partant, de classer l'initiative, en raison de l'importance déterminante que revêt le principe d'interdiction du service militaire étranger pour la neutralité de la Suisse. Elle rappelle que les condamnations des personnes qui se sont engagées dans la guerre civile d'Espagne pour violation de cette interdiction étaient conformes au droit: pour elle, seule la situation juridique de l'époque importe, indépendamment des motivations des personnes concernées. Elle estime que, d'une façon générale, on ne saurait porter un jugement a posteriori sur des faits historiques, et elle juge que ce serait une erreur que de procéder à la réhabilitation proposée.

3 Art. 1

Commentaire du projet de loi But

Le but de la loi est de rendre justice aux personnes sanctionnées pour leur engagement en faveur de la liberté et de la démocratie, dans le camp républicain, pendant la guerre civile d'Espagne.

«Rendre justice» signifie tout d'abord que la Confédération reconnaît que la pénalisation de comportements motivés à l'époque par des buts éthiques ­ la liberté et la démocratie ­ viole aujourd'hui le sentiment de justice; il ne s'agit pas, en revanche, de critiquer la façon dont les autorités judiciaires ou administratives statuaient à l'époque. La Confédération tient ainsi compte de l'évolution des événements et des conceptions entre la période où la justice a statué et la période actuelle. «Rendre justice» signifie aussi rendre hommage. La réhabilitation, définie à l'art. 3 de la loi, constitue le moyen de rendre justice à ces personnes qui, dans l'optique actuelle, ont été injustement condamnées.

Art. 2

Champ d'application

L'art. 2 définit le champ d'application personnel de la loi. Celle-ci s'applique aux personnes, qui ont été sanctionnées parce qu'elles se sont engagées activement en faveur du camp républicain, pendant la guerre civile d'Espagne. Seules les personnes qui ont lutté pour la liberté et la démocratie sont concernées. La présente loi vient ainsi compléter la loi de réhabilitation de 2003 déjà mentionnée.

Une minorité de la commission souhaite que la loi s'applique également aux personnes poursuivies pour avoir soutenu la Résistance française durant la deuxième guerre mondiale (cf. ch. 2.2).

La loi s'applique tout d'abord aux personnes qui ont été sanctionnées, en application de l'art. 94 du CPM, pour avoir assumé des engagements militaires sur le front de la guerre d'Espagne. Elle s'applique également à celles qui n'ont été sanctionnées que pour tentative de service militaire étranger, parce qu'elles n'avaient pas réussi à 8214

arriver en Espagne pour des raisons variées, ainsi qu'à celles qui, dans ce contexte, l'ont été pour instigation au service militaire étranger.

La loi s'applique aussi à d'autres volontaires. Contrairement à certaines idées reçues, l'engagement des volontaires ne s'est en effet pas limité à des actions militaires. Le soutien actif, depuis la Suisse, aux Républicains espagnols constitue un deuxième cas de figure qui a fait l'objet d'une répression pénale. Nombre de personnes ont ainsi été sanctionnées pour avoir favorisé ou soutenu le camp républicain, par exemple par la livraison d'armes ou de matériel de guerre ou parce qu'elles ont aidé des volontaires à passer clandestinement les frontières. Il s'agissait principalement d'activistes suisses issus des partis de gauche et des syndicats, dont les réseaux ont permis à des centaines voire à des milliers de volontaires de l'Europe centrale, de l'Est et du Sud-Est, de transiter à travers la Suisse pour rejoindre l'Espagne.

Le terme «sanctionnées» est utilisé de préférence au terme «condamnées», car il permet de viser non seulement les jugements des autorités judiciaires, mais aussi les sanctions administratives (voir commentaire de l'art. 3, al. 2). En ce sens, la réhabilitation va plus loin que celle proposée dans la loi de 2003, qui n'annule que les jugements pénaux (art. 1, al. 2).

La réhabilitation concerne des hommes mais aussi des femmes qui, bien qu'elles n'aient pas pu combattre sur le front, ont également fait l'objet de condamnations diverses pour leur soutien à la résistance civile au nazisme et au fascisme. En effet, les tribunaux militaires ont condamné non seulement des hommes astreints au service militaire mais également des femmes et même des adolescents, pour complicité de violation de l'art. 94 CPM. Cette disposition était applicable, à l'époque déjà, aux civils qui se rendaient coupables d'atteinte à la puissance défensive du pays, en vertu de l'art. 2, ch. 8, CPM (dans sa version du 13 juin 1927).

Par un même souci d'égalité de traitement, la loi vise aussi bien les étrangers que les Suisses sanctionnés par les autorités suisses. Il ne faut par exemple pas omettre que l'arrêté du Conseil fédéral du 14 août 1936 interdisant l'engagement dans les hostilités en Espagne étendait le champ d'application personnel de l'art. 94 CPM aux étrangers, à l'exception des ressortissants espagnols21.

Art. 3

Réhabilitation

Dans son sens courant, la réhabilitation s'entend, d'une part, comme la restitution à une personne de l'estime ou de la considération perdue et d'autre part comme le fait de rétablir une personne dans une situation juridique antérieure, en la relevant de déchéances ou d'incapacités. La réhabilitation a des traits communs avec l'amnistie et la grâce22. Instituée tant par le Code pénal (art. 77 à 79) que par le Code pénal militaire (art. 36 à 43), elle en a disparu lors des révisions de 2002 et 200323. Elle se limitait alors à la levée anticipée des peines accessoires.

Dans la loi de réhabilitation de 2003, elle est déjà conçue comme une institution sui generis. Dans le contexte de cette loi, elle se caractérise par ses effets juridiques, dans la mesure où elle a pour conséquence d'annuler, selon un processus en deux 21 22 23

Conseil fédéral, procès-verbal de la séance du 14 août 1936, Documents diplomatiques suisses, vol. 11, no 279, p. 811­813.

Voir FF 2002 7235 ss LF du 13 décembre 2002 (RO 2006 3459) et LF du 21 mars 2003, toutes deux en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (RO 2006 3389).

8215

temps, les jugements pénaux. Le législateur de 2003 a en effet combiné l'annulation générale et abstraite des jugements pénaux (art. 3) avec une possibilité d'annulation individuelle et concrète, intervenant d'office ou sur requête (art. 7 ss). Pour les motifs exposés ci-dessus, appelée à proposer maintenant la réhabilitation des volontaires de la guerre civile d'Espagne, la commission est d'avis que seule une réhabilitation générale et abstraite, sous forme de l'adoption d'une loi, sans qu'il soit nécessaire de la concrétiser par des décisions individuelles, est conforme au principe de la proportionnalité. Elle renonce donc à offrir la possibilité de constater, sur demande ou d'office, que l'acte général d'annulation soit appliqué à telle personne condamnée et donc à inscrire dans le projet de loi une «révision sui generis informelle», telle qu'elle a été prévue en 200324.

En conséquence, il convient de préciser que la réhabilitation est acquise de plein droit, ce qui signifie qu'il n'est pas besoin qu'elle soit mise en oeuvre par d'autres démarches ou formalités (al. 1).

L'al. 2 précise la portée de l'annulation des jugements et décisions. Les personnes à réhabiliter ont été sanctionnées non seulement par la justice militaire, mais également par les tribunaux pénaux cantonaux, dont les jugements ont parfois été confirmés sur recours par le Tribunal fédéral. On ne peut pas non plus exclure, cette question n'étant pas documentée par les historiens, que des sanctions administratives aient été prononcées par d'autres autorités fédérales ou par des autorités cantonales.

Pour éviter toute lacune, la formulation choisie est très large. Sont donc visés les jugements et les décisions des autorités fédérales aussi bien que cantonales.

Selon l'art. 1, al. 2, de la loi de 2003, l'annulation des jugements pénaux ne devait couvrir que les condamnations qui, dans l'optique actuelle, sont ressenties «comme une violation grave du sentiment de justice». Cette distinction est abandonnée dans la présente loi. Elle n'est en effet pas pertinente dans la mesure où le législateur se borne à une réhabilitation générale et abstraite. L'utilisation d'une notion juridique aussi indéterminée, qui de surcroît ne pourrait être concrétisée par une autorité d'application, ferait inutilement planer le doute sur la question
de savoir qui est réhabilité et qui ne l'est pas.

La réhabilitation vise à annuler les condamnations aujourd'hui perçues comme injustes. Il s'agit pour l'essentiel des sanctions prononcées sous forme d'une peine ou d'une sanction administrative (par exemple une sanction disciplinaire militaire) en relation avec les actes mentionnés dans l'art. 2 de la loi (let. a). Par ailleurs, il est fréquemment arrivé que des condamnations pour une infraction au Code pénal militaire interviennent en concours avec d'autres infractions perpétrées en relation avec les actes principaux; on citera, à titre d'exemple, le refus de se soumettre à un ordre de marche pour un cours de répétition alors que la personne était emprisonnée en Espagne et donc dans l'incapacité de se présenter devant les autorités militaires.

Ces sanctions pour des violations d'autres dispositions du droit pénal ou administratif doivent logiquement être annulées (let. b). L'annulation ne doit en revanche pas toucher les infractions sans lien avec l'engagement de leur auteur dans la guerre d'Espagne, comme un vol ou des lésions corporelles. On remarquera que cette précision constitue le symétrique de l'art. 5 de la loi de 2003. Enfin, il convient de se souvenir que certains volontaires ont très durement vécu les peines accessoires prononcées à l'époque (qui sont aujourd'hui qualifiées d'«autres mesures» par les 24

FF 2002 7238

8216

art. 66 ss du Code pénal [CP]25), spécialement la privation des droits civiques. Il est donc particulièrement important d'un point de vue symbolique de les annuler également (let. a et b).

Art. 4

Conséquences juridiques

L'art. 4 précise les conséquences juridiques de l'annulation des jugements et des décisions administratives. Statuée dans une loi formelle, la réhabilitation prévue va au delà d'une déclaration politique du Conseil fédéral. Elle conserve néanmoins le caractère d'une réhabilitation morale et symbolique. Elle ne peut donc pas avoir pour effet d'indemniser les volontaires de la guerre civile d'Espagne des conséquences financières de sanctions conformes au droit en vigueur à l'époque. Il s'agit donc de prononcer une annulation ex nunc. C'est pourquoi, sur le modèle de l'art. 13 de la loi de 2003, la commission propose de n'ouvrir aucun droit à des dommages-intérêts ou à une indemnité pour tort moral en raison des sanctions prononcées ou des conséquences indirectes des jugements pénaux ou des décisions administratives.

Art. 5

Référendum et entrée en vigueur

La loi fédérale est sujette au référendum facultatif (art. 141, al. 1, let. a de la Constitution [Cst.]26). Comme elle ne nécessite ni dispositions d'exécution, ni mesures de mise en oeuvre, elle pourra entrer en vigueur, en l'absence de référendum, une fois le délai référendaire échu ou, en cas de référendum, après son acceptation par le peuple.

4

Conséquences financières et effet sur l'état du personnel

La présente loi ne permet pas une réhabilitation individuelle et concrète. Contrairement à la loi de 2003, elle n'implique donc pas de frais de mise en oeuvre, ni pour les commissions parlementaires, ni pour l'administration fédérale.

5

Bases légales

5.1

Constitutionnalité

La présente loi se fonde sur les dispositions constitutionnelles qui, à l'époque, ont donné à la Confédération la compétence d'adopter les dispositions permettant de sanctionner les personnes aujourd'hui réhabilitées. L'idée sous-jacente est que la présente loi inverse les perspectives d'une réglementation antérieure, aujourd'hui perçue comme injuste, en s'appuyant sur les mêmes fondements constitutionnels. Il s'agit en l'occurrence de droit pénal accessoire, constitué, d'une part, par le droit pénal militaire dont fait notamment partie le Code pénal militaire et, d'autre part, par le droit pénal accessoire en matière de séjour et d'établissement des étrangers. Les bases constitutionnelles de la présente loi sont donc logiquement les art. 60, al. 1, Cst. (organisation, instruction et équipement de l'armée) et 121, al. 1, Cst. (séjour et 25 26

RS 311.0 RS 101

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établissement des étrangers). Il convient également de viser l'art. 123, al. 1, Cst. qui instaure la compétence de la Confédération en matière de droit pénal autonome, dans la mesure où un certain nombre de sanctions repose également sur le Code pénal.

5.2

Forme de l'acte

Le présent acte contenant des règles de droit et ne pouvant se baser sur une loi formelle déjà existante, il convient de l'édicter sous la forme d'une loi fédérale (art. 163 Cst.).

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