Acquisition de l'armement au sein du DDPS Rapport de la Commission de gestion du Conseil national du 23 novembre 2007

2007-2981

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Liste des abréviations CA CdG-N CdG Comco CPA CPS-N DFAE DDPS DFAE DFE LFMG LMP OMC OMG OMP RS UE

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Chef de l'armement Commission de gestion du Conseil national Commissions de gestion Commission de la concurrence Contrôle parlementaire de l'administration Commission de la politique de sécurité du Conseil national Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral de l'économie Loi sur le matériel de guerre Loi fédérale sur les marchés publics Organisation mondiale du commerce Ordonnance sur le matériel de guerre Ordonnance sur les marchés publics Recueil systématique du droit fédéral Union européenne

Rapport 1

Introduction

1.1

Contexte

Les acquisitions d'armement suscitent régulièrement des controverses au sein de l'opinion publique et lors des délibérations parlementaires. Après les discussions animées qui ont accompagné l'examen par les Chambres du programme d'armement 2004, le programme d'armement 2005 a lui aussi fait l'objet de vifs débats. La controverse portait principalement sur le projet d'acquisition de 20 hélicoptères légers pour les transports et la formation. Le choix du type d'aéronef ainsi que la transparence de la procédure d'évaluation ont été particulièrement remis en question.

Ce n'est qu'à la suite d'une analyse approfondie de la Commission de la politique de sécurité du Conseil national (CPS-N) que les Chambres ont finalement ratifié le crédit correspondant.

Le rapport de la CPS-N consacré à l'acquisition des hélicoptères ainsi que les nombreuses interventions parlementaires et requêtes en matière de surveillance adressées aux Commissions de gestion laissent à penser que ces controverses récurrentes renvoient à un problème de fond. Partant de ce constat, la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a décidé de mener un examen approfondi de l'acquisition de matériel d'armement par le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Fin mai 2006, elle a chargé le Contrôle parlementaire de l'administration (CPA) de procéder à une évaluation de ce domaine.

1.2

Objet de l'évaluation

Les projets soumis au Parlement dans le cadre des programmes d'armement sont le résultat de processus préparatoires longs et compliqués, qui se décomposent en deux phases principales: d'une part la planification de l'armement, qui sert à identifier le besoin en la matière, et d'autre part l'acquisition de l'armement, qui consiste à choisir le matériel d'armement le plus à même de répondre à un besoin militaire déterminé.

Sur la base de l'esquisse de projet du CPA, qui proposait trois variantes d'évaluation, la sous-commission DFAE/DDPS1 de la CdG-N a donné pour mandat au CPA de concentrer son analyse sur la phase d'acquisition du matériel d'armement, à savoir sur la phase d'évaluation et de sélection du matériel militaire par armasuisse2.

1

2

Composition de la sous-commission DFAE/DDPS de la CdG-N: Serge Beck (président), André Daguet, Hans Ulrich Mathys, Lucrezia Meier-Schatz, Geri Müller, Fritz Abraham Oehrli, Stéphane Rossini, Urs Schweizer, Andy Tschümperlin, Pierre-François Veillon et Christian Waber.

Regroupement d'offices et de domaines de compétences dirigé par le chef de l'armement (CA), armasuisse est l'acteur principal en matière d'acquisitions d'armement au sein du DDPS.

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L'objectif de cette étude était de répondre aux deux questions suivantes: 1.

Que penser du processus d'acquisition du point de vue légal?

2.

Que penser du processus d'acquisition du point de vue de la gestion d'entreprise?

Du point de vue légal, l'accent a été mis sur l'analyse du droit pertinent en la matière ­ à savoir le droit des marchés publics ­ et de son application dans le domaine de l'acquisition d'armement, sur la manière dont sont pris en compte les intérêts relevant de la politique extérieure et de la politique de sécurité ainsi que sur le pilotage parlementaire. Du point de vue de la gestion d'entreprise, l'évaluation s'est penchée sur la stratégie en matière d'acquisition, sur les processus et l'organisation, sur la gestion et le controlling ainsi que sur le domaine du personnel.

L'étude du CPA repose sur des analyses approfondies de documents, sur des entretiens ainsi que sur l'évaluation de données provenant des systèmes d'informations internes d'armasuisse. Ce faisant, le CPA a analysé quatre projets d'acquisition en profondeur. En outre, du point de vue de la gestion d'entreprise, l'actuelle pratique d'armasuisse a été mesurée à l'aune de la pratique d'entreprises industrielles privées leaders en termes de best practices.

1.3

Démarche

La sous-commission compétente a examiné le rapport du CPA du 22 août 2007 lors de sa séance du 3 septembre 2007. Au cours de cette même séance, elle s'est aussi entretenue avec le chef du DDPS au sujet des démarches initiées en parallèle par son département pour améliorer le déroulement du processus d'acquisition.

Fondé sur le rapport du CPA ainsi que sur les informations recueillies lors de l'entretien précité, le présent rapport contient les conclusions et les recommandations de la CdG-N. Conformément à la pratique des CdG, il a été soumis au chef du DDPS pour prise de position. Ce dernier a indiqué qu'il considérait les faits présentés comme pertinents. Il a en outre souligné que l'évaluation du CPA met clairement en évidence les points de tension entre les dispositions légales, les contraintes de la gestion d'entreprise et les impératifs politiques.

La commission a adopté le présent rapport le 23 novembre 2007 et en a autorisé la publication. Le contenu du rapport du CPA ne sera répété ici que dans la mesure où cela s'avère nécessaire à la bonne compréhension des appréciations et des conclusions de la CdG-N. Pour de plus amples informations, le lecteur peut se rapporter au rapport du CPA annexé.

Le présent rapport se concentre sur les problèmes décelés et sur les améliorations possibles. La CdG-N tient toutefois à souligner qu'elle reconnaît la valeur du travail effectué par armasuisse. Ainsi que le fait apparaître le rapport du CPA, armasuisse affiche un niveau de qualité élevé dans différents domaines. Il importe de relever notamment l'excellente documentation des processus. De plus, dans un environnement difficile soumis à de profondes mutations, armasuisse a initié plusieurs mesures allant dans la bonne direction. Parmi celles-ci, il convient de citer le renforcement de la formation dans le domaine du droit des marchés publics, la mise en place d'un système de gestion certifié, l'introduction de la saisie du temps de travail et la réalisation (encore en cours) d'un système de controlling moderne.

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Cependant, force est de constater qu'il existe un potentiel d'optimisation important dans plusieurs domaines. La CdG-N est par ailleurs consciente qu'une grande partie des problèmes soulevés ne pourront pas être résolus seulement par armasuisse, mais qu'ils nécessiteront la collaboration active de ses partenaires au sein du DDPS.

2

Analyses de la Commission de gestion

2.1

Bases stratégiques insuffisantes

2.1.1

Prise en compte des intérêts relevant de la politique extérieure et de la politique de sécurité

Selon l'évaluation du CPA, la pratique d'acquisition n'est pas assez définie au niveau stratégique, ce qui pose des problèmes du point de vue légal ainsi que du point de vue de la gestion d'entreprise et du pilotage politique.

D'après le rapport du CPA, le droit pertinent en matière de politique de sécurité et de politique militaire ne prévoit que peu de dispositions spécifiques pour l'acquisition de l'armement. C'est dès lors le droit des marchés publics qui constitue la base légale la plus importante et la plus aboutie pour l'acquisition de matériel d'armement. Ce dernier est ancré dans la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (LMP)3 et dans l'ordonnance correspondante (OMP)4 du 11 décembre 1995. Les quatre principes de base du droit des marchés publics sont la transparence des procédures d'adjudication, le renforcement de la concurrence entre les soumissionnaires, l'utilisation économique des fonds et l'égalité de traitement5.

En matière d'acquisition d'armement, des considérations relevant de la politique extérieure et de la politique de sécurité doivent également être prises en compte.

Celles-ci peuvent exiger des écarts par rapport aux principes du droit des marchés publics. L'évaluation du CPA constate que, à l'échelon des lois, les conditions préalables définissant dans quelle situation et dans quelle mesure ces autres intérêts doivent être pris en compte sont relativement peu réglementées. D'après l'évaluation, cette faible réglementation au niveau légal permet de garantir la souplesse et la marge de manoeuvre nécessaires. En revanche, l'absence de consignes claires à un échelon inférieur, c'est-à-dire pour la concrétisation de ces normes peu réglementées, ne va pas sans poser de problèmes. On ne peut alors complètement exclure le risque de voir des cas comparables ne pas être traités de la même manière.

Aux yeux de la CdG-N, cette question se pose avec une acuité particulière lorsqu'il s'agit de prendre en compte des intérêts de politique extérieure lors d'acquisitions impliquant des importations de matériel d'armement. Le problème principal concerne les importations en provenance de pays qui sont en guerre ou qui violent systématiquement les droits humains. En effet, les principes du Conseil fédéral en matière de politique d'armement du 29 novembre 20026 exigent
uniquement que les possibilités et les limites de la coopération internationale soient définies par la politique extérieure et la politique de sécurité et que la politique d'armement respecte les conditions définies par la politique de neutralité.

3 4 5 6

RS 172.056.1 RS 172.056.11 Art. 1 LMP FF 2003 380

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A la différence des contrôles effectués en matière d'exportation de matériel militaire, il n'existe en matière d'importation aucune directive concrète définissant les critères de laquelle à l'aune juger la «compatibilité en matière de politique extérieure» d'un fournisseur ou de son pays d'origine, et encore moins une liste de pays à laquelle se référer. Cet examen de la compatibilité dépend dès lors fortement de la situation et il est effectué au cas par cas. De plus, il intervient à un stade très avancé du processus, à savoir lors de l'examen d'une proposition concrète d'acquisition. A ce moment-là, le projet a déjà nécessité de nombreux investissements; selon toute vraisemblance, il faudrait alors disposer de très solides arguments de politique extérieure pour justifier de faire demi-tour à ce stade du processus.

L'insuffisance des bases stratégiques existantes pose également problème au niveau de la prise en compte des intérêts relevant de la politique de sécurité. Des conflits d'objectifs peuvent en effet surgir entre les principes du droit des marchés publics relatifs à la concurrence et à l'utilisation économique des fonds publics d'une part, et le maintien d'une base industrielle indigène d'autre part, ce dernier élément étant, du point de vue de la politique de sécurité, indispensable pour garantir un approvisionnement de l'armée en matériel militaire y compris en temps de crise. Or, ici aussi, le rapport du CPA arrive à la conclusion qu'il n'existe pas de consignes stratégiques claires permettant de déterminer dans quelle situation il est nécessaire de favoriser l'industrie nationale pour des raisons relevant de la politique de sécurité au détriment des principes du droit des marchés publics.

Les principes du Conseil fédéral en matière de politique d'armement soulignent certes que les principes régissant les marchés publics s'appliquent aux acquisitions d'armement et qu'une politique structurelle ne peut être envisagée que si elle est nécessaire pour des raisons de politique de sécurité. Ils ne permettent cependant pas de répondre à la question de savoir quand il y a nécessité de mener une politique structurelle et quelle politique structurelle il est permis d'appliquer en s'écartant du principe de concurrence.

L'exception énoncée à l'art. 36, al. 2, let. f de l'OMP est plus concrète. Elle
stipule que, s'agissant de matériel de guerre, un marché peut être adjugé directement à un fournisseur, c'est-à-dire sans faire jouer le principe de concurrence, dès lors que cela est indispensable pour le maintien, dans le pays, d'entreprises importantes pour la défense nationale. Entrée en vigueur le 26 avril 2006, cette disposition d'exception n'a été appliquée à ce jour qu'une seule fois, à savoir lors de l'acquisition du système d'instruction des pilotes de jets PC-21. L'analyse du CPA montre que dans ce cas précis, la question de savoir si le recours à une telle procédure était effectivement indispensable au maintien dans le pays d'entreprises importantes pour la défense nationale reste en suspens. Le rapport du CPA arrive ainsi à la conclusion que l'absence de normes claires au niveau stratégique a pour conséquence que l'application de cette disposition laisse une grande marge d'appréciation et peut, à la rigueur, être envisagée pour quasiment tous les marchés d'armement, dès lors que ceux-ci sont octroyés à une société suisse.

La CdG-N juge la situation actuelle insatisfaisante. Elle estime nécessaire que le Conseil fédéral définisse un cadre stratégique clair et cohérent qui permette d'orienter les décisions des instances exécutives. Ce cadre permettra de garantir que des cas comparables soient toujours traités de la même manière et d'assurer ainsi la prévisibilité de l'action de l'Etat. Il doit impérativement être établi en amont, c'est-à-dire indépendamment de tout projet spécifique d'acquisition. La CdG-N est consciente de la nécessité pour le DDPS de disposer d'une marge de manoeuvre suffisante en la 3188

matière, de manière à pouvoir s'adapter aux différentes situations et notamment à l'évolution de la situation internationale. Elle estime toutefois que cette marge de manoeuvre doit intervenir dans le cadre d'une stratégie préalablement définie.

La commission demande donc au Conseil fédéral d'élaborer une stratégie en matière d'acquisition d'armement qui définisse clairement dans quelle situation, de quelle manière et dans quelle mesure il doit être tenu compte des intérêts relevant de la politique extérieure et de ceux relevant de la politique de sécurité lors de l'acquisition d'armement. Pour la commission, la question du caractère public de cette stratégie demeure ouverte. Elle devra en revanche impérativement être soumise aux commissions parlementaires compétentes (Commissions de politique de sécurité, Commissions de politique extérieure, Commissions de gestion).

Recommandation 1

Stratégie en matière d'acquisition d'armement

La CdG-N demande au Conseil fédéral d'élaborer une stratégie définissant comment les intérêts relevant de la politique extérieure et ceux relevant de la politique de sécurité doivent être pris en compte lors des acquisitions d'armement. Ce faisant, une attention particulière sera portée à la question des importations de matériel d'armement et à celle du maintien de capacités indigènes de production.

2.1.2

Insuffisances stratégiques du point de vue de la gestion d'entreprise

L'évaluation du CPA constate qu'au sein d'armasuisse, les stratégies en matière d'acquisitions sont actuellement élaborées et mises en oeuvre principalement au niveau des projets, c'est-à-dire au cas par cas. Il n'existe pas, à l'échelon d'armasuisse, de stratégie globale explicite en matière d'acquisition, qui définisse sous forme écrite les objectifs et l'orientation à moyen terme des acquisitions, ainsi que les exigences et éléments concernant leur mise en oeuvre. L'étude souligne également l'absence de stratégies différenciées en fonction des groupes de produits.

De l'avis du CPA, l'élaboration de bases stratégiques claires à un échelon supérieur à celui des projets permettrait à armasuisse d'être mieux préparé face à des situations de monopole ou de quasi-monopole. Une stratégie claire permettrait de limiter la création de monopoles dus à des contraintes systémiques et, en cas de monopoles inévitables, de définir en amont des règles garantissant une transparence maximale lors de l'établissement de l'offre par les fournisseurs.

L'étude montre aussi que de nombreux projets au positionnement stratégique différent sont réalisés en suivant la même procédure. Des ressources élevées sont alors mobilisées pour des projets simples et sans grande portée stratégique, ressources qui peuvent ensuite venir à manquer pour la réalisation de projets plus complexes et de plus grande portée stratégique. L'élaboration de stratégies différenciées par groupes de produits en fonction de leur portée stratégique et de leur complexité permettrait dès lors de mieux utiliser les ressources à disposition et de raccourcir les durées de réalisation des processus d'acquisition simples, ce qui de fait entraînerait une réduction des coûts.

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La CdG-N partage l'analyse du CPA et estime que les bases stratégiques doivent être renforcées et explicitées, en particulier à l'échelon d'armasuisse et des groupes de produits. Elle est par ailleurs consciente qu'armasuisse ne peut définir ni adopter de son propre chef une stratégie globale en matière d'acquisition qui ne tiendrait pas compte des directives relevant de la planification de l'armement et de la politique de sécurité. Ce travail nécessite donc la contribution active des partenaires d'armasuisse au sein du DDPS.

Recommandation 2

Stratégie explicite en matière de procédure d'acquisition tenant compte de stratégies différenciées par groupes de produits

La CdG-N demande au Conseil fédéral d'élaborer une stratégie explicite en matière de procédure d'acquisitions tenant compte de stratégies différenciées par groupes de produits en fonction de leur portée stratégique et de leur complexité.

2.2

Application du droit des marchés publics dans le domaine de l'acquisition d'armement

2.2.1

Choix des procédures d'adjudication

Ainsi que nous l'avons déjà relevé, le droit des marchés publics constitue la base légale la plus importante et la plus aboutie en matière d'acquisition d'armement.

Concrètement, la LMP et l'OMP prévoient les procédures d'adjudication suivantes: la procédure ouverte, dans le cadre de laquelle l'adjudicateur lance un appel d'offres public auquel chaque soumissionnaire potentiel peut répondre; la procédure sélective, dans le cadre de laquelle l'adjudicateur lance un appel d'offres public mais détermine ensuite, sur la base des demandes de participation présentées et en fonction des critères de qualification, les soumissionnaires qui peuvent présenter une offre; la procédure invitant à soumissionner, dans le cadre de laquelle l'adjudicateur invite directement des soumissionnaires (si possible au moins trois) à présenter une offre; et, enfin, la procédure de gré à gré, dans le cadre de laquelle l'adjudicateur adjuge le marché directement à un soumissionnaire.

Les dispositions légales en vigueur déterminent quelles procédures sont autorisées dans quelles situations, en fonction principalement des montants du marché concerné et de l'application ou non de l'une des dispositions d'exception prévues dans la LMP et l'OMP. Ainsi, les biens et services d'un montant total de plus de 248 950 francs (TVA non comprise)7 doivent être adjugés dans le cadre de procédures ouvertes ou sélectives, à moins qu'ils ne soient exclus du champ d'application de la loi par l'une des exceptions prévues à l'art. 3 LMP. L'al. 1, let. e de l'article précité stipule ainsi que la LMP n'est pas applicable «à l'acquisition d'armes, de munitions ou de matériel de guerre et à la réalisation d'infrastructures de combat et de commandement pour la défense générale et l'armée»8. Quel que soit le montant du marché, les 7 8

Ordonnance du DFE du 26.11.2007 sur l'adaptation des valeurs seuils des marchés publics pour l'année 2008 (RS 172.056.12).

Art. 3, al. 1, let.e OMP.

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biens précités peuvent être acquis dans le cadre de la procédure invitant à soumissionner (cette procédure est en outre autorisée pour tous les types de biens dès lors qu'il s'agit d'acquisitions d'un montant inférieur à la valeur seuil de 248 950 francs). Les procédures de gré à gré, elles, sont autorisées dès lors que le montant du marché est inférieur à 50 000 francs ou qu'une disposition d'exception le justifie9.

Il est important de noter ici que le droit suisse, en exigeant la procédure invitant à soumissionner pour l'acquisition d'armement à moins qu'une disposition d'exception n'autorise la procédure de gré à gré, va au-delà des exigences minimales de l'Accord du 15 avril 1994 sur les marchés publics (AMP) de l'OMC.10 De plus, au sein des pays de l'UE, l'adjudication de gré à gré et la préférence donnée à l'industrie indigène constituent la règle plutôt que l'exception, le domaine de l'armement étant souvent volontairement exclu des principes du droit des marchés publics axés sur la concurrence. Il importe toutefois aussi de relever que des discussions allant dans le sens d'un renforcement de la concurrence ont actuellement lieu au sein de l'UE.

L'évaluation du CPA arrive à la conclusion que le principe de base en matière de marchés publics, qui consiste à instaurer de la concurrence dans le cadre de procédures d'adjudication transparentes, est bien ancré dans les consignes internes et dans l'esprit des collaborateurs d'armasuisse. Différentes consignes de travail indiquent ainsi aux collaborateurs qu'il faut favoriser la procédure concurrentielle chaque fois que cela est possible.

Le rapport du CPA relève toutefois qu'en 2006, armasuisse a consacré presque la moitié des moyens (près de 750 millions de francs) à des marchés adjugés de gré à gré. armasuisse justifie cet état de fait en mettant en avant les nombreuses situations de monopole caractérisant ce secteur (en particulier dans le domaine des travaux de maintenance).

Parmi les procédures concurrentielles, l'évaluation montre qu'armasuisse affiche une préférence marquée pour la procédure invitant à soumissionner plutôt que pour la procédure ouverte ou sélective. Les arguments principaux avancés par armasuisse sont, d'une part, que l'application de la procédure invitant à soumissionner est plus souple et moins lourde que celle des
procédures plus concurrentielles11 et, d'autre part, que ce type de procédure permet de réduire le nombre des soumissionnaires à des fournisseurs ayant déjà fait leurs preuves et d'éviter ainsi les mauvaises expériences, notamment en termes de qualité des produits. Des arguments en termes de politique économique ont parfois aussi été avancés, certains interlocuteurs d'armasuisse mettant par exemple en avant les possibilités d'influer sur la répartition régionale des marchés.

9 10 11

Art. 13 LMP, art. 13 OMP et art. 36 OMP.

RS 0.632.231.422 L'évaluation du CPA montre en effet que, contrairement aux procédures ouverte et sélective, pour lesquelles il existe des dispositions formelles détaillées (par ex. concernant l'ouverture des offres, les conditions préalables pour des négociations et l'établissement de procès-verbaux les concernant, etc.), le déroulement de la procédure invitant à soumissionner n'est pas régi par des dispositions spécifiques précises. L'art. 35 OMP stipule seulement que l'adjudicateur doit si possible demander au moins trois offres.

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D'après le rapport du CPA, cette préférence se manifeste également à travers une interprétation quelque peu problématique du droit des marchés publics établie par le service juridique d'armasuisse. Selon celle-ci, les biens (civils) qui ne sont pas inscrits sur la liste positive de l'accord AMP de l'OMC12 peuvent, sans autre justification, faire l'objet d'une procédure invitant à soumissionner. Cette interprétation a par exemple été invoquée lors de l'acquisition d'un système radio à ondes courtes SE-240. Or, de l'avis du CPA, cette règle implique que tous les biens acquis pour l'armée par le DDPS qui ne figurent pas sur la liste positive de l'OMC sont du matériel de guerre, des armes ou des munitions. En effet, seuls ces biens sont concernés par la disposition d'exception de la LMP (art. 3, al. 1, let. e) et peuvent donc faire l'objet d'une procédure invitant à soumissionner quel que soit le montant du marché. Etant donné que, selon l'évaluation du CPA, le SE-240 ne constitue pas du matériel de guerre, une procédure ouverte ou sélective aurait due être choisie.

De plus, dans un autre cas analysé en détail par le CPA, un marché a été divisé en deux parties dans le but d'éviter une procédure ouverte ou sélective et de pouvoir opter pour une procédure invitant à soumissionner. Dans le cadre de l'acquisition d'un moteur hors-bord, le véhicule de transport et le berceau ont chacun fait l'objet d'un appel d'offres distinct. Pris séparément, ni l'un ni l'autre n'atteignaient la valeur seuil de 248 950 francs. Il a donc été procédé à deux procédures invitant à soumissionner. Ce ne sont ensuite pas l'offre la moins chère pour le véhicule et l'offre la moins chère pour le berceau qui ont été retenues, mais l'offre globale la moins chère. Les deux marchés ont donc été attribués au même fournisseur, armasuisse ayant justifié cela par le fait que le recours à deux fournisseurs différents ne fait pas sens sur le plan technique. Or, la partition d'un marché est interdite si, par le biais de valeurs de marchés plus faibles, elle vise exclusivement à échapper au type de procédure requis13.

La CdG-N a pris acte avec beaucoup d'intérêt des conclusions du CPA concernant le poids très important des marchés adjugés de gré à gré ainsi que la préférence affichée par armasuisse envers la procédure invitant à soumissionner. Si
la commission tient au principe selon lequel la concurrence doit être instaurée et favorisée là où cela s'avère possible, elle estime également nécessaire de ne pas perdre de vue le fait que l'acquisition d'armement est peu axée sur la concurrence dans de nombreux pays européens et qu'en exigeant la procédure invitant à soumissionner pour les acquisitions de matériel de guerre, le droit suisse va au-delà des exigences minimales du droit international des marchés publics.

De l'avis de la CdG-N, il s'agit moins d'accroître ou de modifier les règles en vigueur que de s'assurer de leur application. La commission demande dès lors au Conseil fédéral de clarifier les conditions requises pour une procédure invitant à soumissionner. Ce faisant, il soumettra à examen l'interprétation du service juridique d'armasuisse selon laquelle les biens qui ne figurent pas sur la liste positive de l'OMC peuvent, sans autre justification, faire l'objet d'une telle procédure. En outre, la commission demande au Conseil fédéral de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer le respect des dispositions légales en vigueur interdisant la division d'un marché dans le seul but d'échapper à la procédure requise.

12 13

Les biens inscrits sur cette liste sont ceux que la Suisse s'est engagée à soumettre aux dispositions de l'AMP.

Art. 7 LMP

3192

Par ailleurs, la CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre les dispositions nécessaires afin qu'armasuisse porte à la connaissance des commissions parlementaires compétentes (Commissions de politique de sécurité, Commissions des finances, Commissions de gestion) une statistique des acquisitions comprenant des indications chiffrées sur les projets d'acquisition réalisés ou en cours, les procédures d'adjudication choisies, les montants des marchés, les fournisseurs, ainsi que les pays concernés. Les modalités exactes de cette information restent à définir, mais elle devra s'effectuer sur une base régulière (par exemple annuelle).

Recommandation 3

Choix des procédures

La CdG-N demande au Conseil fédéral de clarifier les conditions requises pour une procédure invitant à soumissionner. Ce faisant, il soumettra à examen l'interprétation du service juridique d'armasuisse selon laquelle les biens qui ne figurent pas sur la liste positive de l'OMC peuvent, sans autre justification, faire l'objet d'une procédure invitant à soumissionner. Il prendra aussi les mesures nécessaires afin d'assurer le respect des dispositions légales en vigueur interdisant la division d'un marché dans le seul but d'échapper à la procédure requise.

Recommandation 4

Statistique des acquisitions

La CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre les dispositions nécessaires afin qu'armasuisse porte régulièrement à la connaissance des commissions parlementaires compétentes une statistique des acquisitions comprenant des indications chiffrées sur les projets d'acquisition réalisés ou en cours, les procédures d'adjudication choisies, les montants des marchés, les fournisseurs ainsi que les pays concernés.

2.2.2

Transparence des procédures et des critères d'évaluation

L'évaluation du CPA révèle que, dans toutes les procédures concurrentielles analysées, armasuisse a recouru à des critères objectifs et à des instruments d'évaluation structurés. En revanche, il existe une marge d'amélioration en ce qui concerne la transparence de la procédure et des critères d'évaluation. Le déroulement de la procédure, notamment le nombre d'étapes de sélection, ainsi que les critères d'évaluation et leur pondération n'ont ainsi pas toujours été communiqués de manière suffisante aux soumissionnaires.

Dans le cas de l'acquisition du système d'informations de conduite des Forces terrestres (SIC FT), armasuisse a indiqué que deux soumissionnaires au maximum seraient invités à soumettre une offre pour la première phase de test. Sur la base des résultats de cette première phase, un système serait sélectionné pour d'autres phases de test en vue de la réalisation du SIC FT. Finalement, l'évaluation de la première phase de test n'a toutefois été réalisée qu'avec un seul soumissionnaire. Armasuisse n'a certes jamais indiqué explicitement par écrit qu'une procédure concurrentielle à deux niveaux aurait bien lieu. Armasuisse aurait toutefois pu annoncer, dans l'appel 3193

d'offres déjà, que la première phase de test ne se ferait qu'avec un seul soumissionnaire. Les raisons données pour justifier cette décision étaient en effet connues dès ce moment-là. La perspective d'une procédure concurrentielle à deux niveaux était, au moins pour l'un des soumissionnaires, l'élément décisif pour participer à l'appel d'offres.

Selon le rapport du CPA, le respect des principes du droit des marchés publics implique que les critères d'évaluation et leur pondération doivent être définis et publiés à l'attention des soumissionnaires avant l'appel d'offres. Ces éléments ne peuvent être modifiés en cours de procédure que sous certaines conditions. Celles-ci exigent notamment que tous les soumissionnaires soient informés des changements intervenus. En outre, des modifications importantes exigent l'interruption et le redémarrage de la procédure.

Or, dans le cas du projet précité d'acquisition du SIC FT, l'évaluation du CPA est arrivée à la conclusion que le choix de l'offre retenue avait été effectué sur la base de critères autres ou autrement pondérés que ceux indiqués dans l'appel d'offres. En effet, en cours de procédure, des informations supplémentaires ont été demandées concernant certains types de coûts sans qu'armasuisse n'indique quel poids auraient ces indications dans la décision. D'après l'analyse du CPA, ce n'est pas la solution obtenant les meilleurs résultats dans l'analyse coût/utilité basée sur les critères et leur pondération tels que définis dans l'appel d'offres qui a été retenue. D'autres critères ont donc été décisifs sans que cela ait été indiqué aux soumissionnaires.

La CdG-N accorde une grande importance au respect du principe de transparence.

Dans le cadre d'une procédure concurrentielle, les étapes de la démarches doivent dès le début être claires pour tous les soumissionnaires, qui doivent pouvoir décider en toute connaissance de cause de leur éventuelle participation. De même, les conditions régissant les modifications de critères ou de leur pondération en cours de procédure doivent impérativement être respectées. De telles modifications doivent être évitées dans la mesure du possible et, dans tous les cas, elles doivent être communiquées de manière transparente à l'ensemble des soumissionnaires.

Recommandation 5

Transparence des procédures et des critères d'évaluation

La CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre les dispositions nécessaires pour améliorer la transparence en ce qui concerne, d'une part, le déroulement des procédures et, d'autre part, les critères d'évaluation. Ce faisant, il s'agira de limiter au maximum les modifications de critères ou de leur pondération en cours de procédure et de veiller au respect des conditions dans lesquelles de telles modifications peuvent avoir lieu.

2.2.3

Possibilités de recours

Selon l'évaluation du CPA, armasuisse adjuge plus de 95 % du volume des acquisitions sans possibilité de recours. En effet, seules les procédures soumises au cadre réglementaire de l'OMC ­ c'est-à-dire celles concernant des biens civils inscrits sur les listes positives de l'OMC et impliquant un marché d'une valeur minimum de 3194

248 950 francs ­ sont soumises à la LMP et offrent des possibilités de recours auprès du Tribunal administratif fédéral. Or, d'après le rapport du CPA, seuls 3 % des moyens financiers ont été investis en 2006 dans des marchés adjugés dans le cadre d'une procédure régie par les règles de l'OMC.

En l'absence de possibilités de recours dans le droit des marchés publics, les soumissionnaires peuvent déposer une requête à l'autorité de surveillance auprès du DDPS. Une telle procédure ne donne toutefois pas droit à une ouverture de procédure et à un examen concret des faits.

Se référant au droit des cartels, un soumissionnaire a porté plainte en décembre 2005 auprès de la Commission de la concurrence (Comco)14. L'enquête préalable a été suspendue le 7 août 2007, le secrétariat de la Comco ayant conclu à l'absence d'indices quant à un éventuel comportement abusif de la part d'armasuisse au sens du droit des cartels. La Comco et son secrétariat ne se considèrent en revanche pas compétents pour vérifier le respect des dispositions du droit des marchés publics.

D'après l'analyse du CPA, le soumissionnaire susmentionné ne dispose d'aucun moyen légal pour s'opposer à la suspension de l'enquête préalable.

L'évaluation du CPA arrive donc à la conclusion que des sommes très importantes sont dépensées chaque année dans le domaine de l'acquisition d'armement sans que des soumissionnaires non retenus aient la possibilité de demander l'examen concret de la procédure d'adjudication au vu du respect des dispositions du droit des marchés publics. Au vu des volumes financiers en jeu et des irrégularités constatées dans l'application du droit des marchés publics par armasuisse, la CdG-N estime que la révision en cours du droit des marchés publics doit être mise à profit pour examiner dans quelle mesure et, le cas échéant, de quelle manière il y a lieu de renforcer la protection juridique des soumissionnaires.

Recommandation 6

Protection juridique

La CdG-N demande au Conseil fédéral de mettre à profit la révision en cours du droit des marchés publics pour examiner dans quelle mesure et, le cas échéant, de quelle manière il y a lieu de renforcer la protection juridique des soumissionnaires dans le domaine de l'acquisition d'armement.

2.3

Prise en compte de la dimension des coûts dans le processus d'acquisition

Il ressort de l'analyse du CPA que le niveau des spécifications contenues dans les cahiers des charges des produits souhaités est généralement élevé. L'argument toujours avancé est celui des exigences propres à l'armée suisse: armée de milice, plurilinguisme, doctrine d'engagement spéciale, intégration dans le système global.

En outre, le cahier des charges définitif n'est établi qu'à un stade très avancé du processus. Cela a pour conséquence que des exigences nouvelles et modifiées for-

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Il est à noter qu'une telle plainte ne donne pas droit non plus à une ouverture de procédure ni à un examen concret des faits.

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mulées par le domaine Défense du DDPS peuvent y être intégrées à plusieurs reprises.

Avec le constat de conformité aux troupes15, les utilisateurs sont par ailleurs dans une position de force à un stade très avancé du processus, ce qui renforce encore la tendance à prendre en considération de nouvelles exigences qui font augmenter les coûts. Dans le cas du projet d'acquisition du système radio à ondes courtes SE-240, des demandes de modification d'un coût estimé à 6,7 millions de francs ont ainsi été déposées sur la base des essais dans la troupe. A la suite d'examens approfondis et de négociations entre armasuisse et les représentants des utilisateurs, le coût des modifications a certes été revu à la baisse. Les coûts d'adaptation finaux se sont toutefois élevés à 4,6 millions de francs (soit 7 % du coût global de l'acquisition).

La forte spécification des cahiers des charges restreint en outre considérablement l'éventail des solutions disponibles sur le marché susceptibles de satisfaire aux exigences requises. Il n'est dès lors pas exclu que certaines situations de monopole découlent des exigences élevées exprimées par le domaine Défense.

De l'avis de la CdG-N, il faut soumettre à un examen critique le haut niveau de spécification des cahiers des charges ainsi que l'élaboration tardive de leur version définitive. D'une part, ces aspects tendent à augmenter les coûts, notamment de par le rallongement de la durée de réalisation des projets; d'autre part, ils tendent à renforcer les situations de monopole. La commission peut se rallier jusqu'à un certain point à l'argument selon lequel les spécificités de l'utilisateur, à savoir l'armée suisse, nécessitent une forte spécification des cahiers des charges; si cet argument peut être valable dans certains cas, il ne l'est en revanche pas automatiquement dans tous. Il faut donc soumettre les exigences de l'utilisateur à un examen critique, afin de déterminer dans quelle mesure elles correspondent réellement à une nécessité dans le cas étudié. De même, si la commission estime nécessaire que les utilisateurs soient associés au processus de sélection et à la définition des critères d'évaluation afin de s'assurer de l'adéquation des acquisitions aux besoins, elle est d'avis que cette association doit intervenir de manière appropriée. Dans ce contexte,
il paraît opportun d'examiner la possibilité de «geler» les cahiers des charges à un stade plus précoce du processus et de limiter l'influence des utilisateurs à cette première phase.

Conformément à la convention TUNE, les contacts avec les fournisseurs relèvent de la compétence d'armasuisse16. Or, le rapport du CPA a mis en évidence les contacts établis par les fournisseurs directement auprès de l'utilisateur et de l'Etat-major de planification dans le but de promouvoir leurs produits. Selon les déclarations de représentants d'armasuisse, ces contacts ont régulièrement pour effet que les exigences formulées par le domaine Défense sont fortement adaptées à un produit déterminé. L'évaluation révèle en outre que ces contacts peuvent persister durant la phase de l'appel d'offres et de l'évaluation.

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Lors de la phase d'évaluation, les offres encore en lice sont soumises à plusieurs tests.

Parmi ceux-ci, les essais dans la troupe sont particulièrement importants. S'appuyant sur les rapports de la troupe, l'Etat-major de planification établit ou non le constat de la conformité aux troupes.

La convention TUNE, en vigueur depuis 2003, définit la collaboration d'armasuisse avec ses partenaires au sein du DDPS. Une version remaniée de cette convention, baptisée TUNE +, est entrée en vigueur le 2.5.2007. Armasuisse demeure compétente pour les contacts avec les fournisseurs.

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De l'avis de la CdG-N, les flux d'informations entre les fournisseurs et les services du DDPS doivent être clairement définis et respectés. La pratique actuelle doit être examinée et des mesures d'optimisation proposées.

L'étude du CPA a aussi mis en évidence le poids important accordé aux critères qualitatifs lors des évaluations. Cet aspect est particulièrement visible lorsque l'on compare la pratique d'armasuisse à celle des entreprises privées, pour lesquelles, si les conditions minimales (fonctionnalité, exigences techniques, qualifications des fournisseurs) sont remplies, l'adjudication s'effectue sur la seule base du prix. Armasuisse, en revanche, tient souvent compte de critères qualitatifs allant au-delà des exigences minimales. Les soumissionnaires dont les offres dépassent les exigences minimales sont favorisés dès lors que les coûts ne sont pas disproportionnés et que le budget disponible n'est pas épuisé. De l'avis de la CdG-N, ces pratiques doivent être soumises à un examen critique.

Par ailleurs, le CPA conclut qu'au niveau de la conduite d'armasuisse, la gestion et le controlling ne sont pas suffisamment axés sur les coûts. Au lieu d'identifier à travers une analyse quelles sont les ressources nécessaires pour chaque projet et de les y affecter, la pratique consiste à partir des ressources existantes pour les répartir sur les projets. Armasuisse se distingue également des entreprises privées en ce sens que le management et la direction ne disposent pas d'objectifs clairs déclinés projet par projet visant à l'accélération de leur réalisation et à la réduction des coûts. Un système de controlling moderne est certes en cours de réalisation; le CPA relève toutefois que, en plus de quelques lacunes dans sa conception ­ non prise en compte des coûts du capital, absence d'indicateurs permettant de mesurer l'état d'avancement ou le degré de réalisation d'objectifs importants ­ le potentiel de ce système est encore sous-exploité.

La CdG-N partage ces conclusions et estime qu'il existe un potentiel d'optimisation non négligeable au niveau de la gestion et du controlling, qui doivent être plus axés sur les coûts.

Au vu de ce qui précède, la CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre des mesures visant à une prise en considération accrue de la dimension des coûts lors des procédures
d'acquisition et de soumettre à un examen critique les pratiques actuelles d'armasuisse. La commission tient toutefois à souligner que, ainsi que le relève le CPA, la dimension des coûts est mieux prise en considération aujourd'hui qu'elle ne l'était auparavant lors des évaluations et, la pression financière étant plus forte, les souhaits des utilisateurs sont étudiés de manière plus critique.

En outre, la commission est consciente que l'on ne peut demander à armasuisse d'appliquer rigoureusement les principes de la gestion d'entreprise sans s'assurer que son environnement le lui autorise. Il faut donc aussi remettre en question l'influence tardive des utilisateurs dans l'élaboration des cahiers des charges de même que les contacts établis par les fournisseurs directement auprès des utilisateurs et de l'Etat-major de planification.

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Recommandation 7

Prise en considération de la dimension des coûts lors de l'élaboration des cahiers des charges et lors des évaluations

La CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre des mesures afin que la dimension des coûts soit davantage prise en considération lors de l'élaboration des cahiers des charges et lors des évaluations. Ce faisant, il soumettra à un examen critique l'influence tardive des utilisateurs ainsi que les contacts établis par les fournisseurs directement auprès des utilisateurs et de l'Etat-major de planification.

Recommandation 8

Prise en considération de la dimension des coûts au niveau de la gestion et du controlling

La CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre des mesures afin qu'au niveau de la conduite d'armasuisse, la gestion et le controlling soient davantage axés sur les coûts. Ce faisant, des mesures seront prises afin que le management et la direction disposent d'objectifs clairs déclinés projet par projet concernant la durée et les coûts. La dimension des coûts sera également mieux prise en compte dans le système de controlling, et le potentiel de ce dernier sera mieux exploité.

2.3.1

Domaine du personnel

La CdG-N est consciente du fait qu'un grand nombre des pratiques évoquées cidessus sont aussi liées à des habitudes et à une culture d'entreprise qu'il n'est pas possible de changer du jour au lendemain. Elle a pu constater lors de son entretien avec le chef du DDPS que ce dernier était prêt à prendre des mesures allant dans ce sens et qu'il allait mettre à profit les prochains départs au sein de la direction d'armasuisse pour insuffler ce changement de culture.

Ainsi que l'a montré le rapport du CPA, armasuisse dispose de collaborateurs motivés et qualifiés. Certaines qualifications sont cependant sous-représentées.

L'évaluation fait ainsi état d'un déficit d'acheteurs stratégiques et de gestionnaires de la chaîne logistique ayant des connaissances dans le domaine technique et en gestion d'entreprise ainsi qu'une expérience du secteur industriel international. Au vu de l'évolution rapide du secteur et donc du portefeuille des acquisitions, elle constate également un déséquilibre au niveau des qualifications techniques des collaborateurs. Un nombre trop important de collaborateurs sont ainsi qualifiés dans les domaines traditionnels et un nombre trop faible dans les nouvelles technologies (par exemple les systèmes de conduite). Aux yeux de la commission, les prochains changements au niveau du personnel sont aussi à concevoir comme une chance à saisir afin de corriger cet état de faits.

Par ailleurs, l'évaluation du CPA a mis en évidence l'existence d'une culture du «zéro faute» parmi les collaborateurs des échelons hiérarchiques inférieurs d'armasuisse. En effet, alors que la forte hiérarchisation des compétences décisionnelles tend à déplacer la responsabilité vers le haut, en cas d'erreur les supérieurs cherchent 3198

les responsables dans les échelons hiérarchiques inférieurs. Les collaborateurs de ces échelons préfèrent alors jouer la carte de la sécurité et vérifier plusieurs fois chaque travail effectué afin de ne pas courir le risque de se voir reprocher des erreurs.

La CdG-N est d'avis que cette «culture du zéro faute» n'est pas optimale du point de vue de la gestion d'entreprise. Dans l'optique d'insuffler un changement de culture d'entreprise au sein d'armasuisse, une attention particulière devra aussi être portée à ce point.

2.4

Pilotage parlementaire

Selon le rapport du CPA, le Parlement ne peut intervenir de manière contraignante dans un projet d'acquisition important17 qu'à un stade très avancé du processus. Le message sur l'armement est en effet généralement basé sur un contrat prêt à être signé, ce qui signifie que le choix d'un fournisseur et d'un produit ont déjà été effectués et qu'une charge importante de travail a déjà été investie dans les préparatifs.

Du point de vue de la gestion d'entreprise, cette situation n'est pas optimale. Ce constat pose la question de l'opportunité d'un pilotage parlementaire de l'acquisition d'armement par le biais de crédits-cadres pluriannuels (tels qu'il en existe par exemple dans le domaine de l'aide au développement). Cette solution permettrait au DDPS de disposer de davantage de souplesse et de sécurité en termes de planification. Elle présenterait en outre l'avantage de déplacer en amont l'influence du Parlement et d'éviter à ce dernier de débattre de détails techniques qui ne relèvent pas de ses compétences premières.

L'évaluation du CPA souligne toutefois aussi les arguments en défaveur d'une telle solution. Dans un système de crédits-cadres pluriannuels, l'octroi de fonds n'est plus lié à l'examen de projets concrets. Or, en matière d'armement, les décisions d'achat relatives à un produit et à un fournisseur déterminés ne sont pas des décisions purement techniques ou commerciales. Des considérations politiques entrent également en ligne de compte, telles que par exemple des considérations de politique extérieure ou de politique de sécurité (voir ch. 2.1.1). Avec un pilotage par le biais de créditscadres, les décisions d'achat sont, pour une grande part, déléguées aux instances exécutives. Ainsi que l'a montré l'étude du CPA, ces instances ne disposent aujourd'hui d'aucune directive stratégique suffisamment claire et contraignante qui encadrerait chaque décision (voir ch. 2.1.1).

La CdG-N a pris acte avec beaucoup d'intérêt des conclusions du rapport du CPA sur le pilotage parlementaire. Des discussions relatives à l'opportunité d'un pilotage par le biais de crédits-cadres ayant actuellement lieu au sein de la CPS-N, la CdG-N ne se prononce pas sur ce point dans ce rapport.

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Dit de manière simplifiée, il s'agit ici des projets d'un volume financier supérieur à 20 millions de francs et/ou des projets qui font partie d'une nouvelle orientation. Ces projets doivent être intégrés au programme d'armement et sont soumis au Parlement dans le cadre du message sur l'armement.

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La commission estime en revanche nécessaire d'attirer l'attention du Conseil fédéral sur le problème du manque de clarté des documents fournis par le DDPS au Parlement afin que celui-ci puisse fonder ses décisions relatives aux dépenses d'armement.

Le rapport du CPA relève en effet que les informations fournies aux parlementaires, et en particulier celles contenues dans le document intitulé «Etat de préparation matérielle de l'armée», sont difficilement compréhensibles pour des personnes non initiées. En dépit de certaines améliorations, il demeure difficile, sur la base de ces informations, de se faire une idée claire des acquisitions envisagées, de leur but militaire et de leurs liens éventuels avec d'autres projets.

Aux yeux de la CdG-N, il est essentiel que les parlementaires disposent d'informations claires sur lesquelles fonder leurs décisions. La commission demande donc au Conseil fédéral d'accorder une attention particulière à ce problème et d'examiner l'opportunité de prendre des mesures d'optimisation.

3

Suite de la procédure

La CdG-N transmet au Conseil fédéral le présent rapport assorti de recommandations et de l'annexe en le priant de donner son avis d'ici à fin mars 2008. Elle invite également le Conseil fédéral à indiquer les mesures qu'il entend prendre ainsi que le délai de mise en oeuvre de ces recommandations.

Le présent rapport est également transmis pour information aux Commissions de la politique de sécurité des deux Chambres.

23 novembre 2007

Pour la Commission de gestion du Conseil national: Le président, Jean-Paul Glasson Le secrétaire, Philippe Schwab Le président de la sous-commission DFAE/DDPS, Serge Beck La secrétaire de la sous-commission DFAE/DDPS, Jacqueline Dedeystère

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