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FEUILLE FÉDÉRALE 83e année

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Berne, le 9 décembre 1931

Volume II

MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur le protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925.

(Du 4 décembre 1931.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser un message en vue de la ratification du protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925.

I.

La conférence internationale réunie à Genève, en mai et juin 1925, à l'effet d'élaborer une convention sur le contrôle du commerce international des armes et munitions et des matériels de guerre avait adopté le texte d'un protocole portant prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques (1). La délégation suisse, qui prit une part active à l'élaboration dudit protocole, avait reçu mandat de le signer, sous réserve de ratification.

Le protocole signé, le Conseil fédéral n'avait pas cru devoir le soumettre à l'approbation des chambres fédérales avant d'être fixé sur le sort qui serait réservé dans le monde à cet instrument diplomatique. Pour des raisons que nous n'avons pas à examiner ici et qui ne nous sont d'ailleurs pas toutes connues, les Etats se montrèrent, en effet, quelque peu hésitants sur l'attitude à adopter en cette affaire. A la fin de l'année 1927, soit plus de deux ans et demi après la signature du protocole, deux Etats (*) On en trouvera le texte à l'annexe.

Feuille fédérale, 83e année. Vol. II.

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seulement, la France et le Libéria, avaient déposé leur instrument de ratification.

Les choses changèrent d'aspect lorsque les Etats, au fur et à mesure qu'avançaient les travaux préparatoires de la conférence générale du désarmement, se persuadèrent qu'il serait difficile d'aboutir à une limitation des armements sans réduire, en même temps, les possibilités de recours à la guerre chimique ou bactériologique. Il serait contradictoire de ramener à un niveau déterminé l'armement d'un pays et de lui laisser la ressource de disposer, sans aucune limite, d'une arme aussi meurtrière que l'arme chimique. Cette considération et d'autres encore, de nature juridique et surtout morale, amenèrent. peu à peu les Etats à ratifier le protocole du 17 juin 1925. C'est ainsi qu'après les ratifications de la France et du Libéria, vint la ratification du Venezuela (8 février 1928), suivie bientôt des ratifications de l'Italie (3 avril 1928), de l'union des Républiques soviétistes sociab'stes (5 avril 1928), de l'Autriche (9 mai 1928), de la Belgique (4 décembre 1928) et de l'Egypte (6 décembre 1928). La Pologne, la Yougoslavie et l'Allemagne en firent de même au début de 1929. Ces onze ratifications ne suffisaient toutefois pas encore pour donner au protocole la valeur d'un instrument de portée asSez universelle pour servir de base, le cas échéant, aux travaux préparatoires d'une conférence générale du désarmement. Aussi, dans sa session d'avril 1929, la commission préparatoire de la conférence du désarmement adopta-t-elle une résolution recommandant instamment aux Etats qui n'avaient pas encore ratifié le protocole de le faire dans un délai aussi bref que possible. Cette recommandation ne resta pas sans effet. Depuis lors, vingt-deux nouveaux pays (Finlande, Perse, Chine, Espagne, Roumanie, Turquie, Suède, Danemark, Inde, Grande-Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, union Sud-africaine, Portugal, Irlande, Pays-Bas, Lettonie, Grèce, Siam, Estonie et Irak) souscrivirent définitivement au protocole, ce qui porte à trente-trois le nombre des pays qui y participent actuellement.

II.

Le moment est également venu pour nous de ratifier cet instrument diplomatique. Point besoin n'est d'en justifier longuement l'existence.

Son but est de renforcer l'interdiction du recours à des armes particulièrement barbares, à des moyens de guerre indignes de notre civilisation.

Il ne constitue pas pour autant un instrument sans défaut; il appelle, au contraire, comme nous le verrons, des critiques quant à la façon dont il a formulé la défense qui en fait l'économie. Mais, sur le fond, il ne rencontrera nulle part d'adversaires. Il fait un nouvel effort en vue de condamner universellement, par des voies juridiques, ce que le monde entier a déjà flétri moralement: le recours à la guerre chimique et bactériologique Notre ratification, il nous est loisible de la donner, à l'instar des au-

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très pays, avec ou sans réserves. Parmi les trente-trois pays liés à ce jour par le protocole de 1925, quinze n'ont cru pouvoir le ratifier que sous le bénéfice de certaines réserves (France, U. R. S. S., Belgique, Espagne, Roumanie, Grande-Bretagne, Inde, Canada, Australie, Noiivelle-Zélande, Portugal, Irlande, Pays-Bas, Estonie et Irak). Les réserves de la Belgique, de la France, de la Roumanie, de TU. R. S. S., de l'Estonie, de l'Irak, de la Grande-Bretagne et des Dominions britanniques sont de termes identiques; elles prévoient, précisant la portée d'une clause du protocole («...conviennent de se considérer comme liées entre elles...»), que celui-ci n'obligera chacun de ces pays « que vis-à-vis des Etats qui l'ont signé et ratifié ou qui y ont adhéré » et, d'autre part, qu'il « cessera de plein droit d'être obligatoire » pour chacun de ces pays « à l'égard de tout Etat ennemi dont les forces armées ou dont les alliés ne respecteraient pas les interdictions qui font l'objet de ce protocole ». La réserve de l'Espagne est moins étendue en ce sens, qu'elle ne vise pas expressément le cas des « alliés » qui agiraient contrairement aux principes posés dans le protocole. Le gouvernement espagnol ne se considérant comme lié par, le protocole que « vis-à-vis de tout membre ou Etat acceptant et observant la même obligation, c'est-à-dire sous condition de réciprocité », il est évident, cependant, qu'il pourrait invoquer en sa faveur la clause dite « des alliés » contre tout Etat qui l'aurait incorporée dans sa réserve. Il n'aurait pas la même latitude contre un pays qui aurait ratifié ou adhéré sans réserve. Moins restrictive encore est la réserve des Pays-Bas, qui ne prévoit un abandon des principes du protocole que dans le cas où un Etat aurait eu recours, en fait, à l'arme chimique. Elle ne contient donc aucune menace à l'égard des Etats non parties au protocole.

La réserve de la réciprocité nous paraît superflue, étant donné que le protocole ne défend pas et qu'il n'a pas été dans l'intention de ses auteurs de défendre à un Etat de recourir, par mesure de représailles, à l'arme chimique ou bactériologique contre l'Etat qui aurait pris l'initiative de s'en servir. La faculté de ne pas appliquer un engagement international envers un Etat qui le viole ou qui n'y a pas souscrit et ne s'y conforme pas ne
saurait être contestée à la lumière des règles communément admises en droit international. Une question analogue s'était déjà posée lors de la négociation du pacte de renonciation à la guerre, du 27 août 1928, et la solution à lui donner paraissait si évidente qu'on s'était borné à indiquer, dans le préambule du pacte, que « toute puissance signataire qui chercherait désormais à développer ses intérêts nationaux en recourant à la guerre devra être privée du bénéfice du présent traité ». La réserve de la réciprocité est donc implicitement contenue dans le protocole sur la guerre chimique.

Tout autre est la réserve déliant les parties contractantes de leurs engagements vis-à-vis des Etats qui n'ont pas ratifié le protocole ou n'y ont pas adhéré. Elle ajoute ou du moins paraît avoir pour but d'ajouter un élé-

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ment nouveau au protocole, puisque, sans cette réserve, il ne serait pas absolument certain qu'un Etat partie au protocole serait fondé à utiliser, au cours d'hostilités, des moyens de guerre asphyxiants, toxiques ou similaires pour la seule raison que l'ennemi ne participe pas au protocole.

Cette faculté qu'on entend se réserver à l'égard des Etats non parties au protocole est-elle entièrement compatible avec le droit des gens existant ? C'est ce qu'il importe d'examiner.

III.

Si le protocole était un instrument purement contractuel, on pourrait soutenir que ladite réserve est pleinement légitime. Mais il convient précisément de se demander si le protocole revêt bien le caractère exclusivement conventionnel que certains pays paraissent lui attribuer.

On a fait valoir que l'emploi à la guerre de matières asphyxiantes ou toxiques avait été reconnu comme contraire au droit international dès avant l'élaboration du protocole du 17 juin 1925. Des auteurs ont même soutenu qu'il se trouvait condamné par le droit positif avant le règlement de La Haye de 1899, dont nous parlerons tout à l'heure. C'est, en particulier, l'avis de M. van Eysinga, qui, dans son étude sur « la guerre chimique » (1), a écrit: « . . . Et ce droit positif, il existait en 1899. Déjà les instructions de 1863 pour les armées en campagne des Etats-Unis d'Amérique, les fameux « General Orders w° 100 », qui ont joué un si grand rôle dans le développement du droit de la guerre, prescrivent, dans leur article 16, que « les nécessités militaires ne permettent, dans aucun cas, de faire usage du poison»... Et le projet de Bruxelles de 1874, qui a été suivi de si près par le règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre élaboré par la première conférence de la paix elle-même, contient déjà, sauf quelques légères différences qui sont sans importance pour notre sujet, les articles 22 et 23 a) et c) du règlement de la Haye...» On en a inféré que le protocole ne fait que confirmer l'interdiction de l'arme chimique à la guerre; elle existait déjà, affirme-t-on, à l'état de principe -général, et, abstraction faite de la IIe déclaration de La Haye du 29 juillet 1899, sur laquelle nous reviendrons, le but du protocole a été de la transposer du domaine du droit non écrit dans le domaine du droit écrit.

La même opinion avait été soutenue à Genève, en 1925, par la délégation suisse. « Tandis que le rapport général, déclarait M. Lohner à la séance plénière du 5 juin 1925, propose une formule par laquelle les signataires de la convention relative au commerce des armes n'exprimeraient que leur intention de voir incorporer ultérieurement, dans le droit des gens universel, le principe de l'interdiction de la guerre chimique et bactériologique, il nous semble que la conférence peut aller plus loin en reconnaissant que (') Académie de droit international, Recueil des cours, 1927, I, p. 346.

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cette interdiction existe déjà (du moins en ce qui concerne les moyens de la guerre chimique) comme une règle obligatoire du droit des gens...

Il ne semble pas s'agir, en l'occurrence, d'un nouvel engagement d'ordre international: Les délégations des pays ayant signé des accords visant explicitement les gaz asphyxiants nous ont apporté le témoignage de la ferme volonté de leurs gouvernements de mettre un terme aux ravages de la guerre chimique. Quant aux autres Etats, qui ne sont pas liés par la convention de La Haye de 1907 -- convention qui établit une interdiction de l'emploi du « poison ou des armes empoisonnées », ainsi que « des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus » -- ils accepteraient, en somme, uniquement une interprétation, sur un point précis, d'une règle que bon nombre d'entre eux considèrent déjà comme obligatoire. Etant donné, en effet, que cette interdiction « s'impose également à la conscience et à la pratique des Nations » -- comme le rapport général le constate à juste titre -- nous sommes, semble-t-il, en présence de tous les éléments nécessaires à l'existence d'un principe du droit des gens.. . A cet argument, tiré de la convention elle-même, vient se joindre la considération générale que la conférence, du moment qu'elle a été saisie, par la proposition des Etats-Unis d'Amérique, de la question de la guerre chimique, ne peut guère se séparer sans avoir, tout au moins, rappelé et affirmé, une fois de plus, les engagements internationaux existant dans ce domaine...» Effectivement, on pourrait déduire la portée déclarative du protocole des termes mêmes de son préambule, où il est dit que « l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous liquides, matières ou procédés analogues, a été à juste titre condamné par l'opinion générale du monde civilisé » et que l'intention des parties contractantes est de faire universellement reconnaître comme incorporée au droit international cette interdiction, qui s'impose également à la conscience et à la pratique des nations ». Si l'emploi des gaz toxiques à la guerre a déjà été « condamné par l'opinion générale du monde civilisé », si cette interdiction s'impose, au surplus, « à la conscience et à la pratique des nations », il serait quelque peu malaisé de soutenir, après
coup, qu'elle est le résultat d'un simple accord contractuel qui n'oblige que les parties entre elles.

Mais il faut reconnaître que cette opinion se trouve aussi infirmée par d'autres termes du protocole. La «déclaration», qui constitue la partie principale du protocole, est conçue, en effet, de façon à lui conférer tout aussi bien le caractère d'un acte constitutif de droit. Du fait que les parties « conviennent de se considérer comme liées entre elles aux termes de cette déclaration », on devrait en déduire que la volonté des parties a bien été de créer un droit conventionnel entre elles, c'est-à-dire un droit nouveau.

A quoi les adversaires de la thèse du droit conventionnel objecteront que le préambule du protocole contient alors des contre-vérités et que l'on ne s'explique plus guère la portée déclarative que, par le terme « décla-

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rent » qui suit immédiatement le préambule, les parties semblent avoir eu l'intention de donner à cet instrument diplomatique. Une contradiction, diront-ils, dans quelques termes d'un acte dont le but et la portée · générale sont clairement établis ne saurait modifier du tout au tout l'économie de cet acte.

Nous comprenons la valeur de cette objection; elle ne paraît cependant pas tenir suffisamment compte de la circonstance que le but de l'accord n'a pas été, en réalité, de constater une obligation existante, mais bien de créer un engagement entre les Etats participants. Si tel n'était pas le cas, on ne voit pas pourquoi on aurait donné à cet instrument la forme d'une convention, tout au moins en ce qui concerne les conditions de son entrée en vigueur. Car le protocole ne produit ses effets que vis-à-vis des Etats qui le ratifient ou y adhèrent. Il ne consacre pas, du seul fait de sa signature, le principe qui en est à la base. Celui-ci, selon l'économie du protocole, resterait lettre morte pour tout Etat qui ne l'aurait pas expressément accepté à la suite d'une procédure de ratification ou d'adhésion, à la condition, bien entendu, que cet Etat, ainsi que le prévoit le protocole, ne fût pas déjà partie à des traités prohibant l'emploi à la guerre de gaz toxiques.

Le caractère conventionnel du protocole peut se déduire, en outre, de la faculté laissée aux Etats de limiter, par voie de réserve, leurs engagements aux seuls Etats qui assument les mêmes obligations. La prohibition de l'emploi de gaz toxiques à la guerre ne serait donc pas absolue, puisque tout Etat serait autorisé à faire usage des gaz contre un pays qui ne serait pas définitivement lié par le protocole. Cette prohibition peut déjà être incorporée au droit des gens et s'imposer, par conséquent, à chaque Etat indépendamment de toute participation à des accords internationaux; il n'en reste pas moins que les Etats qui participent au protocole le considèrent, du moins pour la plupart, comme un instrument à effet constitutif. Il nous a paru indiqué d'en faire autant et de ne le ratifier qu'après avoir obtenu l'approbation parlementaire.

Cette façon de procéder ne saurait toutefois préjuger, dans notre esprit, la question de savoir si le protocole a été correctement établi, s'il ne tend pas à convertir en principe conventionnel une
prohibition qui pouvait, d'ores et déjà, être considérée comme un principe général pleinement acquis au droit des gens et si, par conséquent, il n'encourt pas le reproche de marquer un recul, plutôt qu'un progrès, sur l'état actuel du droit international. Il eût été, à notre avis, préférable de procéder autrement et de ne pas affaiblir, en le faisant dépendre d'une ratification ou d'une adhésion, un principe que notre civilisation a le plus grand intérêt à voir s'imposer à l'observation de n'importe quel Etat. Le protocole eût dû avoir pour but de donner plus de fixité, en le convertissant en une règle de droit écrit, à un principe général que l'on considérait déjà, selon les termes mêmes du protocole, comme « incorporé au droit international ».

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Nous avons cité plus haut les déclarations du premier délégué de la Suisse à Genève sur le caractère de droit coutumier qu'il attribuait à la prohibition de l'arme chimique en temps de guerre. Ces déclarations peuvent être corroborées par d'autres considérations.

L'article 23 du règlement annexé à la convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, du 29 juillet 1899, stipule, entre autres, qu'« outre les prohibitions établies par des conventions spéciales, il est notamment interdit... d'employer du poison ou des armes empoisonnées...» et même d'« employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus ». C'est la première fois qu'était posé, dans un instrument conventionnel général, le principe de l'interdiction d'employer du poison ou des armes empoisonnées comme moyens de guerre. On pourrait disserter à perte de vue sur l'interprétation à donner à cette stipulation. D'aucuns seront tentés de nier, en particulier, que les parties aient déjà voulu prohiber l'emploi de gaz asphyxiants ou toxiques puisque le mot « gaz » ne i'igure même pas dans la formule de La Haye.

Ils auraient, à cet égard, la ressource d'opposer l'article 23 du règlement à la IIe déclaration de la conférence, aux termes de laquelle « les puissances contractantes s'interdisent l'emploi de projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ». Si l'article 23 avait voulu viser les gaz toxiques, il n'aurait pas été nécessaire d'adopter la déclaration susvisée. A cette objection, on pourrait répondre, avec M. van Eysinga (1), que, lors de la première conférence de la paix, « l'arme chimique n'existait pas encore » et qu'il eût été peu indiqué, dès lors, d'en faire mention expresse dans une clause toute générale comme celle de l'article 23.

Tout ce que l'on savait, c'est qu'il « paraissait possible » d'inventer des « projectiles chargés d'explosifs qui répandent des gaz asphyxiants et délétères », et c'est sur la proposition de la Russie, qui avait cru devoir envisager ce qui n'était alors qu'une éventualité, que la conférence s'était décidée à adopter une déclaration précise à cet égard. Mais entre cette déclaration, qui envisage un cas particulier, et le principe tout général posé à l'article 23 précité, il n'y a pas nécessairement
d'antinomie. On pourrait dire qu'il y a entre eux le lien qui existe entre l'exemple et la règle. L'un serait déjà compris dans l'autre. C'est ce que M. de Lapradelle faisait observer, en 1899, lorsqu'il écrivait qu'à la proposition russe concernant l'interdiction dont il s'agit, « il faut opposer qu'elle n'a pas besoin d'un texte, mais qu'elle résulte du droit commun ». Or, si l'interdiction d'utiliser des projectiles destinés à déverser des gaz asphyxiants sur l'ennemi résultait déjà du droit commun, a fortiori résultait-elle de l'article 23 du règlement de La Haye, qui, comme le relève M. van Eysinga, avait pour but de codifier, « et non pas de formuler pour la première fois », des règles de droit en vigueur. Il ne serait d'ailleurs pas impossible, abstraction faite (!) Op. cit., p. 346.

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de l'existence d'un principe d'interdiction antérieur, de tirer du texte même de l'article 23 la conclusion à laquelle aboutissent les deux jurisconsultes que nous venons de citer. En effet, en argumentant par voie d'interprétation logique, on serait quelque peu fondé à soutenir que, si les parties ont entendu interdire notamment l'emploi de « poison ou d'armes empoisonnées », c'est-à-dire prohiber le recours à des moyens de guerre particulièrement cruels et odieux, il ne pouvait guère être dans leur pensée d'exclure les moyens de guerre inventés dans la suite qui présenteraient toutes les caractéristiques de ce qu'en 1899, dans le développement atteint alors par la science chimique, on considérait généralement comme « poisons ». Il est permis de penser que, si l'article 23 du règlement de La Haye eût été interprété dans la suite par une cour de justice internationale, celle-ci n'aurait guère manqué d'en adapter l'interprétation aux progrès réalisés dans la technique des « poisons » pour faire rentrer sous le terme générique de « poisons » les gaz ou tout au moins certains des gaz à effets asphyxiants ou toxiques fabriqués de nos jours par les laboratoires..

Si ce n'est là qu'une hypothèse, un fait paraît certain, c'est que, dans la suite, l'opinion des peuples civilisés en est venue à assimiler les « poisons » connus en 1899 aux poisons inventés ultérieurement et à condamner l'emploi des uns et des autres en tant que procédés de guerre inadmissibles.

Le principe conventionnel, encore trop étroitement formulé, de l'article 23 du règlement de La Haye, qui avait été repris textuellement à l'article 23 du règlement correspondant adopté par la deuxième conférence de la paix de La Haye, se serait ainsi peu à peu transformé en un principe tout général s'imposant à l'observation et à la conscience de tous les membres de la communauté internationale. Un principe de droit écrit aurait donné finalement naissance à une règle de droit coutumier. Il s'ensuit que la prohibition prévue par les règlements de La Haye de 1899 et de 1907 eût subsisté, à l'état de coutume et à un degré même plus marqué, indépendamment de l'existence de la clause conventionnelle dont elle était sortie.

C'est ainsi que le traité de paix de Versailles déclare que l'emploi à la guerre de matières asphyxiantes ou toxiques était déjà
prohibé au cours de la dernière guerre. Son article 171 porte, en effet, que 1'« emploi des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous liquides, matières ou procédés analogues, étant prohibé, la. fabrication et l'importation en sont rigoureusement interdites en Allemagne ». Pour les vingt-six Etats qui ont signé et ratifié le traité de paix de Versailles, la prohibition générale est donc un principe déjà acquis. Si l'article 23 des règlements de La Haye de 1899 et de 1907 n'avait pas été interprété dans le sens que nous avons indiqué ou s'il ne s'était pas formé, à l'état de coutume, un principe général interdisant l'emploi à la guerre de l'arme chimique, on ne s'expliquerait guère l'origine de l'article 171 du traité de paix de Versailles.

On ne s'expliquerait pas non plus que, trois ans plus tard, à Washington, les puissances réunies à la conférence pour la limitation des armements

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navals eussent, dans un traité concernant l'emploi, en temps de guerre, des sous-marins et des gaz toxiques, affirmé à nouveau, en paraphrasant l'article 171 du traité de paix de Versailles, que « l'emploi en temps de guerre des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous liquides, matières ou procédés analogues, ayant été condamné à juste titre (1) par l'opinion universelle du monde civilisé, et l'interdiction de cet emploi ayant été formulée (1) dans des traités auxquels le plus grand nombre des puissances civilisées sont parties », les puissances signataires, « dans le dessein de faire universellement reconnaître comme incorporée (1) au droit des gens cette interdiction, qui s'impose également à la conscience et à la pratique des nations, déclarent reconnaître cette prohibition, conviennent de se considérer comme liées entre elles à cet égard et invitent toutes les autres nations civilisées à adhérer au présent accord ». Ledit traité, qui avait été ratifié par les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne, l'Italie et le Japon, n'est pas entré en vigueur à la suite de l'abstention de la France.

Les cinq grandes puissances contractantes n'avaient pas moins été unanimes à constater que le droit des gens faisait d'ores et déjà défense aux Etats d'utiliser des moyens de guerre chimiques. La France, la GrandeBretagne, l'Italie et le Japon l'avaient déjà constaté dans le traité de paix de Versailles; il n'était pas inutile de renouveler cette constatation dans un accord avec les Etats-Unis d'Amérique, restés étrangers au traité de paix avec l'Allemagne.

Il est naturel que, lorsqu'il s'est agi de négocier les termes d'un accord sur le contrôle du commerce international des armes et des munitions, on ait été amené à frapper de prohibition d'importation et d'exportation les armes dont l'emploi à la guerre est condamné par le droit international.

Comme, pour la raison susindiquée, le traité de Washington du 6 février 1922 n'était pas entré en vigueur, l'idée s'imposait de renouveler la prohibition prévue à son article 5 par une autre convention à laquelle pourraient s'associer sans difficulté toutes les grandes puissances. C'est effectivement ce qui a été fait.

Bien qu'il soit de forme différente, le protocole de Genève a été calqué sur l'article 5 du traité de Washington ; il lui
emprunte tous ses termes essentiels, à cette différence près que le protocole de Genève prend soin d'étendre l'interdiction « aux moyens de guerre bactériologiques ». Cette extension constituerait, en somme, la seule originalité du protocole; jusqu'ici, il n'avait été question que de gaz ou matières asphyxiants ou toxiques, et non pas de moyens bactériologiques. Il y aurait ainsi, dans le protocole, un élément nouveau. Mais ce n'est même pas certain; car on pourrait aussi soutenir, et les autorités fédérales ont déjà soutenu pour leur part, que la défense d'employer à la guerre les armes prohibées parles règlements de La Haye implique a fortiori la défense d'utiliser des moyens (*) C'est nous qui soulignons.

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de guerre empruntés à la bactériologie. Dans notre publication à l'usage de l'armée n° M. 1592 (« Conventions internationales concernant la guerre sur terre publiées ensuite d'une décision du Conseil fédéral du 31 octobre 1910 »), on a fait observer, en effet, que, dans l'interdiction, prévue par l'article 23 des deux règlements de La Haye, d'employer du poison ou des armes empoisonnées, ·:< il faut aussi comprendre la propagation intentionnelle de maladies contagieuses » (1).

Quoi qu'il en soit et même en admettant que l'interdiction à la guerre de l'arme bactériologique ne soit encore que d'ordre purement contractuel, le protocole de Genève, inspiré de l'article 5 du traité de Washington, issu lui-même de l'article 171 du traité de paix de Versailles, aurait pu, semble-til, procéder de l'idée qu'en interdisant l'emploi à la guerre de gaz ou matières asphyxiants ou toxiques, il ne faisait que constater le droit international existant. Il eût été désirable, dès lors, de lui donner une portée déclarative, de façon à établir que tout Etat, qu'il souscrive définitivement au protocole ou qu'il y demeure étranger, n'est pas moins tenu, de ,par le droit international, de s'abstenir d'employer à la guerre des matières asphyxiantes, toxiques ou similaires, ainsi que des moyens bactériologiques.

IV.

Après les observations qui précèdent, qu'il nous soit permis de regretter que l'on ne se soit pas borné, à Genève, à établir un protocole confirmant un droit existant et qu'on en soit venu à admettre des réserves comme celles qui consistent à dire que les Etats parties au protocole ne sont liés au principe de la prohibition qu'envers ceux qui ont également accepté le protocole. Ces réserves n'ont cependant pas, croyons-nous, la valeur qu'on serait tenté de leur attribuer à première vue. Il paraît douteux, en effet, qu'aucun des pays qui les ont formulées puisse jamais justifier un recours à la guerre chimique par la simple raison que l'Etat qui en serait la victime ne serait pas partie au protocole de 1925. Les signataires du traité de Versailles pourraient difficilement révoquer en doute, en présence de l'article 171 de ce traité, qu'il existe, en dehors du protocole de Genève et même en dehors des règlements de La Haye de 1899 et 1907, un principe général selon lequel il est interdit de recourir à la guerre
chimique.

Il n'en reste pas moins qu'une quinzaine d'Etats semblent être d'avis que la prohibition n'a qu'un caractère conventionnel et que tout Etat n'est pas lié par la prohibition s'il n'est pas partie au protocole de 1925 ou si, y ayant adhéré, il l'avait dénoncé dans la suite ( 2 ). Du caractère f 12) ~P. 24, note n« 38.

( ) II est vrai -- et nous en parlerons encore plus bas -- que le protocole ne contient pas de clause de dénonciation, et ce fait pourrait être invoqué en faveur de la thèse consistant à dire que le protocole n'a pas seulement une simple valeur conventionnelle. Biais d'aucuns argueront que, du moment qu'il s'agit d'une convention, rien n'empêche un Etat, à défaut d'une stipulation contraire, de s'en départir à son gré.

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purement conventionnel qu'ils attribuent au protocole, ils déduisent cette autre conséquence qu'un Etat partie au protocole serait fondé à recourir à la guerre chimique ou bactériologique contre tout autre pays qui n'aurait pas ratifié le même protocole ou n'y aurait pas adhéré. Cette opinion n'est pas la nôtre, mais elle existe, et le fait qu'elle existe, en partie grâce à l'ambiguïté des termes du protocole, en partie grâce à l'admission des réserves dont nous avons parlé, nous amène à la conclusion qu'il n'y a pas actuellement de garantie juridique absolue contre l'emploi de gaz toxiques au cours d'une guerre future. Ce ne serait pas une raison pour demeurer à l'écart du protocole. Celui-ci représente un effort vers la prohibition absolue d'une arme dont l'odieux révolte la conscience humaine.

Cet effort n'est pas suffisant, mais il constitue déjà une étape et, plutôt que de demeurer sur place sous couleur que le but n'a pas été entièrement atteint, il est plus sage de s'assurer le bénéfice de l'étape en ratifiant le protocole de 1925, même si le chemin qui mène au but devait être encore long.

Quelles que soient les critiques auxquelles il puisse donner lieu, le protocole n'a pas moins, d'ailleurs, une valeur pratique certaine. La confirmation d'une règle de droit coutumier sous la forme d'une règle de droit écrit donne une garantie de plus que les Etats signataires respecteront leurs engagements. Si, juridiquement, cette garantie supplémentaire n'est pas d'un grand poids, elle est d'une importance assez considérable au point de vue politique. Une signature lie plus qu'une obligation toute générale d'observer les règles et principes qui régissent la vie internationale. Le protocole indique, enfin, assez exactement ce à quoi l'on est tenu, tandis que le principe général dont il est sorti aurait peut-être suscité des divergences de vues sur l'étendue de la prohibition.

V.

La défense que contient le protocole existe déjà, comme nous l'avons exposé, à l'état de principe général, obligatoire pour tous les membres de la communauté internationale. Notre ratification serait, dans ces conditions, plus un geste de probité politique qu'un acte générateur d'engagements juridiques nouveaux. Il n'y a pas lieu, par conséquent, de grever notre ratification d'une réserve quelconque. La seule réserve qui
serait peut-être indiquée serait celle de la réciprocité, mais, comme nous l'avons fait observer, il paraît inutile de la formuler expressément (1).

Au point de vue de notre droit public, le protocole doit être traité comme une convention internationale et soumis à l'approbation des chambres (') Le gouvernement allemand, dans le mémoire, très bref d'ailleurs, qu'il a adressé à ce sujet au Reichstag, dit aussi qu'il n'est pas nécessaire de formuler cette réserve, « da der Vorbehalt im wesentlichen durch völkerrechtliche Anschauungen gedeckt wird ».

806 conformément à l'article 89 de la constitution fédérale. L'approbation des chambres obtenue, il resterait à soumettre le protocole au referendum facultatif parce qu'un accord de cette nature n'est guère susceptible de dénonciation. Ce n'est, d'ailleurs, pas au hasard qu'est due l'absence de toute clause de dénonciation dans le protocole. Non seulement elle n'aurait pas pour effet de dégager un Etat de son obligation de ne pas recourir à la guerre chimique, mais encore elle serait immorale.

Nous ne doutons pas qu'après avoir pris connaissance de ce qui précède, vous approuverez le protocole du 17 juin 1925 en faisant vôtre le projet d'arrêté fédéral ci-joint. C'est dans cette attente que nous vous présentons, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 4 décembre 1931.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le 'président de la Confédération, ILEBERLIN.

Le chancelier de la Confédération.

KAESLIN.

(Projet.)

Arrêté fédéral approuvant

le protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message du Conseil fédéral du 4 décembre 1931, arrête :

Article premier.

Le protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925, est approuvé.

Art. 2.

Le présent arrêté est soumis aux dispositions de l'article 89, 3e alinéa, de la constitution fédérale concernant le referendum en matière de traités internationaux.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

808

PEOTOCOLB CONCERNANT LA PROHIBITION D'EMPLOI A LA GUERRE DE GAZ ASPHYXIANTS, TOXIQUES OU SIMILAIRES ET DE MOYENS BACTERIOLOGIQUES.

Les plénipotentiaires soussignés, au nom de leurs Gouvernements respectifs : Considérant que l'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous liquides, matières ou procédés analogues, a été à juste titre condamné par l'opinion générale du monde civilisé, Considérant que l'interdiction de cet emploi a'été formulée dans des traités auxquels sont Parties la plupart des Puissances du monde, Dans le dessein de faire universellement reconnaître comme incorporée au droit international cette interdiction, qui s'impose également à la conscience et à la pratique des nations, Déclarent : Que les Hautes Parties Contractantes, en tant qu'elles ne sont pas déjà Parties à des traités prohibant cet emploi, reconnaissent cette interdiction, acceptent d'étendre cette interdiction d'emploi aux moyens de guerre bactériologiques et conviennent de se considérer comme liées entre elles aux termes de cette déclaration.

Les Hautes Parties Contractantes feront tous leurs efforts pour amener les autres Etats à adhérer au présent Protocole. Cette adhésion sera notifiée au Gouvernement de la République française et, par celui-ci, à toutes les Puissances signataires et adhérentes. Elle prendra effet à dater du jour de la notification faite par le Gouvernement de la République française.

Le présent Protocole, dont les textes français et anglais feront foi, séra ratifié le plus tôt possible. Il portera la date de ce jour.

Les ratifications du présent Protocole seront adressées au Gouvernement de la République française, qui en notifiera le dépôt à chacune des Puissances signataires ou adhérentes.

Les instruments de ratification ou d'adhésion resteront déposés dans les archives du Gouvernement de la République française.

Le présent Protocole entrera en vigueur pour chaque Puissance signataire à dater du dépôt de sa ratification et. dès ce moment, cette Puissance sera liée vis-à-vis des autres Puissances ayant déjà procédé au dépôt de leurs ratifications.

En foi de quoi les plénipotentiaires ont signé le présent Protocole.

Fait à Genève, en un seul exemplaire, le dix-sept juin mil neuf cent vingt-cinq.

(Suivent les signatures des plénipotentiaires:)

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur le protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925. (Du 4 décembre 1931.)

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2759

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09.12.1931

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