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Message du

Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant un projet de loi fédérale sur la chasse et sur la protection des oiseaux utiles.

(Du 26 mai 1875.)

Monsieur le Président et Messieurs, L'article 25 de la Constitution fédérale est ainsi conçu : « La Confédération a le droit de statuer des dispositions lé« gislatives pour régler l'exercice de la pêche et de la chasse, « principalement en vue de la conservation du gros gibier dans i les montagnes, ainsi que pour protéger les oiseaux utiles à « l'agriculture et à la sylviculture. » Notre Département de l'Intérieur s'est entouré des lumières du nombre nécessaire d'experts de diverses parties de la Suisse et a examiné un projet élaboré par eux. Après avoir pris connaissance de ce projet, qui nous a été présenté par le Département, et l'avoir soumis à un nouvel examen, nous sommes dans le cas de vous présenter le projet de loi ci-annexé. Nous avons également en portefeuille un projet de loi sur la pêche, mais il ne peut encore être soumis à vos délibérations, attendu que les traités à conclure avec les Etats riverains du Rhin et du lac de Constance ne sont pas encore définitifs. Toutefois, les négociations sont assez avancées pour que l'on puisse affirmer dès à présent que cette loi sera présentée dans la session d'hiver.

241 Nous prenons la liberté d'accompagner le projet de loi en question des éclaircissements suivants : En attribuant à la Confédération les compétences dont il a été question plus haut, l'art. 25 de la Constitution fédérale reconnaît déjà implicitement l'importance qu'il y a, au point de vue de l'agriculture, à protéger les animaux et à pratiquer la chasse et la pêche d'une manière rationnelle, de telle sorte que nous pouvons nous abstenir de nous étendre sur ce sujet et considérer comme largement justifiée, d'une manière générale, l'élaboration d'une loi sur la matière.

En même temps, la rédaction de l'article précité implique indubitablement la déclaration que la législation des Cantons, qui a jusqu'à présent réglé ce domaine d'une manière absolue, n'en a pas reconnu d'une manière suffisante l'importance au point de vue de l'économie nationale, et qu'il paraît nécessaire, pour garantir et sauvegarder les intérêts généraux qui se lient à cette matière, d'élaborer des règles rationnelles et applicables dans toute l'étendue du territoire de la Confédération.

En effet, les 25 législations sur la chasse qui existent en ce moment en Suisse sont tellement diverses qu'elles ne se ressemblent pas même dans des demi-Cantons étroitement reliés. C'est à peine si toutes s'accordent pour considérer la chasse comme un droit régalien, pour définir le droit à la chasse et pour fixer un certain temps pour l'ouverture de la chasse. Tandis que certains Cantons jouissent d'une législation sur la chasse faite avec assez de soin, s'efforcent d'une manière plus ou moins conséquente ou intelligente de protéger le gibier et les oiseaux utiles, et organisent avec une certaine sollicitude et une certaine prévoyance l'exercice de la chasse, le système du brigandage le plus brutal règne dans beaucoup d'autres : le temps prohibé comprend tout au plus quelques mois; il n'y est pas question A'un contrôle de la police, et le massacre du gibier y atteint les limites extrêmes, de telle sorte que plusieurs espèces d'animaux ont déjà complètement disparu de leur territoire.

Mais les meilleure« lois cantonales elles-mêmes n'ont pas atteint la hauteur d'un perfectionnement rationnel; elles laissent beaucoup à désirer, surtout en ce qui concerne la fixation du temps prohibé, le contrôle et les clauses pénales. Tandis qu'elles
restreignent souvent, d'une manière très-rationnelle, la chasse d'automne à une période de durée convenable et modérée, il n'y a qu'un seul Canton (St. Gali) qui ait absolument interdit la chasse de printemps, aussi absurde que désastreuse. Lorsqu'il s'agit de régler les chiffres de l'amende pour les divers cas de contravention,

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on descend la plupart du temps si bas que l'amende cesse d'être une pénalité et perd ainsi toute signification, et cela d'autant plus que les autorités de police et les tribunaux ne sont déjà que trop enclins, d'après un antique usage, à juger avec la plus grande douceur les délits de chasse.

Or, comme la plupart des règlements cantonaux sur la chasse sont défectueux au plus haut degré et que les meilleurs d'entra eux ne peuvent absolument pas être considérés comme atteignant le but, l'élaboration d'une loi fédérale reposant sur des bases rationnelles se présente comme désirable et môme nécessaire. Mais en mCrne temps surgit une question, celle de savoir dans quelles limites cette loi devra se mouvoir, c'est-à-dire s'il est absolument indispensable d'admettre dans la loi fédérale tous les plus petits détails, ou bien s'il suffit qu'elle pose les principes les plus essentiels sur la protection des animaux et sur un exercice rationnel de la chasse, laissant aux règlements cantonaux à fixer les nombreux détails d'importance secondaire.

D'accord avec la Commission d'experts, le Conseil fédéral s'est prononcé pour le second mode de procéder. Bu égard à la grande diversité des circonstances, des moeurs et des idées populaires dans les diverses contrées, l'élaboration d'une loi complote sur la chasse, qui prévoirait tous les cas , serait non seulement une tâche fort ardue, mais encore un travail qui viendrait se heurter à de nombreuses difficultés. Au reste, cela n'est pas môme nécessaire, pensons-nous, pour tenir compte des intentions de l'art. 25 de la Constitution fédérale. On peut fort bien laisser aux Cantons une grande partie de leurs particularités dans ce domaine et prendre en considération leurs habitudes actuelles. Il suffira pleinement de poser comme obligatoires, en un petit nombre d'articles, les principes qui doivent être à la base de toute bonne loi sur la chasse; en laissant tranquillement aux Cantons le soin de les développer, le but de la Constitution fédérale sera néanmoins atteint. Si, dans le cours des temps, on sentait le besoin d'établir pour toute la Suisse une législation unique au^ujet de la chasse, cette loi serait accueillie d'autant plus volontiers que le peuple se serait du moins déjà accoutumé à des principes identiques.

Il en est autrement de la spécialité de la chasse
au gros gibier dans les montagnes, pour laquelle l'art. 25 réclame une protection particulière. Sur ce point, malgré une certaine diversité dans les diverses contrées montagneuses, il y a cependant une beaucoup plus grande analogie de circonstances et d'intérêts que pour la chasse ordinaire dans la plaine. Il semble donc convenable et mieux approprié aux intentions de la Constitution fédérale de développer plus en détail cette partie de la loi sur la chasse. En général, elle

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rencontrera aussi moins d'opposition, attendu qu'il s'est iléjà manifesté dans le peuple, à diverses reprises, une tendance prononcée à arriver à une protection aussi efficace que possible en faveur du gros gibier.

L'article précité de la Constitution prévoit en outre des prescriptions législatives sur la protection des oiseaux. Nous avons préféré, au lieu d'élaborer une loi spéciale sur cette matière, la traiter dans la troisième section de la loi sur la chasse, en partie parce qu'il s'agit d'un sujet étroitement relié à cette dernière, en partie aussi parce que presque tous les Cantons ont déjà admis dans leurs lois et ordonnances sur la chasse des prescriptions sur la protection des oiseaux, qui sont du reste fort simples. Il y a encore un motif pratique à cela. Grâce à cette réunion, les dispositions relatives à la protection des oiseaux reviennent chaque année sous les yeux et dans la mémoire des chasseurs et des autorités, lors de la délivrance des permis de chasse, et elles pénètrent ainsi plus facilement dans le peuple que sous la forme d'une loi spéciale, élaborée une fois pour toutes, puis ensevelie dans les collections des publications officielles.

On pourrait peut-être trouver un motif spécial pour ajourner et traiter à part la question de la protection des oiseaux, dans le fait que la Suisse a aussi pris part au Congrès agricole qui a eu lieu à Vienne en automne de 1873, qui a discuté entre autres les mesures internationales à prendre pour la protection des oiseaux et qui fait prévoir une coopération des divers Etats dans ce sens.

Toutefois, en examinant de plus près la question, cette considération perd complètement son importance. Ce que l'Autriche et l'Allemagne peuvent faire dans ce domaine n'a pour nous qu'une importance secondaire en regard de ce qui se fera ou ne se fera pas en Italie, attendu que presque tous les oiseaux de passage indigènes passent deux fois par an dans ce pays et que la moitié et plus y est massacrée. Or, d'après les informations qui nous ont été transmises par nos Légations à Rome et à Vienne, il n'y a aucune chance, du moins pour le moment, que la passion nationale de la chasse aux oiseaux, qui domine pour ainsi dire toutes les classes de la population et à laquelle d'innombrables millions de voyageurs ailés sont sacrifiés chaque année, puisse être bridée
par les lois et les traités internationaux. Le Ministère italien ne paraît pas même disposé à proposer au Parlement des mesures de protection efficaces et étendues. Il faut ajouter à cela la raison fiscale qu'aujourd'hui pour la première fois les oiseleurs sont frappés d'une taxe élevée chaque fois qu'ils tendent leurs grands filets, et que le Feuille fédérale, suisse. Année XXV11. Vol. 111.

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fisc italien, qui a grand besoin de nouvelles ressources, ne renoncera que difficilement à une source de revenus aussi abondante.

Dans cet état de choses peu rassurant, nous ne pouvons certainement rien faire de mieux que de procéder d'une façon indépendante, dans la mesure de nos conditions géographiques et ornithologiques spéciales, et de promulguer, pour notre territoire au moins, des prescriptions qui règlent la protection des oiseaux d'une manière bien plus stricte et plus efficace qu'on ne peut l'espérer jamais de conventions internationales. Il est possible que cette intervention énergique soit de nature à faire aussi progresser l'idée dans les Etats qui nous avoisinent.

Nous prenons la liberté de donner brièvement quelques explications sur les dispositions les plus importantes du projet de loi.

La délivrance d'un permis de chasse officiel et l'interdiction d'en donner à d'autres qu'à des personnes qualifiées d'une manière déterminée sont, il est vrai, quelque chose de neuf pour beaucoup de Cantons, mais ces formalités sont absolument nécessaires si l'on veut mettre un peu d'ordre et de contrôle dans l'exercice de la chasse.

Il serait sans doute désirable que l'on pût stipuler aussi une taxe convenable pour l'obtention des permis de chasse. Toutefois, eu égard à la diversité des chiffres dans les Cantons, variant de 3 à 200 francs, et vu le fait que la chasse est absolument libre dans plusieurs autres, il paraît pour le moment plus opportun de laisser les Cantons libres de décider s'ils veulent percevoir une taxe et quel doit en être le chiffre.

Par contre, l'usage existant déjà dans certains Cantons de reproduire la loi entière sur les permis, est tout à fait de nature à atteindre le but, surtout anssi eu égard aux dispositions, nouvelles pour beaucoup de Cantons, sur la protection de la grande chasse et des oiseaux.

On peut se demander si l'on doit interdire la chasse aux assistés et à ceux qui ne jouissent pas de leurs droits civiques.

Les experts consultés ont cru devoir résoudre cette question affirmativement, mais nous avons trouvé qu'il valait mieux laisser aux Cantons à fixer les conditions requises, tant sous ce rapport que sous d'autres, par exemple aussi l'âge auquel on peut obtenir un permis.

La disposition relative aux délits de chasse a été demandée par tout le monde.

Quant au système qui doit être suivi pour l'exercice de la chasse, il nous paraît que, dans les circonstances données, la seule

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disposition vraie est de laisser aux Cantons la faculté d'adopter le système des districts de chasse ou celui des patentes. Bien que le système en lui-même n'offre, comme tel, aucune garantie pour la protection rationnelle du gibier, on peut cependant admettre en général que le système des districts où la chasse est affermée présente plus de chances pour l'exercice rationnel de la chasse ; toutefois, nous estimons que, vu les idées qui dominent encore en ce moment dans le peuple, et en considération du fait que divers essais d'introduire le système de la ferme ont échoué, on ne peut penser à introduire obligatoirement dans toute la Suisse ce système, qui n'est encore admis actuellement que par un Canton et demi, sans provoquer les plus vives résistances. En conséquence , nous avons jugé qu'il y avait lieu de laisser aux Cantons la main libre en cette matière.

Nous attachons une grande importance à la fixation de délais déterminés pour les diverses espèces de chasse, et à ce que ces délais soient les mêmes pour tout le pays, par opposition à l'arbitraire qui a régné jusqu'ici et qui a dans bien des endroits presque détruit le gibier. Nous avons en ce moment une chasse d'été et d'automne, du 1er août à la fin de l'année, une chasse d'hiver pour les renards et les canards, de janvier à mars, et enfin encore une chasse du printemps pour le passage des bécasses et une chasse à l'époque des amours, de mars à la fin de mai, de telle sorte que le massacre des animaux dure toute l'année, à l'exception de deux mois.

Les délais que nous avons admis concordent avec ceux des meilleures lois sur la chasse et suffisent parfaitement pour notre gibier. Il n'est avantageux ni pour les chasseurs, ni pour le gibier, ni pour l'agriculture d'ouvrir plus tôt la chasse au vol, attendu qu'au milieu de septembre les oiseaux de passage dont la chasse est permise sont encore tous dans le pays. An commencement de ce mois, on voit encore chaque année des compagnies de perdrix faibles, qui ne sont pas plus grosses que des cailles et qui viennent d'une seconde couvée ; on doit les ménager ; pour notre gibier à plumes, qui est en général peu considérable, le délai de la mi-septembre à la fin de l'année est plus que suffisant.

La chasse devrait être close aussi à la fin de l'année, surtout eu égard au fait que les lièvres
s'accouplent déjà en mars et que la chasse en janvier, lorsqu'il y a beaucoup de neige, leur est trèspréjudiciable. Pour les contrées où les renards se sont multipliés outre mesure, l'art. 7 permet, moyennant certaines mesures protectrices, de chasser ces animaux même après la clôture de la chasse générale.

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Une condition essentielle de toute chasse rationnelle, c'est la suppression totale, sur laquelle à peu près tout le monde est d'accord, de la chasse de printemps, qui est aussi contraire au bon sens qu'aux règles de la chasse et qui détruit les bécasses et les tétras précisément au moment des amours et de la multiplication. C'est grâce à cette chasse do printemps qne les bécasses sont réduites à un minimum et que les coqs de bruyère ont disparu complètement de beaucoup de contrées. En outre, ces espèces de gibier, après les fatigues de l'hiver et du voyage et au moment des amours , n'ont qu'une valeur minime au printemps. Enfin, la chasse de printemps, qui n'est pratiquée que par un petit nombre de chasseurs et qui par conséquent n'est soumise qu'à un contrôle insuffisant, entraîne trop souvent avec elle des dommages, des délits et dérange les lièvres, les canards et les perdrix au moment de l'accouplement.

L'article 5 traite d'abord des circonstances particulières au lac de Constance, où les palmipèdes apparaissent en grandes masses pendant l'hiver et font, ensuite d'une convention avec le GrandDuché de Baden, l'objet des poursuites des ressortissants thurgoviens et badois, à certains jours de la semaine, jusqu'à la fin de mars. Il n'y a pas de motif sérieux de ne pas tenir compte de pareilles dispositions spéciales, surtout lorsqu'elles servent de base, comme dans l'espèce, à un commerce important.

Quant aux dispositions sur le « gros gibier » , il est d'abord nécessaire de fixer, de manière à empêcher toute équivoque, la signification de ce mot, qui est souvent employé d'une manière impropre et douteuse. Le plus simple, c'est do l'assimiler avec l'expression de « gibier des hautes régions ·> et d'assimiler en mOme temps la « grande chasse » avec la chasse de montagne proprement dite.

C'est ici que le gibier a certainement le plus besoin d'être protégé; en effet, dans aucun autre domaine, la chasse n'a lieu d'une manière plus destructive et le massacre du gibier n'est plus intense que de la part des chasseurs de montagne. Les bouquetins ont déjà disparu du pays tout entier ; les chamois et les marmottes, de plusieurs contrées.

Outre la chasse et l'âpreté au gain, qui se présentent sous un caractère immodéré, deux circonstances sont particulièrement nuisibles aux chamois, savoir : 1. Le fait que la limite supérieure des forêts de montagne diminue notoirement, qu'on les éclaircit et détruit, ce qni enlève au gibier un asile assuré et nécessaire.

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2. La plus grande perfection des armes de précision, qni permettent au tireur d'être sûr de son coup à des distances que l'on n« pouvait atteindre auparavant. Il faut y ajouter une célérité extraordinaire dans le chargement et le déchargement des armes, et dans la décharge et la pose des cartouches, ce qui empoche les coups manques, fréquents autrefois, et enfin le système de répétition , qui permet dans certaines circonstances de tuer en peu de minutes un troupeau tout entier. Dans le Canton des Grisons, où autrefois on tuait par an, dans une période plus longue qu'aujourd'hui, 500 à 600 chamois, les armes perfectionnées en ont abattu, dans le courant du mois de septembre de l'année dernière, 918.

Le projet de loi prévoit les mesures de protection suivantes : Pour les chamois: défense d'employer les chiens courants et les armes à répétition, et fixation d'un délai aussi court que possible et identique pour tous les Cantons; pour les marmottes : défense de les prendre au piège ou de les déterrer ; pour les tétras et les gelinottes : interdiction de la chasse pendant l'époque des amours, ainsi que de se servir de pièges ; pour tout le gros gibier : établissement de districts prohibés, d'une étendue suffisante et avec un contrôle rigoureux ; pour les cerfs et les chevreuils: fixation d'un temps de chasse réduit, et défense de tuer les biches et les faons.

Nous estimons que toutes ces dispositions protectrices s'entendent de soi-même et n'ont pas besoin d'être motivées ultérieurement ; nous ferons seulement observer que les cerfs, dont il a été pris et tué cinq têtes, l'automne et l'hiver derniers, dans les Cantons de St-Gall et des Grisons, n'apparaissent chez nous que comme gibier de hasard, tandis que les chevreuils, qui sont d'ancienne date à domicile dans le Canton d'Argovie, se sont propagés d'une manière réjouissante, depuis une dizaine d'années, dans la Suisse orientale, grâce au ban mis sur la chasse de ce gibier. Le terme fixé par la loi ne se rapporte naturellement pas à la chasse du chevreuil dans les pays de plaine, par exemple en Argovie ; cette chasse est soumise au délai fixé pour la chasse générale (article 4).

Nous attachons la plus grande importance à l'établissement de nombreux districts prohibés pour tout le gros gibier (art. 16). Le bon sens des populations, qui manifestent
partout une prédilection pour ce système, s'est déjà prononcé depuis longtemps dans le môme sens. Dans les Cantons d'Appenzell, de St-Gall et de Glaris (dans ce dernier Canton depuis 300 ans, soit depuis 1569), il existe des districts francs; dans les autres, ils pourront facilement être établis. Toutefois, pour atteindre le but, il faut choisir convenablement

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ces districts, les mettre au ban absolu depuis la vallée jusqu'aux sommités et les soumettre à une surveillance incessante et minutieuse au moyen d'un personnel d'employés fédéraux.

La chasse aux animaux carnassiers dans les districts et en temps prohibés doit être soumise, comme le fait le projet, à des conditions tout à fait spéciales et rigoureuses ; autrement, on ouvrirait la porte au braconnage. Il est également nécessaire de tenir à un chiffre relativement élevé les amendes pour délits de chasse, afin de remédier au scandale trop fréquent d'amendes ridiculement faibles. Mais ce qui sera encore plus efficace, notamment à l'égard des chasseurs de profession qui se livrent au braconnage, c'est la menace de leur retirer le permis de chasse en cas de récidive ou de contraventions graves. Nous avons du reste estimé qu'il y avait lieu de laisser les Cantons établir des dispositions à ce sujet.

Les dispositions sur la protection des oiseaux seront probablement bien accueillies à peu près partout. En effet, la plupart des Cantons ont déjà à ce sujet* des prescriptions protectrices, et à notre connaissance ce n'est que dans le Canton du Tessin que l'on pratique eu grand la chasse aux petits oiseaux. Il existe même, dans ce Canton, un concordat pour le libre exercice du métier d'oiseleur, conclu avec l'Italie le 17 novembre 1852 et approuvé par le Conseil fédéral le 11 août 1862.

Les savants, il est vrai, ne sont pas d'accord entre eux sur la classification des espèces, c'est-à-dire sur leurs qualités nuisibles ou utiles, et les chasseurs et les agriculteurs émettent, dans beaucoup de cas, des opinions et des voeux opposés. Il n'est du reste possible que pour un petit nombre d'espèces de fixer des catégories parfaitement tranchées.

Ainsi, il y a un certain nombre d'oiseaux de proie (par exemple la buse, la bondrée et la buse pattue, les corneilles, le Jean-leBlanc, la crécerelle, la crécerellette et le kobez, ainsi que beaucoup d'oiseaux de proie nocturnes) qui détruisent énormément d'insectes, mais qui à l'occasion se nourrissent aussi de petits oiseaux, d'oeufs, de couvées et même de jeunes lièvres. Les petits granivores sont généralement considérés comme indignes de pitié, et cependant plusieurs d'entre eux vivent principalement d'insectes à l'époque des labours; d'autres sont précisément utiles
en détruisant de grandes quantités de graines de mauvaises herbes.

On croit être sûr de son fait en ce qui concerne la nombreuse tribu des insectivores. Mais si l'on songe que beaucoup d'entre eux, par exemple les grives et les étourneaux (ces derniers, qui sont soigneusement épargnés et nourris dans la Suisse allemande, ont été l'objet d'un arrêté spécial du Conseil d'Etat du Canton de Vaud,,

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du 9 septembre 1870, qui les livre au fusil du chasseur!), mangent sans doute aussi des cerises, des baies et, des raisins, et que les oiseaux purement insectivores détruisent non seulement les insectes nuisibles, mais aussi les insectes utiles et parmi eux les plus acharnés carnassiers (on ne compte qu'environ 1000 espèces d'insectes nuisibles sur 8000 utiles), on devra avouer au moins que l'utilité de cette classe est de nature passablement mixte.

Le projet de loi que nous vous présentons cherche à atteindre sous tous les rapports la plus grande simplicité, afin de faciliter l'exécution. Aussi ne fait-il pas mention des espèces rares et peu connues, qui du reste n'ont pas une grande importance. Par contre, il attache un grand prix à l'interdiction rigoureuse de la destruction des oiseaux en masse au moyen de filets, d'aires, etc., attendu que ces moyens de chasse ont toujours pour effet d'englober dans le massacre un grand nombre d'oiseaux que l'on devrait épargner.

Sans nous étendre longuement sur les motifs qui nous ont engagés à mentionner ou à laisser de côté telle ou telle espèce douteuse, nous ferons seulement observer que nous ne comptons pas la corneille commune parmi les oiseaux dignes de protection, attendu que, par le nombre énorme de ses individus, elle détruit, à côté d'une grande quantité d'insectes, de nombreuses couvées d'oiseaux et qu'elle nuit même à la petite chasse ; nous n'y comptons pas non plus la cigogne, tout aimée qu'elle est, parce qu'elle est un carnassier vorace, qui poursuit à outrance les petits oiseaux et les poissons, et qu'elle cherche sa nourriture principale chez les grenouilles, les lézards et les orvets, qui appartiennent tous, en leur qualité de destructeurs acharnés d'insectes, à la catégorie des animaux qu'il importe le plus de ménager.

Mais si l'on veut faire pénétrer chez le peuple les nobles principes de la protection des oiseaux, au lieu de se contenter d'articles sur le papier, il faut les inoculer avant tout à la jeunesse des écoles primaires. Plusieurs Cantons ont déjà pris d'eux-mêmes des mesures dans ce sens, et l'on doit reconnaître qu'ils l'ont fait avec un plein succès. La jeunesse, qui avait l'habitude de tant pocher sur ce point, aussi longtemps qu'elle manquait des directions nécessaires, aime au fond la nature animale tout entière et
témoigne d'un vif intérêt pour tout enseignement rationnel sur l'histoire naturelle du règne organique.

Si elle s'intéresse une fois à la protection des oiseaux, on verra disparaître extraordinairement vite et comme de soi-même les scandales de la chasse aux nids, de la destruction et de la prise des oiseaux.

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En vous recommandant, Monsieur le Président et Messieurs, le projet de loi ci-après, nous saisissons cette occasion pour vous renouveler l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 26 mai 1875.

Au nom du Conseil fédéral suisse, Le Président de la Confédération: SCHEBER.

Le Chancelier de la Confédération : SCHIBSS.

(Projet)

Loi fédérale suila chasse et la protection des oiseaux.

L'ASSSEMBLÉE PÉDÉEALE de la CONFÉDÉRATION SUISSE, en exécution de l'art. 25 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874, relatif à l'exercice de la chasse, à la conservation du gros gibier et à la protection des oiseaux utiles, arrête :

I. Dispositions générales.

Article 1er. Tous les Cantons sont tenus de régulariser sur leur territoire l'exercice Je la chasse, par voio législative ou réglementaire, en conformité de la présente loi, et de procurer à la chasse, par l'intermédiaire des autorités compétentes, la protection nécessaire.

Art. 2. Sont seules et exclusivement autorisées à chasser les personnes qui sont munies d'un permis de l'autorité cantonale compétente. Les Cantons sont compétents pour fixer les conditions ultérieures auxquelles ce permis sera accordé.

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Les formulaires de permis doivent renfermer la loi cantonale {ou le règlement cantonal) sur la chasse, ainsi que les dispositions de la présente loi relatives à la protection des oiseaux (articles 19 à 23) et les dispositions cantonales sur la grande chasse, pour autant que ces dernières ne sont pas déjà contenues dans la loi cantonale.

Art. 3. La législation cantonale détermine si l'exercice de la chasse a lieu d'après le système des patentes ou d'après celui des arrondissements affermés.

Art. 4. La saison où la petite chasse est permise est déterminée comme suit : a. pour la chasse au vol (chasse aux oiseaux, aux écureuils, etc.)

du 15 septembre au 31 décembre; &. pour la chasse générale (chasse au lièvre et au renard), du 15 octobre au 31 décembre).

La chasse de printemps, de quelque nature qu'elle soit, est absolument interdite dans toute l'étendue du territoire suisse.

Avant le commencement de la chasse générale (soit du 15 septembre au 15 octobre), il est interdit d'employer pour la chasse au vol d'autres chiens que les chiens d'arrêt.

Art. 5. La chasse aux palmipèdes dans les eaux qui servent de frontière internationale sera réglée par les Cantons en conformité des conventions conclues avec les Etats limitrophes.

Art. 6. Le Conseil fédéral et les autorités cantonales ont le droit d'interdire à leur gré, au moyen d'un arrêté spécial, la chasse dans certaines parties du territoire, et cela pour un temps plus ou moins long.

Art. 7. Les autorités cantonales ont le droit d'ordonner en cas de besoin, même pendant le temps prohibé, la chasse aux animaux malfaisants et carnassiers (ours, loups, lynx, sangliers, aigles, et, en cas de trop grande multiplication, des renards).

Toutefois, cette chasse doit avoir lieu d'une façon qui ne nuise pas au gibier d'autres espèces, pendant un temps déterminé, au moyen d'un nombre restreint de personnes de confiance, munies de permis et astreintes à des obligations spéciales. Il devra en être donné avis au Conseil fédéral.

Art. 8. Il est interdit, dès le huitième jour à partir de la clôture de la chasse, d'acheter et de vendre du gibier quelconque, à l'exception de celui que l'on peut prouver officiellement avoir été importé de l'étranger.

252 II est interdit en tout temps et d'une manière absolue de vendre des faons de chamois, de biche ou de chevreuil, ainsi que des femelles de coq de bruyère et de tétras à queue fourchue.

Art. 9. Les lois cantonales doivent édicter des dispositions pénales suffisantes sur les délits de chasse, sur les engins prohibés, sur le port de cannes a fusil, sur les dégâts de la propriété, sur l'achat et la vente de gibier provenant de braconnage, sur les chiens qu'on laisse chasser en temps prohibé, sur l'emploi de chiens autres que les chiens d'arrêt en dehors de la saison de la chasse générale, et sur la destruction des nids et de la couvée du gibier à plumes; elles doivent en outre instituer des primes convenables pour la destruction des animaux particulièrement nuisibles à l'agriculture, à la pêche et au gibier (gros carnassiers, sangliers, loutres, aigles, autours, éperviers, pies, geais, hérons).

Les amendes pour délits de chasse ne pourront être inférieures a fr. 20 en temps permis et à fr. 40 en temps prohibé. En cas de récidive, elles devront être augmentées.

Art. 10. Les lois et règlements des Cantons sur la chasse doivent être soumis à l'examen et à l'approbation du Conseil fédéral.

II. Dispositions générales sur la grande chasse.

Art. 11. La grande chasse comprend les animaux des hautes régions susceptibles d'être chassés, et en particulier : le chamois et le bouquetin, la marmotte, le lièvre des Alpes, le blaireau, les gallinacés des montagnes (coq de bruyère, tétras à queue fourchue, gelinotte des bois, gelinotte blanche ou lagopède, bartavelle). Elle comprend en outre les carnassiers des hautes régions.

Art. 12. La chasse au chamois et à la marmotte est restreinte, sur toute l'étendue du territoire suisse, à la saison du 1er septembre au 1er octobre; celle aux autres pièces de gros gibier, àia saison du 15 septembre au 31 décembre.

Les jeunes chamois de l'année et leurs mères qui les allaitent ne doivent être ni pris ni tués.

De même, il est défendu de tuer les femelles des coqs de bruyère et des tétras à queue fourchue.

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Art. 13. Pour la chasse au chamois, il est interdit de se servir de chiens, d'armes à répétition ou de projectiles explosibles.

Art. 14. 11 est interdit, dans toute la région haute, de détruire les couvées et de s'emparer des oeufs des gallinacés des forêts et des montagnes, de déterrer les marmottes, de se servir de cannes à fusils et de placer des engins ou pièges d'un genre quelconque (trébuchets, lacets, colliers, fusils se déchargeant d'eux-mêmes). Sont exceptés de cette défense les renards au gîte, les putois et les fouines dans les bâtiments et les martres sur les arbres.

Art. 15. La chasse aux cerfs et aux chevreuils dans les hautes régions est permise du 15 septembre au 15 octobre, en tant du moins que les lois et règlements des Cantons ne la restreignent pas dans des limites plus étroites.

Les femelles et les faons de l'année ne peuvent être ni pris ni tués, non plus que les bouquetins, dans le cas où il en paraîtrait en Suisse.

Art. 16. Il sera établi un district où la chasse du gros gibier sera prohibée, dans chacun des Cantons d'Appenzell, de St-Gall, de Glaris, cl'Uri, de Schwyz, d'Unterwalden, de Lucerne, de Fribourg et de Vaud ; deux dans chacun des Cantons de Berne et du Tessin, et trois dans chacun de ceux du Valais et des Grisons. Ces districts seront d'une étendue suffisante et placés sous la surveillance de la Confédération.

Un règlement spécial du Conseil fédéral fixera les limites exactes de ces districts (sans avoir égard aux frontières cantonales) et ordonnera une surveillance stricte sur le gibier.

Dans ces districts francs, il est absolument interdit à qui que ce soit, à l'exception des garde-chasse officiels, de chasser et de porter un fusil, ainsi que d'inquiéter le gibier par le moyen de chiens de chasse.

Art. 17. La chasse aux animaux nuisibles et carnassiers dans les districts francs ne peut avoir lieu que sous les conditions posées à l'art. 7 et avec l'autorisation expresse du Conseil fédéral.

Art. 18. Les contrevenants aux dispositions législatives cidessus sur la grande chasse sont passibles d'amendes de fr. 40 à fr. 200 (avec augmentation en cas de récidive) ; ces amendes seront prononcées par les tribunaux cantonaux compétents et versées dans la caisse cantonale. Elles seront accompagnées de la confiscation du gibier provenant do braconnage. En outre, les délits de chasse commis en temps prohibé seront punis de la privation du droit de chasse pendant 3 ans au moins et 6 ans au plus.

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III. Dispositions au sujet de la protection des oiseaux.

Art. 19. Sont placées sous la protection de la Confédération toutes les espèces d'oiseaux qui détruisent les insectes et qui sont utiles à l'agriculture, savoir : Tous les insectivores, soit toutes les espèces de sylvies (fauvettes, rossignols, etc.), de traquets, d'alouettes, de mésanges, d'accenteurs, de pipits, d'hirondelles, de gobe-mouches et de bergeronnettes, l'étourneau, les petites espèces de pies-grièches et les diverses espèces de grives et de merles, à l'exception de la litorne ; parmi les granivores : le pinson et le chardonneret ; parmi les grimpeurs : le coucou, le grimpereau, la sittelle, le torcol, la, huppe et toutes les espèces de pics; parmi les corbeaux : le choucas et le freux ; parmi les oiseaux de proie: la buse et la crécerelle, ainsi que toutes les espèces d'oiseaux de proie nocturnes, à l'exception du grand duc.

Il est défendu de prendre ou de tuer les oiseaux ci-dessus mentionnés, d'enlever leurs nids ou leurs petits ou de les vendre an marché.

Lorsque des étourneaux ou des grives font irruption dans les vignes, il est permis au propriétaire de les tuer.

^ Art. 20. Il est absolument interdit, dans toute l'étendue du territoire suisse, de prendre les oiseaux au moyen de filets, d'aires, de chanterelles, de chouettes, de gluaux, de lacets ou de pièges.

Art. 21. Il reste réservé aux Gouvernements cantonaux d'autoriser des savants de toute confiance à tuer dans un but scientifique, même en dehors de la saison de la chasse, des oiseaux de toute espèce (à l'exception du gibier ailé) et de recueillir leurs nids et leurs oeufs, à condition toutefois que ce ne soit pas pour en faire métier.

Art. 22. Toute contravention aux dispositions ci-dessus, relatives à la protection des oiseaux, sera déférée aux autorités cantonales administratives ou judiciaires et punie d'une amende de fr. 10 à fr. 100, qui sera augmentée en cas de récidive.

Art. 23. Les autorités scolaires veilleront- à ce que les élèves des écoles primaires apprennent à connaître les oiseaux ci-dessus mentionnés et soient engagés à les épargner.

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Art. 24. Dès que la présente loi sera entrée en vigueur, le Conseil fédéral édictera les règlements d'exécution nécessaires et obligera en même temps les Cantons à mettre sans retard leurs dispositions y relatives en concordance avec ladite loi.

Art. 25. Le Conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi fédérale du 17 juin 1874, concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier la présente loi et de fixer l'époque à laquelle elle entrera en vigueur.

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MESSAGE du

Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale, concernant la garantie fédérale à accorder à la nouvelle Constitution du Canton de Bâle-Ville.

(Du 28 mai 1875.)

Monsieur le Président et Messieurs, Par office du 12 mai 1875, les Bourgmestre et Conseil du Canton de Bâle-Ville nous ont annoncé que le Grand Conseil de ce Canton a, le 19 avril de cette année, approuvé la nouvelle Constitution cantonale qui lui a été présentée par la Commission qu'il avait instituée à cet effet, et que cette Constitution a été ensuite, le 9 mai dernier, soumise à l'acceptation ou au rejet du peuple de Bâle-Ville. Lors de cette votation, la nouvelle Constitution a été acceptée par 3430 voix contre 786, sur quoi le Grand Conseil l'a déclarée en vigueur le 10 mai. En nous transmettant cette nouvelle Constitution, le Gouvernement de Bàie-Ville nous prie de faire en sorte que la garantie de la Confédération soit accordée à cette Constitution, conformément à l'art. 6 de la Constitution fédérale.

Dans le premier titre de la nouvelle Constitution de Bâle-Ville, ce Canton est déclaré membre souverain de la Confédération suisse ; il renferme en outre des dispositions sur l'exercice de la souveraineté et en général sur les droits et les devoirs des citoyens.

Sous ce dernier rapport, comparée à l'ancienne Constitution de ce Canton, du- 28 février 1858, la nouvelle renferme une innovation,

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Message du Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant un projet de loi fédérale sur la chasse et sur la protection des oiseaux utiles. (Du 26 mai 1875.)

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Bundesblatt

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1875

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3

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26

Cahier Numero Geschäftsnummer

---

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

19.06.1875

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240-256

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