13.093 Message concernant l'initiative populaire «Sauvez l'or de la Suisse (Initiative sur l'or)» du 20 novembre 2013

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Sauvez l'or de la Suisse (Initiative sur l'or)» en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

20 novembre 2013

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ueli Maurer La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2013-1433

8365

Condensé Le Conseil fédéral rejette l'initiative sur l'or sans contre-projet. L'accepter restreindrait la Banque nationale suisse (BNS) dans ses efforts à poursuivre une politique monétaire garante de la stabilité des prix et contribuant au développement stable de l'économie. L'or ne revêt de nos jours plus aucune importance en matière de politique monétaire. Un pourcentage minimal fixe d'or inaliénable dans le bilan de la BNS serait préjudiciable à la crédibilité des mesures de politique monétaire et en réduirait l'efficacité. Il créerait de surcroît des conditions néfastes pour la politique d'investissement et compromettrait la distribution du bénéfice à la Confédération et aux cantons.

L'initiative populaire «Sauvez l'or de la Suisse (Initiative sur l'or)» a été déposée le 20 mars 2013 sous la forme d'un projet rédigé. Elle demande que la BNS détienne au moins 20 % de ses actifs en or, que celui-ci soit stocké en Suisse de façon inaliénable.

La BNS a le mandat légal d'assurer la stabilité des prix en tenant compte de l'évolution de la conjoncture. Il n'existe cependant aucun rapport entre la stabilité des prix et la part de l'or dans le bilan de la BNS. Au contraire, la stabilité des prix est assurée en ce sens que la BNS, en tant qu'institution indépendante, met la quantité de monnaie adéquate à la disposition de l'économie et, par une politique monétaire cohérente et transparente, assoit la confiance dans la stabilité du franc. Une part élevée d'or inaliénable dans ses actifs entraverait considérablement sa politique monétaire et, du même coup, l'accomplissement de son mandat légal.

Si l'initiative était acceptée, la BNS serait contrainte, dans le cas d'un assouplissement de la politique monétaire et de l'expansion du bilan qui s'ensuivrait, ou d'une chute des cours du métal jaune, d'acheter davantage d'or, un or qu'elle ne pourrait toutefois revendre, et ce, même s'il lui fallait resserrer ultérieurement sa politique monétaire ou dans l'éventualité d'une remontée du prix de l'or. La BNS risquerait ainsi de détenir une part très élevée d'or à l'actif de son bilan, jusqu'à ce que celuici finisse ­ au pire des cas ­ par se composer essentiellement de réserves d'or. Dans ce cas, la BNS devrait émettre ses propres titres de créance pour réduire ses liquidités, ce qui alourdirait ses charges
d'intérêt et réduirait son bénéfice. Ne pouvant être vendu, cet or ne serait plus à même de remplir sa fonction de réserve monétaire.

En effet, il ne pourrait être utilisé ni pour combler les déficits du commerce extérieur ni pour intervenir sur le marché des changes.

Les mesures de politique monétaire destinées à protéger l'économie suisse se traduisent dans certaines circonstances par une expansion substantielle du bilan. Il faudrait d'emblée tenir compte des incidences néfastes de l'initiative sur la structure du bilan dans les décisions de politique monétaire. La BNS ne pourrait donc plus annoncer ni mettre en oeuvre ces décisions avec la même détermination, sans compter que ces restrictions seraient connues du marché, ce qui nuirait à la crédibilité de la BNS. Il ne lui serait plus guère possible d'engager des mesures telles qu'une politique de cours plancher par rapport à l'euro ou de prendre des dispositions à

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grande échelle pour assurer la stabilité financière, notamment parce que les acteurs du marché financier ne seraient pas convaincus que la BNS est résolue et apte à imposer cette politique par tous les moyens. La restriction que constituent une part minimale d'or et son inaliénabilité saperait la confiance des marchés.

L'acceptation de l'initiative serait également préjudiciable au profil risquerendement des actifs de la BNS. A titre de diversification des réserves monétaires, l'or peut certes contribuer à une répartition équilibrée des risques au bilan, mais en soi ce métal compte parmi les placements les plus volatils et donc les plus risqués dans le bilan de la BNS. Ce risque accru ne ferait toutefois pendant à aucune augmentation du rendement des placements, ce qui serait contraire à une politique de placement responsable. Un accroissement de la part de métal jaune finirait par entraîner une diminution du bénéfice distribué à la Confédération et aux cantons, d'autant que l'or ne génère pas de revenus sous forme d'intérêts ou de dividendes et que l'interdiction de le vendre ne permettrait pas davantage de réaliser des plusvalues.

Une fois l'initiative acceptée, la BNS serait contrainte de conserver la totalité de ses réserves d'or en Suisse. Elle stocke actuellement environ 30 % de ses réserves à l'étranger: 20 % auprès de la Banque d'Angleterre et 10 % auprès de la banque centrale du Canada. Cette diversification géographique des stocks d'or en Suisse et à l'étranger assure à la BNS de disposer de réserves d'or en différents endroits ou sur diverses places de négoce en cas de crise et, au besoin, de pouvoir les vendre sur le marché, y compris à l'étranger. La diversification géographique obéit au principe d'une gestion avisée. Il est donc tout indiqué de la maintenir.

Les ventes d'or effectuées par le passé à partir de 2000 suite au nouvel article constitutionnel sur la monnaie résultent au fond de suggestions émanant du Parlement, qui appelait dans les années 1990 à une gestion plus fructueuse des réserves monétaires et à une réduction des stocks d'or. Or, même après ces ventes, la Suisse dispose encore, avec ses 1040 tonnes, de réserves d'or très substantielles en comparaison internationale.

L'acceptation de l'initiative restreindrait considérablement la capacité d'action de la BNS. Or
une banque centrale doit être indépendante et disposer d'une large marge de manoeuvre pour remplir son mandat constitutionnel, aujourd'hui comme demain. Tout aussi négatif serait l'impact sur le bénéfice reversé à la Confédération et aux cantons. C'est pourquoi le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander le rejet de l'initiative au peuple et aux cantons.

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Teneur de l'initiative

L'initiative populaire «Sauvez l'or de la Suisse (Initiative sur l'or)» a la teneur suivante: I La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 99a (nouveau)

Réserves d'or de la Banque nationale suisse

1

Les réserves d'or de la Banque nationale suisse sont inaliénables.

2

Elles doivent être stockées en Suisse.

La Banque nationale suisse doit détenir une part importante de ses actifs en or. La part de l'or ne doit pas être inférieure à 20 %.

3

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont modifiées comme suit: Art. 197, ch. 92 (nouveau) 9. Disposition transitoire ad art. 99a (Réserves d'or de la Banque nationale suisse) L'al. 2 doit être mis en oeuvre dans un délai transitoire de deux ans à compter de l'acceptation de l'art. 99a par le peuple et les cantons.

1

L'al. 3 doit être mis en oeuvre dans un délai transitoire de cinq ans à compter de l'acceptation de l'art. 99a par le peuple et les cantons.

2

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Sauvez l'or de la Suisse (Initiative sur l'or)» a été soumise à l'examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 6 septembre 20113 et a été remise le 20 mars 2013 avec le nombre requis de signatures.

Par décision du 16 avril 2013, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 106 052 signatures valables et qu'elle avait donc abouti4.

1 2 3 4

RS 101 Le chiffre définitif de cette disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après la votation populaire.

FF 2011 6309 FF 2013 2589

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L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne soumettra ni un contre-projet direct ni un contre-projet indirect. En application de l'art. 97, al. 1, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral soumettra d'ici au 20 mars 2014 à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. Selon l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale aura jusqu'au 20 septembre 2015 pour décider de la recommandation de vote.

1.3

Validité

L'initiative remplit les conditions de validité selon l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.): a.

elle est formulée sous la forme d'un projet rédigé et remplit les exigences de l'unité de la forme;

b.

il existe un rapport objectif entre les différentes parties de l'initiative, qui respecte donc le principe de l'unité de la matière;

c.

l'initiative ne porte atteinte à aucune règle impérative du droit international; elle remplit donc le critère de compatibilité avec le droit international.

Une initiative populaire doit par ailleurs être aussi exécutable au regard du droit non écrit pour être valide. L'exécutabilité de la présente initiative pourrait être mise en doute pour la raison suivante: Selon l'initiative, les réserves d'or de la BNS seraient inaliénables en totalité. Aucune exception n'est prévue. En principe, même en situation d'urgence avérée, ni la BNS ni la Confédération ne seraient donc habilitées à recourir à ces réserves. Selon l'art. 2 de la loi 3 octobre 2003 sur la Banque nationale (LBN)6, l'établissement des comptes de la BNS obéit au code des obligations (CO)7. Or l'art. 959, al. 2, CO dispose que seuls peuvent être inscrits à l'actif du bilan les éléments de patrimoine dont l'entreprise peut disposer. Les réserves d'or ne seraient plus disponibles du fait de leur caractère inaliénable. Sous l'angle de la présentation des comptes, il s'imposerait dès lors d'inscrire les réserves d'or au bilan avec une valeur de zéro, quelle que soit la quantité détenue, et ce jusqu'à révocation de l'inaliénabilité. Ainsi, la part minimale de 20 % des actifs à laquelle aspirent les initiants serait hors de portée en dépit d'achats supplémentaires de métal jaune.

Le Conseil fédéral renonce néanmoins à proposer la nullité totale ou partielle (concernant l'inaliénabilité de l'or) de l'initiative eu égard notamment aux considérations suivantes: ­

5 6 7 8

Selon une pratique constante et incontestée, une déclaration de nullité ne se justifie que si l'inexécutabilité est manifeste et de nature purement factuelle.

Des difficultés de mise en oeuvre (cf. ch. 4 et 5) ou l'irrecevabilité juridique de l'initiative ne suffisent pas, pas plus qu'il importe de savoir si une requête est déraisonnable, inadéquate ou coûteuse8.

RS 171.10 RS 951.11 RS 220 Cf. Hangartner, St. Galler Kommentar zur BV, 2. Aufl. 2008, Rz. 36 zu Art. 139 und Biaggini, Kommentar BV, Zürich 2007, Rz. 14 zu Art. 139.

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­

Dans le cas présent, on ne saurait identifier une quelconque inexécutabilité factuelle. L'exécutabilité n'est rendue difficile que sur les plans juridique et pratique. La question de la comptabilisation au bilan pourrait être résolue par une norme spéciale à consigner dans la LBN. Il serait possible, sur cette base, d'inscrire les réserves d'or au bilan en tant qu'actif valorisable en dépit de leur caractère inaliénable. Il serait également envisageable de rendre compte du stock et de la valeur des réserves d'or hors bilan, ce qui permettrait aussi de déterminer si la part minimale de 20 % est respectée.

2

Rappel historique expliquant l'origine de l'initiative

2.1

L'or dans l'ordre monétaire suisse

L'or a joué longtemps un rôle central dans l'ordre monétaire mondial, rôle qu'il n'a définitivement perdu qu'en 1971. Au XIXe siècle, les monnaies fortes sous forme de pièces d'or et d'argent étaient en général les seuls moyens de paiement légaux. Les billets de banque avaient plutôt le caractère d'un chèque. Certains pays possédaient une monnaie d'or, d'autres une monnaie d'or et d'argent. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle s'est imposé ce qu'il convient d'appeler l'étalon-or, l'argent métal perdant alors peu à peu son statut monétaire. Sous le régime de l'étalon-or, les banques centrales devaient être à tout moment capables de convertir en or leurs propres moyens de paiement comme les autres. Pour s'en porter garantes, elles étaient tenues de par la loi de détenir des réserves d'or couvrant une partie des billets en circulation. Ce régime monétaire fut marqué par de nombreuses crises, les banques centrales étant souvent amenées, sans égard pour la conjoncture du moment, à relever leurs taux d'intérêt pour prévenir des sorties vers l'étranger de métal jaune.

L'étalon-or fut abandonné au cours de la Première Guerre mondiale mais fit son retour dans les années 1920 sous la forme d'un étalon de change-or. Sous ce régimelà, les monnaies principales convertibles en or telles que la livre sterling ou le dollar des Etats-Unis avaient un statut identique à celui du métal jaune. Quand, durant la crise économique mondiale des années 1930 (la Grande Dépression), la GrandeBretagne se détourna de l'étalon de change-or, cet ordre monétaire s'effondra. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le système issu des accords de BrettonWoods instaura ­ dans le cadre des Statuts du Fonds monétaire international du 22 juillet 19449 ­ un étalon or-dollar selon lequel les monnaies observaient un taux de change fixe mais modifiable par rapport au dollar et ­ en raison de la parité-or du billet vert ­ par rapport à l'or. Les banques centrales étaient toutefois exemptées de l'obligation de rembourser les billets en or. Dans ce système, le métal jaune déterminait certes la valeur externe de la monnaie mais n'exerçait plus la fonction de moyen de paiement à l'intérieur des frontières nationales. Lorsque les Etats-Unis, en 1971, ont abandonné la convertibilité en or du dollar, le système de changes fixes de
Bretton-Woods s'est écroulé à son tour, l'or perdant ainsi sa fonction de point d'ancrage dans l'ordre monétaire international. En 1978, la démonétisation de l'or a été inscrite dans le droit international par le biais de la deuxième convention sur la modification des statuts du FMI.

9

RS 0.979.1; l'étalon or-dollar était inscrit dans la version initiale des statuts, qui n'a jamais été contraignante pour la Suisse.

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Eu égard à l'afflux massif de capitaux vers le franc suisse, la Banque nationale suisse (BNS) s'est vu contrainte en 1971 de laisser flotter librement le cours de change de notre monnaie. La parité-or du franc ancrée dans la loi sur la monnaie n'a cependant pas été mise hors vigueur, ce qui explique que le cadre légal de la politique monétaire de la BNS n'ait plus coïncidé durant une longue période avec la politique monétaire effectivement menée. Le cours de l'or ayant augmenté à la fin du régime des changes fixes, la parité-or fixée dans la loi empêchait en effet la BNS de vendre de l'or, à moins de le céder à un prix inférieur à celui du marché. Ainsi, la parité-or ne servait plus alors qu'à l'inscription au bilan des stocks de métal jaune.

Dans les années 1990, cette attache à l'or a fait l'objet de critiques de plus en plus vives, au sein comme en dehors du Parlement. Diverses interventions parlementaires ont appelé à une adaptation de la Constitution. La tentative d'harmoniser la politique monétaire avec le régime des changes flexibles à la faveur d'une procédure accélérée a échoué en juin 1999 devant le Parlement10. Puis a eu lieu, dans le cadre de la révision totale de la Constitution, la mise à jour de l'article constitutionnel sur la monnaie, qui a conduit à l'actuel art. 99 Cst., en vigueur depuis le 1er janvier 2000.

L'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale à cette date a consacré sur le plan formel (constitutionnel) la dissolution du lien du franc suisse avec l'or. La nouvelle loi fédérale du 22 décembre 1999 sur l'unité monétaire et les moyens de paiement (LUMMP)11 l'a ancrée sur le plan légal. Aux termes des art. 2, let. b, et 3, al. 2, LUMMP, les billets de banque émis par la BNS ont valeur de moyens de paiement ayant cours légal et toute personne est tenue de les accepter en paiement sans limitation de la somme. La loi a ainsi créé un substitut à l'abandon de l'obligation de remboursement en or. Comme la BNS est tenue de constituer une part de ses réserves monétaires en or, ce métal continue néanmoins de jouir d'un statut particulier qui le distingue d'autres réserves monétaires. Dans le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale12, il est précisé que la formation de réserves monétaires suffisantes est de nature à assurer la confiance
du public dans la monnaie créée par l'Etat et, ainsi, appelée à prendre le relais de la couverture-or. Le nouvel article constitutionnel dispose que la BNS constitue, à partir de ses revenus, des réserves monétaires suffisantes, dont une part doit consister en or. Il est laissé à l'appréciation de la BNS de décider de l'ampleur des réserves monétaires à constituer pour être suffisantes, ainsi que de la part à détenir en or. Ce pouvoir de décision est un pan important de la liberté d'action dont dispose la BNS13. Les mesures de politique monétaire telles que la mise en oeuvre de la politique de taux d'intérêt par pension de titres ou les mesures de gestion des liquidités ont aussi, en général, des incidences sur la composition et la taille du bilan. Le volume et la composition des réserves monétaires changent fréquemment.

Sous le régime monétaire en vigueur, le franc suisse, comme presque toutes les monnaies du monde, est une monnaie fiduciaire, c'est à-dire dépourvue de valeur intrinsèque: sa valeur est garantie non pas par une obligation de remboursement en or ou en d'autres métaux mais par l'obligation légale faite à l'institut d'émission indépendant d'assurer la stabilité des prix.

10 11 12 13

Cf. à ce propos le message du 27 mai 1998 sur un nouvel article constitutionnel sur la monnaie, FF 1998 3485.

RS 941.10 FF 1997 I 1 Cf. aussi à ce propos les art. 30, al. 1, et 46, al. 2, let. b, de la loi du 3 octobre 2003 sur la Banque nationale (LBN; RS 951.11)

8371

Dans ce cadre, donc, la BNS peut répondre en souplesse aux exigences de la politique économique et accroître ou restreindre, suivant les besoins, l'offre monétaire. La politique à suivre dépend notamment de la question de savoir ce qui est nécessaire à la sauvegarde de la stabilité des prix dans le contexte conjoncturel du moment. Cela implique que la BNS puisse décider elle-même de ses placements et, par là même, aménager l'actif de son bilan en toute indépendance.

2.2

Contexte de l'initiative au regard de la politique monétaire

Ces dernières années, les banques centrales ont mené dans le monde entier une politique monétaire à la faveur de laquelle leur offre de monnaie centrale a nettement augmenté. Ce faisant, elles ont écarté les menaces de déflation et de dépression.

Un certain nombre d'entre elles ont mobilisé des instruments de politique monétaire dits non conventionnels, censés assurer le bon fonctionnement des marchés monétaires et le maintien de l'octroi de crédits par les banques. En Suisse, faute de pouvoir procéder à de nouvelles baisses des taux d'intérêt, la BNS est intervenue sur les marchés des changes afin de créer des conditions monétaires adéquates pour l'économie suisse. Depuis le 6 septembre 2011, le franc suit un cours plancher par rapport à l'euro. Cette mesure a pour but de limiter l'appréciation du franc et de prévenir les lourdes conséquences que sa surévaluation pourrait avoir pour l'économie et l'emploi. Du fait de l'expansion de l'offre de monnaie centrale, la part des stocks d'or dans les actifs de la BNS a diminué. Cette évolution se corrigera d'elle-même dès que la situation se sera normalisée. La BNS dispose des instruments nécessaires pour stopper l'expansion de l'offre de monnaie centrale.

C'est par souci de stabilité de la monnaie que les initiants proposent notamment la détention d'une part minimale d'or dans le bilan de la BNS.

2.3

Ventes d'or depuis 2000

A la fin des années 1990, la Suisse occupait avec ses réserves d'or de 2590 tonnes le cinquième rang parmi les pays les mieux dotés du monde. Avec 365 grammes d'or fin par habitant, elle était de loin en tête des pays du Groupe des dix, groupement des principaux pays industriels, qui se soutiennent mutuellement au sein du Fonds monétaire international en cas de difficultés de balance des paiements. Une fois abolie la parité-or formelle du franc du fait de l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution le 1er janvier 2000, puis de la LUMMP le 1er mai de la même année, la BNS a évalué ses stocks d'or de 2590 tonnes au prix du marché, ce qui donnait un bénéfice comptable de 27,7 milliards de francs. Une partie de ce capital (19,9 mrd), correspondant à 1300 tonnes d'or qu'il n'était plus nécessaire de conserver à des fins monétaires, était destinée à être exclue du bilan. Le groupe de travail institué par la BNS et le DFF avait initialement estimé à 1400 tonnes la quantité d'or excédentaire.

Il avait calculé ce chiffre en se fondant sur des comparaisons internationales, compte tenu de l'importance de la place financière suisse. Le reste a servi à constituer une réserve spéciale destinée à couvrir les risques de marché et d'illiquidité pesant sur

8372

l'or monétaire, autrement dit l'or subsistant dans le portefeuille de la BNS14. Le débat politique tournait essentiellement autour de la question de savoir comment utiliser le produit des ventes d'or. En revanche, l'exclusion des 1300 tonnes d'or du bilan de la BNS n'était pas controversée. Ces 1300 tonnes ont été vendues entre 2000 et 2005. Diverses propositions d'utilisation du produit de ces ventes ayant échoué lors de votations populaires et devant le Parlement, 21,1 milliards de francs ont été distribués à raison de deux tiers aux cantons et d'un tiers à la Confédération en tant que bénéfice de la BNS.

Conformément à la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur l'utilisation de la part de la Confédération aux réserves d'or excédentaires de la Banque nationale15, la part de la Confédération, soit 7 milliards, a été affectée en 2007 au Fonds de compensation de l'AVS. Cette distribution constituait dans le budget de la Confédération une recette et une dépense extraordinaires conformément au frein à l'endettement.

Les ventes d'or étaient inscrites dans le cadre de l'Accord de Washington signé le 26 septembre 1999 et reconduit en 2004 et 2009. Un certain nombre de banques centrales, dont la BNS, étaient associées à cet accord qui visait à stabiliser les cours de l'or après l'annonce de ventes d'or par ces dernières. Dans cet accord, les banques centrales signataires s'entendaient sur des plafonds de vente de leurs réserves de métal jaune. L'accord en question n'est pas un traité au sens du droit international mais une simple mise au point sur les intentions des instituts concernés. Ce faisant, 15 banques centrales européennes ont coordonné leurs ventes d'or de 2000 à 2005.

Ces ventes étaient initialement limitées à un total de 2000 tonnes, soit 400 tonnes par an. En 2004, l'accord a été prorogé de cinq ans et la quantité d'or portée à 2500 tonnes. Outre le respect de ce chiffre, les banques centrales participantes se sont mises d'accord pour renoncer à couvrir le risque de cours pesant sur l'or non encore vendu par des transactions à terme16.

Les ventes d'or de la BNS s'expliquaient entre autres par l'exigence d'une gestion plus rentable des réserves. La BNS se voyait reprocher de détenir trop d'or ne servant pas à des fins de politique monétaire et, de surcroît, dégageant un rendement insuffisant. Ces
critiques formulées par le Parlement et certains milieux universitaires incitèrent le Conseil fédéral à élaborer un nouvel article constitutionnel en matière de politique monétaire17. Une gestion plus rentable impliquait en particulier une évaluation nettement supérieure des réserves d'or aux prix du marché et la vente des quantités de métal jaune «excédentaires».

En juin 2007, la BNS annonça qu'elle allait adapter la structure de ses réserves monétaires et, à cette fin, vendre au total 250 tonnes d'or. Cette vente s'acheva le 26 septembre 2008. Depuis cette date, la BNS dispose de 1040 tonnes d'or, autrement dit, en comparaison internationale, de réserves de métal jaune qui restent importantes, notamment par rapport à la taille du pays. Les Etats-Unis, dont les réserves d'or sont les plus élevées du monde, en détiennent par exemple 8134 tonnes, l'Allemagne

14

15 16 17

Cf. Message du 20 août 2003 concernant l'utilisation de 1300 tonnes d'or de la Banque nationale suisse et l'initiative populaire «Bénéfices de la Banque nationale pour l'AVS», FF 2003 5597.

RS 951.19 Banque nationale suisse (éd.): Banque nationale suisse 1907-2007, Zurich 2007 (FS 2007), p. 476.

Cf. note de bas de page 10.

8373

3391, l'Italie 2452, la France 243518. La BNS ne prévoit pas de nouvelle réduction de son stock d'or.

3

Buts et teneur de l'initiative

3.1

Teneur de la réglementation proposée

Sur le fond, l'initiative demande l'application des trois dispositions suivantes: ­

La BNS devra impérativement détenir ses réserves d'or en Suisse, et ce, dans un délai transitoire de deux ans à compter de l'acceptation de l'initiative.

­

La BNS devra détenir au moins 20 % de ses actifs en or, et ce, dans un délai transitoire de cinq ans.

­

Les réserves d'or de la BNS seront inaliénables.

3.2

Buts et explication de l'initiative

L'initiative vise à une augmentation durable des placements en or dans le bilan de la BNS. Ses auteurs considèrent que les réserves d'or accroissent la stabilité monétaire.

L'or doit renforcer la confiance dans la stabilité de la monnaie suisse, en particulier face à la menace grandissante de crises bancaires et monétaires à l'étranger. Pour désamorcer les craintes exprimées au ch. 2, les initiants proposent la détention d'une part d'or minimale, fixée par la Constitution, dans le bilan de la BNS.

Les initiants reprochent à la BNS d'avoir vendu ses «réserves d'or excédentaires» par le passé, qui plus est au mauvais moment, à une époque où le prix de l'or était au plus bas. Selon eux, si elle avait attendu, ces ventes auraient dégagé des plus-values substantielles. Les auteurs de l'initiative veulent empêcher que cette situation puisse se reproduire et exigent donc que les réserves d'or soient inaliénables (sans limite dans le temps).

Un autre but de l'initiative consiste à rapatrier en Suisse les réserves d'or de la BNS qui sont stockées à l'étranger. Il s'agit par-là d'empêcher que d'autres pays bloquent la sortie des réserves d'or de la Suisse en cas de crise. Les initiants craignent donc que la détention de ces réserves à l'étranger ne soit d'aucune utilité en cas de crise.

Par le passé, pour des raisons de sécurité et de politique, la BNS n'a pas dévoilé où étaient stocké cet or. Afin de répondre à un besoin accru de transparence, elle a indiqué en avril 2013 quels sont les pays où sont stockées ses réserves d'or: 70 % reposent en Suisse, 20 % au Royaume-Uni et 10 % au Canada.

Un «étalon-or» au sens du remboursement de numéraire en or à une parité fixe n'est pas, et ce, de manière explicite, un objectif de l'initiative19. L'instauration unilatérale d'un étalon-or par la Suisse serait de toute façon une entreprise impossible; les initiants eux-mêmes pensent que cela ne serait pas réalisable et risquerait de provoquer une ruée sur les réserves d'or de la BNS.

18 19

Conseil mondial de l'or, août 2013.

Stamm, Luzi, «Sauvez l'or de la Suisse», explications à propos de l'initiative données lors de la conférence de presse du 20 septembre 2011.

8374

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative

En vigueur depuis une dizaine d'années, les bases constitutionnelles et légales de la politique monétaire ont fait leurs preuves. L'acceptation de l'initiative ne créerait de meilleures conditions ni pour la politique monétaire ni pour la politique de placement de la BNS. Bien au contraire, elle placerait la BNS dans une situation nettement plus difficile pour remplir son mandat légal, risquant même, dans certaines circonstances, de l'en empêcher totalement. De surcroît, accepter l'initiative aurait des incidences négatives sur la distribution du bénéfice de la BNS à la Confédération et aux cantons.

4.1.1

Restriction considérable de la capacité d'action de la BNS en matière de politique monétaire

La BNS est investie du mandat légal d'assurer la stabilité des prix et, ce faisant, de tenir compte de l'évolution de la conjoncture. Elle a rempli ce mandat à ce jour.

Depuis 2000, l'inflation annuelle mesurée à l'aune de l'indice des prix à la consommation s'est située en moyenne à environ 1 % par an. En outre, grâce à la liberté d'action qui lui est accordée, la BNS a largement contribué à la stabilité de la conjoncture durant la récente crise économique et financière.

La BNS applique sa politique monétaire en recourant à des instruments qui ont des effets directs sur l'ampleur et la composition de son bilan. Des prescriptions figées sur la composition du bilan et l'emploi de certains de ses actifs restreindraient considérablement la capacité d'action de la BNS en matière de politique monétaire. La part minimale de 20 % que l'initiative oblige la BNS à détenir en or dans ses actifs et le caractère inaliénable de cet or auraient des conséquences éminemment néfastes pour sa politique monétaire.

Pour combattre la récente crise économique et financière, la BNS a abaissé de fait les taux d'intérêt à zéro et instauré un cours de change minimal par rapport à l'euro.

Cette politique s'est traduite par une forte expansion de son bilan. Au passif, les dépôts à vue ont nettement crû, tandis qu'à l'actif, les placements en devises, notamment, augmentaient, suite à quoi la part de l'or dans les actifs a chuté. Si, dans une telle situation, on entendait porter la part de l'or à 20 %, il faudrait acheter du métal jaune en quantité, un or qui, au demeurant, ne pourrait plus être revendu après que la situation se serait stabilisée et pour le cas où la BNS aurait voulu ramener ses liquidités à un niveau normal, cette réduction devant bien entendu être obtenue par la vente de devises. La conséquence en serait, une fois normalisé l'approvisionnement en liquidités, que le stock d'or inaliénable occuperait une place dominante parmi les actifs de la BNS.

Cela étant, la situation actuelle n'est pas seule responsable du fait que la part d'or détenu dans le bilan de la BNS serait en définitive, en cas d'acceptation de l'initiative, largement supérieure aux 20 % exigés. Si la part d'or est fixée à 20 %, elle tombera en deçà de ce seuil dès que le prix de l'or sera tombé (repli du stock d'or de la BNS, si celle-ci
évalue l'or au prix du marché) ou que la BNS aura assoupli sa politique monétaire (expansion du bilan par l'achat de devises ou de titres étrangers). Dans ces cas-là, la BNS devrait acheter de l'or pour préserver le seuil de 8375

détention de 20 %. Or cet or ne pourrait pas être revendu, et ce, même en cas de resserrement ultérieur de la politique monétaire ou de remontée des cours du métal jaune. Il s'ensuit que la part d'or sera en général nettement supérieure aux 20 % requis, l'ampleur du phénomène dépendant des fluctuations de l'approvisionnement en liquidités et du prix de l'or. L'expérience démontre que ces fluctuations peuvent être de très forte amplitude. Au pire, l'actif du bilan pourrait même être constitué en majeure partie d'or (inaliénable).

Le contrôle des liquidités et du niveau des taux d'intérêt ne pourrait plus être assuré par le biais des actifs de la BNS si la part des réserves d'or était très élevée, cet or ne pouvant de surcroît être vendu. Ce contrôle ne serait plus possible que par le biais du passif du bilan et, concrètement, par l'émission de titres de créance portant intérêt de la BNS ou le réaménagement de son portefeuille. Ces titres de créance obligeraient la BNS à verser des intérêts. De ce fait, elle se retrouverait à l'actif avec un stock d'or énorme et inaliénable, donc ne générant aucun revenu d'intérêt ni ne permettant de réaliser d'éventuelles plus-values. Au passif, elle serait contrainte à des versements d'intérêts sur ses titres de créance. La BNS risquerait alors d'être plongée dans une situation l'obligeant à s'acquitter de sa dette d'intérêts par des opérations de résorption des liquidités et à financer ses autres dépenses en créant de la monnaie, c'est-à-dire en faisant fonctionner la planche à billets. Tout cela, bien entendu, serait loin de faciliter l'accomplissement de son mandat de politique monétaire.

Les décisions de politique monétaire se traduisant par une forte expansion du bilan seraient rendues nettement plus difficiles, sachant qu'elles entraîneraient l'achat supplémentaire de réserves d'or considérables et inaliénables. Elles ne pourraient plus être annoncées et mises en oeuvre avec la même détermination. Cela dit, la politique monétaire traditionnelle ne serait pas seule en cause. Si l'initiative était acceptée, des mesures telles que l'instauration d'un cours plancher par rapport à l'euro ou des dispositions à grande échelle destinées à assurer la stabilité financière ne seraient plus guère envisageables. C'est ainsi que les interventions requises sur le marché
des devises pour imposer le cours de change minimal ne seraient autorisées qu'à condition d'augmenter parallèlement les réserves d'or pour maintenir la part minimale du métal jaune dans le bilan ­ sans égard pour l'impact de ces achats sur le prix de l'or. Tout cela saperait l'indispensable confiance des marchés financiers dans la capacité de la BNS à imposer le cours de change minimal compte tenu de ces restrictions.

Ces restrictions ne feraient que compliquer le maintien de la stabilité des prix. A noter à cet égard qu'il n'existe aucun rapport entre la stabilité des prix et la part de l'or dans le bilan de la BNS. La stabilité des prix est assurée en ce sens que la BNS, en sa qualité d'institut d'émission indépendant, crée des conditions monétaires adéquates, autrement dit met la juste quantité de monnaie à la disposition de l'économie.

4.1.2

Disponibilité et diversification restreintes des réserves monétaires

Aux termes de la Constitution, la BNS est tenue de constituer, à partir de ses revenus, des réserves monétaires suffisantes, dont une part doit consister en or. Elle détermine en toute indépendance mais en fonction de ses objectifs de politique monétaire l'ampleur et la composition des réserves monétaires nécessaires (outre 8376

l'or, principalement des devises). Des réserves suffisantes et liquides rehaussent la crédibilité des mesures de politique monétaire et revêtent une grande importance pour prévenir et surmonter des crises éventuelles. Pour que la BNS puisse s'acquitter de sa mission, elle doit disposer rapidement et sans restriction, en cas de crise, de réserves monétaires. Si l'initiative était acceptée, cela ne serait plus garanti pour la part d'or à respecter dans les réserves monétaires, puisque cet or serait inaliénable et donc indisponible. Il ne pourrait plus alors remplir la fonction de réserves monétaires.

Sachant que les réserves monétaires doivent garantir sa capacité d'action à tout moment, la BNS les place dans le respect des critères de sécurité, de liquidité et de rendement. La liquidité est à cet égard un élément primordial. L'acceptation de l'initiative, du fait du caractère inaliénable de l'or, détériorerait sérieusement la liquidité des réserves monétaires. De plus, elle serait préjudiciable au profil risquerendement des actifs de la BNS, si la part de l'or venait à atteindre un niveau excessif. A titre de diversification des réserves monétaires, l'or peut certes contribuer à une répartition équilibrée des risques au bilan, mais en soi ce métal compte parmi les placements les plus volatils et donc les plus risqués dans le bilan de la BNS. Dans le graphique 1, la bordure supérieure de la fourchette indique pour chaque catégorie de placement le rendement annualisé obtenu sur la meilleure période de cinq ans, la bordure inférieure le rendement annuel sur la pire période de cinq ans. Ce graphique illustre le fait que la plus grosse perte subie sur l'or durant une période de cinq ans est, à 9,4 % par an, encore plus marquée que la pire des pertes enregistrées sur les actions sur cinq ans (9,0 %).

Graphique 1 Fluctuations historiques du rendement de l'or et d'autres catégories de placement en francs 35%

Fourchette de fluctuation sur 60 mois (annualisée)

Rendement annuel moyen

30%

29.1%

Rendite (annuel)

25% 20%

26.5% 21.8%

15% 10%

6.9% 4.4%

5%

1.2%

8.2% 4.1% 1.3%

0%

-3.5% -5% -10%

-9.4%

-9.0%

Or

Action de pays industrialisés

Emprunts du Trésor américain sur 3 à 5 ans

Emprunts de la Confédération sur 3 à 5 ans

Période: août 1983 ­ août 2013 (pour les emprunts de la Confédération: déc. 1990 ­ août 2013). Les valeurs supérieures et inférieures inscrites dans les colonnes correspondent à des valeurs maximales annualisées pour les périodes de 60 mois.

8377

Le graphique 2 illustre l'évolution du prix de l'or en francs réels, c.-à-d. corrigés de l'inflation ­ depuis 1920. La hausse des dernières années et le repli amorcé depuis le début de 2013 y sont bien visibles et montrent aussi combien la valeur de l'or varie au fil du temps. Entre le dernier pic de septembre 2012 et la fin septembre 2013, le cours du kilo d'or est tombé de 53 400 à 41 000 francs, soit une perte d'environ 13 milliards de francs sur les réserves d'or de la BNS.

Graphique 2 Prix d'un kilogramme d'or en Suisse de 1920 à 2013 70'000 60'000 50'000 40'000 30'000 20'000 10'000

1920 1923 1926 1929 1932 1935 1938 1941 1944 1947 1950 1953 1956 1959 1962 1965 1968 1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 2007 2010 2013

-

Prix de l'or en francs de 2012 (corrigé de l'inflation)

Il y a lieu par ailleurs de tenir compte de ce que l'or, contrairement à des placements en devises, ne génère pas de revenus courants sous forme d'intérêts ou de dividendes. Une part d'or élevée augmenterait le risque au bilan de la BNS mais pas le rendement à attendre de ce placement, ce qui serait en totale contradiction avec une politique monétaire responsable. Indépendamment du problème inhérent au fait que les quantités d'or achetées ne pourraient plus être revendues, la part de l'or dans les réserves monétaires serait largement supérieure à 20 % en cas d'acceptation de l'initiative, sachant que selon le texte de cette dernière, 20 % du total du bilan devraient être détenus en or. La réalisation de l'un des buts de l'initiative, à savoir accroître la sécurité des placements de la BNS, ne serait en rien assurée par une part d'or inaliénable la plus élevée possible dans son bilan. Pour y parvenir, le mieux serait que la BNS diversifie largement ses réserves monétaires et puisse en disposer librement. Une diversification appropriée en plusieurs catégories de placement améliore le profil risque-rendement des actifs. Elle réduit les risques de concentration et contribue dans l'ensemble à renforcer le bilan de la BNS, notamment à le rendre plus résistant aux scénarios négatifs les plus divers. Une diversification appropriée des placements favorise la préservation de la substance à long terme et un accroissement régulier des réserves monétaires.

8378

4.1.3

Diminution du bénéfice distribué à la Confédération et aux cantons

En vertu de l'art. 31, al. 2, LBN, la part du bénéfice qui dépasse le dividende revient pour un tiers à la Confédération et pour deux tiers aux cantons. Le bénéfice porté au bilan dépend largement des revenus réalisés sur les placements des réserves de devises, sachant que le placement des actifs obéit au principe de la primauté de la politique monétaire.

L'acceptation de l'initiative conduirait à une forte augmentation de la part d'or, ce qui, ajouté à l'interdiction de le revendre, réduirait à moyen terme le potentiel de distribution du bénéfice. A cela trois raisons: Premièrement, l'or stocké ne génère ni intérêts ni dividendes. Certes, il existe une possibilité de rentabiliser le métal jaune en le confiant à des tiers pour une durée limitée convenue par avance et moyennant rétribution, mais les prêts d'or ont perdu constamment de leur importance depuis 2000. Fin 2012, seule une infime partie du stock d'or de la BNS faisait encore l'objet de prêts garantis. Le plus haut revenu ainsi réalisé date de 2000 et se montait à 91 millions de francs. Par la suite, les revenus ont diminué jusqu'en 2012 pour atteindre un montant nettement inférieur à 1 million de francs.

Deuxièmement, il ne serait plus possible de réaliser des plus-values sur l'or en le vendant, vu l'interdiction d'aliénation consignée dans le texte de l'initiative. Une distribution de plus-values devrait alors être financée soit par la vente d'autres actifs, soit en faisant fonctionner la planche à billets. Or une vente d'actifs ne ferait qu'accélérer l'accroissement de la part d'or et la création de monnaie serait clairement contraire aux objectifs d'une politique de stabilité, raisons pour lesquelles des plus-values sur l'or ne pourraient logiquement pas compter comme bénéfice distribuable.

Troisièmement, le relèvement initial des réserves d'or à 20 % du total du bilan en l'espace de cinq ans entraînerait probablement une flambée des cours sur le marché de l'or, puisque la BNS devrait en acheter de grandes quantités. Suite à quoi le potentiel de plus-values sur les stocks d'or diminuerait sans doute nettement une fois ces achats terminés.

4.1.4

Restriction inutile du stockage des réserves d'or

Si l'initiative était acceptée, la BNS serait tenue de stocker la totalité de ses réserves d'or en Suisse. A l'heure actuelle, quelque 300 de ses 1040 tonnes d'or sont entreposées à l'étranger: 200 tonnes à la Banque d'Angleterre et 100 tonnes à la banque centrale du Canada. Ces deux pays sont les seuls depuis dix ans à abriter des stocks d'or de la BNS.

Le choix de ces lieux de stockage repose sur des critères très stricts. C'est ainsi que par rapport à la Suisse, il faut aboutir à une diversification géographique et géopolitique adéquate. Le pays d'accueil doit justifier d'une grande stabilité politique et économique. La protection de l'immunité des placements des banques centrales doit être garantie. Enfin, un potentiel maximum d'exploitation sur le marché est souhaitable.

8379

Le coût du stockage de lingots d'or à l'étranger est comparable à celui de leur conservation en Suisse. La diversification géographique pratiquée actuellement entre la Suisse et l'étranger est garante de la possibilité pour la BNS, à tout moment et notamment en cas de crise, de disposer de ses réserves d'or en divers endroits ou sur plusieurs places de négoce de l'or et, au besoin, de les vendre sur le marché. Cette diversification géographique est un acte de prévoyance face à des crises majeures présentant un risque de débordement interrégional (catastrophes écologiques, conflits armés, par ex.). Or, même en cas de crise régionale, un stockage en divers lieux offre des avantages. Il obéit aux principes d'une diversification des risques et d'une gestion avisée.

Quand bien même un stockage à l'étranger présenterait des risques, ceux-ci sont minimisés par le choix du lieu de conservation et par les inspections régulières qu'assure la BNS; on peut donc les qualifier de faibles. La conservation d'or à l'étranger obéit aux mêmes normes qu'en Suisse. Les banques centrales partenaires gèrent pour le compte de la BNS des stocks de lingots parfaitement identifiables.

Chacun de ces lingots est consigné dans un inventaire.

5

Mise en oeuvre de l'initiative

En cas d'acceptation de l'initiative, il faudrait ­ comme cela est déjà évoqué au ch. 1.3 «Validité» ­ déterminer comment inscrire les réserves d'or de la BNS au bilan. Une comptabilisation au bilan au sens des dispositions du CO ne saurait être envisagée que si la BNS disposait des valeurs patrimoniales en question, ce qui permettrait de tirer des conclusions de la situation économique effective de l'entreprise. En sa qualité de société anonyme régie par une loi spéciale, la BNS n'est soumise qu'à titre subsidiaire aux dispositions du CO. Son activité diffère largement, de par sa nature et l'orientation de sa politique économique, de celle des banques d'affaires ou d'autres entreprises. Aussi la LBN constitue-t-elle la base de l'organisation et de l'activité de la BNS.

Le caractère inaliénable de ses réserves d'or signifie que la BNS ne pourrait pas en disposer, ce qui soulève la question de leur comptabilisation au bilan. Une possibilité de mise en oeuvre de l'initiative qui soit conforme au CO consisterait à tenir un état des réserves d'or distinct du bilan. Dans ce cas, les réserves d'or nécessaires atteindraient un niveau plus faible, puisque cet or ne ferait plus partie intégrante du bilan. En même temps, il n'est pas évident que des réserves d'or inaliénables ne possèdent aucune valeur intrinsèque. S'agissant du caractère inaliénable de l'or, les auteurs de l'initiative veulent avant tout empêcher la BNS de disposer de ces réserves à sa guise. C'est ainsi qu'en cas de crise, l'or ne serait pas disponible. Pour que les réserves puissent néanmoins être vendues ou utilisées à d'autres fins, le législateur devrait prendre les mesures correspondantes, dont une modification de la Constitution. Il existerait ainsi une base suffisante pour continuer à comptabiliser les réserves d'or au bilan.

Pour dissiper toute incertitude, l'évaluation des réserves d'or devrait, en cas d'acceptation de l'initiative, être clarifiée par une réglementation spéciale dans la LBN.

Le rapatriement des 300 tonnes d'or entreposées à l'étranger ainsi que leur stockage en Suisse sont parfaitement envisageables dans une perspective logistique et réalisables dans le délai transitoire requis de deux ans après l'acceptation de l'initiative.

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Cependant, ces transferts entraîneraient des coûts pour le transport et les mesures de sécurité. Le relèvement du niveau des réserves d'or et leur ajustement à la nouvelle structure du bilan devraient également être faisables dans le délai transitoire prévu. Il faudrait toutefois s'accommoder des restrictions, évoquées plus haut, à la conduite de la politique monétaire. En particulier, le haut niveau actuel des réserves monétaires nécessiterait des achats massifs d'or.

6

Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse

La politique monétaire implique le respect des obligations juridiques qui découlent des Statuts du Fonds monétaire international. Si l'art. IV des Statuts dispose que les Etats membres du FMI ont le droit d'avoir des régimes de change de leur choix, ce même art. IV, à la section 2, let. b, ch. i, impose le maintien pour la monnaie d'une valeur autre que l'or. Le texte de l'initiative ne prévoit pas un rattachement explicite du franc à l'or, si bien que l'initiative n'est pas en conflit avec les Statuts du FMI.

7

Conclusions

Le Conseil fédéral recommande de rejeter l'initiative. L'accepter détériorerait considérablement le cadre légal de la politique monétaire et de placement de la BNS. Sa liberté d'action dans la poursuite des objectifs de politique monétaire serait inutilement entravée, et ce, tant dans la mise en oeuvre de la politique monétaire traditionnelle que dans celle de mesures telles que l'imposition d'un cours plancher pour le franc. L'acceptation de l'initiative aurait aussi des incidences négatives sur la distribution du bénéfice de la BNS à la Confédération et aux cantons.

Conformément à la Constitution, la BNS mène la politique monétaire en sa qualité de banque centrale indépendante. Elle dispose dans l'accomplissement de sa mission de la liberté d'action requise. Cette liberté d'aménagement de la politique monétaire a fait ses preuves. Depuis la réorientation de l'ordre monétaire, la BNS a parfaitement rempli son mandat légal. L'acceptation de l'initiative restreindrait considérablement sa capacité d'action et rendrait nettement plus difficile l'exercice de sa mission, qui consiste à assurer la stabilité des prix et à favoriser une évolution stable de l'économie. Ces restrictions ne font pendant à aucun profit. Bien au contraire, accepter l'initiative mettrait la BNS en difficulté pour mener une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays et, même, dans certaines circonstances, l'empêcherait totalement de le faire.

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