Exécution de la législation sur le matériel de guerre: décisions du Conseil fédéral du 29 juin 2005 et réexportation d'obusiers blindés vers le Maroc Rapport de la Commission de gestion du Conseil national du 7 novembre 2006

2006-2883

1993

Liste des abréviations al.

art.

BO N CdG-N Cst.

DCA DDPS DFAE DFE DFF EAU FF let.

LFMG LParl mm no OMG ONU p.

p. ex.

RO RS s.

SECO ss

1994

alinéa article Bulletin officiel du Conseil national Commission de gestion du Conseil national Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101) Défense contre avions Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral de l'économie Département fédéral des finances Emirats arabes unis Feuille fédérale lettre Loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (RS 514.51) Loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l'Assemblée fédérale (RS 171.10) millimètre numéro Ordonnance du 25 février 1998 sur le matériel de guerre (RS 514.511) Organisation des Nations Unies page par exemple Recueil officiel Recueil systématique du droit fédéral suivante Secrétariat d'Etat à l'économie (DFE) suivantes

Rapport 1

Préambule

Suite aux quatre décisions prises par le Conseil fédéral en date du 29 juin 2005 relatives à l'exportation de matériel de guerre vers l'Irak, l'Inde, le Pakistan et la Corée du Sud1, le conseiller national Josef Lang a demandé à la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) de procéder à un examen de la situation. Dans sa requête du 1er juillet 2005, ce dernier met en doute la légalité des décisions du Conseil fédéral et demande à la CdG-N de la contrôler. Par courrier du 2 septembre 2005, il a élargi sa requête en chargeant la CdG-N de clarifier la question de la livraison présumée de 40 obusiers blindés M-109 au Maroc, alors que la Suisse les avait originellement vendu aux Emirats arabes unis (EAU).

Conformément à l'art. 169 de la Constitution fédérale (Cst.)2 et à l'art. 26 de la loi sur le Parlement (LParl)3, les Commissions de gestion exercent, sur mandat des Chambres fédérales, la haute surveillance sur la gestion du Conseil fédéral et de l'administration fédérale, des tribunaux fédéraux et des autres organes ou personnes auxquels sont confiées des tâches de la Confédération. Elles vérifient entre autres la légalité des activités des autorités (art. 26, al. 3, let. a, LParl). Les Commissions de gestion s'assurent au préalable que lesdites requêtes relèvent bel et bien de la haute surveillance parlementaire. En règle générale, lorsqu'elles identifient d'importantes lacunes dans la gestion des affaires des institutions surveillées, les Commissions de gestion entrent en matière.

Les décisions du Conseil fédéral précitées et la livraison par les EAU des obusiers blindés M-109 au Maroc touchent à l'exécution de la législation sur le matériel de guerre. Elles relèvent par conséquent de la compétence des Commissions de gestion.

En date du 24 août 2005, la CdG-N a dès lors décidé d'entrer en matière sur la requête du conseiller national Josef Lang et de confier son examen à sa souscommission DFF/DFE.

La sous-commission a traité la requête au cours de sept séances qui se sont déroulées entre le début du mois de septembre 2005 et le début du mois de novembre 2006.

Elle a notamment auditionné des représentants du Département fédéral de l'économie (DFE), du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) ainsi que du Département fédéral des affaires
étrangères (DFAE). Le chef du DFE s'est exprimé à deux reprises devant la sous-commission à propos des décisions controversées du Conseil fédéral. La nouvelle cheffe du DFE a eu l'occasion de s'exprimer mi-septembre 2006 sur la reprise des exportations de matériel de guerre vers les EAU.

1 2 3

Voir le communiqué de presse du Conseil fédéral du 29.6.2005.

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18.4.1999 (Cst.; RS 101).

Loi du 13.12.2002 sur l'Assemblée fédérale (LParl; RS 171.10).

1995

2

Objet de la requête

2.1

Décisions du Conseil fédéral

Les quatre décisions du Conseil fédéral se rapportaient, d'une part, à deux demandes préalables4 et, d'autre part, à une demande d'exportation de matériel de guerre et à une demande d'autorisation de courtage adressées à l'autorité d'autorisation compétente au sein du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO). Le SECO a présenté lesdites demandes au Conseil fédéral, qui, en date du 29 juin 2005, l'a autorisé à y répondre favorablement.

Ces demandes portaient sur les objets suivants: 1.

Autorisation pour l'exportation de 180 chars de grenadiers5 M-113 aux EAU, lesquels voulaient en faire don à l'Irak.

2.

Demande préalable pour une exportation vers l'Inde: octroi de licences pour la construction de canons de DCA de calibre 35mm et fourniture partielle des pièces détachées nécessaires à cet effet.

3.

Autorisation de courtage visant la livraison de 736 chars de grenadiers M-113 ainsi que de pièces de rechange vers le Pakistan. Ce matériel était destiné à être utilisé par les troupes pakistanaises à l'étranger lors d'interventions sous l'égide de l'ONU.

4.

Demande préalable pour une importation provisoire et réexportation de matériel de guerre vers la Corée du Sud à des fins de travaux d'entretien sur 50 à 100 ogives de missiles air-air de type «Sidewinder».

Les demandes préalables ne sont pas des requêtes formelles d'autorisation pour l'exportation. Jusqu'à présent, elles ont toutefois été traitées comme telles.

2.2

Remise de 40 obusiers blindés par les Emirats arabes unis au Maroc

Issus des surplus de l'armée suisse, 40 obusiers blindés M-109 ont été vendus en 2004 aux Emirats arabes unis (EAU) via la RUAG (entreprise d'armement de la Confédération) à la suite d'une procédure d'autorisation ordinaire. Les EAU se sont engagés, en signant une déclaration de non-réexportation, à garder ces obusiers sur leur territoire.

Au cours du printemps et de l'été 2005, des bruits ont couru selon lesquels les obusiers en question se trouvaient au Maroc (depuis plusieurs années, la Suisse n'autorise aucune exportation de matériel de guerre vers ce pays). D'autres rumeurs se sont également mises à circuler, selon lesquelles le DDPS aurait déjà disposé de renseignements sur une éventuelle livraison des obusiers blindés au Maroc alors même que la procédure d'autorisation n'était pas encore terminée. Les vérifications faites depuis démontrent que lesdits obusiers se trouvent bel et bien au Maroc.

4

5

Même si une demande préalable reçoit un préavis favorable, une demande d'autorisation pour l'exportation doit encore être déposée; ce n'est qu'alors que les autorités fédérales décident de l'autorisation définitive d'exportation de matériel de guerre.

Le char de grenadiers M-113 est parfois appelé véhicule de transport de troupes car il permet d'assurer des transports en toute sécurité.

1996

Dans sa requête, le conseiller national Lang a invité la CdG-N à examiner les rapports entre le SECO et le DDPS dans cette affaire ainsi que leurs rôles respectifs.

3

Appréciation juridique

3.1

Décisions du Conseil fédéral

3.1.1

Bases juridiques des autorisations

L'exportation de matériel de guerre est soumise à une obligation d'autorisation. Elle est réglementée par la loi sur le matériel de guerre (LFMG)6 ainsi que par l'ordonnance sur le matériel de guerre (OMG)7. Les demandes préalables ne sont pas prévues dans la législation sur le matériel de guerre; elles répondent toutefois à un besoin d'information des exportateurs potentiels et, dans la pratique, ont jusqu'à présent été traitées comme des demandes formelles d'autorisation pour l'exportation.

La législation sur le matériel de guerre poursuit plusieurs objectifs, lesquels doivent être pris en compte lors de l'octroi d'autorisations. L'art. 1 de la LFMG précise ainsi que les obligations internationales de la Suisse et ses principes en matière de politique étrangère doivent être respectés8, tout en permettant le maintien d'une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense dans le domaine de la production de matériel de guerre.

Quant à l'art. 22, il stipule que la fabrication, le courtage, l'exportation et le transit de matériel de guerre pour des destinataires à l'étranger sont autorisés lorsqu'ils ne contreviennent pas au droit international et ne sont pas contraires aux principes de la politique étrangère de la Suisse et à ses obligations internationales.

Conformément à l'art. 25, l'octroi d'autorisations est exclu lorsqu'ont été édictées des mesures de coercition fondées sur la loi du 22 mars 2002 sur les embargos9.

L'art. 5 de l'OMG précise de son côté les critères d'autorisation pour les marchés passés avec l'étranger et la transmission de droits de propriété intellectuelle. Doivent être pris en compte: «a. le maintien de la paix, de la sécurité internationale et de la stabilité régionale;

6 7 8

9

b.

la situation qui prévaut dans le pays de destination; il faut tenir compte notamment du respect des droits de l'homme et de la renonciation à utiliser des enfants-soldats;

c.

les efforts déployés par la Suisse dans le domaine de la coopération au développement;

d.

l'attitude du pays de destination envers la communauté internationale, notamment sous l'angle du respect du droit international public;

Loi fédérale du 13.12.1996 sur le matériel de guerre (LFMG; RS 514.51) Ordonnance du 25.2.1998 sur le matériel de guerre (OMG; RS 514.511) Ceux-ci s'appuient notamment sur l'art. 54 Cst. Voir aussi le rapport du Conseil fédéral du 15.11.2000 sur la politique extérieure 2000, Présence et coopération: la sauvegarde des intérêts dans un monde en cours d'intégration, FF 2001 237 (notamment p. 269 ss).

Loi fédérale du 22.3.2002 sur l'application de sanctions internationales (RS 946.231).

1997

e.

la conduite adoptée par les pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux régimes internationaux de contrôle des exportations.»

3.1.2

Arguments du Conseil fédéral

En raison de la diversité des contextes, l'appréciation des demandes controversées doit se faire séparément pour chaque cas, sur la base des critères juridiques. Dans la pratique, il faut notamment faire à cet égard la distinction entre le pays de destination, les destinataires effectifs et l'usage prévu.

EAU/Irak Le Conseil fédéral a justifié sa décision favorable en arguant du fait que les nouvelles forces de sécurité irakiennes devaient être équipées de moyens de protection appropriés afin de pouvoir remplir leurs missions et, partant, contribuer à stabiliser la situation en Irak.

De plus, le Conseil de sécurité de l'ONU a demandé aux Etats membres d'aider le gouvernement irakien à mettre en place des services efficaces de police, de surveillance des frontières et de protection des installations pour maintenir l'ordre et la sécurité publics (résolution no 1546 du 8 juin 2004). Aux yeux du Conseil fédéral, cette résolution jouait largement en faveur de l'autorisation d'exportation. Une telle exportation ne contrevenait donc en rien aux mesures d'embargo internationales. Le Conseil fédéral a toutefois exigé que lesdits chars de grenadiers ne soient pas détournés de leur utilisation première, soit les tâches de securité des services destinataires. Lorsqu'il a été manifeste que ces garanties ne pouvaient pas être fournies, le traitement du dossier a été suspendu.

Inde et Pakistan Suite aux essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, le Conseil fédéral a décidé, en juin 1998, qu'aucune demande d'exportation de matériel de guerre vers ces deux pays ne pourrait plus être autorisée. Par sa décision du 29 juin 2005, le Conseil fédéral a abrogé le traitement spécial appliqué aux deux pays et réintroduit la procédure régulière conformément à la législation en vigueur sur le matériel de guerre.

Dans la même décision, le Conseil fédéral a également autorisé la demande de courtage pour une exportation vers le Pakistan et la demande préalable touchant à l'Inde.

Le Conseil fédéral a pesé les intérêts en présence sur la base des critères juridiques existants. Ce faisant, il a constaté que les rapports entre les deux pays restaient très tendus et que le conflit du Cachemire n'était toujours pas résolu. D'un autre côté, les tensions entre les deux pays ont diminué et diverses mesures constructives ont été
prises pour rétablir la confiance.

Dans son appréciation, le Conseil fédéral s'est également demandé si la Suisse, en raison de sa neutralité, devait faire preuve d'une certaine retenue. Le fait que de nombreux pays européens autorisent à nouveau l'exportation de matériel de guerre vers ces deux pays a incontestablement joué en faveur d'une modification de la pratique, de même que la volonté de ne pas nuire à l'industrie suisse de l'armement.

1998

En ce qui concerne la demande préalable se rapportant à l'exportation de matériel de guerre vers l'Inde, le Conseil fédéral a tenu compte du fait qu'il s'agissait de canons de DCA, donc d'armes défensives.

Quant à sa réponse favorable à la demande d'autorisation de courtage portant sur l'exportation de chars de grenadiers vers le Pakistan, il l'a justifiée en affirmant que ceux-ci seraient exclusivement utilisés dans le cadre d'interventions des troupes pakistanaises à l'étranger sous l'égide de l'ONU et qu'ils permettraient d'améliorer la protection des troupes engagées. Le Pakistan met à la disposition de l'ONU l'un des plus importants contingents de soldats pour ses missions de maintien de la paix.

Etant elle-même membre de l'ONU, la Suisse se doit de soutenir ces dernières. Le fait que les chars de grenadiers en question ne renforcent pas l'armée pakistanaise en-dehors des engagements effectués pour le compte de l'ONU a joué un rôle déterminant dans la décision du Conseil fédéral. A cette occasion, le Pakistan a d'ailleurs fourni à la Suisse des garanties allant bien au-delà des conditions usuelles.

Il s'est par exemple engagé à conserver lesdits chars à l'écart du matériel de guerre régulier tout en assurant aux autorités suisses un droit de contrôle permanent sur place. Le chef du DFE a toutefois concédé que certains doutes étaient apparus à ce sujet après la décision du Conseil fédéral.

Corée du Sud Le Conseil fédéral a pris sa décision en considérant que la Corée du Sud ne menaçait ni la sécurité internationale ni la stabilité régionale, qu'elle avait une attitude constructive par rapport à la communauté internationale et que plusieurs pays livraient des pièces d'armement à ce pays (en particulier la Suède, qui est également membre de la Commission de supervision des Nations neutres en Corée [NNSC]). Comme pour l'Inde et le Pakistan, la question s'est également posée de savoir si la neutralité suisse empêchait de répondre favorablement à la demande préalable. Et la conclusion fût la même: le droit de la neutralité ne s'applique qu'en cas de conflit armé.

Or, les affrontements armés entre les deux Corées ont cessé depuis plus de 50 ans déjà.

Quant aux précédents refus des demandes d'exportation vers la Corée du Sud, le Conseil fédéral les avait justifiés en affirmant que de telles
exportations pouvaient éveiller des soupçons quant à l'impartialité et à la crédibilité des bons services de la Suisse dans la région. Au vu des arguments précités, il est toutefois parvenu en 2005 à une conclusion différente.

Le Conseil fédéral a en outre considéré que le maintien du savoir-faire spécifique de l'industrie suisse de l'armement constituait un argument supplémentaire jouant en faveur de la demande préalable. L'armée suisse utilisant les mêmes ogives, ce marché ne pouvait en effet que servir les intérêts de notre défense nationale (art. 1 LFMG).

3.1.3

Appréciation de la Commission de gestion

La CdG-N s'est contentée d'examiner la légalité et l'opportunité des décisions favorables du Conseil fédéral, laissant de côté la procédure d'autorisation des demandes.

1999

Dans l'intervalle, les deux autorisations concernant les EAU/l'Irak et le Pakistan sont devenues sans objet10. La demande de licence pour l'exportation vers l'Inde a été approuvée le 28 juillet 2005. Concernant l'importation temporaire de matériel de guerre en provenance de la Corée du Sud, aucune requête formelle n'a été déposée.

Dans l'optique de la haute surveillance parlementaire, la question de la légalité et de l'opportunité des décisions du Conseil fédéral restent toutefois d'une grande importance.

Considérations générales La législation suisse sur le matériel de guerre poursuit plusieurs objectifs, lesquels, selon la nature de la requête ou de la demande préalable, constituent autant de conditions qui peuvent ne pas toutes être remplies simultanément. Une opération d'exportation, même si elle sert les intérêts de l'industrie suisse de l'armement et de la défense nationale, pourrait se trouver en contradicition avec le droit international.

Or, la lettre de l'art. 22 LFMG est à cet égard explicite: seules peuvent être autorisées les demandes qui ne violent ni le droit international, ni les obligations internationales, ni les principes de la politique étrangère de la Suisse.

Les principes de la politique étrangère de la Suisse ont été définis par le Conseil fédéral dans son rapport 2000 sur la politique extérieure pour les années 2000 à 201011, sur la base de la Constitution fédérale12. Outre l'objectif suprême qui consiste à préserver son indépendance et sa prospérité, la Suisse poursuit cinq autres objectifs qui relèvent de la politique étrangère: -

coexistence pacifique des peuples ;

-

respect des droits de l'homme et promotion de la démocratie ;

-

préservation des ressources naturelles ;

-

sauvegarde des intérêts de l'économie suisse à l'étranger ;

-

soulagement des populations dans le besoin et lutte contre la pauvreté13.

L'art. 5 OMG concrétise les critères d'autorisation fixés dans l'art. 22 LFMG.

L'article en question cite cinq éléments d'appréciation non définitifs devant être «pris en considération» par les autorités d'autorisation14. Lesdites autorités ont ainsi une certaine marge de manoeuvre quant à la pondération des divers éléments 10 11

12 13

14

Les EAU ne sont plus intéressés par l'achat des 180 chars de grenadiers M-113. Quant à la livraison de 736 M-113 au Pakistan, elle n'a donné lieu à aucun contrat.

Rapport du Conseil fédéral du 15.11.2000 sur la politique extérieure 2000, Présence et coopération: la sauvegarde des intérêts dans un monde en cours d'intégration, FF 2001 237.

Préambule, art. 2, al. 1 à 4, 54, al. 2 et 101 Cst.

Rapport du Conseil fédéral du 15.11.2000 sur la politique extérieure 2000, Présence et coopération : la sauvegarde des intérêts dans un monde en cours d'intégration, FF 2001 237, p. 271.

Ces critères d'appréciation non définitifs faisaient originellement partie de l'art. 21 du projet de loi du Conseil fédéral du 15.2.1995 portant sur la révision de la loi fédérale sur le matériel de guerre (message du 15.2.1995 concernant l'initiative populaire «pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre» et la révision de la loi fédérale sur le matériel de guerre; FF 1995 II 988). Sur demande de la commission d'examen préalable du Conseil national, les critères d'appréciation ont été biffés du projet de LFMG. La requête de la conseillère nationale Haering Binder d'ancrer des critères d'exclusion clairs dans ladite loi a été refusée lors des délibérations au Conseil national (BO 1996 N 121 s.).

2000

d'appréciation. Ceci est aussi valable pour la relation entre ces cinq éléments d'appréciation et l'intérêt de conserver une capacité industrielle adaptée aux besoins de la défense nationale de notre pays. En d'autres termes, dans de tels cas, il faut peser les intérêts relevant non seulement de la politique étrangère mais également ceux de la politique de sécurité et de l'économie15.

S'agissant du respect des droits de l'homme, la pratique générale des unités administratives du DFAE impliquées dans l'autorisation des exportations de matériel de guerre est la suivante: lorsqu'un Etat pratique la torture systématique, applique la peine de mort pour les délits de peu de gravité ou étouffe systématiquement la liberté d'opinion, elles considèrent qu'il s'agit de violations systématiques des droits de l'homme qui font absolument obstacle à toute livraison de matériel de guerre16.

En revanche, lorsque lesdites violations sont non pas systématiques, mais régulières, l'appréciation des requêtes d'autorisation pour l'exportation est plus problématique.

Par le passé, le Conseil fédéral a déjà fait la distinction selon l'autorité de destination du pays, lorsqu'il était de notoriété publique que l'une des autorités de ce pays violait les droits de l'homme alors que rien ne pouvait être reproché à l'autorité effectivement destinataire du matériel de guerre.

Cette pratique est appliquée par les autorités suisses depuis plusieurs années déjà et a également été expliquée aux Commissions de gestion. Du point de vue de la CdG-N, le critère des droits de l'homme doit avoir plus de poids dans le futur, lorsque l'administration fédérale et le Conseil fédéral évalueront des demandes d'exportations de matériel de guerre. De plus, la commission estime que la distinction entre une violation des droits de l'homme systématique et une violation régulière n'est pas pertinente. La différenciation appliquée dans la pratique entre les différentes autorités d'un pays est également très problématique aux yeux de la CdG-N.

Recommandation 1 S'agissant des décisions du Conseil fédéral et de celles des unités administratives appelées à répondre aux demandes d'autorisation dans le cadre de la législation sur le matériel de guerre, la CdG-N invite le Conseil fédéral à accorder une plus grande importance à la situation en matière de
droits de l'homme dans le pays concerné, et à ne faire aucune différenciation dans ce domaine entre les différentes autorités d'un pays.

La question qui se pose est de savoir comment évaluer l'élément d'appréciation de la coopération au développement (art. 5, let. c, OMG). Dans le projet du Conseil fédéral de révision de la loi sur le matériel de guerre, le critère de la coopération au 15 16

FF 1995 II 1025.

Dans sa réponse à l'interpellation Jutzet «Exportation d'armes» (98.3098), le Conseil fédéral a résumé la pratique de la manière suivante: «Il convient toutefois de souligner que la situation des droits de l'homme ne représente pas le critère absolu pour autoriser un marché avec l'étranger ou au contraire l'interdire. L'art. 5 OMG dit que la situation des droits de l'homme doit être prise en compte. Dans la pratique admise jusqu'ici, cela signifiait que l'autorisation requise n'était pas accordée quand les droits de l'homme étaient gravement et systématiquement violés dans l'Etat de destination des exportations en question. Cette pratique a tout lieu de subsister avec l'entrée en vigueur de la nouvelle législation.»

2001

développement était prévu sous la forme de l'actuel art. 5, let. c, OMG17. Le message du Conseil fédéral du 15 février 1995 s'y rapportant précise que le critère en question a été repris de la loi fédérale du 30 juin 1972 sur le matériel de guerre18 (art. 11, al. 1, let. b)19. Cette disposition prévoyait de n'accorder en règle générale l'autorisation d'exportation que si la livraison de matériel de guerre n'entravait pas les efforts de coopération au développement. La mise en relation de ces deux éléments est judicieuse.

La procédure d'autorisation tient compte de cette conception de la loi sur le matériel de guerre dans la mesure où le SECO n'est pas seul responsable de l'autorisation et doit demander l'accord du DFAE (art. 14, al. 2, OMG). Si des intérêts de politique de sécurité ou d'armement sont en jeu, il faut en outre demander l'autorisation des services compétents du DDPS (art. 14, al. 2, let. a, OMG).

Eu égard au pouvoir d'appréciation que laisse le domaine de l'exportation de matériel de guerre et à son caractère sensible, il est également judicieux de soumettre la requête au Conseil fédéral lorsque lesdits services ne sont pas unanimes (art. 14, al. 4, OMG). La disposition de l'art. 29, al. 2, LFMG, qui précise qu'il revient au Conseil fédéral de statuer sur les demandes dont la portée sur le plan de la politique extérieure ou de la politique de sécurité est considérable, doit également être vue dans la même optique. Dans son message du 15 février 1995 concernant la révision de la loi fédérale sur le matériel de guerre, le Conseil fédéral rappelait déjà que l'octroi d'une autorisation ne devait pas être réduit à un problème juridique. En fin de compte, il s'agit, sauf dans les affaires de faible portée, d'une décision politique qui doit être prise après pondération des intérêts en présence20. La loi actuelle sur le matériel de guerre est d'ailleurs conçue en ce sens. Or, lorsque le Parlement a pris sa décision concernant l'article correspondant du projet de révision, il était conscient de cette conception21.

Il n'est pas possible non plus de délivrer une autorisation si celle-ci viole la loi sur les embargos, comme le rappelle l'art. 25 LFMG. Au moment des décisions du Conseil fédéral, aucune mesure de ce genre n'avait été prise à l'encontre des Etats de destination concernés, de
telle sorte qu'une violation de la loi sur les embargos par les décisions du Conseil fédéral du 29 juin 2005 peut être exclue.

En revanche, pour chacune des quatre décisions du Conseil fédéral se pose la question de savoir s'il y a eu violation du droit international, des obligations internationales ou des principes de la politique étrangère suisse.

Irak La CdG-N n'a rien constaté qui puisse laisser penser que le droit international ou les obligations internationales de la Suisse aient été violés. Le Conseil fédéral fonde sa décision sur la résolution no 1546 du Conseil de sécurité de l'ONU du 8 juin 2004,

17 18 19 20 21

Voir FF 1995 II 1060.

RO 1973 108.

Voir FF 1995 II 1039.

FF 1995 II 1025.

Voir le message du Conseil fédéral, FF 1995 II 1025 ss et aussi BO 1996 N 120 ss.

2002

laquelle invite les Etats membres à soutenir les autorités irakiennes22. En sa qualité de membre de l'ONU, la Suisse se doit, dans la mesure du possible, d'appliquer cette résolution. Le Conseil fédéral a également estimé que le fait de répondre favorablement à la demande d'exportation contribuait à renforcer la paix ainsi que la stabilité régionale conformément à l'art. 5, let. a, OMG. De ce point de vue, on peut dire que cette décision ne contrevient pas aux lignes directrices et objectifs de la Suisse en matière de politique étrangère, tels qu'ils ont été présentés dans le rapport du Conseil fédéral sur la politique extérieure 2000.

La résolution de l'ONU a été prise en 2004. Pourtant, le Conseil fédéral a décidé à l'époque d'exclure les exportations de matériel de guerre vers l'Irak, comme il l'a indiqué dans un rapport confidentiel destiné aux Commissions de gestion sur les détails de l'exportation de matériel de guerre en l'an 200023. Ses arguments concernaient notamment la mauvaise situation en matière de sécurité et le respect insuffisant des droits de l'homme. De l'avis de la CdG-N, cette situation n'a guère évolué depuis.

En date du 30 janvier 2005, une assemblée nationale irakienne a été élue par le peuple irakien, avec pour tâche d'élaborer un projet de constitution avant l'été 2005.

Lorsqu'il a pris sa décision, le Conseil fédéral le savait: les premières élections législatives (durée du mandat parlementaire: quatre ans) devaient se dérouler à mi-décembre 2005. Le renforcement des structures étatiques démocratiques jouait certainement en faveur de la demande d'exportation. Avec des structures démocratiques plus ou moins stables, la livraison des chars de grenadiers aux forces de sécurité irakiennes aurait pu contribuer à améliorer la situation en matière de sécurité.

Il n'en reste pas moins que le matériel de guerre suisse ne devrait pas servir à violer les droits de l'homme. Dès lors, le Conseil fédéral aurait dû, avant de délivrer l'autorisation d'exporter du matériel de guerre, disposer d'assurances que les forces de sécurité irakiennes utiliseraient les chars de grenadiers exclusivement pour assurer leur protection dans l'exercice de leurs fonctions comme elles ont été définies par la résolution de l'ONU24. C'est également en ce sens que s'est exprimé le chef du DFE devant la
CdG-N. La déclaration sur l'utilisateur final n'étant pas encore en accord avec la résolution de l'ONU, le SECO n'a pas émis l'autorisation. A ce sujet, plusieurs questions sont réstées sans réponse, ce qui a incité le Conseil fédéral, sur proposition du chef du DFE, à suspendre l'autorisation le 24 août 2005. La CdG-N reconnaît certes au Conseil fédéral d'être resté dans la marge d'appréciation qui lui est accordée par la loi, mais estime qu'il n'aurait pas dû approuver la demande d'autorisation. Selon la commission, vu la situation, en particulier en ce qui concerne la réorganisation démocratique des structures étatiques, les possibilités de contrôle des autorités irakiennes vis-à-vis de leurs services de sécurité, la conformité

22

23 24

La résolution souligne «combien il est important de mettre en place des services irakiens efficaces de police, de surveillance des frontières et de protection des installations, sous l'autorité du Ministère de l'intérieur irakien et, dans le cas du service de la protection des installations, d'autres ministères irakiens, afin de maintenir la légalité, l'ordre et la sécurité, y compris pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme»; voir le chiffre 16 de la résolution.

Le rapport a été finalisé durant le premier trimestre de l'année 2005 et présenté aux Commissions de gestion le 27 avril de la même année.

Voir note de bas de page 20.

2003

aux droits de l'homme de l'action des forces de sécurité et les assurances fournies, il n'était pas opportun d'approuver la demande.

Inde Pour évaluer les arguments qui ont poussé le Conseil fédéral à abroger l'interdiction générale d'exportation ainsi qu'à répondre favorablement à la demande préalable d'octroi de licence et de livraison de pièces détachées pour l'Inde, la CdG-N a étudié les raisons invoquées par ce même Conseil fédéral entre 2000 et 2004 pour refuser de telles exportations, dans ses rapports annuels sur l'exportation de matériel de guerre destinés aux Commissions de gestion. Ce faisant, la commission a constaté que tous ces rapports considéraient que les essais nucléaires de l'Inde et le fait que cette dernière s'autoproclame puissance nucléaire et ne souscrive dès lors ni au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires25 ni à celui sur l'interdiction complète des essais nucléaires26 constituaient des raisons suffisantes pour prononcer une interdiction d'exportation. Les autres raisons invoquées étaient le conflit non résolu du Cachemire avec le Pakistan, lequel continuait à fréquemment dégénérer en affrontements militaires et entraînait parfois des débordements des forces de l'ordre ainsi que des violations des droits de l'homme. Enfin, le fait que l'Inde constituait un pays-clef de la coopération suisse au développement a lui aussi influé sur le refus du Conseil fédéral d'autoriser l'exportation de matériel de guerre.

La raison principale ayant poussé le Conseil fédéral à annuler l'interdiction globale d'exportation était que les pays tiers étaient de plus en plus nombreux à reprendre leurs livraisons de matériel de guerre vers l'Inde et que, dès lors, il n'y avait pas de raison que la Suisse soit le seul pays à ne pas livrer du matériel de guerre. Conformément à l'art. 5, let. e, OMG, la conduite adoptée par les autres pays constitue un critère d'appréciation prévu par le droit. Toutefois, ni l'Inde ni le Pakistan n'ont jusqu'à présent adhéré au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ou au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Bien que l'interdiction générale d'exportation prononcée par le Conseil fédéral doive assurément être considérée à la lumière des réactions de l'époque de la communauté internationale face aux essais nucléaires
effectués par l'Inde et le Pakistan, il est hautement regrettable, eu égard à la non-adhésion de ces deux pays aux traités mentionnés, que le Conseil fédéral ait décidé à présent de lever l'interdiction d'exportation. Même si les décisions du Conseil fédéral (arrêté et suppression de l'interdiction d'exportation) peuvent paraître cohérentes à la lumière de l'art. 5, let. e, OMG, la CdG-N est d'avis, au vu des lettres a et d du même article (maintien de la paix, de la sécurité internationale et de la stabilité régionale/attitude du pays de destination envers la communauté internationale), que la levée de l'interdiction constitue une décision critiquable.

Les exportations de matériel de guerre vers l'Inde ou le Pakistan sont dès lors à nouveau soumises à la procédure ordinaire d'autorisation telle qu'elle est prévue par la législation suisse sur le matériel de guerre. Les demandes d'autorisation doivent donc être traitées individuellement et évaluées sur la base des critères donnés. Pour ce qui est de la demande préalable approuvée à la fin juin 2005, la question se pose 25 26

Traité du 1.7.1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires (RS 0.515.03).

Le Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires (en anglais: Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty, CTBT) est un traité international qui n'est pas encore entré en vigueur sur l'interdiction complète des essais nucléaires. Il a été élaboré par la Conférence du Désarmement à Genève et ratifié par l'Assemblée générale de l'ONU le 14.9.1996.

2004

donc de savoir si la situation en Inde relativement au conflit du Cachemire, la situation des droits de l'homme et la coopération suisse au développement ont sensiblement évolué depuis 2004. Lors de l'audition par la CdG-N de représentants du DFAE, ces derniers ont confirmé que les tensions entre le Pakistan et l'Inde avaient nettement diminué depuis 1998. Dans les avis qu'ils ont émis relativement aux demandes préalables, les services compétents du DFAE ont toutefois souligné que, malgré les progrès réalisés, le conflit du Cachemire perdurait et que la situation restait instable.

Plusieurs organisations internationales renommées telles que le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés ou Human Rights Watch estiment qu'en 2005, les forces de sécurité indiennes ont commis des violations graves et répétées des droits de l'homme au Cachemire et dans le nord du pays27. La situation ne semble pas s'être améliorée, du moins dans ces régions. La demande préalable approuvée par le Conseil fédéral portait toutefois sur l'octroi d'une licence pour la construction de canons DCA de 35 mm et la livraison partielle de pièces détachées nécessaires à cet effet. Selon le chef du DFE, le fait qu'il s'agisse d'armes défensives a joué en faveur de la demande préalable. La loi fédérale sur le matériel de guerre ne fait toutefois pas de distinction entre les armes offensives et défensives. Or, pour le Conseil fédéral, ce constat constituait déjà un élément d'appréciation pour le traitement des demandes d'autorisation lors de la présentation du projet de révision de la loi sur le matériel de guerre28. Du point de vue de la CdG-N, les canons de DCA ne peuvent pas être utilisés en Inde pour commettre les violations précitées des droits de l'homme.

La commission considère donc en l'occurrence que du point de vue juridique, rien ne s'opposait à l'approbation de la demande préalable. Néanmoins, la CdG-N estime que la décision du Conseil fédéral est problématique au regard des points mentionnés ci-dessus concernant la situation en Inde.

Pakistan S'agissant de la levée de l'interdiction générale d'exportation vers le Pakistan, il est référé aux considérations relatives à l'Inde.

Entre 2000 et 2004, dans ses rapports consacrés aux exportations de matériel de guerre et adréssés aux Commissions de gestion, le Conseil fédéral
a toujours justifié son refus d'autoriser l'exportation de matériel de guerre au Pakistan en invoquant la question des armes nucléaires. Comme pour l'Inde, il a également cité régulièrement le conflit non résolu au Cachemire et les tensions ainsi que les menaces pour la stabilité régionale qui en découlaient, la mauvaise situation des droits de l'homme ainsi que la coopération au développement de la Suisse au Pakistan.

Comme il a déjà été dit plus haut, la tension entre le Pakistan et l'Inde a considérablement diminué depuis 1998. Toutefois, les services compétents du DFAE précisent qu'en dépit des progrès réalisés, le conflit du Cachemire perdure et que la situation reste donc instable. La situation des droits de l'homme au Pakistan est considérée comme mauvaise par des organisations non gouvernementales, une

27

28

Voir http://www.unhcr.org/cgibin/texis/vtx/home/opendoc.htm?tbl=RSDCOI&page=research&id=3ae6a6760 et http://hrw.org/english/docs/2006/01/18/india12272.htm.

Voir FF 1995 II 1025.

2005

situation à laquelle contribuent certains acteurs étatiques. Quant au respect de la légalité, elle laisserait elle aussi à désirer29.

Dans le cadre de la coopération au développement au Pakistan, la Suisse poursuit des objectifs à long terme, la priorité revenant à la lutte contre la pauvreté et au soutien des populations particulièrement vulnérables.

Du point de vue de la CdG-N, l'appréciation globale de la situation au Pakistan dans les trois domaines en question parle en défaveur d'une exportation de matériel de guerre vers ce pays.

Contrairement à ce qui était le cas pour l'Inde, la décision du Conseil fédéral de livrer au Pakistan 736 chars de grenadiers ainsi que des pièces de rechange ne portait pas sur du matériel de guerre pour les troupes régulières, mais exclusivement sur du matériel de guerre pour les engagements de l'armée pakistanaise à l'étranger en faveur de l'ONU. Le Pakistan avait en outre certifié à la Suisse qu'il n'utiliserait ces chars de grenadiers qu'à cette fin et qu'il ne les réexporterait pas. Les chars en question devaient être entreposés à Taxila (Pakistan) et la Suisse aurait pu y avoir accès à tout moment. De ce fait, le Conseil fédéral a répondu favorablement à la demande de courtage, y voyant une contribution au maintien de la paix, de la sécurité internationale et de la stabilité régionale au sens de l'art. 5, let. a, OMG. En d'autres termes, le Conseil fédéral a accordé une très forte importance à cet élément d'appréciation et l'a traité de manière prioritaire.

La CdG-N a toutefois exprimé des craintes quant à l'effet d'une telle livraison de chars de grenadiers. En effet, même si leur usage exclusif pour des engagements de l'ONU pouvait être garanti, il n'est pas impossible que ces chars constituent malgré tout un renforcement du moins indirect des troupes régulières, en permettant au Pakistan de ne pas mettre au service d'actions de l'ONU du matériel de guerre déjà en sa possession.

Compte tenu du possible renforcement indirect des troupes régulières et des problèmes liés à l'assurance d'une utilisation limitée, la CdG-N est d'avis que le Conseil fédéral n'aurait pas dû autoriser la demande de courtage. La décision relève toutefois du pouvoir d'appréciation du Conseil fédéral, tel que cela est prévu par la législation sur le matériel de guerre.

Corée du
Sud La demande préalable concernait une requête d'importation provisoire suivie d'une réexportation de matériel de guerre conformément à l'art. 12, lettres c et d, LFMG.

Les requêtes de ce type sont traitées comme des demandes d'autorisation pour l'exportation de matériel de guerre (art. 21 LFMG).

Que ce soit dans les rapports du Conseil fédéral sur le matériel de guerre (livrés entre 2000 et 2004) ou dans sa réponse du 18 mai 2005 à l'interpellation 05.308530, les raisons invoquées jouent en défaveur d'une autorisation d'exportation de matériel de guerre vers la Corée du Sud. Parmi ces raisons, on retrouve notamment le fait que les deux Corées sont toujours formellement en guerre et qu'il existe une forte concentration d'armes dans la région. A cela s'ajoute la politique de paix activement 29 30

Voir p. ex. l'appréciation de l'organisation Human Rights Watch (http://hrw.org/english/docs/2006/01/18/pakist12254_txt.htm).

Interpellation 05.3085 «Matériel de guerre à destination de la Corée du Sud» déposée par le conseiller national Paul Günter le 16.3.2005.

2006

menée par la Suisse depuis 1953 sur la presqu'île coréenne31. Dans son rapport 2004 sur le matériel de guerre, le Conseil fédéral précisait: «Une fourniture de matériel de guerre ne manquerait pas, dans ces conditions, de faire douter de l'impartialité et de la crédibilité de l'engagement et des bons offices de la Suisse dans la région.»32. Le représentant du DFAE a confirmé cette position de refus lors de la séance des Commissions de gestion consacrée au rapport 2004 du Conseil fédéral sur le matériel de guerre, qui a eu lieu le 27 avril 2005.

En 2002, une demande préalable portant sur un objet similaire aux ogives «Sidewinder» en question, à savoir la transformation (amélioration) et la réparation de missiles TOW33, a été refusée par le SECO et le DFAE.

En répondant favorablement à la demande préalable à la fin du mois de juin 2005, le Conseil fédéral s'est écarté d'une pratique longue de plusieurs années. Jusqu'à la fin de l'année 2004, il estimait que la situation dans la région était encore tendue et instable, en raison de la forte concentration en armes lourdes sur la presqu'île coréenne. Quelques mois plus tard, il soulignait l'attitude constructive de la Corée du Sud vis-à-vis de la communauté internationale et estimait que la conduite de ce pays ne constituait pas une menace pour la stabilité régionale.

Bien que le Conseil fédéral ait catégoriquement exclu d'autoriser des exportations de matériel de guerre vers la Corée du Sud entre 2000 et la mi-mai 2005, invoquant notamment les problèmes que cela poserait pour l'impartialité de la Suisse, il a radicalement changé de pratique à fin juin 2005 en décidant d'approuver la demande préalable en question. N'invoquant pas l'argument de la politique de neutralité, le Conseil fédéral met en évidence le fait que, le droit de neutralité ne s'appliquant qu'en cas de conflit armé, il ne permettait pas en l'occurrence de légitimer un refus d'exporter34 ­ alors même que les deux pays continuaient comme par le passé d'être officiellement en guerre.

Enfin, lors de cette demande préalable, l'intérêt lié au maintien en Suisse d'une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense (art. 1 LFMG) a primé sur les considérations relevant de la politique de neutralité. Cette décision a toutefois également été influencée par l'attitude d'autres pays en
matière d'exportation ainsi que par la nature de ce marché (importation provisoire à des fins de travaux d'entretien).

La CdG-N a étudié la question de savoir si une telle autorisation violait les principes de la politique étrangère de la Suisse. La politique de neutralité appartient sans aucun doute auxdits principes.

Du point de vue juridique, il convient de souligner ici aussi que le Conseil fédéral a agi dans le cadre de la marge de manoeuvre que lui accorde la loi. Cependant, eu égard aux efforts de paix actifs et durables entrepris par la Suisse dans la région, la CdG-N considère que la décision du Conseil fédéral était une erreur. Elle se trouve 31

32 33 34

«Eu égard au fait que la Corée du Nord et la Corée du Sud n'ont pas encore signé de traité de paix et vu le rôle spécifique de la Suisse en tant que membre de la Commission neutre de surveillance (NNSC), le Conseil fédéral entend poursuivre la politique de nonexportation de matériel de guerre vers la Corée du Sud (quand bien même de nombreux pays participant au même régime de contrôle international des exportations ont depuis longtemps cessé d'appliquer cette politique)».

Rapport du Conseil fédéral aux Commissions de gestion sur le détail des exportations de matériel de guerre en 2004, p. 16 (non publié).

Tube-launched, optically tracked, wire-guided missiles = fusées pouvant être utilisées contre des véhicules blindés Voir le communiqué de presse du Conseil fédéral du 29.6.2005.

2007

d'ailleurs confortée dans son jugement par les essais nucléaires auxquels a procédé la Corée du Nord en octobre 2006.

Recommandation 2 La CdG-N invite le Conseil fédéral à motiver précisément son changement d'attitude en ce qui concerne les autorisations d'exportation de matériel de guerre vers la Corée du Sud, et à définir clairement selon quels critères il est tenu compte de la politique de neutralité lors de l'octroi des autorisations.

3.2

Livraison d'obusiers blindés aux EAU et remise au Maroc

Certains aspects liés aux événements entourant la livraison de 40 obusiers blindés M-109 aux EAU et leur remise au Maroc ont déjà été clarifiés lors de l'enquête effectuée par la CdG-N concernant le réseau des attachés de défense35. Au cours de ses travaux, la CdG-N a en effet constaté qu'il existait au sein du DDPS des indices laissant à penser que les EAU envisageaient de mettre les M-109 à la disposition éventuelle de l'armée marocaine à des fins d'instruction avant même que le SECO ne délivre l'autorisation d'exportation des obusiers aux EAU. Par la suite, la RUAG est intervenue auprès des autorités des EAU pour les rendre attentives à l'obligation de non-réexportation. Malgré l'intervention de la RUAG, les EAU ont maintenu leur intérêt à acquérir ces obusiers et ont signé une déclaration de non-réexportation. Le DDPS en a tiré la conclusion que les EAU voulaient acquérir les obusiers blindés pour leurs propres forces armées et qu'ils n'avaient pas l'intention de les remettre à un autre pays. Autorité d'autorisation de la vente des obusiers, le DFE n'a été informé qu'à la fin du mois de mars 2005 sur les indices laissant à penser que les EAU avaient initialement envisagé de mettre à disposition les obusiers blindés au Maroc.

Le DFE n'a ainsi pas pu tenir compte de ces informations lors du traitement de la demande d'exportation36.

Les analyses effectuées par la CdG-N ont confirmé que les informations n'avaient pas été communiquées par le DDPS au DFE. La CdG-N est d'avis que de telles situations ne doivent pas survenir et que la collaboration entre le DDPS et le DFE dans de telles affaires doit être réglée de manière claire. Concernant le rôle joué par la RUAG dans cette affaire, la CdG-N s'est basée sur les informations fournies par le DFE et le DDPS. En revanche, une nouvelle information, communiquée le 3 juillet 2006 par le Conseil fédéral, n'a pas pu être examinée par la commission.

Dans un communiqué, le Conseil fédéral annonçait que, d'après les EAU, la RUAG était au courant de l'exportation des obusiers blindés vers le Maroc. Le Conseil fédéral indiquait également qu'il allait examiner le rôle de la RUAG dans cette affaire. La CdG-N a demandé au Conseil fédéral à être informée sur le résultat de cette enquête.

35 36

Rapport de la Commission de gestion du Conseil national sur le système des attachés de défense du 23.5.2006 (http://www.parlement.ch).

Dito p. 16 s.

2008

Lors de son enquête, la CdG-N a en outre constaté qu'au moment de l'autorisation, le SECO ne disposait d'aucune information qui aurait pu lui faire penser que les EAU voulaient mettre les obusiers blindés à la disposition du Maroc. Il était également en possession d'une déclaration de non-réexportation des EAU, qui, aux yeux des autorités suisses, excluait toute remise ultérieure des obusiers37. Les critères d'appréciation déterminants dans le cadre de la procédure d'autorisation (art. 1, 22 et 25 LFMG et art. 5 OMG) ne faisaient en outre pas obstacle à l'autorisation d'exportation. D'après la CdG-N, l'octroi de l'autorisation d'exportation à ce moment par le SECO était conforme au droit. Les autorités concernées auraient toutefois pu se demander si l'acquisition de matériel de guerre usagé de ce type était véritablement cohérent avec la structure et la stratégie des forces militaires des EAU ainsi qu'avec leur considérable pouvoir financier. La CdG-N est convaincue que le Service de renseignement stratégique devrait être consulté dans des cas de ce genre.

Lorsque des rumeurs sont apparues selon lesquelles les obusiers blindés avaient été livrés au Maroc, le SECO est intervenu à plusieurs reprises auprès des autorités compétentes des EAU. Il s'avéra par la suite que les EAU ne considéraient pas que la mise à disposition des obusiers blindés à des fins d'entraînement constituait une violation de la déclaration de non-réexportation, du moins pas tant que lesdits obusiers restaient en leur possession. Le SECO a toutefois continué ses efforts en vue d'obtenir le rapatriement aux EAU des obusiers. La CdG-N a salué ces démarches.

Fin mai 2006, les EAU ont informé le chef du DDPS par courrier qu'ils avaient offert les obusiers blindés au Maroc, considérant que l'autorisation d'exportation des Etats-Unis ­ le pays de production des obusiers blindés ­ constituait une base suffisante pour l'exportation au Maroc.38 Dans ce même courrier, les EAU regrettent leur erreur d'interprétation et s'excusent pour les désagréments causés à la Suisse. Le Conseil fédéral a communiqué ces informations le 3 juillet 2006. Du point de vue de la CdG-N, l'exportation au Maroc des obusiers blindés viole la déclaration de nonréexportation des EAU. Cependant, au vu des excuses présentées par les EAU et du renforcement des mesures
décidé en mars 2006 par le Conseil fédéral, la commission est d'avis que de telles violations des déclarations de non-réexportation ne devraient plus se reproduire. En cas de violation de déclarations de non-réexportation, il conviendra de tirer des conséquences. La CdG-N est notamment d'avis qu'aucune demande d'exportation de matériel de guerre dans le pays concerné ne devra être approuvée pendant un certain temps.

D'une manière générale, la CdG-N constate que le Conseil fédéral est conscient du problème et elle salue sa décision de préciser le texte des déclarations de nonréexportation et de renforcer les contrôles sur place39.

37 38 39

Au sens de l'art. 18 de la LFMG.

Voir Communiqué de presse du Conseil fédéral du 3.7.2006 Décision du Conseil fédéral du 10.3.2006.

2009

Recommandation 3 La CdG-N invite le Conseil fédéral à tirer des conséquences si un pays ne respecte pas les déclarations de non-réexportation.

4

Conclusions

La législation suisse sur le matériel de guerre poursuit des objectifs variés qui, dans certains cas concrets, peuvent entrer en conflit les uns avec les autres. Elle veut donc délibérément pouvoir réagir de manière flexible aux demandes d'autorisation pour l'exportation de matériel de guerre. La LFMG accorde dès lors au Conseil fédéral et à l'administration fédérale une latitude importante pour ce qui est de l'appréciation des demandes d'exportation de matériel de guerre. Dans l'OMG, le Conseil fédéral a concrétisé les éléments d'appréciation tout en fixant les procédures devant garantir que toutes les autorités concernées de l'administration fédérale soient consultées dans le cadre de la procédure d'autorisation et que le Conseil fédéral lui-même soit appelé à décider en l'absence d'unanimité ou lorsque la demande revêt une portée majeure en termes de politique extérieure ou de politique de sécurité. Ce dernier point est prévu par l'art. 29, al. 2, LFMG. Dans un tel contexte juridique, la CdG-N est arrivée à la conclusion que les décisions du Conseil fédéral concernant les deux demandes préalables, la demande d'exportation et la demande de courtage n'ont violé aucune disposition légale. Une restriction de la marge de manoeuvre du Conseil fédéral et des unités administratives compétentes ne saurait être imposée sans révision de la base légale.

Par contre, elle critique le poids donné aux differents critères d'appréciation. Cette ponderation est en fin de compte aussi une appréciation politique. Suite à ses décisions du 29 juin 2005, au débat public qui en a découlé ainsi qu'aux événements qui ont entouré la livraison aux EAU des obusiers blindés, le Conseil fédéral a mis sur pied un groupe de travail interdépartemental et l'a chargé de vérifier la procédure d'autorisation et plus particulièrement l'outil de la déclaration de non-réexportation.

En date du 10 mars 2006, le Conseil fédéral a pris connaissance du rapport du groupe de travail interdépartemental40. Ensuite, il a fixé les principes suivants en matière d'utilisation du matériel de guerre excédentaire:

40

­

En premier lieu, le matériel de guerre excédentaire sera prioritairement revendu au pays d'origine ou remis à celui-ci à titre gratuit et sans restriction.

­

En deuxième lieu, et avec l'aval du pays d'origine, le matériel de guerre sera revendu, après fourniture d'une déclaration de non-réexportation, à des pays qui, au même titre que la Suisse, appartiennent à l'ensemble des régimes internationaux de contrôle des exportations.

­

En dernier lieu, le matériel de guerre sera stocké ou mis en valeur en Suisse.

Rapport du 22.12.2005 du groupe de travail interdépartemental (GTI) sur les compétences et procédures en matière de traitement des exportations de matériel de guerre (www.evd.admin.ch/imperia/md/content/rapports/matdeguerre/bericht_kriegsmaterial_f_.

pdf).

2010

A l'avenir, les déclarations de non-réexportation devront également exclure le prêt et les donations. De plus, il y aura lieu de s'assurer que le gouvernement du pays d'importation considère que la déclaration possède effectivement un caractère contraignant. Le Conseil fédéral a invité les services impliqués à renforcer leur collaboration afin de mieux contrôler le respect des déclarations de non-réexportation. A l'avenir, le Conseil fédéral se bornera à statuer sur des demandes d'exportation concrètes et ne se prononcera plus, comme par le passé, sur les demandes préalables visant à évaluer les chances de succès d'une demande d'exportation. Le Conseil fédéral a en outre demandé au DFE d'étudier, dans le cadre de la modification prévue de l'ordonnance sur le matériel de guerre, la possibilité de préciser les critères applicables à l'octroi d'une autorisation d'exportation.

Sur le principe, la CdG-N salue les décisions du Conseil fédéral portant sur une pratique plus restrictive quant à l'octroi des autorisations. Ces décisions permettent de résoudre en partie la problématique de l'utilisation du matériel de guerre excédentaire. Cependant, la CdG-N estime que la remise du matériel de guerre obsolète au pays d'origine est problématique, la Suisse n'ayant après plus de contrôle sur l'utilisation de ce matériel de guerre. La CdG-N est également d'avis que les critères d'appréciation des demandes d'exportation de matériel de guerre doivent être précisés. Ceci devra permettre d'éviter que l'octroi d'autorisations dans le domaine de la législation sur le matériel de guerre ne nuise à la réputation de la Suisse à l'étranger.

Recommandation 4 La CdG-N invite le Conseil fédéral à mettre en valeur le matériel de guerre excédentaire prioritairement en Suisse. Un renvoi au pays d'origine est à envisager uniquement si l'on est en droit de penser que ce pays ne transférera pas le matériel qui lui est rendu.

Recommandation 5 La CdG-N invite le Conseil fédéral à préciser les critères qui sont applicables à l'octroi des autorisations d'exportation, en tenant compte à la fois de la recommandation 1 du présent rapport (meilleure prise en considération de la situation en matière de droits de l'homme) et de ses constatations concernant les autres autorisations.

2011

Il est également important pour la CdG-N de régler clairement la collaboration entre toutes les unités administratives possédant des informations pertinentes pour l'appréciation des demandes d'autorisation. Quant aux améliorations de l'outil de la déclaration de non-réexportation, elles constituent également une mesure judicieuse.

La CdG-N invite le Conseil fédéral à prendre position, d'ici à fin février 2007, sur le présent rapport et sur les conclusions qu'il contient.

7 novembre 2006

Au nom de la Commission de gestion du Conseil national Le vice-président: Pierre-François Veillon, conseiller national Le secrétaire des Commissions de gestion: Philippe Schwab La présidente de la sous-commission DFF/DFE: Brigitta M. Gadient, conseillère nationale Le secrétaire de la sous-commission DFF/DFE: Christoph Albrecht

2012