ad 04.457 Initiative parlementaire Limitation de la pratique Dumont Rapport du 3 septembre 2007 de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national Avis du Conseil Fédéral du 7 novembre 2007

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement, nous exprimons ci-après notre avis sur le rapport de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national du 3 septembre 2007 relatif à la limitation de la pratique Dumont.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

7 novembre 2007

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération: Micheline Calmy-Rey La chancelière de la Confédération: Annemarie Huber-Hotz

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Avis 1

Contexte

Le 4 octobre 2004, le Conseiller national Philipp Müller a déposé une initiative parlementaire demandant en substance que les limitations suivantes soient apportées à la pratique Dumont.

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La loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD; RS 642.11) doit être modifiée de telle sorte que la durée pendant laquelle l'acquéreur d'un immeuble négligé n'a pas le droit de déduire de son revenu les frais de rénovation soit réduit de 5 ans après l'acquisition à 2 ans.

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Un immeuble est réputé avoir été négligé lorsque le prix des travaux de remise en état dépasse 20 % du prix d'achat durant les deux premières années.

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La loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14) est modifiée de telle sorte que ces mêmes réglementations s'appliquent aux impôts cantonaux sur le revenu.

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Les cantons ont la possibilité d'appliquer ou non la pratique Dumont.

Les Commissions de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) et du Conseil des Etats (CER-E) ont décidé de donner suite à l'initiative le 9 mai 2005, pour la première, et le 16 août 2005, pour la seconde. Elles ont ensuite chargé l'administration d'élaborer un projet de loi respectant deux principes: ­

La pratique Dumont est abrogée à l'échelon de la Confédération.

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Les cantons peuvent décider librement d'appliquer ou non la pratique Dumont aux impôts cantonaux sur le revenu.

Se fondant sur le rapport adopté le 20 février 2007 et le projet de loi s'y rapportant, la CER-N a décidé de mettre en consultation, durant trois mois, les quatre modèles suivants: suppression de la pratique Dumont à l'échelon de la Confédération uniquement; suppression de la pratique Dumont aux échelons de la Confédération et des cantons; maintien de la pratique Dumont; limitation de la pratique Dumont conformément à l'initiative parlementaire Müller. Les résultats de cette consultation ne permettent pas de dégager une nette tendance. En effet, les voix favorables au maintien de la pratique Dumont sont nombreuses (11 cantons, la Conférence des directeurs cantonaux des finances, le PS et 3 associations), mais celles qui préconisent l'abolition de cette pratique à l'échelon de la Confédération et à celui des cantons le sont encore plus (13 cantons, 22 associations). En ce qui concerne l'abrogation de la pratique Dumont limitée à l'impôt fédéral direct, le PRD, l'UDC et deux associations, mais aucun canton, la préconisent. Quant à la limitation de la pratique Dumont, seuls un canton, le PDC et une association la préconisent.

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Avis du Conseil fédéral

La pratique Dumont est l'expression de deux principes fondamentaux du droit en matière d'impôt sur le revenu, à savoir l'imposition d'après la capacité économique et l'égalité de droit. La question est de savoir dans quelle mesure les frais d'entretien d'un immeuble nouvellement acquis doivent être déductibles. Le traitement fiscal des travaux de remise en état doit assurer l'égalité entre la personne qui achète un immeuble en mauvais état à un prix modeste et celle qui achète un immeuble rénové par l'ancien propriétaire à un prix plus élevé. D'après le droit actuel, les frais de remise en état d'un immeuble dont l'entretien a manifestement été négligé ne constituent pas des frais d'entretien déductibles durant les cinq années suivant l'acquisition de l'immeuble: ils sont considérés comme des frais encourus peu après l'acquisition qui augmentent la valeur de la propriété.

L'art. 108, al. 1, de la Constitution fédérale charge la Confédération de prendre des mesures pour encourager la construction de logements et l'accès à la propriété du logement. La «construction de logements» ne vise pas uniquement la construction de nouveaux immeubles, mais également la rénovation d'immeubles existants. D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le principe de l'encouragement de l'accès à la propriété du logement ne peut justifier des mesures contraires à des principes constitutionnels fondamentaux comme l'égalité, ces principes régissant également la fiscalité. Or, l'abrogation de la pratique Dumont violerait précisément ce principe.

En effet, elle n'encouragerait pas l'accès à la propriété du logement en général qui inclut la rénovation de bâtiments existants, mais encouragerait au contraire l'acquisition d'immeubles dont l'entretien a été négligé.

L'abrogation de la pratique Dumont limitée à la Confédération, souhaitée par la majorité des membres de la CER-N, ne serait ni cohérente ni adéquate. Les arguments suivants s'opposent en effet à cette solution: Conséquences négatives sur l'harmonisation fiscale formelle D'après la Constitution, c'est la Confédération qui fixe les principes de l'harmonisation des impôts directs de la Confédération, des cantons et des communes. Or, la solution préconisée par la majorité de la commission, à savoir accorder aux cantons le droit de choisir, est contraire à ce principe,
car elle s'éloigne de l'objectif constitutionnel de l'harmonisation fiscale formelle. Cette option est d'autant plus discutable que les résultats de la consultation ont montré qu'aucun canton1 (pas même l'un de ceux qui se sont prononcés en faveur de l'abolition de la pratique Dumont) ne prône de revenir sur l'harmonisation des impôts de la Confédération et des cantons ou des cantons entre eux. Or, dans ce domaine, l'avis des cantons est déterminant. Par ailleurs, une désharmonisation des impôts sur le revenu dans le cadre de la pratique Dumont entraînerait par effet de ricochet la désharmonisation des impôts cantonaux sur les gains immobiliers. En effet, les dépenses qui ne pourraient pas être déduites dans le cadre de l'impôt cantonal sur le revenu s'ajouteraient aux coûts d'investissement de l'immeuble destiné à la vente. En d'autres termes, la déductibilité (ou la non-déductibilité) dans le cadre de l'impôt sur le revenu se reflète directement sur le montant de l'impôt cantonal sur les gains immobiliers.

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GE ne s'est pas prononcé sur la pratique Dumont dans le cadre de la consultation.

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Complication du droit fiscal intercantonal L'abrogation de la pratique Dumont à l'échelon de la Confédération uniquement est contraire à la volonté de simplifier le droit fiscal. Si les cantons pouvaient choisir, certains d'entre eux appliqueraient à leur impôt sur le revenu la solution de la Confédération tandis que d'autres continueraient d'appliquer la pratique Dumont. Cette divergence aurait des conséquences négatives sur la perception et rendrait encore plus difficile la répartition fiscale intercantonale. En effet, des excédents de pertes (produits des immeubles négatifs) pourraient se produire dans les domiciles fiscaux secondaires où la pratique Dumont ne serait pas appliquée. Etant donné qu'il n'existe aucun moyen d'imputer ces pertes, elles incomberaient au canton du domicile fiscal principal. Or, ce dernier traite les excédents de pertes d'après son droit interne. Dans le cas où le canton du domicile fiscal principal continuerait d'appliquer la pratique Dumont, il ne reprendrait pas l'excédent de pertes en raison de l'absence de reconnaissance fiscale, ce qui signifie que les frais de remise en état acquittés dans le domicile fiscal secondaire ne pourraient pas être déduits complètement de l'impôt.

Au vu de ce qui précède, le Conseil fédéral estime que la pratique Dumont ne devrait pas être abandonnée au niveau fédéral seulement. Il est favorable à l'abrogation de cette pratique aux niveaux de la Confédération et des cantons, en raison des avantages administratifs considérables qu'elle présente pour le développement du système fiscal suisse: ­

Premièrement, il serait plus judicieux ­ en raison de l'harmonisation des impôts directs prévue par la Constitution ­ que les cantons reprennent la solution de la Confédération dans leur droit fiscal. Cela permettrait d'instaurer une pratique harmonisée entre la Confédération et les cantons et entre les cantons conforme aux exigences de l'harmonisation fiscale formelle.

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Deuxièmement, cette solution simplifierait la perception. D'une part, l'abrogation complète de la pratique Dumont permettrait de supprimer les différences au niveau du traitement fiscal des frais de remise en état entre la Confédération et les cantons et entre les cantons. D'autre part, il serait indiqué d'inscrire dans la loi le principe de l'arrêt du Tribunal fédéral du 2 février 2005 (ATF 2.A 480/2004, consid. 3.3): les frais d'entretien au sens des lois fiscales cantonales ne devraient pas être interprétés différemment de ceux prévus par la loi sur l'impôt fédéral direct. Pour intégrer ces paramètres, il faudrait modifier le projet de loi de la commission de telle sorte que la LHID et la LIFD soient matériellement harmonisées en ce qui concerne la déduction des frais d'entretien des immeubles privés: Art. 32, al. 2, 1re phrase, LIFD Le contribuable qui possède des immeubles privés peut déduire les frais nécessaires à leur entretien, les frais de remise en état d'immeubles acquis récemment, les primes d'assurances relatives à ces immeubles et les frais d'administration par des tiers. ...

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Art. 9, al. 3, 1re et 2e phrases, LHID Le contribuable qui possède des immeubles privés peut déduire les frais nécessaires à leur entretien, les frais de remise en état d'immeubles acquis récemment, les primes d'assurances relatives à ces immeubles et les frais

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d'administration par des tiers. En outre, les cantons peuvent prévoir des déductions pour la protection de l'environnement, les mesures d'économie d'énergie et la restauration des monuments historiques. ...

Art. 72i LHID, Adaptation de la législation cantonale à la modification du ...

Les cantons adaptent leur législation dans les deux ans qui suivent l'entrée en vigueur de la modification du ... aux dispositions modifiées de l'art. 9, al. 3, 1re et 2e phrases. Cette adaptation a effet dans tous les cantons deux ans après l'entrée en vigueur de la modification du ....

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2 A l'expiration de ce délai, l'art. 9, al. 3, 1re et 2e phrases, est directement applicable si les dispositions du droit fiscal cantonal s'en écartent.

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Troisièmement, la suppression de la pratique Dumont permettrait d'éliminer des entraves au bénéfice des branches concernées. Etant donné que le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 27 avril 1997 (ATF 123 II 218), a limité l'application de la pratique Dumont aux immeubles dont l'entretien a été fortement négligé, son champ d'application est déjà très restreint. La suppression totale de la pratique Dumont aux échelons de la Confédération et des cantons inciterait les acquéreurs à entreprendre les travaux de rénovation immédiatement après l'achat des immeubles. Etant donné que son champ d'application est déjà très restreint, il est peu probable que la suppression de cette pratique déclencherait un boom de la construction de logements (contrairement aux craintes exprimées par quelques participants à la consultation). La modification proposée aurait tout au plus une incidence sur le moment des travaux de remise en état (légère anticipation).

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Quatrièmement, la consultation a montré que la suppression de la pratique Dumont aux échelons de la Confédération et des cantons était soutenue par la majorité. En effet, les associations préconisent fortement cette solution et une petite majorité des cantons lui est favorable. La solution proposée par le Conseil fédéral est donc largement soutenue.

Indépendamment de ces avantages, l'élimination de la pratique Dumont aurait des conséquences dans le domaine des impôts cantonaux sur les gains immobiliers. Les frais de remise en état déductibles dans le cadre de l'impôt sur le revenu ne pourraient plus être imputés aux coûts d'investissement dans le cadre du calcul de l'impôt cantonal sur les gains immobiliers. C'est pourquoi le bénéfice imposable après l'aliénation augmente, ce qui entraîne par ricochet une augmentation des recettes potentielles de cet impôt spécial. Cependant, si l'aliénateur achète, après l'aliénation, un immeuble de remplacement qu'il utilise lui-même, le recettes de cet impôt cantonal sont différées (report de l'imposition). Etant donné que la Confédération ne perçoit pas d'impôt spécial sur les gains immobiliers dans la fortune privée, le manque à gagner résultant de la déduction des frais de remise en état ne peut pas être compensé dans le cadre de l'impôt fédéral direct de la même manière que dans le cadre des impôts cantonaux sur le revenu.

Du point de vue de la systématique fiscale, la mesure proposée n'apporterait aucun changement en ce qui concerne la distinction fondamentale entre les coûts d'investissement permettant de maintenir la valeur de l'immeuble (qui sont déductibles) et les coûts d'investissement permettant d'augmenter la valeur de l'immeuble (qui ne

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sont pas déductibles). De ce point de vue, ni la solution préconisée par la majorité de la commission ni celle proposée par le Conseil fédéral ne permettraient de simplifier cette distinction.

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Conclusions

Depuis l'arrêt du Tribunal fédéral de 1997, le champ d'application de la pratique Dumont est limité à l'acquisition d'immeubles fortement négligés. La suppression de cette pratique au seul niveau de l'impôt fédéral direct est inappropriée et contraire aux principes constitutionnels et à l'économie de la perception. Le Conseil fédéral préconise donc d'abroger la pratique Dumont aux échelons de la Confédération et des cantons.

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