Exécution de la législation sur le matériel de guerre: décisions du Conseil fédéral du 29 juin 2005 et réexportation d'obusiers blindés vers le Maroc Rapport du 7 novembre 2006 de la Commission de gestion du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 21 février 2007

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Le 7 novembre 2006, la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a remis au Conseil fédéral son rapport «Exécution de la législation sur le matériel de guerre: décisions du Conseil fédéral du 29 juin 2005 et réexportation d'obusiers blindés vers le Maroc» pour qu'il prenne position. Vous trouverez sa réponse ci-après.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

21 février 2007

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2006-3005

2013

Avis 1

Avant-propos

1.1

Contexte

Le 29 juin 2005, le Conseil fédéral a pris quatre décisions concernant les exportations de matériel de guerre en Irak, en Inde, au Pakistan et en Corée du Sud.

Il a approuvé une demande d'exportations de 180 véhicules blindés de transport de troupes M113 aux Emirats Arabes Unis (EAU). Ces derniers avaient l'intention de faire cadeau des M113 au gouvernement irakien. Dans sa résolution 1546 du 8 juin 2004, le Conseil de sécurité de l'ONU avait demandé aux Etats membres d'aider le gouvernement irakien à mettre en place des services de police, de surveillance des frontières et de protection des installations pour maintenir l'ordre et la sécurité publics.

Alors qu'en 1998 le Conseil fédéral avait ordonné, suite aux essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, que les demandes d'exportation à destination de ces pays soient systématiquement rejetées, il a levé cette interdiction par décision du 29 juin 2005 pour revenir à la procédure ordinaire. Parallèlement, il a approuvé une demande préalable pour l'octroi de licences concernant la construction de canons DCA et la livraison de pièces détachées en Inde. S'agissant du Pakistan, il a approuvé une demande de courtage portant sur la vente de 736 véhicules de transport de troupes M113. Ceux-ci devaient uniquement être utilisés dans le cadre des engagements de troupes pakistanaises pour le compte de l'ONU.

Enfin, le Conseil fédéral s'est prononcé sur une demande préalable d'importation et de réexportation provisoire de matériel de guerre à destination et en provenance de la Corée du Sud à des fins de travaux d'entretien sur 50 à 100 ogives de missiles air-air de type «Sidewinder».

Il avait par ailleurs été rendu public que les EAU avaient réexporté au Maroc, sans l'aval de la Suisse, les obusiers blindés M109 que celle-ci lui avait livrés.

Tous ces éléments ont généré un grand nombre d'interventions parlementaires et de critiques quant à la pratique du Conseil fédéral en matière d'autorisations d'exportation. Le 1er juillet 2005, le conseiller national Josef Lang a soumis une requête à la CdG-N et l'a chargée de contrôler la légitimité des décisions suscitant des critiques.

Les résultats de cet examen figurent dans le rapport du 7 novembre 2006 de la CdG-N1.

Dans sa décision du 7 septembre 2005, le Conseil fédéral a, selon la proposition du DFE, chargé
un groupe de travail interdépartemental (GTI) d'examiner la question des compétences et de la procédure utilisée pour le traitement des exportations de matériel de guerre.

1

http://www.parlament.ch/f/ko-au-gpk-panzerhaubitzen.pdf

2014

1.2

Mesures prises par le Conseil fédéral

En mettant en place le GTI, le Conseil fédéral a rapidement réagi par rapport aux critiques formulées quant à ses décisions du 29 juin 2005. A la demande du Conseil fédéral, le GTI a clarifié les faits relatifs à l'exportation de 180 véhicules de transport de troupes M113 et de 40 obusiers blindés M109 vers les EAU, préparé des propositions concernant le recyclage du matériel de guerre excédentaire, le traitement des demandes préalables et l'amélioration des déclarations de non réexportation; il a également soulevé la question de l'amélioration du catalogue de critères figurant à l'art. 5 de l'ordonnance du 25 février 1998 sur le matériel de guerre (OMG)2 et, enfin, procédé à l'examen des compétences et des bases légales dans le cadre d'affaires ayant trait au matériel de guerre.

Le GTI a établi au cours de son examen que les autorisations en question avaient été octroyées conformément à la législation sur le matériel de guerre. Cette conclusion est confirmée dans le rapport du 7 novembre 2006 de la CdG-N.

Le Conseil fédéral a pris acte le 10 mars 2006 du rapport du 22 décembre 2005 du GTI et adopté les décisions pertinentes. En d'autres termes, il a mis en oeuvre, avant même que la CdG-N ne termine son examen, une nouvelle politique restrictive relative au recyclage de matériel de guerre excédentaire ainsi que diverses mesures visant à l'amélioration de l'applicabilité des déclarations de non-réexportation et de la collaboration entre unités administratives. Il a en outre ordonné le contrôle des critères d'autorisation figurant à l'art. 5 OMG.

1.3

Le contrôle des exportations: un domaine politique controversé

La définition de la politique de contrôle des exportations de matériel de guerre a toujours fait l'objet de controverses au sein de l'opinion publique en Suisse, les uns demandant quasiment la libre exportation, les autres une interdiction pure et simple.

Chaque réglementation devient donc un exercice de haute voltige puisqu'il faut tenir compte de souhaits et d'intérêts parfois diamétralement opposés. Les considérations éthiques et humanitaires parlent en faveur de la limitation de telles exportations, attendu que, malgré des mécanismes de contrôle efficaces, il existe pour toute exportation un risque résiduel que le matériel de guerre soit employé dans des conflits. Or la promotion de la sécurité et de la paix dans le monde, le respect des droits de l'homme et l'accroissement de la prospérité sont des objectifs centraux de la politique extérieure de la Suisse. La politique appliquée aux exportations de matériel de guerre doit donc tenir compte de ces objectifs. Mais il faut également prendre en considération la défense du pays, autrement dit, notre propre sécurité, qui requiert un minimum d'armements. Il faut enfin garder à l'esprit la défense des intérêts économiques: les entreprises d'armement fournissent des emplois, développent du savoirfaire en matière de technologie de pointe et font partie intégrante du site de recherche suisse. Chaque solution doit donc constituer un juste équilibre entre ces aspects, un compromis dans la pesée des intérêts contradictoires en présence.

2

RS 514.511

2015

Le Conseil fédéral a déjà été confronté aux intérêts divergents mentionnés plus haut sous le régime de la loi fédérale du 30 juin 1972 sur le matériel de guerre3 dans le cadre des réponses apportées à de nombreuses interventions parlementaires. La diversité des intérêts auxquels doivent satisfaire la législation sur le matériel de guerre et l'instance d'autorisation compétente ressort très clairement du message sur l'initiative populaire «pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre» et la révision de la loi fédérale sur le matériel de guerre, tout comme des procès-verbaux des délibérations des Chambres fédérales à ce sujet. Il suffit de comparer les déclarations faites lors des délibérations relatives à la loi du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (LFMG)4 avec le débat politique actuel pour se rendre compte que cette loi est née de controverses similaires à celles qui marquent le discours politique aujourd'hui.

L'art. 1 LFMG en vigueur contient des principes généraux auxquels le transfert de matériel de guerre doit répondre. Il prévoit notamment le respect des obligations internationales et des principes de la politique étrangère de la Suisse, tout en permettant le maintien d'une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense.

L'art. 22 LFMG complète ce catalogue par le critère du respect du droit international en ce qui concerne les marchés passés avec l'étranger. La LFMG ne simplifie donc en rien le conflit d'intérêts mentionné plus haut et requiert, au contraire, un équilibre entre les intérêts relevant de la politique étrangère, ceux relevant de la politique de sécurité et, indirectement, ceux relevant de la politique économique.

L'art. 5 OMG précise les critères d'autorisation que le Conseil fédéral avait initialement prévu de faire figurer dans la nouvelle loi sur le matériel de guerre5, et l'art. 14 fixe la procédure. Pour l'autorisation, il faut tenir compte des éléments suivants: a.

le maintien de la paix, de la sécurité internationale et de la stabilité régionale;

b.

la situation qui prévaut dans le pays de destination, notamment le respect des droits de l'homme et la renonciation à utiliser des enfants-soldats;

c.

les efforts déployés par la Suisse dans le domaine de la coopération au développement;

d.

l'attitude du pays de destination envers la communauté internationale, notamment sous l'angle du respect du droit international public;

e.

la conduite adoptée par les pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux régimes internationaux de contrôle des exportations.

Ces critères d'autorisation doivent être considérés comme des lignes directrices lors de l'examen des marchés passés avec l'étranger, la pondération de chaque critère étant laissée à l'appréciation de l'autorité habilitée à délivrer les autorisations. Celleci conserve ainsi une marge de manoeuvre. Sa tâche est par ailleurs compliquée par le fait que les informations sur le pays de destination nécessaires à l'appréciation des critères doivent faire l'objet d'une interprétation de sa part. La situation politique du

3 4 5

RO 1973 108 RS 514.51 Cf. message du 15 février 1995 concernant l'initiative populaire «pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre» et la révision de la loi fédérale sur le matériel de guerre, FF 1995 II 988.

2016

pays en question peut en outre changer très rapidement, ce qui aggrave encore le dilemme de base lorsqu'il s'agit de décider de l'octroi d'une autorisation.

Chaque décision se fonde donc sur une multitude d'appréciations économiques, juridiques et politiques et doit être le résultat de l'examen spécifique de chaque cas.

La complexité de la démarche ne permet pas de travailler selon une méthode qui consisterait à éliminer au fur et à mesure les critères figurant sur une liste de contrôle, selon une recette toute faite. La décision d'accorder ou de refuser une autorisation étant prise pour un cas spécifique et selon la situation politique, la LFMG (art. 29) et l'OMG (art. 14) prévoient un régime de compétences spécial, qui est entre autres fonction de l'impact politique de l'affaire et du degré d'opposition des intérêts. Ce système garantit une interprétation aussi homogène que possible des critères d'autorisation.

Même si les décisions relatives aux autorisations d'exportation de matériel de guerre doivent être prises en tenant compte d'objectifs différents, dans la majeure partie des dossiers, il est possible de s'appuyer sur une pratique éprouvée, transparente et consolidée qui, la plupart du temps, fait l'unanimité.

En 2006, les exportations de matériel de guerre ont atteint une valeur totale de 397,6 millions de francs, ce qui correspond à 0,21 % des exportations totales de marchandises de la Suisse. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2006, 2365 demandes d'exportation ont été présentées. Parmi celles-ci, 2353 demandes d'une valeur globale de 942 millions de francs ont été acceptées6 et 12 demandes d'une valeur globale de 3,5 millions de francs ont été refusées. Durant la même période, 37 demandes préalables ont été présentées, dont 18 ont été approuvées7 et 17 (à destination de 16 pays différents) rejetées. Le fait qu'il n'y ait pas eu plus de refus tient notamment au fait que les exportateurs, conscients de la pratique appliquée, renoncent souvent à soumettre des demandes d'exportation pour des pays «sensibles»; en d'autres termes, ils s'imposent une auto-limitation.

2

Avis du Conseil fédéral concernant les diverses recommandations

2.1

Recommandation 1 Prise en compte de la situation relative aux droits de l'homme

«S'agissant des décisions du Conseil fédéral et de celles des unités administratives appelées à répondre aux demandes d'autorisation dans le cadre de la législation sur le matériel de guerre, la CdG-N invite le Conseil fédéral à accorder une plus grande importance à la situation en matière de droits de l'homme dans le pays concerné, et à 6

7

La valeur totale des autorisations d'exportation est nettement supérieure à la valeur des exportations effectives. Cela s'explique par le fait que les autorisations ne sont pas toujours utilisées, par exemple lorsque le financement de la transaction n'est pas garanti. Par ailleurs, parmi les demandes d'exportation approuvées, figurent également des exportations temporaires (sous passavant, avec certificat de prise en note, pour réparations, etc.)

qui, généralement, ne se transforment pas en exportations définitives et ne figurent donc pas dans les exportations effectives.

Dans le cas de deux demandes préalables, les offices concernés ne sont pas parvenus à s'accorder, raison pour laquelle les requérants ont été informés que leurs demandes devraient être soumises au Conseil fédéral pour décision.

2017

ne faire aucune différenciation dans ce domaine entre les différentes autorités d'un pays.» Avis du Conseil fédéral Parmi les critères d'autorisation figurant à l'art. 5 OMG, le respect des droits de l'homme joue d'ores et déjà un rôle important. Ces dernières années, la plupart des rejets de demandes d'exportation et de demandes préalables étaient en effet motivés par le non-respect des droits de l'homme.

Dans sa réponse à l'interpellation Jutzet (98.3098) «Exportation d'armes», le Conseil fédéral a d'ailleurs indiqué clairement que l'autorisation requise n'était pas accordée quand les droits de l'homme étaient gravement et systématiquement violés dans l'Etat de destination.

A cet égard, le libellé de l'art. 5, let. b, OMG paraît relativement peu précis par rapport à la réglementation appliquée par l'UE. Selon le deuxième critère énoncé dans le code de conduite de l'UE, les Etats membres n'autorisent pas l'exportation s'il existe un risque clair que le matériel destiné à l'exportation pourrait être employé à des fins de répression interne. Par répression interne, on entend entre autres la torture et tout autre traitement ou punition cruels, inhumains et dégradants, les exécutions sommaires ou arbitraires, l'enlèvement de personnes, les arrestations arbitraires et les autres violations graves des droits de l'homme et des libertés fondamentales tels qu'ils sont fixés dans les conventions sur les droits de l'homme, y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques.

Bien que la réglementation normative de la situation des droits de l'homme dans le pays de destination soit moins détaillée dans la législation suisse sur le matériel de guerre que dans celle de l'UE, il apparaît que les Etats membres de l'UE ont autorisé en 2005 des livraisons de matériel de guerre vers les pays concernés par cette discussion (p.ex. l'Arabie saoudite, l'Inde et le Pakistan) pour des montants se chiffrant en centaines de millions, tandis que la Suisse n'a donné aucune autorisation, ou alors seulement pour des montants comparativement très faibles (cf. tableau).

Rappelons par ailleurs que, comme nous l'avons expliqué au point 1.3, les critères d'autorisation pour les marchés passés avec l'étranger figurant à l'art. 5 OMG ne sont pas hiérarchisés,
mais doivent être pris en compte dans la pesée des intérêts parallèlement aux autres critères d'autorisation et aux questions de politique étrangère, de sécurité et de politique économique. Outre le respect des droits de l'homme, l'art. 5 OMG prévoit aussi la prise en compte de la conduite adoptée par les pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux régimes internationaux de contrôle des exportations. Dans ce contexte, la pratique des Etats de l'UE joue un rôle majeur.

2018

Exportations de matériel de guerre ou d'armements de la Suisse et de quelques Etats membres de l'UE en 2005 (source: Journal officiel de l'Union européenne, 2006/C250/01)

Pays

Suisse

Union européenne

Montant des autorisations octroyées pour les exportations de matériel de guerre, en francs

Montant des autorisations octroyées pour les exportations d'armements, en euros Allemagne

France

Autriche

Italie

9 041 649

Suède

Total des Etats membres de l'UE

973 751 655

Arabie saoudite

3 753 657

29 854 300

771 788 725

1 470 867

4 000

Inde

1 504 271

50 851 942

322 571 244

802 609 104 410 018

9 810 000

926 023 218

0

99 731 555

711 244 167

169 433

49 528 847 13 750 000

1 412 459 166

Pakistan

Le Conseil fédéral estime que, comparée à la pratique adoptée par les Etats membres de l'UE, sa pratique s'agissant de la prise en compte de la situation des droits de l'homme dans le pays de destination est équilibrée, et il pense la poursuivre selon les mêmes principes.

Pour l'heure, des distinctions ont été opérées entre différentes autorités d'un même pays concernant des livraisons de matériel de guerre à destination de l'Egypte et de la Tunisie. Les demandes destinées aux armées de ces pays furent approuvées alors que celles destinées aux troupes rattachées au Ministère de l'intérieur, impliquées dans des violations des droits de l'homme, ont été rejetées. Le Conseil fédéral ne juge pas judicieux d'écarter d'emblée des critères qui, dans certains cas, peuvent aider à prendre une décision. Renoncer à faire la différence entre ces autorités signifierait le rejet systématique des demandes d'exportation vers ces pays. Or pareille démarche exclurait à son tour le critère consistant à tenir compte de la conduite adoptée par les pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux régimes internationaux de contrôle des exportations et partant, reviendrait à désavantager les entreprises suisses par rapport à leurs concurrents d'autres pays européens. En 2005, les Etats de l'UE ont approuvé des exportations d'armements à destination de l'Egypte pour 413 millions d'euros et de la Tunisie pour 63 millions d'euros, alors que la Suisse a approuvé des exportations à destination de l'Egypte pour 2,2 millions de francs et à destination de la Tunisie pour 6 millions de francs.

2.2

Recommandation 2 Exportation de matériel de guerre en Corée du Sud

«La CdG-N invite le Conseil fédéral à motiver précisément son changement d'attitude en ce qui concerne les autorisations d'exportation de matériel de guerre vers la Corée du Sud, et à définir clairement selon quels critères il est tenu compte de la politique de neutralité lors de l'octroi des autorisations.» Avis du Conseil fédéral Diverses raisons ont motivé le changement de pratique qui s'est amorcé fin juin 2005 dans nos relations avec la Corée du Sud.

2019

Les profondes mutations qui ont marqué l'environnement de la Suisse en matière de politique extérieure et de politique de sécurité après la fin de la guerre froide ont poussé le Conseil fédéral à modifier sensiblement son approche de la neutralité suisse au cours des années 90. D'une part, le Conseil fédéral est revenu au principe juridique de la neutralité, selon lequel l'Etat neutre, en cas de guerre, n'accorde de soutien militaire à aucune des parties au conflit et, en temps de paix, ne prend aucune mesure qui, en cas de conflit armé, l'empêcherait de respecter les engagements liés à sa neutralité. D'autre part, la Suisse a fait sienne l'idée que le droit de la neutralité ne s'appliquait pas aux mesures de contrainte prises dans le cadre de la sécurité collective des Nations unies, raison pour laquelle la Suisse a, dès avant son adhésion à l'ONU, appliqué les sanctions non militaires de l'ONU.

Le Conseil fédéral n'a pas pour autant renoncé à une politique de la neutralité crédible. Dans son rapport sur la neutralité (1993), il a par exemple souligné ce qui suit: «au-delà des obligations que lui impose le droit international public, l'Etat neutre jouit d'une importante marge de manoeuvre politique. Le Conseil fédéral considère qu'il est nécessaire d'adapter la politique de neutralité aux conditions actuelles. Il tient, ce faisant, à ne pas la transformer en opportunisme mais à lui préserver cette constance et cette prévisibilité qui lui ont valu dans le passé le respect de la communauté internationale.» Le Conseil fédéral estime donc que les mesures nécessaires au maintien de la prévisibilité et de la crédibilité de la neutralité, même si elles ne s'inscrivent pas dans le droit de la neutralité, sont justifiées.

Sous l'angle du droit de la neutralité, la question centrale dans le cas de la Corée du Nord et de la Corée du Sud est de savoir si la Suisse considère que ces deux pays sont en guerre. Dans l'affirmative, les exportations de matériel de guerre vers la Corée du Sud (et la Corée du Nord) seraient interdites. Il est en effet interdit à un Etat neutre de soutenir militairement un Etat en guerre en lui détachant des troupes, en mettant son territoire à sa disposition ou en lui livrant du matériel de guerre. Le droit de la neutralité ne s'applique par contre pas à la livraison de matériel
de guerre à des parties en guerre par des privés. L'Etat neutre doit en revanche prévoir les mêmes restrictions pour toutes les parties en guerre s'il décide de limiter les exportations privées de matériel de guerre à un pays en guerre. Dans le droit international public actuel, les obligations de neutralité généralement reconnues se limitent principalement au domaine juridique qualifié de noyau militaire de la neutralité. Si l'on considère toutefois que, en l'absence d'actes de guerre depuis plus de 50 ans, les deux pays ne sont pas en guerre8, rien ne s'oppose, du point de vue du droit de la neutralité, à ce que les demandes d'exportation soient acceptées.

Le fait qu'il n'y ait plus eu, depuis 50 ans, d'actes de guerre entre la Corée du Nord et la Corée du Sud et que la Corée du Sud ne menace ni la sécurité internationale ni la sécurité régionale a été un élément déterminant dans le changement de pratique du Conseil fédéral. Le Conseil fédéral était par ailleurs d'avis que, sous l'angle de la politique de neutralité, autoriser la demande d'exportation à destination de la Corée du Sud ne nuisait ni à la prévisibilité, ni à la crédibilité de la neutralité suisse.

8

Le fait qu'aucun traité de paix n'a été signé entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ne saurait à lui seul constituer un critère d'application du droit de la neutralité et motiver le rejet des demandes d'exportation de matériel de guerre. De nos jours, la plupart des guerres ne se déclarent plus formellement et ne sont donc plus conclues par un traité de paix.

2020

Le fait que de nombreux autres pays occidentaux livrent des armements à la Corée du Sud, dont la Suède qui, comme la Suisse, est membre de la Commission de supervision des Nations neutres en Corée, a été un élément de décision supplémentaire. En 2005, les Etats membres de l'UE ont approuvé des exportations de biens d'armement à destination de la Corée du Sud pour plus de 523 millions d'euros, et la Suède pour plus de 11 millions d'euros. Le Conseil fédéral maintient donc que son changement de pratique était correct, d'autant que la CdG-N a souligné que, du point de vue juridique, il a agi dans le cadre de la marge de manoeuvre qui lui est réservée.

2.3

Recommandation 3 Déclarations de non-réexportation

«La CdG-N invite le Conseil fédéral à tirer des conséquences si un pays ne respecte pas les déclarations de non-réexportation.» Avis du Conseil fédéral Le Conseil fédéral considère que les déclarations de non-réexportation sont une condition sine qua non de l'autorisation d'une demande d'exportation et que le nonrespect d'une telle déclaration par le pays de destination constitue un grave manquement. Il partage sur le fond l'avis de la CdG-N: en cas de non-respect des déclarations de non-réexportation, il convient de prendre des mesures à l'encontre du pays concerné. La CdG-N recommande de n'approuver aucune demande d'exportation de matériel de guerre vers le pays concerné pendant un certain temps. En pratique, le traitement des demandes d'exportation à destination des EAU a été suspendu pendant un an, jusqu'au 28 juin 2006. Il faut toutefois être conscient du fait qu'une telle mesure ne sanctionne pas forcément le pays de destination, mais en premier lieu l'industrie d'exportation suisse.

La cessation des exportations de matériel de guerre ou toute autre mesure prise à l'encontre d'un Etat qui ne respecte pas sa déclaration de non-réexportation doit être décidée au cas par cas et avec proportionnalité compte tenu de la gravité de l'infraction. Le Conseil fédéral saisit cette occasion pour rappeler que, dans son arrêté du 10 mars 2006, il a ordonné diverses mesures d'accompagnement en rapport avec les déclarations de non-réexportation, imposant notamment des conditions en termes de contrôle et d'exécution de contrôle («post-shipment inspections»). Pour ce faire, il convient de recourir davantage aux services des représentations à l'étranger (y compris aux attachés de défense) et aux services de renseignements suisses. Le Conseil fédéral souligne toutefois que les cas de non-respect des déclarations de non-réexportation, comme celui des 40 obusiers blindés M109 offerts par les EAU au Maroc, sont très rares9.

Dans le cadre de la réexportation illicite des 40 obusiers blindés M109 par les EAU au Maroc, le Conseil fédéral a chargé les deux représentants de la Confédération au sein du Conseil d'administration de la RUAG de clarifier le rôle de la RUAG. Après que le Conseil fédéral eut pris acte de leur rapport lors de sa séance du 25 octobre 2006, le DDPS a informé le secrétariat de la CdG.

9

Dans ce cas, les EAU ont en outre présenté leurs excuses au conseiller fédéral Schmid par courrier du 30 mai 2006.

2021

2.4

Recommandation 4 Matériel de guerre excédentaire

«La CdG-N invite le Conseil fédéral à mettre en valeur le matériel de guerre excédentaire prioritairement en Suisse. Un renvoi au pays d'origine est à envisager uniquement si l'on est en droit de penser que ce pays ne transférera pas le matériel qui lui est rendu.» Avis du Conseil fédéral Par arrêté du 10 mars 2006, le Conseil fédéral a défini l'approche suivante: le matériel de guerre excédentaire est en premier lieu revendu au pays d'origine ou lui est remis gratuitement et sans charges; en deuxième lieu, le matériel de guerre est revendu, avec l'aval du pays de provenance et après fourniture d'une déclaration de non-réexportation, à des pays figurant dans l'annexe 2 de l'ordonnance sur le matériel de guerre (c.-à-d. à des pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux quatre régimes de contrôle des exportations); en dernier lieu, le matériel de guerre est stocké et mis en valeur en Suisse.

Vendre ou céder du matériel de guerre excédentaire au pays d'origine en assortissant l'opération d'une clause de non-réexportation n'aurait pas beaucoup de sens. En effet, ces pays pourraient sans autre contourner légalement la clause de nonréexportation, puisqu'il est fort probable qu'ils seraient en possession du même matériel de guerre. Ils pourraient alors exporter celui-ci et entreposer ou utiliser le matériel récupéré de la Suisse.

Cette décision du Conseil fédéral n'a pas fait l'unanimité au Parlement. Nous renvoyons aux motions Engelberger 06.3502 «Matériel de guerre excédentaire et opérations de maintien de la paix de l'ONU et de l'OSCE», 06.3808 «Promotion des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Remise du matériel de guerre excédentaire» et Borer 06.3602 «Gestion du matériel de l'armée suisse». Le Conseil fédéral a proposé de rejeter ces motions. Il défend ce faisant une position médiane entre une libéralisation plus poussée (demandes des motions Engelberger et Borer) et une politique plus restrictive (recommandations de la CdG-N). Il faut cependant relativiser les choses et souligner que jusqu'à présent, les pays d'origine ne se sont pas montrés très intéressés par la récupération du matériel de guerre excédentaire de la Suisse. La pratique ne devrait donc pas réellement diverger de l'orientation préconisée par la CdG-N.

2.5

Recommandation 5 Précision des critères d'octroi des autorisations

«La CdG-N invite le Conseil fédéral à préciser les critères qui sont applicables à l'octroi des autorisations d'exportation, en tenant compte à la fois de la recommandation 1 du présent rapport (meilleure prise en considération de la situation en matière de droits de l'homme) et de ses constatations concernant les autres autorisations.» Avis du Conseil fédéral L'art. 5 OMG prévoit que les cinq critères (art. 5, let. a à e) soient pris en considération, sans toutefois les nommer explicitement comme conditions sine qua non pour l'octroi d'une autorisation et sans les classer par ordre d'importance les uns par 2022

rapport aux autres (hiérarchie). Il en découle que la pondération des divers critères peut entraîner des interprétations différentes, surtout en cas de demandes «sensibles».

Le GTI s'est prononcé pour une approche si possible normative de la définition des conditions d'octroi des autorisations d'exportation de matériel de guerre et a examiné la possibilité de préciser les critères d'autorisation fixés à l'art. 5 OMG. L'évaluation uniforme des demandes par les services administratifs concernés serait facilitée si les critères étaient affinés ou si une pondération était affectée à chacun d'eux.

Mais énoncer des règles précises, applicables à toutes les situations, risque d'être très compliqué. Pour le Conseil fédéral, les éléments importants sont notamment la clarté de la pratique d'autorisation, son application rigoureuse et l'adaptation de la pratique en présence de circonstances nouvelles.

Le critère du respect des droits de l'homme se révèle particulièrement difficile à interpréter; nous renvoyons à ce sujet à l'avis relatif à la recommandation 1. Selon la pratique actuelle, on n'exporte pas de matériel de guerre dans un pays où les droits de l'homme sont gravement et systématiquement violés. La question est de savoir s'il faut inscrire cette clarification, ou une description du type de celle opérée par l'UE dans le critère 2 du code de conduite, à l'art. 5 OMG.

Dans l'optique de la révision de l'OMG, le DFE chargera un groupe de travail interdépartemental de préciser les critères d'octroi des autorisations d'exportation.

La modification de l'ordonnance pourrait avoir lieu d'ici à fin 2008.

3

Conclusions

Comme l'indique le rapport de la CdG-N, la législation suisse sur le matériel de guerre poursuit des objectifs variés qui, dans certains cas concrets, peuvent entrer en conflit les uns avec les autres. C'est pourquoi la loi donne une marge de manoeuvre au Conseil fédéral et aux services fédéraux chargés de délivrer les autorisations d'exportation de matériel de guerre. Les décisions prises par le Conseil fédéral le 29 juin 2005 entrent dans cette marge de manoeuvre et ne contreviennent à aucune loi, comme la CdG-N le souligne.

Le Conseil fédéral salue le dialogue constructif avec la CdG-N dans ce domaine politique sensible et prend volontiers en considération les suggestions qu'elle lui a faites. Il tient toutefois à souligner que, dans le domaine complexe des autorisations d'exportation de matériel de guerre, il n'existe guère de solution simple ou globale, car une telle solution ne serait pas utile aux cas particuliers. Le Conseil fédéral estime donc légitime que la loi et l'ordonnance sur le matériel de guerre prévoient une grande marge de manoeuvre pour les autorités d'exécution; il en fait d'ailleurs usage tout en tenant compte des aspects politiques et économiques propres au cas d'espèce.

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