Affaire de l'informateur du Centre islamique de Genève Rapport de la Délégation des Commissions de gestion du 15 mai 2007

2007-1400

6477

Table des matières Abréviations

6480

1 Contexte

6482

2 But de l'enquête

6484

3 Mandat et compétences de la DélCdG

6484

4 Déroulement des travaux 4.1 Personnes entendues et documents consultés 4.2 Collaboration avec les autorités fédérales et cantonales 4.3 Collaboration avec Claude Covassi 4.4 Elaboration du rapport et adoption

6486 6486 6487 6488 6490

5 Services de renseignement et bases légales 5.1 Service d'analyse et de prévention (SAP) 5.2 Service de renseignement stratégique (SRS) 5.3 Collaboration entre le SAP et le SRS

6491 6491 6493 6495

6 Quelques définitions

6495

7 Déroulement des événements 7.1 La personne de Claude Covassi 7.2 Recrutement de la source par la Police cantonale de Genève 7.3 Début de l'opération «Memphis» conduite par le SAP 7.4 Début de la collaboration de Claude Covassi avec le SRS 7.5 Activités parallèles de Claude Covassi pour le SAP et le SRS 7.6 Epilogue

6496 6496 6497 6499 6505 6506 6510

8 Constatations et appréciations de la DélCdG sur les reproches formulés par Claude Covassi 8.1 Remarque préliminaire 8.2 Documents écrits remis par Claude Covassi 8.3 Autres documents remis par Claude Covassi 8.4 Claude Covassi a-t-il travaillé pour le SAP?

8.5 Claude Covassi a-t-il reçu pour mission du SAP de compromettre le directeur du CIG?

8.6 Claude Covassi a-t-il été chargé par le SAP d'infiltrer le CIG et de se convertir à l'islam?

8.7 Claude Covassi a-t-il été doté de fausses identités par le SRS?

8.8 Claude Covassi a-t-il permis de déjouer un attentat sur un avion de la compagnie El-Al?

8.9 Claude Covassi a-t-il travaillé avant 2004 pour les services de renseignement?

8.10 Claude Covassi a-t-il été chargé par le SAP d'une opération de renseignement en Syrie?

6478

6511 6511 6512 6516 6519 6522 6523 6524 6525 6526 6527

8.11 Claude Covassi a-t-il été chargé d'une opération conjointe en Syrie avec un service de renseignement étranger?

8.12 Claude Covassi a-t-il travaillé pour le SRS?

6529 6529

9 Autres constatations et appréciations de la DélCdG 9.1 Absence de collaboration entre le SAP et le SRS lors du recrutement de Claude Covassi 9.2 Circulation des informations entre les services de renseignement et de police 9.3 Erreurs dans la conduite opérationnelle de la source

6530

10 Conclusions

6535

11 Suite des travaux

6537

Tableau 1: Distinction entre les activités du SAP et de la PJF

6539

Tableau 2: Comparaison entre les agents infiltrés de police judiciaire et les informateurs du SAP

6540

Annexe:

6542

Rapport de l'EPFL

6530 6532 6533

6479

Liste des abréviations al.

Alinéa

art.

Article

ATF

Arrêt du Tribunal fédéral

ATS

Agence télégraphique suisse

CDF

Contrôle fédéral des finances

BRIS

Brigade des investigations spéciales de la Police cantonale genevoise

CC

Code civil suisse, du 10.12.1907

CdG

Commissions de gestion des Chambres fédérales

CdG-E

Commission de gestion du Conseil des Etats

CdG-N

Commission de gestion du Conseil national

CEDH

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l'homme), du 4.11.1950

ch.

Chiffre

CIG

Centre islamique de Genève

CIL

Centre islamique de Lausanne

COMINT

Communications intelligence (exploration radio)

consid.

Considérant

CP

Code pénal suisse, du 21.12.1937

CRIP

Commission de recours du personnel enseignant de l'instruction publique

cst.

Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18.4.1999

DDPS

Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports

DélCdG

Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales

DESS

Diplôme d'Etudes Supérieures Spécialisées

DFAE

Département fédéral des affaires étrangères

DFJP

Département fédéral de justice et police

DGSE

Direction générale de la sécurité extérieure (service de renseignement extérieur de la République française)

EPFL

Ecole polytechnique fédérale de Lausanne

fedpol

Office fédéral de la police

FF

Feuille fédérale

GIA

Groupe islamique armé

GRECE

Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne

GSPC

Groupe salafiste pour la prédication et le combat

6480

HUMINT

Human intelligence (renseignement humain)

ISIS

Informatisiertes Staatsschutz-Informationssystem (système informatisé de traitement des données relatives à la protection de l'Etat]

JAAC

Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération

LAAM

Loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire, du 3.2.1995

LFIS

Loi fédérale sur l'investigation secrète, du 20 juin 2003

LMSI

Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure, du 21.3.1997

LParl

Loi sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement), du 13.12.2002

LSCPT

Loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, du 6.10.2000

MPC

Ministère public de la Confédération

OCGE

Ordonnance sur la conduite de la guerre électronique, du 15.10.2003

OLPA

Ordonnance de l'Assemblée fédérale portant application de la loi sur le Parlement et relative à l'administration du Parlement (Ordonnance sur l'administration du Parlement), du 3.10.2003

OMSI

Ordonnance sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure, du 27.6.2001

ONG

Organisation non-gouvernementale

Orens

Ordonnance sur le renseignement du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (Ordonnance sur le renseignement), du 26.9.2003

OSINT

Open source intelligence (exploitation des sources ouvertes)

PJF

Police judiciaire fédérale

PPF

Loi fédérale sur la procédure pénale, du 15.6.1934

RS

Recueil systématique du droit fédéral

SAP

Service d'analyse et de prévention

SIGINT

Signals intelligence (exploration des signaux)

SRFA

Service de renseignement des Forces aériennes

SRM

Service de renseignement militaire

SRS

Service de renseignement stratégique

UOIF

Union des organisations islamiques de France

6481

Rapport 1

Contexte

Le 23 février 2006, la «Tribune de Genève» publiait, sous la plume de Valérie Duby et d'Alain Jourdan, un article intitulé «Une taupe fédérale infiltre le Centre islamique de Genève» qui relatait les propos d'un certain Christian (prénom fictif). Se présentant comme un informateur du Service d'analyse et de prévention (SAP), Christian y affirmait qu'il aurait reçu de ce service la mission d'infiltrer le Centre islamique de Genève (CIG). Pour cette opération, baptisée «Memphis», Christian aurait porté le nom de code de «Ménès». Selon l'article, Christian aurait été chargé par le SAP de créer des liens avec le directeur du centre, Hani Ramadan, ainsi qu'avec les personnes qui gravitaient autour de lui. Selon la «Tribune de Genève», Christian se serait également rendu en Syrie, avec l'accord du SAP.

D'autres articles furent publiés sur le sujet les jours suivants: Le 26 février 2006, Ian Hamel suggère dans «Le Matin dimanche» ainsi que sur le site «Oumma.com»1 que Christian aurait reçu l'ordre d'introduire des documents au CIG pour compromettre son directeur. Cette hypothèse est évoquée une nouvelle fois dans un article du journal «Le Temps» le 28 février 2006. Dans leur édition du 2 mars 2006, «24 heures» et la «Tribune de Genève» citent des propos attribués à Christian. Ce dernier prétend qu'Hani Ramadan était «un objectif politique à discréditer. [...] J'avais l'impression qu'il fallait le démolir, en tous cas le piéger». Le 5 mars 2006, Ian Hamel laisse entendre dans «Le Matin dimanche» que «l'espion ne devait pas se contenter de surveiller les faits et gestes de Hani Ramadan, mais bien de le mouiller, en introduisant chez lui des documents compromettants, afin de le faire tomber». Pour accréditer cette information, le journaliste cite une source non identifiée: «Des documents, mais tout de même pas des armes et des explosifs». Le 15 mars 2006, le conseiller national Ueli Leuenberger s'exprime en ces termes dans les colonnes de la «Tribune de Genève»: «Selon mes informations, cette personne [Christian] aurait été chargée d'introduire des documents compromettants dans le centre islamique.» Le 21 mars 2006, cité dans «24 heures», Monsieur Leuenberger ajoute que, selon ses informations, Christian «a agi comme agent provocateur».

D'autres articles sont publiés dans le «Blick» les 10, 11, 13 et 16
mars 2006 ainsi que dans le «SonntagsBlick» et la «SonntagsZeitung» du 12 mars 2006. On y apprend les détails d'un voyage en Syrie pour lequel Christian aurait reçu 3000 francs de la part du SAP («SonntagsZeitung» du 12.3.2006). Dans la «Tribune de Genève» du 15 mars 2006, Christian évoque son déplacement en Syrie et parle d'une «opération clandestine du SAP». Dans le «Blick», Christian reçoit le surnom d'«espion de la mosquée»; dans «Le Matin» et la «Tribune de Genève», il est désigné comme la «taupe du centre islamique».

Le 15 mars 2006, les conseillers nationaux Boris Banga et Ueli Leuenberger demandent au Conseil fédéral de prendre position sur les accusations de Christian. Le 20 mars 2006, lors de l'heure des questions au Conseil national, le Conseil fédéral 1

Cf. http://oumma.com/spip.php?article1942. Selon sa présentation sur internet, le site Oumma.com est le premier site de l'islam francophone sur internet. Il est réalisé par un collectif indépendant réunissant des musulmans issus de plusieurs pays.

6482

répond que le SAP a le droit de faire appel à des informateurs, mais que l'imputation fallacieuse de preuves est proscrite2.

Le 24 mars 2006, «Le Temps» révèle que Christian serait impliqué dans un trafic d'anabolisants à Genève pour lequel il aurait été condamné en première instance à huit mois de prison ferme. Selon les juges, cités dans l'article, l'individu présente «un caractère peu fiable et une propension à se croire au-dessus des lois». Le 29 mars 2006, Christian affirme dans le «Blick» qu'il détient des enregistrements prouvant que le SAP aurait cherché à compromettre Hani Ramadan avec des cercles terroristes.

Le 2 avril 2006, Ian Hamel publie un article dans «Le Matin dimanche» dans lequel il révèle que Christian se nomme en réalité Claude C. On y apprend également que Claude C. aurait séjourné au Soudan et au Niger en 2005. Le 30 avril 2006, toujours dans «Le Matin dimanche», Ian Hamel publie une interview de l'informateur présumé du SAP dont le vrai nom est Claude Covassi. Ce dernier confirme au journaliste qu'il aurait eu «pour mission de créer un lien entre Hani Ramadan et des réseaux djihadistes qui recrutent des volontaires pour partir se battre en Irak». Claude Covassi affirme également qu'il aurait mené plusieurs missions à l'étranger pour le Service de renseignement stratégique (SRS), service qui relève du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Dans deux articles publiés le 30 avril 2006 dans la «SonntagsZeitung» et dans le «SonntagsBlick», Claude Covassi prétend que le SAP lui aurait versé une somme de 15 000 francs et qu'il aurait travaillé pour le SRS. Dans l'article de la «SonntagsZeitung», il ajoute que le SAP aurait cherché à l'envoyer une seconde fois en Syrie dans une opération conjointe avec le service de renseignement extérieur français (Direction générale de la sécurité extérieure, DGSE). Dans l'article de la «SonntagsZeitung», Claude Covassi évoque aussi sa collaboration avec le SRS et prétend avoir effectué plusieurs missions pour ce service en France et en Syrie.

Le 2 mai 2006, dans une interview publiée par Ian Hamel sur le site «Oumma.com», Claude Covassi affirme que «le SAP n'avait qu'une obsession: impliquer Hani Ramadan, c'est-à-dire fabriquer des fausses preuves contre le CIG, prouvant que celui-ci recrutait des
combattants contre les Américains»3. Le 16 mai 2006, le site «Oumma.com» publie un nouvel article de Ian Hamel qui cite Claude Covassi en ces termes: «Le Service d'analyse et de prévention (SAP) m'a demandé deux choses: d'une part d'introduire les noms des musulmans qui partaient depuis Genève en Irak dans le fichier informatique du Centre islamique [de Genève] et d'autre part [...] de demander aux futurs combattants d'écrire une sorte de testament sous forme de courrier à l'attention de leur famille, mais portant comme en-tête l'adresse du Centre islamique de Genève. J'aurais dû ensuite introduire ces courriers dans le bureau de Hani Ramadan»4.

Le 12 mai 2006, le «Blick» révèle que des renseignements fournis par Claude Covassi au SRS auraient permis de déjouer une tentative d'attentat contre un avion de la compagnie d'aviation israélienne El-Al à Genève. Le rôle de Claude Covassi dans cette affaire sera démenti plus tard par un communiqué du Ministère public de la Confédération (MPC).

2 3 4

Voir note de bas de page no 5.

Voir http://oumma.com/spip.php?article2025.

Voir http://oumma.com/spip.php?article2044.

6483

Dans une dépêche de l'Agence télégraphique suisse (ATS), publiée le 31 mai 2006, Claude Covassi «affirme que les services secrets israéliens, le Mossad, s'intéressent à lui en raison des informations qu'[il] détient concernant les cercles proches du en Suisse».

En bref: en quelques semaines, Claude Covassi a tour à tour accusé le SAP, par médias interposés, de lui avoir demandé d'infiltrer le CIG; de l'avoir chargé de compromettre Hani Ramadan avec l'islamisme radical en fabriquant de fausses preuves; de l'avoir envoyé en Syrie et d'avoir payé le déplacement; de lui avoir demandé de collaborer avec la DGSE française. Claude Covassi a également affirmé avoir travaillé pour le SRS à l'étranger et d'y avoir permis de déjouer un attentat.

2

But de l'enquête

Vu le large écho que cette affaire a suscité dans l'opinion publique et au Parlement5, la Délégation des Commissions de gestion (DélCdG) s'en est saisie le 13 mars 2006 dans le cadre de son mandat de haute surveillance parlementaire.

La délégation s'est fixée pour but général d'apprécier les faits sur le plan politique et d'en tirer les enseignements nécessaires pour l'avenir.

La délégation s'est donné pour objectifs particuliers: -

d'élucider les faits et de vérifier de manière complète et précise si Claude Covassi a travaillé pour les services de renseignement suisses,

-

le cas échéant, d'apprécier si les services de renseignement suisses ont eu recours à des méthodes illicites,

-

de proposer des mesures qui s'avéreraient utiles.

La délégation a concentré son analyse exclusivement sur les services de la Confédération impliqués dans cette affaire. Le rôle joué par d'autres autorités, notamment cantonales, n'est abordé que dans la mesure où il permet de comprendre ou d'expliquer le comportement d'organes fédéraux.

3

Mandat et compétences de la DélCdG

La DélCdG a pour mandat de contrôler en détail les activités relevant de la sécurité de l'État et du renseignement (art. 53, al. 2, LParl6).

Par sécurité de l'État, la délégation entend toutes les mesures mises en place par les autorités pour prévenir et réprimer les actions dirigées contre la souveraineté territoriale, la neutralité ou l'économie de la Suisse ou qui, d'une manière plus générale, constituent une menace sérieuse pour l'existence, la stabilité et l'intégrité de l'ordre constitutionnel démocratique de la Suisse. Sont notamment compris dans cette 5

6

Voir sur ce point la question no 06.5050 «Intervention du SAP à l'étranger», du 15.3.2006; la question no 06.5051 «Légalité des infiltrations éventuelles des mosquées en Suisse», du 15.3.2006; la question no 06.5052 «Du mauvais usage des agents provocateurs», du 15.3.2006 ainsi que l'interpellation no 06.3192 «Affaire de la taupe genevoise», du 8.5.2006.

Loi du 13.12.2002 sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement, LParl; RS 171.10).

6484

définition le terrorisme, l'extrémisme violent, le crime organisé, l'espionnage et la prolifération des armes de destruction massive.

Le renseignement comprend quant à lui toutes les activités de l'administration fédérale, ainsi que des autres organes assumant des tâches pour le compte de la Confédération, destinées à recueillir, en Suisse et à l'étranger, des informations utiles à la politique de sécurité de notre pays et à les évaluer.

La haute surveillance de la DélCdG a pour objectif principal de fournir au Parlement et au public l'assurance que les services qui opèrent dans les domaines relevant de la sécurité de l'État et du renseignement respectent la législation. Au-delà de la seule vérification de la légalité de ces activités, la DélCdG s'attache aussi à en apprécier l'opportunité et l'efficacité (art. 52, al. 2, LParl).

Pour exercer ses attributions, la DélCdG dispose de droits d'information très étendus (art. 169, al. 2, cst.7; art. 154 LParl). La délégation a le droit absolu d'exiger toutes les informations dont elle a besoin, y compris les documents sur lesquels le Conseil fédéral s'est directement fondé pour prendre une décision, ainsi que les documents qui doivent rester secrets pour des raisons relevant de la sécurité de l'Etat ou du renseignement (art. 154, al. 2, let. a, LParl). La DélCdG peut également interroger tous services, autorités ou personnes assumant des tâches pour le compte de la Confédération. Elle peut également entendre des personnes en qualité de témoins (art. 154, al. 2, let. b, LParl). Ni le secret de fonction, ni le secret militaire ne peuvent lui être opposés.

La DélCdG est un organe commun à la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) et à la Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-E). Elle est composée de trois conseillers nationaux et de trois députés au Conseil des Etats. La DélCdG se constitue elle-même et choisit son président pour deux ans.

La DélCdG est actuellement composée des membres suivants: ­

Hans Hofmann, député au Conseil des Etats, président,

­

Hugo Fasel, conseiller national, vice-président,

­

Jean-Paul Glasson, conseiller national,

­

Claude Janiak, conseiller national,

­

Helen Leumann-Würsch, députée au Conseil des Etats,

­

Franz Wicki, député au Conseil des Etats.

La délégation est un organe politique dont la tâche est d'établir des faits, de mettre en lumière d'éventuelles insuffisances et d'apprécier le niveau de responsabilité politique des autorités fédérales. La délégation n'assume en revanche aucune fonction en matière pénale. De même, elle ne peut pas prononcer des mesures administratives ou disciplinaires. Le cas échéant, il appartient aux autorités exécutives et aux organes judiciaires compétents d'engager les procédures nécessaires.

7

Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18.4.1999 (cst.; RS 101).

6485

4

Déroulement des travaux

4.1

Personnes entendues et documents consultés

La délégation a débuté ses travaux le 13 mars 2006 et a tenu 21 séances de travail.

Elle a entendu la plupart des personnes qui ont eu, avec des implications différentes, à connaître de cette affaire. Il s'agit des personnes suivantes (par ordre alphabétique, fonction exercée au moment de l'audition): -

«Antoine», commissaire du SAP, Office fédéral de la police (fedpol), Département fédéral de justice et police (DFJP) [8.6.2006 et 14.6.2006];

-

«Armand», chef de la division acquisition, SRS, DDPS [5.7.2006];

-

Jürg Bühler, chef de la division opérations, SAP, fedpol, DFJP [29.3.2006];

-

Kurt Blöchlinger, chef de la Police judiciaire fédérale (PJF), fedpol, DFJP [22.6.2006 et 10/11.10.2006];

-

Claude Covassi [12.12.2006 et 16.1.2007];

-

«François», inspecteur à la police judiciaire, Brigade des investigations spéciales (BRIS), Police cantonale genevoise [10/11.10.2006];

-

«Karl», chef du commissariat «Enquêtes terrorisme», PJF, fedpol, DFJP [1.12.2006];

-

«Michel», officier de renseignement du SRS, DDPS [29.1.2007];

-

Jean-Luc Vez, directeur de fedpol, DFJP [29.3.2006];

-

Hans Wegmüller, directeur du SRS, DDPS [7.6.2006 et 29.8.2006].

La délégation a entendu les personnes convoquées en tant que personnes chargées de renseigner. Tous les faits ayant pu être suffisamment élucidés par ce biais, la délégation a renoncé à procéder à des auditions formelles de témoins. Rappelons également que toute personne dont la DélCdG demande l'audition est tenue de déférer à cette convocation.

Outre les auditions, la délégation a fondé ses travaux sur plusieurs documents, en particulier: -

les documents opérationnels du SAP et du SRS;

-

un rapport écrit de Claude Covassi, daté du 15 novembre 2006;

-

deux rapports écrits du SAP, datés du 17 mars 2006 et du 12 mai 2006;

-

un rapport du MPC, du 19 mai 2006;

-

deux rapports de la PJF, datés du 10 et du 19 mai 2006;

-

un rapport du SRS du 2 mai 2006;

-

les rapports annuels 2004, 2005 et 2006 de fedpol à l'attention du chef du DFJP et de la DélCdG sur les opérations en cours au SAP;

-

les rapports du Contrôle fédéral des finances (CDF) sur la révision des comptes 2004 et 2005 du SAP (rapports du 29 juin 2005 et du 29 juin 2006);

-

le rapport de l'inspectorat des finances du domaine de la défense du DDPS sur les comptes 2005 du SRS (rapport du 22 août 2006);

-

le rapport no 2/2004 de l'inspectorat du DFJP, du 2 mars 2005;

6486

-

le rapport no 1/2005 de l'inspectorat du DFJP, du 20 mars 2006;

-

le rapport no 1/2006 de l'inspectorat du DFJP, du 15 février 2007;

-

des documents remis par Claude Covassi le 12 décembre 2006;

-

des échanges des correspondance avec le DFJP (lettres du chef du DFJP du 23.3.2006, du 15.5.2006, du 22.5.2006, du 4.8.2006, du 22.9.2006, du 3.11.2006 et du 22.3.2007) et avec fedpol (lettres du 26.5.2006, du 12.6.2006 et du 19.3.2007) ainsi qu'avec le SRS (lettre du 13.3.2007).

La délégation a également reçu un rapport, daté du 12 septembre 2006, du Conseiller d'Etat Laurent Moutinot, chef du Département des institutions de la République et Canton de Genève. Ce rapport expose le point de vue des autorités genevoises sur la manière dont se sont déroulés les événements. A l'initiative du DFJP, fedpol a pris position sur ce rapport; cette prise de position a été adressée à la DélCdG en date du 25 septembre 2006.

De plus, la DélCdG a effectué une visite inopinée dans les bureaux du SAP afin de vérifier certaines informations.

Finalement, la DélCdG a reçu spontanément certains documents de la part de journalistes.

Certains faits n'ayant pas été documentés, la délégation a dû parfois reconstituer les événements d'après le souvenir que les intéressés en avaient encore. Ces témoignages sont inévitablement à prendre avec une certaine prudence, même s'il ne s'agit pas de douter de leur authenticité ou de la bonne foi de ceux qui les portent. La délégation a apprécié selon sa propre conviction la force probante de ces déclarations.

Pour progresser rapidement, la délégation a bénéficié de l'appui de son secrétariat.

Le secrétariat a été chargé d'organiser les séances, de structurer les auditions sur le plan formel et matériel et d'assurer la rédaction des procès-verbaux. Il a également assuré les contacts avec l'administration fédérale.

4.2

Collaboration avec les autorités fédérales et cantonales

La collaboration entre la délégation, d'une part, et le Conseil fédéral, l'administration fédérale et le Conseil d'Etat de Genève, d'autre part, a été excellente et marquée d'une confiance réciproque. A une exception près, tous les représentants des autorités fédérales et cantonales ont déféré avec diligence aux convocations de la délégation et répondu sans détours aux questions qui leur étaient posées. La délégation a également eu un accès complet à l'ensemble des documents nécessités par son enquête, y compris aux documents opérationnels secrets. La délégation tient ici à relever que les contacts de Claude Covassi avec les services de la Confédération et ceux de la police de Genève ont fait l'objet d'une documentation très complète, propre à permettre un établissement détaillé des faits et des événements et à assurer la traçabilité des versements financiers.

6487

4.3

Collaboration avec Claude Covassi

La collaboration avec Claude Covassi a été laborieuse au début de l'enquête, notamment du fait qu'il se trouvait à l'étranger jusqu'à fin octobre 2006. A plusieurs reprises, Claude Covassi a affirmé, dans des messages adressés à différents médias, que la délégation avait refusé de l'entendre ou cherchait à repousser l'échéance de l'audition (p. ex. «Blick» du 30.4.2006; «Le Matin dimanche» du 2.7.2006; «Le Temps» du 6.7.2006). Il a aussi menacé de rendre publics des documents en sa possession s'il n'était pas convoqué par la délégation (p. ex. «Le Temps» du 5.5.2006; «Facts» du 3.8.2006). Il a également brandi de nombreux ultimatums, jamais exécutés (p. ex. communiqué de Claude Covassi à l'ATS du 11.6.2006; «TagesAnzeiger» du 12.6.2006; communiqué de presse de Claude Covassi à l'ATS du 7.7.2006). Au demeurant, Claude Covassi n'a pas respecté les conditions fixées par la délégation au préalable de son audition, notamment celle de renoncer à communiquer avec les médias ­ cette condition est pourtant une nécessité pour un organe tel que la DélCdG qui doit pouvoir travailler dans la discrétion. Claude Covassi n'a pas honoré non plus plusieurs engagements, invoquant de nombreux prétextes et demi-vérités. Force est de constater que Claude Covassi a démontré tout au long de l'enquête une volonté de dissimulation, accumulant parfois les contradictions en face d'évidences.

Dans les faits, Claude Covassi a pris contact avec la délégation le 26 mars 2006, soit près d'un mois après la parution du premier article dans la «Tribune de Genève». A cette occasion, Claude Covassi a proposé à la délégation de lui faire parvenir des documents relatifs à sa collaboration avec le SAP ainsi que les enregistrements sonores de ses conversations avec son officier traitant au SAP. Le 30 mars 2006, la délégation a répondu à Claude Covassi qu'elle était intéressée à recevoir les documents et enregistrements pour pouvoir vérifier la crédibilité de ses propos et juger s'il convenait de le convoquer formellement à Berne. Claude Covassi a indiqué ensuite à la délégation ainsi qu'à de nombreux médias (voir «Le Temps» du 20.5.2006; «Blick» du 13.5.2006) qu'il avait fait envoyer par un intermédiaire les documents en question sous pli recommandé le 4 ou le 5 avril 2006 depuis Madrid.

Ces documents ne sont jamais parvenus à la
délégation. Quant à Claude Covassi, il n'a pas été en mesure de produire un récépissé attestant cet envoi.

Le 12 mai 2006, Claude Covassi a proposé à la délégation de remettre les documents en sa possession à un membre de l'ambassade de Suisse au Caire. La délégation a fait prendre les dispositions nécessaires avec le chef de mission sur place et a avisé Claude Covassi le 17 mai 2006. Ce dernier n'a pas contacté l'ambassade comme prévu.

Le 24 mai 2006, la délégation a informé Claude Covassi qu'elle était prête à l'entendre dès qu'il serait de retour en Suisse. Claude Covassi a argué que sa sécurité en Suisse était en danger et qu'il se sentait menacé. Il a exigé des garanties de la part de la DélCdG pour son retour en Suisse, notamment l'établissement d'un saufconduit officiel. La délégation lui a fait savoir qu'une telle mesure n'entrait pas dans sa compétence et que Claude Covassi pouvait s'adresser à une représentation suisse à l'étranger afin d'obtenir assistance. Claude Covassi s'est également adressé, sans succès, à la cheffe du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), le 29 mai 2006, et au chef du DFJP, le 1er juin 2006, afin de solliciter leur intervention pour demander son rapatriement en Suisse.

6488

Le 6 juin 2006, la délégation a réitéré à l'avocat de Claude Covassi sa disponibilité à entendre son client à la condition, d'une part, qu'il apporte au début de l'audition l'ensemble des documents sonores et écrits qu'il détenait et, d'autre part, qu'il cesse de communiquer avec les médias.

Le 14 et le 30 juin 2006, la délégation a rappelé à Claude Covassi qu'elle était prête à l'entendre officiellement dès qu'il signalerait son arrivée en Suisse.

Par deux fois, Claude Covassi a été invité par la délégation, mais il n'a pas déféré aux convocations qui lui ont été adressées, ni produit les pièces dont il faisait état.

La première fois, Claude Covassi a justifié son absence prétextant qu'il n'avait pas eu le temps de préparer son retour. Or, le 9 juin 2006, l'avocat de Claude Covassi affirmait que le retour de son client était prévu «à brefs délais». En outre, le 30 juin 2006, Claude Covassi écrivait à la délégation qu'il se rendrait à la première audition pour laquelle la délégation lui communiquerait une date et qu'il serait en mesure de se trouver à Berne en quelques heures seulement. Finalement, dans un courriel daté du 3 juillet 2006, Claude Covassi promettait pouvoir être à Berne dès le 4 juillet à 5 heures du matin et jusqu'au 14 juillet 2006 à 23 heures. Convoqué le 3 juillet 2006 à 19.00 heures, pour une rencontre prévue le 5 juillet 2006 à 10.00 heures, Claude Covassi ne s'est pas présenté devant la DélCdG, quand bien même il avait reçu un préavis 36 heures à l'avance8.

La seconde fois, la délégation a informé Claude Covassi, par lettre adressée à son conseil le 9 août 2006, qu'elle désirait l'entendre le 28 août 2006. L'avocat a confirmé par écrit à la délégation que son client avait reçu l'invitation. Claude Covassi n'a pas donné suite à cette convocation, ni indiqué les raisons de son absence9.

Dès son retour en Suisse en octobre 2006, Claude Covassi a pris contact avec la délégation afin de solliciter une audition. La DélCdG a entendu Claude Covassi à deux reprises les 12 décembre 2006 et 16 janvier 2007. La DélCdG a autorisé Claude Covassi à se faire assister par un avocat lors des auditions.

Conformément à l'art. 155, al. 5 LParl, les deux auditions de Claude Covassi ont été enregistrées en vue de l'établissement du procès-verbal. Ce dernier a été remis pour signature à Claude
Covassi. Après de nombreuses tergiversations et malgré un report des délais, Claude Covassi a refusé de signer les procès-verbaux, alléguant que ces derniers comprenaient des erreurs et des inexactitudes, allant même jusqu'à affirmer publiquement que les procès-verbaux étaient manipulés, voire falsifiés10. L'avocat de Claude Covassi a demandé à plusieurs reprises que les procès-verbaux d'auditions soient totalement remaniés avant leur signature, ce à quoi la délégation s'est opposée après avoir vérifié les procès-verbaux en question à l'aide des enregistrements.

8 9 10

Voir communiqué de presse de la DélCdG du 5.7.2006.

Voir communiqué de presse de la DélCdG du 30.8.2006.

Voir http://oraclesyndicate.twoday.net/stories/3479691/et http://oraclesyndicate.twoday.net/stories/3650996.

6489

La délégation a communiqué à Claude Covassi que la verbalisation de ses auditions avait été effectuée dans le strict respect des dispositions du droit du Parlement (art. 155, al. 5, LParl; art. 4, al. 3, OLPA11; instructions des Commissions de gestion des Chambres fédérales relatives au traitement de leurs procès-verbaux et autres documents du 18.5.2004) et que la pratique de la délégation répond à la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière (ATF 130 II 473, consid. 4; ATF 126 I 15 consid. 2a; ATF 124 V 389 consid. 3). La délégation a également rappelé à l'avocat de Claude Covassi que la loi ne prévoit en aucune manière qu'un procès-verbal soit établi en accord avec la personne entendue, ni que cette dernière puisse fixer ses conditions d'une quelconque manière. Une personne entendue par la délégation dispose uniquement du droit de recevoir le procès-verbal pour signature et de corriger d'éventuelles erreurs. La délégation dispose de l'intégralité des enregistrements sonores des auditions de Claude Covassi.

En d'autres termes: la délégation a considéré que Claude Covassi avait régulièrement reçu notification des procès-verbaux de ses auditions et qu'il avait été en état d'en prendre connaissance et de les rectifier, le cas échéant. En refusant de retourner dans les délais les procès-verbaux signés, la délégation a admis que Claude Covassi avait renoncé de manière non équivoque à exercer son droit de corriger les documents qui lui ont été communiqués.

4.4

Elaboration du rapport et adoption

Le 12 avril 2007, la délégation a élaboré un projet de rapport qu'elle a remis pour prise de position aux autorités concernées (art. 157 LParl).

Les chefs du DFJP et du DDPS se sont ralliés pour l'essentiel aux constatations de la délégation. Le chef du Département des institutions du canton de Genève a relevé en substance qu'il ne lui était pas possible de se prononcer en toute connaissance sur d'éventuelles erreurs, matérielles ou formelles, contenues dans le rapport, faute d'avoir eu accès à l'ensemble des pièces du dossier, notamment au procès-verbal de l'audition de l'inspecteur François qui a quitté la police genevoise au 31 janvier 2007.

Le présent rapport prend en considération, dans une large mesure, les avis qui ont été remis à la délégation ainsi que les précisions demandées par les autorités du canton de Genève et de la Confédération.

La délégation tient à relever que le présent rapport se veut le plus complet, étant précisé que, dans certains cas, il n'est pas possible de donner des détails sur les modes opératoires des services de renseignement qui sont couverts par le secret.

La délégation a adopté le présent rapport lors de sa séance du 15 mai 2007 et l'a communiqué aux Commissions de gestion des Chambres fédérales qui en ont pris connaissance le 25 mai 2007. Elles ont décidé de le publier.

11

Ordonnance de l'Assemblée fédérale du 3.10.2003 portant application de la loi sur le Parlement et relative à l'administration du Parlement (Ordonnance sur l'administration du Parlement, OLPA; RS 171.115).

6490

5

Services de renseignement et bases légales

La Confédération dispose de deux services de renseignement civils dont la tâche principale consiste à rechercher des informations susceptibles d'améliorer la sécurité de la Suisse à l'échelle nationale et internationale: ­

Le Service d'analyse et de prévention (SAP) qui est le service de renseignement intérieur. Il est rattaché à l'Office fédéral de la police (fedpol), luimême subordonné au Département fédéral de justice et police (DFJP),

­

Le Service de renseignement stratégique (SRS) ­ le service de renseignement extérieur de la Suisse ­ placé directement sous l'autorité du chef du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS).

Le DDPS compte, en plus du SRS civil, deux autres services de renseignement militaire: le Service de renseignement militaire (SRM) et le Service de renseignement des Forces aériennes (SRFA). Ces services ne sont pas concernés par la présente enquête.

5.1

Service d'analyse et de prévention (SAP)

Le SAP, en tant que service de renseignement, exécute toutes les tâches relevant de la protection de l'État. Il a pour objectif général d'assurer le respect des fondements démocratiques et constitutionnels de la Suisse ainsi que de protéger les libertés de la population. Pour ce faire, le SAP a pour mission de déceler de manière préventive les dangers que représentent le terrorisme, l'extrémisme violent et les activités de services de renseignement étrangers. Le SAP s'occupe également des menaces qui découlent du commerce illégal d'armes et de substances radioactives ainsi que du transfert illégal de technologie sensible. Il soutient en outre les autorités policières et les autorités de poursuite pénale compétentes en leur fournissant des renseignements utiles à la lutte contre le crime organisé, notamment des renseignements provenant des autorités de sûreté étrangères.

Enfin, depuis le 1er janvier 2007, le SAP a pour mandat de rechercher des informations sur les actes de violence commis lors de manifestations sportives et sur les auteurs de ces actes. La loi prévoit en outre des mesures préventives contre la propagande incitant à la violence.

Les dispositions légales qui fondent les activités du SAP figurent, pour l'essentiel, dans la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure12 ainsi que dans plusieurs ordonnances d'application, en particulier l'ordonnance sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure13. On trouve d'autres prescriptions touchant à l'organisation du SAP, notamment à l'art. 3, al. 3, de l'ordonnance concernant l'exécution de tâches de police judiciaire au sein de l'Office fédéral de la

12 13

Loi fédérale du 21.3.1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI; RS 120).

Ordonnance du 27.6.2001 sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (OMSI; RS 120.2).

6491

police14. Le traitement des données gérées par le SAP est réglé dans l'ordonnance sur le système de traitement des données relatives à la protection de l'Etat15.

Le SAP travaille étroitement avec les autorités cantonales de police et la PJF, mais aussi avec d'autres services de sécurité suisses et étrangers. Chaque canton doit désigner une autorité chargée de collaborer avec le SAP pour l'application de la LMSI (art. 6, al. 1, LMSI). Les cantons sont indemnisés par la Confédération pour les prestations qu'ils effectuent dans le cadre de la protection de l'Etat16.

La LMSI autorise le SAP et les cantons à rechercher les informations nécessaires à l'exercice de leurs attributions. Ils peuvent rechercher ces informations à l'insu de la personne concernée.

L'art. 14, al. 2, LMSI règle de manière détaillée et exhaustive les moyens que le SAP a le droit d'utiliser en matière de recherche d'informations personnelles en Suisse. Les méthodes de recherche comprennent les sources humaines (HUMINT), les sources signalétiques (SIGINT/COMINT) et les sources accessibles au public (OSINT).

Art. 14, al. 2, LMSI 2

Recherche d'informations

Des données personnelles peuvent être recueillies par le biais: a.

de l'exploitation de sources accessibles au public;

b.

de demandes de renseignements;

c.

de la consultation de documents officiels;

d.

de la réception et de l'exploitation de communications;

e.

d'enquêtes sur l'identité ou le lieu de séjour de personnes;

f.

de l'observation de faits, y compris au moyen d'enregistrements d'images et de sons, dans des lieux publics et librement accessibles;

g.

du relevé des déplacements et des contacts de personnes.

A ces sources d'informations s'ajoutent l'entraide administrative (art. 13 LMSI) ainsi que la coopération avec des services partenaires étrangers (art. 17, al. 3 sur la communication de données personnelles à des autorités à l'étranger; art. 26, al. 2, LMSI sur l'approbation des accords administratifs internationaux). A l'heure actuelle, il n'existe pas de base juridique réglant la recherche secrète d'informations17.

Le SAP ne dispose pas de mesures de contrainte, comme la surveillance des télécommunications ou de la correspondance. De telles mesures sont réservées exclusivement aux organes de police judiciaire dans le cadre d'une procédure d'enquête de 14 15 16

17

Ordonnance du 30.11.2001 concernant l'exécution de tâches de police judiciaire au sein de l'Office fédéral de la police (RS 360.1).

Ordonnance du 30.11.2001 sur le système de traitement des données relatives à la protection de l'Etat (Ordonnance ISIS; RS 120.3).

Ordonnance du 1.12.1999 concernant les prestations financières allouées aux cantons pour le maintien de la sûreté intérieure (Ordonnance LMSI sur les prestations financières; RS 120.6).

Stratégie des services de renseignement en matière de sûreté intérieure pour les années 2007 à 2011, septembre 2006, adoptée par le Conseil fédéral le 22.11.2006, p. 6 (non publiée).

6492

police judiciaire ou d'une instruction préparatoire (art. 14, al. 3, LMSI). Le SAP n'est pas habilité non plus à observer des faits ou des personnes dans des locaux privés ou de procéder à des perquisitions secrètes dans des systèmes informatiques.

Le SAP peut en revanche mener des opérations préventives. Il s'agit d'actions dépassant le cadre normal d'une investigation de service de renseignement par son importance, son étendue, les moyens requis ou par la nécessité du maintien du secret (art. 14, al. 1, OMSI). En général, les opérations ont trait au recrutement ou à la conduite d'informateurs. Le lancement d'une opération est décidé par le chef du SAP qui fixe par écrit le but, la durée et les moyens à engager (art. 14, al. 3, OMSI).

Les opérations font l'objet d'une évaluation annuelle (art. 14, al. 4, OMSI) qui est soumise au chef du DFJP18 et à la DélCdG.

L'activité du SAP doit être clairement distinguée de celle de la PJF. Cette dernière est l'autorité de police judiciaire de la Confédération. Elle mène des enquêtes préliminaires et des procédures de police judiciaire dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération (art. 336 et 337 du Code pénal19) ainsi que dans d'autres domaines relevant de la législation pénale accessoire (loi sur les stupéfiants). Bien que la PJF relève de fedpol, ses enquêtes sont dirigées par le Procureur général de la Confédération (art. 17, al. 1, de la loi fédérale sur la procédure pénale20) et placées sous la surveillance de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral.

En d'autres termes, le SAP est un service de renseignement actif dans la prévention, la PFJ est un service de police judiciaire axé sur la répression des délits (voir tableau 1, en annexe).

5.2

Service de renseignement stratégique (SRS)

Le SRS gère les activités de renseignement en rapport avec l'étranger et s'intéresse aux développements politiques, militaires, technologiques et économiques à l'étranger. Dans ces domaines d'activités, il fournit aux autorités politiques et au commandement militaire des informations qui sont essentielles à la sécurité de la Suisse; il les analyse et les diffuse. Outre le suivi de l'évolution à long terme, le SRS est également responsable de la détection précoce des questions touchant la sécurité de la Suisse. A cet effet, il dispose d'un centre d'analyse de la situation et d'alerte.

Le SRS obtient ses informations grâce à21:

18

19 20 21

­

l'exploitation des sources ouvertes (open source intelligence, OSINT) telles que les banques de données, les publications scientifiques, la littérature spécialisée, Internet, etc.;

­

la recherche d'informations par et avec l'aide de contacts humains, par ex.

avec des informateurs, avec des agents de renseignement, etc. (human intelligence, HUMINT); Voir «Weisung des Vorstehers EJPD über die Berichterstattung betreffend die Tätigkeiten zur Wahrung der inneren Sicherheit gemäss Bundesgesetz über Massnahmen zur Wahrung der inneren Sicherheit vom 21. März 1992», du 26.8.2004 (n'existe qu'en allemand).

Code pénal suisse du 21.12.1937 (CP; RS 311.0).

Loi fédérale du 15.6.1934 sur la procédure pénale (PPF; RS 312.0).

Rapport de la DélCdG sur le système d'interception des communications par satellite du DDPS (projet «Onyx»), du 10.11.2003 (FF 2004 1377).

6493

­

l'échange d'informations avec d'autres services partenaires ainsi qu'avec des sources tierces;

­

l'exploration des signaux ou renseignement électronique (signals intelligence, SIGINT). Cette technique permet la collecte d'informations issues de l'écoute de systèmes de transmission ou de l'interception d'autres émissions électromagnétiques.

Le SRS trouve son fondement juridique à l'art. 99 de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire22: Art. 99 LAAM

Service de renseignements

Le service de renseignements a pour tâche de rechercher, d'évaluer et de diffuser des informations sur l'étranger importantes en matière de politique de sécurité.

1

Il est habilité à traiter, le cas échéant à l'insu des personnes concernées, des données personnelles, y compris des données sensibles et des profils de la personnalité, à condition et aussi longtemps que ses tâches l'exigent. Il peut, de cas en cas, communiquer des données personnelles à l'étranger en dérogation aux dispositions de la protection des données.

2

2bis Il peut communiquer à l'Office fédéral de la police les informations sur des personnes en Suisse qu'il a obtenues dans l'exercice des activités mentionnées à l'al. 1, et qui peuvent êtres importantes pour la sûreté intérieure ou pour la poursuite pénale.

3

4

Le Conseil fédéral règle: a.

le détail des tâches du service de renseignements, son organisation et la protection des données;

b.

l'activité du service de renseignements en période de service de promotion de la paix, de service d'appui et de service actif;

c.

la collaboration du service de renseignements avec les autres services cantonaux et fédéraux ainsi qu'avec les services étrangers;

d.

les exceptions aux dispositions sur l'enregistrement des fichiers lorsque, à défaut, la recherche des informations serait compromise.

La protection des sources doit dans tous les cas être assurée.

Le service de renseignements est directement subordonné au chef du Département de la défense, de la protection de la population et des sports.

5

Cet article est complété par l'ordonnance sur l'organisation des services de renseignements au sein du DDPS23.

22 23

Loi fédérale du 3.2.1995 sur l'armée et l'administration militaire (LAAM; RS 510.10).

Ordonnance du 26.9.2003 (Ordonnance sur les services de renseignements au DDPS, Orens; RS 510.291).

6494

5.3

Collaboration entre le SAP et le SRS

La collaboration entre le SAP et le SRS est réglée dans un arrêté du Conseil fédéral du 22 juin 2005 ainsi que dans une directive du 28 novembre 2005, signée par les chefs du DFJP et du DDPS. Le SAP et le SRS ont fixé les détails de leur collaboration dans un règlement daté du 14 décembre 2005.

6

Quelques définitions

Avant toute analyse, il convient de définir un certain nombre de termes:

24

25

-

Par «opération», il faut entendre une action de police préventive destinée à recueillir, sur une longue période, des informations sur des personnes, des organisations ou des événements (art. 14, al. 1, OMSI). Une opération est principalement mise sur pied pour des raisons de maintien du secret, notamment pour garantir la meilleure protection possible des sources.

-

Le terme de «source» désigne l'origine d'une information. Dans le domaine du renseignement, on entend par sources notamment les personnes qui transmettent des informations sensibles, les services de renseignement suisses et étrangers et l'exploration des signaux (art. 11, al. 1, Orens; art. 20a, al.

2, OMSI). La règle d'or de tout service de renseignement est d'assurer la «protection des sources». Ce principe ­ appelé aussi privilège de l'informateur dans la littérature anglo-saxonne ­ a pour objectif de protéger l'identité de la source d'une information afin d'assurer la sécurité de l'informateur et d'empêcher que ce dernier ne subisse les conséquences négatives de son activité de renseignement24. Il s'agit également de protéger les méthodes opératoires des services de renseignement. La protection des sources est consacrée ­ pour les activités du SAP ­ par l'art. 17, al. 7, LMSI et par l'art. 20a, al. 2, OMSI, et ­ pour le SRS ­ par l'art. 99, al. 4, LAAM et par l'art. 11, al.

2, Orens.

-

Un «informateur» est une personne privée qui, de son propre chef, communique des informations à la police ou à un service de renseignement sans en faire partie. Dans la police, on parle aussi d'«indicateur», de «mouchard» ou d'«agent spontané», voire, en langage commun d'«indic». Dans le langage du renseignement, on utilise aussi le terme d'«honorable correspondant». La notion d'informateur n'est actuellement pas définie dans le droit fédéral.

-

Par «infiltration», il faut entendre une action visant à placer un agent au sein d'une organisation, d'une autorité ou d'une entreprise sous le couvert d'une identité d'emprunt. La loi fédérale sur l'investigation secrète25 fixe le cadre légal dans lequel la police a le droit d'infiltrer ses membres (agents infiltrés) dans des milieux criminels pour élucider des infractions particulièrement graves. En l'occurrence, on parle d'«investigation secrète». La LFIS est entrée en vigueur au 1er janvier 2005.

Sur la protection des sources, voir l'avis de droit de la Direction du droit international public et de l'Office fédéral de la justice à l'intention de la DélCdG intitulé «Restrictions juridiques aux échanges entre le SAP et le SRS d'informations émanant de services de renseignement étrangers», du 22.12.2006 (JAAC 2007.3.2, p. 98 à 121).

Loi fédérale du 20.6.2003 sur l'investigation secrète (LFIS; RS 312.8).

6495

-

Par «officier traitant», on entend un agent des services de renseignement qui gère des sources et recueille les informations communiquées par des informateurs.

-

Un «espion» est un agent d'un service de renseignement dont la mission consiste à recueillir des informations sur une puissance étrangère. L'activité d'espionnage au préjudice de la Suisse est réprimée par le code pénal (art. 272 ss. CP).

-

Une «taupe» est un agent recruté ou implanté dans l'organisation de renseignement ou politique d'un pays, généralement citoyen de ce pays, et qui fournit des informations à une puissance étrangère sur une base régulière26.

7

Déroulement des événements

7.1

La personne de Claude Covassi

Monsieur Claude Roland Covassi est né le 19 mars 1970 à Genève. Il est de nationalité suisse et originaire d'Argovie. Il dispose également de la nationalité italienne.

Claude Covassi a vécu toute sa jeunesse à Genève. Il est célibataire et se dit rentier.

Il a accompli toute sa scolarité obligatoire à Genève. Par la suite, il a entrepris un apprentissage de monteur-électricien. Claude Covassi prétend avoir suivi des études universitaires à Paris où il aurait obtenu, selon ses déclarations au SAP et à la Police genevoise, une licence en philosophie en 1993. Au SRS, il a affirmé être détenteur d'un Diplôme d'Etudes Supérieures Spécialisées (DESS) en psychologie du travail obtenu à Paris en 1994.

Connu des services de la police judiciaire genevoise pour diverses affaires, Claude Covassi n'exerce aucune activité professionnelle rémunérée. Selon ses dires, il subviendrait à ses besoins grâce à une petite fortune personnelle. Il bénéficierait aussi d'un soutien financier alloué par le canton de Genève. Dans la deuxième moitié des années 1990, Claude Covassi a été mêlé à un trafic d'anabolisants en relation avec les milieux sportifs qu'il fréquentait à l'époque.

Les rapports de la police genevoise, du SAP et du SRS décrivent Claude Covassi comme un personnage sympathique avec lequel il est agréable de discuter. Il semble être doté d'une grande intelligence et d'une force de séduction. Certaines personnes entendues par la délégation brossent de Claude Covassi le portrait d'une personne habituée à vivre d'expédients et présentant un certain talent à manipuler les autres.

D'un caractère opportuniste, il est habitué à n'en faire qu'à sa tête et accepte mal les critiques, estimant parfois être la victime de persécutions.

26

Définition selon J. Baud, «Encyclopédie du renseignement et des services secrets», coll.

Renseignement et guerre secrète, éditions Charles Lavauzelle, Paris, 2002, p. 692.

6496

7.2

Recrutement de la source par la Police cantonale de Genève

«François», inspecteur à la Police cantonale de Genève, a fait la connaissance de Claude Covassi en été 2002 lors d'une enquête de police où ce dernier avait été entendu comme témoin. A l'époque, l'inspecteur François était affecté à la Brigade des enquêtes générales. Les deux personnes ont sympathisé. Quelques semaines plus tard, Claude Covassi a appelé l'inspecteur François pour l'informer qu'il avait eu connaissance d'un trafic de stupéfiants entre Genève et l'Espagne. Mis en contact avec la Brigade des stupéfiants, Claude Covassi a collaboré avec elle depuis 2003.

Son rôle consistait, selon les affirmations qu'il a faites à la délégation et à la presse, à servir d'agent provocateur en créant les conditions permettant des arrestations de trafiquants de drogue en flagrant délit.

Le 12 décembre 2003, Claude Covassi contacte l'inspecteur François pour l'informer qu'il avait eu l'occasion de dîner une semaine auparavant avec N._____, l'un des frères de Hani Ramadan, le directeur du CIG27. Lors de ce repas, Claude Covassi se serait montré particulièrement attentif au discours de N._____, de sorte qu'il se serait établi, selon Claude Covassi, une relation quasi amicale entre les deux hommes. Dans une note confidentielle qui relate l'entretien avec Covassi, l'inspecteur François ­ entre temps muté à la Brigade des investigations spéciales (BRIS) ­ consigne ses impressions. Il note que Claude Covassi «s'est dit tout à fait disposé à [...] renseigner [la police] sur la famille Ramadan, si ses relations devaient se développer».

Le 14 janvier 2004, l'inspecteur François rencontre Claude Covassi dans un salon de thé à Genève. A cette occasion, Claude Covassi explique à l'inspecteur François qu'il aurait partagé quelques jours plus tôt un repas en compagnie de N._____ Ramadan et de son frère Z._____. Lors de ce dîner, Claude Covassi aurait eu l'occasion d'aborder longuement avec les frères Ramadan le thème de l'islam en général et du fondamentalisme en particulier. Dans le rapport qu'il établit à la suite de ce contact, l'inspecteur François relève: «Affichant mon intérêt pour sa démarche, j'ai tout de même préféré tenir un discours tendant à freiner son enthousiasme et ses velléités, le mettant en garde devant les difficultés et les dangers [...]».

S'agissant des motivations de Claude Covassi, l'inspecteur
décrit ce dernier comme suit: «Grisé par l'intrigue, Claude [Covassi] recherche certainement une activité le sortant de sa routine. Il semble vouloir se rendre utile pour la patrie tout en voulant goûter aux sensations policières». Relevant son implication dans un trafic d'anabolisants, l'inspecteur souligne que «c'est vraisemblablement mû par le désir de se 27

Le CIG a été créé en 1961 par Saïd Ramadan, beau-fils de l'imam Hassan Al-Banna, fondateur de la confrérie des Frères musulmans en Egypte. Situé à la rue des Eaux-Vives 104 à Genève, le CIG est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10.12.1907 (CC; RS 210). Les locaux du CIG comprennent une mosquée, une salle de conférences et une bibliothèque. Le CIG organise aussi des activités sportives et des spectacles. En 1995, suite au décès de Saïd Ramadan, son fils Hani Ramadan a repris la direction du CIG. D'origine égyptienne et de nationalité suisse, M. Ramadan a enseigné depuis 1981 dans un cycle d'orientation du canton de Genève. Le 5.2.2003, M. Ramadan a été licencié par le Gouvernement genevois suite à la publication d'une tribune libre dans le journal «Le Monde» du 10.9.2002 dans lequel il justifiait la lapidation des femmes adultères. Par décision du 15.3.2004, puis du 27.4.2005, la commission de recours du personnel enseignant de l'instruction publique (CRIP) a admis partiellement le recours de Hani Ramadan dirigé contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 5.2.2003 prononçant son licenciement.

M. Ramadan a quatre frères et une soeur.

6497

racheter qu'il propose aujourd'hui ses services». On peut lire également dans le rapport du policier genevois que Claude Covassi est «rompu à l'art de la manipulation» et qu'«il est prudent de se méfier de ses dires et de contrôler les informations qu'il distille». Et l'inspecteur de conclure: «Pour l'heure, je ne peux pas encore dire si cette source est fiable et si elle continuera sa démarche. Cependant, il semble intéressant d'exploiter cette opportunité qui, à moyen terme, et si les accointances avec le milieu islamique se renforcent, pourra nous rapporter des informations [...]».

Au début du mois de février 2004, L._____ ­ un membre du CIG ­ propose à Claude Covassi de l'engager afin de dynamiser l'association sportive du centre.

Devant l'intérêt que Claude Covassi semble porter à la culture du Moyen-Orient, L._____ lui aurait proposé de prendre des cours d'arabe au CIG. Selon d'autres déclarations, ce serait Claude Covassi qui aurait contacté L._____ pour avoir des informations sur les activités sportives du CIG; Claude Covassi voulait savoir en l'occurrence s'il pouvait participer à des cours d'arts martiaux organisés par le centre.

Le 10 mars 2004, l'inspecteur François rencontre Claude Covassi dans une auberge à Onex (GE). Claude Covassi explique à l'inspecteur François les motivations qui le poussent à s'intégrer au milieu islamique de Genève et à collaborer avec la police.

Dans le document où il relate ses impressions, l'inspecteur relève que Claude Covassi ne donne pas d'explication vraiment précise sur son engagement, sinon qu'il trouve une stimulation intellectuelle à découvrir une nouvelle culture. Il semble grisé par l'aspect secret et dangereux de son activité. Aux dires de l'inspecteur François, Claude Covassi chercherait aussi à effacer les traces d'un passé de petit escroc. Lors de l'entretien, Claude Covassi indique qu'Hani Ramadan aimerait le rencontrer le 16 mars 2004 afin de discuter de son avenir spirituel. Claude Covassi annonce qu'il va s'inscrire à des cours coraniques dans l'intention de se convertir à l'islam et de devenir un musulman pratiquant.

Claude Covassi rencontre Hani Ramadan pour la première fois le 16 mars 2004 au Centre islamique des Eaux-Vives. Le lendemain, 17 mars 2004, Claude Covassi informe l'inspecteur François sur le déroulement de l'entrevue et
fournit différentes informations sur des personnes qui fréquentent le centre.

Claude Covassi rédige un document le 21 mars 2004 à l'intention de l'inspecteur François. Dans ce document, Claude Covassi décrit le CIG et son fonctionnement. Il propose également une «approche» de Hani Ramadan qu'il détaille en cinq points de la manière suivante: «Je pense pouvoir asseoir ma confiance auprès de lui en adhérant à sa stratégie, à savoir: 1, séduction; 2, fascination; 3, identification et imitation; 4, conversion à l'islam; 5, endoctrinement».

Sur le court terme, Claude Covassi prévoit notamment de participer aux cours de Hani Ramadan, d'apprendre l'arabe et de solliciter L._____ afin qu'il lui trouve un logement («l'idéal serait une cohabitation dans un appartement avec d'autres musulmans»). Sur le moyen terme, Claude Covassi indique dans son mémo du 21 mars 2004 qu'il prévoit sa «conversion à l'islam» et se propose d'effectuer un «séjour dans un pays du Moyen-Orient au sein d'une école coranique afin d'approfondir [ses] connaissances sur l'islam et d'asseoir [sa] crédibilité». Il indique également dans sa note qu'il veut renforcer ses liens avec la communauté musulmane du centre islamique «par tous les moyens à [sa] disposition». Le 6498

24 mars 2004, Claude Covassi établit un deuxième mémo qu'il transmet à l'inspecteur François. Dans ce document, Claude Covassi fait référence à un entretien qu'il aurait eu avec Hani Ramadan. Il donne aussi des précisions sur d'autres personnes rencontrées au CIG.

L'inspecteur François rencontre Claude Covassi le 24 mars 2004 à Onex (GE).

Dans la note de cet entretien, l'inspecteur François indique ce qui suit: «Nous lui avons assigné des objectifs précis, [...]. Il s'agit, dans un premier temps, et comme objectif essentiel, de se convertir et embrigader par les musulmans qu'il fréquente, en particulier par les intellectuels tels que Ramadan. Claude [Covassi] se dit prêt à engager ces démarches et s'estime apte à assumer un tel bouleversement».

Claude Covassi fournit le 26 mars 2004 un troisième rapport à l'inspecteur François. Ce rapport contient des informations sur l'entourage de Claude Covassi ainsi que sur ses contacts au CIG. Claude Covassi y indique notamment: «J'ai fait courir le bruit que c'est lors de mon incarcération à Champ-Dollon (du 5 au 11 février 2004) que s'est développé mon intérêt pour l'Islam, en côtoyant mes compagnons de cellule musulmans. Dans la continuité de mon existence un peu turbulente de ces dernières années [...] cela ne surprend pas plus que ça, selon les retours qui me sont déjà parvenus, que je trouve une voie qui m'assagisse». Dans le document établi par Claude Covassi, ce dernier mentionne qu'il va écrire des textes sur sa progression dans l'islam qu'il pense remettre au directeur du CIG. Claude Covassi ajoute qu'il est persuadé que Hani Ramadan n'a aucun doute quant à l'authenticité de sa démarche.

Compte tenu du développement des relations entre Claude Covassi et les frères Ramadan et au regard des informations fournies, la BRIS demande au SAP qu'il prenne position sur la personne de Covassi et évalue son potentiel. La date exacte de cette démarche n'est pas documentée.

7.3

Début de l'opération «Memphis» conduite par le SAP

Sur la base des informations livrées par la police genevoise, les commissaires Antoine et Dominique du SAP demandent à la BRIS d'organiser une rencontre avec Claude Covassi. Le contact a lieu le 2 avril 2004 à Genève dans un local qui avait été réservé par l'inspecteur François à la demande du commissaire Antoine. La salle a été louée sous un nom fictif. Lors de cette rencontre exploratoire, à laquelle participait également l'inspecteur François, les commissaires du SAP, «Antoine» et «Dominique», présentent leur service et les missions qui les occupent. Ils posent plusieurs questions à Claude Covassi, s'informant sur son identité, sur son passé ainsi que sur ses relations et ses motivations. Claude Covassi explique qu'il se trouve en phase de conversion à l'islam et qu'il est déjà dans le stade de l'explication de la prière. Les commissaires du SAP expliquent aussi à Claude Covassi les règles qui sont applicables à l'engagement des informateurs. Ils lui précisent notamment qu'un informateur ne bénéficie d'aucun privilège légal et qu'il n'a pas le droit de commettre des délits pour accomplir son travail. L'informateur doit aussi s'engager à suivre les instructions de son officier traitant et éviter toute initiative qui sorte du mandat du renseignement préventif.

6499

Il a résulté de cette première entrevue que la source semblait avoir un profil intéressant pour le SAP.

Deux contacts ont lieu entre Claude Covassi et l'inspecteur François les 26 et 27 avril 2004 dans un salon de thé à Genève. Claude Covassi remet un mémo, daté du 25 avril 2004, dans lequel il expose les nombreux contacts qu'il a pu établir au CIG. Il rapporte également qu'il rencontre très régulièrement Hani Ramadan.

Le 30 avril 2004, Claude Covassi se convertit à l'islam au CIG en adoptant le nom musulman d'«Adil» (littéralement «le juste»). Depuis ce moment, Claude Covassi se rend quotidiennement au CIG.

Lors d'une rencontre ayant lieu le 11 mai 2004, Claude Covassi informe l'inspecteur François de son initiative intitulée «Pôle de communication» qui consiste à créer un site Internet sur lequel les jeunes convertis de Genève expliqueraient leur cheminement dans l'islam, le but étant, selon Covassi, de les identifier.

Le 7 juin 2004, le commissaire Antoine transmet une demande écrite au chef du SAP pour ouvrir une opération. Dans la conclusion de sa demande, le commissaire relève qu'il est «primordial [...] de saisir cette opportunité unique de pouvoir approcher et contrôler d'une certaine manière l'un de responsables les plus influents dans le domaine du fondamentalisme islamique en Suisse, petit-fils du fondateur du mouvement islamiste radical des en pleine évolution en Egypte et dans le monde arabo-musulman actuel».

Le 11 juillet 2004, le chef du SAP donne son autorisation pour l'ouverture formelle de l'opération baptisée «Memphis». Claude Covassi reçoit le nom de code «Ménès» dans le cadre de cette opération. L'opération est conduite par le commissaire Antoine comme officier traitant; l'inspecteur François reste le correspondant local de Claude Covassi à Genève.

Les buts et objectifs de l'opération figurent dans le dossier d'ouverture de l'opération. A teneur de ce document, il s'agit en substance d'«avoir le pouls» du CIG; de «construire des liens avec les personnages importants qui gravitent autour du CIG [...]»; de «connaître les influences exercées par Hani Ramadan sur les participants musulmans étrangers et suisses [...]»; d'«informer en général sur le fondamentalisme islamique et ses dérives dans notre pays [...]»; d'informer «sur le mouvement islamique radical
des Frères Musulmans en Suisse et à l'étranger [...]»; de «participer éventuellement à certaines conférences ou réunions [...] en compagnie de Hani Ramadan notamment, après préavis et accord de l'OT [officier traitant] uniquement»; de «démasquer tout agent dormant islamiste éventuel parmi les gens identifiés ou fréquentant le CIG»; d'«identifier, dans la mesure du possible, toute personne importante de passage ou responsable d'un réseau logistique éventuel» et de «découvrir préventivement et à temps tout comportement suspect ou action violente qui pourrait mettre en péril la sécurité intérieure de notre pays».

Selon la décision d'ouverture, l'objectif principal assigné à l'opération est la personne de Hani Ramadan, dont le nom de code est «Ramsès». La direction du SAP approuve la collaboration provisoire avec la source et donne pour consigne que la recherche d'informations soit concentrée sur des organisations ou des personnes proches de groupements figurant sur la liste d'observation (art. 11, al. 2, let. b, et art. 11, al. 3, LMSI).

6500

L'ordre de mission prévoit que le SAP «garde la direction du traitement de la source [...], pour toutes les questions relatives aux choix de la recherche du renseignement, de son engagement éventuel en Suisse et à l'étranger, du financement de ses prestations et besoins particuliers, de ses problèmes éventuels avec toute instance politique, administrative ou de police». Quant au représentant de la BRIS, «il est chargé de collationner et d'analyser dans un premier temps toutes les informations transmises oralement ou par écrit par []». En d'autres termes, à partir du 11 juillet 2004, la source dépend opérationnellement du SAP.

Claude Covassi rencontre le commissaire Antoine et l'inspecteur François le 4 août 2004 à Genève. Il les informe que Hani Ramadan s'est rendu en Arabie Saoudite de la mi-juillet au 10/15 août 2004 pour des motifs que Claude Covassi dit ignorer. Ce dernier évoque l'idée de fréquenter une école coranique en Egypte. Le commissaire Antoine prévient Claude Covassi qu'il ne doit pas se rendre dans des pays à risques sans en référer au SAP. Il lui verse, contre quittance, une indemnité de 500 francs.

Le 30 août 2004, le directeur de fedpol et le chef du SAP informent la DélCdG sur l'ensemble des opérations en cours au SAP. Dans son rapport écrit à la DélCdG, fedpol indique les buts de l'opération «Memphis» et relève que cette dernière a été ouverte formellement le 11 juillet 2004.

Le 18 septembre 2004, Claude Covassi participe, avec l'accord du SAP, à une délégation du CIG à la 14e réunion de la ligue des Musulmans de Suisse à Fribourg.

Le 6 octobre 2004, Claude Covassi a un entretien avec le commissaire Antoine et l'inspecteur François à Genève. Claude Covassi donne des informations sur le manuel du djihad qui aurait été distribué à la sortie de mosquées en France voisine.

Il livre également des informations sur deux individus qui se distinguent par un discours typiquement salafiste. Le commissaire Antoine prie la source d'éviter toute initiative intempestive et l'invite à faire preuve de discrétion.

Lors d'une rencontre à Genève le 21 octobre 2004, Claude Covassi informe le commissaire Antoine et l'inspecteur François sur le fait que certains Afghans au CIG inciteraient les frères au djihad, mais sans grand écho sur place. Claude Covassi donne également des indications
sur les propos échangés au CIG suite à l'agression au couteau commise le 8 octobre 2004 sur l'imam du Centre islamique de Lausanne (CIL).

Le 12 novembre 2004, Claude Covassi rencontre à Genève le commissaire Antoine et l'inspecteur François. Selon Claude Covassi, un certain A._____ serait en contact au Maroc avec des juristes salafistes. L'intéressé se distinguerait de plus en plus par un comportement extrémiste sur la scène musulmane genevoise28. En outre, A._____ chercher également à faire du trafic d'anabolisants et chercherai des conseils auprès de Claude Covassi.

Le commissaire Antoine et l'inspecteur François rencontrent Claude Covassi le 24 novembre 2004 à Genève. Ce dernier évoque une publication intitulée «Al Qalam». Il s'agit d'un bulletin que Claude Covassi publie en son nom et dans lequel il soutient un discours anti-américain qui doit lui permettre de construire des liens avec des musulmans qui fréquentent le CIG. Claude Covassi informe également le SAP que A._____ serait en bons termes avec un Algérien du nom de F._____, 28

A._____ a été arrêté en 2005 dans le cadre d'une procédure pénale ouverte par le Ministère public de la Confédération en relation avec des enquêtes anti-terroristes.

6501

membre influent d'une organisation extrémiste. Claude Covassi affirme aussi qu'il aurait rencontré personnellement F._____ le 15 novembre 2004. Claude Covassi signale aussi le comportement suspect d'un certain X._____ qui semble jouer un rôle éventuel de «motivateur» pour le djihad. Le commissaire Antoine remet à Claude Covassi, contre quittance, une indemnité de 1000 francs.

Le 28 décembre 2004, le commissaire Antoine et l'inspecteur François rencontrent Claude Covassi à Nyon (VD). Cette rencontre n'est pas documentée dans le dossier du SAP. Selon le commissaire Antoine, les thèmes évoqués ne présentaient pas un intérêt particulier.

Le 26 janvier 2005, Claude Covassi rencontre le commissaire Antoine et l'inspecteur François à Genève. A cette occasion, il leur fournit plusieurs indications sur différentes personnes ­ notamment S. _____ ­ suspectées d'être proches du djihad à Genève; ces personnes seront formellement identifiées par la suite. Claude Covassi informe les policiers que F._____ projetterait de créer un magazine sur l'islam en Suisse et chercherait des personnes capables d'y écrire des articles. Claude Covassi indique qu'il pourrait y participer s'il en reçoit l'autorisation de Hani Ramadan. Il décrit également le comportement de Hani Ramadan au CIG. Ce dernier lui aurait suggéré de se rendre en Syrie afin de rendre plus crédible sa conversion à l'islam et d'y étudier le coran en langue arabe. Ce déplacement doit être financé par Hani Ramadan qui lui aurait fourni plusieurs personnes à contacter sur place. Lors de l'entretien, le commissaire Antoine indique qu'il est réticent à ce voyage en Syrie, ce qui est confirmé par l'inspecteur François. Claude Covassi insiste tout de même arguant qu'un tel voyage est nécessaire pour crédibiliser sa conversion. Le commissaire du SAP précise à Claude Covassi que ce déplacement n'a rien à voir avec sa mission pour le SAP et qu'il devra le financer lui-même. Le commissaire Antoine en profite pour rappeler que le SAP est intéressé avant tout par ce qui se passe au CIG.

Claude Covassi ayant finalement décidé de se rendre en Syrie, le commissaire Antoine lui indique qu'il devra, durant son séjour en Syrie, s'abstenir de prendre des initiatives qui pourraient révéler sa collaboration avec le SAP. Le commissaire Antoine charge Covassi de rédiger un
rapport détaillé sur ses observations durant ce voyage que le commissaire Antoine qualifie de «touristique et d'étude». Le commissaire Antoine met aussi en garde Claude Covassi contre les risques qu'il y aurait à se rendre en Irak ou en Palestine, principalement pour des raisons de sécurité personnelle.

Lors de cette rencontre, Claude Covassi confie au commissaire du SAP et à l'inspecteur de la BRIS que deux ressortissants franco-algériens, J._____ et Y._____, envisagent également de se rendre en Syrie pour y suivre une école coranique. Ces deux individus semblent présenter, selon Claude Covassi, un comportement salafiste depuis peu de temps et fréquentent le CIG et la Grande Mosquée de Genève. J._____ aurait laissé entendre qu'il souhaitait poursuivre son périple en Irak pour rejoindre le djihad.

Plusieurs réunions ont lieu à Genève entre le commissaire Antoine, l'inspecteur François et Claude Covassi avant le départ de ce dernier en Syrie. Lors de ces rencontres, dont les dates ne se laissent plus déterminer avec précision, il aurait été question, selon l'inspecteur François, de déterminer les sites que Claude Covassi pourrait visiter. Le commissaire du SAP n'a pas souvenir d'avoir participé à ces rencontres.

6502

Le 1er février 2005, J._____ et Y._____ quittent Genève pour Beyrouth, où ils sont interpellés à l'aéroport par la sécurité libanaise. Après avoir subi un interrogatoire sur place, tous deux sont renvoyés sur Paris. Ils rejoignent ensuite Genève.

Le 3 février 2005, J._____ et Y._____ prennent un vol Genève-Budapest-Istanbul, avec l'intention de continuer sur Damas par la route. Le même soir, Claude Covassi s'envole pour Damas, via Budapest.

J._____ et Y._____ sont interpellés à la frontière turco-syrienne le 4 février 2005.

Le premier peut continuer son voyage sur Damas le lendemain; le second ne rejoindra son ami qu'une dizaine de jours plus tard. Les raisons exactes de ces interpellations ne sont pas connues, si ce n'est un problème de visa pour l'un d'eux.

Claude Covassi séjourne en Syrie entre le 4 et le 21 février 2005. A son retour, il remet deux rapports au SAP sur ses étapes à Damas et Alep. Dans un de ces rapports, Claude Covassi évoque la problématique de la ville de Genève en tant que lieu de passage pour les volontaires de Suisse romande et de France voisine prêts à se rendre en Irak pour participer au djihad.

L'officier traitant du SAP et l'inspecteur François retrouvent Claude Covassi à Genève le 23 février 2005 à son retour de Syrie. Ils le trouvent changé.

Le 25 février 2005, une seconde rencontre a lieu entre le commissaire Antoine et Claude Covassi. L'inspecteur François n'y participe pas. Claude Covassi livre des informations sur l'émergence possible d'un groupuscule salafiste à Genève.

Le 27 février 2005, Claude Covassi écrit une lettre à l'inspecteur François dans laquelle il fait état des difficultés croissantes qu'il rencontre dans sa collaboration avec le commissaire du SAP. Claude Covassi explique la difficulté qu'il a d'établir un rapport de confiance avec le commissaire Antoine: «depuis le départ, je me suis senti mal compris», ajoute-t-il. Claude Covassi se dit peu encadré et mal conseillé par le commissaire Antoine, notamment pour ce qui est des questions de sécurité.

Dans sa lettre, Claude Covassi manifeste son intention de mettre un terme à sa collaboration avec le SAP. L'inspecteur François tente de le persuader de revenir sur sa décision.

Le 28 février 2005, il rédige un rapport à l'intention de sa hiérarchie et du SAP.

Dans ce rapport, l'inspecteur genevois
relève que Claude Covassi serait prêt à poursuivre sa collaboration moyennant certains aménagements (changement d'officier traitant, garanties de sécurité lors des déplacements à l'étranger, défraiements adaptés aux dépenses).

Le 3 mars 2005, le chef du commissariat dans lequel travaille «Antoine», le commissaire Antoine et l'inspecteur François rencontrent Claude Covassi à Genève.

L'objet de la discussion porte sur les règles de collaboration et les compétences respectives du SAP et de la BRIS dans l'opération «Memphis». Les représentants du SAP indiquent que ledit service n'est pas disposé à entrer en matière sur les exigences posées par Claude Covassi.

Lors d'une entrevue à Genève le 17 mars 2005, Claude Covassi informe le commissaire Antoine et l'inspecteur François que J._____ et Y._____ ont été interpellés par la police syrienne le 4 mars 2005 à Damas et qu'ils ont été interrogés sur les buts de leur séjour en Syrie. Ils auraient été entendus une seconde fois le 17 mars 2005, puis relaxés sans suites, semble-t-il.

6503

Le 23 mars 2005, le commissaire Antoine et l'inspecteur François rencontrent Claude Covassi à Genève. Ce dernier livre de nombreuses informations sur S._____ et A._____. Claude Covassi informe également qu'Hani Ramadan se serait inscrit à une réunion de l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), à Paris, programmée du 25 au 27 mars 2005. Il est prévu que Claude Covassi accompagne Hani Ramadan. Claude Covassi reçoit, contre quittance, une indemnité de 500 francs du SAP.

Le 25 mars 2005, Claude Covassi annonce au commissaire Antoine, via SMS et boîte anonyme Internet, la rupture de sa collaboration avec le SAP. Claude Covassi ne donne aucune explication sur sa démarche.

Le 13 avril 2005, le commissaire Antoine rencontre Claude Covassi à Genève; l'inspecteur François n'assiste pas à l'entretien. Claude Covassi informe le commissaire qu'il ne veut plus poursuivre sa mission et désirerait se rendre en Espagne. La rupture semblant consommée, le commissaire Antoine précise à Claude Covassi les règles s'appliquant au maintien du secret sur l'opération «Memphis». Il lui indique également les risques qu'il pourrait courir en Espagne s'il venait à fréquenter de trop près les milieux islamistes.

Le 17 avril 2005, Claude Covassi téléphone au commissaire du SAP pour l'informer que la Police genevoise aurait tenté une approche sur S._____, sans l'aval du SAP.

Le commissaire Antoine indique à Claude Covassi que la démarche de la police genevoise pourrait mettre sa situation en danger. Le commissaire Antoine invite Claude Covassi à éviter tout contact avec l'inspecteur François, cette affaire étant gérée directement par le SAP.

Entre le 17 avril 2005 et le 27 janvier 2006, le commissaire Antoine essaie à plusieurs reprises de reprendre contact avec Claude Covassi, mais sans succès.

Dans la seconde quinzaine du mois d'avril 2005, l'inspecteur François rencontre le commissaire Karl de la PJF pour évoquer différentes affaires traitées en commun par la BRIS et la PJF. Les deux hommes évoquent entre autres la question de l'importance de Genève pour des djihadistes potentiels. A cette occasion, l'inspecteur François décrit les activités que Claude Covassi a déployées pour le SAP et explique que son informateur serait sur le point de rompre ses relations avec le SAP; l'inspecteur François propose au
commissaire Karl de lui présenter Claude Covassi et de lui donner accès à une partie des informations livrées par ce dernier.

Le commissaire Karl accepte l'offre de l'inspecteur genevois concernant l'accès aux informations collectées. Concernant une rencontre avec Claude Covassi, il refuse cette option, en précisant à l'inspecteur François qu'une telle rencontre ne pourrait avoir lieu que si la source a formellement rompu ses relations avec le SAP et que le contact se déroule dans un cadre totalement inofficiel.

En mai 2005, à une date qui ne se laisse plus déterminer avec précision, l'inspecteur François présente Claude Covassi au commissaire Karl. L'inspecteur François explique à cette occasion que Claude Covassi gravite dans le milieu de l'islam radical et qu'il pourrait être utile à la PJF dans ses enquêtes. Claude Covassi détaille au commissaire Karl son périple en Syrie et ses relations avec certaines personnes qui fréquentent le CIG. Claude Covassi évoque l'hypothèse de s'adresser à un service étranger pour prendre la relève du SAP. Le commissaire Karl et l'inspecteur François lui font clairement comprendre qu'une telle option contreviendrait au droit suisse au titre de l'art. 271 CP. Le commissaire Karl explique à Claude Covassi 6504

qu'en dehors des polices cantonales, du SAP, de la PJF et du SRS, il n'existe aucune autre solution, étant précisé que la PJF n'avait pas les prérogatives pour le conduire.

Le 10 octobre 2005, la DélCdG est informée par le directeur de fedpol, le chef du SAP et le chef de la division des opérations du SAP sur l'ensemble des opérations en cours au SAP. S'agissant de l'opération «Memphis», fedpol mentionne la rupture des contacts et les difficultés de conduire la source. Dans le rapport écrit à l'intention de la DélCdG, établi par le SAP le 19 septembre 2005, on peut lire: «La source est bien placée. Elle recueille des informations importantes et vérifiables.

Elle est par contre difficile à conduire et a tendance à prendre des initiatives risquées, sans en référer à son officier traitant. Actuellement, les contacts avec la source sont rompus. Il est nécessaire de vérifier s'il convient de poursuivre la collaboration avec cette source».

Le 19 janvier 2006 ­ soit neuf mois après le dernier contact entre Claude Covassi et le SAP ­, le chef de la BRIS rencontre le chef de la division des opérations du SAP pour discuter différentes questions. A cette occasion, le chef de la BRIS revient sur le déroulement de l'opération «Memphis» et indique que l'inspecteur François n'approuvait pas la manière avec laquelle le commissaire Antoine avait conduit la source «Ménès». La BRIS estime que le SAP se serait montré trop strict avec Claude Covassi et ne lui aurait laissé que peu de libertés, ce qui a conduit, en définitive, à la rupture de la collaboration. Le chef de la division des opérations du SAP réplique que le commissaire Antoine a conduit la source en accord avec sa hiérarchie.

7.4

Début de la collaboration de Claude Covassi avec le SRS

Claude Covassi adresse le 4 mai 2005 une lettre de postulation au directeur du SRS.

Il y affirme agir sur les conseils d'un responsable de la PJF et prétend être en contact avec des activistes islamistes, tant en Suisse qu'à l'étranger.

Le 10 mai 2005, un officier du SRS, nommé «Michel», prend contact par courriel avec Claude Covassi et lui propose de le rencontrer.

La première rencontre a lieu le 18 mai 2005 dans un restaurant à l'étranger. «Michel» et Claude Covassi discutent des modalités de leur collaboration. D'un commun accord, ils décident de taire leur collaboration au SAP. Claude Covassi reçoit le pseudonyme de «Babylone».

«Michel» et Claude Covassi se donnent rendez-vous une deuxième fois dans un autre restaurant à l'étranger le 31 mai 2005. Il est convenu d'envoyer Claude Covassi dans un pays d'Afrique (R.) pour trois mois, dans le but d'obtenir des renseignements sur un groupe intéressant le SRS. Il est décidé que cet engagement doit servir de test à une éventuelle collaboration future.

Le 9 juin 2005, lors d'une troisième rencontre dans un hôtel à l'étranger, Claude Covassi reçoit de «Michel» quelques milliers de francs destinés à financer son voyage en R. (Afrique). Il recevra deux rallonges par la suite le 26 juillet 2005, puis le 19 août 2005.

Claude Covassi séjourne en R. (Afrique) du 9 juin au 9 septembre 2005.

Le 15 septembre 2005, à Zurich, «Michel» rencontre la source à son retour de R.

(Afrique). Un débriefing complet est fixé pour le 13 octobre 2005.

6505

Claude Covassi est débriefé par le SRS le 13 octobre 2005. Les résultats étant jugés encourageants, le SRS décide de l'envoyer une nouvelle fois à l'étranger.

Le 23 novembre 2005, «Michel» rencontre Claude Covassi dans le canton de Fribourg. Ils discutent de destinations possibles et élaborent plusieurs variantes pour un engagement au Moyen-Orient.

Le 11 décembre 2005, Claude Covassi ­ selon lui ­ informe Hani Ramadan de sa collaboration avec le SAP.

Le 13 janvier 2006, lors d'une rencontre dans le canton de Fribourg, «Michel» informe Claude Covassi de la décision du SRS de l'envoyer dans un autre pays d'Afrique (D.) pour une durée de trois à six mois (avec possible élargissement à un troisième pays africain [M.]). Claude Covassi indique que son contact F._____ pourrait lui arranger le séjour sur place.

Lors d'une rencontre dans le canton de Fribourg le 24 janvier 2006, Claude Covassi reçoit de «Michel» une nouvelle somme d'argent pour financer son voyage en D.

(Afrique). «Michel» remet également à Claude Covassi un dispositif technique permettant des échanges sécurisés d'informations. «Michel» trouve la source particulièrement nerveuse, ce qu'il s'explique par la perspective d'une mission dans un pays difficile.

7.5

Activités parallèles de Claude Covassi pour le SAP et le SRS

Le 27 janvier 2006, le commissaire Antoine reçoit un appel de la présidente du Tribunal de police de Genève. Cette dernière lui explique que Claude Covassi avait été convoqué pour une audience de plaidoirie dans le cadre du jugement d'une affaire de trafic d'anabolisants et qu'il ne s'est pas présenté à l'audience arguant qu'il «[exerçait] depuis 2005 une activité auprès du Service d'analyse et de prévention de la police fédérale» et que «pour des raisons liées à cette activité, il ne [lui] était pas possible de [se] présenter au tribunal ce matin (27.01.2006)». Dans la note écrite qu'il a communiquée au tribunal, Claude Covassi donne le nom et les coordonnées téléphoniques du commissaire Antoine «pour toutes informations utiles».

Le commissaire Antoine confirme à la présidente du tribunal que le SAP avait des contacts avec Claude Covassi, mais que rien n'empêchait la comparution de Claude Covassi au tribunal à Genève.

Après plusieurs mois de silence, Claude Covassi contacte le commissaire Antoine le 27 janvier 2006. Il lui transmet plusieurs SMS pour donner des informations sur J._____. Un rendez-vous est fixé le même soir à Nyon (VD). Claude Covassi déclare à cette occasion ne vouloir travailler à l'avenir qu'avec le SAP et non plus avec l'inspecteur François. Claude Covassi profite de la rencontre pour faire le point sur le cas de J._____. Claude Covassi prétend que J._____ ne serait finalement pas parti en Irak. Il donne aussi d'autres informations sur son parcours personnel durant les derniers mois, sans dire toutefois qu'il travaille pour le SRS.

Claude Covassi informe par ailleurs l'officier du SAP qu'il aurait resserré ses liens avec F._____. Il aurait obtenu de ce dernier des informations sur des activistes de deux groupes terroristes armés. Claude Covassi aurait reçu pour mission de F._____ d'approcher ces activistes sur place à l'étranger, dans le but d'obtenir des informations sur le réseau dans notre pays et en Europe. Pour ce faire, F._____ l'aurait mis 6506

en contact avec un personnage en Afrique. Pour cette mission, Claude Covassi affirme au commissaire du SAP avoir reçu une somme de plusieurs milliers de francs des mains de F._____.

Lors de cette rencontre, Claude Covassi indique au commissaire Antoine qu'il a été convoqué par le Tribunal de police de Genève dans le cadre d'une affaire de trafic d'anabolisants. En fait, convoqué le matin du 27 janvier 2006, il s'y rendra tardivement en arguant ­ sans en aviser préalablement le SAP ­ qu'il était retenu par des missions qu'il exerçait auprès du SAP.

Le 30 janvier 2006, un procureur genevois se renseigne auprès du commissaire Antoine sur le comportement de Claude Covassi le 27 janvier 2006.

Le commissaire Antoine rencontre une nouvelle fois Claude Covassi le 1er février 2006 à Nyon (VD). Ce dernier cherche apparemment à obtenir des informations sur J._____. Il évoque aussi son séjour personnel de trois mois en R. (Afrique) en été 2005 et remet spontanément au commissaire du SAP un document à ce sujet. Le commissaire Antoine lui remet la somme de 200 francs contre signature d'une quittance.

Le 7 février 2006, Claude Covassi explique au SRS qu'un de ses anciens contacts, A._____, lui a communiqué qu'il savait que Covassi travaillait pour les «services» et qu'il fallait qu'il se confesse. L'officier traitant du SRS donne instruction à Claude Covassi de nier ses contacts avec les services de renseignement et de continuer ses activités normalement. Un contact d'urgence est organisé le lendemain, le 8 février 2006, dans le canton de Zurich. Lors de cette entrevue, Claude Covassi affirme que la situation est sérieuse et que ses contacts ont des preuves contre lui. Il est décidé de suspendre pour l'instant la mission en D. (Afrique) pour des raisons de sécurité. Le SRS invite à nouveau Claude Covassi à nier toute relation avec des services de renseignement.

Le 9 février 2006, le commissaire Antoine cherche à contacter Claude Covassi, sans succès.

Le SRS et Claude Covassi échangent de nombreux courriels entre le 9 février et le 15 février 2006. Claude Covassi y prétend avoir été injurié dans la rue et d'avoir dû expulser un de ses contacts hors de son domicile. Selon Claude Covassi, F._____ serait en possession de preuves de la collaboration de Claude Covassi avec le SAP.

Il disposerait notamment de
son nom de code au SAP et du code de l'opération29.

Claude Covassi affirme à son officier du SRS qu'il se sent menacé. Le 10 février 2006, Claude Covassi annonce au SRS qu'il envisage de partir en Espagne et de ne plus revenir avant très longtemps.

Le 11 février 2006, Claude Covassi s'adresse à son agent du SRS pour lui indiquer qu'il va avoir un contact avec F._____, son contact principal. Ce dernier lui montre deux copies de documents l'incriminant; il s'agirait d'un document à en-tête de la Confédération et d'un document de la Police cantonale genevoise. Le SRS est d'avis qu'il ne s'agit pas de preuves tangibles. Le 13 février 2006, vers 17.00 heures, Claude Covassi téléphone à l'agent du SRS pour lui indiquer que son appartement aurait été cambriolé. Du matériel informatique aurait été volé, notamment son ordi-

29

Selon le DFJP, F._____ aurait déclaré spontanément au SAP le 31.5.2006 que Claude Covassi lui aurait confié, au début 2005 déjà, qu'il travaillait pour le SAP ainsi que pour le SRS et la PJF. Cette information n'a pas pu être vérifiée par la DélCdG.

6507

nateur portable. Une plainte est enregistrée par la police cantonale sous l'inscription N° Z 250117 / Z2.

Le lendemain, 14 février 2006, Claude Covassi prend contact par courriel avec le SRS et annonce avoir été agressé en pleine rue par «2 arabes inconnus». La source semble légèrement blessée au visage; elle se serait rendue à l'hôpital pour examen.

La police cantonale enregistre l'événement sous l'inscription N° Z 250471/Z11. La main courante fait état d'une agression par une seule personne qui aurait volé le porte-monnaie de Claude Covassi. Il est mentionné aussi que «l'agresseur a sorti un cutter mais ne l'a pas utilisé».

Une rencontre destinée à évaluer la situation a lieu entre le SRS et Claude Covassi le 15 février 2006 dans le canton de Vaud. Claude Covassi propose d'avouer sa relation avec le SAP à F._____ et de prétendre qu'il a cessé sa collaboration avec cet organe après avoir découvert le chemin de l'islam. Le SRS le dissuade de prendre cette option.

Le 16 février 2006, Claude Covassi envoie un courriel à l'agent du SRS indiquant qu'il pense se confier à F._____. Claude Covassi revient ensuite sur sa décision et annonce qu'il va quitter Genève pour quelques mois. Il demande au SRS de faire un geste en sa faveur. L'agent du SRS lui garantit une aide monétaire ainsi qu'un billet d'avion vers une destination de son choix. Claude Covassi se décide pour Las Palmas (îles Canaries), ayant encore quelques contacts là-bas. Claude Covassi indique qu'il est en train de rechercher un sous-locataire pour son appartement à Genève.

Un contact est pris le jour-même entre un agent du SRS et l'inspecteur François à Chavannes-de-Bogis (VD). Ce dernier confirme que les documents dans les mains de F._____ sont probablement authentiques. L'inspecteur François indique qu'il est dans une situation délicate vis-à-vis du SAP, car il sait que Claude Covassi travaille pour le SRS alors que le SAP l'ignore. L'agent du SRS et l'inspecteur François décident d'aider Claude Covassi à quitter le territoire suisse.

Le 19 février 2006, la police intervient au domicile de Claude Covassi pour y régler un conflit concernant une somme d'argent de 1200 francs que Claude Covassi aurait promise à qui trouverait une personne susceptible de sous-louer son appartement durant six mois. Selon la main courante, les deux parties
en cause renoncent à porter plainte (n° de journal Z 251876/Z1).

Le 20 février 2006, le SRS contacte Claude Covassi dans le canton de Soleure et lui donne l'argent promis et le billet d'avion pour Las Palmas. L'agent du SRS accompagne la source à l'aéroport de Zurich. Avant le départ, l'agent du SRS invite Claude Covassi à se faire oublier pendant un moment.

Le 21 février 2006, Claude Covassi indique à son agent du SRS que tout va bien, mais qu'il a un mauvais pressentiment. Il pense que le SRS va lui préparer un sale coup. Au milieu de la nuit, l'agent du SRS reçoit une série de SMS injurieux. Claude Covassi y affirme que le SRS lui aurait tendu un piège.

Le 22 février 2006, Claude Covassi écrit un courriel à Hani Ramadan dans lequel il l'informe d'un article à paraître dans la «Tribune de Genève». Claude Covassi précise que cet article n'est qu'une première étape et qu'il a l'intention de «détailler plus précisément ce qui [lui] a été donné d'observer [...] sur les méthodes de services en question». (Ce courriel sera reproduit le 30 avril 2006 dans «Le Matin dimanche»).

6508

Le 23 février 2006, la «Tribune de Genève» publie son premier article qui dévoile la collaboration de Claude Covassi avec le SAP (voir ch. 1 ci-dessus). Interrogé sur les origines de cet article par son officier du SRS, Claude Covassi nie toute implication.

Le 25 février 2006, Claude Covassi explique à son officier traitant qu'il avait déjà avoué sa collaboration avec le SAP à F._____ au mois de novembre 2005. Ce dernier en aurait informé Hani Ramadan au début décembre 2005. Hani Ramadan aurait exigé une confession écrite de Claude Covassi, ce que ce dernier aurait refusé. Selon Claude Covassi, Hani Ramadan l'aurait présenté ensuite à une journaliste de la «Tribune de Genève»; cette dernière lui aurait garanti qu'aucun article ne serait publié sur sa collaboration avec le SAP sans son accord. Selon Claude Covassi, après cette rencontre, plusieurs personnes seraient venues lui poser des questions et l'ennuyer. Dans son courriel au SRS, Claude Covassi promet de ne pas mentionner sa collaboration avec le SRS, ni ses contacts avec la BRIS et la PJF.

Dans un autre document publié sur «Blick online» (http://www.blick.ch/img/ HBGyljBQ.pdf) et attribué à Claude Covassi, ce dernier affirme avoir rencontré un journaliste de la «Tribune de Genève» le 7 décembre 2005 et lui avoir transmis un certain nombres d'informations.

Entre le 26 février 2006 et le 4 mars 2006, Claude Covassi échange plusieurs courriels avec le SRS dans lesquels il évoque des articles à paraître dans la «Tribune de Genève» et le «Blick».

Sur recommandation de son officier du SRS, Claude Covassi accepte de partir dans un autre pays et de rompre tout contact avec les journalistes et ses contacts à Genève. Claude Covassi part pour Dakar (Sénégal) en bateau le 9 mars 2006, puis rejoint Le Caire (Egypte) en passant par Nouakchott (Mauritanie) et Casablanca (Maroc).

Le 9 mars 2006, Hani Ramadan publie un communiqué de presse dans lequel il affirme détenir une «confession écrite sous forme d'excuses de [Claude Covassi] le jour même où il a décidé de s'exprimer par voie de presse».

Le 10 mars 2006, le «Blick» publie un long article sur le sujet avec des déclarations de Claude Covassi que le journaliste est allé recueillir aux Canaries.

Le 24 mars 2006, le SRS informe Claude Covassi de la parution d'un article du journal «Le Temps» qui
relate sa condamnation pour trafic d'anabolisants. Claude Covassi prétend qu'il ne sait rien de la nouvelle et accuse le SAP d'avoir influencé le jugement contre lui. Claude Covassi assure encore une fois qu'il ne parlera pas de sa collaboration avec le SRS, ni des ses contacts avec la BRIS et la PJF.

Le 29 mars 2006, des photos «floutées» de Claude Covassi à Las Palmas paraissent dans le «Blick».

Le 30 mars 2006, s'appuyant sur un article du «Blick» faisant état d'enregistrements de conversations entre Claude Covassi et le commissaire Antoine, «Michel» demande par courriel à Claude Covassi si ces enregistrements existent réellement.

Claude Covassi assure son officier traitant qu'il ne dispose d'aucun enregistrement.

Il affirme également qu'il n'a plus de contact avec des journalistes et que toute la campagne de presse serait organisée en Suisse par des islamistes.

Le 31 mars, le 2 et le 3 avril 2006, Claude Covassi envoie plusieurs messages au SRS pour requérir une aide financière. Selon le SRS, ces demandes ressemblent à du chantage: soit le SRS procure de l'argent à la source, soit la source parle à la presse.

6509

Le 4 avril 2006, le SRS communique à Claude Covassi par téléphone qu'il refuse de lui accorder une aide financière supplémentaire.

Le 7 avril 2006, l'édition française de la revue «Intelligence Online» (no 521) publie pour la première fois l'identité complète de Claude Covassi.

Le 21 avril 2006, «Michel» informe Claude Covassi par téléphone que son identité est connue des médias. La source indique qu'elle souhaite rentrer en Suisse, mais qu'elle n'a pas d'argent. C'est le dernier contact entre Claude Covassi et le SRS qui est documenté.

7.6

Epilogue

Le 30 avril 2006, la collaboration de Claude Covassi avec le SRS est éventée par «Le Matin dimanche» et par la «SonntagsZeitung».

Le 12 mai 2006, le «Blick» révèle que des renseignements fournis par Claude Covassi au SRS auraient permis de déjouer une tentative d'attentat contre un avion de la compagnie d'aviation israélienne El-Al à Genève. Claude Covassi affirme avoir prévenu les autorités suisses qu'un Algérien et un Libyen préparaient un attentat et qu'ils auraient acheté un lance-roquette de type RPG-7. Quelques jours plus tard, le Ministère public de la Confédération démentira sans équivoque une quelconque implication de Claude Covassi dans cette affaire.

Le 3 août 2006, l'hebdomadaire «Facts» publie une longue interview de Claude Covassi que l'une des journalistes est allée rencontrer au Caire. Claude Covassi y multiplie les révélations et fait remonter sa collaboration avec les services de renseignement à 1992. A l'époque, les services de renseignement voulaient savoir à quels activistes un certain P._____, présenté comme un ancien membre des Brigades rouges, donnait de l'argent. Selon Covassi, P._____ finançait la formation de combattants en Bosnie. Claude Covassi affirme aussi dans l'article qu'il se serait rendu à Travnik et Teslic en Bosnie pour servir d'observateur pour les services de renseignement suisses. En 1993, toujours selon le récit publié par «Facts», Claude Covassi aurait eu pour mission d'espionner des individus liés à l'extrême-droite. Dans ce cadre, Covassi aurait été membre du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (GRECE), lié à l'extrême-droite française. Dans l'article, Claude Covassi évoque aussi la mission qu'il aurait reçue en 1995 d'infiltrer les milieux de gauche à Genève et de se faire élire au conseil communal de Meyrin sous l'étiquette du Parti du travail. Selon la journaliste, Claude Covassi aurait livré de nombreuses informations au SRS.

Le 18 octobre 2006, dans un rapport attribué à Claude Covassi publié sur le site internet de «Journalismus-Nachrichten von heute»30, il est affirmé qu'Ayman Al-Zawahiri, numéro deux de l'organisation Al-Qaida, a fait plusieurs séjours dans le canton de Genève et qu'il a eu au moins un contact avec Hani Ramadan en mars 1991. Cette information est reprise par «Blick Online»31 le 2 novembre 2006.
Le 30 octobre 2006, Claude Covassi rentre en Suisse après cinq mois passés en Egypte. Après avoir été contrôlé par la police zurichoise, Claude Covassi est autorisé à quitter l'aéroport, étant convenu qu'il se présenterait le lendemain auprès de la 30 31

Voir http://oraclesyndicate.twoday.net/stories/2817237/.

Voir http://www.blick.ch/news/moschee-spion/artikel47008.

6510

police genevoise pour y être entendu dans une affaire qui n'a rien à voir avec celle du trafic des anabolisants, ni celle du CIG. A son retour, Claude Covassi s'est identifié avec un passeport italien.

Dans une interview publiée par Oumma.com32 le 6 novembre 2006, Claude Covassi réitère ses accusations selon lesquelles le SAP aurait cherché à impliquer Hani Ramadan dans le recrutement de combattants pour l'Irak. Claude Covassi affirme aussi que le SAP aurait voulu faire croire que le CIG récoltait de l'argent pour les combattants en Tchétchénie. S'agissant de la note faisant état de contacts d'Hani Ramdan avec Ayman Al-Zawahiri, Claude Covassi affirme que les services suisses ont sorti cette note pour le discréditer et que le document a été trafiqué, mélangeant le vrai au faux.

Dans l'émission de la «Rundschau» de la télévision alémanique du 8 novembre 2006, Claude Covassi réitère ses accusations à l'encontre du SAP et n'hésite pas à qualifier de «mafieux» le comportement de son officier traitant au SAP.

Le 15 décembre 2006, lors de la conférence de presse du Conseil fédéral, le chef du DFJP confirme le rôle d'informateur de Claude Covassi et révèle officiellement que ce dernier a été recommandé au SAP par la police genevoise.

8

Constatations et appréciations de la DélCdG sur les reproches formulés par Claude Covassi

8.1

Remarque préliminaire

Dans le cadre de son enquête, la délégation a eu connaissance de nombreux griefs à l'endroit d'autorités de la Confédération. Certaines critiques étaient extrêmement précises et sont restées constantes comme celle qui reprochait au SAP d'avoir ordonné une infiltration du CIG ou d'avoir demandé à Claude Covassi de se rendre en Syrie. D'autres dénonciations ont évolué au cours du temps ou sont restées vagues, tant au niveau des faits que des explications, comme celle reprochant au SAP d'avoir voulu dénoncer un Marocain aux services de renseignement de ce pays afin d'obtenir des informations en contrepartie («Blick» du 10.3.2006) ou celle accusant le SAP d'avoir voulu faire croire que le CIG récoltait de l'argent pour les combattants tchétchènes (voir Oumma.com du 6 novembre 2006). Il en va de même de l'affirmation selon laquelle les services suisses auraient demandé à Claude Covassi de financer des activistes (voir: http://oraclesyndicate.twoday.net/stories/ 3479691/).

A considérer ces nombreux griefs, la délégation s'en est tenue pour l'essentiel aux accusations que Claude Covassi a développées dans son rapport du 15 novembre 2006 ainsi que lors des auditions des 12 décembre 2006 et 16 janvier 2007. Dans les cas où cela semblait justifié, la délégation a également examiné certaines critiques parues dans les médias (presse, radio, télévision).

Vu les circonstances particulières de l'affaire, la délégation a dû apprécier les faits avec prudence, en faisant une distinction soigneuse entre ce qui était avéré et ce qui était seulement supposé, et en tenant compte d'éventuelles manipulations.

32

Voir http://oumma.com/spip.php?article2222.

6511

8.2

Documents écrits remis par Claude Covassi

Claude Covassi a remis à la délégation, le 12 décembre 2006, un dossier informatique comprenant près de 300 pages de documents écrits ainsi que onze photographies. Ce dossier rassemble des éléments divers d'époques différentes. Il contient des notes, des échanges de courriels, des documents de réflexion, des projets d'articles ou de rapports, différents articles de presse téléchargés sur Internet ainsi que des photographies et de la correspondance privée, etc., le tout assemblé sans logique apparente, ni rigueur. On y trouve aussi un communiqué de presse du DFJP.

Certains documents apparaissent plusieurs fois, notamment les deux rapports sur le voyage en Syrie, différents exemplaires de la lettre d'information Al-Qalam ainsi que les statuts d'une association de soutien à l'intégration des musulmans en Suisse.

Une grande partie des documents remis par Claude Covassi sont de nature privée et n'avait rien à voir avec le SAP ou le SRS. Pour ce qui est des pièces intéressant l'enquête, la délégation a constaté qu'il s'agissait pour l'essentiel de notes que Claude Covassi a établies à l'intention du SAP ou du SRS. Ces notes figurent en grande partie dans les archives officielles du SAP et du SRS.

Les documents produits par Claude Covassi n'ont livré aucun indice donnant à penser que les services de renseignement suisses utiliseraient des méthodes illégales ou auraient eu recours à de telles méthodes. De même, Claude Covassi n'a pas pu expliquer en quoi ces documents prouveraient quoi que ce soit, ni citer une seule pièce qui corroborerait ses accusations.

Conclusion Les documents écrits fournis par Claude Covassi attestent sa collaboration avec le SAP et le SRS, mais ne donnent aucun élément concret et probant sur l'utilisation de méthodes illégales par ces services.

En outre, en comparant certains documents diffusés par Claude Covassi avec ceux figurant dans les dossiers du SAP ou du SRS, la délégation a constaté que plusieurs documents présentés comme des originaux dans la presse avaient été tronqués ou manipulés, de manière à accréditer les propos de Claude Covassi (voir encadrés n° 1 à 5, ci-dessous)33. La délégation a également relevé des différences entre les documents publiés dans la presse et ceux que Claude Covassi a remis en mains propres à la délégation34.

33 34

Pour un autre exemple, voir ch. 8.8. ci-dessous.

Toutes les citations émanant de sources écrites, et présentées dans les encadrés no 1 à 10, sont maintenues des leur version originale, erreurs d'orthographe comprises.

6512

Exemples de documents biaisés ou tronqués qui ont été publiés par les médias Encadré no 1 «SonntagsZeitung» du 21 mai 2006 Le 21 mai 2006, la «SonntagsZeitung» a publiée le fac-similé d'un texte attribué à Claude Covassi et qui relate une conversation que ce dernier aurait eu via un chat internet avec un certain «Adb Rahman» présenté comme un islamiste potentiel. Dans ce document, «Adb Rahman» annonce qu'une capitale européenne allait être l'objet d'un attentat.

L'extrait publié est le suivant: «Adb Rahman dit Bientôt une capital européenne va sauter et tous le monde fera tres tres attention pour le respect des musulmans je t'assure».

L'original du texte que nous a remis Claude Covassi le 12 décembre 2006 est différent. Selon ce texte, l'interlocuteur de Claude Covassi s'appelle Daniel et la menace d'attentat n'est en fait qu'une supposition: «Daniel dit Imagine toi qu'une capital européenne saute grave tous le monde fera tres tres attention je t'assure».

[Les différences ont été soulignées par la DélCdG]

Encadré no 2 «Blick Online» du 2 juin 2006 «Blick Online» (http://www.blick.ch/img/HBzn7kQC.pdf) met en réseau, le 2 juin 2006, un document dans lequel Claude Covassi suggère que le SAP (les «Ours») chercherait à le piéger. Il reproche également au SAP d'avoir commis de nombreuses erreurs dans l'opération «Memphis».

Le document publié a le contenu suivant: «Je dois dire que j'ai quand même été un peu surpris que ............ me donne des informations si précises sur le GSPC. Même si je pense que c'est peu probable, on ne peut pas exclure l'hypothèse d'un piège (ce qui sous-entendrait qu'il ait été informé de mes activités de renseignements par les Ours). Il y a eu depuis le début de cette opération tellement d'indiscrétions et d'erreurs commises par le SAP qu'il m'est difficile d'avoir la conscience tranquille. Vous comprendrez que je ne veux plus avoir, de près ni même de très loin, aucun contact avec eux.»

6513

Le document original qui figure dans le dossier du SAP et qui a été remis au commissaire Antoine par Claude Covassi le 1er février 2006 a un contenu différent. Dans ce document, Claude Covassi n'incrimine pas le SAP, mais la police genevoise («la BRIS»): «Je dois dire que j'ai quand même été un peu surpris que ............ me donne des informations si précises sur le GSPC. Même si je pense que c'est peu probable, on ne peut pas exclure l'hypothèse d'un piège (ce qui sous-entendrait qu'il ait été informé de mes activités de renseignements). Il y a eu depuis le début de cette opération tellement d'indiscrétions et d'erreurs commises par la BRIS qu'il m'est difficile d'avoir la conscience tranquille. Vous comprendrez que je ne veux plus avoir, de près ni même de très loin, aucun contact avec la police du canton de Genève.» [Les différences ont été soulignées par la DélCdG]

Encadré no 3 «Blick Online» du 22 mai 2006 «Blick Online» (http://www.blick.ch/img/HBHMmijn.pdf) met en réseau, le 22 mai 2006, un document attribué à Claude Covassi avec le contenu suivant: «Selon une conversation interceptée depuis par les services de [Karl] ............

aurait l'intention de se rendre en Irak après l'attentat. Virginie me fait savoir aujourd'hui que selon les Ours Max se serait rendu en Russie ces derniers mois dans le but d'organiser la commande d'un RPG-7 pour ces deux individus. Je déjeune avec Max ce mardi 13...» L'original du document, qui figure dans les dossiers du SRS, est le suivant: «Une conversation téléphonique interceptée entre ces deux individus indiquerait que ............ voudrait, après l'attentat, se rendre en Irak via Damas. Virginie me fait savoir aujourd'hui que Bill aurait pu se rendre en Russie ces derniers mois dans le but d'organiser la commande d'un RPG-7 pour ces deux individus.

Je déjeune ce mardi 20 à midi avec Bill ...» [Les différences ont été soulignées par la DélCdG]

6514

Encadré no 4 «Blick Online» du 2 juin 2006 Le 2 juin 2006, «Blick Online» (http://www.blick.ch/img/HBzn7kQC.pdf) met en réseau un document attribué à Claude Covassi, datant du 5 janvier 2006, avec le contenu suivant: «Durée du séjour La plus grande partie des frais occupant le voyage et l'installation, il serait intéressant de résider sur place entre cinq et six mois si on se confirme le déplacement au Niger.

(...)

Départ précipité N'importe comment je ne pourrais pas aller bien loin si les choses tournent mal au Niger. J'imagine qu'une réserve de 5000 CHF devraient suffire en cas de départ précipité.» Le document original, qui figure dans les dossiers du SRS ainsi que dans les fichiers remis par Claude Covassi («SRS\Missions 06\séjour»), date du 15 janvier 2006, et ne fait pas mention d'un départ précipité, mais rapporte que Claude Covassi a l'intention de sous-louer son appartement: «Durée du séjour La plus grande partie des frais occupant le voyage et l'installation, il serait intéressant de résider sur place entre cinq et six mois, surtout si on envisage un déplacement au Niger.

(...)

Total On arrive à environ 9500 CHF, en prenant en compte que je sous-loue mon appartement durant cette période, ce qui limite les frais.» [Les différences ont été soulignées par la DélCdG]

Encadré no 5 «Blick Online» du 1er juin 2006 Le 1er juin 2006, «Blick Online» (http://www.blick.ch/img/HBE45K0h.pdf) publie un document attribué à Claude Covassi et datant du 28 octobre 2005. Ce document a le contenu suivant: «Virginie m'a fait savoir hier que [Daniel] restera à l'ombre 3 bonnes semaines encore. Le risque c'est qu'il soit extradé directement au Maroc ou en Espagne à sa sortie, ce qui serait dangereux pour lui. [Karl] ............ a-t-il les moyens de faire éviter ça ?»

6515

Le message original qui est parvenu au SRS le 3 novembre 2005 a le contenu suivant: «Virginie m'a fait savoir hier que [Daniel] restera à l'ombre 3 bonnes semaines encore. Le risque c'est qu'il soit extradé directement au Maroc ou en Espagne à sa sortie de taule. Je pensais gentiment persuader un frangin de lui rendre une petite visite au parloir de manière à lui communiquer un message (nouvel email ou tel portable à usage unique), afin qu'on puisse rester en contact s'il est impossible de le revoir à Genève. Qu'en pensez-vous?» [Les différences ont été soulignées par la DélCdG]

8.3

Autres documents remis par Claude Covassi

Le 12 décembre 2006, Claude Covassi a transmis à la délégation un CD-ROM comprenant, selon lui, les enregistrements sonores de trois conversations qu'il aurait eues avec son officier traitant du SAP. Claude Covassi prétend que ces conversations confirmeraient que le SAP utiliserait des méthodes illicites. Ces conversations auraient été enregistrées à l'insu du commissaire Antoine avec un appareil de prise de son dissimulé dans un stylo. L'enregistrement aurait une durée de cinq heures et 38 minutes.

Dans les médias, Claude Covassi a déclaré que c'était le SRS qui lui aurait demandé d'effectuer ces enregistrements («Le Temps», 31.5.2006). Dans un premier temps, lors de son audition par la délégation le 12 décembre 2006, Claude Covassi a confirmé cette version des faits, indiquant que le SRS voulait s'assurer que Claude Covassi avait cessé sa collaboration avec le SAP. Lors de son audition, l'officier traitant du SRS a catégoriquement réfuté avoir donné un tel mandat à Claude Covassi, de tels enregistrements étant prohibés au sens des art. 179bis ss. CP.

Lors de sa seconde audition le 16 janvier 2007, Claude Covassi s'est rétracté en expliquant avoir procédé aux enregistrements de sa propre initiative. Claude Covassi a affirmé derechef avoir remis ces enregistrements à «Michel», son officier traitant au SRS, ce que ce dernier a contesté également. Aucune mention de ces enregistrements ne figure dans le dossier original de l'opération du SRS.

La délégation a également demandé à Claude Covassi, lors de son audition du 16 janvier 2007, d'indiquer les dates des conversations qu'il aurait prétendument enregistrées. Claude Covassi a indiqué qu'il ne s'en souvenait plus, mais qu'il allait les communiquer par la suite à la délégation. Malgré deux rappels de la délégation, les 8 et 22 février 2007, Claude Covassi n'a pas été capable d'indiquer à la délégation quand ces enregistrements auraient été réalisés. Si l'on en croit les propos de Claude Covassi au magazine «Facts» (édition du 3.8.2006, p. 20), il s'agirait d'une discussion en mars 2005 ainsi que de deux entretiens le 27 janvier 2006 et le 1er février 2006.

Le CD-ROM remis à la délégation comprend trois photographies dans lesquelles Claude Covassi a prétendu, à plusieurs reprises, avoir intégré des fichiers audio au format MP3. Selon Claude Covassi, les fichiers audio MP3 auraient été «noyés» dans des photographies grâce à un logiciel informatique. Claude Covassi a affirmé à

6516

la délégation qu'il ne pouvait plus décrypter les photographies, car on lui aurait volé l'ordinateur sur lequel le programme de cryptage était installé.

Lors de l'audition du 16 janvier 2007, la délégation a mis à la disposition de Claude Covassi un ordinateur muni du même programme de cryptage et lui a demandé d'extraire lui-même les fichiers audio prétendument cachés dans les photographies.

N'y parvenant pas, Claude Covassi a argué que le programme avait été modifié.

La délégation a chargé le service technique du SRS ainsi que le Laboratoire de traitement des signaux de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)35, de procéder, de manière indépendante, à une recherche des fichiers sonores cachés dans les photographies de Claude Covassi. Les experts, qui n'ont pas eu de contacts entre eux, ont procédé à des recherches techniques poussées.

Il ressort des conclusions des deux équipes d'experts qu'il n'y a aucune évidence de la présence d'un message caché et qu'il est très improbable qu'un message caché de la taille nécessaire pour coder cinq heures d'audio en MP3 soit présent dans les photographies remises par Claude Covassi (voir rapport d'expert de l'EPFL en annexe).

Pour la délégation, les allégations de Claude Covassi relatives aux enregistrements sont peu plausibles. En effet, si l'on analyse le déroulement des événements, on doit constater que le premier enregistrement supposé concernerait une conversation entre Claude Covassi et le commissaire du SAP ayant eu lieu au mois de mars 2005, soit à un moment où Claude Covassi ne travaillait pas encore pour le SRS. Dans ces circonstances, la délégation ne voit pas comment l'officier traitant du SRS aurait pu charger Claude Covassi d'enregistrer une conversation s'étant déroulée plusieurs mois avant. Quant aux conversations du 27 janvier et du 1er février 2006, elles sont postérieures à la rupture de Claude Covassi avec le SAP du 25 mars 2005. Pour peu que Claude Covassi ait voulu prouver à son officier traitant du SRS qu'il avait cessé sa collaboration avec le SAP, il est difficile d'imaginer pourquoi il aurait eu besoin de ces enregistrements qui auraient montré au contraire qu'il était encore en contact avec le SAP, cela près d'une année après la prétendue rupture.

Du reste, Claude Covassi a affirmé que les enregistrements prouveraient
le caractère illégal des activités du SAP. Or, les dates des conversations auxquelles Claude Covassi fait référence ­ un entretien en mars 2005 et deux discussions le 27 janvier 2006 et le 1er février 2006 ­ sont postérieures de plusieurs mois aux prétendus mandats illégaux qu'il aurait reçus du SAP.

Finalement, Claude Covassi a prétendu que le SRS aurait reçu copie des enregistrements. Aucune trace de tels enregistrements ne figure dans les dossiers du SRS et tous les agents du SRS entendus par la délégation ont confirmé de manière unanime et crédible n'avoir jamais eu connaissance de tels enregistrements, ni les avoir entendus.

La délégation a retrouvé la copie d'un courriel entre «Michel» et Claude Covassi, daté du 30 mars 2006, qui contredit la version de ce dernier en procédure. Dans ce courriel, Claude Covassi indique à son officier traitant du SRS qu'il ne dispose d'aucun enregistrement.

35

Laboratoire de traitement des signaux; Signal Processing Institute.

6517

Encadré no 6 Courriel de «Michel» à Claude Covassi, du 30 mars 2006 «Hello, D'après le Blick d'hier vous avez envoyé un mail à la GPDel (commission de contrôle parlementaire des services) précisant que vous aviez les enregistrements des conversations avec [«Antoine»] ............, et donc la preuve qu'il vous demandait de jouer l'agent provocateur avec Hani [Ramadan]...

­

est-ce que vous avez vraiment envoyé ce mail? et avez-vous aussi parlé au Blick?

­

avez-vous vraiment cette preuve?

­

si vous décidez de leur faire parvenir ces infos, quand le ferz vous?

(...)

A bientôt»

Encadré no 7 Courriel de réponse de Claude Covassi à «Michel», du 30 mars 2006 «(...)

Je vous demande de me croire: 1.

Je n'ai pas envoye de mail a la commission

2.

Je n'ai plus de contact avec des journalistes, ni personne dans notre pays (...)

3.

Je n'ai aucun enregistrement

4.

Je n'ai aucunement l'intention de me rendre a une commission, sauf si vous me le demandez (mais je prefererai pas).

(...)» La délégation note au passage que si l'on suit les déclarations de Claude Covassi selon lesquelles il aurait transmis les enregistrements à son officier au SRS, on ne voit pas pourquoi ce dernier aurait eu besoin le 30 mars 2006 de demander à Claude Covassi si ces enregistrements existaient puisqu'il était sensé les avoir reçus.

Il n'est pas sans intérêt de constater que Claude Covassi affirme à son officier traitant du SRS, le 30 mars 2006, qu'il ne s'est pas adressé à la délégation et qu'il n'a pas l'intention de lui parler. Cette affirmation est contredite par les faits puisque, quatre jours avant, le 26 mars 2006, Claude Covassi écrivait un courriel à la délégation en exprimant le souhait d'être entendu le plus tôt possible (voir fac-similé ci-dessous).

6518

Encadré no 8 Courriel de Claude Covassi à la Délégation des commissions de gestion, du 26 mars 2006 «Cher Monsieur, Comme je l'ai indiqué au Blick, je souhaite être entendu le plus tôt possible par votre commission parlementaire.

Il me faut environ 3 jours pour regagner la Suisse.

A toutes fins utiles, je peux, sous 48 h, vous faire parvenir une copie des documents en ma possession, ainsi que les enregistrements audio des trois dernières séances avec mon officier traitant, [«Antoine»], ............, commissaire au SAP.

Cordialement, Claude Covassi» Conclusion Face aux conclusions techniques des experts et au vu des propos contradictoires de Claude Covassi, la délégation doit constater que ce dernier n'a pas été en mesure de produire les enregistrements et les preuves formelles à l'appui de ses accusations, ni de donner des indications exactes sur les dates et le contenu exact de ces enregistrements.

Compte tenu de ce qui précède, la délégation doute sérieusement que ces enregistrements aient réellement existé. En effet, mises à part les déclarations de Claude Covassi, aucun élément du dossier, aucun témoignage ne permettent de vérifier, ni de rendre vraisemblable l'existence de documents sonores. En outre, à part Claude Covassi, aucune des personnes interrogées par la délégation n'a jamais entendu lesdits enregistrements.

8.4

Claude Covassi a-t-il travaillé pour le SAP?

L'enquête de la délégation a permis d'établir que Claude Covassi a travaillé d'abord pour la police genevoise, puis pour le SAP à partir d'avril 2004, respectivement de juillet 2004. Claude Covassi a été engagé par la police cantonale genevoise à laquelle il avait spontanément proposé ses services. La police cantonale genevoise a conduit Claude Covassi de manière autonome entre janvier et juillet 2004. Claude Covassi a ensuite été recommandé au SAP par la police cantonale genevoise. Dès juillet 2004, Claude Covassi est devenu formellement un informateur du SAP, ce service ayant estimé qu'il pourrait recueillir des informations utiles sur le CIG.

Claude Covassi n'a jamais été membre de la police, ni exercé une fonction officielle ou contractuelle pour un corps de police. Il ressort du dossier et des dépositions que Claude Covassi avait le statut d'informateur, ce que le chef du DFJP a d'ailleurs officiellement confirmé lors de la conférence de presse du Conseil fédéral du 15 décembre 2006. La mission de Claude Covassi consistait à livrer des informations sur les personnes gravitant autour du directeur du CIG et sur les événements qui se déroulaient au centre islamique. Les informations fournies par Claude Covassi 6519

ont été jugées de qualité inégale; certaines informations se sont avérées utiles sur le plan du renseignement, d'autres ont été jugées peu fiables par le SAP.

Actuellement, la notion d'informateur n'est pas définie par le droit fédéral et aucune base légale formelle n'encadre de manière précise ce type d'activités. Le principe du recours à des informateurs se déduit de l'art. 14, al. 2, LMSI qui permet aux organes de protection de l'Etat d'exploiter des sources et de demander des renseignements.

Les informations apportées par un informateur ne peuvent pas être utilisées dans une procédure pénale.

Les modalités d'engagement des informateurs sont fixées dans un aide-mémoire confidentiel du SAP datant de 1997. Cet aide-mémoire s'adresse aux organes de police de la Confédération, des cantons et des villes chargées de tâches de protection de l'Etat.

Selon cet aide-mémoire, «les informateurs sont des personnes qui fournissent à la police, à l'occasion ou régulièrement, des renseignements sur des événements ou des personnes qui intéressent cette autorité dans le cadre de sa mission.» Autrement dit: les informateurs ont pour seule mission d'ouvrir les yeux et de rendre compte des constatations susceptibles d'intéresser le SAP. Les informateurs sont conduits par des officiers traitants qui sont des fonctionnaires de police. Ces derniers ont notamment l'interdiction «de nouer et d'entretenir des liens personnels avec un informateur dépassant ceux du cadre de travail», de «fournir à un informateur des prestations préalables telles que des acomptes» ou «de faire miroiter à un informateur la possibilité d'obtenir des gains ou des avantages supplémentaires». Il est également interdit «d'inciter ou de provoquer un informateur à la commission d'un délit». Dans son activité, l'informateur ne bénéficie d'aucun privilège légal.

L'ouverture d'une collaboration avec un informateur doit être approuvée par le chef du SAP dans le cadre d'une opération (art. 14, al. 3, OMSI). Le chef du SAP dispose dans ce contexte d'un assez large pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir n'est toutefois pas un blanc-seing puisque toutes les opérations font l'objet d'une évaluation annuelle détaillée (art. 14, al. 4, OMSI) qui est soumise au chef du DFJP et communiquée à la DélCdG.

L'engagement d'informateurs doit être clairement distingué
de celui d'agents infiltrés (voir tableau 2 en annexe). Ces derniers sont des membres de la police ou des personnes engagées sur une base contractuelle. Les agents infiltrés reçoivent une formation spécifique. Généralement munis d'une identité d'emprunt, leur tâche consiste à infiltrer un milieu criminel afin de surveiller des personnes suspectées de commettre certaines infractions en se faisant passer, auprès de celles-ci, pour l'un de leurs coauteurs ou complices. Les informations obtenues dans ce cadre peuvent être directement utilisées comme preuves devant les tribunaux36. Les agents infiltrés ne peuvent être engagés que dans des enquêtes pénales et pour élucider des infractions particulièrement graves qui sont énumérées de manière exhaustive à l'art. 4, al. 2, LFIS. L'engagement d'agents infiltrés n'entre pas dans les prérogatives et les activités du SAP, mais il est réservé à la Police judiciaire fédérale. La désignation d'un agent infiltré doit être autorisée par un juge et fait l'objet d'un contrôle préalable, au niveau des procédures civiles de la Confédération, par le président de la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. L'autorisation est accordée pour un an au plus.

36

Voir la réponse du Conseil fédéral du 28.2.2007 à l'interpellation no 06.3767 «Personnes de confiance. Base légale de leur activité», du 19.12.2006.

6520

Le fait que l'engagement d'informateurs par le SAP n'est pas régi par une base légale spécifique ne signifie pas que le recours à des informateurs soit interdit. Pour la délégation, il est en effet tout à fait admissible que le SAP recueille des renseignements de la part de personnes qui sont spontanément prêtes à les lui donner et qu'ils garantissent en retour à ces personnes une certaine confidentialité. Le recours des services de renseignement à des informateurs est largement connu du public et du Parlement37. Dans la jurisprudence, on admet d'ailleurs que le recours à des informateurs est admissible sans une base légale formelle lorsque la recherche d'informations ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux des personnes concernées, tels qu'ils sont protégés par la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'homme38, et pour autant que la personne visée n'ait pas été activement influencée dans le processus de formation de sa volonté ou dans son comportement39.

La délégation constate que l'engagement de Claude Covassi s'est déroulé dans le cadre d'une opération préventive régulièrement autorisée par le chef du SAP le 11 juillet 2004. Cette opération, dont les objectifs ont été précisés dans la décision d'ouverture, a été portée à la connaissance du chef du DFJP; quant à la DélCdG, elle a été régulièrement informée de son déroulement le 30 août 2004. Le 10 octobre 2005, la DélCdG a discuté avec les représentants de fedpol des problèmes qui se posaient dans la conduite de la source. En outre, le 2 mars 2005, l'inspectorat du DFJP a établi un rapport d'inspection sur les opérations en cours qui contient des indications sur l'opération «Memphis». Ce rapport a été traité par la DélCdG lors de sa séance du 22 avril 2005.

L'examen des faits montre que l'engagement de Claude Covassi par le SAP correspondait sans aucun doute à celui d'un informateur de police et que Claude Covassi n'était pas un agent infiltré au sens de la loi sur l'investigation secrète.

Pour sa collaboration avec le SAP, Claude Covassi a reçu ­ entre le mois de juillet 2004 et le mois de février 2006 ­ des indemnités totales de 2200 francs couvrant ses frais et contributions écrites. Cette somme a été payée, contre quittances, en quatre acomptes: 500 francs le 4 août 2004, 1000 francs le 24 novembre 2004, 500 francs
le 23 mars 2005 et 200 francs le 1er février 2006.

Ces montants correspondent à ce que le SAP paie ordinairement à une source, compte tenu de la valeur des informations livrées, du temps investi à leur recherche et des risques encourus. On relèvera que les montants payés par le SAP pour les informateurs sont relativement faibles par rapport à d'autres services et dépassent rarement quelques milliers de francs. Les coûts liés à l'engagement de Claude Covassi ont été financés par le budget ordinaire du SAP, dont la comptabilité a été vérifiée par le CDF. Ce dernier n'a relevé aucune irrégularité.

Ces dédommagements ne représentaient pas un revenu ou un salaire imposable au sens de la législation sur l'AVS.

37

38 39

Voir, en particulier, le rapport annuel 2000/2001 des Commissions de gestion et de la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales, du 22.5.2001 (FF 2001 5371).

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l'homme), du 4.11.1950 (CEDH; RS 0.101).

Voir ATF 112 IA 18 consid. 3b et ATF 124 IV 34 consid. 3a.

6521

Compte tenu de ce qui précède, les diverses affirmations selon lesquelles Claude Covassi aurait touché du SAP une somme variant entre 13 000 francs («Das Magazin», 3.6.2006, p. 39) et 15 000 francs («SonntagsBlick», 30.4.2006, p. 10; «Los Angeles Times», 22.5.2006, p. A12) sont dénuées de tout fondement.

Conclusion Pour la délégation, l'engagement de Claude Covassi en tant qu'informateur s'est déroulé dans des circonstances conformes à la loi et aux règles internes du SAP.

Sur le plan légal, la mission de Claude Covassi s'inscrivait dans le mandat assigné au SAP et échappe, dans son principe, à toute critique. Quant aux indemnités financières versées, elles correspondent à ce que le SAP paie en pareils cas.

8.5

Claude Covassi a-t-il reçu pour mission du SAP de compromettre le directeur du CIG?

Claude Covassi a affirmé dans les médias qu'il avait reçu pour mission du SAP d'agir en tant qu'agent provocateur dans le but de compromettre le directeur du CIG.

Selon l'interview donnée au journal «Le Matin dimanche» (30.4.2006), Claude Covassi aurait eu «pour mission de créer un lien entre Hani Ramadan et des réseaux djihadistes qui recrutent des volontaires pour partir se battre en Irak». Selon ses déclarations à la presse, Claude Covassi devait introduire dans le système informatique du CIG des fichiers attestant l'existence de liens entre les combattants engagées en Irak et Hani Ramadan («Tribune de Genève», 9.12.2006). Il aurait également été chargé d'apporter dans les locaux du CIG des lettres rédigées par des combattants islamistes en Irak, qui auraient attesté des liens étroits qu'ils entretenaient avec le directeur du centre («Oumma.com», 16.5.2006, http://oumma.com/spip.php?article2044). Interrogé par la délégation sur les buts qui auraient justifié une telle démarche, Monsieur Covassi a indiqué que le commissaire du SAP lui aurait dit qu'«Hani Ramadan est un homme qui a du sang sur les mains».

Lors de son audition, Claude Covassi a affirmé qu'il avait aussi été question d'introduire le manuel du combattant d'Al-Qaïda dans un des ordinateurs du centre islamique. Il a souligné néanmoins que ces idées étaient restées à l'état de projet.

Au cours de l'enquête, Claude Covassi n'a pas été en mesure de produire des documents écrits ou sonores étayant ses accusations à l'encontre du SAP. En outre, aucune des personnes entendues, ni aucun élément du dossier, n'ont permis de confirmer ses propos.

Conclusion Pour la délégation, aucun élément ne permet de penser que le SAP ait ordonné à Claude Covassi de fabriquer de fausses preuves ou d'introduire des documents compromettants au CIG, ni même que le SAP en ait eu l'intention. Une telle action aurait clairement été illégale et est expressément interdite par l'aide-mémoire du SAP («il est interdit au fonctionnaire d'inciter ou de provoquer un informateur à la commission d'un délit»).

Au demeurant, la délégation ne voit pas très bien quel aurait pu être l'intérêt d'une telle action pour le SAP. D'ailleurs, à supposer que ce service ait voulu compromettre le directeur du CIG, il est douteux que des inscriptions dans un fichier informati6522

que ou l'existence de testaments aient suffi à constituer un faisceau d'indices suffisant pour accuser Hani Ramadan d'un quelconque lien avec l'islam radical.

8.6

Claude Covassi a-t-il été chargé par le SAP d'infiltrer le CIG et de se convertir à l'islam?

Dans son rapport à la délégation, Claude Covassi a indiqué qu'il avait reçu pour mission du SAP d'infiltrer le CIG. Selon Claude Covassi, le projet du SAP prévoyait également qu'il se convertisse à l'islam.

Il a déjà été dit plus haut que le SAP n'est pas autorisé, contrairement à la PJF, à infiltrer des agents ou des personnes privées dans des milieux supposés criminels.

En outre, l'analyse des événements montre que Claude Covassi fréquentait déjà assidûment le CIG et certains membres de la famille Ramadan avant son premier contact avec le SAP. En effet le premier contact documenté de Claude Covassi avec un membre de la famille Ramadan remonte au mois de décembre 2003; lors de son audition par la délégation, Claude Covassi a aussi indiqué qu'il connaissait V._____ Ramadan, le quatrième frère de la famille, depuis de nombreuses années. Le contact du mois de décembre a été suivi par plusieurs rencontres, notamment avec Hani Ramadan au CIG le 16 mars 2004. Le 21 mars 2004, c'est-à-dire quinze jours avant la première rencontre de Claude Covassi avec un représentant du SAP, Claude Covassi expose dans un document à l'inspecteur François comment il pense gagner la confiance de Hani Ramadan, en participant à ses cours. Quant à sa conversion à l'islam, Claude Covassi expose déjà sans équivoque sa volonté de devenir musulman le 10 mars 2004, soit plus de vingt jours avant son premier contact avec le SAP.

Pour la délégation, le SAP n'a manifestement pas pu demander à Claude Covassi d'infiltrer le CIG car le lien entre Claude Covassi et le centre préexistait depuis plusieurs semaines à la première rencontre avec les représentants du SAP. De la même manière, le SAP n'a pas pu demander à Claude Covassi de se convertir à l'islam car ce dernier caressait déjà cette idée avant sa première rencontre avec les agents du SAP. La délégation en veut pour preuve le document que Claude Covassi a rédigé le 21 mars 2004 pour la BRIS.

Le commissaire Antoine, officier traitant du SAP, a admis, lors des auditions, qu'il avait été au courant dès sa première rencontre avec Claude Covassi que ce dernier avait l'intention de se convertir l'islam, mais qu'il n'a pas encouragé cette conversion, ni ne pouvait s'y opposer.

Du coup, la délégation n'a pas été étonnée de constater que dans ses déclarations, Claude Covassi ait tenté
de faire croire que cette première rencontre avec le SAP remontait au mois de janvier 2004 afin de rendre plausible sa thèse d'une opération d'infiltration du CIG ordonnée par le SAP.

Les versions de Claude Covassi ont d'ailleurs plusieurs fois varié sur ce point. Dans l'interview publiée sur Internet le 15 avril 2006, Claude Covassi a indiqué qu'il avait été recruté par le SAP à la fin 2003 (http://www.indymedia.be/fr/node/2084). Dans un document publié par «Blick Online» le 12 mai 2006 et attribué à Claude Covassi (http://www.blick.ch/img/HBGyljBQ.pdf), ce dernier note que sa première rencontre avec les commissaires du SAP a eu lieu vers la mi-mars 2004. Détail intéressant, ce document ne fait pas mention du rôle joué par l'inspecteur de la BRIS dans le recru-

6523

tement de Claude Covassi. Enfin, lors de son audition, Claude Covassi a précisé que son premier contact avec le SAP datait du mois de janvier 2004.

On notera également que parmi les documents que Claude Covassi a remis à la délégation ne figure étonnamment aucune pièce (rapport, courriel ou autres) faisant référence à une collaboration avec le SAP qui soit antérieure au mois d'avril 2004.

Le premier document remis par Claude Covassi sur l'opération «Memphis» est intitulé «Etat et développement de la situation au 22 juillet 2004». Il est daté du 22 juillet 2004, soit onze jours après l'ouverture formelle de l'opération «Memphis» par le chef du SAP. Interrogé sur les raisons expliquant que les pièces remises par Claude Covassi ne comprenaient aucun document permettant de faire remonter au mois de janvier 2004 l'origine de sa collaboration avec le SAP, Claude Covassi a indiqué qu'il ne les avait pas et qu'il ne les avait pas conservées, «parce qu'ils n'étaient pas très intéressants en terme de renseignement».

Conclusion Pour la délégation, les déclarations de Claude Covassi selon lesquelles il aurait reçu du SAP un mandat d'infiltration du CIG sont infirmées par les faits. Les éléments consignés au dossier du SAP ainsi que les témoignages des collaborateurs du SAP et de la BRIS confirment sans équivoque et de manière crédible que la première rencontre entre Claude Covassi et les agents du SAP a eu lieu le 2 avril 2004, soit à un moment où Claude Covassi suivait déjà régulièrement les prières et les réunions au CIG.

Le déroulement des événements permet de présumer fortement que c'est Claude Covassi qui a pris l'initiative de s'introduire au sein du CIG, et ce avec l'accord tacite de l'inspecteur de la BRIS qui en avait connaissance. De même, la conversion à l'islam de Claude Covassi est le fait de sa seule volonté. Cette volonté a été affichée par Claude Covassi avant son premier contact avec le SAP.

8.7

Claude Covassi a-t-il été doté de fausses identités par le SRS?

Le journal «Das Magazin» a relaté, dans son édition n° 22 parue le 3 juin 2006, que Claude Covassi aurait reçu du SRS un faux passeport au nom de Frédéric Courvoisier. Ce passeport aurait été remis à Claude Covassi par le SRS pour ses missions à l'étranger.

Lors de son audition, Claude Covassi a démenti catégoriquement avoir reçu de tels documents de la part du SRS.

L'enquête effectuée par la délégation a permis d'établir que Claude Covassi n'a jamais reçu de la part des services de renseignement de faux documents d'identité, ni de documents officiels d'identité fictive («vrai faux passeport»). La distribution de tels documents par le SRS n'est d'ailleurs possible que dans des cas extrêmement précis pour lesquels le directeur du SRS doit informer le chef du DDPS. Ce dernier fait rapport une fois l'an à la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité ainsi qu'à la DélCdG40.

40

Voir rapport annuel 2002/2003 des Commissions de gestion et de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales, du 23.1.2004 (FF 2004 1594 s.).

6524

Conclusion Compte tenu de ce qui précède, la délégation constate que les allégations selon lesquelles Claude Covassi aurait reçu de faux papiers d'identité de la part du SRS ne sont pas fondées.

8.8

Claude Covassi a-t-il permis de déjouer un attentat sur un avion de la compagnie El-Al?

Le 12 mai 2006, le «Blick» a révélé que Claude Covassi aurait prévenu les autorités suisses qu'un Algérien et un Libyen préparaient un attentat contre un avion de la compagnie d'aviation israélienne El-Al à Genève et qu'ils auraient acheté un lanceroquette de type RPG-7. Le journal a publié à l'appui de cette affirmation un document que Claude Covassi aurait remis à son officier traitant du SRS le 12 décembre 2005 et dans lequel il le prévient de l'imminence de cet attentat.

Le document publié dans le «Blick» ainsi que sur (http://www.blick.ch/img/HBHMmijn.pdf) a le contenu suivant:

«Blick

Online»

Encadré no 9 «Selon les informations du fax de [Karl] ........ que Virginie m'a communiqué: Un Algérien né en 1986, répondant au nom de ........... et un Libyen né en 1971, répondant au nom de ......... prépareraient une action visant un avion El Al au décollage, sur la zone de l'aéroport de Genève. Les deux hommes seraient actuellement dans la région de Zurich et en possession d'un RPG-7.

Virginie m'a montré des photographies des deux individus pour identification.

J'ai pu identifier le dénommé ....... Son numéro de portable est .................».

Les investigations effectuées par la délégation ont permis de retrouver le document original. Ce dernier figure dans les dossiers du SRS et porte la date du 19 décembre 2005. Son contenu, qui est différent de celui qui a été publié dans le «Blick», est le suivant (différences soulignées par la DélCdG): Encadré no 10 «(Virginie) m'a montré un fax des services de [Karl] ..........

Selon ce document, un Algérien né en 1986, répondant au nom de ........, et un Libyen né en 1971, répondant au nom de ........., seraient actuellement sous surveillance et prépareraient une action visant un avion El Al au décollage, sur la zone de l'aéroport de la ville ou je me trouve actuellement.

Virginie m'a montré des photographies des deux individus pour identification.

Je ne les connais pas. Le dénommé .......... a un numéro de portable: ..............» L'examen du document original et des circonstances de son établissement montre clairement que Claude Covassi n'est pas la source de l'information sur les prépara6525

tifs d'un attentat sur un avion d'El-Al. Comme le document original l'indique, Claude Covassi a reçu cette information par le biais de l'inspecteur François de la BRIS («Virginie») qui la tenait lui-même de la PJF («services de [Karl]»).

Il n'est pas sans intérêt de constater que le document original ne contient aucune mention d'un lance-roquette RPG-7, ni de la ville de Zurich et qu'il stipule clairement que les deux personnages sont déjà sous surveillance de la police.

Pour la délégation, le document publié par le journal a été tronqué afin de donner l'impression que Claude Covassi avait joué un rôle qu'il n'a manifestement pas eu.

Lors de son audition, le chef de la PJF a confirmé de manière convaincante que Claude Covassi n'avait livré aucune information qui n'était déjà connue de la police et qu'il n'avait joué aucun rôle dans la mise à jour de cette tentative d'attentat, ni dans l'identification des personnes impliquées.

De son côté, le MPC a confirmé dans son rapport du 19 mai 2006 à la DélCdG que Claude Covassi n'avait pas été intégré dans les procédures en question. Il n'a par exemple jamais été entendu et aucune mission n'a été donnée à la PJF de procéder à son audition ou de se renseigner sur sa personne. Dans son communiqué de presse diffusé le 8 juin 2006, le MPC a déclaré sans ambiguïté que Claude Covassi n'avait jamais joué un quelconque rôle dans cette affaire.

Conclusion Des considérations qui précèdent, il résulte que Claude Covassi n'a joué aucun rôle pour empêcher une tentative d'attentat sur un avion de la compagnie d'El-Al.

8.9

Claude Covassi a-t-il travaillé avant 2004 pour les services de renseignement?

Dans une interview publiée par «Facts» le 3 août 2006, Claude Covassi a affirmé que sa collaboration avec le SRS remontait à 1992 et qu'il se serait rendu en Bosnie pour les services de renseignement suisses.

Cette version a été contredite par Claude Covassi lui-même. Fin juin et début juillet 2006, ce dernier a fait parvenir à plusieurs médias des courriers41 dans lesquels il démentait le contenu de mystérieux courriels qu'une certaine Linda Zehnder avait envoyés é plusieurs journaux ainsi qu'à la DélCdG. A cette occasion, Claude Covassi a affirmé n'avoir jamais été en contact avec des services de renseignement suisses avant sa collaboration avec le SAP en 2004. Il indiquait également ne s'être jamais rendu en Bosnie.

L'enquête de la délégation n'a pas permis d'établir que Claude Covassi ait travaillé pour les services de renseignement suisses avant 2004. Interrogé sur ces questions lors de son audition du 12 décembre 2006, Claude Covassi a admis s'être rendu en Bosnie, mais pour le compte d'une ONG suisse active dans le domaine de l'aide humanitaire et dirigée par une organisation catholique. Le travail consistait à photographier les diverses activités déployées par l'ONG sur le terrain.

41

Ces courriers sont reproduits à l'adresse Internet suivantes: http://oraclesyndicate.twoday.net/stories/2267496/; http://oraclesyndicate.twoday.net/stories/2279800/.

6526

De son côté, le SRS a confirmé n'avoir travaillé avec Claude Covassi qu'à partir de 2005.

Conclusion L'enquête de la délégation a permis d'établir que Claude Covassi n'a jamais travaillé pour des services de renseignement de la Confédération avant l'année 2004.

8.10

Claude Covassi a-t-il été chargé par le SAP d'une opération de renseignement en Syrie?

Dans son rapport du 15 novembre 2006 et lors de ses auditions, Claude Covassi a assuré avoir été chargé par le SAP d'effectuer un voyage en Syrie en février 2005.

Pour ce voyage, Monsieur Covassi aurait reçu une avance de 2600 francs destinée à payer le billet d'avion.

Il est établi que Claude Covassi s'est rendu en Syrie en février 2005. Selon les éléments figurant au dossier du SAP et les déclarations concordantes du commissaire Antoine et de l'inspecteur François, ce voyage était d'ordre privé. A l'époque, Claude Covassi avait affirmé aux deux policiers que ce voyage était nécessaire pour crédibiliser sa conversion à l'islam et qu'il serait financé par Hani Ramadan.

D'ailleurs, dans un document que Claude Covassi a remis à la délégation, ce dernier relève en juillet 2004 déjà qu'«un séjour à l'étranger (...) semble être une priorité, pour asseoir ma crédibilité, d'une part, et aussi par les contacts que cela pourrait m'apporter sur place. (...) Il est certain que le regard et la confiance des musulmans que je côtoie et de ceux que je vais rencontrer dans le futur seront différents si je reviens d'un séjour d'un pays musulman. Je pense que c'est une priorité».

Dès le départ, le commissaire Antoine a fait savoir à Claude Covassi qu'il était sceptique à l'idée d'un voyage en Syrie, ce qui est corroboré par l'inspecteur François. Faute de pouvoir infléchir la décision de Claude Covassi, le commissaire du SAP lui a précisé clairement que ce déplacement n'avait rien à voir avec sa mission pour le SAP et qu'il devra le financer lui-même. Ce point est attesté par une note manuscrite du commissaire Antoine qui figure au dossier du SAP et dans laquelle on peut lire ce qui suit: «Déplacement «touristique et d'étude» en Syrie: (...)

­

pas de soutien financier de notre service

­

pas de mission de notre service dans le cadre de l'opération en cours

(...)».

A teneur du rapport du chef du Département des institutions du canton de Genève du 12 septembre 2006, deux ou trois réunions, à des dates non précisées, ont eu lieu à Genève entre le commissaire Antoine, l'inspecteur François et Claude Covassi avant le départ de ce dernier pour la Syrie. Lors de ces rencontres, il aurait été question de déterminer les sites que l'informateur pourrait visiter. Le commissaire Antoine ne se souvient pas d'avoir participé à de telles rencontres et rien dans le dossier du SAP n'indique qu'il y aurait participé.

6527

A son retour de Syrie, Claude Covassi remet deux rapports sur son voyage.

Pour la délégation, les faits figurant au dossier et les déclarations concordantes du commissaire Antoine et de l'inspecteur François, montrent que le SAP n'a pas donné pour mission à Claude Covassi de se rendre en Syrie. Un tel mandat serait d'ailleurs illégal car le SAP n'a pas autorité pour effectuer des missions de renseignement à l'étranger. Il ressort clairement des documents du SAP que Claude Covassi a effectué son voyage en Syrie de sa propre initiative et sous sa seule responsabilité. Il reste toutefois que, durant son voyage, Claude Covassi a été plusieurs fois en contact avec l'inspecteur François, contrairement aux instructions du SAP. Quant au SAP, il suivait de très près ce déplacement, craignant notamment pour la sécurité de Claude Covassi. Dans son rapport à la délégation, la police genevoise a souligné que, durant son voyage en Syrie, Claude Covassi avait pris des initiatives risquées qui n'avaient jamais été demandées par le SAP.

A son retour de Syrie, Claude Covassi a été questionné longuement par le commissaire Antoine et l'inspecteur François sur ses impressions et sur les personnes rencontrées. Claude Covassi a également rédigé deux mémoires sur ses déplacements et rencontres en Syrie, documents qu'il a remis au SAP. Un des documents évoque la problématique des filières irakiennes.

Comme cela a déjà été relevé plus haut, Claude Covassi a reçu entre le mois de juillet 2004 et le mois de février 2006 des indemnités totales de 2200 francs couvrant ses frais et contributions écrites. Cette somme a été payée, contre quittance, en quatre acomptes: 500 francs le 4 août 2004, 1000 francs le 24 novembre 2004, 500 francs le 23 mars 2005 et 200 francs le 1er février 2006. La délégation n'a trouvé dans le dossier de l'opération «Memphis» aucune trace d'une avance de 2600 francs que le SAP aurait payée à Claude Covassi pour financer son voyage en Syrie. Cette conclusion est d'ailleurs corroborée par un courrier que Claude Covassi a adressé à l'inspecteur François en date du 27 février 2005 dans lequel il se plaint de n'avoir reçu du SAP que 1500 francs pour ses neuf premiers mois de travail («Comment peut-on penser que les 1500 FS qu'on m'a octroyés suffisent pour cette période de neuf mois alors que je passe mes
journées avec des musulmans? Je ne veux pas mendier quoi que ce soit, mais je trouve indécent que toutes les charges inhérentes à cette activité doivent être gérées sur mes fonds personnels.») Les 1500 francs correspondent exactement aux deux premiers acomptes versés par le SAP le 4 août 2004 et le 24 novembre 2004.

Conclusion L'inspection de la délégation a montré que le SAP n'a jamais chargé Claude Covassi de se rendre en Syrie pour y récolter des informations, ni apporté aucune aide financière à ce déplacement. En revanche, le SAP a toléré ce voyage, à défaut de pouvoir s'y opposer. En montrant un intérêt marqué pour les résultats du déplacement de Claude Covassi en Syrie et en chargeant ce dernier de rédiger un rapport, le SAP a donné l'impression qu'il cautionnait tacitement ce voyage.

Pour la délégation, le commissaire du SAP a fait preuve, vis-à-vis du voyage de Claude Covassi en Syrie, d'une attitude contradictoire et maladroite qui a été à l'origine de bien des problèmes.

6528

8.11

Claude Covassi a-t-il été chargé d'une opération conjointe en Syrie avec un service de renseignement étranger?

Claude Covassi a indiqué, lors de son audition, qu'après son premier voyage en Syrie, le SAP aurait évoqué l'idée d'une mission conjointe en Syrie, en collaboration avec la DGSE française. Il s'agissait, selon Claude Covassi, de conférer ­ sous couvert de collaboration avec la DGSE ­ un «cadre légal» à l'opération.

Aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que le SAP ait eu pour intention d'organiser une opération de recherche d'informations avec la DGSE en Syrie.

D'ailleurs, une telle opération ne serait pas conforme au droit suisse, le SAP n'ayant pas autorité pour effectuer des missions de renseignement à l'étranger. Dans le rapport de la police genevoise, la délégation a trouvé toutefois un passage dans lequel un commissaire genevois évoque «la possibilité de procéder à un traitement conjoint (de Claude Covassi) avec les services secrets français». Il n'a pas été donné suite à cette idée, les contacts avec les services de renseignements étrangers étant exclusivement du ressort de la Confédération.

Conclusion La délégation n'a trouvé aucun élément permettant d'établir que le SAP ait eu l'intention, voire qu'il ait conçu l'idée de confier une mission de renseignement à Claude Covassi à l'étranger, en collaboration avec un service étranger.

8.12

Claude Covassi a-t-il travaillé pour le SRS?

L'enquête de la délégation a permis d'établir que Claude Covassi a travaillé comme informateur pour le SRS, service auquel il a spontanément offert ses services en date du 4 mai 2005. Dans sa lettre de candidature, Claude Covassi souligne que «c'est sur les conseils de la PJF» qu'il s'adresse au SRS et qu'il est «en contact avec des activistes islamistes, tant en Suisse qu'à l'étranger.» Lors de son recrutement, Claude Covassi a informé le SRS de manière tout à fait claire de ses antécédents au SAP et à la BRIS. Il a indiqué au SRS qu'il avait cessé sa collaboration avec le SAP en raison du manque de confiance du commissaire Antoine. Le SRS avait donc connaissance que Claude Covassi avait travaillé auparavant pour le SAP et la BRIS, mais il n'a pas contacté ces services pour leur demander leur avis sur Claude Covassi.

Afin de vérifier ses aptitudes, Claude Covassi a été envoyé à titre d'essai pour une première mission de trois mois en R. (Afrique) entre juin et septembre 2005. Selon «Michel», les informations communiquées par Claude Covassi s'avérèrent irrégulières dans leur rythme et peu fiables dans leur contenu; sur le plan du renseignement, elles furent jugées plutôt maigres.

Après ce voyage en R. (Afrique), il était prévu d'envoyer Claude Covassi une nouvelle fois à l'étranger, le but étant de vérifier une nouvelle fois ses capacités et de le mettre à l'épreuve. Ce voyage n'aura finalement pas lieu, Claude Covassi ayant décidé de fuir en Espagne en février 2006.

Le SRS a mis fin à la collaboration avec Claude Covassi à la fin mars 2006.

6529

Claude Covassi a effectué une seule mission pour le SRS à l'étranger, et non pas plusieurs comme affirmé dans certains médias («Le Matin», 30.4.2006, p. 6; «Oumma.com», 2.5.200642). De même, contrairement à ce qui a été dit dans la presse, Claude Covassi ne s'est jamais rendu en Syrie, ni en France sur mandat du SRS («SonntagsZeitung», 30.4.2006, p. 5).

La mission de Claude Covassi était celle d'une source au sens de la LAAM et de l'Orens. Sa collaboration avec le SRS n'en faisait pas un agent du SRS, puisqu'aucun rapport de travail ne liait Claude Covassi au SRS. Il s'ensuit que la mission de Claude Covassi n'était pas celle d'un agent de renseignement, ni a fortiori d'une taupe.

Pour son travail au SRS, Claude Covassi a touché quelques milliers de francs, en cinq acomptes payés le 9 juin 2005, le 26 juillet 2005, le 19 août 2005, le 24 janvier 2006 et le 20 février 2006. La somme versée correspond à ce qui est payé habituellement en pareils cas; les 33 000 $ évoqués par le «Los Angeles Times» (22.5.2006, p. A12) ne correspondent pas aux faits.

Les coûts liés à l'engagement de Claude Covassi ont été financés par le budget ordinaire du SRS, dont la comptabilité a été vérifiée par l'inspectorat des finances du domaine de la défense du DDPS43. Ce dernier n'a relevé aucune irrégularité.

Conclusion La mission confiée par le SRS à Claude Covassi à l'étranger était conforme à la législation suisse et correspond au mandat de base du SRS, tel qu'il découle de la LAAM et de l'Orens. Les indemnités versées à Claude Covassi ont été versées régulièrement; bien que les sommes fussent importantes, les résultats obtenus n'ont pas été à la hauteur des attentes du SRS. En termes de renseignement, la délégation est d'avis que l'engagement de Claude Covassi s'est révélé une opération peu satisfaisante pour le SRS. Ce dernier partage cette appréciation.

9

Autres constatations et appréciations de la DélCdG

Si l'analyse des faits qui précèdent a permis de réfuter les graves accusations de Claude Covassi, l'enquête de la délégation a toutefois mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements entre la police genevoise, le SAP et le SRS ainsi que des erreurs de méthode dans le recrutement et la conduite de la source.

9.1

Absence de collaboration entre le SAP et le SRS lors du recrutement de Claude Covassi

Le déroulement des événements montre que le recrutement de Claude Covassi en tant qu'informateur du SAP s'est effectué en grande partie sur la foi des recommandations d'un inspecteur de police de la Police cantonale genevoise. Ce dernier savait que Claude Covassi avait travaillé auparavant pour la brigade des stupéfiants, mais 42 43

Cf. http://oumma.com/spip.php?article2025.

Voir le rapport annuel 2005 des Commissions de gestion et de la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales, du 20.1.2006 (FF 2006 4165 s.).

6530

n'a pas cherché à savoir quelles expériences ladite brigade avait faites avec Claude Covassi. Le SAP, de son côté, s'est limité à un examen sommaire de la personnalité de la source et de son profil psychologique, sans que la crédibilité du personnage ait été examinée plus en détail. Le dossier montre qu'il a suffi d'une seule rencontre et des déclarations de l'inspecteur de la BRIS pour que le SAP décide d'entamer une collaboration avec Claude Covassi, quand bien même l'inspectorat du DFJP exigeait du SAP, dans son rapport du 2 mars 2005, que les réelles motivations de la source soient examinées de près.

Pour la délégation, le recrutement de Claude Covassi par le SAP s'est effectué de manière précipitée et le SAP a fait preuve de légèreté en s'appuyant principalement sur la recommandation de la police genevoise.

En ce qui concerne le recrutement de Claude Covassi par le SRS, il s'est déroulé dans de meilleures conditions et le SRS a fait preuve de professionnalisme. Les informations données par Claude Covassi ont fait l'objet de diverses vérifications et un profil psychologique du personnage a été établi. La délégation déplore en revanche que le SRS n'ait pas cherché à se renseigner auprès du SAP sur les antécédents et les activités de Claude Covassi alors que le SRS savait que Claude Covassi avait travaillé pour le SAP.

Vu les circonstances évoquées plus haut, la délégation est d'avis que le SRS n'aurait pas dû recourir aux services de Claude Covassi, ce que le SRS a admis en procédure.

Ce qui frappe lors de l'examen du dossier, c'est le manque de discernement et d'esprit critique à l'endroit de la personnalité de Claude Covassi et de ses motivations. La sympathie que suscitait Claude Covassi et son entregent ont masqué bien des interrogations. Sa maîtrise de la manipulation et sa faconde ont fait le reste.

Pour la délégation, une analyse plus soigneuse des motivations de Claude Covassi aurait dû montrer que sa personnalité était peu propice à une activité de renseignement. En outre, bien des ennuis auraient pu être évités si le SAP et le SRS avaient travaillé plus étroitement. Il est vrai que le principe de la protection des sources empêche aux services d'échanger des renseignements sur l'identité de leurs informateurs, mais la délégation ne peut admettre que l'application stricte de ce
principe puisse avoir pour effet qu'un informateur soit employé simultanément, voire de manière concurrente, par deux, voire trois services de la Confédération.

Cet exemple est symptomatique du manque de collaboration entre les services de renseignement, un problème que la délégation a déjà relevé en de nombreuses autres occasions44. Malgré la décision du Conseil fédéral du 22 juin 2005 qui enjoint au SAP et au SRS de coordonner leurs efforts en matière de recrutement de sources en Suisse ­ et ce à compter du jour de la décision du Conseil fédéral45 ­, force est de constater que cette collaboration n'a pas eu lieu en ce qui concerne Claude Covassi.

44

45

Voir notamment le rapport annuel 2004 des CdG et de la DélCdG des Chambres fédérales, du 21.1.2005 (FF 2005 1824 ss.) ainsi que le rapport annuel 2005 des CdG et de la DélCdG des Chambres fédérales, du 20.1.2006 (FF 2006 4158 ss.).

Décision du Conseil fédéral du 22.6.2005: «Beschaffung im Inland: Der SND ist befugt, zum Zweck der Informationsbeschaffung über das Ausland Quellen im Inland unter Einhaltung der gesetzlichen Bestimmungen anzuwerben, zu führen und zu kontaktieren. Dabei sind ab sofort regelmässige Absprachen zwischen DAP und SND durchzuführen.» (texte original en allemand, souligné par la DélCdG).

6531

On rappellera ici que c'est par la presse que le SAP a appris la collaboration de Claude Covassi avec le SRS, ce qui est difficilement compréhensible.

Pour la délégation, ce cas fournit, si besoin était, un argument supplémentaire en faveur d'une subordination du SAP et du SRS à un seul chef de département46.

Il reste que la délégation ne méconnaît pas le contexte délicat dans lequel se déroule la conduite de sources, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Il s'agit d'une tâche ardue, souvent mal comprise, qui présente de nombreuses difficultés. Si notre pays veut pouvoir lutter contre la menace que représente le terrorisme, il ne saurait se limiter à la posture d'un observateur et doit rechercher des informations, quitte à prendre des risques. En ce sens, l'affaire Covassi reflète toutes les ambiguïtés de l'engagement d'informateurs par les services responsables d'assurer la sécurité de notre pays.

Dans ce contexte, aucun service n'est donc à l'abri d'erreurs ou de mauvais choix.

La délégation est pleinement consciente qu'il n'existe dans ce domaine aucune règle générale et qu'il est souvent nécessaire de régler les problèmes «au cas par cas».

9.2

Circulation des informations entre les services de renseignement et de police

L'enquête a permis de montrer que Claude Covassi avait eu accès, par des canaux que la délégation n'avait pas pour tâche d'examiner, à des informations officielles classifiées qui ne lui étaient pas destinées. Certaines informations ne concernaient pas son mandat pour le SAP, mais relevaient d'enquêtes de police judiciaire. C'est ainsi que Claude Covassi a eu connaissance d'informations précises sur la préparation d'un attentat contre un avion de la compagnie El-Al (voir ch. 8.8, ci-dessus).

Dans un autre cas, il a eu accès à un rapport d'un service de renseignement étranger.

De même, Claude Covassi savait le nom de l'opération «Memphis» alors que ce code n'était sensé être connu que du SAP et de la BRIS. Dans un cas, les informations officielles classifiées détenues par Claude Covassi ont contraint le Ministère public de la Confédération à déclencher préventivement une opération de police de grande envergure, Claude Covassi ayant diffusé des renseignements confidentiels dans les médias.

Plusieurs personnes entendues par la délégation ont indiqué que cette situation s'explique par le nombre important de contacts que Claude Covassi entretenait dans le cercle des services de sécurité de la Confédération et du canton de Genève. Mis à part le SAP, Monsieur Covassi a travaillé comme informateur pour la BRIS et le SRS et informellement pour un commissaire de la PFJ, n'hésitant pas à fournir à un service les informations livrées par un autre.

Pour la délégation, la communication d'informations officielles classifiées à un informateur n'est pas acceptable et constitue au demeurant une violation du secret de fonction au titre de l'art. 320 CP.

46

Voir sur ce point l'initiative parlementaire no 07.404 «Transfert des tâches des services de renseignement civils à un département», du 13.3.2007.

6532

L'enquête de la délégation a permis de montrer également que les règles de communication d'informations confidentielles ne sont pas toujours appliquées avec la rigueur nécessaire entre les autorités en charge de la répression pénale et celles qui assument des tâches de renseignement. Cela vaut en particulier pour les cantons où il est fréquent qu'un même service assume à la fois un rôle de police judicaire et une fonction de protection de l'Etat.

Recommandation 1 La délégation invite le Conseil fédéral à rappeler aux autorités et services compétents les règles applicables à la communication d'informations confidentielles dans les domaines du renseignement et de la police judiciaire, et ce en relation avec des informateurs.

9.3

Erreurs dans la conduite opérationnelle de la source

L'inspection de la DélCdG n'avait pas pour objectif ­ car cela ne correspond pas à la tâche de la DélCdG ­ d'apprécier la collaboration entre le SAP et la police cantonale genevoise dans le cadre de l'opération «Memphis». L'étude détaillée du dossier laisse toutefois apparaître que des difficultés se sont posées dans la conduite de la source, en raison de divergences de vues entre le commissaire Antoine et l'inspecteur François. Dès le début de l'opération, le commissaire Antoine a exigé de Claude Covassi qu'il s'en tienne à son mandat et évite de prendre des initiatives.

Tenant de la «vieille école» et au bénéfice d'une longue expérience dans la police, il n'acceptait pas que Claude Covassi sorte de son rôle d'informateur. L'attitude stricte du commissaire Antoine n'était pas partagée par l'inspecteur François qui la jugeait contre-productive. Ce dernier estimait au contraire qu'il fallait se montrer souple dans la conduite de la source et savoir flatter son ego, quitte à admettre quelques écarts de conduite. A l'évidence, l'inspecteur François entretenait aussi avec Claude Covassi, du fait de sa présence à Genève, des relations privilégiées et fréquentes, donnant lieu à une structure d'information parallèle dont le SAP était exclu. Par la suite, le commissaire Antoine a cherché à reprendre la main en écartant l'inspecteur François de certains contacts avec Claude Covassi.

Ces dissensions, conjuguées avec la différence d'âge entre le commissaire Antoine et l'inspecteur François, ont été exploitées par Claude Covassi qui a su habilement jouer un service contre l'autre à seule fin de consolider sa propre position. Il en est résulté un malaise persistant entre le SAP, la BRIS et la source qui explique, en partie, la rupture de mars 2005 et les conséquences qui s'en sont suivies.

La délégation ne tient pas à donner raison au SAP ou à la police cantonale sur la manière la plus adéquate de conduire une source. Cela dépend en effet d'une multitude de facteurs et des circonstances du cas. Pour la délégation, il est impératif toutefois que les services qui utilisent des informateurs partagent une même unité de doctrine et que des règles de procédure fixent la démarche à adopter lorsque des divergences de vues apparaissent entre un responsable du SAP et son correspondant à l'échelon cantonal.

6533

Recommandation 2 La délégation invite le DFJP à fixer, d'entente avec les cantons, une procédure destinée à régler les divergences de vue pouvant apparaître entre un collaborateur du SAP et un agent cantonal dans la conduite d'une source ou d'un informateur.

Ce problème pose plus généralement celui de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons dans le domaine de la protection de l'Etat ainsi que celui de l'organisation de la chaîne de commandement.

Actuellement, les cantons doivent collaborer avec le SAP dans l'application de la LMSI. Pour ce faire, ils doivent créer une voie de service propre à permettre à ce que les missions de la Confédération soient exécutées sans retard. Les cantons sont dédommagés pour les tâches qu'ils effectuent pour la Confédération (art. 28 LMSI); ainsi, le canton de Genève reçoit chaque année une somme de plusieurs centaines de milliers de francs pour les tâches que la police cantonale exécute pour le SAP. Dans la pratique, les agents des polices cantonales sont financés partiellement par la Confédération et sont attribués pour la collaboration au SAP. Ils restent toutefois subordonnés, sur le plan hiérarchique, à leur corps d'origine (art. 6, al. 3, LMSI).

Cela signifie que les agents des polices cantonales qui travaillent régulièrement pour le SAP se trouvent soumis à deux organisations: au SAP, sur le plan technique et opérationnel, au corps de police cantonal pour leur subordination administrative.

Cette solution, si elle présente certains avantages et correspond au principe du fédéralisme d'exécution, a montré ses limites dans l'affaire Covassi, révélant la complexité du dispositif en situation de crise.

Pour la délégation, la chaîne de commandement entre la Confédération et les cantons dans le domaine de la protection de l'Etat devrait être réexaminée afin d'être simplifiée. Il s'agit aussi de clarifier les rôles respectifs de la Confédération et des cantons, étant entendu que la Confédération assure la direction et la responsabilité de l'ensemble des tâches de protection de l'Etat.

En outre, il apparaîtrait opportun de rappeler aux cantons que les relations avec les autorités étrangères chargées de tâches de sécurité incombent à la Confédération, l'enquête de la délégation ayant montré que les organes de police préventive du canton
de Genève semblaient entretenir des relations avec des autorités étrangères qui vont bien au-delà de ce que prévoit la loi (art. 8, al. 2 LMSI; art. 6 OMSI).

Recommandation 3 La délégation invite le Conseil fédéral, dans le cadre de la prochaine révision de la LMSI, à entamer une réflexion avec les cantons sur l'exercice des compétences et l'organisation de la chaîne de commandement dans le cadre de la protection de l'Etat.

6534

Recommandation 4 La délégation invite le DFJP à rappeler aux cantons le cadre et les limites s'appliquant dans les relations avec des autorités étrangères en matière de sécurité et à réaffirmer la responsabilité de la Confédération dans la direction des tâches de protection de l'Etat.

10

Conclusions

La délégation avait pour mandat de vérifier si Claude Covassi avait bel et bien travaillé pour les services de renseignement suisses et, le cas échéant, d'apprécier si les services de renseignement suisses avaient utilisé des méthodes illicites, comme l'affirmait Claude Covassi.

L'enquête réalisée par la délégation n'a pas apporté la preuve ni mis en lumière un seul indice sérieux susceptible d'étayer les graves accusations de Claude Covassi. Plusieurs de ses affirmations sont infirmées par les faits et les témoignages recueillis. Les documents remis par Claude Covassi n'ont pas fourni un seul élément de nature à démontrer la réalité de ses accusations. Finalement, le CD-ROM, dans lequel Claude Covassi a affirmé avoir enregistré des documents sonores, a été soumis à différentes expertises, notamment par des spécialistes l'EPFL. Ces derniers n'ont trouvé aucune trace d'un quelconque enregistrement.

A la lumière des faits et des circonstances, la délégation parvient aux constations et conclusions suivantes: 1.

Claude Covassi a été recruté comme informateur du SAP par l'entremise de la Police cantonale genevoise.

2.

L'engagement et le financement des activités de Claude Covassi par le SAP se sont déroulés conformément à la législation et à la réglementation interne du SAP et ont été autorisés par le chef du SAP en application des dispositions de l'OMSI.

3.

Le chef du DFJP et la DélCdG ont été régulièrement informés du déroulement de l'opération «Memphis» dans laquelle Claude Covassi était engagé.

4.

Claude Covassi n'a pas reçu du SAP de mission d'infiltration du CIG, ni le mandat de se convertir à l'islam.

5.

L'enquête de la délégation n'a trouvé aucun élément permettant d'affirmer que le SAP ait ordonné à Claude Covassi d'utiliser des moyens frauduleux, déloyaux ou illicites pour compromettre le directeur du CIG, ni même que le SAP en ait conçu l'intention.

6.

L'enquête n'a trouvé aucun élément permettant de confirmer que le SAP ait eu l'intention ou même évoqué l'idée de confier une mission de renseignement à Claude Covassi à l'étranger, en collaboration avec un service étranger.

6535

7.

Après son engagement pour le SAP, Claude Covassi a travaillé dans le cadre d'une mission pour le SRS à l'étranger. Cette mission avait pour but de mettre à l'épreuve Claude Covassi en vue d'une collaboration future éventuelle.

Cette mission était conforme à la législation suisse.

8.

Claude Covassi n'a jamais travaillé avant 2004 pour des services de renseignement de la Confédération.

9.

Claude Covassi n'a jamais été doté de fausses identités par des autorités ou services de la Confédération.

10. Claude Covassi n'a joué aucun rôle dans la mise à jour d'une tentative d'attentat contre un avion de la compagnie d'aviation El-Al, ni dans l'identification des personnes impliquées dans la préparation de cet attentat.

11. Le SAP n'a jamais chargé Claude Covassi de se rendre en Syrie pour y récolter des informations, ni apporté aucune aide financière à ce déplacement.

Le SAP a en revanche chargé Claude Covassi de rédiger un rapport sur son voyage en Syrie, ce qui a pu donner l'impression que le SAP cautionnait tacitement ce voyage.

12. En se basant principalement sur la recommandation d'un inspecteur de la police genevoise, le SAP a manqué à ses obligations de prudence et de circonspection lors du recrutement de Claude Covassi.

13. L'engagement de Claude Covassi, d'abord par le SAP, puis par le SRS, a mis à jour ­ une fois de plus ­ les lacunes existant dans la collaboration entre les services de renseignement de la Confédération.

14. L'enquête a révélé des lacunes entre les organes de la Confédération et ceux de la Police cantonale genevoise s'agissant du traitement d'informations officielles classifiées.

15. Des dissensions d'ordre structurel et personnel sont apparues entre le SAP et la Police cantonale genevoise dans la conduite de la source. Faute d'avoir été réglées à temps, elles ont permis à Claude Covassi de jouer un service contre l'autre.

En conclusion, la délégation est satisfaite du résultat de son enquête, car elle a permis de dédouaner les services de la Confédération des accusations les plus graves. La délégation regrette toutefois le discrédit que les propos de Claude Covassi ont lancé sur les services de renseignement. Elle déplore aussi l'instrumentalisation médiatique qui a été faite de ce dossier, certains médias n'ayant pas hésité à vilipender les services de renseignement en prenant au pied de la lettre certaines informations et en les publiant sans détours ni précautions.

Les faits présentés dans le rapport de la délégation montrent que la réalité était beaucoup plus nuancée et complexe que celle, parfois caricaturale, qui a été présentée dans certains journaux.

Pour la délégation, le cas Covassi pose la question du contrôle, mais aussi de la perte de contrôle des informateurs par les services qui les engagent.

L'utilisation d'informateurs par les services de
renseignement et la police est un domaine controversé d'activités de l'Etat. Son caractère secret agit sur l'imaginaire et la curiosité du public, mais est également à l'origine de nombreux malentendus.

6536

Pour un corps de police ou un service de renseignement, le recours à des informateurs représente une nécessité que la délégation ne conteste pas. Il faudrait être naïf, voire irresponsable, de croire qu'un Etat puisse se protéger de menaces aussi graves que celles posées par le terrorisme sans chercher à utiliser, dans les limites légales, toutes les sources d'informations disponibles.

Les informateurs, sont la face cachée des services de renseignement, celle que le grand public imagine, mais ne doit pas soupçonner. Sans eux, les services de renseignement seraient sourds et aveugles et leur travail resterait inopérant. Qu'une source soit motivée par l'appât du gain, la vengeance, l'idéalisme ou encore la reconnaissance sociale, son rôle est ambivalent: informateur pour les uns, délateur pour les autres, elle intervient souvent en marge de la légalité. A la fois auxiliaire des services de renseignement, sans en être membre, son statut n'est pas reconnu officiellement et présente de nombreux risques.

Actuellement, la conduite des informateurs reste un domaine qui, bien qu'il fasse l'objet d'un contrôle politique par l'exécutif et le Parlement, échappe largement aux normes juridiques. Ce vide législatif permet une certaine liberté opérationnelle pour les services de renseignement, mais est difficilement compatible avec les principes d'un Etat de droit. C'est pourquoi la délégation est favorable à la prochaine révision de la LMSI qui donnera une assise légale à l'engagement d'informateurs par le SAP ainsi qu'aux dédommagements financiers qui leur sont versés47.

11

Suite des travaux

La délégation prie le Conseil fédéral de prendre position sur le présent rapport et sur les recommandations qu'il contient d'ici à la fin septembre 2007.

15 mai 2007

Au nom de la Délégation des commissions de gestion Le président: Hans Hofmann, député au Conseil des Etats Le secrétaire: Philippe Schwab

47

Le Conseil fédéral prévoit de donner une assise légale à l'engagement d'informateurs par le SAP dans le cadre de la prochaine révision de la LMSI. L'avant-projet a été envoyé en procédure de consultation le 5.7.2006. Le rapport explicatif à l'appui de l'avant-projet définit la notion d'informateur de la manière suivante: «L'informateur est une personne qui décide, quasi unilatéralement, de collaborer avec les organes de sûreté sans qu'il s'établisse pour autant un rapport de travail au sens de l'art. 319 du code des obligations (CO; RS 220). Le fait qu'un informateur puisse occasionnellement percevoir une prime ou qu'il soit indemnisé de ses frais (...) ne suffit en soi pas à transformer ce rapport en un rapport de travail. Il faudrait réunir, pour cela, d'autres éléments caractéristiques, tels que l'existence d'un rapport de subordination juridique qui placerait l'informateur dans la dépendance de l'office fédéral sous l'angle personnel, organisationnel et temporel, ce qui n'est absolument pas le cas dans la pratique.» (rapport explicatif du projet de modification de la loi fédérale du 21.3.1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI), DFJP, 5.7.2006, p. 39).

6537

Les Commissions de gestion ont pris acte du présent rapport le 25 mai 2007 et en ont approuvé la publication.

25 mai 2007

Au nom des Commissions de gestion Le président de la Commission de gestion du Conseil des Etats: Hansruedi Stadler, député au Conseil des Etats Le président de la Commission de gestion du Conseil national: Jean-Paul Glasson, conseiller national

6538

Tableau 1 Distinction entre les activités du SAP et de la PJF (source: DFJP)

6539

Tableau 2 Comparaison entre les agents infiltrés de police judiciaire et les informateurs du SAP Agents infiltrés de la PJF

Informateurs du SAP

Base légale

Loi fédérale et ordonnance sur l'investigation secrète (RS 312.8 et 312.81)

Conditions d'engagement

Des soupçons reposant sur des faits déterminés indiquent que des infractions particulièrement graves ont été commises ou pourraient vraisemblablement être commises; les mesures prises jusqu'alors dans le cadre de l'instruction n'ont pas abouti ou les recherches n'auraient aucune chance d'aboutir ou seraient excessivement difficiles Rechercher des informations judiciairement exploitables en vue d'élucider des infractions particulièrement graves

Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI, RS 120), art. 14, al. 2, let. b (demandes de renseignements) et d (réception de communications) Domaine d'activité défini par la LMSI

Mission

6540

Rechercher des informations relevant du service de renseignements afin de maintenir la sûreté intérieure et extérieure de la Confédération

Désignation Personnes susceptibles d'être désignées

Rémunération Personne de contact Identité d'emprunt Conséquences d'un comportement punissable Promesse de discrétion

Autorisation

Etendue de l'intervention autorisée

Agents infiltrés de la PJF

Informateurs du SAP

Par le commandant d'un corps de police chargé de tâches de police judiciaire Fonctionnaires de police ou personnes spécialement recrutées par la police pour l'investigation secrète en question Salaire et indemnité pour frais dans le cadre d'un contrat de travail de droit public Un membre d'un corps de police

Pas de désignation formelle (approbation du chef du SAP pour l'opération concernée) Particuliers ayant accès à des informations sensibles

Indemnité pour frais et, le cas échéant, primes liées aux informations; pas de revenu régulier Un membre du SAP; exceptionnellement, un membre d'un corps de police cantonal Identité d'emprunt interdite Poursuite pénale normale envers l'informateur

Identité d'emprunt possible L'autorité qui a autorisé l'investigation secrète décide quelle identité sera retenue pour la procédure pénale Dissimulation de l'identité Protection des sources dans véritable même en cas de témoi- le cadre de la LMSI uniquement; gnage devant un tribunal pas de protection devant un tribunal, ni en tant que témoin, ni en tant que prévenu L'autorisation d'un juge est Aucune autorisation n'est requise nécessaire, notamment pour puisque aucun privilège n'est constituer ou assurer l'identité accordé d'emprunt, pour donner une garantie de discrétion et pour désigner l'agent Interdiction de susciter Fonction d'observation; la particiune disposition générale à pation à une infraction ou la commettre des infractions concrétisation d'une infraction ou d'inciter à des infractions peuvent être poursuivies en justice plus graves; autorisation d'influencer une personne si l'intervention se limite à la concrétisation d'une décision déjà existante de passer à l'acte

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Annexe

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