Rapport de la Délégation de surveillance de la NLFA des Chambres fédérales relatif aux investigations de son groupe de travail sur les reproches formulés en rapport avec l'adjudication du lot de gros oeuvre 151 (Erstfeld) par AlpTransit Gothard SA du 19 mars 2007

2007-0745

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Condensé Objet des investigations Le 2 octobre 2006, après s'être intéressée à de nombreuses reprises aux problèmes relatifs à l'adjudication du lot de gros oeuvre d'Erstfeld, la Délégation de surveillance de la NLFA (DSN) a institué un groupe de travail à qui elle a confié la mission d'examiner divers reproches formulés en rapport avec cette procédure et d'en tirer des enseignements pour le futur.

Lors de ses investigations, le groupe de travail s'est aussi penché sur les griefs exprimés par le conseiller aux Etats Jenny dans son interpellation urgente du 19 septembre 2006 et dans ses explications orales données lors de la session d'automne 2006 à Flims. Pour tirer véritablement tous les enseignements possibles de cette expérience, le groupe de travail a élargi le champ de ses investigations à la révision en cours du droit fédéral des marchés publics, aux grandes soumissions à venir sur l'axe du Saint-Gothard de la NLFA et au rôle des organes de surveillance de la Confédération.

Appréciation de la DSN La faiblesse décisive de cette adjudication a été la décision, prise en cours de procédure, de redimensionner la bifurcation souterraine du tracé «montagne longue fermée» à Uri. Le problème est qu'AlpTransit Gothard SA (ATG) n'a pas pris en considération cette modification de projet ­ pourtant prévisible ­ dans l'appel d'offres, qu'elle a apporté les corrections nécessaires après coup et a calculé ellemême les réductions de volume. Le processus d'enchères «au moins-disant» mis en place suite à la présentation tardive d'une seconde offre par l'un des soumissionnaires était certes fondée en droit, mais il est évident que de l'extérieur, cela a pu donner l'impression que les règles du jeu avaient été modifiées arbitrairement.

La DSN considère aussi que la procédure en deux temps (principe de la clause guillotine) appliquée dans le cas d'espèce pose problème, car elle peut entraver la mise en oeuvre du principe de l'offre la plus avantageuse économiquement.

La DSN considère également que la procédure adoptée par ATG après la première décision sur recours n'a pas été optimale. Le fait que certains courriers n'aient été produits que tardivement et sur demande expresse de la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics (CRM) laisse à penser que les exigences propres aux rapports avec
les instances judiciaires ont été quelque peu sousestimées. Les analyses de sensibilité apparaissent également comme insuffisantes, surtout à la lumière des travaux beaucoup plus poussés qui ont été menés avant la troisième adjudication. On peut toutefois partager l'avis d'ATG selon lequel la CRM a fortement empiété sur sa marge discrétionnaire.

La DSN évalue positivement l'approche adoptée par ATG pour l'analyse du second recours et la préparation de la troisième adjudication, qui a consisté à confier ces tâches à des personnes qui n'avaient encore pas travaillé sur ce dossier. Le travail des experts s'est révélé bien plus vaste et approfondi que lors du premier recours. Il

3424

se peut que la problématique et la portée de la première décision sur recours aient été quelque peu sous-estimées par ATG.

La DSN considère que la répartition des compétences en matière de réalisation de la NLFA est correcte. La Confédération a délégué aux constructeurs toutes les compétences relatives aux adjudications. Il faut toutefois examiner si les autorités de surveillance ­ Conseil fédéral, Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication, Office fédéral des transports ­ ne devraient pas exercer leur fonction de manière plus active.

Les griefs du conseiller aux Etats Jenny sont juridiquement infondés. La procédure d'adjudication s'est déroulée dans le respect des règles de l'Etat de droit. Les règles du jeu n'ont pas été modifiées durant l'appel d'offres. La DSN n'a relevé aucun élément étayant les soupçons selon lesquels l'explication des problèmes constatés résiderait dans la personnalité de certains intervenants. Il semble clair que les choix faits par ATG à divers stades de la procédure ­ notamment en ce qui concerne la bifurcation souterraine «montagne longue fermée» ­ peuvent être perçus comme sous-optimaux et irréfléchis. En tout état de cause, la présentation spontanée d'une seconde offre par Murer-Strabag est un acte inhabituel qui a conduit ATG à agir de manière non planifiée. La communication entre ATG et l'OFT n'a pas été optimale dans le dossier du redimensionnement de la bifurcation souterraine.

Les deux décisions de la CRM soulèvent, elles aussi, un certain nombre de questions. L'impression qui se dégage est d'abord que la commission de recours a fortement empiété sur la marge discrétionnaire de l'autorité d'adjudication tout en refusant de se prononcer sur le fond. Par ailleurs, la CRM n'a pas suffisamment tenu compte des intérêts macroéconomiques lorsqu'elle a prononcé l'effet suspensif du recours.

La DSN estime qu'il est très important de tirer des enseignements de l'adjudication du lot d'Erstfeld et, se basant sur ses investigations, elle a formulé douze recommandations. Enfin, la DSN gardera un oeil particulièrement attentif sur la réalisation de ce lot et plus particulièrement sur la prévention des surcoûts.

Enseignements à tirer de cette expérience La DSN a notamment recommandé à ATG de renoncer aux offres globales,
à la procédure en deux temps (principe de la clause guillotine) et aux enchères au moins-disant pour les lots présentant une telle complexité. Elle a recommandé au DETEC d'améliorer la communication et d'examiner comment la surveillance et la prise d'influence sur les événements pourraient être assumées plus activement dans les situations exceptionnelles. Enfin, dans la perspective de la révision du droit fédéral sur les marchés publics, la DSN a formulé diverses recommandations concernant l'ouverture des offres, la détermination de l'offre la plus avantageuse économiquement, la prise en considération des intérêts publics et l'interruption de la procédure de soumission.

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Abréviations ATG

AlpTransit Gothard SA

CdF

Commission des finances

CRM

Commission fédérale de recours en matière de marchés publics

CTT

Commission des transports et des télécommunications

DCN

Directives sur le controlling de la NLFA

DETEC

Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication

DSN

Délégation de surveillance de la NLFA des Chambres fédérales

FOSC

Feuille officielle suisse du commerce

LMP

Loi fédérale sur les marchés publics

NLFA

Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes

OFT

Office fédéral des transports

OMP

Ordonnance sur les marchés publics

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Rapport 1

Mandat, composition et activités du groupe de travail

La Délégation de surveillance de la NLFA (DSN) s'est déjà intéressée à de nombreuses reprises aux problèmes liés à l'adjudication du lot d'Erstfeld (ch. 9.1 du rapport d'activité 2005 de la DSN1) et c'est pour approfondir cette question que le 2 octobre 2006, elle a constitué un groupe de travail à qui elle a confié la mission d'examiner les reproches formulés en rapport avec l'adjudication du lot de gros oeuvre 151 (Erstfeld) par le constructeur AlpTransit Gothard SA et ­ surtout ­ d'en tirer des enseignements pour le futur. Le groupe de travail devait aussi se pencher sur les accusations formulées dans l'interpellation du conseiller aux Etats Jenny.

Le groupe de travail se composait des quatre membres de la DSN suivants: ­

Hansruedi Stadler, conseiller aux Etats PDC/UR, président

­

Hans Hofmann, conseiller aux Etats UDC/ZH

­

Fabio Abate, conseiller national PRD/TI

­

Andrea Hämmerle, conseiller national PS/GR

Le groupe de travail a interrogé 15 personnes lors de six séances, à savoir le conseiller aux Etats Jenny, des représentants de l'entreprise Murer-Strabag, d'ATG et de l'Office fédéral des transports (OFT) ainsi que des experts indépendants mandatés par ATG. L'entreprise Marti SA a décliné l'invitation du groupe de travail à une audition formelle.

Le groupe de travail a également pu accéder au dossier de la soumission du lot d'Erstfeld auprès d'ATG. Il a notamment eu la possibilité de consulter des extraits de procès-verbaux de la direction, du conseil d'administration et du comité technique du conseil d'administration de l'entreprise. Il a aussi exigé l'accès à d'autres documents pour clarifier certaines questions. Le président du groupe de travail a par ailleurs eu divers entretiens informels portant sur quelques points complémentaires.

La DSN a adopté le présent rapport le 19 mars 2007.

2

Objet des investigations

2.1

Interpellation du conseiller aux Etats Jenny

Le 19 septembre 2006, le conseiller aux Etats Jenny a déposé une interpellation urgente (06.3431) dans laquelle il porte de graves accusations contre ATG suite à la deuxième décision sur recours de la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics (CRM).

1

Rapport de la Délégation de surveillance de la NLFA des Chambres fédérales à l'attention des commissions des finances, des commissions de gestion et des commissions des transports et des télécommunications concernant la haute surveillance sur la réalisation de la nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes (NLFA) en 2005 (FF 2006 4307).

3427

Les principaux griefs du conseiller aux Etats Jenny sont, textuellement: ­

«Le fait qu'une procédure aussi bâclée que celle de l'adjudication du lot d'Erstfeld ait pu se dérouler dans notre pays est un mystère pour bien des gens. En effet, des dysfonctionnements de cette sorte sont habituellement associés aux . ...

­

La procédure adoptée en l'occurrence constitue une démonstration de pouvoir inadmissible de la part des responsables de la NLFA, au détriment des contribuables. ...

­

La responsabilité du désastre incombe pourtant sans conteste à l'AlpTransit Gothard SA. En adoptant une procédure arbitraire, dilettante et irréfléchie, celle-ci a délibérément pris le risque de provoquer des recours et des retards. ...

­

Modifier arbitrairement les règles du jeu au cours d'une procédure d'appel d'offres est incompatible avec les règles de l'adjudication publique, et c'est le plus sûr moyen de garantir le succès des recours éventuels. ...

­

Malgré les signaux clairs et nets de la Commission de recours, AlpTransit Gothard SA a pris pour la deuxième fois la mauvaise décision. On frise ici l'incompétence et la négligence grossière, ce qui fait soupçonner que la seule explication réside dans la personnalité de certains des acteurs concernés.»

Dans le développement de son interpellation et lors de son entrevue avec le groupe de travail, le conseiller aux Etats Jenny a souligné que la renégociation des conditions d'adjudication était une procédure rare, qu'il était insolite qu'un soumissionnaire dépose spontanément une offre à la baisse, que les risques d'une offre globale avaient été explicitement relevés par les ingénieurs concernés et enfin, qu'il était déplaisant que l'ouverture des offres n'ait pas été publique. Ses termes ont été encore plus fermes lors de l'examen parlementaire de son intervention, durant la session d'automne à Flims, où en plus des reproches formulés précédemment il a parlé de «magouille», ajoutant encore que les conditions de la renégociation sous la forme d'enchères au moins-disant n'avait pas été transparente, qu'il était évident que le droit des marchés publics avait été jeté aux orties et qu'à deux reprises, ont avait comparé des pommes avec des poires.

2.2

Autres problématiques

L'objectif du groupe de travail étant de tirer des enseignements de cette expérience, ses investigations et les questions étudiées ont aussi porté sur des aspects jugés importants dans la perspective de la révision en cours de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (LMP) et de l'ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP), mais aussi des prochains appels d'offres de la NLFA sur l'axe du Saint-Gothard (technique ferroviaire, construction du tunnel de base du Ceneri). Le rôle des organes de surveillance de la Confédération, à savoir l'OFT, a également été mis en cause. Enfin, il importait au groupe de travail de connaître les enseignements qu'ATG a tirés de ce cas et les mesures qui ont été prises sur le plan interne.

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2.3

Points principaux des investigations

Le groupe de travail a concentré ses travaux sur les points suivants: ­

Procédure d'adjudication en deux étapes

­

Offre globale

­

Redimensionnement de la bifurcation souterraine «montagne longue fermée»

­

Renégociation sous forme d'enchères au moins-disant

­

Approche d'ATG

­

Evaluation des experts avant la troisième adjudication

­

Rôle de l'OFT dans sa fonction de surveillance

­

Enseignements à tirer de cette expérience.

3

Caractéristiques de l'adjudication du lot d'Erstfeld

3.1

Généralités et chronologie

Le lot 151 Erstfeld est le dernier lot de gros oeuvre du tunnel de base du Saint-Gothard. Le volume de ce marché atteint 413 millions de francs environ (hors TVA). L'appel d'offres prévoyait une procédure en deux temps, les offres techniques et financières devant être présentées séparément (cf. ch. 3.2), cinq offres ont été déposées. Un soumissionnaire a été exclu après l'appréciation technique car il n'avait pas obtenu le nombre de points minimum. Après l'ouverture des offres financières, un autre soumissionnaire a été écarté car son prix était sensiblement plus élevé que celui des autres concurrents. Trois soumissionnaires restaient donc dans la course, à savoir le consortium ATE (emmené par Zschokke-Locher), Marti et Murer-Strabag.

Par deux fois, ATG a attribué le marché à Murer-Strabag et chaque fois, Marti a recouru contre cette décision. Par deux fois, la CRM a prononcé l'effet suspensif de la procédure et, constatant diverses lacunes, a partiellement admis les recours en renvoyant chaque fois le dossier à l'adjudicateur pour réexamen. Après la troisième adjudication, qui a de nouveau attribué le marché à Murer-Strabag, l'entreprise Marti a renoncé à déposer un troisième recours.

Une chronologie détaillée figure en annexe.

3.2

Procédure d'adjudication en deux étapes

Dans la procédure en deux étapes appliquée dans le cas d'espèce, les soumissionnaires doivent déposer leurs offres en deux parties, l'une technique, l'autre financière.

Le maître d'ouvrage examine d'abord le volet technique. La partie financière n'est ouverte que si l'offre technique atteint un nombre de points défini. Si cette limite n'est pas atteinte, le concurrent est éliminé et la partie financière de son offre n'est pas ouverte (principe de la clause guillotine). Pour les offres qui franchissent l'obstacle technique, seul le prix le plus bas est retenu comme critère d'adjudication.

Le modèle d'évaluation et les critères utilisés doivent être publiés dans l'appel 3429

d'offres. Jusque-là, ATG avait appliqué ce modèle d'adjudication pour tous les grands lots de gros oeuvre du tunnel de base du Saint-Gothard, sans rencontrer de problèmes significatifs.

La doctrine n'est pas unanime sur l'admissibilité de ce modèle d'évaluation. Selon l'art. 21, al. 3, LMP, le prix le plus bas est admissible comme critère exclusif d'adjudication mais uniquement pour les «biens largement standardisés». En prévoyant cette exception, le législateur n'avait certainement pas des prestations de travaux souterrains dans sa ligne de mire. La loi exigerait donc que les prestations en cause soient examinées à la lumière de plusieurs critères et qu'une qualité supérieure puisse justifier un prix plus élevé. Dans la perspective de l'évolution du droit, il faut tenir compte du fait que la CRM, dans son appréciation, n'a pas qualifié d'objectivement infondés les griefs élevés par la recourante contre le principe dit de la guillotine.

Par l'offre la plus avantageuse économiquement il faut entendre celle qui présente le meilleur rapport qualité-prix. Sachant que le prix augmente à mesure que les exigences concernant la prestation s'accroissent, il paraît évident que ce principe doit toujours être remis en perspective et que l'offre la plus avantageuse économiquement n'est de loin pas toujours la meilleur marché.

3.3

Offre globale

Une offre globale est caractérisée par le fait qu'une prestation donnée est fournie à un prix fixe. Ce type d'offre est aussi possible dans la branche de la construction, mais il n'est généralement utilisé que dans des projets où les prestations à fournir peuvent être décrites de façon assez précise et où l'on n'attend pratiquement plus de modifications. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en Suisse, il n'est pas courant de présenter des offres globales pour les travaux souterrains. Avant le lot d'Erstfeld, aucun lot de gros oeuvre de la NLFA n'avait été adjugé sur la base d'une offre globale, ni au Loetschberg, ni au Saint-Gothard. Mais sur le plan juridique, il est tout à fait possible de présenter une offre globale. Le problème de ces offres réside dans la difficulté à les comparer avec d'autres offres, en particulier avec des offres à prix unitaires.

Les offres Marti et Murer-Strabag étaient toutes deux des «variantes d'entrepreneur». Alors que Marti proposait une variante technique, Murer-Strabag a déposé une solution conforme au projet officiel, mais à un prix global. Il semble que MurerStrabag a jugé qu'elle connaissait très bien les conditions géologiques et que pour ce dernier lot de gros oeuvre du Saint-Gothard le risque de modification du projet n'était plus trop élevé. Sur le fond, la CRM a estimé qu'il était possible de comparer des offres à prix global et à prix unitaire, mais que dans le cas d'espèce les analyses de sensibilité2 avaient été insuffisantes, voire inexistantes. Ces analyses de sensibilité visent à inclure des aspects aléatoires dans l'appréciation, de sorte que des offres totalement différentes puissent être comparées sur la base du critère de prix.

L'adjudicateur est tenu de rendre les offres comparables pour pouvoir les évaluer, mais cela pose de grandes difficultés lorsqu'on est en présence d'offres globales et d'offres à prix unitaire.

2

L'analyse de sensibilité sert à étudier l'influence des intrants sur certains indices de référence.

3430

3.4

Ouverture des offres

Comme cela a été expliqué au ch. 3.2, les soumissionnaires devaient remettre leurs offres en deux parties, l'une technique et l'autre financière. La partie technique a été ouverte le 27 octobre 2004. Les offres ont été examinées en fonction des critères de qualification et d'adjudication jusqu'à mi-décembre 2004.

Le 22 décembre 2004, à l'issue de l'examen technique, ATG a ouvert la partie financière des offres retenues, c'est-à-dire celles qui remplissaient les critères d'adjudication techniques. Les chiffres n'ont pas été publiés, par conséquent l'ouverture des offres n'a pas été publique.

La DSN a toutefois été informée que les cinq soumissionnaires avaient déposé les prix offerts chez un avocat zurichois après la remise des offres et qu'ils s'étaient échangés ces chiffres. Cette procédure est légale ­ pour autant que son but ne soit pas de créer des ententes illicites ­ mais pas anodine dans la perspective de l'ouverture non publique des offres. Cette question doit être examinée sur le fond dans le cadre de la révision de la LMP et de l'OMP.

3.5

Renégociation sous forme d'enchères au moins-disant

La caractéristique principale d'une renégociation sous forme d'enchères au moinsdisant est que l'on propose aux soumissionnaires de placer une «dernière offre».

Cette offre porte habituellement sur une baisse de prix, le plus souvent de nature forfaitaire (réduction ou rabais fixe). Si ce procédé est utilisé régulièrement, le maître d'ouvrage court cependant le risque que les soumissionnaires intègrent ce facteur dans le premier prix offert, réduisant à néant l'effet recherché, à savoir que, sous la pression de la concurrence, les soumissionnaires tirent sur le prix afin de gagner le marché.

Une négociation avec l'ensemble des soumissionnaires sous forme d'enchères au moins-disant est possible en vertu de l'art. 20, al. 1, let. a, LMP, selon lequel l'adjudicateur peut engager des négociations avec les soumissionnaires si l'appel d'offres le prévoit et si aucune offre ne paraît être la plus avantageuse économiquement. Pour le lot d'Erstfeld, les conditions de l'appel d'offres prévoyaient explicitement la possibilité d'ouvrir des négociations. Selon la pratique courante au niveau fédéral, ces négociations peuvent aussi être des enchères au moins-disant, autrement dit des négociations portant uniquement sur les prix et des réductions de prix. Le principe d'une enchère au moins-disant n'a d'ailleurs pas été contesté juridiquement dans le cas examiné.

4

Première adjudication d'ATG

4.1

Appel d'offres

Le 23 octobre 2003, la direction d'ATG a proposé au comité technique de son conseil d'administration d'approuver la procédure fixée pour l'appel d'offres et l'adjudication du lot 151. Les conditions de la soumission ont été arrêtées le 13 mai 2004 et l'appel d'offres a été publié le 19 mai suivant. Les critères d'adjudication 3431

étaient les suivants: garantie du calendrier de construction (40 %), organisation de chantier (30 %), sécurité du travail (15 %) ainsi que longévité et aptitude à l'emploi, qualité de l'analyse des risques de l'entreprise et enfin atteintes à l'environnement (5 % chacun).

Le groupe de travail n'a pas poussé son examen sur le déroulement de l'appel d'offres dans la mesure où aucun reproche n'a été formulé au sujet de la procédure de soumission. Il relève néanmoins que l'appel d'offres prévoyait explicitement la possibilité d'ouvrir des négociations et, par conséquent, que les enchères au moinsdisant étaient admissibles au sens de la LMP.

4.2

Procédure en deux temps et appréciation des offres

Pour l'adjudication du lot 151, ATG a mis en place une procédure en deux temps.

L'entreprise Marti a critiqué cette procédure dans son premier recours, mais la CRM n'est pas entrée en matière car le recours aurait dû être formé contre l'appel d'offres en tant que tel. Elle n'a en outre identifié aucun motif pour lequel la procédure aurait dû être annulée. L'appel d'offres était donc définitif. La question de savoir si le principe de la clause guillotine est fondé en droit a toutefois été laissée ouverte.

Les six critères d'adjudication techniques énoncés au ch. 4.1 ont été mentionnés dans l'appel d'offres avec différentes pondérations et le maître d'ouvrage a défini une valeur cible minimale de 360 points. Selon le dossier d'appel d'offres, le marché serait adjugé à l'offre la moins chère parmi toutes celles restées en lice après cette première phase de sélection.

Lors de l'examen des offres, ATG a constaté que l'un des cinq soumissionnaires n'atteignait de loin pas la valeur minimale fixée pour les critères techniques. Les résultats des quatre autres étaient suffisants mais variables, Marti n'obtenant par exemple que 361 points contre 401 points pour Murer-Strabag, par exemple. La variante 37 de Marti a surtout cédé du terrain sur le critère «garantie du calendrier de construction» dont la pondération était de 40 %. Le faible score réalisé pour ce critère reflétait notamment un risque sur délai plus important dû à l'utilisation d'un seul tunnelier. Le groupe de travail a constaté que cette appréciation avait fait l'objet de discussions au sein du conseil d'administration d'ATG. Rien n'indiquait toutefois que les appréciations de deux groupes de personnes différents, formulées de façon indépendante et sur la base d'un catalogue de critères clair devaient être corrigées.

Le groupe de travail a aussi appris qu'au printemps 2005, ATG avait travaillé à l'élaboration d'un projet de proposition pour une adjudication au consortium ATE (Zschokke-Locher). Cette offre devançait alors ses concurrentes au niveau du prix.

Ce projet est toutefois devenu sans objet puisque, après les enchères au moinsdisant, les offres concurrentes de Marti et Murer-Strabag étaient moins chères.

4.3

Redimensionnement de la bifurcation souterraine «montagne longue fermée»

Le 26 juin 2002, le Conseil fédéral a pris une décision de principe pour le tracé de la ligne dans le canton d'Uri en faveur de la variante dite «montagne longue fermée» et le DETEC a publié un communiqué de presse à ce sujet. Dès lors, il était de notoriété 3432

publique que des modifications de projet dans le secteur de la future bifurcation souterraine ainsi que des investissements préliminaires pour la prolongation future du tracé seraient nécessaires à hauteur de 100 millions de francs. Ce montant a d'ailleurs servi de base au Conseil fédéral dans son message du 10 septembre 20033 et au Conseil des Etats pour ses décisions du 17 décembre 2003.

Le 7 avril 2004, le Conseil fédéral a adopté son rapport complémentaire4 à ce message, à l'attention des commissions des transports et des télécommunications (CTT), des commissions des finances (CdF) et de la DSN. Il y faisait part pour la première fois d'un redimensionnement possible de l'ouvrage et d'une réduction correspondante des coûts. Il avait annoncé que l'OFT examinait alors le montant de l'investissement préliminaire d'un oeil critique. Les décisions du Conseil national du 10 juin 2004 ont été prises sur la base du message et de ce rapport complémentaire.

Le 28 août 2004, l'OFT a publié un communiqué de presse qui quantifiait pour la première fois le redimensionnement (raccourcissement des deux tubes; renonciation aux cavernes de démontage pour le tunnelier; renonciation à cinq rameaux de communication). Une réduction des coûts de l'ordre de 64 millions de francs avait alors été articulée.

ATG a tenu compte de la bifurcation souterraine en tant que variante d'exécution dans le dossier d'appel d'offres, estimant ces coûts à un peu plus de 100 millions de francs. L'OFT avait déjà chargé ATG de prévoir des variantes de redimensionnement de cet ouvrage le 17 mai 2004. Mais une interruption de l'appel d'offres en attendant qu'une variante ait été choisie aurait entraîné d'énormes retards. Pour éviter cela, ATG a décidé de poursuivre la soumission, dans l'idée de procéder aux modifications nécessaires ultérieurement. Le 22 juillet 2004, ATG a proposé une variante réduite de la bifurcation souterraine, que l'OFT a approuvée le 25 août.

Dans sa lettre, ATG signalait notamment que la souplesse requise pour la réalisation de la bifurcation souterraine avait été prise en compte dans l'appel d'offres, dans la mesure où il avait été défini explicitement que des parties de cet ouvrage pourraient être abandonnées.

Suite à la publication du communiqué de presse de l'OFT du 28 août 2004, l'entreprise Murer-Strabag
s'est adressée à ATG le 1er septembre ­ c'est-à-dire pendant la phase de soumission ­ en lui demandant si le dossier d'appel d'offres serait modifié, et si oui, quand les documents modifiés seraient disponibles. Le lendemain, ATG a informé tous les destinataires du dossier d'appel d'offres des modifications concrètes du lot 151 en précisant les conséquences pour la soumission. Elle avait notamment souligné que la liste des prestations restait inchangée et devait être remplie de manière exhaustive (par la suite, ATG a procédé elle-même à la réduction des postes concernés sur la base des offres), mais qu'en revanche le concept d'installation et le programme de construction devaient être adaptés.

La conséquence de cette approche est qu'ATG a calculé elle-même la réduction imputable aux parties abandonnées de la bifurcation souterraine en se basant sur les chiffres des offres. Elle a ensuite demandé aux soumissionnaires encore en lice en avril 2005 de confirmer la réduction du volume ainsi que la réduction de leurs coûts calculés de la sorte.

3 4

Message du 10 septembre 2003 sur l'arrêté fédéral concernant le crédit additionnel et la libération partielle des crédits de la deuxième phase de la NLFA 1 (FF 2003 5987).

Rapport du 7 avril 2004 relatif aux surcoûts concernant le crédit additionnel et la libération partielle des crédits de la deuxième phase de la NLFA 1 (FF 2004 2499).

3433

4.4

Renégociation sous forme d'enchères au moins-disant

Par courrier du 31 mai 2005 à ATG, Murer-Strabag constatait que dans sa réponse concernant le redimensionnement et la réduction des coûts de la bifurcation souterraine, la thématique des frais généraux (overhead costs) n'avait pas été traitée de manière complète et que la même remarque s'appliquait à l'analyse de sensibilité de l'entreprise pour les parties abandonnées de cet ouvrage. Murer-Strabag concluait que, de ce fait, le montant de son offre se contractait d'environ 30,9 millions de francs et non de 20,8 millions comme l'avait calculé ATG.

La direction et le conseil d'administration d'ATG ont longuement discuté du sort qu'il fallait réserver à cette offre complémentaire. L'avis finit par s'imposer qu'il n'était pas possible de l'accepter, car il aurait été inadmissible de donner à un seul soumissionnaire la possibilité de modifier son offre, qui plus est en dehors de toute procédure formelle. Un tel comportement violerait le principe de l'égalité de traitement. Mais par ailleurs, il était clair à ATG que l'opinion publique ne comprendrait probablement pas que l'autorité adjudicatrice ne retienne pas une offre inférieure d'environ 10 millions de francs pour des motifs purement formels. Il existait également un risque que Murer-Strabag forme recours contre l'éviction de sa meilleure offre, car cette dernière remplissait toutes les conditions de l'adjudication. La seule possibilité qu'ATG pouvait envisager était donc de donner la possibilité à tous les autres soumissionnaires encore dans la course de présenter une dernière offre, mais pour la totalité de la soumission. Limiter la présentation d'une nouvelle offre de prix à la seule version réduite de la bifurcation souterraine aurait en effet été très périlleux du point de vue juridique. Le classement des soumissions a de nouveau changé après la remise des nouvelles offres des trois derniers soumissionnaires.

4.5

Première adjudication d'ATG

Le 11 août 2005, se basant sur les critères d'adjudication, la direction d'ATG a proposé d'adjuger les travaux de construction du tunnel d'Erstfeld (lot 151) à MurerStrabag. La proposition présentait entre autres l'appréciation des offres de manière détaillée. L'offre Murer-Strabag était la moins chère après les enchères au moinsdisant. La proposition de la direction a été discutée et adoptée le même jour par le comité technique du conseil d'administration et par le conseil d'administration.

4.6

Appréciation de la DSN

La DSN considère que la procédure en deux temps (principe de la clause guillotine) utilisée dans le cas d'espèce pose problème, car elle peut entraver l'application du principe de l'offre la plus avantageuse économiquement. Des ouvrages complexes tels que le lot 151 ne se prêtent pas à la procédure en deux temps pratiquée par ATG.

En outre, son application est contestée sur le plan juridique.

En ce qui concerne la bifurcation souterraine «montagne longue fermée» à Uri, la DSN relève qu'une version réduite de l'ouvrage était déjà à l'étude à l'OFT durant la phase préparatoire de la soumission. Avant l'appel d'offres, ATG avait déjà été chargée d'examiner diverses variantes. La DSN tend à penser qu'il aurait été plus 3434

judicieux de patienter avec l'appel d'offres afin d'y inclure les modifications de projet prévisibles à ce moment-là ou de prévoir une variante comme option de soumission.

Il semble que, dans ce cas précis, la communication entre l'OFT et ATG n'a pas été optimale et que la situation a été mal évaluée. Selon la DSN, l'OFT aurait dû intervenir et procéder à une estimation précise des chances et des risques de la suite de la procédure. En tout état de cause, c'est une intégration non optimale du redimensionnement de la bifurcation souterraine dans le projet qui est à l'origine de toutes les difficultés rencontrées par la suite. Comme indice de l'insuffisance des échanges d'informations entre les deux acteurs, la DSN relève le fait que le communiqué de presse de l'OFT du 28 août 2004 a visiblement pris les soumissionnaires de court pendant la procédure d'appel d'offres, provoquant une certaine incertitude, comme l'atteste la demande de l'un des concurrents au sujet de la procédure concrète relative à cette modification de projet.

La DSN juge en outre très problématique le fait qu'ATG a calculé elle-même la réduction des coûts de la bifurcation souterraine en se basant sur les offres. Une telle démarche comporte des risques de forme, comme l'a d'ailleurs démontré l'offre successive de Murer-Strabag. L'adjudicateur risque aussi facilement de se voir reprocher un travail lacunaire et approximatif.

Le fait de soumettre une deuxième offre comme l'a fait Murer-Strabag le 31 mai 2005 n'est pas dans les habitudes de la branche et est de nature à éveiller un sentiment de méfiance. Cette offre est d'autant plus critiquable qu'en avril 2005, répondant à un questionnaire d'ATG, l'entreprise avait confirmé par écrit que les réductions de coûts calculées par ATG étaient correctes.

ATG a eu raison de ne pas admettre la deuxième offre de Murer-Strabag. Il n'en demeure pas moins que celle-ci l'a mise devant le fait accompli et c'est pour contenir le plus possible le risque d'un recours qu'ATG a décidé d'organiser des enchères au moins-disant ­ sur l'ensemble de l'offre ­ pour que tous les concurrents puissent se battre à armes égales. La DSN doute que cette mesure fût obligatoire sur le plan formel, mais on peut comprendre qu'ATG ait opté pour cette démarche si l'on se place dans la perspective de la pression
financière qui pèse sur l'ensemble de l'ouvrage.

Dans l'ensemble, la DSN comprend que la démarche d'ATG ait suscité une certaine méfiance chez les soumissionnaires et, plus tard, dans l'opinion publique et que l'on ait pu, pour cela, lui reprocher d'avoir agi de manière irréfléchie. En tout état de cause, ces enchères au moins-disant surprennent.

5

Première décision sur recours de la CRM et deuxième adjudication d'ATG

5.1

Introduction

L'entreprise Marti a formé recours contre la décision d'adjudication d'ATG le 13 septembre 2005. Dans une décision intermédiaire du 21 novembre 2005, la CRM a prononcé l'effet suspensif de cette procédure. Elle a rendu sa décision au fond le 13 février 2006 et admis le recours du consortium Marti sur tous les points qu'elle a pu examiner. La décision d'adjudication d'ATG du 11 août 2005 a été annulée et le dossier renvoyé à ATG pour un réexamen au sens des considérants.

3435

5.2

Points principaux de la décision de la CRM

Pour l'essentiel, la CRM a critiqué l'insuffisance de la comparaison entre offre globale et offre à prix unitaire, à savoir: ­

délimitation insuffisamment précise entre travaux en régie et modifications de la commande dans l'offre Murer-Strabag;

­

absence d'analyse précise des éventuels surcoûts en cas de modification du système d'étanchéité;

­

absence d'analyses de sensibilité concernant les conséquences financières des modifications de projet.

Selon la CRM, la procédure d'évaluation appliquée par ATG pour apprécier l'offre globale était clairement insuffisante et contrevenait donc au droit fédéral. En revanche, la CRM a considéré que la variante de l'offre globale était admissible.

5.3

Approche d'ATG

5.3.1

Limitation à cinq reproches concrets de la CRM

Il était évident pour ATG qu'elle devait limiter son action aux cinq points essentiels critiqués par la CRM (tirer au clair deux points de l'offre Murer-Strabag; trois analyses de sensibilité). Elle n'a identifié aucun autre élément requérant une nouvelle intervention. ATG est arrivée à cette conclusion en interprétant l'expression «au sens des considérants» conformément à la pratique courante de la CRM. La décision de la CRM ne comportait en outre aucune indication claire exigeant le réexamen d'autres aspects. ATG craignait aussi que des analyses qui n'auraient pas été exigées explicitement par la CRM puissent fournir de nouveaux arguments pour un autre recours.

Lors de l'analyse de la décision sur recours, ATG a également constaté que la CRM faisait part de ses propres réflexions sur des points de l'adjudication qui n'étaient pas du tout contestés par la recourante. ATG s'est donc posé la question ouvertement de savoir s'il y avait lieu de demander des éclaircissements à la CRM. Elle a également envisagé de demander des explications sur certains points très précis de la décision.

Mais le service juridique d'ATG ainsi que le conseiller juridique qui l'accompagnait dans ce dossier ont dissuadé les responsables d'engager l'une ou l'autre de ces démarches. Dans cette décision, il importait surtout à ATG d'éviter de nouvelles pertes de temps afin de ne pas mettre en péril l'échéance finale de la réalisation du tunnel de base du Saint-Gothard.

5.3.2

Analyses de sensibilité

Le 21 février 2006, ATG a chargé le consultant Basler und Partner de mettre au point les analyses de sensibilité demandées. Le mandat des experts consistait tout d'abord à établir la méthodologie de ces analyses. ATG considérait ce volet comme nécessaire parce que cette procédure n'est pas courante et que par conséquent des valeurs empiriques font largement défaut.

3436

ATG a procédé à une nouvelle comparaison sur la base des résultats des analyses de sensibilité portant sur le montant prévisionnel du décompte final, d'une part, et des réponses de Murer-Strabag à un catalogue de questions, d'autre part. Pour la direction d'ATG, le résultat de cette comparaison montrait que l'offre globale de MurerStrabag était celle qui présentait non seulement le prix le plus bas mais également le montant prévisionnel du décompte final le plus faible. Seule l'analyse d'impact des travaux en régie débouchait sur un possible avantage en faveur de Marti.

Le risque principal qui affecte la construction de tunnels est la géologie. Dans l'offre globale de Murer-Strabag, ce risque était assumé par l'entrepreneur, pour la plus grande partie, tandis que dans l'offre Marti il l'était par ATG.

5.3.3

Risques de l'offre globale

Dans une lettre du 24 juin 2005 adressée à ATG, le consortium d'ingénieurs IG-GBT-N (Ingenieurgemeinschaft Gotthard-Basistunnel Nord) a communiqué son point de vue sur quelques aspects relatifs à la tenue d'enchères au moins-disant.

Dans ses conclusions, il estime notamment que la variante globale comporte un très grand risque de coûts (structure de l'offre, réduction du volume) que l'on ne retrouve pas dans la version officielle.

Cette lettre a joué un rôle crucial dans la procédure de recours. En effet, la CRM n'en a eu connaissance que par la recourante, ce qui a amené ATG à relativiser la portée des remarques de l'IG-GBT-N (qualifiées ultérieurement de «rappel à l'ordre»). ATG a notamment dit qu'elle avait bien étudié ces réflexions et qu'en fin de compte, suite à un entretien avec l'IG-GBT-N, les réserves émises s'étaient révélées non essentielles. Sur la base de cette discussion et des réponses apportées par ATG, le consortium d'ingénieurs avait alors clos ce dossier. De fait, dans ses réponses à un catalogue de questions du 23 mars 2006, l'IG-GBT-N a explicitement modifié sa précédente appréciation des risques.

Dans sa réponse du 22 février 2007 aux questions du groupe de travail, l'IG-GBT-N a précisé qu'à l'époque (printemps 2005) il existait des risques concernant en particulier la formation des prix en cas de prestations complémentaires ou de modification des volumes, l'ambiguïté des conditions cadres et l'imprécision relative des prévisions géologiques, mais que ces points ont pu être éliminés ou précisés dans la suite du projet. Il a aussi dit que sa nouvelle appréciation du 23 mars 2006 n'était pas un «retournement d'opinion» mais qu'elle reposait sur de nouvelles informations, une meilleure connaissance des faits et, en partie, sur de nouvelles conditions cadres.

5.3.4

Deuxième adjudication

Se fondant sur les analyses de sensibilité élaborées par les experts, la direction d'ATG est parvenue à la conclusion que le lot d'Erstfeld devait de nouveau être adjugé à Murer-Strabag. Elle a notamment souligné que selon le résultat des analyses de sensibilité, l'offre globale de Murer-Strabag était non seulement celle dont le prix était le plus bas mais également celle qui présentait l'espérance mathématique (montant prévisionnel du décompte final) la plus basse.

3437

Le conseil d'administration d'ATG a suivi cette proposition lors de sa séance du 4 mai 2006.

5.4

Pondération des aspects macroéconomiques

Jusque-là, ATG avait dû essuyer cinq recours contre ses adjudications relatives au tunnel de base du Saint-Gothard, dont quatre avaient été tranchés en sa faveur. La CRM n'a donné tort à ATG que dans le cas du lot 151. C'est aussi le seul recours pour lequel elle a accordé un effet suspensif. ATG a signalé que sur 67 décisions de la CRM publiées sur Internet, l'effet suspensif n'a été prononcé que dans un seul cas. En accordant l'effet suspensif au recours contre l'adjudication du lot d'Erstfeld, la CRM a placé les intérêts de la recourante devant l'intérêt public, ce qui a fait l'objet de diverses critiques. Non seulement elle a pris le risque que les délais de réalisation du tunnel de base pâtissent de cette décision, mais en plus, le retard occasionné par le litige a engendré des coûts d'environ 40 millions de francs jusqu'à ce jour. Selon les informations fournies par ATG, les surcoûts se chiffrent en effet toujours à environ 100 000 francs par jour. L'OFT a confirmé cet ordre de grandeur en se fondant sur ses propres vérifications des documents d'ATG.

5.5

Appréciation de la DSN

D'un côté, la DSN comprend les raisons pour lesquelles ATG s'est tenue à la pratique courante de la CRM, ce qui l'a amenée à se limiter au traitement des seuls griefs formulés dans la décision sur recours. Le marché doit être adjugé à l'offre la plus avantageuse économiquement. S'il existe une possibilité que la projection du prix du décompte final diverge du prix offert en raison d'éventuels risques mis en évidence par l'analyse de sensibilité, la DSN considère que l'autorité adjudicatrice peut décider, dans le cadre de sa marge d'appréciation, si elle veut tenir compte de ces facteurs de coûts ou non. Les critères sur lesquels repose cette appréciation doivent être indiqués dans l'appel d'offres. Dans le cas examiné, la question qui se pose est de savoir ce qui se passe lorsque l'adjudicateur n'a rien prévu.

Mais d'un autre côté, la décision de la CRM précise aussi que «dans le cas présent, l'autorité d'adjudication était tenue de soumettre l'offre à prix forfaitaire de l'adjudicataire à une analyse approfondie, du fait qu'une offre globale ­ comparée à des offres basées sur des prix unitaires ­ présente des risques de coûts plus importants.» La DSN en conclut que l'approche choisie par ATG pour traiter la décision sur recours n'était pas optimale. A posteriori, il apparaît qu'il aurait été judicieux de procéder à une analyse encore plus approfondie. Cela d'autant que lors du traitement de la deuxième décision sur recours, un poids beaucoup plus grand a été donné aux analyses de sensibilité.

La DSN est d'avis que le conseiller juridique externe aurait dû être plus impliqué dans la procédure. L'inconvénient d'une intervention ciblée est que, dans certaines circonstances, la vue d'ensemble de l'expert peut être biaisée, surtout dans des cas aussi complexes que celui-ci.

3438

Pour revenir à la lettre de l'IG-GBT-N du 24 juin 2005 (connue comme le «rappel à l'ordre»), la DSN considère que, sur le plan formel, ATG aurait dû prendre plus de précautions face aux réserves des ingénieurs. Il est incompréhensible que lors de la première procédure de recours, cette missive n'ait été produite que sur ordre de la CRM. La DSN trouve aussi particulièrement surprenant que devant la CRM, ATG n'ait développé que de façon sommaire les arguments concernant le «rappel à l'ordre» de l'IG-GBT-N, alors qu'une prise de position plutôt complète a été présentée au groupe de travail. Ces circonstances ont amené la CRM à donner à la lettre de l'IG-GBT-N une importance qu'elle n'aurait jamais dû avoir à y regarder de près.

Mais l'argumentation du 23 février 2007 fournie au groupe de travail par l'IG-GBT-N peine elle aussi à convaincre.

6

Deuxième décision sur recours de la CRM et troisième adjudication d'ATG

6.1

Introduction

Le consortium Marti a formé recours contre la deuxième décision d'adjudication d'ATG le 26 mai 2006. La CRM a admis le recours le 11 septembre de la même année. Cette décision a annulé la décision d'adjudication d'ATG du 4 mai 2006 et le dossier a de nouveau été renvoyé à ATG pour un réexamen au sens des considérants.

6.2

Points principaux de la deuxième décision de la CRM

Les griefs formulés dans la deuxième décision sur recours de la CRM portent essentiellement sur les points suivants de la décision d'adjudication d'ATG: ­

ATG s'est strictement limitée à l'examen des points critiqués par la CRM.

­

Vu le risque de coûts élevé, ATG aurait dû soumettre l'offre globale de Murer-Strabag à une analyse approfondie.

­

Les nouveaux efforts d'ATG visant à relativiser les assertions de l'IG-GBT-N sur les risques de coûts des offres globales sont pour le moins surprenants.

­

Les réserves d'arrondi de la liste des prestations auraient dû être prises en compte par ATG dans la comparaison des prix ou par le biais d'une analyse de sensibilité.

­

Des modifications de projet (non imputables à l'aléa géologique) et les prétentions supplémentaires qui en découlent ne peuvent être exclues a priori.

On sait par expérience que les modifications de projet de nature politique en constituent une partie importante.

3439

6.3

Préparation de la troisième décision d'adjudication

6.3.1

Mesures prises par le DETEC

Vu le risque que l'achèvement du tunnel de base du Saint-Gothard subisse de nouveaux retards, le président de la Confédération Leuenberger, dans sa fonction de chef du DETEC, a convié les deux soumissionnaires et ATG à un entretien en octobre 2006. Les recherches juridiques préalables du DETEC ont montré que le droit des marchés publics n'offre aucune possibilité d'accélérer la procédure en influençant les soumissionnaires d'une quelconque manière et qu'en tout état de cause ces derniers ne sont pas tenus de respecter d'éventuelles ententes de cette nature.

L'objectif de l'entretien était donc de déterminer la suite de la procédure de préparation de la troisième décision d'adjudication et d'éviter un nouveau recours, ou à tout le moins d'en réduire les chances de succès. Les soumissionnaires ont été informés que la nouvelle adjudication serait préparée par des personnes qui n'avaient pas été impliquées dans les deux premières décisions, afin d'écarter tout risque de parti pris.

Il leur a également été dit que des experts seraient mandatés pour analyser les décisions annulées et pour préparer la nouvelle adjudication. A la suite de cet entretien, les soumissionnaires ont été informés de la nomination de ces experts et ils n'ont formulé aucune objection. De ce fait, en cas de nouveau recours, l'impartialité de l'adjudicateur ne ferait aucun doute.

6.3.2

Mesures organisationnelles prises par ATG

ATG a tout d'abord envisagé diverses variantes, parmi lesquelles l'interruption pure et simple de la procédure suivie d'un nouvel appel d'offres, mais elle a fini par conclure que sa marge de manoeuvre ne lui laissait que deux possibilités: compléter l'évaluation en suivant les indications données dans le jugement de la CRM et recourir à des tiers.

ATG a alors décidé de traiter le deuxième recours et de préparer la troisième adjudication en ne travaillant qu'avec des personnes qui n'avaient pas encore été impliquées dans cette procédure. Ce principe a été mis en oeuvre de manière systématique sur le plan interne. Dès lors, la direction n'était plus partie prenante au traitement matériel de ce dossier. Au sein du conseil d'administration aussi, le suivi de la troisième adjudication a été confié à deux personnes qui n'avaient pas participé à la préparation des deux premières. Un groupe d'experts externes n'ayant encore jamais travaillé pour ATG a aussi été mis sur pied pour analyser et évaluer les deux décisions de la CRM, pour procéder à une nouvelle évaluation des offres et pour formuler une recommandation d'adjudication à ATG. Il a toujours été clair pour ATG ainsi que pour l'OFT et le DETEC que la responsabilité de la troisième adjudication incombait encore à ATG et, concrètement, que cette décision devait être prise par son conseil d'administration.

6.3.3

Recours à des experts

Pour l'analyse de la situation et la préparation de la troisième adjudication, ATG s'est adressée aux entreprises Spiess + Partner (cabinet spécialisé dans le droit de la construction) et Bächtold (bureau d'ingénieurs et de planification). Les deux entre3440

prises de construction en cause (Marti et Murer-Strabag) ont pris connaissance de ce choix et l'ont approuvé. Le mandat confié aux experts le 25 octobre 2006 était le suivant: ­

Analyser les deux décisions de la CRM

­

Analyser les évaluations effectuées par ATG jusqu'ici

­

Déterminer des critères et un cadre pour la nouvelle évaluation

­

Procéder à la nouvelle évaluation

­

Formuler une recommandation d'adjudication à l'intention du conseil d'administration d'ATG.

Les experts ont remis leur rapport final au conseil d'administration d'ATG le 22 janvier 2007 avec une recommandation d'adjudication.

Les experts ont constaté que l'appel d'offres s'était déroulé correctement et plus précisément qu'aucun soumissionnaire n'avait été désavantagé. Leur conclusion générale est que «selon les analyses de sensibilité, et compte tenu des risques et avantages non quantifiables qui ont été évalués par les experts conformément à l'état de la technique et en se basant sur leur expérience, l'offre Murer-Strabag apparaît globalement comme la plus avantageuse économiquement.» Le groupe de travail constate que les experts ont procédé à un examen approfondi des analyses de sensibilité qui avaient été jugées insuffisantes par la CRM. Il en est notamment ressorti ceci: ­

Des réserves d'arrondi ne peuvent apparaître que dans des postes d'avantmétré arrondis. Ces postes ne représentent cependant que 15 % de l'offre Marti et de ce fait, les imprécisions d'arrondi ne peuvent atteindre que 0,2 à 0,4 millions de francs.

­

Rien ne laisse supposer qu'il existe des réserves de volume. L'analyse du décompte du lot voisin (252, Amsteg) montre que, là aussi, il n'y avait pas de réserves de volume.

­

La précédente analyse de sensibilité des experts d'ATG était correcte et judicieuse en ce qui concerne les modifications de projet. Une appréciation différenciée des travaux en régie a laissé apparaître un écart des espérances mathématiques légèrement plus grand entre les deux soumissionnaires.

­

Pour les «autres modifications de projet», trois lots NLFA comparables ont été analysés (Bodio, Amsteg, Steg/Rarogne). Il est apparu que les modifications de projet «possibles» représentent en moyenne 1,23 % du montant de l'adjudication. La part de l'aléa géologique atteint 2,8 %. L'analyse des effets des modifications de projet, qui sont réparties dans les catégories «certain», «possible» et «improbable», montrent que dans le meilleur des cas l'offre Marti pourrait être inférieure de 0,9 million de francs à celle de Murer-Strabag, mais qu'elle pourrait aussi la dépasser de 18 millions dans le pire des cas. Ces différences résultent du fait que le prix de l'offre MurerStrabag est nettement supérieur à celui de Marti dans un domaine (revêtements, aménagements intérieurs, câblages) mais qu'il est légèrement inférieur dans tous les autres secteurs (travaux extérieurs, travaux souterrains).

3441

­

Modalités de paiement: la comparaison de l'échelonnement des paiements, qui présente de fortes différences entre les deux soumissionnaires, a montré qu'avec l'offre Marti les surcoûts imputables au renchérissement atteindraient au minimum 2 millions de francs. Ce chiffre a été calculé pour un renchérissement annuel de 1 % seulement, or l'indice de renchérissement de la NLFA se situe à 1,6 % (1991 à 2005) voire 3,3 % (2003 à 2005).

Au final, les experts ont conclu que l'écart entre le décompte final de l'offre Marti et celui de l'offre Murer-Strabag pourrait être le suivant, selon la probabilité de réalisation des projections: +2 millions de francs (certain), +1 à +12 millions (imaginable) et ­2 à +40 millions (improbable).

La comparaison technique montre aussi que l'offre Murer-Strabag correspond techniquement à la proposition officielle tandis que l'offre Marti est une variante à un seul tunnelier. Avec Marti, les délais ne peuvent être tenus que dans les conditions les plus optimales. Les autres avantages de l'offre Murer-Strabag sont un démarrage plus précoce du travail au tunnelier, une durée de construction plus courte d'au moins trois mois, un rythme de percement sous-jacent moins soutenu (chances plus grandes de respecter le délai), un diamètre d'abattage plus grand, des surcoûts plus faibles et moins de retards en cas d'incidents géologiques, de même qu'un programme de construction moins compact vers la fin des travaux.

6.3.4

Troisième adjudication

Se fondant sur les observations des experts et sur leurs recommandations, le conseil d'administration d'ATG a adjugé une nouvelle fois le lot d'Erstfeld à Murer-Strabag lors de sa séance du 9 février 2007. La décision a été publiée le 14 février 2007, le délai de recours étant de 20 jours. Le 5 mars 2007, l'entreprise Marti a annoncé qu'elle renonçait à déposer un nouveau recours.

L'adjudication de ce marché à l'entreprise Murer-Strabag est donc entrée en force et les travaux de construction du lot d'Erstfeld pourront vraisemblablement commencer en avril 2007. Des reports supplémentaires de la construction du tunnel de base du Saint-Gothard ainsi que les surcoûts inhérents pourront ainsi être évités.

6.4

Appréciation de la DSN

Sur la forme, la DSN juge positifs les efforts déployés par ATG pour que le traitement du deuxième recours et la préparation de la troisième adjudication soient confiés à des personnes n'ayant si possible jamais été impliquées dans le traitement de la procédure d'adjudication de ce lot 151, que ce soit sur le plan interne ou externe. La mesure consistant à faire confirmer explicitement par les deux soumissionnaires qu'ils n'avaient aucune objection à formuler contre les experts mandatés est également louable.

Sur le fond, la DSN juge l'action des experts plus complète et plus approfondie que pour l'étude du premier recours. Cela s'explique peut-être en partie par le fait que le mandat donné à ATG était formulé de manière moins précise et moins complète dans la première décision. La problématique et la portée de la première décision de la CRM ont certainement aussi été un peu sous-estimées au sein d'ATG. Cette 3442

dernière a aussi commis une maladresse en ne communiquant pas la lettre de l'IG-GBT-N du 24 juin 2005 à la CRM dès le début de la procédure. Le maître d'ouvrage n'était probablement pas suffisamment convaincu de l'importance de ce courrier qui le mettait en garde contre les risques d'une offre globale. On s'étonne toutefois que la CRM s'appuie toujours autant sur le courrier de l'IG-GBT-N dans sa deuxième décision, sans plus faire grand cas de la prise de position du printemps 2006 par laquelle les ingénieurs ont corrigé leur appréciation.

La quintessence des travaux du deuxième groupe d'experts est que les analyses de sensibilité approfondies tendent à affaiblir la position de l'offre Marti contre celle de Murer-Strabag, confirmant ainsi les travaux antérieurs d'ATG.

7

Rôle du DETEC et de l'OFT

7.1

Situation actuelle

L'organisation actuelle de la surveillance du projet NLFA reporte une grande part de responsabilité sur les deux constructeurs (BLS AT et ATG). Ces derniers exercent la fonction de maître d'ouvrage. Ils répondent vis-à-vis de la Confédération de la conformité des projets et des ouvrages aux prestations commandées par la Confédération, ainsi que de l'utilisation parcimonieuse des ressources financières mises à leur disposition. Les compétences sont réglementées de manière détaillée dans les directives sur le controlling de la NLFA (DCN), qui ont été établies sur la base de l'ordonnance sur le transit alpin. La Confédération a notamment délégué aux constructeurs toutes les compétences relatives aux adjudications. Ceux-ci doivent simplement informer l'OFT du déroulement de la procédure et tenir toute la documentation à sa disposition. Les processus en cas de modification de la commande sont également réglés dans les DCN.

L'OFT se tient donc en retrait durant la phase de réalisation de l'ouvrage, parce qu'il a la conviction que, dans l'organisation de la NLFA, la délimitation claire des compétences ne représente une force que s'il n'interfère pas dans la sphère de responsabilités des constructeurs. Fidèle à cette conception, l'OFT n'est donc pas intervenu lorsqu'ATG a essuyé son premier revers dans l'adjudication du lot 151. Ce n'est qu'après la seconde décision de la CRM, et sur recommandation de la DSN, que le DETEC s'est manifesté avec une proposition de médiation du chef de département.

Mais sur le fond, aucune directive n'a été donnée à ATG.

7.2

Appréciation de la DSN

La DSN estime que la réglementation des compétences est fondamentalement juste.

Le Conseil fédéral, le DETEC et l'OFT doivent cependant se demander si la retenue est encore de mise lorsque des situations exceptionnelles se profilent. Il faut aussi examiner comment la communication entre l'OFT d'une part et les constructeurs et le Parlement d'autre part peut être optimisée.

3443

La DSN avait déjà évoqué la possibilité de mener des entretiens entre les différentes parties dans une phase plus précoce de la soumission du lot d'Erstfeld, mais cela s'est finalement fait trop tard. Depuis le 1er janvier 2007, cette démarche est d'ailleurs explicitement prévue par la loi fédérale sur la procédure administrative5.

8

Enseignements, recommandations de la DSN

8.1

Mesures à prendre par ATG

8.1.1

Offre globale

Une offre globale est adéquate lorsque les prestations demandées peuvent être décrite de manière précise et exhaustive. Le problème des offres globales réside dans la difficulté à les comparer avec d'autres offres, en particulier avec des offres à prix unitaires.

Recommandation no 1: Offre globale La DSN recommande à ATG de renoncer aux offres globales pour les ouvrages complexes tels que les lots de construction de tunnels.

ATG s'est déjà pliée à cette recommandation et a renoncé à admettre des variantes d'offres globales pour les prochains grands lots (technique ferroviaire du tunnel de base du Saint-Gothard, grands lots de construction du tunnel de base du Ceneri).

8.1.2

Procédure d'adjudication en deux temps

L'adjudication du lot d'Erstfeld a montré que la procédure en deux temps appliquée dans le cas d'espèce peut poser des problèmes dans la détermination de l'offre la plus avantageuse économiquement. Pour une partie de la doctrine, cette procédure est illicite.

Recommandation no 2: Modèle d'évaluation La DSN recommande à ATG d'abandonner le modèle d'évaluation utilisé jusqu'à présent pour les ouvrages complexes. Les critères d'évaluation des offres doivent être précisés et structurés de telle sorte qu'une qualité supérieure, dans l'intérêt du projet, puisse justifier un prix plus élevé.

ATG a déjà tenu compte de cette recommandation pour l'appel d'offres de la technique ferroviaire du tunnel de base du Saint-Gothard.

5

Art. 33b de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021).

3444

8.1.3

Calcul des modifications de projet

La DSNl juge problématique qu'ATG ait calculé elle-même la réduction des coûts imputables à la version réduite de la bifurcation souterraine «montagne longue fermée» et qu'elle ait ajusté les prix offerts par les soumissionnaires en conséquence.

Cette manière d'agir comporte un grand risque de recours.

Recommandation no 3: Modifications de projet durant la soumission La DSN recommande à ATG de demander aux soumissionnaires de calculer eux-mêmes les effets des modifications de projet qui interviennent pendant la soumission et d'adapter leur offre en conséquence.

8.1.4

Enchères au moins-disant

La DSN considère que les enchères au moins-disant ne sont pas un instrument adéquat pour l'adjudication de marchés publics. En cas d'utilisation trop fréquente, les soumissionnaires intégreront ce facteur dans leurs offres.

Recommandation no 4: Renonciation aux enchères au moins-disant La DSN recommande à ATG de renoncer par principe aux enchères au moinsdisant dans le cadre des projets complexes.

8.1.5

Surcoûts du lot 151

A la lumière de la portée politique que revêt désormais le lot 151, la DSN considère qu'il est particulièrement important de veiller à ce que l'offre globale de MurerStrabag, qui a gagné la soumission, génère le moins possible de surcoûts.

Recommandation no 5: Prévention des surcoûts La DSN recommande à ATG de prendre toutes les mesures appropriées afin que l'offre globale du lot de gros oeuvre d'Erstfeld ne génère pas de surcoûts au titre des facteurs de risque examinés.

3445

8.2

Mesures à prendre au niveau de l'OFT et du DETEC

8.2.1

Information et communication

Les investigations du groupe de travail ont montré que l'information et la communication de l'OFT/DETEC envers les constructeurs et le Parlement étaient susceptibles d'amélioration.

Recommandation no 6: Echanges d'informations avec les constructeurs et le Parlement La DSN recommande au DETEC de créer des instruments lui permettant de garantir un échange d'informations approprié, en tout temps, entre l'autorité de surveillance d'une part et les constructeurs et le Parlement d'autre part.

8.2.2

Surveillance dans les situations exceptionnelles

Les investigations du groupe de travail ont montré qu'il fallait revoir les modalités de la surveillance au niveau OFT/DETEC pour les situations menaçant de devenir critiques.

Recommandation no 7: Surveillance dans les situations exceptionnelles La DSN recommande au DETEC d'examiner comment il pourrait exercer une surveillance et une prise d'influence plus actives dans les situations menaçant de devenir critiques. En cas de problèmes lors de l'adjudication du marché, il faut envisager suffisamment tôt la possibilité de convier les parties à un entretien (art. 33b de la loi fédérale sur la procédure administrative, RS 172.021).

Le DETEC a déjà agi dans ce sens en prenant une part plus active à l'examen de la suite de la procédure relative à la technique ferroviaire du tunnel de base du SaintGothard.

8.3

Révision LMP/OMP

8.3.1

Ouverture des offres

Le droit actuel des marchés publics ne prévoit par l'ouverture publique des offres.

Recommandation no 8: Ouverture publique des offres La DSN recommande au Département fédéral des finances (DFF) de profiter de la révision de la législation sur les marchés publics pour améliorer les conditions de transparence et d'examiner dans quelle mesure l'ouverture des offres devrait être publique.

3446

8.3.2

Enchères au moins-disant

La DSN considère que les enchères au moins-disant ne sont pas un instrument adéquat pour l'adjudication de marchés publics, d'autant que si ce procédé est utilisé fréquemment, les soumissionnaires tendront à intégrer ce facteur dans leurs offres.

Recommandation no 9: Enchères au moins-disant La DSN recommande au DFF de créer les conditions juridiques pour que les enchères au moins-disant ne soient plus possibles. Tout au plus pourrait-on prévoir des exceptions lorsqu'aucune des offres ne paraît être la plus avantageuse économiquement.

En revanche, les négociations ayant pour but d'adapter le volet technique des offres doivent rester licites.

8.3.3

Offre la plus avantageuse économiquement

La DSN estime que la procédure appliquée par ATG, où tous les soumissionnaires qui ont obtenu le nombre de points minimum pour le volet technique de l'offre ne sont plus évalués que sur la base du critère de prix, ne garantit pas que le marché sera adjugé à l'offre qui est effectivement la plus avantageuse économiquement.

Recommandation no 10: Offre la plus avantageuse économiquement La DSN recommande au DFF de créer les conditions juridiques afin qu'il soit possible, pour les ouvrages complexes, de désigner l'offre qui est réellement la plus avantageuse économiquement à partir de l'évaluation technique et du prix, et de garantir qu'une qualité supérieure, dans l'intérêt du projet, puisse justifier un prix plus élevé.

3447

8.3.4

Intérêts macroéconomiques

Selon la DSN, la CRM n'a pas suffisamment pris en compte l'intérêt public, en particulier les intérêts macroéconomiques, dans son appréciation de l'effet suspensif.

Recommandation no 11: Prise en considération de l'intérêt public dans l'appréciation de l'effet suspensif La DSN recommande au DFF d'examiner comment l'appréciation de l'effet suspensif des recours en matière d'adjudication pourrait être rendue plus restrictive. Il faut inscrire dans la loi une disposition ne permettant à l'instance de recours de décréter l'effet suspensif que si les intérêts du recourant ne s'opposent pas à des intérêts publics prépondérants. Du point de vue de la DSN, tel est le cas notamment lorsque le recours engendre des coûts élevés ou des retards pour le commettant ou qu'il met en péril la sécurité publique.

8.3.5

Interruption de la procédure

La décision d'interrompre une procédure d'appel d'offres ne doit pas être prise à la légère. On peut toutefois se demander s'il n'y aurait pas lieu d'élargir la marge de manoeuvre du maître d'ouvrage en la matière.

Recommandation no 12: Simplification des conditions d'interruption de la procédure d'adjudication La DSN recommande au DFF d'examiner s'il y a lieu d'élargir la marge de manoeuvre du maître d'ouvrage en matière d'interruption de la procédure d'adjudication.

9

Conclusions

L'objectif des investigations menées par le groupe de travail de la DSN était d'examiner les reproches formulés en rapport avec l'adjudication du lot de gros oeuvre 151 (Erstfeld) du tunnel de base du Saint-Gothard et d'en tirer des enseignements pour le futur.

La faiblesse décisive de cette adjudication a été la décision prise en cours de procédure de redimensionner la bifurcation souterraine du tracé «montagne longue fermée» à Uri. Alors qu'elle avait déjà été chargée par l'OFT de planifier cette version réduite de l'ouvrage, ATG a décidé de publier l'appel d'offres sans le modifier, dans l'intention de corriger ultérieurement les offres des soumissionnaires en fonction de la variante qui serait choisie. C'est ce qui a été fait, sauf qu'ATG a calculé ellemême l'ampleur de la réduction sur la base des offres. Elle a certes demandé aux soumissionnaires de confirmer l'exactitude des adaptations, mais lorsque peu de temps après l'un des soumissionnaires est revenu avec une offre 10 millions de francs moins chère, ATG s'est trouvée face à un dilemme. Il était évident, pour des 3448

questions d'égalité de traitement, qu'elle ne devait pas accepter cette offre tardive.

Mais dans le même temps, elle ne voulait pas laisser passer une opportunité de réaliser une économie de 10 millions de francs pour de simples critères de forme.

C'est ce qui l'a décidée à donner à tous les concurrents la possibilité de lui soumettre une dernière offre, un procédé auquel ATG n'avait encore jamais recouru. Le classement des offres par ordre de prix en est ressorti modifié.

Dans ces circonstances, on comprend que des parties externes ont pu avoir l'impression que les règles du jeu avaient été modifiées arbitrairement et que les enchères au moins-disant ne s'étaient pas déroulées dans des conditions de transparence acceptables. De fait, cette étape n'était pas absolument obligatoire et ATG aurait tout simplement pu ne pas admettre la seconde offre et renoncer à toute mesure supplémentaire. On relèvera néanmoins que la décision d'ATG était licite dans la mesure où l'appel d'offres prévoyait explicitement la possibilité d'ouvrir des négociations. Du reste la CRM n'a pas contesté le procédé des enchères au moinsdisant.

La question se pose de savoir si la communication entre l'OFT et ATG a été optimale et si l'OFT ne devrait pas exercer sa fonction de surveillance de la NLFA plus activement, malgré la retenue dont il fait preuve volontairement, les textes légaux et réglementaires ayant défini son rôle de cette manière. En tout état de cause, la procédure qui a abouti à la version réduite de la bifurcation souterraine ne s'est pas déroulée de manière optimale et les risques inhérents à la procédure choisie ont été sous-estimés de part et d'autre.

La DSN considère également que la procédure adoptée par ATG après la première décision sur recours n'a pas été optimale. Le fait que certaines pièces (lettre de l'IG-GBT-N concernant les risques d'une offre globale) n'ont été produites qu'à la demande de la CRM laisse à penser que les exigences propres aux rapports avec les instances judiciaires ont été quelque peu sous-estimées. Les analyses de sensibilité apparaissent également comme insuffisantes, surtout à la lumière des travaux beaucoup plus poussés qui ont été menés avant la troisième adjudication. On peut toutefois partager l'avis d'ATG selon lequel la CRM a fortement empiété sur la marge discrétionnaire
de l'adjudicateur.

Les griefs du conseiller aux Etats Jenny sont juridiquement infondés. Pour la DSN, ses accusations de «magouille» ainsi que les propos qu'il a tenus devant le Conseil des Etats, selon lesquels il était évident que le droit des marchés publics avait été jeté aux orties, sont déplacés. Toute la procédure d'adjudication s'est déroulée selon les règles d'un Etat de droit et la DSN n'a relevé aucun de ces «dysfonctionnements [qui] sont habituellement associés aux .» La DSN n'a relevé aucun élément étayant les soupçons selon lesquels l'explication des problèmes constatés résiderait dans la personnalité de certains intervenants. Il semble clair que les choix faits par ATG à divers stades de la procédure ­ notamment en ce qui concerne la bifurcation souterraine «montagne longue fermée» ­ ont pu être perçus comme sous-optimaux et irréfléchis. On ne peut cependant pas parler de «négligence grave». Les règles du jeu n'ont pas été modifiées durant l'appel d'offres. On peut toutefois constater que la présentation spontanée d'une seconde offre par MurerStrabag est un acte inhabituel qui a conduit ATG à agir de manière non planifiée.

Tout le déroulement de la procédure s'est ressenti des choix non optimaux de l'OFT et d'ATG dans le dossier du redimensionnement de la bifurcation souterraine «montagne longue fermée». La DSN ne saurait toutefois cautionner les accusations de dilettantisme. Le reproche de «comportement arbitraire» porté contre ATG néglige 3449

en outre le fait que la Confédération a délégué de très vastes compétences aux constructeurs de la NLFA ­ ce que le Parlement n'ignore pas. Le constat selon lequel ATG aurait pris par deux fois la mauvaise décision doit être tempéré par le fait que la CRM a certes renvoyé deux fois le dossier à ATG pour réexamen, mais que jamais elle n'a qualifié l'adjudication d'erreur.

Selon la DSN, les deux décisions de la CRM soulèvent, elles aussi, un certain nombre de questions. L'impression qui se dégage est d'abord que la CRM a fortement empiété sur la marge discrétionnaire de l'autorité d'adjudication tout en refusant de se prononcer sur le fond, ce qui aurait pourtant été possible, juridiquement parlant.

Certains vont même jusqu'à considérer que l'exigence posée par la CRM de réaliser des analyses de sensibilité n'est pas admissible au regard du droit, car celles-ci n'étaient pas prévues par l'appel d'offres. De plus, en prononçant l'effet suspensif du recours, la CRM n'a pas suffisamment tenu compte de l'intérêt public, surtout au vu de la durée de la procédure.

La DSN estime qu'il est très important de tirer des enseignements de l'adjudication du lot d'Erstfeld. C'est pourquoi elle a formulé diverses recommandations concernant des mesures qui doivent être prises par ATG et par l'OFT, ainsi qu'en rapport avec la révision en cours de la législation fédérale sur les marchés publics. Enfin, la DSN gardera un oeil particulièrement attentif sur la réalisation de ce lot et plus particulièrement sur la prévention des surcoûts.

19 mars 2007

Pour la Délégation de surveillance de la NLFA des Chambres fédérales: Le président, Hansruedi Stadler Le secrétaire, Roberto Ceccon

3450

Annexe

Chronologie des adjudications du lot de gros oeuvre 151 Erstfeld 19.05.2004

Publication de l'appel d'offres par ATG

19.10.2004

Dépôt des offres

27.10.2004

Ouverture de la partie technique des offres

21.12.2004

Lettre d'ATG au soumissionnaire 2: son offre n'est pas retenue pour la suite de la procédure (offre ne satisfaisant pas aux critères d'adjudication)

21.12.2004

Catalogue de questions écrites aux soumissionnaires 1/3/4/5

22.12.2004

Ouverture de la partie financière des offres

10.03.2005

Lettre d'ATG au soumissionnaire 5: son offre n'est pas retenue pour la suite de la procédure (prix nettement supérieur à celui des autres offres)

31.01.­ 08.04.2005

Trois cycles d'entretiens avec les soumissionnaires restants: Zschokke, Marti, Murer-Strabag

21.04.2005

Entrée des dernières réponses au catalogue de questions d'ATG

Æ 12.05.2005

Analyse complémentaire des risques par ATG

31.05.2005

Lettre de Murer-Strabag: réduction supplémentaire pour les parties abandonnées de la bifurcation souterraine

Æ 15.06.2005

Examen juridique de la question de l'égalité de traitement entre les soumissionnaires soulevée par la lettre du 31.05.2005

29.06.2005

Lettre d'ATG à Murer-Strabag: sa lettre du 31.05.2005 ne sera pas prise en considération

29.06.2005

Lettre d'ATG aux trois soumissionnaires en lice: il leur est demandé de soumettre une dernière offre

14.07.2005

Ouverture des offres définitives

11.08.2005

Adjudication du lot d'Erstfeld à Murer-Strabag

24.08.2005

Publication de l'adjudication dans la FOSC

13.09.2005

Recours de l'entreprise Marti auprès de la CRM

21.11.2005

Décision intermédiaire de la CRM: le recours a un effet suspensif

13.02.2006

Décision de la CRM: recours accepté

21.02.2006

Mandat d'ATG aux experts: analyses de sensibilité

19.04.2006

Résultat des analyses de sensibilité

04.05.2006

Deuxième décision d'adjudication d'ATG

09.05.2006

Publication dans la FOSC

26.05.2006

Recours de l'entreprise Marti auprès de la CRM

11.09.2006

Décision de la CRM: recours accepté 3451

28.09.2006

Discussion d'ATG avec des experts en vue de l'attribution d'un mandat de réévaluation

06.10.2006

Entretien entre ATG et le chef du DETEC

26.10.2006

Attribution du mandat d'ATG aux experts

03.11.2006

Lettre du président de la Confédération à Marti, Murer-Strabag et ATG

22.01.2007

Présentation du rapport d'évaluation des experts à ATG

09.02.2007

Troisième décision d'adjudication d'ATG

14.02.2007

Publication dans la FOSC

05.03.2007

Marti fait savoir qu'elle renonce à déposer un nouveau recours

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