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XXXIVme année. Vote I. Nos 4.

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Samedi 28 janvier 1882

Abonnement par année (franco dans toute la Suisse) 4 francs.

Prix d'insertion : 15 centimes la .ligne. Les Insertions doivent être transmises franco a l'expédition. -- Imprimerie et expédition de C.-J. Wyss, a Berne.

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Message du

conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant l'adjonction d'un article au code pénal fédéral du 4 février 1853, dans le sens d'une extension de la compétence des assises fédérales.

(Du 13 janvier 1882.)

Monsieur le président et messieurs, Ensuite de décision prise par le conseil des états le 28 juin 1880, la motion faite le 19 du même mois par M. Brosi, a été renvoyée au département fédéral de justice et police, pour rapport.

Cette motion est conçue dans les termes suivants.

« Le conseil fédéral est invité à présenter aux chambres fédérales un rapport et des propositions concernant .la révision du code pénal fédéral du 4 février 1853, dans le sens de l'extension à donner au caractère des crimes et délits politiques qui rentrent dans la compétence des assises fédérales. » M. Brosi a déclaré, en motivant sa motion, que c'est le procès de Stabio qui l'avait engagé à la faire et qu'elle a pour but d'arriver à rendre possible, par la promulgation d'une loi, que des cas punissables analogues soient jugés par les assises fédérales.

On sait qu'immédiatement après les événements de Stabio les autorités tessinoises firent procéder à une enquête qui amena le Feuille fédérale suisse. Année XXXIV. Vol. I.

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renvoi de plusieurs accusés devant les assises teseinoises. Une partie de ces accusés interjetèrent alors recours de cet arrêt de renvoi au tribunal fédéral, en demandant qu'il fût déclaré que le procès relatif aux événements de Stabio et à ceux qui en ont été la conséquence au mois d'octobre 1876, dans le canton du Tessin, est de la compétence des autorités fédérales, à teneur de l'article 32, chiffre 3, de la loi sur l'organisation judiciaire fédérale, ainsi que du code pénal fédéral.

Par arrêt du 17 octobre 1879, le tribunal fédéral rejeta cette demande, en déclarant que les conditions constitutionnelles et légales garantissant au citoyen le droit d'invoquer la juridiction du tribunal fédéral n'existaient pas dans l'espèce, les actes mis à la charge des accusés ne présentant pas le caractère des crimes politiques que la loi exige et aucune intervention fédérale armée, qui constitue une autre condition pour la compétence du tribunal fédéral, n'ayant d'ailleurs eu lieu.

Conformément k cette décision, la-, suite à donner à cette affaire, dont la solution fut l'acquittement de tous les prévenus, resta en mains des tribunaux du canton du Tessili.

Or, la motion dont nous venons de parler poursuit le but d'étendre la compétence du tribunal fédéral au moyen « d'une révision du code pénal fédéral, dans le sens de l'extension à donner au caractère des crimes et délits politiques », ce qui renvoie tout d'abord à l'article 52 du code ponal fédéral, qui, à son tour, est en étroite connexité avec l'article 112, chiffre 3, de la constitution fédérale et règle les cas dans lesquels la juridiction pénale appartenant dans la règle aux cantons passe à la Confédération. Cette disposition constitutionnelle s'exprime de la sorte : « Art. 112. -- Le tribunal fédéral assisté du jury, lequel statue sur les faits, connaît en matière pénale : (chiffre 3) des crimes et des délits politiques qui sont la cause ou la suite de troubles par lesquels une intervention fédérale armée est occasionnée ».

Comme il s'agit actuellement de donner de l'extension à cette disposition législative et, éventuellement, de la modifier en révisant la constitution, il paraît désirable de rappeler l'historique de cet article.

Déjà dans les délibérations de la commission de la diète sur la constitution fédérale de 1848, l'adoption de la disposition suivante a été décidée par une majorité de 16 voix :

Ili « Le tribunal fédéral connaît des crimes politiques qui sont la cause ou la suite des troubles par lesquels une intervention fédérale armée a été occasionnée ».

Dans la discussion, diverses autres propositions allant plus loin avaient été faites, ainsi notamment celle que les délits de faux monnayage, contre les régales, la contrebande et les délits de presse contre la Confédération soient placés dans la compétence du tribunal fédéral. On alléguait comme motifs à l'appui de ces propositions que, si, dans un canton, la presse favorisée par des tendances réactionnaires était exploitée pour répandre des calomnies contre la Confédération, pour exciter les mécontents à la désobéissance aux autorités fédérales, la répression ne pouvait être abandonnée aux autorités cantonales animées des mêmes sentiments, mais qu'au contraire il fallait que la Confédération intervînt. On a tenu compte de cette idée dans la décision qui a été prise (voir article 114 de la constitution fédérale actuelle) « que le tribunal fédéral aura a connaître de tous les cas qui lui seront déférés par une loi ».

A cette même occasion, un membre de la diète aurait voulu introduire une disposition essentielle, concernant la protection qui devrait être assurée an confédéré vis-à-vis de son gouvernement cantonal, en donnant les arguments suivants. Sans qu'il soit besoin de citer des exemples, il est notoire que, dans les derniers temps encore, des citoyens de certains cantons se sont plaints, auprès de la diète, de dénis de justice, de droits méconnus, et que d'après le pacte existant l'autorité n'a pas eu les moyens de faire droit à la personne lésée et de rétablir l'ordre légal. Le nouveau pacte devrait rendre impossibles de pareils actes d'arbitraire ; il devrait assurer aux confédérés la garantie qu'en dernière instance il leur sera fait droit par le tribunal fédéral et que les atteintes portées par les autorités cantonales seront réprimées. Sans garantie de cette nature et par suite d'une organisation vicieuse des tribunaux, le citoyen pourrait se voir victime de l'injustice, de l'esprit de parti et de la passion.

L'article concernant la répression des crimes et délits politiques qui sont .en connexion avec une intervention fédérale armée est sorti des délibérations de la diète conformément à la proposition de la commission. Mais
ici aussi furent faites diverses propositions et exprimées diverses manières de voir qui toutes sont en rapport intime avec la motion faite au conseil des états par M.

Brosi. C'est ainsi que, en opposition à un amendement portant que la législation et l'administration de la justice en commun : 1° en matière criminelle, 2° en matière de commerce, 3° en matière de

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délits politiques, soient introduites, on a objecté qu'une semblable proposition comporte la suppression de la souveraineté cantonale, reconnue en principe.

Il en est autrement des principes auxquels la Confédération entière parait intéressée et qui, sans porter atteinte au système, peuvent être proclamés sans préjudice ; de ce nombre sont, l'inter^diction de la peine de mort en matière de délits politiques, la confiscation des biens ou l'interdiction d'imposer aux personnes condamnées pour cause de politique des amendes qui, dans leur effet, équivaudraient à des confiscations. La, Confédération a le devoir d'assurer l'ordre public partout et d'empêcher les cantons de prendre des mesures tendant à compromettre la paix et de nature à amener des révolutions.

Dans les temps d'agitation, la voix de la raison n'est que trop souvent étouffée par les cris de la passion, et l'on n'est que trop enclin à imposer à son adversaire vaincu les peines les plus rigoureuses, si ce n'est même à l'anéantir. Il en résulte un état de malaise qui ne laisse jamais les partis en paix et réagit d'une manière fâcheuse au delà des limites du canton, en ce que la population des autres cantons ne saurait voir d'un oeil indifférent les fureurs exercées contre des prévenus politiques au nom de la loi ou par des lois exceptionnelles.

Dans le but d'écarter et de faire disparaître les éléments de bouleversements politiques et de perturbation de la paix publique, la députation de Glaris, de concert avec celle de l'état de St-Gall, avait proposé l'amendement suivant : « La peine de mort et les amendes équivalant ou à peu près à une confiscation de la fortune entière sont inadmissibles à l'égard des délits politiques. » A la votation, il ne fut acquis de majorité que pour l'abolition de la peine de mort en matière de crimes politiques, tandis que trois états seulement se prononcèrent pour une législation commune en matière de délits politiques.

Dans une délibération postérieure, la délégation du canton d'Uri avait fait l'amendement que, à « l'égard des sentences criminelles des cantons en matière politique, le condamné peut interjeter appel auprès du tribunal fédéral ».

Cet amendement fut toutefois rejeté, et, à cette occasion, on a fait observer qu'il serait sans doute bon que le pourvoi près le tribunal fédéral fût admis en
matière de jugements qui concernent des délits politiques, mais que cette proposition ne saurait guère être considérée comme exécutable dans la pratique, vu la grande

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diversité existant entre les législations pénales et les procédures criminelles.

Le résultat final de toutes ces délibérations fut que la souveraineté cantonale en matière pénale n'a été limitée par la constitution fédérale de 1848 que sur les points suivants : 1. par l'interdiction d'établir des tribunaux extraordinaires (article 53) ; 2. par l'interdiction de prononcer des condamnations à mort pour cause de délit politique (art. 54) ; 3. par la régularisation des questions d'extradition (art. 55); 4. par la compétence pour connaître des crimes et délits politiques, lorsque ces crimes et délits sont en connexion avec une intervention fédérale armée (art. 104).

La constitution fédérale de 1874 a de nouveau posé ces restrictions dans ses articles 58, 65, 67 et J.12, en y ajoutant celles contenues aux articles 44 (interdiction du bannissement) et 66 (législation fédérale sur la perte des droits politiques).

La prescription insérée à l'article 104 de l'ancienne constitution et à l'article 112 de la constitution actuelle a trouvé son exécution 'par voie de législation et par le code pénal fédéral du 4 février 1853. L'article 52 combiné avec les articles 45 à 50 détermine les conditions dans lesquelles le juge doit considérer comme crimes et délits politiques certains crimes et délits dans le sens de l'article 112, chiffre 3, de la constitution fédérale, comme aussi celles dans lesquelles la juridiction du tribunal fédéral est substituée à celle des tribunaux cantonaux.

Or, doit-on donner à ces restrictions une extension dans Je sens de la motion de M. Brosi ?

On ne saurait contester que les motifs précités, qui ont été allégués dans le sein de la diète pour l'abolition de la peine de mort, subsistent encore de nos jours et qu'ils peuvent être invoqués dans toute leur portée en faveur de l'extension de la compétence du tribunal fédéral dont il s'agit et de la restriction de la juridiction cantonale. Aussi n'hésitons-nous pas à désigner comme étant juste en même temps que pratique et opportune l'idée qui est à la base de la motion.

Lorsque, dans un état, l'excitation et la passion s'emparent non seulement des chefs politiques, mais qu'elles gagnent les populations de cantons entiers et compromettent par cela même l'impartialité des tribunaux, notamment des jurys, l'excluant même souvent dii-ectement, la Confédération doit venir en aide aux accusés, ainsi qu'au

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canton, en déférant l'instruction et le jugement à des juges impartiaux et en rétablissant ainsi l'ordre légal troublé.

Les exemples dans l'histoire de la Suisse jusqu'aux temps les plus récents, rappelant que, par le cours de procès criminels, non seulement la justice fut compromise au delà des frontières des cantons, mais, comme conséquence, l'ordre publie aussi, sont nombreux.

Dans la vie politique de la Confédération, la population dans sou ensemble prend souvent la part la plus vive aux questions dont, de droit, la solution appartient exclusivement aux cantons, et le, verdict d'un tribunal auquel, à tort ou à raison, il manque la confiance de l'impartialité devient une question brûlante pour tout le pays.

Nous n'avons besoin, pour rendre cette idée claire, qu'à renvoyer, sans autre raisonnement, au dernier exemple de ce genre, au procès de S tabi o.

Ces cas, qui peuvent se renouveler tous les jours, constituent un embarras pour les cantons, un danger pour les accusés et renferment le germe des plus graves dissensions pour tout le pays. Si, au moyen de la législation, la possibilité d'apporter ici un remède est offerte, cette possibilité alors devient un devoir dont l'accomplissement est subordonné à la condition que, de prime abord, on puisse invoquer un juge désintéressé et par conséquent impartial.

Le chemin à suivre pour arriver à ce résultat est indiqué par la constitution fédérale elle-même. D'après l'article 112, chiffre 3, la Confédération intervient doublement lorsque surviennent des «troubles » dans les cantons ; elle maintient l'ordre par la force des armes et interrompt l'action des tribunaux cantonaux s'il s'agit de « crimes et délits politiques » se rapportant à ces troubles. Ce môme motif et cette môme nécessité politique justifient également l'intervention fédérale lorsque l'administration de la justice dans un canton paraît menacée et par là aussi l'ordre public dans ce canton. Dans ce cas, la Confédération doit prévenir les « troubles » en se bornant à s'approprier la juridiction. Il y aurait donc lieu, en première ligne, de rendre la substitution du tribunal fédéral indépendante d'une intervention armée, ce qui ne porterait toutefois qu'en partie remède à la situation. Il est évident que, des motifs indiqués, il résulte que la juridiction de la Confédération peut aussi,
en lieu et place de celle des cantons, devenir nécessaire à l'égard de crimes et délits autres que les crimes et délits politiques. Quelle que soit l'extension que l'on veuille donner au caractère du crime politique en opposition au crime ordinaire, on ne serait cependant arrivé que difficilement, dans le procès de Stabio, à qualifier le meurtre de Pedroni de crime politique, et encore, en admettant que ce crime doive être qualifié crime politique ayant été commis patun mobile politique, il serait quand même toujours inadmissible de

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ranger aussi dans cette catégorie un crime dont seulement la causo extérieure pourrait être attribuée à des circonstances politiques. La cause de l'agitation que produisit le procès de Stabio ne résidait d'ailleurs absolument pas dans le fait que les crimes commis n'ont pas été considérés comme crimes politiques, mais bien plutôt dans la crainte qu'une partie des accusés ne devinssent les victimes de la passion politique du tribunal.

La solution de la question ne saurait donc consister à donner de l'extension au caractère des crimes et délits politiques; en revanche, la juridiction de la Confédération, étroitement restreinte par l'article 112, chiffre.3, doit être étendue au cas important et fréquent dans lequel il est admissible d'après les faits qu'un accusé tombe dans les mains de juges partiaux étant ses adversaires politiques. Dans la règle, ce danger n'existera, il est vrai, que dans les cas où le délit incriminé se rapportera aussi à des faits politiques, mais il n'est pas nécessaire que cette condition soit remplie, de sorte qu'elle ne saurait non plus constituer à son -tour une condition de la juridiction fédérale.

La loi sur la procédure pénale fédérale renferme dans son article 32, lettre I, uno disposition qui, dans les limites de la juridiction fédérale, vise le même but. La chambre d'accusation n'est pas tenue de renvoyer un prévenu devant la cour d'assises de l'arrondissement dans lequel le délit a été consommé, mais elle peut au contraire déférer l'instruction et le jugement à un autre tribunal lorsque l'arrêt de renvoi mentionne seulement que cette disposition a été prise ensuite d'une délibération spéciale.

Dans son article 51, la loi du 27 juin 1874 sur l'organisation judiciaire fédérale s'exprime d'une façon encore plus précise et qui s'adapte à notre but. Cet article dit: « La chambre criminelle désigne dans chaque cas le lieu où les assises doivent se réunir.

« Dans les cas ordinaires, un crime ou délit est jugé dans l'arrondissement d'assises où il a été commis. Cependant, dans l'intérêt d'une justice impartiale ou de la sûreté publique, il peut otre fait exception à cette règle. » De cette manière, l'existence, pour la justice fédérale, d'un juge indépendant et impartial est assurée, et les dangers qui peuvent résulter de la sentence d'un juge dépendant et partial sont
exclus d'avance. Mais, si, eu revanche, l'instruction d'une procédure pénale constitue ce danger, la Confédération se trouve alors sans défense, et, avant de pouvoir intervenir, elle doit attendre

116 que les troubles dont cette procédure ou lé jugement serait la cause se soient produits.

Le droit pénal français contient une disposition analogue a celle de la loi fédérale que nous venons de citer. L'article 542 du code d'instruction criminelle confère à la cour de cassation -le droit de renvoyer une cause pénale d'une cour de justice à une autre « pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime. » Aux termes de la jurisprudence française (Eivièrc, codes français), il y a lieu à renvoi pour causé de suspicion légitime, lorsque l'ardeur des passions locales peut influencer le jury.

Après cet exposé général des motifs à l'appui du projet de loi, il ne reste plus à faire que quelques observations.

Nous avons déjà indiqué que la loi n'atteindrait pas sou but si l'extension de la compétence du, tribunal fédéral devait n'avoir pour objet que des crimes politiques. A l'égard de la nécessité qu'il y a de ne pas faire de distinction entre les crimes politiques et, les autres crimes, le fait que la loi à promulguer offre sans doute aussi à n'importe quel voleur ou escroc la possibilité de désigner comme partial son juge cantonal et de demander le renvoi au tribunal fédéral est sans autre importance. Ces cas-là d'ailleurs se présenteront rarement et ne conduiront jamais an but, attendu que ce ne sera pas la demande du prévenu, mais bien la décision du conseil fédéral, qui tranchera la question de renvoi.

On peut agiter la question de savoir si le renvoi au tribunal fédéral doit, être attribué à ce corps lui-même ou au conseil fédéral. On peut alléguer, en faveur de la première alternative, que le renvoi implique une attribution de compétence proprement dite, qui doit être précédée de la connaissance juridique des circonstances ^et des faits. En revanche, on doit considérer que, dans la procédure pénale actuelle (article 74 du code pénal lederai), c'est au conseil fédéral qu'appartient la compétence de décider si un crime qui rentre dans le cadre de la législation pénale fédérale doit être renvoyé aux autorités cantonales ou poursuivi d'après la procédure fédérale et jugé par les assises fédérales. Du reste, lorsqu'il s'agit de délits politiques, la poursuite ne peut avoir lieu sans l'assentiment du conseil fédéral (article 29 de la loi sur la procédure pénale fédérale). Il faut encore ajouter
que le renvoi dont parle le projet de loi repose sur des considérations et sur des suppositions de nature politique et doit par conséquent, par ce motif aussi, être plutôt attribué au conseil fédéral.

Nous devons maintenant motiver la compétence d'adopter la loi proposée. Nous trouvons celte compétence établie par la disposition de l'article 114 de la constitution fédérale, qui donne à la

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législation fédérale, outre les cas mentionnés aux articles 110, 112 "et 113, de placer d'autres affaires dans la compétence du tribunal fédéral. Il sera utile ici de se faire une idée nette de la portée de cette décision, par la manière dont celle-ci est née. Dans le sein de la diète de 1848, on avait proposé de supprimer cette disposition, par la raison que les articles précédents indiquaient déjà, d'une manière plus précise, ce qui rentrait dans la compétence du tribunal fédéral, et qu'on ne voulait pas courir le danger de voir enlever à volonté d'autres objets aux tribunaux cantonaux, par voie de législation. La députation du canton de Genève proposait de dire : « Outre les cas mentionnés aux articles 97 et 101, la législation fédérale peut placer d'autres affaires du ressort de la Confédération dans la compétence du tribunal fédéral. » La majorité adopta l'article dans la forme sous laquelle il .a passé depuis dans la constitution actuelle (article 114). Cette adoption eut lieu sans opposition, au moins en ce qui concerne le projet de constitution de 1872, après la déclaration suivante, renfermée dans le message du conseil fédéral du 17 juin 1870.

« La constitution de 1848 a attribué, il est vrai, une compétence fort restreinte au tribunal fédéral, mais elle a prévu le cas où cette compétence devrait être élargie par la force des circonstances. L'article 106 de cette constitution renferme jusqu'à un certain point des pleins pouvoirs à cet égard, et il permet à l'autorité fédérale de donner au tribunal fédéral les attributions que bon lui semble, qu'il s'agisse d'une première ou d'une dernière instance, ou que le conflit soit porté en cassation ou en appel. Il n'est donc pas nécessaire de donner à la Confédération de nouvelles attributions. » O

Cette manière de voir du conseil fédéral a été. partagée par les adversaires de l'article 114, lors des débats sur la constitution de 1874. Ils alléguaient que, d'après le contenu de cette disposition, on pouvait, au moyen de la législation fédérale,' soumettre tout ce qu'on voudrait au jugement du tribunal fédéral, si bien qu'il no serait plus question de faire ici une distinction. D'autre part, on répondait que cette disposition faisait déjà partie de la constitution de 1848, et que l'on éprouverait un singulier sentiment si, après avoir étendu la compétence fédérale snr tous les- autres points, on faisait ici un pas en arrière, alors surtout que les conditions dans lesquelles on se trouvait en 1848 continuent à subsister aujourd'hui.

Ni le texte de l'article ni aucun autre argument ne peuvent être invoqués en faveur de l'opinion, qui a été émise, que la compétence du tribunal fédéral mentionnée au chiffre 3 de l'article 112

118 est restreinte à l'intervention fédérale, de telle sorte qu'on ne peut l'étendre en vertu de la disposition de l'article 114. Si l'on avait eu l'intention de poser cette restriction, on aurait adopté une autre rédaction, et l'on aurait parlé des crimes et délits politiques «pour autant » qu'ils sont la cause ou la suite de troubles par lesquels une intervention fédé/ale armée est occasionnée. Avec cette dernière rédaction ou toute autre analogue, on pourrait éprouver des scrupules d'admettre l'extension de la compétence, tandis que les termes dont ou s'est servi ne laissent aucun doute que la constitution a voulu sréer d'elle-même, à l'article 112, une compétence nettement définie, tout en laissant à la législation fédérale, par l'article 114, la faculté d'étendre cette compétence. Tant qu'une extension de ce genre n'a pas eu lieu, le droit pénal doit naturellement se tenir strictement dans les limites de l'article 112 ; c'est aussi pour cola que la rédaction de l'article 52 du code pénal fédéral a été correctement choisie dans la forme que devrait avoir la constitution si celle-ci renfermait réellement la restriction. La loi ne dit pas : « les actes qui ont été la cause ou la conséquence de troubles,» etc., mais bien: «si ces actes», etc.; elle est donc restrictive.

L'application que l'assemblée fédérale a faite, en pratique, de la compétence de l'article 114 concorde avec cette manière de voir, et elle a une importance décisive. La loi du 4 février 1853 a déjà t'ait largement usage de cette compétence. En définissant les crimes et délits suivants et en édictant des pénalités contre ces actes, l'assemblée fédérale n'avait pas d'autre droit constitutionnel que la faculté qu'impliqué l'article 114 (ancien article 106): Article » » » » »

61.

62.

64.

65.

66.

67.

Falsification de documents fédéraux.

Faux témoinage devant une autorité fédérale.

Complicité de rupture d'expulsion.

Enrôlement pour le service militaire étranger.

Interruption de l'usage des télégraphes.

Dommages aux postes et aux chemins de 1er.

Non seulement tous ces délits sont l'objet de dispositions fédérales au point de vue de leur définition et de la pénalité, mais encore ils sont expressément (article 74) soumis à la juridiction du tribunal fédéral, si le conseil fédéral le juge à propos. L'article 76 renferme même une prescription générale, d'après laquelle, lorsqu'un individu est accusé de plusiers crimes ou délits, dont les uns rentrent dans la compétence fédérale taudis que les autres sont âans la compétence cantonale, les assises fédérales ont la faculté de prononcer en même temps, sur ces derniers crimes ou délits. Il «xiste en outre toute une série d'autres dispositions uniquement

.

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basées sur la compétence découlant de l'article 114 et par lesquelles la juridiction du tribunal est créée, soit exclusivement, soit comme cour de cassation. Voici la liste de ces prescriptions.

1. Articles 1 et 18 de la loi du 30 juin 1849, d'après lesquels tous les jugements prononcés par. les tribunaux cantonaux en cas de contraventions aux lois fédérales sur les péages, les postes, la poudre, les monnaies, les poids et mesures*), ainsi qu'aux autres lois fiscales ou de police de la Confédération, peuvent être l'objet de recours au tribunal fédéral, agissant comme cour de cassation (voir article 55 de la loi du 27 juin 1874 sur l'organisation judiciaire fédérale.)

2. Article 4, 1er alinéa, de la loi du 23 décembre 1851 sur les garanties politiques, d'après lequel les crimes de droit commun commis contre la personne des membres du conseil fédéral ou du tribunal fédéral rentrent dans la juridiction du tribunal fédéral.

3. Article 59 de la loi du 24 décembre 1874 sur l'état civil.

Ce sont les tribunaux cantonaux qui prononce-nt sur l'application des peines édictées par la législation fédérale, mais les parties intéressées ont le droit de recourir auprès du tribunal fédéral contre les décisions des tribunaux cantonaux.

4. Lois du 24 mars 1876 sur la police des forêts, du 23 mars 1877 sur lo travail dans les fabriques, du 18 septembre 1875 sur la pêche et du 22 juin 1877 sur la police des eaux. Même ob.servation que pour le chiffre 4.

5.' La loi la plus récente dans laquelle la juridiction du tribunal fédéral dérive expressément de l'article 114 de la constitution fédérale est celle du 8 mars 1881 sur les billets de banque. L'artici« 49 de cette loi est conçu comme suit.

« Suivant la gravité des cas, les infractions prévues aux articles 47 et 48 sont déférées par le conseil fédéral ou bien au tribunal fédéral, conformément à l'article 114 de la constitution fédérale et par analogie de l'article 74 du code pénal fédéral du 4 février 1853, ou bien aux tribunaux cantonaux compétents.

« Reste réservé, dans ce dernier cas, le droit de recours en cassation auprès du tribunal fédéral, prévu par l'article 55 de la loi sur l'organisation judiciaire fédérale.

« Le montant des amendes se répartit par moitié entre la Confédération et le canton respectif. » *) Par arrêté fédéral du 18 juillet 1856
(R. off., V. 309), les contraventions a la loi fédérale sur les poids et mesures ont été de nouveau transférées à la juridiction cantonale. Cet arrêté fédéral n'a pas été abrogé par la nouvelle loi sur les poids et mesures (R. off., nouv. série,

120 II faut bien remarquer que la Confédération a fait, dans ce cas, usage de la compétence ^dérivant de l'article 114, bien qu'elle n'ait que le droit de surveillance en matière de billets de banque et qu'elle ait laissé jusqu'ici aux cantons la juridiction en matière de délits relatifs aux monnaies, dans laquelle il s'agit d'un droit régalien appartenant à la Confédération. On ne peut guère élever de doutes sur le droit qu'elle aurait eu de revendiquer cette juridiction.

D'après cet exposé, on peut bien poser en principe que le droit mentionné en ternies clairs dans l'article 114 et dont la Confédération .a fréquemment fait usage, non seulement en matière civile, mais encore en matière pénale, est également fondé dans le cas qui nous occupe et où il s'agit de placer, outre l'objet .mentionné au chiffre 3 de l'article 112, une autre affaire dans la compétence du tribunal fédéral, c'est-à-dire celle qui fait le sujet de notre projet de loi.

C'est intentionnellement que nous nous servons du mot « affaires », car nous n'estimons nullement que l'article 114 donne à la Confédération la faculté de placer aussi dans la compétence fédérale des domaines entiers du droit, par exemple tout le droit pénal.

Une prétention de ce genre ne serait compatible ni avec la teneur de l'article 114, ni surtout avec les dispositions de la constitution d'après lesquelles la souveraineté des cantons est garantie aussi en matière judiciaire. Ce n'est que sur certains points isolés que laconstitution fédérale a dévié de cette règle, lorsque l'intérêt de la justice paraissait intimement lié avec celui de l'ordre public dans le pays tout entier, et, en outre, elle a autorisé la législation fédérale à en faire de'même dans des cas analogues.

Nous terminons, monsieur le président et messieurs, en vous proposant de donner votre approbation au projet ci-joint d'une loi fédérale, complétant le code pénal fédéral du 4 février 1853, et en vous présentant les assurances renouvelées de notre haute considération.

Berne, le 13 janvier 1882.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération : BAVIER.

Le vice-chancelier de la Confédération : SCHATZMANN.

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Projet.

Loi fédérale concernant

l'adjonction d'un article au code pénal fédéral du 4 février 1853.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la UONFÉDÉRATI-ON SUISSE, vu le message du conseil fédéral du 13 janvier 1882, basé sur l'article 114 de la constitution fédérale, décrète : er

Art. 1 . Le code pénal fédéral du 4 février 1853 est complété par l'article suivant.

Art. 74bis. Lorsque des circonstances politiques peuvent compromettre l'indépendance ou l'impartialité do tribunaux cantonaux dans une cause pénale soumise à leur jugement, le conseil fédéral peut, sur la demande d'une des parties, renvoyer au tribunal fédéral l'instruction et le 'jugement de la cause, même s'il s'agit d'un crime ou délit non prévu par le présent code. Dans ce dernier cas, le tribunal fédéral statue d'après la législation du canton dans lequel le crime ou le délit a été commis, sous la réserve toutefois que, d'une part, le jugement ne peut prononcer la peine de mort, et que, de l'autre, il peut descendre au-dessous du minimum fixé par la loi.

Le tribunal fédéral demeure compétent, sous la môme réserve, pour connaître des cas énumérés à ' l'article 52 du présent code, lors même qu'il n'y a pas eu d'intervention fédérale.

Art.

positions populaire loi et de

2. Le conseil fédéral est chargé, conformément aux disde la loi fédérale du 17 juin 1874 concernant la votation sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier la présente fixer l'époque où elle entrera en vigueur.

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Message du conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant l'adjonction d'un article au code pénal fédéral du 4 février 1853, dans le sens d'une extension de la compétence des assises fédérales. (Du 13 janvier 1882.)

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