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21.065 Message relatif à l'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)» du 1er septembre 2021

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

1er septembre 2021

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Guy Parmelin Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2021-2905

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Condensé L'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)» vise à renforcer la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire (principe de séparation) et à plafonner le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. Elle énumère également des principes pour limiter l'édification de constructions et installations et la modification des constructions et installations existantes dans les parties non constructibles du territoire.

Contenu de l'initiative Le 8 septembre 2020, l'association «Pour la nature, le paysage et le patrimoine bâti» a déposé les initiatives populaires fédérales «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)» et «Pour l'avenir de notre nature et de notre paysage (Initiative biodiversité)». Toutes deux ont abouti. L'initiative paysage a recueilli 104 487 signatures valables.

Le comité d'initiative qui chapeaute l'initiative paysage veut renforcer le principe de séparation et plafonner le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. L'initiative énumère également plusieurs principes pour limiter les possibilités de construction et de reconversion dans les parties non constructibles du territoire. Ils portent sur l'édification de constructions et installations et sur la modification des constructions et installations existantes.

L'exécution de l'article constitutionnel devra faire l'objet d'un compte rendu de la part des cantons. Il appartiendra au législateur de définir les modalités de l'obligation de compte rendu.

Avantages et inconvénients de l'initiative L'initiative paysage va dans la bonne direction: elle veut freiner la perte des terres cultivables, en renforçant le principe de séparation et en plafonnant le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. L'initiative laisse toutefois sans réponse des questions centrales de mise en oeuvre. Elle prévoit que ces questions seraient à clarifier au niveau législatif mais il ne découle du texte constitutionnel proposé aucune indication claire sur ce point.

L'acceptation de l'initiative ne ferait donc pas vraiment avancer les choses en vue d'une procédure législative en
aval. D'une part, l'initiative n'indique rien sur la manière de faire respecter concrètement le plafonnement visé. D'autre part, elle ne règle pas clairement si et, le cas échéant, dans quelle mesure différentes prescriptions du droit de l'aménagement du territoire en vigueur concordent avec l'article constitutionnel proposé. Dans ces conditions, la construction hors zone à bâtir sera sans doute entourée d'incertitudes juridiques considérables pendant une longue période transitoire en cas d'acceptation de l'initiative.

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Proposition du Conseil fédéral Par le présent message, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)», en leur recommandant de la rejeter. Il a d'abord voulu lui opposer un contre-projet indirect, mais il y renonce au vu de celui qui a été mis en consultation par la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des Etats (CEATE-E). Élaboré sur la base du message du 31 octobre 2018 relatif à la deuxième étape de la révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire, ce projet de loi contient des éléments clés pour concrétiser le principe de séparation et plafonner le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. Ce faisant, il intègre des revendications importantes de l'initiative paysage.

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte

L'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 75c

Séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire

La Confédération et les cantons garantissent la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire.

1

Ils veillent à ce que le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci n'augmentent pas dans les parties non constructibles du territoire. En particulier, les principes suivants s'appliquent: 2

a.

les nouvelles constructions et installations doivent être nécessaires à l'agriculture ou leur implantation imposée par leur destination pour d'autres raisons importantes;

b.

les bâtiments d'exploitation agricole ne doivent pas être reconvertis en logements;

c.

les changements d'affectation de constructions à des fins commerciales sans rapport avec l'agriculture ne sont pas admis.

Les constructions existantes qui ne sont pas utilisées à des fins agricoles dans les parties non constructibles du territoire ne doivent pas être agrandies de façon substantielle. Elles ne peuvent être remplacées par des constructions nouvelles que si elles ont été détruites par force majeure.

3

Des exceptions à l'al. 2, let. b et c, sont admises si elles servent à la conservation de constructions dignes de protection et de leurs abords. Des exceptions à l'al. 3 sont admises si elles conduisent à une amélioration substantielle de la situation globale sur place concernant la nature, le paysage et la culture du bâti.

4

La loi fixe la manière dont les cantons rendent compte de l'exécution des dispositions du présent article.

5

1

RS 101

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1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)» a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 12 mars 20192 et a été déposée le 8 septembre 2020 munie du nombre de signatures requis. Par décision du 14 octobre 2020, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 104 487 signatures valables et qu'elle avait donc abouti3.

L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet. En vertu de l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)4, le Conseil fédéral a jusqu'au 8 septembre 2021 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. En vertu de l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 8 mars 2023 pour recommander au peuple et aux cantons d'accepter ou de rejeter l'initiative. Elle peut proroger d'un an le délai imparti pour traiter l'initiative si les conditions visées à l'art. 105 LParl sont remplies.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité fixés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.): a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

c.

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

2

Contexte

L'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)» prévoit d'inscrire un nouvel article, l'art. 75c Cst. L'article s'insérerait dans le titre 3, chapitre 2, Cst., qui règle pour l'essentiel les compétences de la Confédération. A l'intérieur de ce chapitre, il figurerait dans la section 4 consacrée à l'environnement et à l'aménagement du territoire. Dans cette section, il arriverait immédiatement après les dispositions sur l'aménagement du territoire (art. 75), la mensuration (art. 75a) et les résidences secondaires (art. 75b). On voit, à la place de l'article constitutionnel proposé, que l'initiative populaire vise en particulier à compléter les tâches existantes de la Confédération dans le domaine de l'aménagement du territoire. Il s'agit toutefois plus de préciser l'orientation des tâches existantes en inscrivant explicitement dans la Constitution un principe central de l'aménagement du territoire, à savoir le principe 2 3 4

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de la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire que d'étendre les compétences de la Confédération dans le domaine de l'aménagement du territoire. Le texte de l'initiative complète ce principe par quelques règles et limitations applicables aux constructions et installations dans les parties non constructibles du territoire (voir ch. 3). L'initiative a pour objet essentiellement la réglementation, dans le sens d'une limitation, de la construction dans les parties non constructibles du territoire. Cet objet est déjà traité dans le droit en vigueur, en particulier dans la loi du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT)5. Depuis la révision du 15 juin 2012 (ci-après: «LAT 1»), le principe de séparation est également explicitement mentionné (art. 1, al. 1, LAT). Lors de sa séance du 18 décembre 2020, le Conseil fédéral a décidé, sur la base d'une note de discussion, de rejeter l'initiative paysage et de lui opposer un contre-projet indirect. Celui-ci devra poursuivre les objectifs suivants: ­

renforcer le principe de la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire;

­

prévoir obligatoirement des mesures de compensation substantielles lorsque des flexibilisations ponctuelles sont autorisées pour construire hors de la zone à bâtir;

­

introduire des mesures de récupération des terres cultivables en complément de la protection des terres cultivables;

­

ne créer aucune nouvelle exception en matière de construction hors de la zone à bâtir;

­

«fédéraliser» les exceptions pour que les dispositions en la matière ne s'appliquent plus que dans les cas où les cantons l'estiment utiles et pertinents.

Le Conseil fédéral avait prévu de coordonner la suite de ses travaux sur le contreprojet indirect avec ceux de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des Etats (CEATE-E). Le 16 octobre 2020, la commission a décidé d'entrer en matière sur le projet relatif à la deuxième étape de la révision partielle de la LAT6 qui, comme l'initiative paysage, porte sur la construction hors de la zone à bâtir (ci-après: «LAT 2»). A cette occasion, elle a annoncé qu'elle entendait tenir compte des revendications de l'initiative paysage au cours de ses délibérations7. Afin de pouvoir respecter les délais de traitement déterminants selon la LParl (cf. ch. 1), le Conseil fédéral a décidé qu'il réévaluerait la suite de la procédure si la CEATE-E présentait un contre-projet indirect à l'initiative paysage avant le 26 mai 2021.

Le 21 mai 2021, la CEATE-E a ouvert la procédure de consultation sur un projet de loi inspiré de la LAT 2 et intégrant des éléments qui concrétisent et développent des revendications essentielles de l'initiative paysage8. La CEATE-E voit ce projet de loi 5 6 7 8

RS 700 Cf. message du 31 octobre 2018 relatif à la deuxième étape de la révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire (FF 2018 7423).

Cf. communiqué de presse du 16 octobre 2020 de la CEATE-E.

Le contre-projet indirect de la CEATE-E peut être consulté à l'adresse www.fedlex.ch > Procédures de consultation > Procédures de consultation en cours > Parl. > Procédure de consultation 2021/64 Révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire (2e étape avec un contre-projet à l'initiative paysage).

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comme un contre-projet indirect à l'initiative paysage. La consultation dure jusqu'au 13 septembre 2021.

Le Conseil fédéral est d'avis que le projet que la CEATE-E a mis en consultation est conforme aux critères qu'il a énoncés le 18 décembre 2020. Le nouveau but d'aménagement pour stabiliser le nombre de bâtiments dans les parties non constructibles du territoire et l'imperméabilisation non agricole des sols dans les zones agricoles exploitées toute l'année renforce le principe de séparation. Il en va de même du nouveau principe régissant l'aménagement, selon lequel les constructions et installations doivent être réalisées de manière à économiser les surfaces et à limiter au strict nécessaire l'imperméabilisation du sol. En outre, le projet contient des propositions pour lutter plus efficacement, au niveau de l'exécution, contre la construction illégale hors de la zone à bâtir, afin de renforcer une fois encore le principe de séparation. Il reprend également la proposition de «fédéraliser» les exceptions. Il est ainsi prévu que les exceptions ne soient plus automatiquement applicables à toute la Suisse. Les cantons devraient, au contraire, pouvoir décider si et, le cas échéant, jusqu'à quel point les exceptions s'appliquent chez eux. Le droit fédéral devra cependant continuer à planter le cadre maximal autorisé. Une autre mesure visant à mettre en oeuvre l'objectif de stabilisation énoncé en introduction et à récupérer des terres cultivables est celle de la prime de démolition proposée par la CEATE-E. Cette prime, qui sera versée lors de la démolition de constructions et installations hors de la zone à bâtir, servira à couvrir les frais occasionnés. Elle sera financée par les cantons, mais la Confédération pourra contribuer aux dépenses à ce titre. Dans ces circonstances, le Conseil fédéral a renoncé, le 12 mai 2021, à élaborer son propre-contre-projet indirect à l'initiative paysage au vu de la qualité du projet mis en consultation par la CEATE-E.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

Le but premier de l'initiative est de renforcer le principe de séparation, qui se retrouverait inscrit expressément dans la Constitution. En complément de la concrétisation de ce principe central de l'aménagement du territoire, l'initiative demande de ne pas augmenter le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire.

3.2

Réglementation proposée

L'al. 1 inscrit expressément le principe de séparation dans la Constitution. Il s'adresse à la Confédération et aux cantons, qui sont chargés d'en garantir le respect.

L'al. 2 concrétise le principe de séparation: la Confédération et les cantons veillent à ce que le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci n'augmentent pas dans les parties non constructibles du territoire. En conséquence, le nombre de bâtiments et la surface sur laquelle ceux-ci sont édifiés seront plafonnés dans les parties non constructibles du territoire. En complément à cette règle, l'al. 2 prévoit de soumettre l'édification des constructions nouvelles et la transformation des constructions 7 / 14

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existantes dans les parties non constructibles du territoire à certaines limitations. Pour les nouvelles constructions et installations, seules celles qui sont nécessaires à l'agriculture ou dont l'implantation est imposée par la destination pour d'autres raisons importantes peuvent encore être édifiées (let. a). En ce qui concerne la transformation des constructions et installations existantes, il prévoit d'interdire à la fois la reconversion des bâtiments d'exploitation agricole en logements (let. b) et les changements d'affectation de constructions à des fins commerciales sans rapport avec l'agriculture (let. c).

L'al. 3 contient d'autres limitations à la transformation des constructions et installations existantes qui ne sont pas utilisées à des fins agricoles dans les parties non constructibles du territoire. Elles ne doivent pas être agrandies de façon substantielle et ne peuvent être remplacées par des constructions nouvelles que si elles ont été détruites par force majeure.

L'al. 4 prévoit des dérogations à l'al. 2, let. b et c, et aux limitations prévues à l'al. 3 concernant les possibilités de transformation des constructions et installations existantes. En vertu de cet alinéa, la reconversion de bâtiments d'exploitation agricole en logements (cf. al. 2, let. b) et le changement d'affectation de constructions à des fins commerciales sans rapport avec l'agriculture (cf. al. 2, let. c) sont admis s'ils servent à la conservation de constructions dignes de protection et de leurs abords. Par ailleurs, des exceptions aux limitations prévues à l'al. 3 sont aussi admises si elles conduisent à une amélioration substantielle de la situation globale sur place concernant la nature, le paysage et la culture du bâti.

L'al. 5 contient un mandat à l'intention du législateur: il lui incombe de fixer la manière dont les cantons rendent compte de l'exécution des dispositions de l'article constitutionnel proposé.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

L'inscription du principe de séparation à l'art. 75c, al. 1, Cst. souligne le caractère supérieur de celui-ci. Matériellement, ce principe correspond à celui qui est établi dans la loi sur l'aménagement du territoire en vigueur et qui dispose que la Confédération, les cantons et les communes veillent à une utilisation mesurée du sol et à la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire (art. 1, al. 1, LAT).

Selon l'al. 2, le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci ne doivent pas augmenter dans les parties non constructibles du territoire. Le terme de bâtiments est plus étroit que celui de constructions et installations également employé dans l'article constitutionnel, mais il ne fait pas l'objet d'une définition plus précise. La surface sollicitée par les bâtiments désigne probablement la surface construite. Si le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci ne doivent pas augmenter, cela signifie que les grandeurs en question doivent être plafonnées. Un gel du nombre de bâtiments n'est probablement pas visé ici, car le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci n'augmentent pas lorsqu'il se construit un nouveau bâtiment et qu'un bâtiment existant avec au moins la même surface de plancher est démoli dans le même temps.

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L'article constitutionnel ne précise pas le moment à partir duquel les objectifs de plafonnement seraient valables. On peut donc partir de l'hypothèse qu'ils s'appliqueraient en principe dès l'entrée en vigueur de l'article 75c. Comme les dispositions constitutionnelles entrent en vigueur le jour où elles sont acceptées par le peuple et les cantons, le jour déterminant serait celui de la votation populaire sur l'initiative paysage. Faute de disposition contraire, on doit aussi admettre que les valeurs de référence déterminantes pour le nombre de bâtiments à plafonner et la surface sollicitée par ceux-ci correspondent aux valeurs de ces deux critères le jour de l'entrée en vigueur de l'article constitutionnel.

Le texte de l'al. 2, let. a, selon lequel les nouvelles constructions et installations dans les parties non constructibles du territoire ne peuvent être édifiées que si elles sont nécessaires à l'agriculture ou leur implantation imposée par leur destination pour d'autres raisons importantes, correspond dans une large mesure à celui qui figure dans la loi en vigueur. Selon la loi sur l'aménagement du territoire, il est possible d'édifier dans la zone agricole les constructions et installations qui sont nécessaires à la production agricole ou à l'horticulture productrice (art. 16a, al. 1, LAT). Hors de la zone à bâtir, il est possible d'ériger des constructions et installations lorsque leur destination exige une implantation en dehors de la zone à bâtir (implantation imposée par la destination) et qu'aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (art. 24 LAT). On peut toutefois se demander si, aux termes de l'al. 2, let. a, du texte de l'initiative, l'exigence de l'implantation imposée par la destination s'applique aussi aux constructions et installations agricoles. L'agriculture n'étant liée au sol que lorsque l'exploitation du sol constitue une base de production indispensable, l'incertitude règne quant à savoir si l'édification des nouvelles constructions et installations destinées à la culture végétale et à la garde d'animaux de rente selon un mode de production indépendant du sol, ou à la production d'énergie à partir de biomasse, ou leurs installations de compost, seraient limitées par l'article constitutionnel.

L'al. 2, let. b, interdit la reconversion des bâtiments d'exploitation agricole
en logements dans les parties non constructibles du territoire. Par principe, de telles reconversions sont également exclues dans le droit actuel. Selon l'art. 24c, al. 3, LAT, les bâtiments d'exploitation agricole contigus à des bâtiments d'habitation agricoles font exception. Ceux-ci peuvent être reconvertis en logements dans des dimensions précisées dans l'ordonnance du 28 juin 2000 sur l'aménagement du territoire (OAT)9 (cf.

art. 42 OAT). Il n'est pas certain que cette disposition soit compatible avec l'article constitutionnel proposé. Par ailleurs, l'étendue et la portée des exceptions prévues à l'art. 75c, al. 4, pour les bâtiments d'exploitation agricoles dignes de protection ne sont pas claires non plus. Dans le droit en vigueur, ces bâtiments ne peuvent être reconvertis en logements que s'ils sont protégés en tant qu'éléments caractéristiques du paysage, si le paysage et les constructions forment un ensemble digne de protection et s'ils ont été placés sous protection dans le cadre d'un plan d'affectation (cf. art. 39, al. 2 à 5, OAT).

Hormis l'al. 4 (constructions dignes de protection), aucune autre dérogation n'est prévue à l'interdiction des changements d'affectation de constructions à des fins commerciales sans rapport avec l'agriculture selon l'al. 2, let. c. On peut donc considérer 9

RS 700.1

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que les changements d'affectation qui sont admis par le droit en vigueur conformément à l'art. 24a LAT (changement d'affectation hors de la zone à bâtir ne nécessitant pas de travaux de transformation) et à l'art. 24b, al. 1, LAT (activités accessoires non agricoles hors de la zone à bâtir) ne seraient pas compatibles avec cette interdiction.

Par conséquent, il ne serait sans doute plus possible de reconvertir à des fins commerciales une étable désaffectée en un entrepôt de matériaux, une menuiserie ou un atelier de réparation automobile. En revanche, les changements d'affectation pour des activités accessoires qui sont, par leur nature, étroitement liées à l'entreprise agricole (cf.

art. 24b, al. 1bis à 2, LAT), tels que ceux qui sont actuellement admis dans le domaine par exemple de l'agrotourisme, devraient être conformes à l'al. 2, let. c, du texte de l'initiative, car de telles affectations ne peuvent pas être qualifiées d'étrangères à l'agriculture. Ce point n'est toutefois pas entièrement clair.

Les limitations prévues à l'al. 3 pour les constructions et installations existantes dans les parties non constructibles du territoire qui ne sont pas utilisées à des fins agricoles sont plus restrictives que celles prévues par le droit en vigueur, dans la mesure où, selon la 2e phrase, une construction de remplacement ne pourrait être édifiée que si l'ancienne construction a été détruite par force majeure. L'art. 24c LAT permet de démolir et de reconstruire librement les bâtiments d'habitation hors zone à bâtir relevant de l'ancien droit, à savoir essentiellement les bâtiments d'habitation qui existaient déjà le 1er juillet 1972. L'interdiction des démolitions et des constructions de remplacement prévue à l'al. 3, 2e phrase, est toutefois quelque peu relativisée dans l'alinéa suivant: l'al. 4, 2e phrase, admet en effet les constructions de remplacement qui conduisent à une amélioration substantielle de la situation globale sur place concernant la nature, le paysage et la culture du bâti. En revanche, il découle de l'al. 3, 1re phrase, que l'agrandissement des constructions et installations existantes qui ne sont pas utilisées à des fins agricoles ne devrait guère être soumise à des limitations supplémentaires. Dans le droit en vigueur, les possibilités en la matière sont déjà très restreintes:
les modifications apportées à l'aspect extérieur de bâtiments érigés selon l'ancien droit hors de la zone à bâtir ne sont en effet admises que si elles sont destinées à un usage d'habitation répondant aux normes usuelles ou à un assainissement énergétique ou qu'elles visent à une meilleure intégration dans le paysage (cf. art. 24c, al. 4, LAT).

Le compte rendu exigé à l'al. 5 devra renseigner en particulier sur l'évolution effective du nombre de bâtiments et de la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. Il devra indiquer en sus si et, le cas échéant, dans quelle mesure, la mise en oeuvre des principes énoncés aux al. 2 à 4 contribue à la réalisation de l'objectif du plafonnement.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des exigences de l'initiative

Pour toute la Suisse, on dénombre actuellement dans les parties non constructibles du territoire environ 590 000 bâtiments, dont une grande part est utilisée à des fins agricoles. Pour de nombreux bâtiments situés dans les parties non constructibles du territoire, cet usage a été ou sera abandonné en raison des mutations structurelles dans 10 / 14

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l'agriculture. L'agriculture doit toutefois aussi pouvoir poursuivre son développement. Si des constructions et installations sont nécessaires à la production agricole, elles doivent par principe pouvoir être utilisées à cette fin.

Les bâtiments autrefois utilisés à des fins agricoles en vue d'une affectation non agricole sont très demandés. À cela s'ajoute une accentuation de la pression sur les parties non constructibles du territoire, due notamment à la limitation de l'extension des parties constructibles du territoire à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er mai 2014, de la première étape de la révision partielle de la LAT10 (LAT 1). Cela peut aggraver une tendance à l'éparpillement des constructions. Compte tenu de cette évolution, il faut saluer l'orientation générale de l'initiative paysage: elle vise à garantir une utilisation mesurée du sol, à préserver la nature et le paysage et à protéger les terres cultivables.

Ces enjeux sont aussi défendus par la population qui a signalé clairement dans les urnes, à plusieurs reprises, sa volonté de mettre un terme au bétonnage grandissant de la Suisse. En 2012, le peuple et les cantons ont accepté l'initiative «pour en finir avec les résidences secondaires» et, en 2013, le peuple a approuvé à une nette majorité le projet LAT 1 qui vise à encourager le développement de l'urbanisation vers l'intérieur du milieu bâti et à réduire les zones à bâtir surdimensionnées.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

En cas d'acceptation de l'article constitutionnel, la répartition des tâches dans le domaine de l'aménagement du territoire ne devrait pas connaître de bouleversement. Le travail requis par l'exécution ne devrait donc pas beaucoup changer lui non plus.

L'obligation de compte rendu visée à l'al. 5 pourrait entraîner un surcroît de travail pour la Confédération et les cantons, puisqu'elle suppose de relever périodiquement le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. Il n'est pas possible de fournir des informations plus précises sur le volume de travail pour l'instant, d'autant que les modalités d'exécution doivent être définies par le législateur. Pour être complet, on ajoutera que certaines données sont déjà disponibles dans ce domaine, mais qu'elles devraient encore être étoffées.

Les conséquences économiques du nouvel article constitutionnel sont relativement faibles dans l'ensemble. Du fait de l'al. 2, let. c, les utilisations commerciales en dehors de la zone à bâtir sans rapport avec l'agriculture deviendront un peu plus difficiles. Contrairement à aujourd'hui, il ne sera par exemple plus possible de reconvertir une étable désaffectée en un entrepôt de matériaux à but commercial, en une menuiserie ou en un atelier de réparation automobile à but commercial (cf. ch. 3.3). Les distorsions de concurrence au détriment des entreprises artisanales en zone à bâtir disparaîtront aussi du même coup. Pour ces dernières, le nouvel article constitutionnel peut donc être positif, car il soumet toutes les entreprises aux mêmes règles. Pour l'agriculture, des incertitudes existent sur la question de la compatibilité de l'art. 75c avec l'édification de nouvelles constructions et installations destinées à la culture de végétaux et à la garde d'animaux indépendantes du sol ou à la production d'énergie à partir de biomasse et leurs installations de compost.

10

RO 2014 899

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Les conséquences sociales de l'article constitutionnel proposé ne sont pas très significatives non plus. L'initiative renforce le principe de séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire, de sorte que les possibilités d'habitation dans les parties non constructibles du territoire demeurent limitées. L'édification de tout nouveau bâtiment d'habitation à des fins non agricoles est en particulier interdite.

Des conséquences positives sont à attendre dans le domaine de l'environnement: le renforcement du principe de séparation et, en particulier, le plafonnement du nombre de bâtiments et de la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire entraînent une meilleure protection du paysage, de la biodiversité et des terres cultivables. Ces dernières sont d'importance aussi pour garantir la sécurité alimentaire. En outre, les limitations de reconversion proposées pour les constructions et installations existantes contribuent à contenir le risque d'éparpillement des constructions qui peut résulter d'affectations non conformes à la zone dans la zone agricole. Elles diminuent aussi le risque de dérangement que représentent pour l'agriculture des affectations non conformes à la zone.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

L'initiative va dans la bonne direction: elle vise à freiner la perte des terres cultivables.

Elle prévoit à cet effet un renforcement du principe de séparation et un plafonnement du nombre de bâtiments et de la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire.

L'initiative est néanmoins peu claire sur la façon de réaliser concrètement l'objectif de plafonnement. Elle ne contient aucune indication sur les instruments et les moyens à mettre en oeuvre. Cette lacune est aggravée par le fait qu'en vertu de l'al. 2, let. a, l'édification de constructions et installations dans les parties non constructibles du territoire est certes limitée à des utilisations spécifiques, mais demeure possible. C'est pourquoi on peut partir de l'idée que dans les parties non constructibles du territoire, il restera possible de construire de nouveaux bâtiments et que leur nombre continuera d'augmenter.

Par ailleurs, l'initiative ne règle pas toujours clairement si et, le cas échéant, dans quelle mesure différentes prescriptions du droit de l'aménagement du territoire en vigueur concordent avec l'article constitutionnel proposé. Cette question se pose en particulier pour les prescriptions qui concernent les constructions et installations servant à la production agricole indépendante du sol et celles qui régissent les possibilités de reconversion en logements de bâtiments d'exploitation agricoles contigus à des bâtiments d'habitation. En cas d'acceptation de l'initiative, ce manque de clarté pourrait se traduire par une incertitude juridique considérable entourant la construction hors de la zone à bâtir pendant une longue période transitoire.

Il pourrait s'avérer difficile de clarifier entièrement les questions en suspens dans le cadre des travaux législatifs en aval. Le texte constitutionnel étant dépourvu de prescriptions claires, il y a tout à parier que les divergences qui ont jalonné tout le processus de révision sur la construction hors zone à bâtir ressurgiront lors de la mise en oeuvre de l'initiative paysage. Sous cet angle, l'acceptation de l'initiative ne ferait pas vraiment avancer les choses en vue d'une procédure législative. Il manquerait des 12 / 14

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prescriptions univoques pour régler les points soulevant le débat. Le Conseil fédéral considère donc comme plus judicieux d'opposer à l'initiative un contre-projet indirect au niveau de la loi. Le projet mis en consultation par la CEATE-E contient un tel contre-projet, qui intègre des revendications importantes des auteurs de l'initiative tout en clarifiant différents points.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

L'initiative est compatible avec les obligations découlant du droit international applicable pour la Suisse.

5

Conclusions

L'initiative soulève des questions importantes en droit de l'aménagement du territoire.

Mais le libellé de l'article constitutionnel proposé manque par endroits considérablement de clarté, ce qui peut nuire à la sécurité du droit. L'initiative ne dit pas non plus comment plafonner le nombre de bâtiments et la surface sollicitée par ceux-ci dans les parties non constructibles du territoire. Des points essentiels pour la mise en oeuvre restent par conséquent en suspens.

Par le présent message, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Contre le bétonnage de notre paysage (Initiative paysage)», en leur recommandant de la rejeter. Le projet de loi élaboré sur la base du projet «LAT 2» du Conseil fédéral et mis en consultation par la CEATE-E en tant que contre-projet indirect à l'initiative paysage est conforme aux critères énoncés par le Conseil fédéral le 18 décembre 2020. Par conséquent, le Conseil fédéral renonce à élaborer son propre contre-projet indirect à l'initiative paysage.

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FF 2021 2115

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