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21.037 Message portant approbation de l'amendement du 6 décembre 2019 au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (fait d'affamer des civils) du 19 mai 2021

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons, en vous proposant de l'adopter, un projet d'arrêté fédéral portant approbation de l'amendement du 6 décembre 2019 au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (fait d'affamer des civils).

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

19 mai 2021

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Guy Parmelin Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2021-1708

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Condensé Le présent projet porte sur la ratification d'un amendement au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Cette dernière doit pouvoir poursuivre comme crime de guerre le fait d'affamer des civils non seulement lors de conflits armés internationaux, comme jusqu'ici, mais aussi lors de conflits armés non internationaux. Concrètement, sera punissable le fait de priver des civils de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi de secours.

En Suisse, le fait d'affamer des civils est poursuivi comme crime de guerre quel que soit le type de conflit dans lequel il s'inscrit. En droit international humanitaire, cette méthode de guerre est généralement interdite et considérée comme un crime de guerre. Dans la réalité, cependant, elle est souvent utilisée, particulièrement lors de conflits armés non internationaux. Jusqu'ici, le Statut de Rome limitait aux conflits armés internationaux la compétence de la Cour pénale internationale à l'égard de ce crime.

Le comblement de cette lacune est dû à une proposition présentée par la Suisse dans la droite ligne de sa législation interne, qui concorde avec le droit international, et de sa tradition humanitaire. La Suisse a mené les négociations vers une acceptation de sa proposition. Ainsi, le 6 septembre 2019, l'Assemblée des États Parties au Statut de Rome a adopté l'amendement par consensus.

Le Conseil fédéral salue ce complément au Statut de Rome, qui contribue à réduire l'impunité des auteurs de crimes de guerre. L'efficacité de la Cour pénale internationale s'en trouve accrue, le droit international humanitaire mieux mis en oeuvre et l'aide humanitaire renforcée. En ratifiant cet amendement, la Suisse accroîtra la crédibilité de sa politique étrangère et contribuera à l'atteinte des objectifs de sa stratégie de politique extérieure 2020­2023.

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Message 1

Contexte

1.1

Statut de Rome et amendements

La Cour pénale internationale (ci-après désignée par «la Cour») est une composante essentielle d'un ordre international fondé sur des règles. Elle est le résultat de décennies d'efforts engagés pour réprimer les crimes les plus graves, comme ceux perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale, et prévenir la commission de tels crimes. Sa compétence est limitée à des crimes menaçant la paix, la sécurité et le bien-être du monde: les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité ainsi que le crime de génocide et le crime d'agression. La Cour ne poursuit que des individus. Une affaire n'est admissible devant elle que si les États concernés n'ont pas la volonté ou sont dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites eux-mêmes.

Le traité fondateur de cette institution est le Statut de Rome du 17 juillet 1998 de la Cour pénale internationale1. La Suisse l'a ratifié le 12 octobre 2001 et il est entré en vigueur le 1er juillet 20022. Actuellement, 123 États sont parties à ce texte3. L'Assemblée des États Parties peut adopter des amendements au Statut de Rome. Ces derniers doivent être ratifiés par les États parties pour entrer en vigueur.

1.2

Nécessité d'agir et proposition d'amendement

Dans le monde, des centaines de millions de personnes souffrent de la faim. En 2019, elles étaient plus de 687 millions4. La plupart de ces personnes vivent dans une situation de conflit armé. Or, la plupart des conflits armés actuels sont des conflits non internationaux5. Souvent, le fait d'affamer des civils est utilisé comme méthode de guerre par des parties à un conflit. Cette pratique proscrite par le droit international 1 2

3

4 5

RS 0.312.1 Sur le Statut de Rome en général, voir le message du 15 novembre 2000 relatif au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi qu'à une révision du droit pénal (FF 2001 359).

Le Secrétaire général de l'ONU, dépositaire du Statut de Rome, tient à jour une liste des États parties sur https://treaties.un.org/ > Français > Dépositaire > État des traités > Chapitre XVIII > 10. Statut de Rome (dernière consultation le 5 mars 2021).

FAO / FIDA / UNICEF / PAM / OMS, L'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2020 (2020), p. 11.

Sont qualifiées de conflits armés non internationaux les situations de violence armée d'une certaine intensité entre des autorités étatiques et des groupes armés organisés non étatiques, ou encore uniquement entre de tels groupes. Il y a conflit armé international lorsqu'il est recouru à la violence armée entre deux ou plusieurs États, entre un État et un groupe armé non étatique opérant sous le contrôle d'un État, ou encore, ce qui est rare, entre un État et un mouvement de libération nationale. Voir aussi les classifications des conflits (en anglais) proposées dans le cadre du projet «Rule of Law in Armed Conflicts» (Primauté du droit dans les conflits armés) de l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève, sur www.rulac.org (dernière consultation le 5 mars 2021).

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humanitaire est considérée comme un crime de guerre, que le conflit armé dans lequel elle s'inscrit ait un caractère international ou non. En droit suisse également, affamer des civils dans ces deux types de conflit est punissable à titre de crime de guerre (voir ch. 4).

En dépit de cette réalité et du droit en vigueur, le Statut de Rome limitait aux conflits armés internationaux la compétence de la Cour à l'égard du fait d'affamer des civils.

On ne sait pas vraiment comment cette limitation s'est imposée lors des négociations du Statut de Rome. Les archives officielles des négociations6 et les déclarations de personnes présentes à l'époque7 indiquent que nul ne contestait le fait que des civils fussent affamés délibérément dans tous les types de conflits armés.

Dans la droite ligne de sa législation interne, qui concorde avec le droit international, et de sa tradition humanitaire, la Suisse a proposé de combler cette lacune dans le Statut de Rome. En avril 2018, elle a présenté sa proposition pour la première fois de manière informelle, au sein du Groupe de travail sur les amendements de l'Assemblée des États parties à New York. Il s'agissait d'étendre aux conflits armés non internationaux la compétence de la Cour à l'égard du fait d'affamer des civils. Le groupe de travail est chargé d'étudier les propositions d'amendements et d'indiquer lesquelles devraient être adoptées par l'assemblée. La participation à ce groupe est ouverte à tous les États parties au Statut de Rome.

1.3

Déroulement et résultat des négociations

De manière générale, la proposition de la Suisse a reçu un bon accueil du groupe de travail durant les premières discussions. Le rapport annuel du groupe à l'assemblée, daté de novembre 2018, fait état d'une large approbation sur le fond, tout en mentionnant des réserves d'ordre procédural de la part de quelques délégations. Ces États invoquaient par exemple une «fragmentation» du Statut de Rome, du fait que les amendements n'entrent en vigueur pour un État partie qu'à mesure que celui-ci les ratifie. Le Statut de Rome prévoit pourtant explicitement que des amendements puissent être proposés (art. 121 et 122). En effet, ceux-ci constituent un instrument important pour réagir aux évolutions et renforcer l'importance de la Cour. Le meilleur moyen de garantir que les États soient tenus de manière uniforme au respect des amendements est la ratification rapide de ces derniers.

Au printemps 2019, la Suisse a déployé des efforts de persuasion dans de nombreux pays par le biais de discussions bilatérales avec des représentants gouvernementaux.

Le groupe de travail a repris ses activités en mai 2019. Au cours des discussions subséquentes, un nombre croissant de délégations a affirmé son soutien à la proposition.

Seul un petit nombre d'États ont maintenu leurs réserves d'ordre procédural. Un 6

7

Voir le rapport officiel concernant la création de la Cour pénale internationale (en anglais): https://legal.un.org > Publications > Codification Division > Proceedings of Diplomatic Conferences > 1998: Establishment of an International Criminal Court (dernière consultation le 5 mars 2021).

Rogier Bartels, «Denying Humanitarian Access as an International Crime in Times of Non-International Armed Conflict: The Challenges to Prosecute and Some Proposals for the Future», in: Israel Law Review 48(3) (2015), p. 284.

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unique État a proposé une modification de fond, à savoir la mention explicite, dans l'amendement lui-même, du Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (ci-après «le Protocole additionnel II»)8. Cette modification aurait cependant entraîné la défection des États n'ayant pas ratifié ce protocole. Les négociations ont débouché sur un compromis: le protocole additionnel serait mentionné dans la résolution de l'assemblée concernant l'adoption de l'amendement et non dans l'amendement lui-même.

À la fin du mois d'août 2019, plus de 40 États s'étaient déjà prononcés explicitement en faveur de la proposition suisse. Pour que l'amendement puisse être traité lors de la séance plénière suivante de l'assemblée, la Suisse a transmis sa proposition au Secrétaire général de l'ONU. En tant que dépositaire du Statut de Rome, celui-ci l'a formellement fait suivre aux États parties le 30 août 2019.

Durant les mois qui ont suivi, la Suisse a continué d'oeuvrer à l'élargissement du soutien apporté à l'amendement. Elle a mené des discussions bilatérales avec certains États et organisé des événements ciblés, notamment au siège de l'ONU à New York.

En parallèle, la proposition suisse recevait un soutien toujours plus marqué également dans l'espace public, par exemple dans des publications académiques et de la part d'organisations humanitaires. Au sein du groupe de travail lui-même, la Suisse a déployé de grands efforts en faveur d'une solution, afin de lever les dernières craintes de certains États quant à une possible «fragmentation».

Le 25 novembre, le groupe de travail a décidé à l'unanimité de recommander à l'assemblée d'adopter l'amendement. À cette occasion, il a déclaré reconnaître «l'importance d'examiner en permanence l'incidence des amendements successifs sur la pertinence et l'intégrité du Statut de Rome». Il a également souligné que le fait d'affamer des civils dans le contexte d'un conflit armé non international était considéré par tous les États parties comme un crime nécessitant une action en temps opportun afin d'y répondre.

Lors de la session plénière de l'assemblée du 2 au 7 décembre 2019, la Suisse et 21 autres pays de tous les continents ont présenté une résolution relative à l'adoption
de l'amendement. Le Venezuela, qui ne s'était jamais exprimé depuis le lancement de la proposition, a alors soudainement fait part de réserves. Celles-ci provenaient d'allégations publiques selon lesquelles ce pays aurait empêché intentionnellement l'envoi de secours. Malgré cela, la délégation vénézuélienne n'a finalement pas brisé le consensus et s'est limitée à faire part de ses préoccupations dans une déclaration. La résolution9 a été adoptée par consensus le 6 décembre 2019 par l'assemblée.

8 9

RS 0.518.522 Assemblée des États parties, résolution ICC-ASP/18/Res. 5, disponible sur https://asp.icc-cpi.int > Français > Résolutions > 18ème session > 18/Res.5 (dernière consultation le 5 mars 2021).

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1.4

Relation avec le programme de la législature et avec les stratégies du Conseil fédéral

L'amendement au Statut de Rome, dont le projet demande la ratification, permet de prévenir des crimes de guerre ainsi que la violence et la criminalité qui les accompagnent, et les combat efficacement. Il contribue ainsi à l'atteinte de l'objectif 14 du programme de la législature 2019­202310 et sert d'indicateur pour les objectifs correspondants du Conseil fédéral pour 202111.

L'amendement contribue à réduire l'impunité des auteurs de crimes de guerre tout en augmentant l'efficacité de la Cour, en promouvant le droit international et en renforçant l'aide humanitaire. En le ratifiant, la Suisse oeuvrera ainsi à l'avancement de la priorité thématique «Paix et sécurité» (objectifs 1.2 et 1.4) et du domaine «Multilatéralisme» (objectif 7.2) de la stratégie de politique extérieure 2020­2023 (voir ch. 3)12.

2

Renonciation à une procédure de consultation

Aux termes de la loi du 18 mars 2005 sur la consultation13 (art. 3, al. 1, let. c), une consultation est organisée notamment lors des travaux préparatoires concernant les traités internationaux qui sont soumis au référendum prévu par l'art. 140, al. 1, let. b, de la Constitution (Cst.)14 ou par l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst. Dans le cas présent, il a cependant été renoncé à une procédure de consultation en application de ladite loi (art. 3a, al. 1, let. b). Les positions des cercles intéressés sont bien connues puisque l'objet du présent projet a déjà été au coeur de plusieurs consultations et ne devrait donc pas susciter de nouvelles considérations.

La modification de lois fédérales en vue de la mise en oeuvre du Statut de Rome 15 a conduit le législateur à préciser la punissabilité des crimes de guerre en vigueur depuis 1968. Dans ce contexte, les cercles intéressés ont pu s'exprimer en 2005, dans le cadre d'une procédure de consultation, sur le crime de guerre consistant à affamer des civils. Nul n'a alors contesté l'inscription des violations correspondantes dans le droit pénal16. Le Parlement a approuvé les dispositions, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 201117. Aucun développement politique rendant une nouvelle consultation nécessaire n'est intervenu depuis lors. En outre, les actes dont il est question ici sont 10

11 12 13 14 15 16

17

Message du 29 janvier 2020 sur le programme de la législature 2019 à 2023 (FF 2020 1709), arrêté fédéral du 21 septembre 2020 sur le programme de la législature 2019 à 2023 (FF 2020 8087).

Volume I, objectif 14, et volume II, DFAE, objectif 4 Stratégie de politique extérieure 2020­2023, disponible sur www.dfae.admin.ch > Politique extérieure > Stratégies et fondamentaux.

RS 172.061 RS 101 RO 2010 4963 Message du 23 avril 2008 relatif à la modification de lois fédérales en vue de la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (FF 2008 3461 3469); voir aussi le rapport disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2005 > DFJP.

Unanimité au Conseil des États et adoption par 135 voix contre 54 au Conseil national (voir objet 08.034).

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soumis à la juridiction fédérale. Les cantons ne sont donc pas touchés. Au cours de la consultation précédente, les tribunaux de la Confédération concernés n'ont remis en question ni les infractions matérielles ni leur propre compétence.

Les tribunaux pénaux internationaux sont largement reconnus par les cercles intéressés comme des entités de mise en oeuvre du droit international humanitaire et des droits de l'homme. En l'an 2000, une consultation a été organisée avant la ratification du Statut de Rome. Les participants ont pu s'exprimer sur la compétence de la Cour pour juger les crimes de guerre et sur le fait d'affamer des civils lors de conflits armés internationaux. Parmi eux, tous les cantons et partis politiques ainsi que tous les organismes sauf un ont approuvé le projet18. Suite à cela, l'Assemblée fédérale a adopté le Statut de Rome pratiquement à l'unanimité 19. Les amendements apportés jusqu'ici à ce texte ont eux aussi reçu le soutien de l'ensemble des partis.

3

Présentation du projet

3.1

Récapitulatif de l'amendement

L'amendement ajoute un ch. xix à l'art. 8, par. 2, let. e, du Statut de Rome. Il confère ainsi à la Cour la compétence de sanctionner l'acte suivant, à titre de crime de guerre, y compris lorsqu'il est commis dans le cadre de conflits armés non internationaux: le fait d'affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi de secours.

Comme pour le Statut de Rome lui-même, les versions anglaise, arabe, chinoise, espagnole, française et russe de l'amendement font également foi. Avec le texte français, la Confédération dispose donc d'une version originale dans l'une de ses langues officielles. Aux termes du Statut de Rome (art. 121, par. 5), l'amendement entrera en vigueur à l'égard des États parties qui l'ont accepté un an après sa ratification par ces derniers.

3.2

Appréciation

Le Conseil fédéral salue cet amendement au Statut de Rome, qui s'inscrit dans la tradition humanitaire de la Suisse. En le ratifiant, la Suisse contribuera à l'atteinte d'objectifs inscrits dans la stratégie de politique extérieure 2020­2023.

La Suisse applique les principes de la liberté et de l'état de droit qui constituent le fondement de la stratégie de politique extérieure 2020­2023. Elle s'est en outre fixé 18

19

Message du 15 novembre 2000 relatif au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi qu'à une révision du droit pénal (FF 2001 359 375); voir aussi le rapport disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2000 > DFAE.

Unanimité au Conseil des États et adoption par 181 voix contre 8 au Conseil national (voir objet 00.090).

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comme objectif de faire partie du peloton de tête des pays oeuvrant à la promotion de la paix. À cette fin, elle entend aussi contribuer activement à la lutte contre l'impunité des auteurs de crimes de guerre (objectif 1.2) et promouvoir l'efficacité de la Cour (objectif 7.2). En ratifiant l'amendement, la Suisse renforcera la pertinence pratique de la Cour par rapport aux conflits armés actuels. L'extension ciblée de la compétence de la Cour est susceptible d'avoir un effet dissuasif, ce qui améliorera la protection des personnes vivant dans des zones de conflit. En faisant ce pas, la Suisse encouragera d'autres États parties à ratifier l'amendement et à rendre punissable, en droit interne également, le fait d'affamer des civils. Enfin, il est important que les auteurs de ce crime ne puissent plus échapper aux sanctions pénales et que justice soit rendue aux victimes. C'est une condition nécessaire à une réconciliation durable dans les sociétés concernées et finalement à la coexistence pacifique.

L'engagement humanitaire ainsi que le respect, le renforcement et la promotion du droit international humanitaire comptent parmi les priorités de la Suisse en matière de politique étrangère (objectif 1.4 de la stratégie de politique extérieure 2020­2023). En ratifiant l'amendement, la Suisse permettra à la Cour d'imposer l'interdiction du fait d'affamer des civils et de faire respecter le droit international humanitaire. Par ailleurs, lors des conflits armés, la Suisse apporte une aide d'urgence. Ce faisant, elle se concentre notamment sur l'amélioration de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance et oeuvre activement à garantir l'accès humanitaire20. Une ratification de l'amendement renforcera ce travail en rendant punissable devant la Cour le fait de priver des civils de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi de secours.

En Suisse, la ratification de l'amendement n'entraînera aucune modification de la législation. En effet, le législateur a déjà rendu punissable le fait d'affamer des civils dans le cadre de conflits armés internationaux comme non internationaux. Les dispositions du code pénal21 (art. 264g, al. 1, let. c) et du code pénal militaire du 13 juin 192722 (art. 112c, al. 1, let. c) couvrent les actes faisant l'objet de l'amendement. Ces
actes y sont inscrits indépendamment du fait qu'affamer des civils soit le but recherché ou non. Concrètement, le droit pénal suisse sanctionne comme crime de guerre le fait de priver des civils de biens indispensables à leur survie ou d'empêcher l'envoi de secours à titre de méthode de guerre. Le message y relatif confirme explicitement que ces dispositions couvrent le crime consistant à affamer la population. Il précise en outre qu'il n'est pas nécessaire que des personnes meurent à la suite des actes visés pour que les éléments constitutifs de l'infraction soient réunis23.

20 21 22 23

Message du 19 février 2020 sur la stratégie de coopération internationale 2021­2024 (stratégie CI 2021­2024) (FF 2020 2509 2543 s.).

RS 311.0 RS 321.0 Message du 23 avril 2008 relatif à la modification de lois fédérales en vue de la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (FF 2008 3461 3537 et 3554).

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4

Explications sur l'amendement

La teneur de l'amendement concorde, d'une part, avec les dispositions existantes du Statut de Rome concernant le fait d'affamer des civils lors de conflits armés internationaux. D'autre part, elle repose sur les règles du droit international humanitaire, qui interdisent également le recours à la famine lors de conflits non internationaux et l'érigent en crime de guerre.

Le Statut de Rome qualifie déjà de crime de guerre le fait d'affamer des civils lors de conflits armés internationaux (art. 8, par. 2, let. b, ch. xxv). Le présent amendement a été élaboré de manière analogue à cette disposition. Il ne s'en écarte que dans la mesure où il ne renvoie pas aux Conventions de Genève. S'il en est ainsi, c'est parce que ces conventions, à l'exception de l'art. 3 qui leur est commun, ne couvrent pas les conflits armés non internationaux24.

Le «fait d'affamer des civils en tant que méthode de guerre» dans le contexte des conflits armés non internationaux est interdit en droit international humanitaire par le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949 (art. 14). Ce texte compte 169 États parties et est entré en vigueur pour la Suisse le 17 août 198225. L'interdiction en question relève désormais du droit international coutumier 26. Cette interdiction de principe est liée à des règles complémentaires du droit international humanitaire qui sont reprises dans l'amendement.

Ainsi, l'amendement rend punissable le fait de priver les civils de biens indispensables à leur survie. En droit international humanitaire, le Protocole additionnel II dispose qu'il est interdit d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de mettre hors d'usage des biens indispensables à la survie de la population civile dans le but d'affamer celle-ci. Sont notamment mentionnés comme exemples de tels biens les denrées alimentaires et les réserves d'eau potable (art. 14). Cette interdiction est également reconnue comme relevant du droit international coutumier 27.

Dans l'amendement, le fait d'empêcher intentionnellement l'envoi de secours est mentionné explicitement comme un autre exemple du fait de priver des personnes de biens indispensables à leur survie. En droit international humanitaire, le Protocole additionnel II n'interdit pas explicitement cet acte, certes, mais dispose que des actions de secours humanitaire en faveur
de la population civile doivent être entreprises lorsque celle-ci souffre de privations excessives par manque des approvisionnements essentiels à sa survie (art. 18, par. 2). Le droit international coutumier établit l'obligation

24 25 26

27

L'art. 3 établit des dispositions minimales d'ordre humanitaire applicables à tous les conflits armés. Il ne traite donc pas directement du fait d'affamer des populations.

RS 0.518.522 Règle 53 de l'étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier: Jean-Marie Henckaerts / Louise Doswald-Beck/CICR (éd.), Droit international humanitaire coutumier. Volume I: Règles (2005).

Règle 54 de l'étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier: Jean-Marie Henckaerts / Louise Doswald-Beck/CICR (éd.), Droit international humanitaire coutumier. Volume I: Règles (2005).

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des parties à un conflit d'autoriser et de faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin28.

L'acte visé par l'amendement, qui consiste à affamer des civils comme méthode de guerre en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi de secours, est reconnu comme une violation grave du droit international humanitaire et qualifié de crime de guerre en droit international coutumier, quel que soit le type de conflit dans lequel il s'inscrit 29.

Dans le Statut de Rome, l'amendement vient préciser, avec la notion d'affamer «délibérément», que l'auteur du crime doit avoir agi avec l'intention de recourir à la famine contre des personnes civiles comme méthode de guerre. Cependant, il n'est pas nécessaire que des personnes meurent à la suite des actes visés pour que les éléments constitutifs de l'infraction soient réunis.

5

Conséquences

5.1

Conséquences pour la Confédération

Aux termes du Statut de Rome (art. 121, par. 5), l'amendement entrera en vigueur à l'égard des États parties qui l'ont accepté un an après sa ratification par ces derniers.

Les principales conséquences sur les finances et sur l'état du personnel ont découlé de l'adhésion de la Suisse au Statut de Rome en 2001 et, dans une moindre mesure, des modifications apportées à plusieurs lois fédérales en 2009 pour mettre en oeuvre ledit statut (on se reportera aux explications données à ce sujet dans les messages correspondants)30. La ratification du présent amendement relatif au crime de guerre consistant à affamer des civils ne devrait donc pas avoir de conséquences directes.

La Cour peut intervenir uniquement si les États concernés n'ont pas la volonté ou sont dans l'incapacité de mener véritablement à bien les poursuites à l'égard de crimes de droit international (art. 17 du Statut de Rome). Il est donc possible que le présent complément à l'art. 8 accroisse le nombre d'affaires devant la Cour, ce qui pourrait entraîner des coûts dont la Suisse aurait à prendre en charge une quote-part au titre de contribution obligatoire au budget global. La Suisse pourrait toutefois être amenée à supporter ces coûts même sans avoir ratifié l'amendement, si la Cour devait examiner une affaire en relation avec un autre État l'ayant ratifié. En matière d'entraide judiciaire également, la Suisse pourrait avoir à répondre à des demandes supplémentaires de la Cour même sans avoir ratifié l'amendement.

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29

30

Règle 55 de l'étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier: JeanMarie Henckaerts / Louise Doswald-Beck/CICR (éd.), Droit international humanitaire coutumier. Volume I: Règles (2005).

Voir le commentaire de la règle 156 de l'étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier: Jean-Marie Henckaerts / Louise Doswald-Beck/CICR (éd.), Droit international humanitaire coutumier. Volume I: Règles (2005), p. 800.

Message du 15 novembre 2000 relatif au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi qu'à une révision du droit pénal (FF 2001 359 448 s.) et message du 23 avril 2008 relatif à la modification de lois fédérales en vue de la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (FF 2008 3461 3558 s.).

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5.2

Conséquences pour la politique étrangère de la Suisse

L'amendement a été suggéré par la Suisse, qui a bénéficié d'une importante considération pour cette proposition et pour la manière dont elle a dirigé le processus. L'adoption à l'unanimité par l'assemblée peut être considérée comme une réussite de la Suisse. Une ratification en droit interne renforcera la crédibilité de la politique étrangère de notre pays et, partant, la force de réalisation de cette politique dans des domaines prioritaires de la stratégie de politique extérieure 2020­2023 (voir ch. 3.2).

5.3

Conséquences dans d'autres domaines

La ratification de l'amendement au Statut de Rome par la Suisse ne devrait pas avoir de conséquences pour les cantons et les communes ou les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne, ni pour l'économie, l'environnement ou la société. Les questions y relatives n'ont donc pas été examinées.

6

Aspects juridiques

6.1

Constitutionnalité

Le projet se fonde sur l'art. 54, al. 1, Cst., qui prévoit que les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération. Par ailleurs, l'art. 184, al. 2, Cst. confère au Conseil fédéral la compétence de signer des traités internationaux et de les ratifier.

Enfin, l'art. 166, al. 2, Cst. donne à l'Assemblée fédérale la compétence de les approuver, à l'exception des traités dont la conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral en vertu d'une loi ou d'un traité international (art. 24, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement [LParl]31; art. 7a, al. 1, de la loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration [LOGA] 32). Le présent amendement au Statut de Rome satisfait à une condition d'application du référendum facultatif au sens de l'art. 141, al. 1, let. d, Cst. et ne constitue donc pas une modification de portée mineure à laquelle le Conseil fédéral pourrait procéder seul (art. 7a, al. 4, let. a, LOGA). L'Assemblée fédérale a la compétence d'approuver l'amendement.

6.2

Forme de l'acte à adopter

L'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst. dispose qu'un traité international est sujet au référendum lorsqu'il contient des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en oeuvre exige l'adoption de lois fédérales. De plus, l'art. 22, al. 4, LParl

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RS 171.10 RS 172.010

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prévoit que sont réputées fixer des règles de droit les dispositions générales et abstraites d'application directe qui créent des obligations, confèrent des droits ou attribuent des compétences. Conformément à l'art. 164, al. 1, Cst., les dispositions importantes doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale.

Le présent amendement au Statut de Rome étend la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre. Après sa ratification, il serait théoriquement possible que la Cour exerce un jour sa compétence à l'égard du crime visé en ce qui concerne des actes présentant un lien avec la Suisse. Ce serait le cas si le crime consistant à affamer des civils était commis sur le territoire suisse ou par un ressortissant suisse (art. 12, par. 2, Statut de Rome) et si la Suisse n'avait pas la volonté ni la capacité de mener véritablement à bien des poursuites (art. 17, par. 1, let. a, Statut de Rome). Cet amendement constitue donc bien une disposition générale et abstraite, d'application directe, qui crée des obligations et fixe ainsi des règles de droit. Il convient en outre de le qualifier d'important, car il porte sur le droit pénal.

L'arrêté fédéral portant approbation de l'amendement est donc sujet au référendum au sens de l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst.

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