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XXXIme année.Volumee III. N« 53. Samedi 29novembree 1819 .Abonnement par année (franco dans tonte la Suisse) 4 francs.

Prix d'insertion : 15 centimes la ligne. Les Insertions doivent être transmises franco à l'expédition. -- Imprimerie et expédition de Wyss, à Berne.

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Message du

Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant le projet de loi sur les marques de fabrique et de commerce.

(Du 31 octobre 1879.)

Monsieur le Président et Messieurs, Le 23 décembre 1876, le Conseil des Etats a adopté la motion suivante : « Le Conseil fédéral est invité à faire étudier s'il n'y a pas lieu de régler par des lois fédérales : 1. Le contrôle de la fabrication et de la vente des matières d'or et d'argent; 2. la protection des marques de fabrique. » Les deux questions ont été l'objet d'études approfondies. Celles concernant la question de la protection légale des marques de fabrique sont terminées depuis le printemps dernier, celles concernant le contrôle légal de la fabrication et de la vente des matières d'or et d'argent viennent de l'être et feront l'objet d'un message spécial.

Le 13 juin 1879, l'Assemblée fédérale a adopté la motion suivante : « Le Conseil fédéral est invité à présenter un projet de « loi sur les marques de fabrique et de commerce, assez tôt pour « que les Commissions des deux Conseils appelées à l'examiner Feuille fédérale suisse. Année XXXI. Vol. III.

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« puissent présenter leur rapport à l'ouverture de la session ordi< naire du mois de décembre. » Nous avons l'honneur de nous acquitter aujourd'hui de lì tâche dont vous nous avez chargés.

Les manifestations suivantes ont été faites par les centres industriels en faveur de la protection légale des marques de fabriqueet de commerce ; 1. Pétition de 152 maisons suisses.

2. Réponse du Comité directeur de l'Union suisse du commerce et de l'industrie.

3. Eapport de M. Köchlin-Geigy à Baie, lu à l'assemblée des délégués de l'Union suisse du commerce et de l'industrie le 25 avril 1878.

4. Divers rapports de la Société intercantonale des industries, du Jura.

5. Procès-verbal de l'assemblée générale de la société des juristes, suisses, réunie à Genève les 19 et 20 août 1878.

6. Arrêté du Grand Conseil du Canton de Vaud du 28 novembre 1878, par lequel le Conseil d'Etat a été invité à suivre attentivement la question de la protection des marques de fabrique, pendante devant les autorités fédérales.

7. Eapport de MM. Const. Bodenheimer et G. Imer-Schneider,, sur le congrès international concernant la protection de la propriété industrielle, réuni à Paris pendant l'exposition universelle.

8. Pétitions nombreuses d'industriels et commerçants, ainsi qu'en particulier de M. Köchlin - Geigy, parvenues à l'Assemblée fédérale en juin dernier et demandant que la loi sur le* marques de fabrique soit traitée d'urgence.

Il faut mentionner aussi que déjà en 1877 le tement de l'Intérieur a rédigé et publié un rapport de fabrique et de commerce, rapport accompagné L'exposé mentionné au chiffre 2 est une réponse à

Chef du Déparsur les marques de propositions.

ce rapport.

Tous ces documents sont annexés au présent message.

Tandis que tous, sans exception, demandent que cette matière soit réglée d'une manière uniforme par une loi fédérale, il n'a pas été fait, à notre connaissance, une seule manifestation contestant l'utilité et la nécessité d'une pareille loi. La loyauté dans les transactions commerciales est l'une des conditions essentielles d'une prospérité durable, qu'il s'agisse d'une maison particulière ou de l'en-

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semble des industries du pays. Le producteur ou le négociant qui veut que ses clients lui restent fidèles et que leur nombre s'accroisse doit leur livrer des produits de qualité égale, qu'on puisse acheter en toute confiance sur la simple indication' de leur provenance.

Le producteur et sa clientèle ne pouvant généralement pas être en rapports directs l'un avec l'autre, mais le produit passant le plus souvent par des intermédiaires plus ou moins nombreux avant d'arriver au consommateur, l'usage s'est introduit depuis longtemps que le producteur ou le négociant principal d'un produit en atteste l'authenticité par l'apposition de sa marque sur l'objet môme ou sur l'emballage de celui-ci. Cette marque consiste le plus naturellement dans le nom ou la signature de la maison; mais, soit parce que le nom ne peut toujours être reproduit tout au long sur des produits de petites dimensions, soit pour faire distinguer nettement, au premier coup d'oeil, le produit en question d'autres produits similaires, ou en est venu à joindre au nom ou à lui substituer d'autres signes, allégoriques» ou non, monogrammes, armoiries, mots, lettres, etc.

En soi, la marque de fabrique est donc une chose émanant d'une personnalité déterminée, c'est une attestation de provenance certaine, donnée au profit tant du producteur ou négociant que du consommateur. Ces deux sortes d'intérêts, aussi bien que celui de la moralité publique, sont la justification de la protection qu'on a demandée à la loi en faveur des marques de fabrique.

Un petit nombre de Cantons seulement possèdent des dispositions législatives sur la protection des marques de fabrique. Genève a une très-courte loi spéciale du 5 avril 1862. Berne a inscrit quelques articles dans sa loi sur l'industrie du 7 novembre 1849. Plusieurs législations pénales (par exemple St-Gall, Bàie-Ville, Vaud et Neuchâtel) punissent l'usurpation des marques, sans que d'ailleurs il existe dans ces derniers Cantons des dispositions particulières sur la reconnaissance des marques.

Ce défaut de législation daus un pays industriel et commercial comme la Suisse est extrêmement sensible ; il l'est surtout depuis que, par les traités de commerce, la Confédération a dû reconnaître aux industriels et commerçants des pays étrangers (France, Allemagne, Italie) le droit de faire protéger leurs
marques par les tribunaux suisses. Non seulement les étrangers sont ainsi mieux traités chez nous que les nationaux, mais encore la réciprocité de traitement garantie par les Conventions n'est pas effective pour nous dans les pays qui, comme l'Allemagne, exigent la preuve que la marque est protégée au lieu d'origine.

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Une telle situation a donné lieu de la part des maisons suisses à des réclamations très-vives et, on doit le reconnaître, parfaitement justifiées. L'inégalité de traitement entre Suisses et étrangers n'est du reste pas le seul mobile de ces réclamations; il faut y joindre l'opinion" de plus en plus générale que la propriété d'une marque est aussi légitime que celle d'une raison de commerce ou d'une signature, et qu'elle a droit à la même protection. -- Plus les relations commerciales prennent d'extension, plus il est nécessaire de les entourer de garanties sérieuses et de veiller à ce qu'elles restent loyales et sûres. Aussi la propriété des marques de fabrique est-elle destinée à faire dans un court avenir l'objet d'une entente universelle. Déjà les bases de cette entente ont été jetées au Congrès international de la propriété industrielle qui a eu lieu à Paris en septembre dernier.

Etant démontré que ce projet de loi répond à un besoin profondément senti, il s'agit maintenant d'examiner si la Constitution fédérale permet de légiférer sur cette matière. On doit répondre « oui » sans hésitation. Cette matière rentre évidemment dans celles du droit commercial, sur lesquelles la législation fédérale est prévue par l'article 64 de la Constitution fédérale. A vrai dire, le rapporteur sur cette question à la société des juristes suisses, M. le Dr Meili, de 'Zurich, tout en étant favorable à la protection, avait cru pouvoir contester la compétence fédérale; mais il a été réfuté par divers orateurs, entre autres par M. Morel, président du Tribunal fédéral, qui a fait valoir avec raison « que les marques sont un signe de la raison de commerce, et que, par conséquent la Confédération a aussi bien le droit de légiférer, dans le Code des obligations, sur ces marques que sur la raison de commerce ellemême ». A quoi M. Meili a répliqué que la seule objection qu'il eût à faire provenait de ce qu'une loi sur les marques doit prévoir des dispositions pénales, tandis que la Confédération n'a pas le droit d'en édicter.

Nous faisons observer à notre tour: 1. qu'une législation pénale n'est pas absolument nécessaire pour la protection des marques et qu'on peut s'en tenir, comme c'est le cas dans d'autres Etats, aux revendications purement civiles; qu'e d'ailleurs, dans plusieurs'Etats dont la loi renferme des
dispositions pénales, le plaignant a le choix entre l'action pénale et l'action civile; 2. que, à supposer même qu'il fallût des dispositions pénales, la Confédération aurait le droit d'en édicter aussi bien qu'elle l'a fait en matière d'épizooties, de chasse, de pêche, de police des forêts, de police des eaux, de travail dans les fabriques,

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l'exécution restant d'ailleurs dans les attributions des Cantons.

Au reste, il n'est guère possible que le Code des obligations traite, en l'épuisant, la matière des marques. Ce Code est, en effet, destiné à contenir les principes du droit général et non pas des dispositions spéciales comme celles qui sont nécessaires pour le dépôt et l'enregistrement des marques, ainsi que pour la procédure à suivre en cas de contrefaçon. Une loi spéciale peut et doit donc être faite, sans qu'il y ait besoin d'un article formel de la Constitution pour la justifier.

Il s'agit maintenant de se rendre un compte exact dès principes sur lesquels doit reposer une loi fédérale sur les marques.

Une première question domine toute la matière: la loi sera-t-elle exclusivement d'ordre public ou exclusivement d'ordre privé ? ou bien aura-t-elle un caractère mixte ?

La protection des marques est avant tout, à nos yeux, d'ordre public, attendu qu'elle est destinée à sauvegarder un intérêt social, à assurer le développement du travail honnête et à contribuer ainsi à la prospérité et au perfectionnement de l'industrie nationale. A ce point de vue, l'application de la loi doit être, jusqu'à un. certain degré, placée dans les mains du pouvoir public. Ainsi il est nécessaire à l'ordre public que le choix, qui a toujours en soi quelque chose d'arbitraire, d'une marque ou d'un signe qui ne consiste pas uniquement ou essentiellement dans le nom commercial, soit porté à la connaissance de l'autorité et par celle-ci à la connaissance du public. Il est nécessaire, dans l'intérêt de l'ordre public, que ce genre de propriété soit soumis à un régime spécial de nature à prévenir tous les abus. En revanche, la loi ne doit pas être exclusivement d'ordre public, car, si elle l'était, la conséquence naturelle en serait que chaque industriel ou commerçant devrait être tenu de marquer tous ses produits d'un signe indiqué par l'autorité, et celle-ci devrait d'office se constituer réparatrice de tous les torts et de tous les abus. La liberté des transactions ne permet pas d'adopter un pareil système, mais il est dans l'intérêt privé du producteur de se charger lui-même du choix de la marque, de la faire reconnaître par l'autorité et de la faire protéger contre toute usurpation ; de même, c'est à l'intérêt privé du consommateur de se prévaloir de
la loi pour élever des revendications en cas de tromperie. Car il est évident que la loi ne doit pas seulement protéger l'intérêt privé du producteur, mais aussi celui du consommateur.

La loi doit donc être de nature mixte et être basée sur les principes suivants:

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1. Le dépôt publie de la marque, dans les conditions prescrites, est nécessaire pour qu'elle ait droit à la protection (art. 4, alinéa 1, et art. 18, alinéa 3, du projet).

2. Le producteur est libre de déposer ou non sa marque, mais, s'il ne la dépose pas, il ne peut en revendiquer juridiquement ]a propriété (art. 4 et 18, alinéa 3).

3. L'action des tribunaux doit être mise en mouvement par la plainte du lésé, et non point d'office, sauf dans le cas où mention aurait été faite que la marque était déposée, alors qu'elle ne le serait pas (art. 24).

Une seconde question importante est celle des conditions nécessaires pour la reconnaissance de la marque.

Deux systèmes sont en présence quant aux caractères constitutifs de la marque. L'un, adopté par la France, la Belgique, l'Italie et la convention franco-suisse, admet toute espèce de signes distinctifs : noms, emblèmes, empreintes, cachets, vignettes, reliefs, lettres, chiffres, enveloppes, etc. L'autre, en vigueur en Allemagne, on Angleterre, en Autriche et dans les Etats-Unis, limite la liberté du choix et exclut, par exemple, les signes consistant uniquement en mots, lettres ou chiffres. C'est à ce dernier système que se rattache le projet de loi que nous vous présentons (voir art. 3), et cela par la raison que l'on ne peut laisser monopoliser des désignations également nécessaires à tous les industriels et à tous les commerçants. A supposer, par exemple, qu'un horloger voulût prendre comme marque de fabrique le mot : « chronomètre » purement et simplement, nous ne pourrions y consentir d'après notre système, ce mot étant une propriété commune et nécessaire à tous les fabricants d'horlogerie.

Deux systèmes sont également en présence quant à l'office chargé de recevoir et d'enregistrer le dépôt de la marque. En Angleterre, aux Etats-Unis, en Italie, ainsi que d'après la convention franco-suisse, l'enregistrement a lieu auprès d'un office central. En Allemagne, en Autriche, en Belgique et en France, le dépôt s'effectue auprès du tribunal compétent de l'arrondissement où réside le déposant.

Nous avons préféré le premier système (art. 10) par les considérations suivantes : 1. Bien qu'à notre avis l'enregistrement doive avoir lieu aux risques et périls du déposant, c'est-à-dire sans un examen préalable dans toute l'acception du terme, il est cependant nécessaire que la marque soit soumise à un examen, ayant pour but de constater si elle répond dans son ensemble aux

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prescriptions légales. Il faut aussi s'assurer que les formalités prescrites sont réellement remplies. Dans des pays où toute l'organisation judiciaire procède d'une loi unique, il peut y avoir moins d'inconvénients à faire de chaque greffe de tribunal un office d'enregistrement. En Suisse, l'application uniforme de la loi serait mise en grand danger si l'on n'instituait pas un office central.

2. Il est dans l'intérêt du public que non seulement les industriels et les commerçants, mais aussi les tribunaux appelés à juger les cas de contrefaçon, puissent se renseigner facilement sur les marques déposées, ce qui ne serait guère possible si l'on avait une centaine ou même plus d'offices d'enregistrement.

3. Les conventions internationales pour la protection des marques prévoient, dans la règle, un office central, et il ne peut guère en être autrement. Pourquoi soumettre les marques indigènes et les marques étrangères à des régimes différents ?

Une troisième question de principe est celle-ci: Quelle doit être ia nature de la propriété de la marque? Cette propriété doit-elle être perpétuelle et transmissible ? Nous estimons, d'accord avec la plupart des législations, que, tout en étant perpétuelle en soi, la propriété de la marque doit être attestée de temps à autre par un nouvel enregistrement (art. 7). La durée pendant laquelle une inscription est valable est affaire d'importance secondaire. Les marques dont le dépôt n'est pas renouvelé, ou qui ne seraient pas utilisées pendant un certain laps de temps, tomberaient dans le ·domaine public (art. 7 et 9).

La propriété de la marque doit être transmissible, mais sous la réserve expresse qu'elle partage le sort de l'entreprise dont elle sert à caractériser les produits (art. 8). Cette condition se justifie par le caractère même de cette propriété, qui n'a de raison d'être qu'autant que la marque s'applique à un produit parfaitement déterminé (art. 10, lettre a). La cession de la marque sans l'établissement pourrait faciliter trop aisément la tromperie.

Aussi dans divers pays n'admet-on aucune exception à la règle, et nous croyons que l'on a raison. Il faut, en outre, pour la sécurité du public, que toute transmission de marques soit publiée; aussi longtemps qu'elle ne l'est pas, elle ne peut déployer ses effets à l'égard des tiers (art. 8, 2me alinéa,
et art. 15).

Quatrième question: Quelles sont les personnes qui peuvent être admises à revendiquer la propriété d'îine marque?

Toutes les législations sont unanimes pour reconnaître que tout industriel ou commerçant, aussi bien le producteur que le négociant,

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aussi bien l'agriculteur que l'industriel, peut apposer sa inarque sur la marchandise et en demander la protection. La législation française et la législation italienne interdisent cependant au négociant d'enlever la marque du producteur et lui permettent seulement de mettre la sienne à côté. Après avoir pesé le pour et le contre de cette disposition, il a paru qu'on pouvait en faire abstraction et laisser aux conventions particulières le soin de régler autant que possible ce point délicat.

Quant aux marques de fabrique étrangères, nous estimons que la Suisse doit se placer sur le terrain de la réciprocité de traitement, le seul que nous puissions accepter dans l'intérêt de nos industries. A cet égard il est nécessaire, d'après notre avis, d'être très-strict à l'égard des industriels et des commerçants qui feraient une simple élection de domicile en Suisse pour pouvoir déposer leurs marques. Nous désirons que ces marques ne soient protégées qu'à la condition que l'industriel ait le siège de sa fabrication ou de sa production en Suisse, et le commerçant une maison de commerce régulièrement établie; de même, lorsqu'il s'agit de marques ou de raisons de commerce étrangères, nous estimons qu'on ne doit protéger que celles qui le sont dans le pays d'où elles'proviennent; cette précaution a pour but d'éviter la fraude (art. 6).

Il reste à examiner une cinquième question importante, c'est celle de la protection à accorder au nom commercial (raison de commerce, firme). A vrai dire, cette matière ne rentre pas précisément dans la loi sur les marques, mais bien plutôt dans le Codé général de commerce. Seulement, comme ce Code pourrait, suivant les circonstances, se faire attendre encore assez longtemps, il paraît indispensable de placer dans la loi qui nous occupe quelques dispositions concernant le nom commercial. On ne comprendrait pas, en effet, que la marque ftìt protégée en Suisse, alors que la raison de commerce, propriété beaucoup plus indiscutable, ne le serait pas.

Dans bon nombre de pays, la qualité de commerçant s'acquiert par l'inscription au registre de commerce. Le projet de Code fédéral des obligations prévoit cette inscription; mais, en attendant que ce Code soit entré en vigueur, comment procédera-t-on à l'égard des maisons qui se contentent de placer, pour toute marque, leur nom commercial
snr leurs produits ? Afin de ne pas laisser ce point dans l'indécision, nous avons cru qu'il était utile d'introduire les dispositions ci-après dans la loi sur .les marques : D'abord, nous avons tenu à mettre bien en évidence, à, l'art.

1er, que la raison de commerce est la marque la plus naturelle, et nous l'avons indiquée en première ligne, avant les autres signes qui peuvent figurer sur les produits. Ensuite, tout en renvoyant (art. 2)

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à la loi fédérale sur les obligations et le droit commercial, ponila reconnaissance des raisons de commerce, nous avons inséré à la fin du projet sur les marques la proposition éventuelle suivante: «Restent en vigueur, jusqu'à la promulgation de la loi fédé« raie sur les obligations et le droit commercial, les dispositions « cantonales relatives à l'inscription et à la reconnaissance des rai« sons de commerce. » II est bien entendu par là que les raisons de commerce employées comme marques jouiraient de la protection de la loi sur les marques, mais que la question de savoir ce qui est raison de commerce serait réglée suivant les législations cantonales, jusqu'à ce qu'un droit fédéral uniforme soit entré en vigueur.

Après avoir passé en revue les principes essentiels du projet de loi, nous n'avons plus que quelques remarques à faire au sujet de ses différentes dispositions.

I. Principes généraux.

Depuis longtemps il est d'usage dans le commerce et l'industrie d'indiquer la provenance et l'origine de la marchandise par un signe spécial ayant pour but de la distinguer de toute autre semblable; cette indication s'appose sur la marchandise elle-même ou sur son emballage ou enveloppe.

De pareils usages n'ont toutefois de véritable valeur que quand ils sont protégés par la législation. L'art. 1er définit ce qu'on doit envisager comme marque de fabrique ou de commerce. Ce sont, en premier lieu, les raisons de commerce et, en second lieu, les autres signes placés à côté ou en remplacement de celles-ci. Ces raisons de commerce et autres signes ne sont toutefois considérés comme marques que lorsqu'ils servent à distinguer les produits d'une industrie ou les objets d'un commerce, et qu'à ce titre ils figurent sur les produits ou marchandises, ou sur l'enveloppe de ceux-ci.

Il ne s'agit donc point, d'après la loi, de régler la protection des raisons de commerce dans d'autres cas (par exemple, enseignes, factures, annonces, etc.), ce qui sera l'affaire de la loi sur le droit commercial ou d'autres lois spéciales.

A l'art. 2, 2me alinéa, il est prévu que de simples initiales d'une raison de commerce ne suffisent pas pour constituer une marque, mais que ces initiales sont traitées à teneur de l'article

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3, 1er alinéa). Beaucoup de personnes portent des noms commençant par les mêmes initiales, et la confusion ou la tromperie serait trop facile si l'on n'admettait pas cette réserve. Les industriels et commerçants qui voudront employer leurs initiales dans leur marque devront procéder à un dépôt de la marque conformément à la loi.

L'art. 3 contient les dispositions spéciales au sujet des signes qui ne peuvent être employés comme marques de fabrique. Il n'est pas admis que la marque se compose exclusivement de chiffres, de lettres ou de mots, car on se sert souvent des chiffres pour désigner les numéros de grandeur et de qualité de la marchandise; les lettres peuvent être des initiales de noms appartenant en même temps à beaucoup d'industriels et de négociants ; un grand nombre de mots, tels que « extrafin » , « p r i m é » , etc., ou bien le nom d'une ville ou d'un pays, sont une propriété publique dont l'emploi ne peut être permis à une seule personne exclusivement. Ces chiffres, ces lettres et ces mots peuvent constituer une partie de la marque de fabrique, toutefois il faut y ajouter encore autre chose. Il est naturel que les dessins scandaleux ne peuvent être admis.

On s'est beaucoup servi jusqu'à présent des armoiries publiques, par exemple de la croix fédérale, comme marques de fabrique et de commerce, et plusieurs industriels ont dépensé de grandes sommes pour les faire reconnaître. Le projet de loi en permet aussi l'emploi à l'avenir, toutefois la protection légale ne leur est pas accordée. Si la législation ne peut pas défendre d'une manière absolue l'emploi des armoiries publiques pour des spéculations privées, elle ne doit du moins pas le favoriser.

Quant à la question de savoir ce qui peut être envisagé ou non comme marque de fabrique, les lois des autres Etats contiennent, comme nous l'avons dit, les dispositions les plus différentes.

L'Allemagne refuse l'enregistrement des marques qui se composent exclusivement de chiffres, de lettres ou de mots, ou bien lorsqu'elles contiennent soit des armoiries publiques, soit des dessins scandaleux.

L'Angleterre prescrit que la marque peut se composer de l'une ou de plusieurs des parties suivantes : 1. un nom de personne ou de raison sociale, imprimé ou incorporé dans des caractères déterminés ; 2. un monogramme ou un fac-similé ; 3. un dessin caractéristique.

A cela peuvent être ajoutés des lettres, des mots et des chiffres-

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L''Autriche exige que la marque ne ressemble pas à celles qui sont généralement en usage pour certaines catégories de marchandises, et qu'elle ne consiste pas uniquement en caractères, mots ou chiffres et ne renferme pas d'armoiries publiques.

La Belgique demande simplement que la marque se distingue facilement des autres marques déjà en usage.

Les Etats-Unis excluent de l'enregistrement les marques qui contiennent simplement un nom ou une autre désignation sans se distinguer de toute autre semblable ; en outre, celles qui sont identiques à d'autres déjà enregistrées ou qui y ressemblent à s'y méprendre.

La France admet les noms sous une forme distincte, les dénominations, emblèmes, empreintes, timbres, cachets, vignettes, reliefs, lettres, chiffres, enveloppes et tous autres signes servant à distinguer les produits d'une fabrique ou les objets d'un commerce.

L''Italie comprend, comme marques de fabrique, toutes les désignations qui servent à distinguer les produits (dessins caractéristiques, chiffres, vignettes, etc.). ° La convention franco-suisse reproduit les dispositions de la loi française.

Quiconque veut prétendre à l'usage d'une marque, garanti légalement, doit la faire déposer et enregistrer. Il en devient par là propriétaire et acquiert le droit de priorité pour le cas où un autre industriel revendiquerait pour lui l'usage d'une marque identique (art. 4). Il est essentiel que l'adoption d'une marque soit documentée de manière à ne laisser aucune incertitude au sujet de son véritable possesseur. Cela est dans l'intérêt du public aussi bien que dans celui des industriels ou commerçants. Nous prévoyons aussi que les effets résultant du dépôt ne commenceront qu'à partir de la publication soit dans la Feuille officielle du commerce, dont l'institution est prévue dans le projet de loi fédérale sur les obligations, soit dans toute autre feuille fédérale désignée à cet effet (art. 4, 1er alinéa).

Le 2me alinéa de l'art. 4 a une grande importance pratique.

La présomption que le premier déposant est le véritable ayant droit aura pour effet que les intéressés ne négligeront pas les formalités prescrites, car ils s'exposeraient au risque qu'un concurrent plus diligent fit enregistrer en son nom une marque dont la réputation serait déjà plus ou moins établie. En soi d'ailleurs, la présomption dont il s'agît est fondée sur un principe de droit rigoureusement juste, et elle sera utile vis-à-vis des marques venant de l'étranger.

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La marque doit ótre de nature à pouvoir être facilement distinguée par le public. Pour cela, il est nécessaire qu'elle se distingue, par des caractères essentiels, des marques déjà déposées (art. 5).

A la rigueur, il pourrait être reconnu que toute omission et toute adjonction font disparaître i'identité de la marque de fabrique ; toutefois, il pourrait facilement résulter, d'une disposition de cette nature, des abus qui tromperaient le public. D'après le projet, il est permis de faire figurer sur une- marque nouvelle certains motifs d'une marque déjà déposée, pour autant que, considérée dans son ensemble, elle ne peut être facilement confondue avec la marque antérieurement déposée.

Rien n'empêche que la marque dont on s'était servi pour des ouvrages de soie ne soit employée pour un produit de toute autre nature, par exemple pour des ouvrages de paille. L'acheteur n'en est pas trompé pour cela, et l'industriel ne subit de môme aucun dommage ; il était donc rationnel que le projet de loi contint une disposition d'après laquelle la protection légale peut aussi être accordée, quand la nouvelle marque est destinée à, des produits ou à des marchandises qui n'ont rien de commun avec les articles à la désignation desquels sert la marque déjà déposée.

D'après le projet, la durée de la protection de la marque est de 15 ans (art. 7). Une taxe de fr. 20 se paie pour le dépôt, de même que pour son renouvellement.

Voici quelles sont les dispositions existant dans d'autres Etats au sujet de la durée du dépôt et des taxes à payer : Allemagne. L'inscription est valable pour 10 années et peut être renouvelée. Emoluments pour le premier enregistrement : 50 marks. Les autres enregistrements et les radiations ont lieu sans frais.

Angleterre. Durée : 14 ans ; la garantie peut être renouvelée, pourvu que la demande soit présentée, au plus tard, trois mois après l'expiration des 14 années. Une marque dont l'inscription est périmée ne peut être enregistrée de nouveau avant un délai de 5 ans. Taxe pour le premier enregistrement : une livre sterling.

Autriche. L'inscription est valable jusqu'à cession et extinction de la raison de commerce. Emoluments : 5 florins.

Belgique. Il n'existe aucune disposition au sujet de la durée.

Les émoluments à payer sont de 10 francs par marque et d'un franc par certificat.

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Etats-Unis. Durée: trente ans; renouvelable une fois, sur demande, pour trente nouvelles années, ce qui fait en tout soixante ans. Taxe : 25 dollars, une fois payés, pour la durée de trente années ; cette taxe est la même lorsqu'on demande une prolongation.

France. Durée: 15 ans; renouvelable à l'expiration de chaque délai. Taxe : un franc, non compris le timbre.

Italie. Durée illimitée. Taxe : 40 francs pour l'enregistrement et 2 francs pour l'inscription d'une cession.

Convention franco-suisse. Durée: 15 ans; renouvelable à l'expiration de chaque délai. Taxes françaises pour les marques suisses déposées en France ; pour les marques françaises déposées en Suisse, 5 francs.

Les caractères de la propriété d'une marque de fabrique ne peuvent être, en raison de sa nature spéciale, absolument les mêmes que ceux d'une autre propriété réelle. Le choix de la marque, quand elle ne consiste pas simplement dans le nom du producteur ou du négociant, est une affaire de caprice ; la marque une fois choisie n'est pas indissolublement liée à la maison, comme le nom l'est à la personne. En conséquence, la loi ne peut la protéger qu'aussi longtemps: 1° que l'ayant droit en fait un véritable usage (art. 9); 2° qu'il renouvelle de temps à autre la déclaration qu'il entend continuer cet usage (art. 7, alinéa 1er).

Pour la justification des autres dispositions contenues dans ce chapitre, voir pages 5 à 9 ci-dessus.

IL Dépôt et enregistrement.

Nous avons déjà fait remarquer que le dépôt et l'enregistrement, de môme que le renouvellement des marques, doit s'effectuer à un bureau central placé sous la surveillance du Département du Commerce. Le règlement d'exécution prévu par l'article 10 précisera les attributions de ce bureau.

Quant au nombre et au paiement du personnel nécessaire pour ce bureau central, nous aurons soin de vous faire les propositions nécessaires à l'occasion du budget ou dans une proposition spéciale.

Nous n'avons aucune autre remarque à faire au sujet des dispositions du projet de loi concernant le dépôt et l'enregistrement.

Passons encore rapidement en revue les prescriptions existant dans d'autres pays à cet égard.

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En Allemagne, la déclaration se fait auprès du tribunal compétent, et l'inscription a lieu dans le registre du commerce de l'arrondissement.

En Angleterre, la déclaration peut être faite auprès de l'autorité locale ; elle est enregistrée au bureau central des patentes, après un examen constatant qu'elle ne ressemble pas à d'autres déjà reçues pour la même catégorie d'articles.

En Autriche, les marques sont reçues par la Chambre de commerce du district et enregistrées par celle-ci dans un registre spécial. Les registres sont publics.

En Belgique, l'enregistrement a lieu auprès du conseil des prud'hommes de l'arrondissement.

Aux Etats-Unis, l'enregistrement est reçu au bureau central des patentes.

En France, le dépôt se fait auprès du greffe du tribunal de commerce ou du conseil des prud'hommes du district où le déposant demeure.

En Italie, la demande d'enregistrement est adressée à l'une des préfectures du royaume et transmise au Ministère de l'agriculture et du commerce, où l'inscription se fait.

D'après la convention franco-suisse, le dépôt des marques suisses s'effectue auprès du tribunal de commerce de la Seine, et celui des marques françaises au Département fédéral de l'Intérieur (actuellement au Département de l'Agriculture et du Commerce).

Les formalités à remplir pour le dépôt et l'enregistrement sont les suivantes : Allemagne. Déclaration avec dessin exact de la marque (en quatre exemplaires de 3 centimes au plus de hauteur et de largeur) ; liste, signée par le demandeur, des articles auxquels la marque est destinée. Publication du premier enregistrement dans le Moniteur de l'Empire, aux frais du demandeur et par les soins du tribunal de commerce.

Angleterre. Déclaration sur formulaire, avec dessin de trois pouces carrés ; attestation que le demandeur est en droit (lawfully entitled) d'user de la marque. Publication aux frais et aux soins du demandeur. Délai de trois semaines pour les oppositions. Si le registrateur trouve que la marque ressemble à une autre, ou si plusieurs personnes demandent l'enregistrement de la même marque pour les mêmes articles, ou enfin s'il y a opposition, l'enregistrement n'a lieu qu'au vu d'un jugement de tribunal favorable au demandeur.

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Autriche. Déclaration, avec deux exemplaires du dessin ; l'un est déposé à l'appui de l'inscription, l'autre rendu au demandeur, avec une attestation du numéro du registre, du jour et de l'heure de l'inscription, du nom sous lequel la marque est enregistrée, et de la désignation du genre d'industrie auquel elle est destinée.

Belgique. Aucune formalité spéciale n'est prescrite.

Etats-Unis. Dépôt d'un affidavit ou serment de possesseur exclusif de la marque, indication du nom, de la maison de vente ou de commerce (avec adresse exacte), de la résidence personnelle, si elle est distincte, du genre de marchandises pour lequel on revendique la marque ; fac-similé en dix copies de la marque, avec description exacte, ainsi que du mode d'application. Il faut, de plus, indiquer depuis quelle époque la marque était employée au moment du dépôt.

France. Dépôt en deux exemplaires.

Italie. Double déclaration, avec indication des marchandises auxquelles la marque est destinée ; double description de la marque.

Un certificat d'enregistrement est délivré, avec le renvoi d'un double des pièces requises.

Convention franco-suisse. Aucune formalité spéciale n'est prescrite autre que le dépôt en deux exemplaires.

III. Contrefaçon et dispositions pénales.

Sous ce titre sont renfermées les considérations essentielles qui doivent guider le juge dans l'enquête et le jugement, quand il s'agit de savoir s'il y a eu contravention à la loi sur la protection des marques. La détermination des règles à suivre est chose difficile dans un pays comme le nôtre, qui n'a pas des institutions judiciaires uniformes. Nous nous sommes attachés à éviter, autant que possible, les causes de conflit avec les législations cantonales.

L'art. 17 caractérise le délit de contrefaçon. Est réputée telle la reproduction plus ou moins parfaite de la marque, de manière à produire une confusion entre la marque véritable et celle contrefaite et à induire le public en erreur. La loi française de 1857 (et à sa suite la convention franco-suisse) avait établi une distinction entre la contrefaçon et l'imitation, frauduleuse; mais il en résulte une casuistique assez compliquée, et nous avons préféré n'admettre, comme le fait la loi belge récente, que la notion de contrefaçon, qui, étendue à tous les cas où l'intention frauduleuse est constatée, suffit pleinement à la répression nécessaire. L'art. 17 vise soit les auteurs, soit les complices des faits de contrefaçon, soit

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aussi ceux qui, ayant en leur possession des produits portant des marques contrefaites, se refusent à en indiquer la provenance, la présomption de complicité ou môme d'action principale étant établie dans ce dernier cas.

A l'art. 18 se trouve implicitement contenu le principe, déjà mentionné, que l'action des tribunaux est seulement mise en mouvement par les intéressés (acheteur trompé ou ayant droit à la marque véritable), sauf dans le cas prévu à l'art. 24. La législation de procédure des Cantons est généralement réservée; seulement, il a paru nécessaire de fixer dans les articles 19 à 22 quelques règles spéciales découlant de la loi elle-même et qui font certainement défaut dans la plupart des législations cantonales. Les mesures à prendre en ce qui concerne les objets saisis pour fait de contrefaçon doivent notamment être indiquées; on remarque à cet égard deux systèmes dans la législation des autres Etats : l'un, très-sévère, prononce dans tous les cas la confiscation, ce qui par exemple est le cas dans la loi française et dans la convention franco-suisse; l'autre, plus doux, ne confisque qu'à compte ou à concurrence des dommages-intérêts et des amendes à payer (Allemagne et Belgique).

C'est ce dernier système que nous avons adopté, estimant qu'un, excès de rigueur dans la loi a presque toujours comme corrélatif un excès d'indulgence de la part des tribunaux, et qu'autant que possible il faut que le juge puisse proportionner la peine à la gravité des faits.

Il n'est pas nécessaire que nous nous arrêtions plus longtemps à l'action civile. Quant aux dispositions pénales, nous avons déjà remarqué qu'elles ne constituent pas une condition sine qua non de l'établissement d'une loi sur les marques de fabrique; toutefois, dans l'intérêt du bien public, il est nécessaire que la contrefaçon soit punie, car elle mène à la tromperie, et il en résulte un dommage pour le propriétaire de la marque aussi bien que pour l'acheteur. Si la marchandise est de même qualité que celle dont on emprunte la marque, le préjudice est moins grand que si elle est de qualité inférieure, mais le propriétaire légitime de la marque y perd néanmoins un débouché qui lui était acquis, et l'acheteur de bonne foi se trouve exposé à être ultérieurement trompé dans sa confiance. Quand la marchandise contrefaite est de qualité
inférieure, il y va alors de la bonne réputation du producteur présumé et de l'argent du consommateur. La contrefaçon jette ainsi une perturbation nuisible dans toutes les relations commerciales, qui doivent être fondées sur la loyauté et la confiance; elle ôte à l'industrie le stimulant de l'honneur, aussi nécessaire, pour faire prospérer celle-ci, que le stimulant de l'intérêt ; elle discrédite, sur le marché universel, la production d'un pays dans lequel aucune en-

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trave n'est mise aux entreprises de la malhonnêteté. Il est suffisamment reconnu qu'une fois sur la pente de la contrefaçon, une maison ou un pays ne s'arrête pas à mi-chemin ; on a trompé sur l'emballage, on trompe aussi sur le contenu.

Ces considérations nous font envisager des mesures pénales comme absolument nécessaires et entièrement fondées.

Une seconde question qui se présente consiste à savoir si les dispositions pénales matérielles ne devraient pas être laissées aux Cantons. Nous tranchons la question négativement et proposons d'adopter aussi des dispositions uniformes par cette loi, comme cela a eu lieu pour d'autres lois fédérales, par exemple pour celle sur le travail dans les fabriques, sur la chasse, la pêche, la police des forêts, etc. Les mômes raisons qui ont fait introduire dans ces lois des dispositions pénales matérielles uniformes peuvent également s'appliquer à la loi qui nous occupe.

La convention conclue en 1864 avec la France pour la protection de la propriété littéraire, artistique et industrielle contient des dispositions pénales uniformes. Ce serait une contradiction s'il n'en était pas ainsi pour la loi sur les marques de fabrique. Les dispositions de cette convention étant à certains égards beaucoup trop sévères, nous les avons atténuées, et à l'avenir nous ne devrons pas souffrir que les ressortissants d'autres Etats "puissent faire appliquer chez nous une législation plus rigoureuse que la loi suisse.

Les lois sur la protection des marques de fabrique en vigueur dans d'autres pays contiennent aussi des dispositions en vue de l'action civile.

Jetons encore un coup d'oeil sur ces dispositions en vigueur à l'étranger.

Allemagne : de 150 à 3000 marks, ou de six mois de prison.

L'indemnité peut être remplacée par une amende de 5000 marks en faveur du lésé. A la demande de celui-ci, la destruction des marques de l'emballage ou des produits en possession du condamné peut être ordonnée. Dans le cas où la condamnation a lieu au criminel, le lésé a le droit de publier la condamnation aux frais du condamné. Le mode et le délai de la publication doivent être indiqués dans la sentence.

Angleterre. Amende équivalente à la valeur de la marchandise, plus Une autre amende de 10 shillings à 5 livres sterling.

Autriche. Amende de 25 à 500 florins. En cas de récidive, emprisonnement d'une semaine à un mois. Le tribunal peut, en outre, ordonner la publication du jugement.

Feuille fédérale suisse. Année XXXI.

Vol. III.

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Belgique. En général, de 5 à 10 ans de prison, d'après le code pénal. Cette législation étant trop rigoureuse, on a admis des pénalités plus douces pour certaines industries, savoir pour la quincaillerie et la coutellerie, de fr. 300, et, en cas de récidive, de fr. 600, avec six mois de prison; pour le savon, de fr. 3000, et en cas de récidive, jusqu'à fr. 6000. Du reste, le plaignant a le choix entre l'action civile et l'action pénale.

Etats-Unis. Simplement réparation civile.

France. De fr. 50 à fr. 3000 d'amende et de 3 mois à 3 ans de prison pour les délits de contrefaçon ; de fr. 50 à fr. 2000 et de 1 mois à 1 an de prison pour les délits d'imitation. Les deux peines ne sont pas nécessairement cumulées. La confiscation des produits peut être prononcée, même eu cas d'acquittement, ainsi que celle des instruments et ustensiles ayant spécialement servi a commettre le délit. Le tribunal peut aussi ordonner la remise des produits confisqués au propriétaire de la marque contrefaite, imitée ou frauduleusement apposée. Dans tous les cas, il doit prescrire la destruction des marques elles-mêmes. Il peut enfin être prononcé la privation des droits civiques jusqu'à 10 années au plus. Le plaignant a le choix entre la voie civile et la voie pénale.

Italie. Jusqu'à fr. 2000, et en cas de récidive jusqu'à fr. 4000.

Confiscation des marchandises. Les mômes pénalités sont prévues contre les marchands qui enlèvent la marque du producteur.

Convention franco-suisse. Mômes pénalités qu'en France, moins, pour la Suisse, la privation des droits civiques.

IV. Dispositions finales.

L'article 25 a été adopté en faveur des expositions internationales. Jusqu'à présent il a été d'usage, dans ces expositions, de protéger la propriété industrielle de l'exposant d'une manière générale et sans égard aux traités existants ou non.

Les articles 25 et 26 contiennent les prescriptions à appliquer quand il s'agit de protéger des marques dont il a été fait usage avant l'adoption de la loi. Quand un industriel s'était acquis une bonne réputation et qu'un autre imitait sa marque, il ne possédait jusqu'à présent aucun moyen légal de s'y opposer ; il s'ensuivait que plusieurs industriels se servaient de la même marque. Le projet de loi (art. 26) assure pour l'avenir l'usage exclusif de sa marque employée jusqu'à présent à celui qui en est devenu possesseur, non pas par contrefaçon, mais de droit légitime. La voie à suivre pour arriver d'une manière sûre à désigner quel est ce possesseur légi-

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time est la suivante : Une fois la loi adoptée en dernière instance et définitivement, il sera fixé un terme, jusqu'à l'expiration duquel les marques employées jusqu'à présent et désirant jouir de la protection légale doivent être soumises à l'examen du Bureau fédéral.

Ce bureau publiera alors les noms de ceux qui auront envoyé des marques et joindra à cette liste une reproduction des marques. De cette manière, l'industriel sera mis à même de connaître si sa marque a déjà été employée par d'autres et a été donnée à enregistrer ou non. Quand deux ou plusieurs industriels revendiquent la même marque, la question de savoir qui, à l'avenir, est le véritable possesseur, reviendra, sous réserve de recours au Tribunal fédéral, au Département sous la surveillance duquel a lieu l'enregistrement des marques de fabrique. Pour cette décision, le Département se fait donner des deux parties les preuves nécessaires et peut même, sur la demande des parties ou s'il le trouve lui-même nécessaire, ordonner une enquête orale. On pourrait laisser cette décision au juge cantonal ; cette manière de procéder aurait cependant de grands inconvénients. A supposer que la marque d'un industriel soit employée par plusieurs industriels domiciliés dans différents Cantons et que l'enregistrement de cette marque soit exigé, l'action à l'effet de découvrir le possesseur légitime devrait avoir lieu dans différents Cantons, ce qui occasionnerait de grands frais et une grande dépense de temps.

Le procédé administratif proposé par le projet a l'avantage de la simplicité et évite en même temps les frais inutiles.

L'urgence de s'occuper de la loi sans retard résulte de la perspective du prochain renouvellement de tous nos traités de commerce. Si la Suisse veut conquérir son autonomie en matière de propriété industrielle, et ne plus se laisser imposer une législation étrangère, comme cela était le cas en 1864, il faut qu'elle fixe dès maintenant le texte de sa loi sur les marques, afin d'avoir une base d'opération dans les négociations qui vont s'ouvrir. Il ne servirait à rien de vouloir refuser purement et simplement une convention sur cette matière. Entre peuples civilisés, la protection de la propriété industrielle sera de plus en plus une partie intégrante des traités de commerce. Kefuser de traiter à cet égard équivaudrait à ne
plus conclure de traités de commerce. Or, la Suisse trouverait-elle son intérêt à remplacer le régime des traités par celui de la guerre de tarifs ? Poser cette question, c'est la résoudre.

Nous avons donc besoin d'être armés pour la négociation de nouveaux traités, et c'est pourquoi l'élaboration d'une loi sur les marques s'impose, aujourd'hui comme une question des plus urgentes.

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Un autre motif de régler cette question sans retard, c'est que, par ce moyen seulement, on arrivera à mettre les Suisses au bénéfice des législations étrangères, qui, comme c'est le cas en Allemagne, exigent que la marque soit protégée au pays d'origine. En outre, on répondra aux réclamations de nombreux industriels qui, à l'intérieur même de la Suisse, se plaignent de contrefaçons contre lesquelles ils ne peuvent actuellement faire valoir leurs droits.

Après l'adoption de la loi, il se passera encore près d'une année (terme de referendum, préliminaires concernant l'exécution de la loi) avant qu'elle puisse entrer pleinement en vigueur.

Selon toute probabilité, les négociations pour la révision des traités de commerce commenceront pendant cet intervalle. Il est à désirer que la Suisse ne se trouve pas, comme en 1864, dans une position défavorable et ne se laisse pas, comme alors, octroyer des traités qu'elle ne pourrait modifier plus tard qu'avec beaucoup de peine dans le sens de la nouvelle loi.

Agréez, Monsieur le Président et Messieurs, l'assurance de notre considération distinguée.

Berne, le 31 octobre 1879.

Au nom du Conseil fédéral suisse, Le Président de la Confédération : HAMMEE.

Le Chancelier de la Confédération : SOHIESS.

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Message du Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant le projet de loi sur les marques de fabrique et de commerce. (Du 31 octobre 1879.)

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