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XXXIme année. Voline III, N» 54. Samedii 6 décembre 1879

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Message du

Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale enocernan le projet de loi sur la cupacité civile.

(Du 7 novembre 1879.)

Monsieur le Président et Messieurs, Déjà sous le régime de notre ancienne Constitution, alors qu'il s'agissait de créer, par voie de concordat, une législation uniforme en matière d'obligations, les travaux préparatoirss avaient mis en évidence un t'ait: les avantages que l'on comptait obtenir en réglant uniformément les conditions et les effets des contrats concernant les biens meubles, étaient fort problématiques tant que l'unification ne porterait pas également sur la capacité de s'obliger par les contrats en question (voir le rapport annuel du Departement fédéral de Justice et Police pour l'année 1869 -- Feuille fédérale de 1870, II. 121).

Cette capacité forme une condition essentielle et, dans a pratique, d'une importance capitale pour la validité d'un rentra.

L'abandonner, comme par le passé, aux lois can tonales s divergentes entre elles, c'était priver les rapports multiples de Canton à Canton d'un Lage de sécurité de premier ordre. Mais il n fallait pas non plus songer à vouloir régler les conditions de apacité uniquement et spécialement pour ce qui touebait les obi gâtions prévues par le projet de loi ; le cercle en était trop vaste ; du reste, cette capacité spéciale devant nécessairement découler de la Feuille fédérale suisse. Année XXXI.

Vol III.

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capacité en général, comment aurait-on voulu régler l'une sans toucher à l'autre ?

Une.personne, incapable pour le reste, peut fort bien êtrecapable relativement à certains actes déterminés, tels que les.

dispositions testamentaires on autres, et vice versa ; mais de là vouloir isoler et soumettre à une loi spéciale la capacité en vue d'une catégorie d'actes aussi complexe que celle dont s'occupe le projet de loi, c'eût été faire violence à la nature des choses, scinder illogiquement la notion de la capacité civile, qui dans toutes ses applications n'a qu'une seule et même origine, aussi simple que naturelle.

C'est par ces motifs que le premier projet d'un concordat fédéral sur le droit des obligations, dû à la plume de Munzinger et qui parut en 1870, débutait par quelques dispositions sur la, capacité en général. L'auteur, qui précédemment, dans ses «Motifs du projet de code de commerce suisse », avait préconisé un expédient insuffisant, donna bientôt à son nouveau point de vue tout le développement nécessaire dans son «Etude sur le droit fédéral et la juridiction fédérale», publiée en 1871. Est-il besoin de rappeler que les conclusions de cotte brochure , quant à l'extension de la compétence fédérale en matière de droit , ont en grande partie trouvé leur réalisation par la Constitution de 1874?

Notre Constitution actuelle tend, en effet, à donner .un caractère uniforme à la législation, du moins quant aux objets mobiliers et aux transactions qui s'y rattachent ; son but et d'unifier les parties du droit civil et de la procédure civile qui ont le plus d'importance pour les rapports de nature commerciale et intéressent la Suisse entière. Aussi, dans son art. 64, attribue-t-elle à la Confédération la législation «sur la capacité civile» et «sur toutes les matières du droit se rapportant au commerce et aux transactions mobilières ».

La Commission et ses premiers rédacteurs s'inspirèrent, au début, des principes qui avaient présidé à l'élaboration du projet de concordat déjà mentionné : ils essayèrent de combiner et de réunir en une seule loi les deux matières : la capacité civile prenait place dans ce système comme condition primordiale de la validité d'un contrat, et elle passait ainsi à la tête du projet de loi.

Mais pins tard, au cours des délibérations, on put se convaincre qu'il serait
plus rationnel et plus pratique en môme temps de consacrer une loi spéciale à la première de ces matières. Ce qui milite en faveur de cette idée, c'est que le premier alinéa de l'art.

821 64 traite de la capacité civile en termes généraux et indépendamment des limites tracées dans le second alinéa; d'où nous concluons que la capacité civile ne duit pas Stre unifiée pour les transactions mobilières seulement, mais bien pour tout le domaine du droit civil.

En donnant ainsi aux dispositions à décréter une portée plus vaste, il est indispensable d'en modifier la classification et de leur assigner la place qui leur est due dans l'ensemble des lois. Si on les laissait dans le cadre du code des obligations, on ne pourrait les rendre applicables que fort indirectement aux transactions qui demeurent en dehors de ce code, telles que l'aliénation d'immeubles, les hypothèques, les conventions matrimoniales, les contrats relatifs aux successions. Ces difficultés disparaissent dès que la capacité civile est réglée par une loi distincte. Il est bien entendu toutefois que cette séparation quant à la forme extérieure n'empêche pas une affinité très-intime d'exister entre les deux lois, dont les dispositions se soutiennent et se complètent mutuellement.

En conséquence, et bien que le texte définitif du présent projet de loi ait ère fixé par une Commission spéciale, on n'en a pas moins suivi pour les deux lois le même mode de procéder, tel qu'il a été exposé précédemment clans notre message touchant le projet de loi fédérale sur les obligations et le droit commercial. C'est ce qui a eu lieu notamment pour la rédaction simultanée du texte allemand et du texte · français. De même, la discussion ultérieure sera commune pour les deux projets.

Une fois familiarisé avec l'idée d'élaborer une loi à part sur la capacité civile eu général, il fallait se rendre un compte bien exact de ce que comportait un travail de ce genre.

Si claire et si faite a concevoir que paraisse à première vue la notion de la capacité civile .(persönliche Handlungsfähigkeit), elle n'en fournit par moins matière à contestation dès qu'il s'agit d'énumérer et de préciser tout ce qu'elle renferme. La difficulté n'en est que plus grande, si l'on a également recours au texte français de l'art. 64, alinéa 1er (capacité civile), qui est loin de reproduire exactement l'expression allemande. Dans les deux textes on prévoit une qualité juridique des personnes, une propriété de l'individu, basée plus ou moins directement sur l'ordre
naturel et reconnue expressément par le droit positif, propriété grâce à laquelle l'homme devient personne dans le sens juridique du mot et peut acquérir des droits.

Mais l'expression allemande ne comprend que le côté actif de cette qualité individuelle, c'est-à-dire la capacité de se créer, de

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son propre chef, des droits et des obligations, d'agir spontanément et sans intermédiaire; l'expression française, au contraire, embrasse dans son ensemble la faculté d'être personne au point de v ue du droit, c'est-à-dire qu'elle comprend les conditions moyennant lesquelles tout individu pent être appelé à bénéficier des lois, notamment quant à la capacité d'acquérir des droits ; elle ne fait, sous ce rapport, aucune distinction entre l'acquisition découlant d'un acte personnel et cello qui a lieu d'une manière passive, sans manifestation de volonté. En d'autres termes, l'expression française comprend également ce que la jurisprudence allemande a désigné par »Rechtsfähigkeit» (jouissance di s droits civils) ; la terminologie allemande établit une différend! entre ,,Rechtsfähigkeit" et ,,Handlungsfähigkeit", et le texte allemand de la Constitution ne-se réfère qu'à la seconde de ces deux qualités. Pour le rendre exactement en français, il faudrait avoir recours à une circonlocution et dire « capacité d'agir (personnellement) ».

Le présent projpt a pris pour point de départ l'expression allemande. Il était difficile d'admettre que la Constitution, en employant, le terme français dont il n'agit, eût voulu élargir et modifier le sens du terme allemand. Cela est d'autant moins probable quo, à défaut d'un mot absolument synonyme, on se sert très-souvent, en législation comme dans la pratique, de l'expression « capacité civile 3 dans le sens plus restreint Je «Handlungsfähigkeit». Dans tous les cas, le texte français pouvant être pris dans les deux sens, le texte allemand dans l'un des deux seulement, il fallait s'en tenir à ce qui leur était commun à tous d e u x ; le surplus, e'> est-à-dire la simple jouissance des droits civils indépendamment de leur exercice (Rechtsfähigkeit), demeurait horsde cause.. En cela, on ne faisait durestee que se conformer a l'art. 61, dont la tendance est d'unifier seulement la législation en matière commerciale et mobilière.

Quant aux personnes physiques, le fait qu'elles jouissent toutes également des droits civils est une règle universellement reconnue par toutes nos législations cantonales, à un tel point qu'il semblerait plutôt bizarre qu'utile de vouloir -- à l'instar de l'art. 8 du Code civilfrançaiss -- donner une nouvelle sanction légale à ce principe. Voudraitt-on
aller plus loin et ne pas se contenter d'une simple phrase, on se verrait obligé de légiférer sur l'ensemble des conditions dont dépend, en droit, la personnalité, sur les présomptions du vie et de mort, sur l'absence, bref sur une foule de matières à l'unification desquelles personne n'avait songé lors de la délibération sur l'art. 64.

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Au surplus, la jouissance des droits civils une comme règle, il serait indispensable de déterminer qu'elle comporte : un essai de ce genre aurait vite s'agit là d'une matière absolument en dehors de attribuée à la Confédération par l'art. 64.

fois sautionnée les exceptions démontré qu'il la compétence

Les exceptions dont est susceptible le principe de l'égale jouissance des droits civils ont, à vrai dire, pour une faible part seulement, leur source dans le droit ci/il proprement dit. De deux choses l'une : ou bien nons ayons affaire à des considérations de droit public qui ont provoqué certaines restrictions, comme par exemple l'exclusion des étrangers de l'acquisition d'immeubles, ou bien c'est à l'égard de certaines institutions d'un caractère mixte, moitié public, moitié privé, que ces restrictions sont introduites. Ainsi, eu maints endroits, les femmes sont exclues du pouvoir tutélaire, de même que les hommes privés de leurs droits politiques le sont partout. L'exclusion de toutes ces matières qui touchent au au droit public ressort du reste clairement du texte français de notre art.

64, alinéa 1er: il n'y est question, en effet, que de capacité civile et non de capacité civique.

Enfin, il existe bien quelques cas épars du domaine purement civil, où la jouissance des droits civils se trouve restreinte ; mais, pour plusieurs d'entre enx, le projet de loi fédérale sur les obligations en a déjà fait justice, eu les abolissant (citons par exemple l'art. 499, qui implique l'abolition d'une singularité du droit argovien : l'incapacité absolue des femmes de se rendre caution). Pour les antres cas, ils concernent des matières absolument étrangères aux rapports commerciaux, aux transactions mobilières, telle que l'adoption, la recherche de la paternité (voir ci-après à l'art. 8). Il n'y a donc pas lieu de les enlever aux Ça .tons. Qo.ant à la capacité de contracter mariage, elle fait déjà, comme on le sait, l'objet d'une loi à paît, la loi fédérale concernant l'état civil et le mariage (voir ci-après à l'art. 9).

Telles sont les raisons matérielles qui justifient amplement, à nos yeux, le silence de la loi à l'égard de ce côté spécial de la capacité des personnes physiques, qui correspond à la « Rechtsfähigkeit » de la jurisprudence allemande. Ce côté là reste, comme par le passé, du ressort de la législation cantonale, à moins qu'il ne soit déjà du domaine du droit fédéral ensuite de la Constitution, de la loi sur le mariage, des traités, etc.

On aurait été plutôt tonte d'ontre-passer les limites à l'égard

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dés personnes morales. Au point de vue de la capacité dans le sens allemand (capacité d'agir), tout ce qu'une loi pourrait dire c'est que la capacité d'agir personnellement leur fait défaut, vérité incontestée dont renonciation serait fort superflue. Ce sont des personnes fictives et non des êtres doués de raison et de volonté ; elles ne peuvent agir que par l'entremise de leurs repiésentants. Ce qui forme une question d'un haut intérêt pratique, c'est leur existence juridique même, la question de savoir à quelles conditions elles peuvent, quoique fictives, être considérées en droit comme de vraies personnes, des êtres participant aux droits civils.

Nul doute que le commerce et les transactions en général ne soient éminemment intéressés à la solution de cette question; nul doute aussi qu'il n'eût suffi de se baser sur le sens plus large du texte français, pour la faire rentrer dans le prosent projet. S'il n'en est rien cependant, c'est que le projet de loi sur les obligations et le droit commercial a déjà fait le nécessaire. Il traite à fond des conditions et des effets de la personnalité juridique pour tout ce qui concerne les transactions et ne relève pas du droit public ( voir les art. 69, 123, 633, 691, 729 et suivants du projet).

Ainsi le but de notre loi est uniquement de régler uniformément la capacité civile dans son sens le plus strict à'indépendance juridique découlant de certains faits de nature personnelle. Le domaine de la loi est même plus restreint encore ; parmi ces faits, elle ne traite que ceux qui constituent une qualité individuelle et qui sont inhérents à la personne même ; quant aux circonstances fortuites et accidentelles qui peuvent dans certains cas entraver la libre capacité de telle ou telle personne, la loi est généralement muette. Elle laisse la soin de les régler à la législation, qui, dans chaque cas spécial, traite précisément de la matière à laquelle se rattache le fait dont la portée juridique est d'impliquer nue restriction ou diminution de capacité. Du reste, les restrictions de ce genre varient fort, quant à leur étendue et quant à leurs effets, selon la nature de leur origine. Souvent il n'y a là qu'une impossibilité de faire certains actes, de disposer de certains biens, par exemple des biens grevés par des droits de tiers ( verfangenes Gut). -Dans d'autres
cas, la restriction de capacité est si générale qu'elle diffère peu extérieurement de l'incapacité complète. L'état de dépendance dans lequel presque toutes nos lois cantonales relèguent la femme mariée est sans contredit l'exemple le plus absolu d'une telle restriction. D'une autre côté, la faculté du mari de disposer librement est limitée sous bien des rapports par égard à la femme.

Dans ces deux cas, la restriction n'est pas due à des qualités inhérentes à l'individu; elle est l'effet de l'union conjugale ; elle ne peut par conséquent

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'être réglée que de conoert avec le droit matrimonial tout entier.

Il en est de même pour les barrières multiples auxquelles vient se heurter la liberté du débiteur qui est sous le coup de poursuites ou de celui dont la faillite est déclarée, barrières qui sont établies en vue des engagements existants et pour la sauvegarde des créanciers. Toutes les dispositions légales sur cette vaste matière ont ·été absolument écartées de notre projet : leur place est autre part.

Enfin, le projet a également écarté tous les cas isolés de restriction de capacité dont la source est dans le droit public, dans les lois ·de police par exemple.

Nous nous sommes efforcés d'établir, jusqu'à présent, dans quelle ^acception du terme la « capacité civile » forme la base de notre projet de loi. Le point important est maintenant de rechercher dans quel sens et dans quelle mesure il y avait une loi à faire sur la capacité ainsi définie. L'art. 64, alinéa 1er, de la Constitution, en parlant simplement de la législation ;, sur " la capacité civile, ne laisse'pas d'être obscur à cet égard. Entend-il dire par là que ce sont les conditions de la capacité qui doivent être unifiées ? ou aussi les effets que doivent produire la capacité et le défaut de capacité? ou veut-il enfin s'étendre jusqu'à l'unification de toutes les dispositions dont le but est de combler le défaut
Comme on le voit, une latitude considérable est laissée à l'appréciation, et il est évident que, selon le parti que l'on choisirait, la loi prendrait une importance et des proportions plus ou moins grandes ; si nous adoptions l'interprétation mentionnée en dernier lieu, elle arriverait à absorber une partie notable du droit civil.

Pour Eester dans le vrai, il est nécessaire de e reporter au but primitif, déjà rappelé, qui a inspiré l'art. 64. La compétence ·dont cet article investit la Confédération a pour but l'unification du droit quant aux transactions. Par conséquent, ce qu'il importe de régler en matière de capacité civile, ce sont tous les points qui ont quelque importance en vue d'une législation uniforme sur les transactions commerciales.

C'est là spécialement le cas d'abord pour le conditions de la ·capacité. Incontestablement,
le commerce a un intérêt tont particulier à ce qu'il existe des signes uniformes et certains auxquels on puisse reconnaître si les personnes qui font des affaires peuvent, de lerntet', engager leur responsabilité, ou si elles sont astreintes à l'intervention d'un représentant. Le premier devoir de la loi est donc

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de déterminer d'une manière uniforme et complète les caractères constitutifs de cette distinction fondamentale. Pour atteindre ce but, le législateur doit également se laisser guider par les intérêts et les exigences du commerce en général ; il doit combiner habilement les intérêts individuels avec les exigences du commerce, c'est à-dire avec les droits des tiers, de telle façon qu'une collision, souvent inévitable, entre ces deux intérêts ne soit pastrop sensible ni aux uns ni aux autres. Les intérêts du commerce, de la libre circulation des biens, sont opposés aux exceptions, aux distinctions entre individus; l'intérêt particulier, au contraire, y trouvetantôt son compte et tantôt semble, quoique souvent à tort, en réclamer la suppression.

Le moyen de paroi- à ces contradictions, c'est d'établir les conditions de la capacité civile sur des bases aussi simples et naturelles que possible, c'est-à-dire sur les qualités essentiellement caractéristiques des personnes (telles que l'âge, l'état mental), en laissant de côté tontes les particularités qui ne se justifient pas par ellesmêmes. Tont en procédant do la sorte à une unification raisonnée, il nu faut cependant pas perdre de vue qu'il ne s'agit, dans la présente loi, que de la conciliation des intérêts du commerce avec ceux de l'individu, et qu'il n'est aucunement question de résoudre ici, au préjudice du droit cantonal, des problèmes dans lesquels les intérêts personnels sont seuls en jeu. L'art. 64 de la Constitution ne vent unifier que le droit qui régit les relations commerciales, les transactions mobilières ; si, par son alinéa 1er, il permet de toucher au droit des per onnes, ce n'est qu'en vue des intérêts commerciaux, et ce n'est nullement dans l'idée de garantir et de pincer sous la protection fédérale un droit imprescriptible à la capacité civile la.

plus étendue (comme c'est le cas dans l'art. 54 pour le droit au mariage).

Quels sont les effets que doit produire chacune de ces modalités ou qualités personnelles qui ont de l'influence sur la capacité civile ? Ici encore, il faut considérer l'intérêt du commerce et des transactions. Il ne peut être questioin, il est vrai -- et nous avons dit pourquoi -- d'une capacité particulière pour les affaires commerciales. De sa nature, la capacité doit être une qualité generale : celili à qui
elle est dévolue une fois pour toutes la possède et l'exerce dans toutes les circonstai e 'S où le droit civil donne à un acte une portée juridique.

Pour celui qui en est privé, ses actes sont inefficaces sans exception. Voilà la règle fondamentale. Mais de tout temps elle a dû subir des modifications. Ainsi nos droits cantonaux contiennent une grande variété d'états intermédiaires entre la capacité et l'incapacité, des restrictions partielles, des modifications par égard à la

827 nature spéciale de telle ou telle situation personnelle ovi de tel acte d'un genre particulier. Il ne petit entrer dans le cadre de cette loi d'aplanir toutes ces différences, de concilier toutes ces singularités. Sa seule tâche sera d'empêcher qu'elles n'empiètent outre mesure sur le domaine des transactions, de la circulation des biens mobiliers. Pour assurer la sécurité des rapports commerciaux, il suffit de régler, par quelques dispositions uniformes et aussi simples que possible, les qualités personnelles dont dépend la capacité.

En ce qui concerne les nuances intermédiaires entre la capacité ainsi réglée et l'incapacité, qui n'ont aucun rapport avec le commerce, elles pourront demeurer réservées à la législation cantonale (voir ci-après à l'art. 3, alinéa 2, et à l'art. 6, alinéa 2).

Enfin, le projet de loi ne s'occupe pas du tout des dispositions légales dont le but est de suppléer l'absence de capacité et de faire représenter les personnes incapables. Pour les personnes physiques, leur représentation est du ressort de la législation sur la puissance paternelle et le pouvoir tutélaire, matières qui sont en dehors de la compétence de la Confédération. Le projet de loi ne fait qu'établir les conditions dans lesquelles doit se trouver l'individu, soit pour être soumis au régime tutélaire établi dans son Canton, soit pour en être indépendant. Le projet s'eût surtout bien gardé de toucher à l'organisation proprement dite du régime tutélaire. Quelques dispositions isolées n'auraient fait que troubler l'harmonie des différents systèmes en vigueur ; quant à les remanier à fond, étant donnée la tendance générale de l'art. 64, c'eût été porter atteinte à l'autonomie cantonale.

Pour ce qui est des personnes juridiques, les voies et moyens à l'aide desquels elles peuvent exister et se mouvoir dépendent de leur organisation ; celle-ci doit être en rapport avec la nature de la personne juridique qu'elle est chargée de régir; elle sera donc déterminée, suivant les cas, soit par la loi sur les obligations et le droit commercial (voir les titres 20 et 21 du projet), soit par la législation autonome des Cantons, soit par le droit public. En tous cas, sa place n'est pas dans notre projet de loi.

Après tout ce que nous venons de dire, on comprendra aisément pourquoi le présent, projet, au lieu d'aspirer
à t r û t e r la matière à, fond, se borne à formuler quelques principes d'un intérêt général, laissant pour le surplus le champ libre aux législations cantonales. On s'est du reste efforcé de tracer partout, aussi distinctement que possible, la ligne de démarcation entre les deux législations, afip de faciliter l'application de la lui dans la pratique. On a omis par contre, ad essein, de toucher à la question de savoir à quel droit cantonal il fallait avoir recours. C'est

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là,, un point à régler par le projet de loi sur les rapports de droit civil des Suisses établis, projet qui doit rénliser les idées énoncées à l'art. 46 de la Constitution. Empiéter sur le domaine de cette loi, c'eût été en compromettre l'unité , en entraver le développement logique et indépendant.

Après nous être étendus sur les idées générales dont s'est inspiré le projet de loi, nous pouvons passer en revue et commenter d'autant plus rapidement les différents articles dont il se compose. Voici d'abord dans quel ordre la matière est classée.

De tous les faits capables d'influencer, de déterminer la capacité civile, l'âge est sans contredit le plus important, le plus décisif.

Tout individu, sans exception aucune, subit l'influence que l'âge exerce sur le développement intellectuel, sur la volonté, et par conséquent sur la faculté d'agir d'une façon indépendante au point de vue du droit. Au fond, cette indépendance juridique devrait, dans chaque cas, former l'objet d'un examen spécial (et c'est en effet ainsi que procédait l'ancien droit romain). Mais toutes les législations modernes ont préféré établir une moyenne d'âge, autant que possible en rapport avec la nature, laquelle sépare la capacité civile plus ou moins restreinte de la capacité d'ordinaire illimitée, la minorité de la majorité.

La première partie du projet règle cette distinction essentielle et ses effets au point de vue de la capacité (art. l à 8). La seconde partie énumère les autres raisons pour lesquelles la capacité peut être modifiée, notamment à l'égard des majeurs, pour qui l'âge n'est plus un empêchement. Enfin, les derniers articles (9 à 13) tracent les limites de l'application de la loi.

Voici du reste pour chaque article les motifs qui nous ont suidés.

0 Art. 1er. D'après ce qui précède, on devait avant tout fixer l'âge de la majorité. Il n'y a guère de point où les législations cantonales actuelles soient moins d'accord que sur ce ui-là, et pourtant on chercherait vainement, dans les différences de. moeurs ou de race, des raisons sérieuses pour justifier ces divergences.

La limite d'âge, considérablement réduite dans l'origine partout où prédominait le droit germanique*), fut élevée plus tard généralement jusqu'à 23 ou 24 ans**), à mesure que les relations *) Voir StoVbe, deutsches Priyatrecht, I, page 241 et suiv. --
Pour la .Suisse en particulier: BlunfrcliU, Zürcher Rechtsgeschichte, 1, page 110; II, page 204; Blumer, Eechtsgeschichte, I, page 504; Segesser, Eechtsgeschichte, II, page 433 et suiv.

**) Leu, eidgenössisches Stadt- und Landrecht, I, page 67 et suiv.

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devinrent pins compliquées et que l'influence plus on moins directe du droit romain s'accentua. Enfin, dans les derniers temps, plusieurs Cantons ont de nouveau abaissé la limite. L'examen comparatif des législations cantonales actuelles donne le résultat suivant : La majorité est fixée à 26 ans révolus: Appenzell-Rhodes intérieures, pour les femmes (loi tutélaire de 1856, art. 20): 1 demi-Canton, avec la moitié de 11,914 habitants.

24 » » Unterwalden-le-Bas (Code des personnes de 1852, § 22); Glaris (Code des personnes de 1870, § 245); Argovie (Code civil, § 28): 2'/2 Cantons, 245,724 habitants.

23 » » Berne (Code civil, art. 165 et 298); Saint-Gall (loi sur les successions de 1808 , introduction, art. 6); Vaud (Code civil, art. 211): 3 Cantons, 929,180 habitants.

22 » » Appenzell - Rhodes intérieures, pour les hommes (loi tutélaire, art. 20); Schwyz, pour les femmes (loi tutélaire de 1851, § 80) : l'/2 Canton, la moitié de 59,614 habitants.

21 » » Genève (Code civil, art. 388); Mie-Ville (loi du 16 octobre 1876): l'/2 Canton, 138,000 habitants.

20 » » Lucerne (loi tutélaire de 1871, § 58); Uri (droit coutumier ; voir Lardy, législations civiles, 2e édition, page 300); Schwyz, pour les hommes (loi tutélaire, § 80); . Unterwalden-le-Haut (loi tutélaire de 1864, § 43) ; Soleure, (loi du 16 décembre 1848); Fribourg (Code civil, § 19); Bâle-Campagne (loi tutélaire de 1853, § 2); Schaffhouse (Constitution de 1876, art. 14) ; Appenzell-Rhodes extérieures (loi tutélaire de 1060, § 35); Thurgovic (Code des personnes, 1860, § 5); Tessin (t'ode civil, art. 109); Valais (loi du 23 mai 1877); Zurich (Constitution de 1869, art. 16) : 10% Cantons, 1,107,424 habitants (Schwyz compté pour moitié seulement).

19 » » Zoug (Code des personnes de 1861, § 116) ; Grisons (Code civil, § 16); Neuchâtel (Code civil, § 279): 3 Cantons, 210,059 habitants.

11 suffit de jeter un coup d'oeil sur le tableau ci-dessus pour se convaincre que tout y est pour ainsi dire l'oeuvre du

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hasard et de l'arbitraire. Nous rencontrons en effet, sous la môme rubrique, «les Cantons dont les conditions économiques sont entièrement différentes. Au surplus, bon nombre dt's dispositions en question datent d'une époque assez rapprochée. Il ne faut point hésiter à prendre à leur égard, dans l'intérêt commun, une mesure radicale. Tout plaide ici en faveur de l'unification, qui doit définitivement couper court aux conflits.

Quant au choix à faire entre les différents âges, il n'y eu a guère que deux qui puissent venir sérieusement en ligne de compte, la vingt-unième et la vingtième année. Adopter un âge plus avancé, ce serait trop demander aux Cantons dont la limite est plus basse ; l'âge de 19 ans, admis seulement par trois Cantons, ne convient certainement pas à la moyenne de notre population.

Pour la moitié des Cantons et la moitié environ de la population, la majorité actuelle est fixée à vingt ans, en conformité de l'art. 27, alinéa 2, de la loi fédérale concernant l'état civil et le mariage, lequel fait dépendre de cet âge la libre faculté de se marier; conformément aussi aux art. 74 de la Constitution et 1er de la loi sur l'organisation militaire, qui en font autant pour les droits civiques et l'obligation du service militaire.

Malgré cela, nous avons préféré choisir l'âge de 21 ans, qui est appuyé du vote unanime de la Commission consultative. D'abord, cette limite tient mieux le milieu entre les deux extrêmes; la population est à pou près partagée en parties égalas entre les systèmes qui placent la majorité au-dessous de 21 ans et ceux qui la placent an-dessus de cette moyenne. Le changement e.4 moins sensible au groupe considérable des Cantons qui ont 24 et 28 ans, que s'ils se rendaient à la merci de la majorité des Cantons formée par les deux premiers degrés , d'autant plus que, parmi ces derniers , les Cantons de Schwyz, Uri, Appenzell-Rhodes extérieures, Valais et Grisons (les 4 derniers à cause de la curatelle des femmes) ne viennent en ligne de compte que quant à leur population mâle. L'âge que nous avons choisi semble tenir la balance égale entre les extrêmes et répartir d'une façon équitable les concessions qu'ils doivent se faire mutuellement.

Mais, au-dessus et en dehors de toute considération de politique intérieure, le choix de 2l ans offre des avantages très-positifs
pour les rapports avec l'étranger, et il a le mérite de nous épargner à l'avenir bien des embarras produits par les conflits internationaux. Partout où le droit français ou le droit anglais est en vigueur , l'âge de 21 ans se trouve adopté depuis longtemps ;

831 il en est de môme en Italie, en Belgique, etc. L'Allemagne l'a également introduit dans l'Empire entier, par la loi du 17 février 1875. L'Autriche-Hongrie seule a maintenu l'âge de 24 ans. La législation suisse ne peut perdre une aussi belle occasion de se conformer au système qui régit pour ainsi dire l'Europe entière. Aucune particularité notable dans nos moeurs, dans notre état économique ou intellectuel ne s'y oppose. Quant à la différence d'âge qui existera entre la majorité civile et la majorité politique, bon nombre de Cantons n'y ont vu jusqu'ici aucun inconvénient ; dans des cas exceptionnels, il est toujours loisible de remédier aux difficultés par l'émancipation (art. 2). Le recrutement militaire et l'école de recrues n'ont certainement rien de commun avec le capacité. Enfin, quant à la différence entre l'âge do la majorité et le terme fixé par la loi fédérale concernant le mariage, il en sera question plus bas, à l'art. 9.

Tout en fixant la majorité, l'art, 1er supprime toutes les restrictions de capacité des personnes du sexe féminin quiexistentenn* ore .dune certains cantons.s. L'âge de la nui j urite sera dorénavant le même et produira les mêmes effets pour les deux sexes. Actuellement, la tutelle des femmes majeures non mariésubsiste-te encore dans les Cantons d'Uri et d'Appenzell-Rhodes extérieures; une curatelle, moins sévèrdans
Plus sont fréquents les cas où une femme indépendante exerce, comme marchande, une industrie on nu commerce à elle , plus la sûreté juridique des rapports commerciaux doit souffrir des lois exceptionnelles de tel Canton , lesquelles , en exigeant le consentement du tuteur ou curateur pour validitéité juridique, de la gestion de la femme, permettent à celle-ci de debarbai russer à bon compte des obligations contractées de fait sans ce consentement
(général ou spécial) Un pareil état de choses est d'autant plus dangenux pour le commerce, qu'il ne forme qu'une exception isolée et souvent oubliée, au milieu des Cantons bien plus nombreux ,qni reconnaissent pleinement la capacité de la femme.

Dira-t-on que les Cantons en question ont une situation économique, des moeurs à part? Ce n'est pas soutenable, pas plus que pour la majorité. Ajoutons que, dans les derniers temps,

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toute une série de Cantons ont aboli de leur plein gré la tutelle des femmes (Berne en 1847 , Schwyz 1851, Schafifhou.se et Glaris dans leurs Codes civils, Vaud 1873, Baie-Ville 1876, Bàie-Campagne 1879). D'autres l'avaient déjà supprimée il y a longtemps.

Ce n'est donc point un principe respectable et fortement enraciné que nous sacrifions à l'unification , mais une singularité vieillie, ne répondant pas à l'état de choses actuel. Les cas d'interdiction réservés à l'art. 5, notamment la faculté de soumission volontaire à la tutelle, doivent pleinement suffire aux besoins légitimes. Enfin. si l'on a décrété l'égalité absolue des deux sexes, on a eu soin de ne pas abaisser outre mesure l'âge de la majorité.

Cette égalité n'existe, du reste, qu'en faveur des femmes non mariées ; quant aux femmes mariées, il en sera parlé ci-après, à l'art. 7.

En troisième lieu, l'art. 1er a sanctionné un principe reconnu par la grande majorité des législations cantonales -- toutes sauf Appenzell, les deux Unterwaldeu et le Valais -- à savoir que les effets de la minorité cessent totalement et spontanément avec le mariage, en un mot, que le mariage émancipé de plein droit. Ce principe n'a pins besoin d'être justifié, puisqu'il est généralement admis ; par contre, aucun motif spécial de nature locale ne plaide en faveur des exceptions. La question n'a d'ailleurs que peu d'importance pratique: une fille mineure, en se mariant), ne fait d'ordinaire que changer de tutelle, et son mari prend la place du tuteur (art. 7). L'émancipation ne lui profite que si l'union conjugale vient à être dissoute avant sa majorité normale. Le projet dit à dessein que le mariage rend majeur, pour exclure l'idée d'un retour en pareil cas à l'ancienne incapacité. -- Quant à l'homme, l'âge où il devient capable de contracter mariage est'déjà plus rapproché de l'âge normal de la majorité. Qu'il soit émancipé par le mariage ou par la majorité, la différence n'est pas grande ; il est vrai que les Cantons que nous venons de mentionner ne sont pas non plus entièrement familiarisés avec l'idée que la majorité émancipe (voir plus bas art. 7).

Art. 2. La plupart des Cantons -- tous sauf Uri, Unterwalden-le-Haut, Zoug, Baie-Campagne, les Grisons et le Tessin (ce dernier n'émancipant que les enfants sous puissance paternelle) -- permettent de déclarer
un individu capable avant l'âge légal, pour des raisons particulières (Venia oetatis, Jahrgebung; le droit français a confondu la «Venia oetatis» avec l'«emaucipatio» des Romains, d'où le nom d'«émancipation»). 11 faut convenir que cette institution porte atteinte à l'uniformité du système , mais des raisons sérieuses en réclament le maintien dans l'intérêt dus personnes et des familles.

Ce maintien devait être déclaré formellement : le silence de la loi

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à l'égard de l'émancipation, vu la teneur de l'art. 1er, en eût impliqué la suppression. -- Pour les Cantons qui jusqu'ici ne possédaient pas l'émancipation, elle y est introduite par le présent projet. Cela était nécessaire, d'abord parce que, précisément dans ces Cantons-là, le besoin s'en fera sentir, une fois l'âge de la majorité reculé, puis afin d'empêcher des collisions fatales, par exemple en cas de changement de domicile d'un Canton à l'autre. Le projet ne fait qu'établir le principe; libre aux Cantons de lui donner, dans l'organisation de la famille et de la tutelle, l'application qu'ils estimeront convenable, ou de s'en tenir au statu quo.

L'autonomie cantonale n'est limitée par le projet que sur deux points : 1° Le projet fixe un minimum de 18 ans pour l'émancipation, tandis que certains Cantons ont une limite plus élevée (par exemple Berne 19, Argovie et Vaud 20 ans), d'autres plus bnsse (par exemple Neuchàtel 17 ans), et que plusieurs d'entre eux enfin laissent pleine liberté dans chaque cas spécial au jugement de l'autorité compétente (Zurich, Lucerne, Glaris, Baie-Ville, Soleure, Schaffhouse, St-Gall, Thurgovie, etcì). Cette disposition n'a pas grande importance, car il est rare que l'émancipation soit demandée avant 18 ans.

Il était cependant convenable de fixer une limite uniforme, ni trop élevée -- comme celles des Cantons mentionnés en premier lieu, dont la limite est trop rapprochée de la nouvelle majorité de 21 ans -- ni trop basse, pour empêcher les abus.

2° Pour que l'émancipation produise ses effets légaux, elle doit être prononcée par l'autorité compétente (aux termes des lois cantonales). Il existera ainsi -- et c'est là pour le commerce un avantage sensible -- une forme extérieure à laquelle on reconnaîtra ce qui est nécessaire pour la validité de l'émancipation et à partir de quel moment èlle devient efficace.

Il demeure réservé aux Cantons de donner à l'intervention de l'autorité la portée matérielle qui leur conviendra. Le projet n'entend donc nullement déroger aux législations cantonales qui permettent aux parents de décider souverainement de l'émancipation des enfants mineurs, comme le fait le droit français, en vigueur à Genève et imité sur ce point par plusieurs Cantons (Valais, Tessin, Argovie). L'assistance de l'autorité conservera dans ces Cantons son caractère purement formel; elle devient, il est vrai, de rigueur, et là où elle n'existait pas du tout (Argovie 211), on devra

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l'introduire. L'art. 2, alinéa 1er, n'implique pas davantage la suppression de l'initiative des parents prescrite par certains Cantons. Le projet n'exige qu'une chose: que l'émancipation soit formellement prononc ée par un acte spécial ; il abolit par conséquent toute émancipation de mineur immédiate et de plein droit, teile qu'elle est encore admise dans quelques Cantons comme conséquence implicite de certains faits (ainsi à Glaris pour celui qui est appuie à une fonction publique, dans le Valais pour celui qui est créé docteur).

Les effets de l'émancipation sont absolument les mêmes que ceux de la majorité. Aussi le texte allemand de l'art. 2 se sert-il de l'expression «déclaration de majorité» (Volljährigkeitserkl ärung) pour qualifier l'émancipation. Aucune réserve n'est faite dans l'alinéa 2 à l'égard du droit cantonal, quant aux effets de l'émancipation. Il en résulte que l'art. 2 abolit toutes les restrictions auxquelles la capacité des mineurs émancipés est encore sujette dans le droit français (imité sur ce point par le Valais seulement).

Nous avons déjà développé plus haut (page 6) pourquoi de pareilles restrictions ne pouvaient être maintenues.

Art. 3. Sons forme d'un simple renvoi , cet article dit tont ce qu'il convient de dire dans la présente loi, au sujet de l'influence que la minorité exerce sur la capacité civile. Un simple renvoi suffit, puisque -- en ce qui touche les contrats concernant les biens meubles -- la matière est déjà traitée in exten-o dans le projet de loi fédérale sur les obligations et le droit commercial (art. 37 à 40), où elle a sa place tout indiquée dans le système. Il suit de là d'abord quo les règles établies au Code des obligations en vue des transactions mobilières sont applicables à tous actes quelconques émanant de mineurs (ainsi aux contrats concernant les immeubles, les successions, le mariage), à moins toutefois que ces actes ne rentrent dans les réserves mentionnées à l'alinéa 2 de l'art. 3. -- En second lieu, le renvoi en question implique l'égalité absolue de tous les mineurs par rapport à la capacité. Dans le domaine de la minorité, * il ne peut plus y avoir de ces graduations de capacité plus ou moins restreinte, correspondant à tel ou tel âge, telles que certains Cantons en ont conservé jusqu'à ce jour, sous l'influence des distinctions ét
ablies par l'ancien droit germanique et le droit romain. Citons, par exemple, les Grisons avec leur capacité partielle à 17 ans (Mündigkeit, puberté). Il est suffisamment pourvu à tous les besoins par l'art. 40 du projet de loi sur les obligations, lequel permet au tuteur de donner son consentement eu bloc à toutes les affaires rentrant dans l'exercice

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d'une certaine profession. De cette façon, ce qui existe de fait existe aussi de droit, sans qu'il soit besoin de recourir à l'émancipation.

La distinction spéciale entre la minorité en général et l'enfance (l'âge au-dessous de 7 ans), distinction que certaines législations cantonales avaient empruntée au droit romain, se trouve pareillement éliminée. L'exclusion des enfants de la faculté de contracter même à titre gratuit -- disposition sans importance du reste -- n'est réellement justifiée qu'à l'égard de ceux à qui la conscience de leurs actes fait défaut. Dire dans quelle mesure cela est le cas, c'est une question de fait, à résoudre conformément à notre art. 4 et à l'art. 37 de la loi sur les obligations. -- Enfin, le renvoi aux art. 37 et suivants signifie aussi, pour le petit nombre de Cantons où elle est encore en vigueur (voir Code civil, 1395, etc.), l'abolition de la restitution pour cause de minorité.

Le but que poursuit l'art. 3 , dans sa première partie , peut être ainsi défini : Soumettre en général l'influence de la minorité sur la capacité à une règle uniform«, telle qu'elle se trouve établie et développée aux art. 37 et suivants de la loi sur les obligations. Ce principe est légèrement modifié par les réserves spéciales, mentionnées au 2me alinéa, en faveur du droit cantonal. Les actes à l'égard desquels elles sont établies n'ont, bien entendu, aucun rapport avec le commerce. Nous avons déjà indiqué plus haut (page 6) notre manière de voir au sujet de pareilles réserves.

La première concerne la capacité de tester : l'âge requis pour tester ne peut aisément être fixé qu'en rapport avec le droit des successions, car tout dépend ici de la mesure dans laquelle la loi admet en général le droit de disposer des biens. Les dispositions cantonales doivent donc être maintenues sur ce point, en supposant qu'el es fixent pour la capacité de tester un âge (d'ordinaire plus bas) différent de celui de la majorité.

Sont également réservés les droits que quelques législations cantonales attribuent aux mineurs à l'égard des personnes investies envers eux de l'autorité (paternelle ou tutélaire). Il existe des droits de ce genre notamment à l'égard des mineurs qui ont atteint la limite (entre 14 et 18 ans) que l'on désigne d'ordinaire par l'âge de la puberté (Mündigkeitsalter). Citons, par exemple,
le droit de choisir soi-même sa vocation ou sa confession (voir Const. féd., art. 49, alinéa 3), de donner son avis sur l'emploi de sa fortune, etc. Ce sont là des dispositions qui n'exercent aucune action au dehors, qui n'influencent en rien la Feuille fédérale suisse. Année XXXI.

Vol. III.

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validité des obligations contractées envers des tiers. Elles ne font que créer dos droits et des obligations de pupille à tuteur; leur place est par conséquent parmi les lois sur la famille et la, tutelle.

Il n'est fait à l'art. 3 aucune mention de l'obligation des mineurs de répondre de leurs délits. Le projet de loi sur les obligations (art. 63 et 66) contient à ce sujet les dispositions nécessaires au chapitre qui traite des obligations résultant d'actes illicites.

Art. 4. Cet article inaugure la série des dispositions qui établissant sons quelles conditions la capacité peut être restreinteindépendamment de l'âge, c'est-à-dire principalement à l'égard despersonnes majeures. Le projet admet comme règle générale que les personnes majeures aux termes des art. 1er et 2 jouissent de la capacité pleine et illimitée (art. 1er, alinéa 1er). Par égard pour la sûreté du commerce, les exceptions que comporte cette règle doivent être aussi peu nombreuses que possible et ne pas s'étendre plus loin que ne le réclament les besoins individuels les plus urgents.

Tout d'abord, il est de rigueur -- et l'idée même de la capacité l'exige -- d'excepter les individus privés de l'usage de leur raison. Q'ii n'a pas conscience de ses actes, que ce soit paisuite d'une aliénation mentale à l'état chronique (folie, imbécillité complète, etc.) ou par suite d'une affection passagère (évanouissement , sommuil, emportement poussé jusqu'à la démence , ivresse complète), celui-là ne peut prendre de décision volontaire ; il se meut machinalement, il est incapable d'«agir». Une personne qui se trouve dans un pareil état doit être déclarée absolument incapable, quel que soit son âge et quelle que soit la convention clans laquelle elle a figuré. Cette incapacité naturelle produit son effet iramédiatbment et de plein droit, sans déclaration ou iuteriliction préalable. En cas de. contestation , c'est au juge à apprécier. Il a donc paru superflu d'énumerer et de spécifier les différents cas qui peuvent se produire ; le projet s'est contenté d'en définir les traits caractéristiques, la base commune.

Nous avons déjà mentionné, à l'art. 3, que les enfants qui n'ont pas encore conscience de leurs actes sont (par l'art. 4) également mis hors d'état d'acquérir, faculté que l'art. 3 ne refuse pas aux mineurs capables de volonté.

Quant à
la responsabilité pour cause de délit, chez les personnes insensées, nous renvoyons aux art. 64 et 66 du projet de loi sur les obligations, qui complètent les dispositions de l'art. 4.

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Art. 5 et 6- Ces articles traitent des modifications que peut subir la capacité, sans qu'il y ait absence complète de volonté. Ces cas de capacité, restreinte, dissemblables en cela du cas prévu par l'article précèdent, ne se produisent pas d'une façon immédiate.

Ici, l'incapacité, pour sortir son plein et entier effet, doit être préalablement constatée juridiquement, par voie d'interdiction (Entmundi^ung).

L'interdiction est prononcée dans les cas d'affection mentale où la capacité d'agir, sans faire absolument défaut, est considérablement amoindrie , de sorte que l'intérêt de la personne même exige qu'il y soit suppléé juridiquement. Ces cas, tels qu'ils sont réunis dans l'art. 5, représentent assez fidèlement l'ensemble des causes pour lesquelles nos législations actuelles prononcent l'interdiction (totale ou partielle), c'est-à-dire la mise sous tutelle ou curatelle. La réserve faite dans notre projet se passe de justification.

Seulement, il est bien entendu qu'elle est limitative et qu'il n'y a plus d'interdiction possible pour d'autres causes que celles reconnues par l'art. 5. La liberté illimitée que certains Cantons (Sale-Ville, loi du 16 octobre 1876, art. 1er; J]erne, loi du 21 juillet 1864) laissent à l'autorité tntélaire supérieure sous ce rapport est abolie.

L'uniformité du droit et la liberté de contracter ne peuvent être entamées qu'en faveur des besoins individuels les plus évidents ; pour ces derniers, ils sont suffisamment sauvegardés par les 4 catégories que l'art. 5 laisse subsister. -- La curatelle pour cause A'absence n'a pas besoin d'être réservée, puisqu'elle n'a aucun effet sur la capacité.

Quant à la portée et à l'application à donner aux causes d'incapacité admises par la loi, c'est là un point que les art. 5 et 6 abandonnent en général aux législations cantonales.

Certaines limites sont néanmoins tracées à l'autonomie des Cantons, eu égard à l'uniformité désirable en tout ce qui touche le commerce. Elles concernent les points suivants : 1° Les conditions de l'incapacité. L'art. 5, chiffres 1 à 4, n'a pas la prétention de définir d'une façon très-précise les causes matérielles qui peuvent provoquer l'interdiction. Il se contente de les esquisser, pour ne pas froisser les traditions locales sans profit pour le tout, et afin de n'exercer aucune contrainte inutile. C'est
pourquoi il fait largement la part des divergences qui existent, principalement entre la Suisse allemande et la Suisse romande, relativement à la mise sous tutelle obligatoire. Les Cantons sont donc libres de faire de la latitude qui leur est laissée l'usage qui convient à

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leurs traditions. En ce qui concerne, par exemple, la soumission volontaire à la tutelle (art. 5, chiffre 3), ils ont le choix de la faire dépendre de certaines conditions essentielles ou de laisser pleine liberté à l'autorité compétente. -- Le numéro 4 n'entend tolérer l'interdiction d^s prisonniers qu'autant qu'elle est nécessaire dans la pratique ; elle ne doit pas prendre le caractère d'une peine, comme la privation des droits politiques, car l'incapacité d'un condamné mis en liberté nuirait bien plutôt aux tiers qui seraient en rapport avec lui.

Quant aux conditions de forme, à la procédure d'interdiction, le projet de loi attache une importance capitale -- toujours dans l'intérêt des relations commerciales -- à la publication régulière de l'interdiction prononcée. An point de vue de la sûreté des transactions, l'interdiction de personnes majeures a toujours lé caractère fâcheux d'une mesure exceptionnelle et embarrassante; il est donc indispensable d'avertir le public pour qu'il soit sur ses gardes. Afin de mieux assurer cette publication, le projet de loi l'a élevée au rang d'une condition essentielle pour l'efficacité juridique de l'interdiction. Est excepté naturellement le cas du numéro 4 de l'art. 5, où tout avertissement est superflu. La publication obligatoire n'a rien de nouveau, mais bien -- pour plusieurs Cantons -- l'importance que nous lui donnons. Il n'est guère possible aujourd'hui de préciser l'organe devant servir à la publication, tant que la loi sur les droits civils des personnes établies n'aura pas décidé définitivement quelles autorités sont compétentes pour prononcer l'interdiction, celles du domicile ou celles du Heu d'origine.

Le projet abandonne aux Cantons le soin d'organiser, comme bon leur semble, la procédure d'interdiction. Sur un point toutefois, on a dévié de la règle, généralement suivie, de ne pas toucher aux questions du droit des personnes et des tutelles , quand elles sont étrangères au commerce. Dans différents Cantons de la Suisse allemande (Lucerne, les deux Unterwalden, Schwyz, Glaris, Appenzell-Rhodes intérieures, Baie - Campagne , Grisons ), les autorités administratives prononcent encore aujourd'hui d'une manièro definitive la mise sous tutelle des prodigues. Sur les instances des représentants de la Suisse française dans la Commission, on a cru
devoir saisir l'occasion qui se présentait de donner partout à, la liberté individuelle une garantie uniforme, en assurant l'intervention des tribunaux , soit qu'ils prononcent a priori, soit qu'on ait au moins la faculté de les saisir d'un recours contre les décisions provisoires des autorités administratives (comme c'est le cas à Zurich, Berne, etc.). Les Cantons ci-dessus mentionnés auront

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donc, dès l'entrée en vigueur de la présente loi (art. 11), à introduire le recours judiciaire et à en régler la procédure.

Les Cantons sont libres de donner aa mot «prodigue» l'interprétation et la portée qui leur convient.

2° Les effets de l'incapacité. Pour déterminer les effets que produit l'interdiction sur la capacité, le projet de loi, adoptant en cela la mOme ligne de conduite qu'à l'égard des mineurs , se contente de renvoyer aux art. 37 à 40 du droit des obligations, qui définissent les actes juridiques dont sont exclues les personnes de capacité restreinte. Sous ce rapport, il est créé une règle simple et uniforme, sur laquelle le commerce peut se baser en toute confiance. Cependant, le projet omet à dessein de s'engager plus avant dans la question et d'énumérer les différents actes juridiques qui sont sous le coup de l'interdiction; il ne dit pas non plus jusqu'où porte, pour chaque cause d'interdiction, la privation d'indépendance.

Voici pourquoi : Certains Cantons ne font aucune différence entre les mineurs ou les majeurs sous tutelle (bevogtet) ; ils pourvoient ces derniers, comme les premiers, d'un tuteur , et ils leur enlèvent toute indépendance en affaires. D'autres Cantons ne vont pas aussi loin ; ils donnent simplement à l'interdit un curateur ou conseil judiciaire (Beistand) et ne le privent d'indépendance qu'à l'égard de certains actes juridiques de haute importance économique, tels que l'aliénation d'immeubles, le déplacement de capitaux , etc. (senaiiaterdict.ion). Dans d'autres Cantons, c'est du motif de l'interdiction, que dépend en droit l'étendue qui doit lui être donnée ; d'autres enfin laissent à l'autorité compétente toute latitude de choisir dans chaque cas spécial le mode convenable. Le projet maintient le statu quo avec ses divergences, produit des traditions locales, intimement lié à l'organisation de la tutelle dans son ensemble.

Aucun besoin urgent ne réclame, dans l'intérêt du commerce, l'abolition de ces inégalités. Il suffit que le public soit prévenu, par l'avis officiel, du danger qu'il court en entrant en relations avec l'inierdit. Les précautions à prendre seront indiquées dans la publication même, on abandonnée» au tiers qui contracte à ses risques et périls avec celui dont l'interdiction est publique. Enfin, la que:-tion de compétence entre le Canton
d'origine et crini d'établissement une fois vidée définitivement, tout conflit possible à ce sujet, «ntre les différentes législations sera écarté.

Art. 7. Nous avons déjà indiqué plus haut (page 6) pourquoi la sitnaiion légale de la femme mariée n'est pas du domaine de la présente loi. Cependant, «oinme la loi entend énumérer d'une

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manière complète toutes les causes pour lesquelles la capacité générale peut être restreinte, une réserve expresse à l'égard des fomm.es mariées était nécessaire. La situation de la femme marchande est la seule qui nous intéresse ici, à raison de son importance pour le commerce ; elle se trouve réglée à l'art. 41 du projet de loi sur les obligations, autant que possible en conformité des lois matrimoniales existantes. La double réserve faite à l'art. 7 est naturellement applicable aux femmes de faillis dont le mariage n'est pas dissous. Par contre , pour, les veuves et les femmes divorcées, c'est l'art. 1er qui fait règle, sans préjudice toutefois des modifications spéciales, ayant leur source dans les lois sur les successions et sur la famille, lesquelles peuvent restreindre la faculté de disposer de certains biens.

Le projet de loi ne fait aucune mention d'un autre cas analogue à celui de la femme mariée; nous voulons parler de la situation faite aux enfants sous puissance paternelle par les législations des Cantons qui ont maintenu l'ancienne coutume germanique de ne pas émanciper les enfants à leur majorité, mais seulement lorsqu'ils deviennent de fait indépendants de la maison paternelle (Lucerne, Gode civil, § 79; Unterwalden-le-Bas, droit des personnes, § 93 ; Glaris, du moins à l'égard des filles, § 223 b). Le maintien de la puissance paternelle après la majorité a pour conséquence de créer chez l'enfant majeur -- sans que ses qualités individuelles en soient affectées -- une incapacité partielle analogue à celle qui frappe la femme mariée. Tous les membres de la Commission sont tombés d'accord pour abolir cette incapacité ; mais, en présence des art. 1er et 8, il a paru superflu de l'exprimer formellement.

Art. 8. Le sens du principe énoncé au premier alinéa de cet article, principe ressortant, du reste, de toute la tendance de notre projet de loi, a été suffisamment expliqué. Les restrictions qui peuvent exister quant à la jouissance des droits proprement dite et quant à la faculté de disposer ne sont atteintes ni par la loi en général ni par l'art. 8 en particulier. Le sucond alinéa aurait donc pu être omis, sans que les dispositions des droits cantonaux quant à l'âge-(phis élevé) requis pour adopter en eussent, souffert. La faculté d'adoption (en dehors de la question de capacité)
fait partie de la jouissance des droits civils proprement dite («Rechtsfähigkeit»), que nous avons définie. S'il .est néanmoins fait une réserve expresse à cet égard, c'est afin de prévenir tout malentendu qui pourrait résulter de la ressemblance de l'adoption avec les contrats ordinaires, II serait donc absolument inexact de tirer du second alinéa de

841 l'art. 8, combiné avec le premier, la conclusion que cet article abolit tontes les antres dispositions cantonales ans termes desquelles un majeur est exclu de certains droits (par exemple les femmes, de la tutelle ; les femmes au-dessus d'un certain âge, de la» recherche en paternité,-etc.). Tont dépend ici de savoir à quel genre de restriction on a affaire; c'est là un point qu'il faut examiner préalablement, en s'inspirant des principes généraux que nous avons développés plus haut.

Art. 9. La réserve exprimée par cet article n'a pas précisément trait à la faculté de contracter mariage, telle qu'elle est réglée aux art. 27, alinéas 1er et 28, de la loi fédérale concernant le mariage. Notre loi, fidèle k sa tendance, n'entend pas toucher à cette matière. Ce qu'elle a en vue, c'est la capacité de contracter mariage sans autorisation préalable, capacité pour laquelle la loi en question exige l'âge de 20 ans révolus. La réserve expresse des dispositions de ladite loi, faite dans le but d'éviter tout malentendu, a une importance toute particulière, si notre proposition de fixer l'âge de majorité à 21 ans est adoptée. Ceci soit dit en supposant qu'il ne serait provisoirement rien changé au texte de la loi sur le mariage.

Hâtons-nous toutefois d'ajouter que la Commission consultative a exprimé à une grande majorité l'opinion que l'adoption du présent projet de loi, notamment de l'art. 1er, emportait logiquement la révision de l'art. 28, alinéa 2, de la loi sur le mariage , et rendait nécessaire un amendement à teneur duquel la capacité du contracter mariage serait reculée d'un an. Nous avons déjà dit pourquoi nous tenons à fixer l'âge de majorité à 21 ans ; mais, ce point une fois fixé, il s'agira de mettre le droit matrimonial en harmonie avec la présente loi. Le mariage est considéré comme l'acte juridique le plus important de toute la vie ; c'est sur lui que repose en entier l'organisation de la famille ; n'est-ce pas un contre-sens que de fixer pour la capacité au mariage un âge moins élevé que celui qui est exigé pour conclure n'importe quel contrat d'une portée purement pécuniaire ? Les grandes créations législatives des temps modernes, en France comme en Allemagne, ont tout au contraire, dans une juste appréciation de la portée morale de la question, reculé la capacité de contracter mariage ,
bien en arrière de l'âge de majorité. Mais, même abstraction faite de toute considération de ce genre, le maintien intégral de l'art. 27, alinéa 2 si^ énoncé, engendrerait directement, au point de vue pratique, des inconvénients sensibles. Le mineur âgé de 20 ans n'aurait qu'à se prévaloir de l'art. 1er, alinéa 2, pour obtenir de force l'ómancipution, par son mariage. Au surplus, comme les lois sur la capacité civile régissent aussi les conventions matrimoniales (quant

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aux biens), et que celles-ci ne sont autorisées dans la plupart des Cantons qu'avant la célébration du mariage, il en résulteraitqu'nn mineur pourrait se marier contre la volonté du père et du tuteur, tout en étant incapable d'être partie dans un contrat de mariage. -- Enfin , une fois que l'âge de majorité sera le même pour toute la Suisse -- et, nous le répétons, tout nous porte à le fixer à 21 ans -- les raisons pour lesquelles la capacité de contracter mariage a été fixée à 20ans auront bien perdu de leur valeur.

Art. 10. Il était indispensable de déterminer la portée territoriale de la présente loi. On a adopté à cet égard (art. 10, alinéas 1er et 2) le principe des nationalités, qui est aujourd'hui plus que jamais admis comme base dea relations internationales en matière do statut personnel. Ce mode de procéder au point de vue ·international n'empêche d'ailleurs nullement l'application du principe territorial aux rapports intercantonaux. Depuis que l'art. 46 de la Constitution est en vigueur, les rapports de Canton à Canton n'ont en effet plus rien d'international. Afin de couper court à tont ce que le système des nationalités , adopté en principe , pourrait avoir de dangereux pour le commerce dans son application , nous avons ajouté l'alinéa 3 ; l'idée qu'il exprime -- pour des raisons purement pratiques -- a pénétré dans plusieurs législations modernes (Code prussien, introduction, § 35; Zurich, Code civil, § 2, alinéa 2). Aux termes de notre article, la capacité de s'obliger, pour un ressortissant étranger résidant en Suisse -- ne serait-ce que passagèrement -- et y faisant des affaires, est réglée, quant aux obligations résultant du ce commerce , par la présente loi, si elle offre plus d'avantages au contractant suisse que la loi du pays d'où l'étranger est originaire. Pour tontes les autres matières traitées dans la présente loi (par exemple l'émancipation, l'interdiction), de mPrne que pour les affaires contractées par correspondance entre la Suisse et l'étranger, le ressortissant étranger reste soumis à la loi de son pays. Il va sans dire qu'un des avantages les plus importants de l'âge de majorité, tel que nous proposons de le fixer, est précisément d'éviter dans une grande mesure ces conflits entre les lois de différentes nations.

Art. 11 et 12. Le projet n'entre pas dans le détail
des règles que la jurisprudence et la pratique ont établies quant à l'influence d'une loi nouvelle sur l'état, de choses existant. Il se contente de donner quelques indications sommaires. L'entrée en vigueur de la loi n'a naturellement aucune portée sur ce qui est

843 déjà un fait accompli; elle ne peut, par exemple, annuler la majorité acquise, à 20 ou 19 ans, en conformité du droit cantonal.

Art. 13. Dans cet article, on a simplement statué que la loi sera directement applicable dans tout le pays, sans loi transitoire.

Il sera prudent toutefois, lorsqu'on arrêtera le texte définitif, de fixer un certain délai pour l'entrée en vigueur de la loi.

Les Ca'ntons auront ainsi le temps de préparer le terrain en prenant les mesures nécessaires, pur exemple pour l'exécution de l'art 5, chiffre 2.

Agréez, Monsieur le Président et Messieurs, l'assurance de notre hante considération.

Berne, le 7 novembre 1879.

Au nom du Conseil fédéral suisse, Le Président de la Confédération : HAMMER.

Le Chancelier de la Confédération.

SCHIESS.

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Projet.

Loi fédérale sur

la capacité civile.

L'ASSEMBLEE FÉDÉRALE de la C O N F É D É R A T I O N SUISSE décrète :

Art. 1er.

Pour jouir de la capacité civile, il faut être majeur.

La majorité est fixée pour les deux sexes, à vingt et un «ns accomplis; elle s'acquiert en outre par le mariage.

Art. 2.

Le mineur âgé de dix-huit ans révolus peut être émancipé. L'émancipation est prononcée par l'autorité compétente.

Le droit cantonal détermine, pour le surplus, les conditions et les formes de l'émancipation.

Art. 3.

Les actes juridiques faits par les mineurs produisent les effets que la loi fédérale sur les obligations et le droit commercial reconnaît aux contrats conclus par les mineurs en matière de meubles.

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En ce qui concerne la capacité de tester attribuée aux mineurs, ainsi que les droits des mineurs à l'égard des personnes investies do la puissance paternelle ou du pouvoir tutélaire, les dispositions des lois cantonales demeurent réservées.

Art. 4.

Sont absolument incapables les individus qui n'ont pas conscience de leurs actes et ceux qui ne possèdent pas, môme momentanément, l'usage de leur raison, tant qu'ils ne l'ont pas recouvré.

Art. 5.

Peuvent être privés, soit entièrement soit partiellement, de la capacité civile, en conformité du droit cantonal : 1. les personnes faibles d'esprit ou atteintes d'infirmités corporelles graves; 2. les prodigues, -- pourvu que l'autorité judiciaire prononce la mise sous tutelle ou curatelle ou que celui, qui est provisoirement l'objet de cette mesure ait le droit de recourir à l'autorité judiciaire; 3. les personnes qui se soumettent volontairement à la tutelle ou à la curatelle; 4. les individus condamnés à une peine emportant privation de la liberté, pendant la durée de cette peine.

Art. 6.

Les restrictions apportées à la capacité civile à teneur de l'article 5, numéros 1 à 3, ne sont opposables aux tiers de bonne foi qu'à partir du moment où elles ont été rendues publiques par avis inséré dans une feuille officielle du Canton.

1 Dès la publication de cet avis, les actes juridiques faits par les personnes dont la capacité est ainsi restreinte, en tant que la libre exécution de ces actes ne leur est pas ré-

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servée en vertu du droit cantonal, produisent les effets que la loi fédérale sur les obligations et le droit commercial reconnaît aux contrats conclus, en matière de meubles, par les personnes de capacitò restreinte.

Art. 7.

La capacité civile des femmes mariées, durant le mariage, est régie par le droit cantonal. Sont réservées, quant aux femmes commerçantes, les dispositions de la loi fédérale sur les obligations et le droit commercial.

Art. 8.

Toute restriction de la capacité civile des majeurs, pour d'autres causes que celles énoncées en la présente loi, est interdite.

Sans préjudice néanmoins des règles particulières du droit cantonal touchant la capacité en matière d'adoption.

Art. 9.

La capacité requise pour contracter mariage est déterminée par la loi fédérale sur l'état civil et le mariage.

Art. 10.

Les dispositions de la présente loi s'appliquent à tons les ressortissants suisses, qu'ils résident en Suisse ou à. l'étranger.

La capacité civile des étrangers est régie par le droit du pays auquel ils appartiennent.

Toutefois, l'étranger qui, d'après le droit suisse, posséderait la capacité civile, s'oblige valablement par les engagements qu'il contracte eu Suisse, lors même que cette capacité lui ferait défaut d'après le droit de son pays.

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Art. 11.

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur les obligations et lo droit commercial, le droit cantonal remplacera les dispositions des art. 3, 6 et 7.

Art. 12.

La capacité demeurera acquise aux personnes qui l'auront obtenue, d'après le droit cantonal, avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 13.

La présente loi entrera en vigueur le A partir de ce moment, toutes les dispositions contraires du droit cantonal seront abrogées.

Art. 14.

Le Conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi fédérale du 17 juin 1874 concernant la votation populaire sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier la présente loi.

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Message du Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant le projet de loi sur la capacité civile. (Du 7 novembre 1879.)

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06.12.1879

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