Gestion par les autorités fédérales de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye Rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats du 3 décembre 2010

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L'essentiel en bref L'objectif du présent rapport est d'analyser la gestion par les autorités fédérales de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye sous l'angle de la haute surveillance parlementaire.

Dans ce cadre, le mandat d'enquête de la Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-E) porte sur les trois thèmes principaux suivants: 1.

Conduite exercée par le Conseil fédéral et flux d'informations au sein du collège s'agissant du voyage de l'ancien président de la Confédération en Libye le 20 août 2009 et de la signature de l'accord entre la Suisse et la Libye le même jour;

2.

Conduite exercée par le Conseil fédéral et flux d'informations au sein du collège s'agissant de la planification d'opérations d'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye;

3.

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève.

Pour ce faire, la CdG-E a procédé à une analyse des documents pertinents et a auditionné les principales personnes concernées. Par ailleurs, la CdG-E a travaillé en étroite collaboration avec la Délégation des Commissions de gestion (DélCdG) sur ce dossier.

Après une courte introduction (chap. 1), la structure du rapport suit les principaux axes dans le temps: le chap. 2 est consacré à la période s'étendant de mi-juillet 2008 à juin 2009, le chap. 3 couvre celle de juin 2009 à fin août 2009, et le chap. 4 celle de fin août 2009 au 13 juin 2010. Les planifications d'opérations d'exfiltration sont traitées dans un chapitre séparé (chap. 5). Enfin, le chap. 6 présente les conclusions de la CdG-E.

Le présent résumé reprend pour l'essentiel la structure du rapport. Il a pour objectif de présenter de manière synthétique les conclusions principales auxquelles est parvenue la CdG-E à l'issue de ses travaux; la lecture de ce résumé ne saurait à l'évidence remplacer la lecture du rapport entier.

Ces conclusions principales sont les suivantes: Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève de juillet 2008 à juin 2009: ­

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Le 14 juillet 2008, c'est-à-dire un jour avant l'arrestation de l'un des fils du Guide de la Révolution libyenne et de son épouse (ci-après: couple K.) par la police genevoise, le Département des institutions de la République et canton de Genève contacte la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève (ci-après: Mission suisse), afin d'obtenir des informations sur le statut du couple K. La Mission suisse contacte à son tour les personnes compétentes de la Direction du droit international public du DFAE afin de clari-

fier ce statut. Les personnes compétentes de la Direction du droit international public arrivent à la conclusion que le couple K. ne bénéficie pas de l'immunité diplomatique. Toutefois, conscientes des possibles répercussions politiques d'une intervention de la police genevoise sur les relations bilatérales entre la Suisse et la Libye, elles décident de ne pas donner une réponse standard mais d'y ajouter une remarque destinée à sensibiliser les autorités genevoises à ces possibles conséquences. Avant de donner une réponse, elles consultent le secrétaire d'Etat adjoint du DFAE (domaine thématique); ce dernier est d'accord avec la réponse proposée. En revanche, il ne juge pas nécessaire d'informer la cheffe du DFAE.

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Pour la CdG-E, la réponse donnée par le DFAE à la Mission suisse à l'intention du Département des institutions de la République et canton de Genève n'était pas adéquate sous cette forme, bien qu'elle ait été tout à fait correcte sur le plan strictement juridique s'agissant de la question de l'immunité diplomatique. En effet, la problématique aurait dû être traitée aussi au niveau politique, et cela tant du côté de la Confédération que de celui de la République et canton de Genève. A l'avenir, il s'agit de garantir qu'au sein du DFAE, lors de constellations pareilles ou semblables, le ou la chef(fe) du DFAE en tant que responsable politique soit informé(e) à temps.

En effet, c'est en premier lieu au responsable politique qu'il incombe de mener la réflexion politique nécessaire et le cas échéant une discussion politique avec les autorités politiques du canton concerné. Cette tâche ne peut, au vu de sa nature politique, pas être déléguée de manière définitive ni aux services de la Direction du droit international public, qui sont chargés de répondre aux questions juridiques, ni aux collaborateurs responsables de la Direction politique.

Recommandation 1:

Information de la cheffe du DFAE

La CdG-E demande au DFAE de se doter, lors de constellations difficiles relatives à des immunités diplomatiques, de directives définissant dans quelle situation, quand et par qui le/la chef(fe) du DFAE doit être impérativement informé(e) et/ou consulté(e) afin qu'il (elle) puisse assumer sa responsabilité politique.

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Durant la première phase de la crise diplomatique (juillet 2008 à juin 2009), de nombreux contacts ont lieu entre les autorités fédérales et les autorités genevoises. Ces derniers sont toutefois de nature informelle.

Information et conduite du Conseil fédéral de juillet 2008 à juin 2009: ­

Durant la première période de la crise, le Conseil fédéral est tenu informé des développements du dossier essentiellement par le biais de notes d'information du DFAE ainsi que d'informations orales transmises par la cheffe du DFAE lors des séances du collège. Le Conseil fédéral ne mène pas de discussion approfondie sur ce sujet avant le 17 juin 2009 et ne prend pas non

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plus de décision formelle. Il s'ensuit que durant cette première phase la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye a été gérée exclusivement au niveau du DFAE et non du Conseil fédéral. Or, au vu de l'importance et de l'étendue de la crise bilatérale, la CdG-E considère que la conduite de ce dossier, et en particulier la définition de la stratégie à mener, aurait dû être assurée par le Conseil fédéral en tant que collège.

Recommandation 2:

Définition de la stratégie par le Conseil fédéral lors de crises importantes en matière de politique extérieure

La CdG-E demande au Conseil fédéral de veiller à ce qu'à l'avenir il définisse en tant que collège la stratégie à suivre (objectifs, moyens et si possible calendrier) lors de crises importantes en matière de politique extérieure.

Informations transmises au Conseil fédéral et conduite de ce dernier durant l'été 2009: ­

Lors de sa séance du 17 juin 2009, le Conseil fédéral n'a pas délivré de mandat formel à l'ancien président de la Confédération (ci-après: président de la Confédération 2009). En outre, la décision du Conseil fédéral du 17 juin 2009 ne fait aucune mention de l'octroi d'un tel mandat.

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Pour la commission, la question de savoir si le Conseil fédéral a délivré ou n'a pas délivré de mandat au président de la Confédération 2009 ou si, pour reprendre la terminologie employée par le Conseil fédéral, il a seulement délivré un «mandat informel», est secondaire. L'important pour la CdG-E est le constat selon lequel le Conseil fédéral n'a pas défini de manière précise le contenu et les limites d'un éventuel mandat au président de la Confédération 2009.

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Ainsi, le Conseil fédéral aurait au minimum dû se prononcer sur l'étendue et les limites des compétences octroyées au président de la Confédération 2009 ainsi que sur la répartition des compétences et les modalités de la collaboration et/ou du soutien du département jusque-là en charge du dossier, c'est-à-dire dans le cas d'espèce le DFAE. En particulier, le mandat aurait dû explicitement mentionner la possibilité pour le président de la Confédération 2009 de signer un accord avec la Libye au nom de la Confédération suisse sans consultation préalable du collège, si telle avait été la volonté du Conseil fédéral.

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Lors de la séance du Conseil fédéral du 19 août 2009, le président de la Confédération 2009 n'a pas informé le Conseil fédéral sur sa ferme intention de conclure et de signer un accord avec la Libye. De ce fait, le Conseil fédéral n'a pas été en mesure de se prononcer ni sur le contenu du projet d'accord en l'état du 19 août 2009 ni sur l'opportunité d'autoriser, le cas échéant, le président de la Confédération 2009 à signer un tel accord.

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Aux yeux de la CdG-E, il n'est pas admissible que le président de la Confédération 2009 n'ait pas informé le Conseil fédéral le 19 août 2009 au soir de sa décision de tout de même se rendre en Libye le lendemain alors qu'il venait de dire au collège lors de la séance du Conseil fédéral du jour même qu'il ne s'y rendrait pas.

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Pour la CdG-E, le président de la Confédération 2009 a clairement outrepassé ses compétences en signant un accord sans autorisation préalable du collège.

Collaboration entre l'ancien président de la Confédération et le DFAE durant l'été 2009: ­

Plusieurs problèmes importants se sont présentés durant l'été 2009 s'agissant de la collaboration entre le président de la Confédération 2009 et le DFAE, et réciproquement.

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La commission considère que le président de la Confédération 2009 a pris sans nécessité un risque politique considérable en décidant de partir à Tripoli sans avoir dans ses bagages un texte validé par la Direction du droit international public et/ou par la cheffe du DFAE.

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Par ailleurs, la CdG-E est d'avis que le refus de la cheffe du DFAE d'accéder à la demande du président de la Confédération 2009 de se faire accompagner par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) a inutilement nui à l'instauration d'une collaboration empreinte de confiance et de soutien mutuel entre les deux conseillers fédéraux et partant entre leurs départements respectifs.

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La commission constate en outre qu'en vue du voyage du 20 août 2009, la question de savoir qui devait tenir la cheffe du DFAE informée à quel moment de quels développements n'avait pas été réglée au préalable. Le résultat en a été que, dans les faits, personne n'a tenu la cheffe du DFAE informée avant la signature de l'accord.

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Le 21 août 2009, le président de la Confédération 2009 tient à Berne une conférence de presse. A l'issue de celle-ci, certains médias ont rapporté que des journalistes auraient reçu durant ladite conférence des «sms» provenant du DFAE. Il y aurait été précisé que la Direction du droit international public n'avait pas été consultée sur l'accord avant sa signature.

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S'agissant de ces «sms», la commission considère que, même si sur le fond il est exact que la Direction du droit international public n'avait pas été consultée sur le projet d'accord final ­ contrairement à ce que le président de la Confédération 2009 a plus ou moins explicitement laissé entendre lors de sa conférence de presse du 21 août 2009 ­ il est inacceptable qu'un tel «sms» ait été envoyé à certains journalistes alors que ladite conférence de presse était encore en cours.

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La CdG-E attend de l'ensemble des départements qu'ils se coordonnent en amont des conférences de presse sur le contenu de celles-ci, afin que de tels incidents ne se reproduisent pas à l'avenir.

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Bien que la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye représente à bien des égards un cas particulier, la question de fond du rôle de la présidence de la Confédération dans le domaine de la politique étrangère et partant de la collaboration entre la présidence et le DFAE voire un autre département en charge du dossier jouera un rôle de plus en plus important à l'avenir. Il convient dès lors de s'assurer que la présidence de la Confédération dispose d'un soutien adéquat et suffisant du DFAE et/ou du département en charge du dossier.

Recommandation 3:

Transmission d'un mandat à la présidence de la Confédération

La CdG-E recommande au Conseil fédéral de définir, au moment où il transmet un mandat à la présidence de la Confédération dans un domaine relevant jusque-là d'un autre département, les trois éléments suivants: ­

la répartition des compétences,

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les modalités de la collaboration et

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le renforcement du soutien à la présidence de la Confédération, en désignant les personnes détachées et en définissant le contenu et la durée de leur mandat.

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève durant l'été 2009: ­

A partir du moment où le président de la Confédération 2009 reprend le dossier, il n'y a plus de contacts entre les autorités fédérales et les autorités genevoises. Les autorités de la République et canton de Genève ne sont dès lors pas consultées sur le texte définitif qui sera signé le 20 août 2009.

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La CdG-E a pris connaissance de deux avis de droit aux conclusions différentes s'agissant de savoir s'il y a eu violation des droits de participation de la République et canton de Genève au sens de l'art. 55 de la Constitution fédérale lors de la signature de l'accord du 20 août 2009.

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Il n'appartient pas à la CdG-E de trancher entre ces différentes interprétations juridiques. La CdG-E constate que les divergences de vues portent sur des éléments fondamentaux touchant à la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons.

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Au vu de l'impact croissant des décisions prises au niveau international sur la politique intérieure suisse, il est nécessaire d'approfondir cette thématique en vue de déterminer s'il existe un besoin de préciser les modalités de coopération et/ou les bases légales existantes.

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En particulier, la question de savoir dans quelle situation il est possible pour la Confédération de déroger au principe général de consultation des cantons dans le but de conserver sa capacité d'action, ainsi que celle des limites matérielles de la compétence contractuelle de la Confédération en matière de politique extérieure, méritent un examen plus poussé.

Recommandation 4:

Participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération: examen des divergences entre les avis de droit

La CdG-E recommande au Conseil fédéral d'examiner, en étroite collaboration avec la Conférence des gouvernements cantonaux, les points de divergence entre les avis de droit existants et d'élaborer un rapport à l'intention des Commissions de politique extérieure. Ce rapport devra notamment déterminer s'il existe un besoin de précision des bases légales existantes et, le cas échéant, proposer les modifications nécessaires. Dans ce cadre, il convient de tenir compte de la capacité d'action de la Confédération dans des situations extraordinaires.

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève de fin août 2009 à juin 2010: ­

Des contacts informels ont à nouveau lieu entre le DFAE et les autorités de la République et canton de Genève entre fin 2009 et le 13 juin 2010.

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Sur la fréquence et le contenu exact de ces contacts, les déclarations du DFAE et des autorités genevoises varient toutefois fortement.

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Les divergences portent essentiellement sur la question de savoir si les autorités genevoises ont été tenues informées du contenu des négociations et en particulier des deux points centraux les concernant dans le plan d'action signé le 14 mai 2010, c'est-à-dire d'une part la réactivation de l'accord du 20 août 2009 et d'autre part les excuses portant sur la publication des photographies du fils du Guide de la Révolution libyenne prises durant son arrestation, ainsi que le paiement d'une compensation financière pour le cas où l'enquête pénale n'arriverait pas à identifier l'auteur de l'infraction au secret de fonction ayant conduit à la publication de ces photographies.

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La CdG-E considère que la situation actuelle, dans laquelle les déclarations des uns font face aux déclarations des autres, n'est pas satisfaisante. Cette situation révèle clairement que les autorités fédérales et les autorités genevoises, n'ayant pas défini au début de la crise des canaux de communication clairs, n'ont donc pas disposé de tels canaux lorsque cela aurait été nécessaire.

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Recommandation 5:

Convention définissant les modalités de collaboration en cas de crise

La CdG-E demande au Conseil fédéral d'examiner, conjointement avec les autorités de la République et canton de Genève, l'opportunité de régler, dans le cadre d'une convention, les modalités de collaboration, de communication et de décision ainsi que les interlocuteurs (personnes ou organes) en cas de crise.

Cette convention devrait aussi régler la question de la traçabilité des informations transmises.

Information et conduite du Conseil fédéral de fin août 2009 à juin 2010: ­

Il ressort tant des documents du Conseil fédéral que des déclarations des différentes personnes auditionnées que le Conseil fédéral s'est impliqué de manière croissante dans ce dossier après la signature de l'accord du 20 août 2009.

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Force est toutefois aussi de constater l'existence de problèmes non négligeables par rapport à l'étendue des informations transmises au Conseil fédéral en tant que collège. En effet, il ressort des procès-verbaux du Conseil fédéral que certains membres du collège ont relevé des lacunes dans l'information reçue et constaté que des corrections décidées par le collège n'avaient par la suite pas été effectuées par les départements concernés, ceci par exemple dans le cas des chronologies destinées aux commissions parlementaires.

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A partir de fin août 2009, la CdG-E constate qu'un climat de méfiance s'est installé au sein du collège. La CdG-E déplore cette situation, laquelle découle, du moins partiellement, du fait que la transmission du dossier au président de la Confédération 2009 n'avait pas été réglée en bonne et due forme par le Conseil fédéral le 17 juin 2009.

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En dépit des lacunes constatées, la CdG-E tient à souligner que durant cette période des points positifs sont également à relever s'agissant de la conduite du Conseil fédéral. Ainsi, le Conseil fédéral a mené plusieurs discussions approfondies et pris des décisions sur la stratégie à suivre. En outre, la mise en oeuvre de mesures restrictives dans le domaine des visas a nécessité une collaboration étroite entre plusieurs membres du collège; celle-ci semble avoir bien fonctionné.

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Recommandation 6:

Conditions sine qua non d'une conduite effective des affaires importantes par le Conseil fédéral

La CdG-E demande au Conseil fédéral qu'il veille à ce qu'à l'avenir les trois conditions suivantes soient remplies afin que le Conseil fédéral en tant que collège puisse assumer une conduite effective des affaires importantes: ­

information correcte et suffisante du collège par le(s) département(s) concerné(s);

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décisions formelles sur des questions telles que la transmission, entière ou partielle, d'un dossier, sur le mandat à remplir ainsi que sur sa durée;

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décisions formelles sur la répartition des compétences et les modalités de la collaboration lorsque plusieurs départements sont impliqués dans la gestion d'un dossier.

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Durant l'ensemble de la période examinée (juillet 2008 à juin 2010), ni la Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères ni la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité n'ont mis ce dossier à l'ordre du jour. La Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères n'a de surcroît jamais siégé durant cette période.

Recommandation 7:

Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères

La CdG-E demande au Conseil fédéral, lors du réexamen des délégations du Conseil fédéral prévu début 2011, de maintenir la Délégation des affaires étrangères et de définir clairement sa composition et son mandat.

Organisation de la gestion de crise de fin août 2009 à juin 2010: ­

La «Task Force LI-CH-T», organe interdépartemental institué le 26 août 2009 et placé sous la conduite du secrétaire d'Etat du DFAE, comprenait des représentants de cinq départements (DFAE, DFF, DFE, DFJP et DDPS).

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L'avantage de cet organe était que tous les départements concernés y étaient représentés et que tous les papiers soumis ensuite au Conseil fédéral avaient été discutés préalablement par les représentants de ces départements.

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La CdG-E juge également positif le fait que, de même que les groupes de travail ayant existé précédemment, la «Task Force LI-CH-T» ait documenté son travail par le biais de compte-rendus des nombreuses séances tenues.

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Certaines questions n'ont pas été approfondies dans le cadre du présent rapport, en particulier celle des flux d'informations entre les membres de la «Task Force LI-CH-T» et leurs chefs de département respectifs. Au vu des

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informations dont elle dispose, la CdG-E constate que pour les membres de la «Task Force LI-CH-T», il n'était semble-t-il pas toujours clair qu'il leur incombait d'informer leurs chefs de département respectifs des travaux en cours et/ou des informations importantes dont ils disposaient, parfois même avant le Conseil fédéral (par exemple en ce qui concerne l'enlèvement des deux ressortissants suisses mi-septembre 2009).

Recommandation 8:

Flux d'informations entre les membres d'un organe de crise interdépartemental et leurs chefs de département respectifs

La CdG-E demande au Conseil fédéral de prendre les mesures nécessaires afin qu'à l'avenir tout organe de crise interdépartemental règle dès le départ les flux d'informations entre ses membres et leurs chefs de département respectifs.

Planification de l'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye: ­

En vue de sa séance du 31 mars 2009, la DélCdG a invité les organes compétents du DDPS et du DFAE à l'informer au sujet du soutien apporté par le DDPS au DFAE pour sa gestion de la crise bilatérale entre la Suisse et la Libye. A cette occasion, la DélCdG a entendu parler pour la première fois de planifications et de préparations d'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye.

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Le caractère sensible de l'affaire, et le fait que la crise entre la Suisse et la Libye n'était pas résolue à ce moment-là, ont poussé la DélCdG à entreprendre ses investigations dans le plus grand secret et à se concentrer avant tout sur l'aspect de la conduite par le Conseil fédéral.

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S'agissant de l'affaire elle-même, la DélCdG a constaté que la cheffe du DFAE connaissait les efforts entrepris par son département en vue d'une exfiltration, mais qu'elle n'avait pas jugé nécessaire de s'occuper des détails.

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Lorsqu'à la fin de l'automne 2008, l'armée suisse a mis à disposition du DFAE des membres du détachement de reconnaissance de l'armée-10 (DRA-10), c'était en accord avec le chef du DDPS alors en fonction. Lors de la passation des pouvoirs fin 2008, l'ancien chef du DDPS n'a pas jugé nécessaire d'informer son successeur de l'appui fourni peu auparavant au DFAE par l'armée, puisque, selon l'état de ses connaissances, les activités qu'il avait approuvées avaient été suspendues.

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De son côté, le nouveau chef du DDPS a appris en janvier 2009 du secrétaire général du DDPS alors en fonction que ce dernier avait entendu, de la bouche même de l'ancien chef du département, qu'il avait été question d'une opération mais que celle-ci avait été abandonnée. Lorsque, plus tard dans le courant de l'année 2009, la dernière opération a été approuvée par le chef de l'armée, ce dernier en a discuté préalablement avec le chef du DDPS.

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Ni la cheffe du DFAE, en tant que département compétent dans le cas concret, ni les chefs du DDPS n'ont à l'époque jugé nécessaire d'informer le Conseil fédéral ­ et auparavant la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité ­ des activités déployées par leurs départements en vue d'une exfiltration des deux Suisses. Le Conseil fédéral n'a donc jamais pris de décision de principe en ce qui concerne une planification voire même une éventuelle exécution d'une exfiltration.

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S'agissant de l'information des autres membres du collège, le président de la Confédération 2008 avait été informé de manière fort rudimentaire par un représentant du DFAE qu'une exfiltration était planifiée. Quant au président de la Confédération 2009, il avait entendu parler par son prédécesseur, du moins à mots couverts, du fait que le DFAE préparait avec le soutien du DDPS une exfiltration des deux Suisses. Il n'avait toutefois pas entendu parler d'un soutien du DFAE par l'armée.

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Du point de vue de la DélCdG, il se pose moins la question de savoir dans quelle mesure exactement le président de la Confédération 2009 était informé que celle de l'implication du Conseil fédéral en tant que collège. En effet, l'art. 177 de la Constitution fédérale, qui règle le principe de l'autorité collégiale et de la division en départements, ne prévoit pas que le président de la Confédération puisse assumer la conduite et la responsabilité d'une affaire uniquement avec certains membres du collège sans qu'il y ait eu une décision correspondante préalable du Conseil fédéral. En ce qui concerne le président de la Confédération 2009 ainsi que la présidente de la Confédération 2010, il est évident que dans le cas d'une affaire aussi sensible ces deux personnes auraient dû en tout temps disposer des dernières informations, afin d'être en mesure d'assumer pleinement leur rôle au niveau bilatéral et international.

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Dans le cadre de son enquête, la DélCdG n'a trouvé aucune raison de douter, sur le fond, de la légalité d'un engagement du DRA-10 en vue d'une exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye. La DélCdG est d'avis qu'un Etat de droit moderne doit se donner les moyens nécessaires pour préparer des opérations de ce genre ainsi que pour pouvoir les mener à bien, le cas échéant avec le concours d'autres Etats.

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La DélCdG est toutefois parvenue à la conclusion que le DFAE et le DDPS n'ont pas associé le Conseil fédéral à la préparation des opérations comme l'ordonnance du 3 mai 2006 concernant l'engagement de la troupe pour la protection de personnes et de biens à l'étranger (OPPBE) le prescrit.

Nonobstant ce qui précède, au vu des risques que ce genre d'opérations représente sur le plan de la politique extérieure, la DélCdG est convaincue qu'il est indispensable que le Conseil fédéral, en sa qualité d'autorité directoriale et exécutive suprême (art. 174 Cst.), puisse assumer à temps sa tâche de conduite.

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Or, la façon dont ont procédé le DFAE et le DDPS n'a pas satisfait à cette exigence. C'est la cheffe du DFAE qui aurait dû, en premier lieu, adresser une demande au Conseil fédéral, en y associant le DDPS.

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Les opérations d'exfiltration amorcées par le DFAE sans mandat du Conseil fédéral ont excédé les compétences que l'ordonnance accorde au département responsable.

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En vue de futures opérations tombant dans le champ d'application de l'OPPBE, la DélCdG constate que celles-ci peuvent se recouper avec les activités de recherche d'informations des services de renseignement. Or, ces dernières sont régies par des dispositions légales différentes et ne nécessitent donc pas d'approbation du Conseil fédéral.

Recommandation 9:

Délimitation entre les engagements selon l'OPPBE et les compétences dévolues aux services de renseignement militaire et civil

La délégation recommande au Conseil fédéral de dresser un état des lieux afin, le cas échéant, de délimiter les engagements selon l'OPPBE et les compétences dévolues aux services de renseignement militaire et civil, ainsi que de clarifier au besoin les bases légales.

Recommandation 10:

Examen de l'implication et du rôle du Conseil fédéral, tels que définis dans l'OPPBE

Le Conseil fédéral est également invité à vérifier si l'implication et le rôle que l'OPPBE lui attribue aujourd'hui sont réglementés de façon opportune. La question se pose de savoir si le Conseil fédéral ne devrait pas décider également du déclenchement et de l'arrêt d'un engagement.

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En outre, le DFAE et le DDPS auraient dû ­ avant que le Conseil fédéral ne soit saisi du dossier ­ associer la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité (Délséc) à leurs travaux. Selon la DélCdG, ils en avaient parfaitement le temps.

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La Délséc est l'unique organe permanent du Conseil fédéral qui dispose d'une base légale propre et d'un mandat clairement défini. Ce n'est pas la première fois que la DélCdG constate que la Délséc n'est pas associée par les départements qui en font partie à des affaires interdépartementales qui touchent à la politique de sécurité. Cette situation soulève des questions fondamentales sur le fonctionnement, mais aussi sur la raison d'être de cet organe.

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Recommandation 11:

Examen du rôle, de l'importance et des tâches de la Délséc

La DélCdG recommande au Conseil fédéral de repenser de manière fondamentale le rôle, l'importance ainsi que les tâches de la Délséc, et soit de renforcer cet organe en conséquence, soit de lui assigner d'autres objectifs.

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La DélCdG doit en outre constater que le Conseil fédéral n'a pas été en mesure de garantir le secret nécessaire. A l'occasion de son entretien du 21 juin 2010 avec le Conseil fédéral, elle a fait part à ce dernier de sa préoccupation profonde suite à la publication dans les médias, le vendredi précédent, d'informations particulièrement sensibles sur les projets d'exfiltration. De par leur nature, ces informations ne pourraient provenir que de l'entourage proche impliqué des départements concernés du Conseil fédéral.

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Au sein du DFAE non plus, les hauts et moyens cadres ne semblent pas avoir pris suffisamment conscience du caractère sensible de certaines informations, comme le montre une série d'incidents.

Recommandation 12:

Mesures pour garantir le secret aux plus hauts niveaux de l'administration fédérale

La DélCdG invite le Conseil fédéral à prendre les mesures nécessaires pour pouvoir garantir à l'avenir le secret aussi aux plus hauts niveaux de l'administration fédérale. Ce faisant, le Conseil fédéral s'attache également aux aspects techniques des appareils mis à disposition des collaborateurs.

Engagement de l'attaché de défense du Caire pendant la crise avec la Libye: ­

La DélCdG reconnaît que le réseau de contacts d'un attaché de défense sur place peut ouvrir des options d'action supplémentaires pour la Suisse en cas de crise. Par exemple, dans le cadre d'une stratégie de négociation, il peut s'avérer opportun d'engager le dialogue par le biais des services de renseignement pour influencer positivement les négociations officielles. Mais cette manière de faire ne peut avoir de succès que si elle fait partie intégrante de la stratégie globale de négociations et qu'elle bénéficie d'un mandat concret ­ dans le cas présent, du DFAE ou, dans l'intervalle, du DFF. Or, ces conditions n'ont pas été remplies.

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Recommandation 13:

Directives concernant l'intégration et la conduite de l'attaché de défense en cas de crises de politique extérieure

La CdG-E recommande au Conseil fédéral de réglementer clairement l'intégration et la conduite de l'attaché de défense dans le cas de crises de politique extérieure.

Appréciations concernant la médiation d'un homme d'affaires tunisien: ­

La DélCdG a également examiné la médiation menée par un homme d'affaires tunisien lors de la phase présidentielle. A ce sujet, elle a constaté que le président de la Confédération 2009 n'avait pas informé le Conseil fédéral, en amont de son voyage en Libye, du recours à un homme d'affaires tunisien en tant que médiateur. De plus, l'aptitude de cet homme en tant que médiateur n'a pas été examinée au préalable et les modalités de son engagement n'ont pas été formellement réglées. En particulier, aucun service de l'administration fédérale, qui aurait été apte à délivrer une appréciation sous l'aspect de la sécurité, n'a été impliqué (SRC, DFJP, DFAE). Pour des raisons de sécurité et d'intérêts supérieurs de l'Etat, la DélCdG a décidé de ne pas publier de plus amples détails. En revanche, elle a soumis l'ensemble de ses appréciations au Conseil fédéral et lui a adressé une recommandation adaptée au cas concret.

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La recommandation ci-dessous reprend la problématique de manière générale.

Recommandation 14:

Règlementation de la médiation par des personnes privées

Le Conseil fédéral est invité à réglementer de manière claire le recours à des médiateurs privés en cas de crise de politique extérieure.

A l'issue de ses travaux, la CdG-E arrive à la conclusion que les deux dysfonctionnements majeurs qui ont caractérisé la gestion de cette crise par les autorités fédérales sont les flux d'informations défaillants au sein du Conseil fédéral et les outrepassements de compétences, autrement dit le fait que des décisions qui relèvent de la compétence du Conseil fédéral en tant que collège n'ont pas été prises par ce dernier.

Pour finir, la CdG-E tient à souligner que bien que le présent rapport se concentre sur les principaux dysfonctionnements ayant surgi durant la période sous revue, elle est pleinement consciente du défi considérable qu'a représenté la gestion de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye pour les autorités fédérales. En dépit des critiques soulevées, la CdG-E tient à relever que tant la cheffe du DFAE que le président de la Confédération 2009 se sont fortement engagés dans ce dossier, et y ont consacré une énergie et un travail considérables dans le but de permettre aux deux ressortissants suisses de quitter la Libye.

3914

Table des matières L'essentiel en bref

3902

Liste des abréviations

3917

1 Introduction 1.1 Contexte 1.2 Mandat légal des Commissions de gestion et objet de l'enquête 1.1 Limites de l'enquête 1.3 Démarche 1.4 Structure du rapport 1.2 Objectif du rapport

3918 3918 3919 3920 3921 3922 3923

2 Phase I: de mi-juillet 2008 à juin 2009 2.1 Résumé de l'état des faits 2.2 Appréciations de la CdG-E sur des aspects particuliers 2.2.1 Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève 2.2.2 Information et conduite du Conseil fédéral 2.2.3 Conduite et organisation de la gestion de crise par le DFAE 2.2.4 Circonstances du départ en retraite anticipée de l'ambassadeur de Suisse en Libye

3923 3923 3935

3 Phase II: de juin 2009 à fin août 2009 3.1 Résumé de l'état des faits 3.2 Appréciations de la CdG-E sur des aspects particuliers 3.2.1 Informations transmises au Conseil fédéral et conduite de ce dernier 3.2.2 Collaboration entre le président de la Confédération et le DFAE 3.2.3 Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève

3942 3942 3960

4 Phase III: du 26 août 2009 au 13 juin 2010 4.1 Appréciations de la CdG-E sur des aspects particuliers 4.1.1 Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises 4.1.2 Information et conduite du Conseil fédéral 4.1.3 Organisation de la gestion de crise

3972 3972

5 Planification de l'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye 5.1 Haute surveillance du ressort de la DélCdG 5.2 Traitement des recommandations de la DélCdG par le Conseil fédéral 5.3 Investigations de la DélCdG sur mandat de la CdG-E 5.3.1 Etat des connaissances du Conseil fédéral et de ses membres 5.3.2 Questions juridiques 5.4 Appréciations de la DélCdG

3935 3939 3940 3941

3961 3963 3965

3972 3976 3979 3980 3980 3982 3983 3983 3985 3988 3915

5.5 Autres investigations de la DélCdG pour la CdG-E 5.5.1 Engagement de l'attaché de défense du Caire pendant la crise avec la Libye 5.5.2 Appréciations 5.6 Appréciations concernant la médiation d'un homme d'affaires tunisien durant la phase présidentielle

3990 3990 3991 3993

6 Conclusions

3994

7 Suite des travaux

3995

Annexes 1 Liste des personnes entendues 2 Minutes of Meeting Between the Great Socialist Libyan Arab Jamahiriya And The Swiss Confederation, 15.8.2008 (texte en anglais) 3 Memorandum of Understanding To Establish an Independent Joint Ad-Hoc Committee to Investigate the Complaints of Libyan Side, 15.8.2008 (texte en anglais) 4 Agreement between The Great Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya And The Swiss Confederation, 20.8.2009 (texte en anglais) 5 Plan of Action, 14.5.2010 (texte en anglais) 6 Statement, 13.6.2010 (texte en anglais) 7 Première estimation relative à la Convention du 20 août 2009 entre la Suisse et la Libye du point de vue du fédéralisme sous la direction du Prof. B. Waldmann, septembre 2009 (texte en allemand et version française du résumé) 8 Avis conjoint de la Direction du droit international public et de l'Office fédéral de la justice sur l'accord conclu entre la Suisse et la Libye le 20 août 2009, 16 octobre 2009 (texte en allemand) 9 Organisation de la gestion de crise: brève description des différents organes interdépartementaux

3916

3996

3998

3999

4000 4002 4004

4005

4041 4057

Liste des abréviations CdA CdC CdG-E CdG-N CP CPE Cst.

DDIP DDPS DélCdG DélFin Délséc DFAE DFE DFF DFI DFJP DI DP II DP VI DR DRA-10 DSPE E.A.U.

LFPC LOGA LParl MoU OFJ ONU OPPBE SECO SRC SRS

Chef de l'armée Conférence des gouvernements cantonaux Commission de gestion du Conseil des Etats Commission de gestion du Conseil national Code pénal (RS 311.0) Commissions de politique extérieure Constitution (RS 101) Direction du droit international public Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports Délégation des Commissions de gestion Délégation des finances Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral de l'économie Département fédéral des finances Département fédéral de l'intérieur Département fédéral de justice et police Département des institutions de la République et canton de Genève Division politique II Afrique et Moyen-Orient Division politique VI Suisses à l'étranger Direction des ressources Détachement de reconnaissance de l'armée-10 Département de la sécurité, de la police et de l'environnement de la République et canton de Genève Emirats arabes unis Loi fédérale du 22 décembre 1999 sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération (RS 138.1) Loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (RS 172.010) Loi du 13.12.2002 sur l'Assemblée fédérale (Loi sur le Parlement, RS 171.10) Memorandum of Understanding Office fédéral de la justice Organisation des Nations Unies Ordonnance du 3 mai 2006 concernant l'engagement de la troupe pour la protection de personnes et de biens à l'étranger (RS 513.76) Secrétariat d'Etat à l'économie Service de renseignement de la Confédération (à partir du 1.1.2010) Service de renseignement stratégique

3917

Rapport 1

Introduction

1.1

Contexte

Suite à l'arrestation, le 15 juillet 2008, de l'un des fils du Guide de la Révolution libyenne et de son épouse par la police genevoise, une crise diplomatique sans précédent s'ouvre entre la Suisse et la Libye.

Durant dix-neuf mois pour l'un et vingt-trois mois pour l'autre, deux ressortissants suisses sont retenus en Libye. Pendant 53 jours, ils sont placés séparément dans un endroit tenu secret sans possibilité de contacts ni avec les autorités suisses ni avec leurs proches.

La situation de ces deux ressortissants suisses soulève une grande émotion dans tout le pays et leur sortie de Libye constitue l'objectif principal des autorités suisses tout au long des négociations menées avec les autorités libyennes.

Caractérisée par la grande complexité des intérêts en présence, par l'intervention de nombreux acteurs et par de multiples rebondissements faisant fréquemment la une des journaux, cette crise mène tant au sein du Parlement que de la population à des interrogations quant à sa gestion par les autorités fédérales.

Deux évènements en particulier soulèvent des questions quant à la capacité du Conseil fédéral de travailler en tant que collège.

Il s'agit d'une part de l'accord signé le 20 août 2009 par le président de la Confédération de l'époque au nom de la Confédération suisse. Cet accord suscite tout de suite des interrogations quant à l'existence ou non d'un mandat donné au président de la Confédération par le Conseil fédéral pour signer ledit accord. La collaboration entre le président de la Confédération et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) est également abordée.

Il s'agit d'autre part de la planification par le DFAE, avec le concours du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), d'opérations d'exfiltration des deux ressortissants suisses. Dans une déclaration lue à la presse le 21 juin 2010 au nom du Conseil fédéral, la présidente de la Confédération en 2010 confirme l'existence de telles planifications. Cette déclaration soulève des vagues dans le paysage politique et médiatique suisse, et soulève de nombreuses interrogations, en particulier s'agissant de savoir à quel moment le Conseil fédéral en tant que collège ainsi que ses membres pris isolément ont été informés et impliqués dans ces planifications.

De mi-juillet
2008 jusqu'au moment de la publication du présent rapport, la répartition des compétences et la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève dans la résolution de cette crise diplomatique font aussi fréquemment l'objet de questionnements.

La Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-E) a décidé dès le 13 octobre 2009 d'ouvrir une enquête sur la gestion de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye, d'abord sous l'angle de la gestion de crise par le DFAE, puis par l'ensemble

3918

des autorités fédérales1. A ce moment-là, les deux ressortissants suisses étaient retenus dans un lieu tenu secret et nul ne pouvait prédire quelle tournure prendraient les évènements.

Le 25 août 2010, considérant qu'il existait un intérêt public à ce que les questionsclés relatives au fonctionnement du Conseil fédéral puissent être éclaircies au plus vite, la CdG-E a décidé de concentrer ses travaux sur lesdites questions (voir point 1.2 ci-dessous) et de publier un rapport à ce sujet début décembre 2010.

1.2

Mandat légal des Commissions de gestion et objet de l'enquête

Les Commissions de gestion (CdG) sont les commissions des Chambres fédérales qui, agissant pour le compte du Parlement, exercent la haute surveillance sur la gestion du Conseil fédéral et de l'administration fédérale, des tribunaux fédéraux et des autres organes auxquels sont confiées des tâches de la Confédération. Cette compétence est fixée à l'art. 169 de la Constitution (Cst.)2 et aux art. 26 et 52 de la loi sur le Parlement (LParl)3. Pour assumer leur tâche, les CdG disposent de droits étendus, en particulier en matière d'information (voir art. 153 ss LParl). En vertu de l'art. 52, al. 2, LParl, elles exercent leur activité de surveillance principalement sous l'angle de la légalité, de l'opportunité et de l'efficacité.

Le mandat d'enquête de la CdG-E porte sur les trois thèmes principaux suivants: 1.

Conduite exercée par le Conseil fédéral et flux d'informations au sein du collège s'agissant du voyage de l'ancien président de la Confédération en Libye le 20 août 2009 et de la signature de l'accord entre la Suisse et la Libye le même jour;

2.

Conduite exercée par le Conseil fédéral et flux d'informations au sein du collège s'agissant de la planification d'opérations d'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye;

3.

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève.

Le mandat d'enquête inclut aussi l'examen, mais de manière moins approfondie, de certains aspects relatifs à l'organisation de la gestion de crise et à la conduite exercée par le DFAE.

1

2 3

Il était initialement prévu que la CdG-E s'occuperait de la gestion de crise au niveau du DFAE, tandis que la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) se pencherait sur le rôle du Conseil fédéral et du président de la Confédération de l'époque concernant les évènements ayant mené à la conclusion de l'accord du 20.8.2009 entre la Suisse et la Libye dans le cadre de son inspection alors en cours sur les informations destinées à la conduite des activités du Conseil fédéral. Le 22.1.2010, la CdG-N et la CdG-E ont décidé de confier l'ensemble de l'enquête relative à la gestion par les autorités fédérales de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye à la CdG-E.

Constitution (RS 101).

Loi du 13.12.2002 sur l'Assemblée fédérale (RS 171.10).

3919

La période examinée s'étend du 12 juillet 2008, date à laquelle deux employés de l'un des fils du Guide de la Révolution libyenne et de son épouse déposent plainte à Genève contre leurs employeurs, au 13 juin 2010, date du retour en Suisse du deuxième ressortissant suisse jusque-là retenu en Libye4.

1.3

Limites de l'enquête

Il est important de souligner que cette enquête se concentre sur certaines questionsclés relatives au fonctionnement des autorités fédérales ­ et en premier lieu du Conseil fédéral ­ sous l'angle de la haute surveillance parlementaire.

L'enquête ne vise ni une évaluation globale de la gestion de cette crise ni une appréciation de la stratégie de négociation suivie par la diplomatie suisse.

Le mandat d'enquête tel que défini par la commission ne comprend en particulier pas les aspects suivants: ­

l'élaboration, l'adoption, l'abrogation et les conséquences de l'ordonnance du Conseil fédéral du 18 novembre 2009 instituant une interdiction d'entrée et de transit sur territoire suisse pour certaines catégories de ressortissants libyens5;

­

la médiation menée par l'Allemagne et par l'Espagne (qui préside le Conseil de l'Union Européenne de janvier à juin 2010);

­

les nombreuses offres d'aide ou de médiation proposées par de multiples acteurs, qui soit n'ont pas été suivies, soit n'ont pas abouti aux résultats escomptés;

­

la communication des autorités fédérales vers l'extérieur sur ce dossier;

­

la coordination des activités des autorités fédérales avec les familles et les employeurs des deux ressortissants suisses retenus en Libye;

­

l'analyse détaillée des nombreuses négociations et projets d'accords entre les deux pays;

­

les accusations portées par la Libye contre les deux ressortissants suisses et les procédures juridiques menées à l'encontre de ces derniers.

De plus, il convient de préciser que le présent rapport ne vise aucunement une présentation exhaustive des faits. Les faits pertinents sont présentés, sous une forme résumée, dans la mesure où ils sont nécessaires pour comprendre les appréciations de la commission sur les objets définis dans le mandat d'enquête.

Il est aussi important de souligner que l'enquête de la CdG-E porte exclusivement sur la gestion par les autorités fédérales de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye, et non sur les mesures prises dans ce cadre par les autorités de la République et canton de Genève.

En revanche, la CdG-E s'est penchée sur les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises et leur potentiel d'amélioration.

4 5

Le premier ressortissant suisse a pu quitter la Libye le 23.2.2010.

RS 142.298; cette ordonnance est abrogée le 25.3.2010 (RS 170.512).

3920

En outre, conformément au mandat légal des CdG, ni le comportement des autorités libyennes ni celui d'acteurs privés n'entrent dans le champ de la présente enquête.

Pour finir, il y a eu lieu de préciser que les aspects financiers relatifs à la gestion par les autorités fédérales de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye ne font pas l'objet de la présente enquête, puisqu'ils relèvent du champ de compétences de la Délégation des finances (DélFin).

1.4

Démarche

La CdG-E a chargé sa sous-commission DFAE/DDPS de mener les travaux nécessaires. La sous-commission a mené ses travaux dans la composition suivante: Peter Briner (président), Claude Hêche, René Imoberdorf, Maximilian Reimann et Anne Seydoux.

Le député au Conseil des Etats Robert Cramer, également membre de la souscommission DFAE/DDPS, a décidé, d'entente avec ladite sous-commission, de se récuser pour l'ensemble des travaux relatifs à cette inspection. En effet, comme membre du gouvernement genevois jusqu'à fin novembre 2009, il a souhaité éviter d'emblée tout conflit d'intérêt potentiel entre son mandat au sein des CdG des Chambres fédérales et son mandat précédent au sein de l'exécutif de la République et canton de Genève.

En plus de l'examen mené par la sous-commission compétente, il est important de relever que la Délégation des Commissions de gestion (DélCdG) s'est aussi penchée sur ce dossier s'agissant des planifications d'opérations d'exfiltration.

En vertu de son mandat légal, la DélCdG exerce en effet la haute surveillance parlementaire sur les activités relevant de la sécurité de l'Etat et du renseignement civil et militaire. Dans ce domaine, la délégation s'emploie à examiner de manière continue et approfondie les activités de la Confédération qui sont couvertes par le secret d'Etat, afin de repérer à temps les points justifiant une intervention politique.

Au cours de l'année 2009, la DélCdG a procédé à ses propres investigations sur le comportement de la Confédération dans la gestion de la crise entre la Suisse et la Libye6. Elle avait commencé ces investigations après avoir été informée au printemps 2009, par les organes fédéraux concernés, des possibles mesures de soutien du DDPS en faveur du DFAE. Les investigations ont porté principalement sur la collaboration entre le DFAE et le DDPS en vue d'une exfiltration des deux citoyens suisses retenus en Libye et, dans ce cadre, sur la conduite du Conseil fédéral. Au vu du caractère sensible de l'affaire, la DélCdG avait décidé de garder secrète cette partie de son activité de haute surveillance.

Le 8 juin 2010, le président de la DélCdG a informé la sous-commission DFAE/DDPS sous une forme appropriée des éléments pertinents pour l'enquête de la CdG-E.

A la suite de cette information, la DélCdG et la sous-commission DFAE/DDPS ont
convenu de la répartition du travail suivante: tandis que la DélCdG demeure seule compétente pour se pencher sur le contenu détaillé des planifications d'opérations 6

Le secrétaire suppléant de la DélCdG s'est récusé pour l'ensemble des investigations de la DélCdG.

3921

d'exfiltration, domaine qui relève de la sécurité d'Etat au sens étroit du terme, il appartient à la sous-commission d'examiner les flux d'informations pas encore complètement éclaircis jusque-là au sein du Conseil fédéral relatifs à cet objet.

Le chap. 5 du présent rapport a été rédigé par la DélCdG sur mandat de la CdG-E.

La DélCdG s'est pour cela fondée à la fois sur ses propres investigations et sur les informations recueillies par la sous-commission DFAE/DDPS. La DélCdG a également défini les parties de ce chapitre destinées à la publication.

S'agissant de la méthodologie, la CdG-E a fondé le présent rapport sur des informations en provenance de sources les plus diverses. Lors de ses 21 séances consacrées à cette inspection, la sous-commission compétente a entendu un grand nombre de personnes7, certaines à plusieurs reprises.

Outre les représentants des autorités fédérales, la CdG-E s'est aussi entretenue avec deux représentants du gouvernement genevois.

La CdG-E a examiné un grand nombre de documents qui lui ont été remis par les autorités concernées8 ainsi que des rapports rédigés par ces dernières. La commission a aussi consulté les procès-verbaux des Commissions de politique extérieure des Chambres fédérales. Les autorités genevoises ainsi que la Conférence des gouvernements cantonaux ont également accepté de remettre des documents à la commission. La CdG-E remercie ici tous ces organes pour leur soutien.

Eu égard aux droits spécifiques de la DélCdG en matière d'information, la CdG-E a par ailleurs chargé cette dernière d'examiner les documents de travail sur lesquels le Conseil fédéral s'est fondé pour s'informer et prendre ses décisions. Les observations correspondantes de la DélCdG ont aussi été reprises dans le présent rapport.

Le rapport se fonde sur les résultats des travaux de la sous-commission compétente ainsi que ­ pour le chap. 5 ­ ceux de la DélCdG. La CdG-E l'a adopté à l'unanimité le 3 décembre 2010.

Pour conclure, il y a lieu de préciser que les personnes entendues par la souscommission et par la DélCdG ne sont pas citées nommément dans le présent rapport.

Elles sont décrites de par la fonction qu'elles occupaient au moment des faits.

1.5

Structure du rapport

Après cette courte introduction (chap. 1), la structure du rapport suit les principaux axes dans le temps: le chap. 2 est consacré à la période s'étendant de mi-juillet 2008 à juin 2009, le chap. 3 couvre celle de juin 2009 à fin août 2009, et le chap. 4 celle de fin août 2009 au 13 juin 2010.

Au vu de la définition du mandat d'examen et de ses limites (voir points 1.2 et 1.3), le chap. 4 se concentre sur les thèmes spécifiques des modalités de collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises, de l'information et de la

7 8

La liste des personnes auditionnées par la CdG-E et la DélCdG se trouve en annexe 1.

Il s'agit des procès-verbaux des séances des différents groupes de travail chargés de la gestion de la crise, de projets d'accords, de courriels électroniques, de notes d'information, etc. Une grande partie de ces documents sont confidentiels et par conséquent non publiés.

3922

conduite du Conseil fédéral et de l'organisation de la gestion de crise. La commission a renoncé à établir un résumé de l'état des faits pour cette période.

Les planifications d'opérations d'exfiltration sont traitées dans un chapitre séparé (chap. 5). Il est important de préciser à ce sujet que le présent rapport ne vise pas à divulguer le contenu desdites planifications, ces informations relevant du secret d'Etat. Il vise en revanche à répondre aux deux questions suivantes: à quel moment le Conseil fédéral en tant que collège ainsi que ses membres pris isolément ont-ils été informés de ces planifications? Cette manière de faire était-elle conforme aux bases légales?

Enfin, le chap. 6 présente les conclusions de la CdG-E.

1.6

Objectif du rapport

L'exercice par les CdG de la haute surveillance parlementaire vise principalement à tirer des enseignements pour le futur, afin de permettre aux autorités concernées d'améliorer leur gestion.

Ainsi, le présent examen s'attache essentiellement à identifier et analyser les lacunes et dysfonctionnements les plus importants du système, en particulier en ce qui concerne la conduite exercée par le Conseil fédéral et les flux d'informations au sein du collège, ainsi que les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités cantonales.

2

Phase I: de mi-juillet 2008 à juin 2009

2.1

Résumé de l'état des faits

Le 12 juillet 2008, deux employés de l'un des fils du Guide de la Révolution libyenne (ci-après: Guide de la Révolution) et son épouse (ci-après: H.K. et A.K., ou couple K.) déposent plainte pénale à Genève à l'encontre de leurs employeurs pour lésions corporelles simples, séquestration et enlèvement ainsi que pour menaces et contrainte.9 Le 14 juillet 2008, le secrétaire général du Département des institutions (DI) de la République et canton de Genève, sollicité par la police genevoise, envoie, au nom du conseiller d'Etat en charge du département, un fax au chef de la Division Etat hôte de la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève (ci-après: Mission suisse), dans lequel il formule la demande suivante: «Dans la mesure où la police envisage une intervention auprès des deux personnes mises en cause dans le document annexé, je me permets de vous solliciter afin que des informations sur le statut des intéressés soient préalablement transmises à mon département ([...],secrétaire général) à votre plus proche convenance. Je vous signale que mes services informeront le

9

Source: avis conjoint de la Direction du droit international public et de l'Office fédéral de la justice sur l'accord conclu entre la Suisse et la Libye le 20.8.2009, 16.10.2009, p. 2 (cf. annexe 8).

3923

Procureur général des faits, lorsque le statut [du couple K.] leur sera connu.»10 Une copie d'un rapport établi le même jour par la police genevoise est jointe à ce fax.

Le chef de la Division Etat hôte de la Mission suisse contacte par téléphone la cheffe de la Section droit diplomatique et consulaire de la Direction du droit international public (DDIP) du DFAE pour clarifier la question du statut du couple K. La cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP examine la demande et arrive à la conclusion que le couple K. ne bénéficie pas de l'immunité diplomatique, vu qu'il n'était ni accrédité ni en mission spéciale. La cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP consulte le vice-directeur de la DDIP, en sa qualité de membre de la direction; celui-ci partage sa conclusion.11 Tous deux sont conscients des possibles conséquences politiques d'une intervention de la police genevoise sur les relations bilatérales entre la Suisse et la Libye, c'est pourquoi ils décident de ne pas donner une réponse standard mais d'y ajouter une remarque destinée à sensibiliser lesdites autorités aux possibles conséquences d'une intervention et à les prier d'agir avec le plus grand soin possible («mit der grösstmöglichen Sorgfalt»). De plus, le vice-directeur de la DDIP demande à la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP d'informer immédiatement la hiérarchie de la Direction politique («Spitze der politischen Direktion»), conformément à la pratique du DFAE lorsque la DDIP est appelée à prendre position sur des questions d'immunité jugées délicates.12 Le jour même, la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP contacte par téléphone le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique)13 pour l'informer de la demande de la Mission suisse et de la réponse qu'elle prévoit de donner14. Selon les déclarations du secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique), il aurait répondu qu'il partageait l'interprétation juridique de la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire; tous les deux auraient également été d'accord sur le fait que ce cas était délicat d'un point de vue politique et qu'il fallait en faire mention dans la réponse à donner aux autorités genevoises.

Le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique)
n'informe ni le secrétaire d'Etat ni la cheffe du DFAE.15 Le vice-directeur de la DDIP n'informe pas non plus la cheffe du DFAE.16 Le soir même, la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP contacte par téléphone le chef de la Division Etat hôte de la Mission suisse et lui dicte la réponse à donner aux autorités genevoises.

Reprenant les termes exacts de la réponse dictée au téléphone, le chef de la Division Etat hôte de la Mission suisse transmet le courrier électronique suivant au secrétaire général du DI de la République et canton de Genève avec copie, entre autres, au 10 11

12 13

14 15 16

Fax du secrétaire général du Département des institutions de la République et canton de Genève à la Mission suisse, du 14.7.2008.

Procès-verbal de l'audition du vice-directeur de la DDIP du 10.3.2010, p. 19 et réponse écrite du directeur de la DDIP, du 22.10.2010 (note de la commission: il s'agit de la même personne, qui a changé de fonction au cours de la période examinée).

Réponse écrite du directeur de la DDIP, du 22.10.2010.

Le secrétaire d'Etat et directeur politique du DFAE a deux adjoints: un secrétaire d'Etat adjoint pour le domaine thématique et un secrétaire d'Etat adjoint pour le domaine régional.

Réponse écrite du secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique), 13.9.2010, p. 2.

Réponse écrite du secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique), 29.9.2010, p. 2.

Réponse écrite du directeur de la DDIP, du 22.10.2010.

3924

substitut du procureur genevois, à plusieurs membres du DFAE et en particulier au secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique): Sujet: Monsieur [H. K.] et Madame [A. K.], ressortissants libyens, actuellement en séjour à Genève Monsieur le Secrétaire général, En référence à votre télécopie du 14 juillet 2008 concernant le statut en Suisse des deux personnes mentionnées en titre, je suis en mesure de vous préciser ce qui suit, d'entente avec la Direction du droit international public, le Protocole et la Direction politique du Département fédéral des affaires étrangères.

Ces deux personnes n'ont pas de statut diplomatique en Suisse et sont soumises au droit ordinaire.

Compte tenu des répercussions politiques que cette interpellation ne manquera pas de susciter au niveau des relations bilatérales entre les deux pays, je vous prie de bien vouloir instruire les agents de police afin qu'ils prennent toutes les précautions d'usage lors de l'intervention.

Espérant ainsi avoir répondu à votre attente, je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire général, l'assurance de ma considération distinguée.

Ambassadeur Chef de la division Etat hôte Département fédéral des affaires étrangères DFAE Mission permanente de la Suisse auprès de l'ONU à Genève.17 Le matin du 15 juillet 2008, le Commissaire de police de service et le Ministère public genevois18 décident d'un commun accord d'émettre deux mandats d'amener à l'encontre du couple K. conformément à l'art. 32 du Code de procédure pénale de la République et canton de Genève19. Ces mandats mentionnent les infractions suivantes: lésions corporelles simples (Art. 123 du Code pénal [CP]20), contrainte (Art. 181 CP), menaces (Art. 180 CP), séquestration et enlèvement (Art. 183 CP)21.

17 18

19

20 21

Courriel du 15.7.2008 de la Mission suisse au Département des institutions de la République et canton de Genève.

«Accord Suisse-Libye, note de synthèse», 8.10.2009, document remis par le conseiller d'Etat de la République et canton de Genève en charge du Département des institutions au moment des faits en vue de son audition auprès de la Commission de politique extérieure du Conseil national le 12.10.2009, p. 2.

Art. 32 du Code de procédure pénale de la République et canton de Genève (E 420): «Mandat d'amener. 1. Le mandat d'amener est l'acte par lequel un magistrat ou un fonctionnaire compétent ordonne d'appréhender la personne prévenue d'un crime ou d'un délit et de la faire détenir provisoirement en vue d'un interrogatoire. 2. Toute personne arrêtée en vertu d'un mandat d'amener doit être interrogée au plus vite par l'autorité qui a décerné le mandat. 3. Au plus tard vingt-quatre heures après l'exécution du mandat elle doit, si elle n'est pas déjà relaxée, être mise à la disposition du juge d'instruction. Celui-ci dispose de vingt-quatre heures au plus pour l'interroger et la relaxer ou décerner un mandat d'arrêt».

RS 311.0 «Swiss Position on the Incident of Mr. and Mrs G. in Geneva on 15 July 2008», p. 1, in «Report of the Independent Joint ad hoc Committee Libya/Switzerland», février 2009.

3925

Le 15 juillet 2008 en fin de matinée, la police genevoise exécute les mandats d'amener et procède à l'arrestation du couple K. dans les locaux de l'hôtel où ce dernier séjourne.

La manière dont s'est déroulée l'arrestation du couple K. fait l'objet de vives controverses jusqu'à aujourd'hui. Il existe à la fois des versions différentes quant aux faits et des appréciations différentes de ces faits, en particulier s'agissant de la conformité des actions menées avec les bases légales applicables.

Or, ni les faits relatifs à l'arrestation du couple K. ni leur appréciation ne font l'objet du présent rapport. En effet, conformément au «Statement» signé le 13 juin 201022, c'est à un tribunal arbitral siégant à Berlin qu'il appartiendra le cas échéant d'examiner cet «événement imprévu» et ses circonstances («look into the incident and its circumstances»)23.

Le 15 juillet 2008 à 13 heures, le chargé d'affaires du Bureau Populaire de la Libye à Berne transmet au chef du Protocole du DFAE une note de protestation concernant l'arrestation du couple K. Le chef du Protocole en informe immédiatement le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique).

A 15 heures 30, le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique) informe par téléphone le secrétaire d'Etat du DFAE. Celui-ci transmet l'information à la cheffe du DFAE. La cheffe du DFAE ordonne tout de suite la mise en place d'une cellule de crise24. Celle-ci existera tout au long de la période examinée; ses appellations ainsi que sa composition exacte varieront en revanche au fil du temps25.

Le chef du Département fédéral de l'intérieur (DFI), alors président de la Confédération (ci-après: président de la Confédération 2008), est informé le même jour par son conseiller diplomatique de la situation.26 De plus, tant selon le conseiller d'Etat en charge du DI (alors également président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève) que la cheffe du DFAE et le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), des contacts informels ont lieu rapidement après l'arrestation du couple K. entre les autorités fédérales et les autorités genevoises (dates exactes pas connues).27 Les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève seront examinées sous le point 2.2.1.

22

23 24 25 26 27

«Statement» du 13.6.2010 signé par les ministres des affaires étrangères de la Suisse, de la Libye, de l'Espagne (au nom de la présidence tournante du Conseil de l'UE) et de l'Allemagne, (cf. annexe 6). Ce «Statement» confirme le «Plan of Action» signé le 14.5.2010 par les secrétaires d'Etat de ces mêmes pays et qui prévoit à son art. 1: «Both Parties agree that the arbitration tribunal shall be constituted in Berlin/Germany and function in accordance with the relevant provisions contained in the 20 August 2009 agreement», (cf. annexe 5).

Accord du 20.8.2009 entre la Suisse et la Libye, art. 2, (cf. annexe 4).

«Chronologie der ersten Tage der Libyen-Krise Zeitraum vom 15. bis 23. Juli 2008», DFAE, 9.6.2010, p. 1.

Voir annexe 9, «Organisation de la gestion de crise: brève description des différents organes interdépartementaux».

«Chronologie der ersten Tage der Libyen-Krise Zeitraum vom 15. bis 23. Juli 2008», DFAE, 9.6.2010, p. 1.

Procès-verbal de l'audition du conseiller d'Etat en charge du DI, 15.9.2010, p. 18; procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 15.9.2010, p. 42; procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, 12.4.2010, p. 24.

3926

Le lendemain, 16 juillet 2008, le chargé d'affaires libyen est reçu par le chef du Protocole et un représentant de la Division politique II Afrique et Moyen-Orient du DFAE (ci-après: DP II)28. Il fait part du grand mécontentement de Tripoli.29 Le 16 juillet 2008, le juge d'instruction genevois inculpe le couple K. de lésions corporelles simples, de menaces et de contraintes.30 Le 17 juillet 2008, le juge d'instruction genevois ordonne la mise en liberté provisoire du couple K. moyennant le versement d'une caution. Le couple K. quitte la Suisse le jour même.31 Le soir du 17 juillet 2008, l'ambassade de Suisse en Libye (ci-après: ambassade de Suisse) reçoit une «note verbale» contenant les protestations du Ministère des affaires étrangères de la Libye à l'encontre des autorités suisses suite à l'arrestation du couple K.

Le 18 juillet 2008, les réponses formelles de la Direction politique, rédigées d'entente avec la DDIP, sont transmises par l'ambassade de Suisse aux autorités libyennes.32 Le soir du 19 juillet 2008, un ressortissant suisse et un ressortissant tuniso-suisse, qui se trouvent en Libye pour des raisons professionnelles, sont arrêtés par les forces de police libyennes. Aux alentours de minuit, l'ambassadeur de Suisse, sur la base des informations dont il dispose, suppose que les deux ressortissants suisses sont en garde à vue.33 Il en informe immédiatement la DP II du DFAE. En outre, l'ambassade offre dès le lendemain la protection consulaire aux ressortissants suisses séjournant alors en Libye.34 Le matin du 20 juillet 2008, le secrétaire d'Etat du DFAE apprend l'arrestation par les autorités libyennes des deux ressortissants suisses. Il en informe immédiatement la cheffe du DFAE. Elle demande à ses services de mettre en route les préparatifs afin qu'un entretien avec le ministre des affaires étrangères de la Libye puisse avoir lieu rapidement. A 18 heures, le DFAE convoque le chargé d'affaires du Bureau Populaire de la Libye au Palais fédéral pour lui signifier une protestation ferme contre l'arrestation des deux citoyens suisses.35 Entre le 15 juillet 2008 et le 21 juillet 2008, la cellule de crise appelée «Kerngruppe Libyen» est conduite au niveau opérationnel par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique), puis dès le 21 juillet 2008 jusqu'au 21 août 2009 par le secrétaire d'Etat

28

29 30

31 32 33 34 35

La Division politique II Afrique et Moyen-Orient est en charge des relations bilatérales de la Suisse avec les 66 Etats que comptent ces deux ensembles géographiques. Elle a pour tâche principale de défendre les intérêts suisses au sein de cet espace et d'y coordonner les activités de politique étrangère des divers organes de la Confédération.

«Chronologie der ersten Tage der Libyen-Krise Zeitraum vom 15. bis 23. Juli 2008», DFAE, 9.6.2010, p. 1.

«Accord Suisse-Libye, note de synthèse», 8.10.2009, document remis par le conseiller d'Etat de la République et canton de Genève en charge du Département des institutions au moment des faits en vue de son audition auprès de la Commission de politique extérieure du Conseil national le 12.10.2009, p. 4.

Ibid.

Réponse du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 31.3.2010, p. 2.

«Chronologie der ersten Tage der Libyen-Krise Zeitraum vom 15. bis 23. Juli 2008», DFAE, 9.6.2010, p. 2.

Procès-verbal de l'audition de l'ambassadeur de Suisse en Libye, 12.4.2010, p. 13.

Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 23.7.2008.

3927

adjoint (domaine régional).36 Ce groupe de travail, institué de manière informelle par le DFAE37, est composé de représentants des différentes divisions concernées au sein du DFAE38. Cette cellule de crise est placée sous la conduite directe de la cheffe du DFAE; celle-ci assure la conduite stratégique et politique et est en contact permanent avec le chef opérationnel de la «Kerngruppe Libyen».39 Outre les représentants du DFAE, une représentante du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) participe dès le début aux séances du «Kerngruppe Libyen». En effet, dès les premiers jours ayant suivi l'arrestation du couple K., diverses sanctions économiques sont évoquées et / ou prises à l'encontre des intérêts suisses en Libye.

Au cours du premier mois de la crise, le «Kerngruppe Libyen» se réunit presque quotidiennement. Entre le 15 juillet 2008 et le 17 juin 2009, le «Kerngruppe Libyen» se réunira 34 fois.40 Selon le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), le «Kerngruppe Libyen» est chargé de préparer la stratégie et de la soumettre pour approbation à la cheffe du DFAE.41 Le «Kerngruppe Libyen» ne reçoit pas de mandat écrit de la part de la cheffe du DFAE. Celle-ci délivre en revanche des instructions claires, qui consistent à tout mettre en oeuvre pour protéger et ramener les deux Suisses retenus en Libye et à travailler au rétablissement aussi rapide que possible des relations bilatérales entre la Suisse et la Libye.42 Le 22 juillet 2008, la cheffe du DFAE a un entretien téléphonique avec son homologue libyen, durant lequel, selon ses dires, elle aurait exprimé ses protestations et ses préoccupations sur l'évolution de l'affaire tout en soulignant la volonté des autorités suisses de réduire au mieux l'escalade du différent et de continuer à entretenir de bonnes relations bilatérales avec la Libye.43 Elle aurait aussi exprimé ses regrets sur le fait que l'interpellation du couple K. ait pu conduire à des tensions entre les deux pays.44 Lors de cet entretien téléphonique, la cheffe du DFAE et le ministre des affaires étrangères de la Libye se mettent d'accord pour qu'une délégation diplomatique suisse se rende rapidement à Tripoli.

Les 23 et 24 juillet 2008, une délégation suisse se rend à Tripoli. Elle se compose du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) et de la cheffe de la Section du
droit diplomatique et consulaire de la DDIP.45 D'après le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), le mandat de la délégation diplomatique suisse consiste à donner

36 37 38 39 40 41 42 43 44 45

«Chronologie der ersten Tage der Libyen-Krise Zeitraum vom 15. bis 23. Juli 2008», DFAE, 9.6.2010, p. 1.

Réponse écrite du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), DFAE, 31.3.2010, p. 2.

Divisions représentées dans le «Kerngruppe Libyen»: Direction politique, Secrétariat politique, DDIP, Division politique VI, Division politique II.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, 12.4.2010, p. 23 et document écrit remis par la cheffe du DFAE le 26.10.2010.

Source: Classeur «Enquête sur la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye», cheffe du DFAE, 10.8.2010.

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 25.2.2010, pp. 59 à 60.

Réponse du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 11.10.2010.

«Chronologie der ersten Tage der Libyen-Krise Zeitraum vom 15. bis 23. Juli 2008», DFAE, 9.6.2010, p. 3.

Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 23.7.2008.

Réponse du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional),11.10.2010.

3928

des explications aux autorités libyennes sur les événements de l'affaire, à souligner les bonnes relations entre les deux pays et à recevoir les doléances libyennes.46 Le 23 juillet 2008, un «groupe de travail interdépartemental» est institué de manière informelle par le DFAE.47 Il réunit des représentants du DFAE, du DDPS, du DFI (jusqu'à fin octobre 2008), du DFJP, du DFE et de l'Etat-major de la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité.48 Selon le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), ce groupe de travail interdépartemental siège environ toutes les deux semaines et sert de plateforme pour échanger et coordonner les informations entre les départements concernés.49 Il ne reçoit pas non plus de mandat écrit de la part de la cheffe du DFAE. Le groupe de travail interdépartemental existe sous cette forme du 23 juillet 2008 au 26 mars 2009, période durant laquelle il tient 17 séances.50 Le 23 juillet 2008, la cheffe du DFAE transmet une note d'information au Conseil fédéral ayant pour titre «interpellation de M. H.K. et contre-mesures libyennes». Il s'agit de la première information transmise par la cheffe du DFAE sur cette affaire au Conseil fédéral.

Le 25 juillet 2008, le DI de la République et canton de Genève transmet les rapports de police établis en lien avec l'interpellation du couple K. au Commissariat à la déontologie de la police et du personnel pénitentiaire de la République et canton de Genève pour qu'il se détermine sur l'action de la police et plus particulièrement sur l'usage qu'elle a dû faire de la contrainte.51 Le 25 juillet 2008, le Conseil fédéral est informé sur les derniers développements de l'affaire au cours d'une conférence téléphonique convoquée par la cheffe du DFAE, et, par le biais d'une note d'information du même jour, sur la mise en place d'une «Task Force» placée sous la responsabilité de la cheffe du DFAE avec la participation de tous les services compétents de l'administration fédérale52 (pour plus de détails sur le thème de l'information et de la conduite du Conseil fédéral durant cette phase, voir le point 2.2.3 du présent rapport).

Les 28, 29 et 30 juillet 2008, sur mandat de la cheffe du DFAE, la même délégation suisse se rend une deuxième fois à Tripoli. Les délégations suisse et libyenne discutent d'un projet d'accord portant notamment sur un
éventuel retrait de la plainte déposée par les employés le 12 juillet 2008 contre le couple K., ainsi que sur un projet de lettre dans lequel la Suisse ferait part de ses regrets par rapport aux circonstances de l'arrestation du couple K.53 46 47 48 49 50 51

52 53

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du DFAE, 25.2.2010, p. 56.

Réponse écrite du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 31.3.2010, p. 2.

Procès-verbal de la séance 01 de la «Task Force Libyen» du 23.7.2008.

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du DFAE, 25.2.2010, p. 60.

Source: Classeur «Enquête sur la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye», remis par la cheffe du DFAE, 10.8.2010.

«Accord Suisse-Libye, note de synthèse», 8.10.2009, document remis par le conseiller d'Etat de la République et canton de Genève en charge du Département des institutions au moment des faits en vue de son audition auprès de la Commission de politique extérieure du Conseil national le 12 octobre 2009, p. 4.

Réponse écrite de la chancelière fédérale du 7.6.2010, p. 2.

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du DFAE, 25.2.2010, pp. 56 à 57.

3929

Le 29 juillet 2008, les deux ressortissants suisses jusqu'alors retenus en prison sont libérés sous caution.54 Ils ne peuvent toutefois pas quitter le territoire libyen car ils ne disposent ni de leur passeport ni d'une autorisation de sortie.

Le 4 août 2008, le Commissariat à la déontologie de la police et du personnel pénitentiaire de la République et canton de Genève remet au conseiller d'Etat en charge du DI son rapport concernant l'action de la police lors de l'interpellation du couple K. Dans ce rapport, le Commissaire à la déontologie arrive à la conclusion qu'il n'a pas de critique à formuler en relation avec cette intervention policière.55 Le rapport du Commissaire à la déontologie est immédiatement transmis au DFAE.56 Du 12 au 16 août 2008, les délégations suisse et libyenne poursuivent les négociations à Genève et à Berne.

Le 15 août 2008, les chefs de délégations57 signent à Berne une feuille de route («Minutes of Meeting») prévoyant, une fois la plainte contre le couple K. classée par Genève, des mesures à prendre des deux côtés: libre circulation pour les diplomates et citoyens, mise sur pied d'un comité indépendant ad hoc devant clarifier les faits de l'arrestation du couple K., réouverture des entreprises suisses, retour au statu quo ante, reprise de tous les vols de Swiss Airlines et regrets suisses (note de la commission: la note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 14 octobre 2008 parle de «regrets», tandis que le texte des «Minutes of Meeting» parle d'excuses [«formal and public apology concerning the actions committed by certain Swiss authorities»]).58 Le même jour, les chefs des délégations suisse et libyenne signent également à Berne un «Memorandum of Understanding» (ci-après: MoU) prévoyant la création d'un comité indépendant ad hoc pour examiner les griefs de la partie libyenne («MoU To Establish an Independent Joint Ad-Hoc Committee to Investigate the Complaints of Libyan Side»).

Le mandat de ce comité indépendant ad hoc est défini dans le texte de la manière suivante: «Mandate: To investigate the complaints against the relevant Swiss Authorities; namely the department of External Affairs and the Geneva Police force included in the note verbal no. 1/18/937 on 20/07/2008 and other related notes submitted by the Libyan side, also the protest of the Libyan diplomats who were present during the incident.»59

54 55 56 57

58

59

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du DFAE, 25.2.2010, p. 55.

Rapport du Commissariat à la déontologie de la police et du personnel pénitentiaire, République et canton de Genève, 4.8.2008, p. 3.

Procès-verbal du conseiller d'Etat en charge du DI, 15.09.2010, pp. 19 à 20.

Le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) pour la partie suisse, le «Under Secretary of the General Peoples Committee for Liaison and International Cooperation» pour la partie libyenne. Cf. réponse du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 31.3.2010, p. 3.

Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 14.10.2008; «Minutes of Meeting Between The Great Socialist Libyan Arab Jamahiriya And The Swiss Confederation», 15.8.2008 (cf. annexe 2).

«MoU To Establish an Independent Joint Ad-Hoc Committee to Investigate the Complaints of Libyan Side», 15.8.2008. Traduction française: «Mandat: enquêter sur les plaintes adressées à l'encontre des autorités compétentes suisses, à savoir le Département fédéral des affaires étrangères et la police genevoise, et inclues dans la note verbale 1/18/937 du 20.7.2008 et dans d'autres notes délivrées par la partie libyenne, ainsi que sur les plaintes des diplomates libyens présents durant l'incident.»

3930

Ce comité se compose d'un juge libyen (juge à la Cour Suprême de la Libye) et d'un juge suisse (membre de la Commission du droit international des Nations Unies).

Ces deux personnes co-président le comité indépendant ad hoc; il n'est pas prévu de troisième personne pour assurer la présidence.

Le texte du MoU prévoit la possibilité de rendre soit une conclusion commune des deux co-présidents soit des conclusions séparées.60 Le 2 septembre 2008, les employés du couple K. retirent leur plainte; le 3 septembre 2008, le procureur de la République et canton de Genève classe la procédure pénale dirigée contre le couple K.

Durant cette même période, le comité indépendant ad hoc est mis en place.61 Ce comité tient huit séances entre début septembre 2008 et mi-novembre 2008.62 Il auditionne plusieurs représentants des autorités suisses, genevoises et libyennes impliqués dans l'arrestation du couple K.63 Outre les deux juges qui co-président le comité, une délégation suisse et une délégation libyenne participent aussi aux auditions et aux discussions; ces deux délégations livreront ensuite chacune une prise de position aux deux co-présidents.

Durant le dernier trimestre 2008, un second entretien téléphonique a lieu entre la cheffe du DFAE et son homologue libyen.64 Pendant cette même période, une visite de la cheffe du DFAE en Libye est également prévue; en raison de la non-délivrance par les autorités libyennes des visas requis, cette visite n'aura toutefois pas lieu.65 Dans sa note d'information au Conseil fédéral du 4 décembre 2008, la cheffe du DFAE fait le point de la situation. Elle rappelle que le DFAE a suivi dans ses rapports avec la Libye une approche bilatérale, sans pour autant avoir négligé des contacts avec des hautes personnalités d'autres Etats sur la conduite à suivre. En ce qui concerne les «Minutes of meeting» du 15 août 2008, elle mentionne que la lettre de regrets initialement prévue n'a pas été délivrée66. Bien que la Suisse ait contribué depuis le 15 août 2008 aux travaux du comité indépendant ad hoc, les travaux de ce dernier vont prendre fin étant donné qu'il ne peut y avoir de conclusions communes.

Dans une lettre datée du 8 décembre 2008, le président de la Confédération 2008 transmet au Guide de la Révolution, au nom du Conseil fédéral et en son nom propre, ses profonds respects
à l'occasion de l'Aïd el Kebir67. Il transmet aussi ses voeux pour le bien-être du Guide, de sa famille ainsi que du peuple libyen. Il ajoute que, sur une note plus personnelle, il est convaincu qu'ils parviendront à restaurer la 60 61 62 63 64

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66

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«MoU To Establish an Independent Joint Ad-Hoc Committee to Investigate the Complaints of Libyan Side», 15.8.2008.

Rapport du Conseil fédéral aux CPE, «Libye: Chronologie des efforts du Conseil fédéral depuis l'arrestation de H.K. le 15 juillet 2008», 14.10.2009, p. 2.

Report of the Independent Joint ad hoc Committee Libya/Switzerland, 2.2009.

Report of the Independent Joint ad hoc Committee Libya/Switzerland, 2.2009, p. 8.

Bref procès-verbal de la séance 12 de la «Task Force Libyen» du 10.10.2008; Rapport du Conseil fédéral aux CPE, «Libye: Chronologie des efforts du Conseil fédéral depuis l'arrestation de H.K. le 15 juillet 2008», 14.10.2009, p. 3.

Rapport du Conseil fédéral aux CPE, «Libye: Chronologie des efforts du Conseil fédéral depuis l'arrestation de H.K. le 15 juillet 2008», 14.10.2009, p. 3 et procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, 12.4.2010, p. 33.

Selon les explications du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), il était prévu que les excuses soient données tout à la fin, c'est-à-dire après la mise en oeuvre des autres mesures prévues par les «Minutes of Meeting» (procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), 15.2.2010, p. 64.).

Note de la commission: il s'agit d'une importante fête musulmane.

3931

confiance et l'amitié qui existent traditionnellement entre les deux pays, dans l'intérêt mutuel et en vue d'horizons nouveaux et prometteurs.68 La lettre du président de la Confédération 2008 du 8 décembre 2008 restera sans réponse.69 Les deux co-présidents du comité ad hoc n'étant pas parvenus à s'entendre sur des conclusions communes, ils rendent des conclusions individuelles le 14 décembre 2008 pour le juge suisse et le 24 décembre 2008 pour le juge libyen.

Les conclusions du juge suisse sont les suivantes: «Conclusion of the Swiss Member of the Committee: My overall conclusion is that the arrest and detention of Mr. and Mrs. [G.] has not been in violation of international and Swiss law except regarding the alleged theft70. The whole event is, none the less, most regrettable, especially in view of the fact that the Geneva Police authorities had been advised by the Swiss Foreign Ministry that, as bearers of diplomatic passports and high dignitaries of the Libyan State, Mr. and Mrs [G.] should be treated with special care and courtesy.

Unfortunately, that advice was not followed, with the result that, in some respects, the two persons in question were not treated with the necessary courtesy and even in an unnecessarily humiliating fashion.»71 Quant au juge libyen, il arrive à la conclusion ci-dessous: «Conclusion: The outcome of my conclusion is that the illegal and disproportionate actions, in addition to the humiliating and degrading treatment of the Libyan diplomat and his spouse, and the violation of their child's rights, committed by the members of Geneva police force, who where involved in the incident must qualify for criminal offences under the applicable criminal law. Moreover, such actions would certainly deserve strong

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Lettre du président de la Confédération 2008 au Guide de la Révolution libyenne, 8.12.2008.

Procès-verbal de l'audition de l'ancien chef du DFI, 9.9.2010, p. 14.

Le juge suisse fait ici référence au fait que, le 13.7.2008, trois employés du couple K. ont rapporté à la police genevoise le vol d'une montre ainsi que de 2000 euros qui appartenaient au couple K. Selon lui, «regarding the alleged theft of 2000 and of a watch from the safe deposit box in Mrs G.'s room, the Geneva police neglected to pursue the matter with the necessary vigour, in accordance with the law» (source: Report of the Independent Joint ad hoc Committee Libya/Switzerland, 2.2009).

«Observations of the Swiss Member of the Committee», p. 3, in «Report of the Independent Joint ad hoc Committee Libya/Switzerland», 2.2009. Traduction française: «Conclusion du membre suisse de la commission: j'estime que l'arrestation et la détention de M. et Mme [K.] n'ont pas été exécutées en violation des droits suisse et international, sauf en ce qui concerne le vol présumé. Le déroulement des opérations n'en est pas moins regrettable, notamment si l'on considère que les autorités de police genevoises avaient été informées par le Département fédéral des affaires étrangères que M. et Mme [K.], en tant que détenteurs de passeports diplomatiques et en leur qualité de hauts dignitaires de l'Etat libyen, devaient être traités avec une attention toute particulière. Ce conseil n'a malheureusement pas été suivi et l'on peut considérer que les deux personnes en question n'ont pas toujours été traitées avec les égards dus à leur rang et ont même été inutilement humiliées.»

3932

disciplinary measures to be taken against them immediately by the relevant Swiss authorities, and to inform the Libyan party of the result of the measures taken.»72 Les 29 et 30 janvier 2009, la cheffe du DFAE rencontre à deux reprises un autre fils du Guide de la Révolution en marge du Forum économique mondial (WEF) à Davos.73 Un projet d'accord est discuté.

Ce projet contenait les éléments suivants74: la Suisse aurait exprimé ses regrets sur le fait que les circonstances de l'arrestation du couple K. aient été perçues comme une offense envers le Guide de la Révolution, sa famille ainsi que le peuple libyen et qu'elles aient affecté les bonnes relations entre les deux pays. Le texte aurait mentionné aussi que la manière avec laquelle la police était intervenue le 15 juillet 2008 pouvait effectivement avoir été considérée par les personnes concernées comme non nécessaire et non appropriée. La Suisse aurait reconnu qu'il y avait eu un manque de courtoisie diplomatique appropriée et qu'il n'y avait pas eu de sa part de notification formelle à l'ambassade de la Libye ni au sujet de l'arrestation ni au sujet du droit de visite consulaire. Le texte aurait stipulé qu'en conséquence des actions inappropriées et non nécessaires du 15 juillet 2008, la police genevoise requerrait des officiers impliqués qu'ils suivent des cours obligatoires sur le protocole diplomatique afin de s'assurer qu'à l'avenir des incidents de ce genre ne se reproduisent plus. Pour sa part, la Libye se serait engagée à lever toutes restrictions relatives aux libres déplacements des diplomates et citoyens, y compris les deux citoyens suisses alors retenus en Libye, ainsi que toutes les restrictions sur les activités commerciales et économiques. De plus, les deux pays se seraient engagés à normaliser les activités consulaires, y compris la délivrance de visas et la reconnaissance réciproque des certificats d'origine.

Toutefois, les négociations n'aboutissent pas et le projet ci-dessus n'est dès lors pas signé.75 Dans une note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 11 mars 2009, la cheffe du DFAE constate qu'à la suite du retrait de la plainte déposée contre le couple K. et de la conclusion des travaux du comité indépendant ad hoc, la Libye n'aurait toujours pas réalisé ses obligations découlant des «Minutes of Meeting» du 15
août 2008. Les deux ressortissants suisses ne sont toujours pas autorisés à quitter le pays; toutefois ils peuvent se mouvoir librement à l'intérieur du territoire libyen.

En outre, la cheffe du DFAE informe le Conseil fédéral sur sa rencontre en marge du WEF avec un des fils du Guide de la Révolution ainsi que du projet de MoU élaboré à cette occasion. Selon la cheffe du DFAE, ce projet de MoU n'aurait pas reçu l'approbation du Guide de la Révolution.

72

73 74 75

«The concluding remarks of the Libyan Co-Chairman of the Committee», p. 6, in «Report of the Independent Joint ad hoc Committee Libya/Switzerland», 2.2009. Traduction française: «Conclusion: ma conclusion est que les actions illégales et disproportionnées commises par les membres de la police genevoise impliqués dans l'incident, auxquelles s'ajoutent le traitement humiliant et dégradant d'un diplomate libyen et de son épouse ainsi que la violation des droits de leur enfant, doivent être qualifiées de délits en vertu du droit pénal. De plus, les autorités suisses compétentes doivent immédiatement prononcer des mesures disciplinaires sévères sanctionnant ces actions et informer la partie libyenne des résultats de ces mesures.» Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, 12.4.2010, p. 31.

Projet de MoU between The Great Socialist Libyan Arab Jamahiriya and Switzerland, 30.1.2009.

Rapport du Conseil fédéral aux CPE, «Libye: Chronologie des efforts du Conseil fédéral depuis l'arrestation de H.K. le 15 juillet 2008», 14.10.2009, pp. 3 à 4.

3933

Le 30 mars 2009, le DFAE envoie au Ministère des affaires étrangères de la Libye une note diplomatique en réitérant la demande, basée sur des motifs humanitaires, pour les deux ressortissants suisses retenus en Libye et souffrant de problèmes de santé, de pouvoir retourner en Suisse.76 Le 8 avril 2009, la Libye, agissant conjointement avec H. K., A. K. et leur enfant mineur, dépose une demande en constatation de droit et dommages-intérêts pardevant le tribunal compétent de la République et canton de Genève.77 Le 1er mai 2009, l'ambassadeur de Suisse en Libye quitte ses fonctions et part en retraite anticipée.78 Ce départ dans un contexte de crise diplomatique n'a pas manqué de soulever des questions sur ses circonstances exactes; ces questions sont traitées sous le point 2.2.4 du présent rapport.

Son remplaçant, qui a le titre de chargé d'affaires a.i., ne prendra ses fonctions à Tripoli que le 17 juillet 2009 en raison de difficultés à obtenir un visa d'entrée.

Selon ce dernier, une présence suisse constante à l'ambassade n'a pas pu être garantie entre le 11 juin 2009 et le 17 juillet 2009, en raison du refus des autorités libyennes de délivrer les visas nécessaires79. L'attaché de défense basé au Caire, alors en fonction, a exercé une certaine fonction de pont durant cet intervalle.

Début mai 2009, la cheffe du DFAE s'entretient par téléphone à plusieurs reprises avec le premier ministre libyen, qui la convie à se rendre en Libye.80 Le 26 mai 2009, lors d'un voyage du chef du DFF, président de la Confédération en 2009 (ci-après: président de la Confédération 2009) dans les Emirats arabes unis (ciaprès: E.A.U.), le président des E.A.U., suite à une discussion téléphonique qu'il aurait eue avec le Guide de la Révolution, propose au président de la Confédération 2009 son aide pour servir d'intermédiaire entre les deux pays.

Après avoir consulté le DFAE, le président de la Confédération 2009 répond que la Suisse accepte cette offre de médiation.81 Du 27 au 29 mai 2009, la cheffe du DFAE se rend à Tripoli accompagnée par le chef de la DP II, le chef de l'information du DFAE82, les épouses des deux ressortissants suisses ainsi que par un médecin. La cheffe du DFAE rencontre à deux reprises le premier ministre, le ministre des affaires étrangères, ainsi que d'autres hauts représentants des autorités libyennes. Un projet d'accord est négocié.

76 77

78 79 80 81 82

Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 18.5.2009.

«Accord Suisse-Libye, note de synthèse», 8.10.2009, document remis par le conseiller d'Etat de la République et canton de Genève en charge du Département des institutions au moment des faits en vue de son audition auprès de la Commission de politique extérieure du Conseil national le 12 octobre 2009, p. 5. Ce document mentionnne aussi que: «Au motif de la conclusion de l'Accord entre la Suisse et la Libye du 20 août 2009, la partie libyenne a proposé la suspension de la procédure. Cette proposition a été acceptée par l'Etat de Genève et la procédure a effectivement été suspendue par le Tribunal de première instance, par jugement du 17 septembre 2009.» Procès-verbal de l'audition de l'ambassadeur de Suisse en Libye, 12.4.2010, p. 4.

Procès-verbal de l'audition du chargé d'affaires a.i. suisse en Libye, 27.8.2010, p. 5.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, 12.4.2010, p. 31; Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 18.5.2009.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009, 24.6.2010, p. 6.

Procès-verbal de l'audition du chef de l'information du DFAE, 10.3.2010, p. 43.

3934

Ce projet prévoyait notamment83 que la Suisse exprime ses regrets pour la manière dont l'incident avait eu lieu à Genève. Il stipulait également que le DFAE prendrait des sanctions disciplinaires à l'égard de collaborateurs du DFAE, exprimerait un blâme à l'encontre du conseiller d'Etat en charge du DI et du substitut du procureur général de la République et canton de Genève, et émettrait de nouvelles directives sur le traitement des diplomates. Par ailleurs, le projet prévoyait que simultanément à la signature de l'accord les relations bilatérales seraient rétablies et les deux citoyens suisses pourraient retourner en Suisse.

Toutefois, ce projet n'aboutit pas durant le voyage de la cheffe du DFAE. Selon les propos de celle-ci, le désaccord principal résidait dans la simultanéité des mesures,84 demandée par la Suisse mais finalement refusée par la Libye85.

Selon la note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 4 juin 2009, le premier ministre libyen aurait assuré la cheffe du DFAE lors d'un entretien téléphonique du 3 juin 2009 qu'une solution politique était «sur la table». Il aurait oralement accepté qu'une résolution de la crise ne serait possible qu'avec une sortie des deux ressortissants suisses simultanément au rétablissement du statu quo ante des relations bilatérales. Une confirmation écrite aurait été annoncée pour les jours suivants.86

2.2

Appréciations de la CdG-E sur des aspects particuliers

2.2.1

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève

Ainsi qu'il ressort de l'état des faits (voir point 2.1), le Département des institutions de la République et canton de Genève a contacté par écrit la Mission suisse à Genève le 14 juillet 2008 ­ c'est-à-dire avant l'émission d'un mandat d'amener à l'encontre du couple K. et partant avant leur interpellation par les autorités genevoises ­ afin de solliciter des informations sur le statut du couple K.

Il convient de préciser que les documents transmis par le DI à la Mission suisse (fax du 14 juillet 2008 et pièces jointes) emploient uniquement les termes «intervention» et «interpellation». Il s'agit là de termes généraux qui ne donnent aucune indication sur le type d'opération qui sera effectivement menée et/ou sur le type de mandat qui sera délivré (mandat de comparution versus mandat d'amener).

La CdG-E constate que tant la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire que le vice-directeur de la DDIP se sont rendus compte du fait qu'une arrestation du couple K. serait susceptible d'entraîner des répercussions politiques importantes sur les relations bilatérales entre la Suisse et la Libye. Pour cette raison, la

83 84 85

86

«Draft» non daté, transmis par la cheffe du DFAE au président de la Confédération 2009 en annexe de sa lettre du 9.6.2009.

Cette simultanéité signifie que la sortie de la Libye des deux ressortissants suisses doit intervenir en même temps que la signature d'un accord et la normalisation des relations.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, 12.4.2010, p. 31 et rapport du Conseil fédéral aux CPE, «Libye: Chronologie des efforts du Conseil fédéral depuis l'arrestation de H.K. le 15 juillet 2008», 14.10.2009, pp. 4 à 5.

Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 4.6.2009.

3935

cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP a contacté le jour même le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique) par téléphone.

Le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique) a pris connaissance des faits.

Certes, il partageait l'appréciation tant juridique que s'agissant des répercussions politiques de la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP.

Toutefois, il n'a pas jugé nécessaire d'informer la cheffe du DFAE le 14 juillet 2008.

Selon les explications fournies à la CdG-E par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique), la décision de ne pas informer la cheffe du DFAE relevait de sa compétence propre. Dans la mesure où il estimait qu'il n'y avait à ce moment-là pas de décision à prendre du côté du DFAE, il a décidé de ne pas informer la cheffe du DFAE à ce moment-là.

Au vu des informations reçues par la commission, il semblerait en outre qu'il n'existe aucune directive au sein du DFAE définissant quand et sur quel contenu la cheffe du DFAE doit être impérativement informée et/ou consultée. Selon la pratique en vigueur, la DDIP consulte la Direction politique lorsqu'elle est sollicitée par des autorités cantonales afin de prendre position sur des questions d'immunité diplomatique qui revêtent un caractère délicat.

Il convient de relever que la cheffe du DFAE partage l'appréciation du secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique) et considère qu'il n'y avait pas de raison de l'informer dès le 14 juillet 2008, puisque la doctrine juridique s'agissant des immunités diplomatiques était claire.

Par ailleurs, la CdG-E constate que, suite à sa conversation téléphonique avec le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique), la cheffe de la Section du droit diplomatique et consulaire de la DDIP a répondu le soir même, donc le 14 juillet 2008, à la Mission suisse, qui a immédiatement transmis ladite réponse au Département des institutions genevois.

Or, il ressort de la demande adressée le 14 juillet 2008 par ledit département à la Mission suisse qu'il n'y avait pas de nécessité ou d'urgence de livrer une réponse immédiate (il était en effet stipulé dans le fax contenant cette demande que «[...] je me permets de vous solliciter afin que des informations sur le statut des intéressés soient préalablement transmises à mon département
[...] à votre plus proche convenance»)87.

Il ressort certes d'un document annexé à la demande du 14 juillet 2008 qu'une interpellation de H.K. était prévue pour le 15 juillet 2008.

Toutefois, ladite demande du 14 juillet 2008 du Département des institutions mentionne également clairement que le département n'informerait le Procureur général des faits qu'après avoir reçu la réponse du DFAE concernant le statut du couple K.

Sur la base des informations reçues, la CdG-E considère pour sa part que le secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique) aurait impérativement dû informer et consulter la cheffe du DFAE avant qu'une réponse ne soit donnée aux autorités genevoises.

87

Courrier du Département des institutions de la République et canton de Genève à la Mission suisse du 14.7.2008.

3936

La CdG-E constate que dans le cas d'espèce la cheffe du DFAE n'a pas eu la marge de manoeuvre nécessaire pour pouvoir mener une réflexion politique en amont à l'interpellation du couple K. sur les conséquences possibles ou à attendre d'une telle interpellation sur les relations bilatérales entre la Suisse et la Libye. En particulier, elle n'a pas pu évaluer si, au vu de la constellation telle qu'elle se présentait, il n'aurait pas été nécessaire qu'elle contacte les autorités politiques compétentes de la République et canton de Genève afin de les sensibiliser sur les conséquences possibles pour la Confédération et le canton de Genève en matière de politique extérieure d'une arrestation du couple K.

La commission ne doute pas de la justesse de la réponse juridique à la question de l'existence ou non d'une immunité diplomatique du couple K. De plus, elle est aussi consciente des limites constitutionnelles à l'action de la Confédération dans ses relations avec les cantons, puisque la justice et la police relèvent de la souveraineté cantonale, et que de surcroît au niveau cantonal le pouvoir judiciaire doit bien évidemment rester indépendant du pouvoir exécutif.

Toutefois, tant le respect de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons que le respect de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et judiciaire au niveau cantonal n'excluent pas a priori un échange d'informations et de points de vue entre ces instances. Un tel échange a pour but de garantir que l'instance compétente, qui doit en dernier lieu prendre une décision et en assumer la responsabilité, puisse le faire en pleine connaissance, à la fois des faits et des possibles conséquences pour d'autres autorités. La décision finale sur le type d'intervention à mener dans cette affaire revenait clairement aux autorités de justice et police genevoises. Toutefois, rien n'aurait empêché que les autorités de justice et police genevoises soient préalablement rendues attentives par le biais du gouvernement genevois à leur marge de manoeuvre quant au type d'intervention à mener (mandat de comparution versus mandat d'amener).

Au vu de ce qui précède, la CdG-E arrive à la conclusion que la réponse donnée par le DFAE à la Mission suisse à l'intention du DI n'était pas adéquate sous cette forme, bien qu'elle ait été
tout à fait correcte sur le plan strictement juridique s'agissant de la question de l'immunité diplomatique. En effet, la problématique aurait dû être traitée aussi au niveau politique, et cela tant du côté de la Confédération que de celui de la République et canton de Genève. A l'avenir, il s'agit de garantir qu'au sein du DFAE, lors de constellations pareilles ou semblables, le ou la chef(fe) du DFAE en tant que responsable politique soit informé(e) à temps. En effet, c'est en premier lieu au responsable politique qu'il incombe de mener la réflexion politique nécessaire et le cas échéant une discussion politique avec les autorités politiques du canton concerné. Cette tâche ne peut, au vu de sa nature politique, pas être déléguée de manière définitive ni aux services de la DDIP, qui sont chargés de répondre aux questions juridiques, ni aux collaborateurs responsables de la Direction politique.

3937

Recommandation 1:

Information de la cheffe du DFAE

La CdG-E demande au DFAE de se doter, lors de constellations difficiles relatives à des immunités diplomatiques, de directives définissant dans quelle situation, quand et par qui le/la chef(fe) du DFAE doit être impérativement informé(e) et/ou consulté(e) afin qu'il(elle) puisse assumer sa responsabilité politique.

S'agissant des modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises après l'arrestation du couple K., les personnes entendues s'accordent à dire que de nombreux contacts ont eu lieu mais que ces derniers étaient de nature informelle.

A titre d'exemples, des discussions entre le DFAE et les autorités genevoises ont eu lieu avant la signature du «Memorandum of Understanding» du 15 août 2008, avant la rencontre avec l'un des fils du Guide de la Révolution à Davos en janvier 2009 et avant le voyage de la cheffe du DFAE en mai 2009. En règle générale, ces contacts avaient lieu soit entre la cheffe du DFAE et le conseiller d'Etat en charge du Département des institutions ­ également président du Conseil d'Etat genevois jusqu'à décembre 2008 ­ soit entre le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional), qui dirigeait le «Kerngruppe Libyen», et le secrétaire général du Département des institutions. Le secrétaire d'Etat du DFAE a aussi participé au moins à l'une des rencontres. La cheffe du DFAE a précisé à la CdG-E que certes elle avait eu des contacts informels avec le conseiller d'Etat en charge du DI, mais qu'en revanche elle ne négociait pas elle-même directement avec les autorités genevoises; elle mandatait pour cela soit le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) soit le secrétaire d'Etat du DFAE88.

A aucun moment durant cette phase les autorités fédérales et les autorités genevoises n'ont signé de convention écrite définissant les modalités exactes de communication.

La consultation et l'implication du canton de Genève, par exemple lors de l'élaboration de projets d'accord entre la Suisse et la Libye ou en vue de démarches entreprises par le DFAE, n'ont pas été réglées non plus au début de la crise. Il ne semble pas non plus y avoir de traces écrites des nombreux contacts informels qui ont eu lieu.

Par ailleurs, la CdG-E constate que la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises semble avoir bien fonctionné durant
cette période. Cette bonne collaboration paraît toutefois reposer en grande partie sur les bons contacts personnels qui existaient au préalable entre la cheffe du DFAE et le conseiller d'Etat en charge du Département des institutions suite au fait qu'ils avaient siégé ensemble au gouvernement genevois.

Au vu des difficultés qui surgiront lors des périodes suivantes (cf. point 3.2.3 et 4.1.1), la commission est cependant d'avis que les autorités fédérales et les autorités genevoises auraient gagné à définir dès le départ de manière précise comment elles entendaient collaborer dans ce dossier. Paradoxalement, les bons contacts existants entre la cheffe du DFAE et le conseiller d'Etat en charge du Département des insti-

88

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 26.10.2010, p. 63.

3938

tutions semblent avoir trop longtemps masqué le manque de canaux de communication et de procédures officiels prédéfinis.

2.2.2

Information et conduite du Conseil fédéral

Durant cette période (mi-juillet 2008 à juin 2009), le Conseil fédéral est tenu informé des développements de ce dossier essentiellement par le biais de notes d'information du DFAE ainsi que d'informations orales transmises par la cheffe du DFAE lors des séances du collège.

La CdG-E constate que la cheffe du DFAE a certes informé régulièrement le collège. Toutefois, s'agissant du contenu des informations transmises, elle relève que ni les notes d'information du DFAE ni les procès-verbaux du Conseil fédéral ne font état de l'échange de fax et de courriels du 14 juillet 2008 entre le DFAE et les autorités genevoises. Pour la commission, il s'agit là pourtant d'un élément important pour comprendre les développements futurs du dossier (note de la commission: l'information du Conseil fédéral au sujet des planifications d'opérations d'exfiltration des deux Suisses retenus en Libye fait l'objet d'un chapitre séparé, cf.

point 5.3.1).

Il ressort des documents du Conseil fédéral que ce dernier n'a pas mené de discussion approfondie sur ce dossier avant le 17 juin 2009. Le collège ne prend pas non plus de décision formelle durant cette première période.

En outre, ni la Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères ni la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité n'ont jamais été saisies de ce dossier. Il convient de préciser que la Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères n'a jamais siégé durant cette période, et par conséquent n'a pas traité d'autres objets non plus.

Comme mentionné, le Conseil fédéral a été tenu informé, de manière plus ou moins régulière, de l'évolution des négociations menées entre la Suisse et la Libye par la cheffe du DFAE. En tant que collège, il ne s'est toutefois pas intéressé de plus près à cette affaire. Ni le collège ni ses membres n'ont insisté durant cette période pour que le Conseil fédéral mène une discussion approfondie ou s'implique davantage dans la détermination des étapes futures.

Pour sa part, la cheffe du DFAE n'a pas soumis au Conseil fédéral de sa propre initiative des propositions dans le but d'impliquer activement le collège dans la conduite du dossier. Pourtant, il aurait été depuis le début de la crise du ressort du Conseil fédéral de définir la stratégie avec ses buts, les moyens nécessaires pour les atteindre et le
calendrier prévu.

Il s'ensuit que durant cette première phase la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye a été gérée exclusivement au niveau du DFAE et non du Conseil fédéral. Or, au vu de l'importance et de l'étendue de la crise bilatérale, la commission considère que la conduite de ce dossier, et en particulier la définition de la stratégie à mener, aurait dû être assurée par le Conseil fédéral en tant que collège.

3939

Recommandation 2:

Définition de la stratégie par le Conseil fédéral lors de crises importantes en matière de politique extérieure

La CdG-E demande au Conseil fédéral de veiller à ce qu'à l'avenir il définisse en tant que collège la stratégie à suivre (objectifs, moyens et si possible calendrier) lors de crises importantes en matière de politique extérieure.

2.2.3

Conduite et organisation de la gestion de crise par le DFAE

La CdG-E juge positive la mise en place rapide par le DFAE de deux structures: d'une part, le «Kerngruppe Libyen», qui réunit les différentes divisions du DFAE concernées ainsi qu'une représentante du Seco, et qui est essentiellement responsable des aspects opérationnels. D'autre part, le «groupe de travail interdépartemental», comme structure typiquement transversale, qui réunit des représentants du DFAE, du DDPS, du DFI (jusqu'à fin octobre 2008), du DFE, du DFJP ainsi que de l'Etat-major de la Délégation pour la sécurité du Conseil fédéral, et dont la fonction consiste principalement à servir de plateforme pour échanger et coordonner les informations entre les départements concernés.

La composition exacte de ces structures a varié dans le temps et selon les objets à traiter. En revanche, la conduite opérationnelle a été assurée de manière constante à partir du 21 juillet 2008 par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional). Ce dernier informait régulièrement voire quotidiennement la cheffe du DFAE, qui assumait la conduite politique et stratégique de la gestion de crise.89 Contrairement au constat fait par les CdG dans le cadre de leur inspection sur «les autorités sous la pression de la crise financière et de la transmission de données clients d'UBS aux Etats-Unis»90, les travaux des deux groupes de travail placés sous la conduite opérationnelle du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) ont été documentés sous forme de compte-rendus des séances tenues. La commission salue cette démarche, qui permet de garantir la compréhension subséquente et le suivi des discussions et des décisions prises à ce niveau.

La CdG-E constate en revanche que ni le «Kerngruppe Libyen» ni le «groupe de travail interdépartemental» n'ont reçu de mandat écrit de la part de la cheffe du DFAE.

Selon le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional)91, un mandat écrit n'aurait pas eu de sens en présence d'une crise, car la situation évolue d'heure en heure; de plus, la cheffe du DFAE aurait donné des instructions claires, qui consistaient d'une part à tout mettre en oeuvre pour protéger et ramener les deux Suisses retenus en Libye et d'autre part à travailler au rétablissement aussi rapide que possible des relations bilatérales traditionnellement bonnes entre les deux pays.

89 90 91

Réponse écrite du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du 11.10.2010, p. 2.

Les autorités sous la pression de la crise financière et de la transmission de données clients d'UBS aux Etats-Unis, rapport des CdG du 30.5.2010, p. 36.

Réponse écrite du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du 11.10.2010, p. 1.

3940

Pour la commission, la question centrale n'est pas le fait qu'un mandat soit nécessairement délivré sous forme écrite, mais qu'il soit suffisamment précis et clair et qu'en particulier il comprenne non seulement les objectifs généraux, mais aussi les moyens à mettre en oeuvre et les délais. De plus, elle considère que dans le cas d'espèce ce mandat aurait dû être défini par le Conseil fédéral en tant que collège.

2.2.4

Circonstances du départ en retraite anticipée de l'ambassadeur de Suisse en Libye

Le 16 décembre 2008, la Commission du DFAE pour la planification des affectations, responsable des changements d'affectation des chefs de mission, charge la directrice de la Direction des ressources (DR) du DFAE de discuter avec l'ambassadeur de Suisse en Libye de la possibilité d'une mise à la retraite anticipée avec maintien de son droit complet à la retraite92.

Le 22 décembre 2008, la directrice de la DR contacte par téléphone l'ambassadeur de Suisse en Libye et lui demande s'il pourrait s'imaginer prendre une retraite anticipée au 1er août 2009. Après réflexion, l'ambassadeur de Suisse en Libye accepte cette proposition.

Par décision du 6 mars 2009, le Conseil fédéral approuve la proposition du DFAE concernant la retraite anticipée de l'ambassadeur de Suisse en Libye93. Il approuve également la proposition selon laquelle son successeur représenterait la Suisse en Libye en tant que chargé d'affaires a.i. Une réévaluation de la représentation suisse n'aurait lieu que lors de la normalisation des relations bilatérales.

Le 1er mai 2009, l'ambassadeur de Suisse en Libye quitte ses fonctions et part en retraite anticipée.

La CdG-E s'est entretenue avec les différents acteurs concernés afin de comprendre comment la décision du DFAE de proposer une retraite anticipée à l'ambassadeur de Suisse en Libye à ce moment-là avait été prise. Sur la base des informations reçues, la commission est arrivée à la conclusion que cette décision n'avait pas été prise à la légère.

En effet, il ressort des explications de plusieurs représentants du DFAE dont le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional)94 et la cheffe du DFAE95 ainsi que des compte-rendus des séances des groupes de travail qu'au fur et à mesure que la crise s'est prolongée, des problèmes auraient surgi parce que l'ambassadeur de Suisse en Libye ne se serait pas conformé aux directives du DFAE, en particulier s'agissant de la transmission sécurisée des informations. De plus, des désaccords entre l'ambassadeur de Suisse en Libye et la Centrale à Berne sur la stratégie à mener se seraient multipliés.

92 93 94 95

Réponse écrite de la directrice de la Direction des ressources du DFAE du 8.6.2010, p. 1.

Réponse écrite de la directrice de la Direction des ressources du DFAE du 8.6.2010, pp. 1 à 2.

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) du 15.9.2010, pp. 32 à 40.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 29.10.2010, pp. 3 à 8.

3941

La commission n'ayant pas trouvé d'indices laissant penser que ce départ en retraite anticipée aurait eu des conséquences néfastes pour la résolution de la crise diplomatique, elle renonce, pour des raisons de protection de la personnalité, à publier les détails.

3

Phase II: de juin 2009 à fin août 2009

3.1

Résumé de l'état des faits

Le 9 juin 2009, la cheffe du DFAE envoie une lettre96 au président de la Confédération 2009, dans laquelle elle l'informe de l'état des négociations menées entre elle et le premier ministre de la Libye et lui transmet le projet de texte correspondant alors à l'état des discussions.

Par cette lettre, elle l'informe que des discussions ont été lancées avec la Libye le 6 mai 2009 pour trouver une solution politique aux tensions entre les deux pays.

Depuis lors, son partenaire de négociation est le premier ministre libyen. A la suite de quelques progrès, le premier ministre l'a invitée à se rendre en Libye avec une délégation pour poursuivre le dialogue à Tripoli. Elle en a informé le président de la Confédération le 20 mai 2009, en marge d'une réunion d'une des délégations du Conseil fédéral.

La cheffe du DFAE ajoute dans cette lettre que le contenu des discussions en vue d'une solution politique porte pour une première partie sur des mesures qui sont de la compétence du DFAE (mesures administratives à l'encontre de collaborateurs du DFAE). Une seconde partie traite des modalités visant à la normalisation des relations bilatérales et à l'autorisation de sortie des deux ressortissants suisses retenus en Libye. Une dernière partie prévoit des mesures pour intensifier à l'avenir les relations bilatérales.

Selon cette lettre, en aval de la visite du président de la Confédération 2009 dans les Emirats arabes unis (E.A.U.), la cheffe du DFAE aurait proposé à ce dernier de mettre à profit ses contacts avec le président des E.A.U. pour informer le Guide de la Révolution des progrès significatifs accomplis dans les négociations avec le premier ministre libyen et pour lui signaler la volonté de la Suisse de trouver rapidement un règlement aux tensions. La cheffe du DFAE indique également de manière explicite qu'elle saluerait le fait que les discussions suivantes puissent avoir lieu aussi au niveau présidentiel. Enfin, elle souligne qu'il est important qu'elle et le président de la Confédération 2009 continuent à s'informer réciproquement des derniers développements de cette affaire et remercie le président de la Confédération 2009 pour son soutien.

Le 17 juin 2009, sur la base d'une note de discussion du DFAE du 15 juin 2009, le Conseil fédéral mène une discussion sur l'état des négociations. Il ressort
de cette note de discussion qu'une solution politique semblait à portée de main. Il en ressort également qu'après des négociations de plusieurs mois, un grand nombre de propositions du côté suisse et autant de changements de position du côté libyen, il pourrait s'avérer nécessaire, en cas d'arrêt des négociations, de signaler clairement à la Libye que la Suisse serait prête à renforcer sa position de négociatrice de manière ciblée et

96

Lettre de la cheffe du DFAE au président de la Confédération 2009 du 9.6.2009.

3942

progressive par des mesures de rétorsion. La note de discussion présente ensuite une série de mesures de rétorsion possibles.

Lors de la discussion du Conseil fédéral, le collège est d'avis que le dossier, qui était géré par le DFAE, bute sur la question de la simultanéité de la sortie des deux otages avec la signature d'un accord97.

Il ressort des procès-verbaux du Conseil fédéral qu'il s'agit là de la première discussion approfondie du Conseil fédéral sur cette affaire.

Lors de cette séance, le président de la Confédération 2009 signale l'offre de médiation du président des E.A.U. Sur cette base, le Conseil fédéral décide de donner une chance à l'offre de médiation d'un pays arabe qui jouit d'une haute réputation dans le monde islamique et d'élever le dossier au niveau présidentiel.98 Selon la formulation employée par le Conseil fédéral dans sa réponse écrite à la CdG-E99, le Conseil fédéral délivre le 17 juin 2009 un mandat informel au président de la Confédération 2009.

D'après cette même réponse, le mandat du Conseil fédéral dans le conflit entre la Suisse et la Libye est depuis le début resté inchangé: la normalisation des relations bilatérales et le retour en Suisse des deux ressortissants retenus. Un mandat de négociation aussi étendu que celui-ci n'est pas inhabituel dans les relations internationales et il avait aussi auparavant été donné au DFAE.

Selon le président de la Confédération 2009100, le mandat du Conseil fédéral n'était pas limité dans le temps; le président de la Confédération 2009 devait simplement se charger du dossier. Le président de la Confédération 2009 n'a pas pu dire à la commission s'il avait reçu le mandat de négocier directement avec le Guide de la Révolution. Selon lui, cela était vraisemblablement attendu. Toutefois, il n'était pas clair de savoir qui possédait en fin de compte le pouvoir et les compétences («wer letztlich das Sagen und die Kompetenzen hatte»).

Selon les dires du président de la Confédération 2009101, il n'est pas allé chercher cette tâche supplémentaire, étant par ailleurs déjà fort occupé durant son année présidentielle (secret bancaire, UBS, etc.). Il était toutefois d'avis que la situation étant bloquée il fallait élever les négociations à l'échelon supérieur, c'est-à-dire au niveau présidentiel.

De plus, il a expliqué à la CdG-E qu'il
considérait avoir reçu un mandat, non seulement sur la base de la lettre de la cheffe du DFAE du 9 juin 2009, mais aussi sur la base de la discussion menée au sein du Conseil fédéral le 17 juin 2009102.

Il ressort des procès-verbaux du Conseil fédéral que la question d'élever le dossier au niveau présidentiel a effectivement été discutée. Cette option a été accueillie favorablement par les membres du collège, en particulier après que le président de la Confédération 2009 eut mentionné ses contacts avec le président des E.A.U. qui s'était proposé pour intervenir en tant que médiateur dans cette affaire. Le président de la Confédération 2009 a expliqué qu'il aurait de nouveaux contacts avec le gou97 98 99 100 101

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 2.

Ibid.

Ibid.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 7.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, pp. 5, 7 et 22.

102 Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 29.9.2010, p. 8.

3943

vernement d'Arabie Saoudite [recte: le président des E.A.U.] les jours suivants et qu'ensuite, il saurait clairement s'il peut entrer en négociations au niveau présidentiel avec la Libye. A l'issue des discussions, le Conseil fédéral décide d'attendre le résultat des discussions entre le président de la Confédération 2009 et le président des E.A.U.

En revanche, le Conseil fédéral n'a pas pris de décision formelle sur l'octroi d'un mandat au président de la Confédération 2009 ni formulé le contenu et l'étendue de celui-ci. De la décision du Conseil fédéral du 17 juin 2009103, il ressort uniquement que ce dernier a pris connaissance de la note de discussion du DFAE du 15 juin 2009.

A partir du 17 juin 2009, le DFAE cesse toutes les négociations qu'il avait entreprises104. Une rencontre prévue entre le secrétaire d'Etat du DFAE et son homologue libyen pour poursuivre les négociations menées fin mai 2009 en Libye n'aura dès lors pas lieu.

Mi-juillet 2009, un homme d'affaires de nationalité étrangère résidant en Suisse contacte par téléphone le président de la Confédération 2009. Il lui aurait dit qu'il bénéficiait d'un accès direct à l'administration libyenne, ainsi qu'au Guide de la Révolution; ce dernier lui aurait fait part de sa volonté de trouver une solution à cette crise et aurait donné un mandat en ce sens à son premier ministre.105 Suite à cela, le 18 juillet 2009, le président de la Confédération 2009 contacte par téléphone le premier ministre libyen106. Lors de cet entretien, le président de la Confédération 2009 rend le premier ministre libyen attentif au contact qu'il a eu avec le président des E.A.U., ce à quoi le premier ministre libyen lui aurait répondu qu'il était déjà au courant. Ils conviennent toutefois de ne plus recourir à cet intermédiaire, puisqu'un contact direct existe désormais107.

Lors de ce même entretien, le président de la Confédération 2009 et le premier ministre libyen discutent d'un projet d'accord comprenant les cinq points suivants: 1.

«En ce qui concerne l'incident survenu le 15 juillet 2008 à Genève, la Libye et la Suisse conviennent d'une procédure accélérée d'arbitrage par des experts en droit.

2.

Chacun des deux pays nommera une personne indépendante issue d'un pays tiers d'ici au 31 juillet 2009. Les deux arbitres organisent leur travail de manière indépendante. Les deux pays fournissent aux arbitres tous les documents requis disponibles.

3.

L'objectif de cet arbitrage est de déterminer si les organes suisses de justice et de police ont agi conformément à la loi lors de l'incident susmentionné.

L'arbitrage contiendra des recommandations finales.

103 104 105

Décision du Conseil fédéral du 17.6.2009.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 14.4.2010, p. 29.

Procès-verbal des auditions du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, pp. 7 à 8, et du 29.9.2010, p. 12.

106 Procès-verbal des auditions du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 8, et du 29.9.2010, p. 23.

107 Procès-verbal des auditions du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 21, et du 29.9.2010, p. 23.

3944

4.

Cet accord sera signé en Libye par les organes habilités à ce faire des deux pays (pour la Suisse: le président de la Confédération suisse; pour la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste; [texte manquant]).

5.

Simultanément à la signature de ce projet d'arbitrage, les relations bilatérales sont rétablies (cf. projet)108». [trad.]

Le 31 juillet 2009, le président de la Confédération 2009 remet au premier ministre libyen un projet d'accord109 par lequel les deux Etats prévoient l'institution d'un tribunal arbitral composé de trois membres. Dans ce texte, il est mentionné que l'objectif de l'arbitrage est de déterminer si les autorités cantonales et fédérales suisses impliquées dans l'incident du 15 juillet 2008 ont agi conformément au droit international applicable. Il est également prévu que les relations bilatérales seront rétablies simultanément à la signature du projet d'arbitrage. Inter alia, seront simultanément rétablies toutes les activités consulaires concernant tous les citoyens des deux pays, notamment la délivrance de visas d'entrée et de sortie pour les citoyens et les personnalités officielles suisses et libyens, y compris pour les deux citoyens suisses se trouvant actuellement en Libye, ainsi que les relations commerciales entre les deux pays, y inclus les liaisons aériennes. Dans une lettre d'accompagnement du même jour, le président de la Confédération 2009 prie le premier ministre de la Libye de bien vouloir apporter ses commentaires au projet. En outre, il se dit enchanté de se rendre à Tripoli dans un futur proche pour discuter de ces problèmes avec le Guide de la Révolution en personne et estime que cette visite sera une excellente occasion de signer l'accord110.

Le 5 août 2009111, le président de la Confédération 2009 décide d'organiser un voyage à Tripoli. Trois dates sont alors envisagées: le 13 août 2009, le 18 août 2009 et le 20 août 2009.

Une proposition d'accord envoyée par la Libye le 13 août 2009 est soumise par la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 pour consultation à la DDIP112.

Le 14 août 2009, le directeur de la DDIP transmet ses conclusions à la cheffe du DFAE113. Après examen, il arrive à la conclusion que le texte est inacceptable sous cette forme et soumet une contre-proposition. Il explique que: «Notre contreproposition se base sur le texte libyen. Les passages qui devraient être enlevés sont biffés. Nos contre-propositions sont marquées en gras. Les passages pour lesquels il existe des possibilités de faire des concessions sont délimités par des crochets et écrits en mode italique. Nous proposons toutefois de faire dépendre ces concessions de contreparties de la partie libyenne et, en conséquence, de ne les amener que au cours des négociations».

108

109 110 111 112 113

Projet tel qu'il a été convenu par le président de la Confédération suisse 2009 et le premier ministre de la Libye lors de leur entretien téléphonique du 18.7.2009 («Draft as orally discussed between the President of the Swiss Confederation 2009 and the Prime Minister of Libya from 18.07.2009»).

Projet d'accord du 31.7.2009.

Lettre du président de la Confédération 2009 au Premier ministre de la Libye du 31.7.2009.

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 4.

Procès-verbal de l'audition du vice-directeur de la DDIP du 10.3.2010, p. 25.

Note du directeur de la DDIP à la cheffe du DFAE du 14.8.2009.

3945

Les principaux points critiqués par le directeur de la DDIP sont les suivants: en ce qui concerne la proposition que la Suisse présente des excuses formelles et publiques pour tort commis à l'égard d'un diplomate libyen, la DDIP relève que de telles excuses n'entrent pas en ligne de compte. D'une part parce que la Suisse n'aurait pas commis de tort pour lequel elle devrait s'excuser. D'autre part, parce que H.K.

n'aurait pas eu de statut diplomatique au moment des faits. Si la Suisse s'excusait et reconnaissait qu'un tort avait été commis, un tribunal arbitral ne serait plus nécessaire. Par contre, pour la DDIP il serait acceptable que la Suisse exprime des regrets ou éventuellement, comme concession ultime, des excuses pour les désagréments causés par l'arrestation de H.K. et de sa famille.

S'agissant de la proposition contenue dans le projet du caractère unilatéral de la procédure arbitrale, la DDIP relève qu'en un tel cas seul le comportement suisse serait examiné. Les violations de droit subséquentes à l'arrestation du couple K.

commises par la Libye seraient exclues. Aussi longtemps qu'en échange de la signature de l'accord, les deux Suisses pourraient quitter la Libye, on pourrait à la rigueur accepter cela; toutefois, le projet ne prévoyant pas une telle clause, la DDIP propose de maintenir l'exigence selon laquelle le comportement de la Libye soit aussi examiné par le tribunal arbitral.

En ce qui concerne les bases de décision de la procédure arbitrale, le projet d'accord se réfère à des «principes éthiques» («ethical principles») et à des «règles de courtoisie internationales» («rules of international courtesy»). Il s'agit là de concepts vagues et nulle part définis, raison pour laquelle la DDIP propose de se référer aux dispositions régies par le statut de la Cour internationale de Justice.

En outre, la DDIP critique la prise en charge exclusive des frais de la procédure arbitrale par la Suisse prévue dans le projet, ainsi que la suspension des «responsables» jusqu'à la fin de la procédure arbitrale. Par rapport à l'introduction d'une procédure pénale contre les responsables, également prévue dans le projet, la DDIP relève que le Conseil fédéral ne peut pas s'engager à mener une telle procédure en raison de la séparation des pouvoirs.

Enfin, la DDIP critique le versement prévu dans
le projet d'une indemnisation de 20 millions d'euros par la Suisse et le règlement de l'ensemble des questions bilatérales une fois seulement que toutes les obligations découlant de la procédure d'arbitrage auraient été remplies. La DDIP considère cette dernière exigence comme totalement inacceptable, vu qu'elle soumettrait la libération des deux ressortissants suisses et la levée des autres restrictions au bon vouloir de la Libye.

En conclusion, le directeur de la DDIP propose deux options. S'agissant de la première option, il explique que: «Dans la mesure où les canaux de négociation du DFAE n'ont plus été utilisés depuis longtemps et sont donc , une négociation devrait de ce fait être menée directement par le [président de la Confédération 2009]. Il faudrait essayer d'éliminer les divergences lors d'une discussion directe avec la partie libyenne, respectivement avec le [Guide de la Révolution] libyen».

Dans la seconde option, le président de la Confédération 2009 rechercherait une solution sur une autre base que le projet d'accord existant. Cette autre base pourrait par exemple consister en une proposition de prévoir un tribunal arbitral et en échange de revenir avec les deux ressortissants suisses.

Le 14 août 2009, la cheffe du DFAE transmet la note du directeur de la DDIP au président de la Confédération 2009 avec une brève lettre d'accompagnement, dans laquelle elle précise qu'il s'agit d'une première appréciation. Elle y dit clairement 3946

que sous sa forme actuelle, le projet n'est pas acceptable pour la Suisse. Elle soumet les deux options susmentionnées au président de la Confédération 2009 en relevant que le choix est politique et que la décision en incombe soit au président de la Confédération 2009, soit au Conseil fédéral, selon l'appréciation du président de la Confédération 2009.

Le 15 août 2009, le président de la Confédération 2009 transmet une nouvelle proposition d'accord qui s'appuie partiellement sur les critiques de la DDIP. Ce projet d'accord prévoit entre autres que le gouvernement suisse exprime ses profonds regrets pour l'incident du 15 juillet 2008 et présente des excuses officielles et publiques pour les désagréments causés durant l'arrestation menée par la police genevoise. Dans le même courrier, le président de la Confédération 2009 suggère un entretien téléphonique le dimanche à venir et termine en relevant qu'il serait enchanté de rencontrer le Guide de la Révolution le jeudi 20 août 2009114.

Le même jour, le premier ministre de la Libye115 répond au président de la Confédération 2009 en relevant que des éléments importants ont été enlevés de la proposition libyenne et que d'autres y ont été ajoutés. Parmi les éléments sur lesquels la Libye ne peut pas faire de compromis figurent l'exigence d'une excuse, le refus que le tribunal arbitral se détermine sur les agissements de la Libye et le refus de l'abandon d'une clause de compensation au profit d'une compétence du tribunal arbitral à décider d'une compensation financière adéquate. En conséquence, le premier ministre libyen conclut que la proposition ne peut pas être acceptée.

Le 16 août 2009, le président de la Confédération 2009 a un entretien téléphonique avec le premier ministre libyen. Lors de cette discussion, le président de la Confédération 2009 exprime son souhait de trouver une solution le jour même. Dans le cas contraire, l'affaire ne serait pas mûre pour une visite officielle du président de la Confédération 2009 à Tripoli et devrait donc retourner pour traitement au DFAE.

Tous les deux conviennent d'un échange de propositions le même jour.

Le jour même, le premier ministre libyen transmet au président de la Confédération 2009 les grandes lignes des points essentiels sur lesquels ils se sont mis d'accord («Outline of the basic agreed
points»)116. Il ressort entre autres des neuf points de ce document que la Libye demande des excuses officielles et publiques de la part du gouvernement suisse pour les actions illégales et injustifiées commises par la police genevoise (texte anglais: «wrongful and unjustified actions committed by the Geneva Police»). Il est prévu que les relations bilatérales seront rétablies une fois que le tribunal arbitral aura statué définitivement sur le litige et que la Suisse aura rempli toutes ses obligations découlant de l'accord.

Toujours le même jour, le président de la Confédération 2009 répond117 au premier ministre libyen que certains des points sont inacceptables pour la Suisse. Il écrit notamment que le différend ne semble pas encore prêt pour un accord final entre le Guide de la Révolution et le président de la Confédération suisse. Il suggère donc de continuer le dialogue au niveau ministériel.

114

Lettre du président de la Confédération 2009 au premier ministre de la Libye du 15.8.2009.

115 Lettre du premier ministre de la Libye au président de la Confédération 2009 du 15.8.2009.

116 «Outline of the basic agreed points» du 16.8.2009.

117 Lettre du président de la Confédération 2009 au premier ministre de la Libye du 16.8.2009.

3947

Dans sa réponse du 17 août 2009118, le premier ministre libyen propose que le président de la Confédération 2009 spécifie quels sont les points inacceptables pour la Suisse afin que les deux parties puissent clairement déterminer les obstacles encore existants.

Le 18 août 2009, le président de la Confédération 2009 répond119 que les trois points essentiels pour la Suisse sont les suivants: 1.

«Désireuse de trouver un compromis, la Suisse accepte la mise en place d'une procédure d'arbitrage, dont l'unique objectif est de déterminer les conséquences légales des actions menées par les autorités suisses en relation avec l'incident du 15 juillet 2008. La Suisse acceptera la décision finale.

2.

Pour cette raison, la Suisse ne peut accepter que le résultat de la procédure d'arbitrage soit prédéterminé. Elle présente ses plus sincères excuses pour les désagréments causés par les événements du 15 juillet 2008; cependant, il appartient au tribunal d'arbitrage de déterminer si ces événements se sont produits en violation du droit international. A cet égard, le mandat attribué au tribunal doit être formulé de manière neutre et les conséquences doivent dépendre du verdict du tribunal. Il va sans dire que si le tribunal arrivait à une telle conclusion, la Suisse accepterait aussi de payer une compensation.

3.

Deux citoyens suisses sont actuellement empêchés de quitter la Libye. Par leur travail, ces deux entrepreneurs contribuent à promouvoir le progrès et le développement en Libye et, partant, servent dans un sens le gouvernement et le peuple libyens. La Suisse attend de la Libye qu'elle leur délivre les documents de sortie nécessaires afin qu'ils soient libres de quitter le pays avec le président de la Confédération 2009 lorsqu'il rentrera en Suisse après son voyage en Libye. De plus, toutes les autres mesures prises par les autorités libyennes à la suite de l'incident du 15 juillet 2008 devront aussi être levées afin de normaliser complètement les relations bilatérales entre les deux pays». [Trad.]

Il conclut en mentionnant qu'il saluerait la possibilité de pouvoir discuter ces points avec le Guide de la Révolution en personne.

Avant l'envoi de cette réponse, la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009120 consulte par téléphone le directeur de la DDIP121.

Le directeur de la DDIP est donc consulté à deux reprises durant l'été 2009. Il n'y aura ensuite plus de contacts entre la DDIP et le président de la Confédération 2009 jusqu'au retour de ce dernier de son voyage en Libye122.

118 119 120

121 122

Lettre du premier ministre de la Libye au président de la Confédération 2009 du 17.8.2009.

Lettre du président de la Confédération 2009 au premier ministre de la Libye du 18.8.2009.

Depuis quelques années, il est usuel que le DFAE mette un(e) diplomate à disposition du (de la) président(e) de la Confédération. Le/la collaborateur/trice diplomatique du/de la président/e de la Confédération est chargé/e de préparer les contacts à l'étranger du/de laprésident/e et d'assurer les contacts avec le DFAE (procès-verbal de l'audition de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009, pp. 1 à 2).

Audition de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 15.9.2010, p. 52.

Audition de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 15.9.2010, p. 55.

3948

Le Conseil fédéral tient une séance le 19 août 2009. Selon les propos du Conseil fédéral123, lors de cette séance, le président de la Confédération 2009 fait état oralement des derniers développements de ce dossier. Sur la base des dernières propositions d'accord échangées entre les deux pays les 18 et 19 août 2009, il est d'avis que l'affaire n'est pas réglée. Le président de la Confédération 2009 oriente dès lors le collège sur le fait qu'il ne pense pas se rendre en Libye à ce stade.

Selon les propos du président de la Confédération 2009124, il expose les bases de l'accord lors de la séance du Conseil fédéral du 19 août 2009, mais mentionne aussi qu'il existe encore quelques différences entre les parties, notamment s'agissant des réserves de la DDIP. Il dit au Conseil fédéral qu'il ne se rendra pas en Libye tant que la Libye ne serait pas prête à négocier sur ces points.

De ses notes personnelles concernant le déroulement de la journée du 19 août 2009, il ressort que le président de la Confédération 2009 avait informé le Conseil fédéral qu'une solution se dessinait avec la Libye et que son voyage était certes prévu pour le 20 août, mais restait encore incertain.

Il n'existe pas de procès-verbal formel du Conseil fédéral sur la partie de la séance durant laquelle ce point a été traité. Cependant, il ressort des notes personnelles du vice-chancelier de la Confédération, que le président de la Confédération 2009 a informé le Conseil fédéral sur le fait qu'il n'avait pas reçu de confirmation écrite l'assurant qu'il pourrait ramener les deux ressortissants suisses et que par conséquent il ne se rendra pas à Tripoli le lendemain.

Au cours de cette séance, le président de la Confédération 2009 ne demande pas à recevoir du Conseil fédéral une autorisation pour signer un accord avec la Libye.

Le 19 août 2009, le premier ministre libyen écrit125 au président de la Confédération 2009 pour lui dire qu'il salue la visite de ce dernier à Tripoli le 20 août 2009, et qu'en vue de celle-ci la Libye souhaite, également dans l'optique d'un compromis, confirmer son accord sur les points concernant la procédure d'arbitrage, la compensation et les excuses que devra présenter le gouvernement suisse, tels que proposés par la Libye et confirmés par la lettre du président de la Confédération 2009. La question du
rétablissement des relations bilatérales entre les deux pays dépendra des négociations qui auront lieu durant la visite et fera l'objet d'une décision en conséquence. A la fin de cette lettre, le premier ministre répète que la Libye se réjouit de la visite du président et espère que cette visite permettra de parvenir à un arrangement juste et équitable concernant le différend entre les deux parties.

Le 19 août 2009 aux alentours de 19h00, le président de la Confédération 2009 reçoit un appel téléphonique du premier ministre libyen126. Le premier ministre libyen lui aurait demandé de se rendre dans tous les cas à Tripoli le 20 août 2009, car il fallait utiliser le «window of opportunity» alors existant. Il aurait mentionné que le Ramadan était sur le point de débuter; plus tard, la situation de départ ne serait pas plus favorable. De plus, il aurait ajouté que certaines conditions du projet d'accord (excuses et tribunal arbitral) étaient des «hard-points».

123 124 125

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 4.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 21.

Lettre du premier ministre de la Libye au président de la Confédération 2009 du 19.8.2009.

126 Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 14 et p. 21 et note du président de la Confédération 2009 sur le déroulement de la journée du 19.8.2009.

3949

Dans le courant de la soirée du 19 août 2009127, le président de la Confédération 2009 décide de se rendre à Tripoli le lendemain 20 août 2009. Il n'informe ni le Conseil fédéral en tant que collège ni la cheffe du DFAE de sa décision.

Selon les dires du président de la Confédération 2009128, le Conseil fédéral était informé du fait qu'il comptait en principe effectuer un voyage en Libye, mais pas du moment de ce voyage.

Selon les propos du Conseil fédéral, le DFAE était informé du voyage du président de la Confédération 2009 à Tripoli129. Selon la cheffe du DFAE, elle a effectivement été informée le soir du 19 août 2009 par l'un de ses collaborateurs de la tenue de ce voyage (selon ses souvenirs, il s'agirait du chef de l'Information DFAE), mais, selon ses propres termes, «c'était plutôt par hasard»130.

Le soir du 19 août 2009 aux alentours de 20 h 00, le président de la Confédération 2009 informe la secrétaire générale du DFF de sa décision de quand même se rendre à Tripoli le lendemain suite à sa conversation téléphonique avec le premier ministre libyen. Selon les dires de la secrétaire générale du DFF, le président de la Confédération 2009 lui aurait demandé de ne pas transmettre plus loin cette information131.

La collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009132, également informée de la décision du président de la Confédération 2009, transmet cette information uniquement au chef de la DP II du DFAE. En effet, c'est lui que la cheffe du DFAE avait désigné pour accompagner le président de la Confédération 2009 lors d'un éventuel voyage en Libye lorsque le président de la Confédération 2009 avait exprimé son intention d'effectuer un tel voyage quelques temps auparavant. La collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 part du principe que le chef de la DP II du DFAE informera sa hiérarchie.

En outre, elle aurait discuté plusieurs fois du voyage du président de la Confédération 2009 avec le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) mais sans mentionner de dates concrètes, ayant reçu l'instruction claire du président de la Confédération 2009 que tout devait se dérouler dans la discrétion la plus complète.133 Le chef de la DP II du DFAE n'informe toutefois pas la cheffe du DFAE de la tenue du voyage le 20 août 2009 car il part du principe qu'il existe
un contact direct entre les deux conseillers fédéraux concernés.134 La délégation avec laquelle le président de la Confédération 2009 se rend en Libye le 20 août 2009 se compose du chef de la DP II du DFAE, de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009, de la cheffe du service de communication du DFF ainsi que de l'homme d'affaires susmentionné. Sur place, la délégation est renforcée par le chargé d'affaires a.i. de l'ambassade de Suisse à Tripoli ainsi que par le chargé d'affaires suppléant.

127 128 129 130 131 132 133 134

Note du président de la Confédération 2009 sur le déroulement de la journée du 19.8.2009.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 22.

Réponse du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 5.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 12.4.2010, p. 36.

Procès-verbal de la secrétaire générale du DFF du 27.8.2010, p. 26.

Procès-verbal de l'audition de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 15.9.2010, p. 53.

Procès-verbal de l'audition de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 15.9.2010, pp. 53 à 54.

Réponse écrite du chef de la DP II à la sous-commission du 13.9.2010, p. 1.

3950

Selon les dires du président de la Confédération 2009 ainsi que de sa collaboratrice diplomatique135, le président de la Confédération 2009 aurait souhaité se faire accompagner par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional). En effet, ce dernier avait mené une grande partie des négociations jusque-là et était un spécialiste du droit international. Le président de la Confédération 2009 avait dès lors exprimé une demande en ce sens auprès de la cheffe du DFAE. La cheffe du DFAE aurait toutefois refusé cette demande et décidé de lui mettre le chef de la DP II à disposition.

La cheffe du DFAE a confirmé devant la CdG-E la demande exprimée par le président de la Confédération 2009 de se faire accompagner par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional). Elle a toutefois expliqué à la commission qu'elle avait décidé de lui mettre le chef de la DP II à disposition, car d'une part ce dernier l'avait accompagnée en Libye lors de son voyage de mai 2009 et, d'autre part, parce qu'elle souhaitait que le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) reste à Berne pour s'occuper du «back office»136.

La CdG-E n'a pas pu clarifier le rôle exact de l'homme d'affaires privé qui a accompagné le président de la Confédération 2009 en Libye. Selon les déclarations de ce dernier137, l'homme d'affaires n'aurait pas participé aux négociations des délégations. Selon les dires du chargé d'affaires a.i. de l'ambassade de Suisse à Tripoli138, l'homme d'affaires aurait en revanche été présent lors du repas de midi auquel participaient le président de la Confédération 2009, ledit chargé d'affaires, le premier ministre et le ministre des affaires étrangères libyens.

S'agissant du déroulement des négociations sur place, la CdG-E n'a pas pu éclaircir de manière définitive comment les négociations ont été menées à terme. Les différentes personnes concernées s'accordent en revanche à dire qu'après une discussion préliminaire commune, les personnes présentes se sont séparées en deux groupes: le premier était composé du président de la Confédération 2009, du chargé d'affaires a.i. de l'ambassade de Suisse, de la cheffe du service de communication du DFF, du premier ministre et du ministre des affaires étrangères de la Libye; le second était composé du chef de la DP II, de la collaboratrice diplomatique du président de la
Confédération 2009, du chargé d'affaires suppléant de l'ambassade de Suisse ainsi que de trois représentants de la Libye.139 Selon le Conseil fédéral140, après que le président de la Confédération 2009 et le premier ministre libyen seraient arrivés à un accord de principe, les représentants des deux délégations auraient réglé les derniers détails sur place.

Selon le président de la Confédération 2009141, c'est le chef de la DP II qui aurait finalisé le texte de l'accord conjointement avec la partie libyenne, c'est pourquoi il est d'avis que le texte non seulement se base sur les négociations précédentes

135

136 137 138 139 140 141

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 29.9.2010, pp. 8 à 9, et procès-verbal de l'audition de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 15.9.2010, p. 53.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 26.10.2010, p. 46.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 16.

Procès-verbal de l'audition du chargé d'affaires a.i. de l'ambassade de Suisse à Tripoli du 27.8.2010, p. 7.

Note d'information établie par le chef de la DP II le 24.8.09 à l'attention de la cheffe du DFAE sur sa participation à la délégation menée par le chef du DFF, p. 2.

Réponse du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 5.

Procès-verbal du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, pp. 15 à 16.

3951

menées par le DFAE, mais a été établi dans sa version définitive avec la participation du DFAE.

Dans une note d'information rédigée par le chef de la DP II le 24 août 2009 à l'attention de la cheffe du DFAE sur sa participation à la délégation menée par le président de la Confédération 2009142, le chef de la DP II explique que les délégations suisse et libyenne étaient encore en train de négocier lorsqu'à un moment donné il leur aurait été communiqué que le président de la Confédération 2009 et le premier ministre libyen étaient parvenus à une solution concernant les deux ressortissants suisses retenus en Libye et qu'il fallait terminer les négociations en l'état.

Cette instruction aurait surpris lesdites délégations.

Selon la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009143, la délégation suisse serait initialement partie du principe que le dernier texte négocié avec le premier ministre libyen le 19 août 2009 était définitif. Une fois arrivée sur place, la délégation suisse aurait constaté que la délégation libyenne souhaitait encore négocier plusieurs points. Après que les deux délégations seraient arrivées à un point final, elles auraient délégué la suite de la procédure à leurs chefs respectifs, afin que ces derniers prennent la décision.

D'après la note d'information susmentionnée rédigée par le chef de la DP II144, le président de la Confédération 2009 serait venu vers 15 heures pour indiquer que le premier ministre libyen lui avait promis que les deux ressortissants suisses pourraient rentrer en Suisse dans les jours suivants, probablement avant le 1er septembre.

C'était pour lui le point décisif, sur lequel le président de la Confédération 2009 aurait pris une décision politique.

Pour sa part, le président de la Confédération 2009145 a aussi indiqué à la CdG-E que le premier ministre de la Libye lui aurait promis que les deux ressortissants suisses pourraient rentrer en Suisse dans quelques jours.

Selon les dires de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009146, le premier ministre de la Libye aurait assuré au président de la Confédération 2009 déjà lors de leur conversation téléphonique du 19 août 2009 que les deux ressortissants suisses pourraient quitter la Libye à l'issue de son voyage. La collaboratrice diplomatique du président de
la Confédération 2009 n'était toutefois pas présente durant cet entretien téléphonique. Puis, le 20 août 2009, lorsque le président de la Confédération 2009 est revenu de son repas de midi avec le premier ministre libyen, il aurait répété cette information en présence dudit premier ministre. Il aurait toutefois alors précisé qu'il ne serait pas possible de ramener tout de suite les deux ressortissants suisses, mais qu'ils pourraient rentrer avant la fin du mois. Ces faits se seraient donc déroulés avant la signature de l'accord.

142 143 144 145 146

Note d'information établie par le chef de la DP II le 24.8.2009 à l'attention de la cheffe du DFAE sur sa participation à la délégation menée par le chef du DFF, p. 2.

Procès-verbal de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009, pp. 55 à 56.

Note d'information établie par le chef de la DP II le 24.8.2009 à l'attention de la cheffe du DFAE sur sa participation à la délégation menée par le chef du DFF, p. 2.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 29.9.2010, p. 15.

Réponse écrite de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 11.10.2010, p. 1.

3952

Sur la base des informations reçues, la commission constate qu'il n'y a pas de contacts entre la délégation suisse présente en Libye et le DFAE durant les négociations. Ni la cheffe du DFAE147 ni la DDIP ne sont consultées sur le texte définitif de l'accord avant sa signature.

Selon le président de la Confédération 2009148, ce n'était pas à lui de s'occuper des contacts entre le chef de la DP II, présent en Libye, et le DFAE.

Selon le chef de la DP II149, il n'a eu aucune possibilité de contacter le DFAE durant les négociations et il ne sera en mesure de le faire qu'après la signature de l'accord.

A la question écrite de la sous-commission150 lui demandant d'expliciter ce point, le chef de la DP II a réitéré ses explications selon lesquelles il n'avait eu aucune possibilité d'informer Berne car les négociations entre le président de la Confédération 2009 et le premier ministre libyen se déroulaient dans une pièce séparée et qu'à un moment donné, le président de la Confédération 2009 aurait informé les délégations que l'affaire était réglée et qu'ils pouvaient arrêter de travailler sur ce texte.151 Par ailleurs, le chef de la DP II part du principe que le président de la Confédération 2009 a reçu du Conseil fédéral l'autorisation de négocier et de signer le texte152.

Quant à la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009, elle part du principe que le chef de la DP II est compétent pour assurer les contacts avec le DFAE. Elle a toutefois expliqué à la CdG-E qu'elle ne pense pas que la question de savoir qui devait informer quand le DFAE avait été formellement réglée au préalable153.

Du 17 juin 2009 au 20 août 2009, il n'y a pas de contacts entre les services du président de la Confédération 2009 ou le président de la Confédération 2009 lui-même et les autorités de la République et canton de Genève.

Les autorités de la République et canton de Genève ne sont dès lors pas consultées sur le texte définitif qui sera signé le 20 août 2009 (les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève durant cette phase sont traitées au point 3.2.3 ci-dessous).

Ni les Commissions de politique extérieure des Chambres fédérales ni leurs présidents, conformément à l'art. 152, al. 4, LParl154, ne sont consultés avant la signature de l'accord du 20 août 2009155.

Le Conseil fédéral n'est pas consulté sur le texte de l'accord avant sa signature.

147 148 149 150 151 152

153 154

155

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 12.4.2010, p. 36.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, p. 17.

Note d'information établie par le chef de la DP II le 24.8.2009 à l'attention de la cheffe du DFAE sur sa participation à la délégation menée par le chef du DFF, p. 2.

Lettre du président de la sous-commission au chef de la DP II du 2.9.2010.

Réponse écrite du chef de la DP II à la sous-commission du 13.9.2010.

Note d'information établie par le chef de la DP II le 24.8.2009 à l'attention de la cheffe du DFAE sur sa participation à la délégation menée par le chef du DFF, p. 1 et réponse écrite du chef de la DP II à la sous-commission du 13.9.2010.

Procès-verbal de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009, p. 55.

L'art. 152, al. 4, LParl a la teneur suivante: «En cas d'urgence, le Conseil fédéral consulte les présidents des commissions compétentes en matière de politique extérieure. Ceux-ci informent immédiatement leurs commissions respectives».

Réponses de la présidente de la Commission de politique extérieure du Conseil national du 8.7.2010 et du président de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats du 18.8.2010 à la sous-commission.

3953

En outre, entre le 17 juin 2009 et le 20 août 2009, le Conseil fédéral n'est pas informé sur l'intention de signer un accord156 (l'information du Conseil fédéral est traitée de manière plus approfondie sous le point 3.2.1. du présent rapport).

Le 20 août 2009, le président de la Confédération 2009 ­ au nom de la Confédération suisse et le premier ministre libyen signent à Tripoli un accord entre les deux pays comprenant sept points157.

Selon les déclarations du président de la Confédération 2009158, il avait l'intention dès le début de conclure les négociations et de signer directement sur place un accord avec la Libye. Il a dit à la CdG-E ne pas avoir convoqué de conférence téléphonique du Conseil fédéral depuis la Libye pour consulter le collège avant la signature de l'accord, car cela n'aurait fait que compliquer davantage les choses et aurait mis en danger la conclusion d'un accord. Après avoir analysé la situation, le président de la Confédération 2009 était arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas d'autre solution possible que de prendre un risque et de «dénouer le noeud gordien»; il aurait sinon fallu impliquer toutes les personnes concernées, c'est-à-dire le Conseil fédéral mais aussi les autorités de la République et canton de Genève, les Commissions de politique extérieure et les employeurs des deux ressortissants suisses. Or, il fallait pouvoir agir vite, sinon on retomberait dans les propositions et contre-propositions et la situation n'avancerait pas.

D'après les propos de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009159, l'objectif du voyage n'était pas de négocier, mais de signer un texte déjà négocié, l'objectif ultime étant de faire rentrer les deux ressortissants suisses.

La collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 est partie du principe que le DFAE était au courant que c'était là l'objectif du voyage, auquel le chef de la DP II a aussi participé.

Le 20 août 2009, le président de la Confédération 2009 tient une conférence de presse conjointe avec le premier ministre de la Libye à Tripoli.

En outre, le 20 août 2009 au soir, le DFF publie un communiqué de presse annonçant la signature de l'accord160. Ce communiqué ­ de même que la conférence de presse susmentionnée ­ est préparé sur place en Libye et n'est pas soumis au préalable
pour consultation ni au Conseil fédéral ni au DFAE161.

Selon le Conseil fédéral, ce communiqué est envoyé par le service d'information du DFF aux services d'information des autres départements en les priant d'en informer leurs chefs de départements respectifs162.

156 157 158 159 160 161 162

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 5.

«Agreement between The Great Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya And The Swiss Confederation», 20.8.2009, (cf. annexe 4).

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 29.9.2010, pp. 17 à 18.

Réponse écrite de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 11.10.2010, p. 1.

Communiqué de presse du DFF du 20.8.2009, Rétablissement des relations bilatérales Suisse-Libye ­ libération prochaine des Suisses retenus en Libye.

Procès-verbal de l'audition du chef de l'Information DFAE du 10.3.2010, p. 44.

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 5.

3954

Durant son séjour en Libye, le président de la Confédération 2009 ne rencontre pas le Guide de la Révolution163. Selon les propos du président de la Confédération 2009, il avait convenu avant son voyage avec le premier ministre libyen qu'une telle rencontre serait organisée et ce n'est qu'une fois sur place qu'il aurait appris que le Guide de la Révolution était retenu à 700 kilomètres de Tripoli pour régler un problème urgent. Il était toutefois convaincu que le premier ministre libyen avait reçu du Guide de la Révolution le feu vert pour conclure et signer un accord. Le président de la Confédération tire cette conclusion d'une part des informations qu'il a reçues de la part de l'homme d'affaires et d'autre part parce que, à son avis, sans un tel feu vert un accord n'aurait tout simplement pas pu voir le jour. A partir de là, le fait de rencontrer le Guide de la Révolution en personne lors de ce séjour n'était pour lui pas tellement déterminant. En revanche, contrairement à ce qui a parfois été entendu plus tard, il ne serait pas exact que le président de la Confédération 2009 aurait refusé une proposition de rencontre faite par le Guide de la Révolution.

Le 21 août 2009, le président de la Confédération 2009 tient à Berne une conférence de presse. Sur la base des informations reçues, la commission constate que ni le Conseil fédéral ni le DFAE n'ont été impliqués dans la préparation de cette conférence de presse. Au cours de celle-ci, le président de la Confédération 2009 mentionne que «ces préparatifs de la clause du tribunal arbitral ont eu lieu en accord avec le DFAE, ce dernier était au courant, je me suis bien entendu fait présenter les formulations. C'est évident. Nous avons là-bas une Direction du droit international public qui connaît bien ce genre de questions [trad.]»164.

A l'issue de la conférence de presse, certains médias rapportent que des journalistes auraient reçu durant ladite conférence des «sms» provenant du DFAE. Il y aurait été précisé que la DDIP n'avait pas été consultée sur l'accord avant sa signature.

Selon le chef de l'Information DFAE165, son service reçoit de nombreuses demandes d'information des médias suite à la signature de l'accord du 20 août 2009, et cela dès le 20 août 2009 au soir. L'éclaircissement des faits dure un certain temps, puisque l'Information DFAE
a été surprise par les évènements survenus en Libye et n'avait de connaissance précise ni de l'accord signé ni des négociations. Après avoir tiré les faits au clair en interne, il est décidé le lendemain que le DFAE ne se prononcera pas sur le contenu de l'accord et se contentera de répondre aux questions des médias en disant que la Direction du droit international public du DFAE n'avait pas vu le texte définitif de l'accord avant la signature.

Le 21 août 2009, l'Information DFAE répond sur cette base aux questions des journalistes posées depuis la veille, cela à la fois oralement et par écrit (y compris par sms). Ce faisant, l'Information DFAE mentionne effectivement vis-à-vis de certains médias que la DDIP n'a pas vu l'accord du 20 août 2009 avant sa signature et n'a pas approuvé le texte définitif de l'accord.

163

Procès-verbal des auditions du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, pp. 18 à 19 et p. 24 et du 29.9.2010, pp. 11 à 12.

164 Conférence de presse du président de la Confédération 2009 du 21.8.2009, www.tv.admin.ch 165 Réponse écrite du chef de l'Information DFAE à la sous-commission du 17.8.2010, pp. 1 à 2.

3955

Le chef de l'Information du DFAE a confirmé à la CdG-E166 qu'il avait dans ce sens lui-même transmis une telle prise de position par sms à quatre journalistes qui l'avaient interpellé directement, parfois à plusieurs reprises, entre le 20 et le 21 août 2009.

Selon le chef de l'Information DFAE, cette prise de position correspondait aux faits ainsi qu'à la position officielle du DFAE. Il n'y a eu ni indiscrétion ni autre action pénale ou autrement repréhensible, c'est pourquoi aucune enquête interne n'a été ouverte.

Il convient de relever que la cheffe du DFAE a affirmé devant la CdG-E167 qu'elle n'avait pas donné de mandat pour l'envoi de ces sms et n'a appris leur existence qu'après leur transmission à des journalistes. Elle a précisé avoir présenté ses excuses pour cet incident auprès du président de la Confédération 2009.

Le 24 août 2009, le DFF soumet au Conseil fédéral une proposition demandant que le Conseil fédéral approuve l'accord du 20 août 2009 lors de sa séance du 26 août 2009168.

Dans ladite proposition, le président de la Confédération 2009 expose tout d'abord la situation de départ, en indiquant que le 17 juin 2009, le Conseil fédéral a confié au président de la Confédération le mandat d'engager des négociations avec la Libye afin de rapatrier les deux ressortissants suisses retenus en Libye et de normaliser les relations bilatérales entre la Suisse et la Libye. Il précise que, depuis lors, le président de la Confédération a informé le Conseil fédéral de l'évolution des négociations, pour la dernière fois lors de la séance du Conseil fédéral du 19 août 2009.

Toujours selon ce texte, les négociations avec la Libye auraient été menées sur la base d'un texte d'accord élaboré par la Direction du droit international public et, le 19 août 2009, après de nouvelles négociations, il aurait été possible de trouver un consensus avec la partie libyenne en vue d'un projet d'accord. Le président de la Confédération précise qu'il a décidé de se rendre immédiatement en Libye, dans l'intérêt des deux ressortissants suisses retenus là-bas ainsi que dans l'intérêt des relations commerciales et que, s'il ne l'avait pas fait, les négociations auraient probablement à nouveau fortement été retardées, en raison du début du Ramadan (qui commençait le 21 août 2009) et des cérémonies imminentes de
commémoration de la révolution.

Dans cette proposition, le président de la Confédération 2009 mentionne aussi que le premier ministre de la Libye aurait confirmé devant les médias à Tripoli que les deux Suisses pourraient quitter le pays avant le 1er septembre 2009. Il présente ensuite les trois points principaux de l'accord signé le 20 août 2009 (excuses, tribunal arbitral et normalisation des relations bilatérales dans un délai de 60 jours y compris toutes les activités consulaires).

La proposition du DFF du 24 août 2009 contient aussi une appréciation de l'accord, dans laquelle il est mentionné en substance qu'il a été possible de convenir avec la Libye d'une normalisation des relations entre les deux pays, le prix à payer étant les excuses que le président a exprimées au nom du gouvernement suisse. La proposition précise qu'il est important de souligner que le président de la Confédération n'a pas exprimé d'excuses pour l'ordre juridique suisse, mais uniquement pour les 166 167 168

Réponse écrite du chef de l'Information DFAE à la sous-commission du 17.8.2010, p. 2.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 26.10.2010, p. 48.

Proposition du DFF du 24.8.2009.

3956

circonstances de l'arrestation. Le document souligne également que, lors des négociations, le président de la Confédération 2009 a réussi à faire en sorte que l'accord prévoit que la normalisation des relations bilatérales ait lieu de manière parallèle à l'institution d'un tribunal arbitral (et non après) et que la partie libyenne renonce à inclure dans l'accord la suspension de trois membres de la police genevoise.

Enfin, la proposition du DFF conclut en précisant que l'accord s'adresse en premier lieu aux autorités; par conséquent, en vertu de l'art. 7a, al. 2, let. d, de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA), c'est au Conseil fédéral que revient la compétence d'approuver cet accord.

Le même jour, le président de la Confédération 2009 écrit au Guide de la Révolution169. Après avoir félicité ce dernier pour son élection à la présidence de l'Union africaine et lui avoir adressé ses voeux à l'occasion du Ramadan, le président de la Confédération 2009 poursuit en mentionnant qu'il fait appel à sa bienveillance concernant un problème qui tient au coeur du peuple suisse. Indiquant qu'il a récemment eu le privilège de se rendre à Tripoli et de s'entretenir cordialement avec plusieurs membres du gouvernement libyen, il explique que les deux parties ont conclu un accord qui satisfait aux intérêts de chacun et qui instaurera des relations positives et durables entre la Suisse et la Libye. Il précise que, pour la Suisse, il reste un seul point à clarifier afin de détendre complètement les relations entre les deux nations. Conscient que ledit accord n'aurait pas été possible sans le soutien du Guide de la Révolution, le président de la Confédération 2009 demande à ce dernier, eu égard à l'accord passé entre les deux parties et à la bienveillance traditionnellement de mise pendant le Ramadan, de permettre aux deux citoyens suisses toujours retenus en Libye de rentrer dans leur pays auprès de leurs proches. Selon lui, un tel geste serait salué non seulement par le gouvernement, mais également par le peuple suisse.

Le 25 août 2009, la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009170, sur mandat du président de la Confédération 2009, se rend à Tripoli à bord de l'avion du Conseil fédéral (Falcon 50) en compagnie de l'homme d'affaires déjà présent lors du
voyage du 20 août 2009. [Note de la commission: les faits liés à ce voyage sont tirés pour l'essentiel d'une note rédigée par la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 sur ledit voyage]. Leur mandat consiste à ramener les deux ressortissants suisses. Ce voyage fait suite à plusieurs conversations téléphoniques entre le président de la Confédération 2009 et le premier ministre de la Libye. Le 23 août 2009, le premier ministre libyen aurait assuré au président de la Confédération 2009 que la procédure menée contre les deux ressortissants suisses serait suspendue le 24 août 2009, ce qui permettrait une sortie du pays le 25 août 2009. En parallèle, l'homme d'affaires aurait également mené plusieurs entretiens téléphoniques avec l'entourage du Guide de la Révolution.

Arrivée sur place, la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 rencontre le secrétaire général du Ministère des affaires étrangères libyen et lui expose les motifs de sa visite. Elle rappelle la promesse faite par le premier ministre libyen au président de la Confédération 2009 selon laquelle les deux Suisses pourraient quitter le pays avant la fin du mois et explique qu'au vu de la pression médiatique ayant suivi le voyage du président de la Confédération 2009, il serait favorable 169 170

Lettre du président de la Confédération 2009 au Guide de la Révolution du 24.8.2009.

Note de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 31.8.2009 sur son voyage à Tripoli du 25 au 28.8.2009, pp. 1 à 3.

3957

que les deux Suisses puissent rentrer avant la séance du Conseil fédéral du 26 août 2009 afin de faciliter l'approbation de l'accord. Le secrétaire général du Ministère des affaires étrangères aurait été tout à fait au courant de l'écho médiatique du voyage du président de la Confédération 2009 en Suisse et aurait relevé que le gouvernement suisse n'était visiblement pas uni sur cette question. Il aurait ensuite dit qu'il devait s'entretenir avec ses supérieurs.

Durant les heures suivantes, l'homme d'affaires aurait téléphoné à un grand nombre de personnes, y compris au Guide de la Révolution lui-même. A 4 heures du matin, le secrétaire général du Ministère des affaires étrangères aurait annoncé que les différentes procédures ont été immédiatement lancées, mais qu'il ne sera pas possible de les terminer avant la séance du Conseil fédéral du lendemain matin. En revanche, il aurait affirmé que le premier ministre libyen avait envoyé par fax une lettre au président de la Confédération 2009, dans laquelle il soulignait le fait que les procédures engagées à l'encontre des deux ressortissants suisses seraient traitées de manière accélérée et qu'ils pourraient quitter le pays avant la fin du mois.

Dans ladite lettre du 26 août 2009 adressée au président de la Confédération 2009171, le premier ministre libyen indique s'agissant des deux Suisses que la procédure légale est en cours et que le procureur général examine le dossier conformément aux lois et règlementations libyennes en vigueur et le plus rapidement possible. Selon lui, cette procédure devrait être terminée d'ici quelques jours; eu égard à la pratique habituelle dans des cas similaires, il croit que le cas des deux citoyens suisses sera réglé très prochainement et que ces derniers pourront quitter la Libye avant la fin du mois172.

Lors de la séance du Conseil fédéral du 26 août 2009, le Conseil fédéral prend les trois décisions suivantes: 1.

le Conseil fédéral prend acte des informations fournies par le président de la Confédération et la cheffe du DFAE sur l'état actuel des relations bilatérales entre la Suisse et la Libye;

2.

le DFAE constate que l'accord soumis par le DFF engage la Suisse au niveau international;

3.

fort de ce constat, le Conseil fédéral prend en main la phase de mise en oeuvre de l'accord173.

Selon la réponse écrite du Conseil fédéral du 31 mars 2010174, le Conseil fédéral prend acte de l'accord du 20 août 2009 lors de sa séance du 26 août 2009 et constate qu'il engage valablement la Suisse au niveau international. Compte tenu des circonstances particulières de la signature de l'accord, le Conseil fédéral choisit délibéré-

171

Lettre du premier ministre libyen au président de la Confédération 2009 du 26.8.2009, p. 2.

172 Texte original en anglais: «the legal process with regard to their case is under way and the General Prosecutor is dealing with the matter in accordance with the relevant Libyan laws and regulations and on an expeditiously manner. We anticipate that the procedures will be completed in a matter of days. Based on the normal course of things in similar situations we believe that their case will be determined very soon and they will be able to travel outside of Libya before the end of this month».

173 Décision du Conseil fédéral du 26.8.2009.

174 Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 6.

3958

ment la formulation selon laquelle il prend acte de l'accord plutôt que la formulation habituelle selon laquelle il approuve ce dernier175.

Il ressort des procès-verbaux du Conseil fédéral que les membres du collège n'étaient pas prêts à approuver formellement cet accord alors qu'ils n'avaient pas été consultés au préalable sur son contenu.

Par ailleurs, il ressort aussi des documents du Conseil fédéral que la secrétaire générale du DFF, sur mandat du président de la Confédération 2009, aurait approché la chancelière fédérale en vue de modifier après-coup la décision du Conseil fédéral du 26 août 2009, ce que la chancelière fédérale aurait refusé de faire.

Interrogé à ce propos par la CdG-E, le président de la Confédération 2009 a répondu qu'il était d'avis que l'on approuvait le texte en même temps qu'on en prenait acte.

Or, le Conseil fédéral aurait fait ici une différence: il aurait reconnu que rien d'incorrect ne s'était passé au plan du droit international, ce qui ne signifiait toutefois pas qu'il soutenait aussi l'accord. Le président de la Confédération 2009 a indiqué à la CdG-E qu'il avait dû laisser passer en l'état cette interprétation du Conseil fédéral.176 D'après la réponse écrite du Conseil fédéral du 31 mars 2010, ce dernier confie le 26 août 2009 la mise en oeuvre de l'accord du 20 août 2009 au DFAE177. Le DFAE désigne le secrétaire d'Etat du DFAE comme coordinateur selon le point 7 de l'accord178, qui prévoit que chaque partie désigne une personne du Ministère des affaires étrangères pour régler l'ensemble des points affectant les relations bilatérales.

Le même jour, un nouvel organe interdépartemental appelé «Task Force LI-CH-T» (Libyen-Schweiz-Task Force), et placé sous la direction du secrétaire d'Etat du DFAE, est institué par le DFAE.

La «Task Force LI-CH-T» se compose de représentants de cinq départements: le DFAE, le DFF (secrétariat général puis Administration fédérale des finances), le DFE (SECO), le DFJP (Office fédéral des migrations puis secrétariat général) et le DDPS (Service de renseignements stratégiques).

Selon le secrétaire d'Etat du DFAE, les compétences attribuées à cet organe étaient claires. La Task Force devait en premier lieu procéder à une analyse continue de la situation. Toutes les décisions politiques relevaient du Conseil fédéral179. La «Task Force LI-CH-T» siègera très souvent, quasi quotidiennement durant certains mois.

175 176 177 178

Ibid.

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 29.9.2010, p. 20.

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 6.

«Seventhly: Both parties restore their normal relations. They will designate immediately a person from their respective ministries of Foreign Affairs to settle all issues presently affecting their bilateral relationship, amongst others all consular activities to all citizens of both countries, including issuing of exit-entry visa for Swiss and Libyan citizens and officials, trade and commercial relations between the two countries including resumption of air flight between the two countries. The designated persons complete their task within sixty days» (texte entier en annexe 4).

179 Procès-verbal du secrétaire d'Etat du DFAE du 3.3.2010, p. 7.

3959

Sa dernière séance aura lieu le 22 juin 2010180 (l'organisation de la gestion de crise à partir de fin août 2009 est traitée de manière plus approfondie au point 4.1.3).

Le 26 août 2009 toujours, à Tripoli, la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009, accompagnée par le chargé d'affaires a.i. de l'ambassade ainsi que par l'homme d'affaires, est reçue par le premier ministre libyen. Elle informe ce dernier que le Conseil fédéral a approuvé l'accord, ce à quoi le premier ministre libyen aurait répondu que le gouvernement libyen avait fait de même. S'agissant de la sortie de Libye des deux ressortissants suisses, le premier ministre libyen aurait déclaré «give me a few hours». En parallèle, l'homme d'affaires se serait entretenu avec plusieurs personnes influentes au sein du régime libyen et aurait reçu de toutes parts des signaux positifs.

Le 27 août 2009, le chargé d'affaires a.i. de l'ambassade de Suisse à Tripoli est convoqué auprès du Ministère libyen des affaires étrangères181. Les autorités libyennes lui auraient transmis deux messages: d'une part, au niveau politique les choses seraient décidées, la procédure judiciaire serait presque terminée et les deux ressortissants suisses pourraient bientôt quitter le pays; d'autre part, la condition serait toutefois que les deux hommes quittent la Libye sur un avion de ligne. La collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 et l'avion du Conseil fédéral doivent quitter le pays avant.

La nuit du 28 août 2009, la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 atterrit en Suisse sans les deux ressortissants suisses mais avec une partie de leurs bagages. L'homme d'affaires mentionné plus haut reste quant à lui à Tripoli182.

3.2

Appréciations de la CdG-E sur des aspects particuliers

Les appréciations qui suivent se concentrent sur les questions-clés de l'enquête telles que définies par la commission (voir introduction point 1.2). L'objectif de la CdG-E n'est ni d'évaluer l'accord du 20 août 2009 en lui-même, ni ses conséquences, positives ou négatives, sur le développement de la crise diplomatique, mais d'évaluer la manière dont cet accord a été conclu sous l'angle des informations transmises au Conseil fédéral, de la collaboration entre le président de la Confédération 2009 et le DFAE et, enfin, de la collaboration entre le président de la Confédération 2009 et les autorités de la République et canton de Genève.

180

S'agissant du «Kerngruppe Libyen», celui-ci siège à quatre reprises entre le 17.6.2009 et le 26.8.2009 sous la présidence du directeur politique adjoint (domaine régional). Sur invitation du «Kerngruppe Libyen», la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 y siège à partir du 9.7.2009. Le «Kerngruppe Libyen» cessera d'exister sous cette forme une fois créée la «Task Force LI-CH-T».

181 Note de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 du 31.8.2009 sur son voyage à Tripoli du 25 au 28.8.2009, pp. 2 à 3.

182 Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 29.9.2010, p. 13.

3960

3.2.1

Informations transmises au Conseil fédéral et conduite de ce dernier

Lors de sa séance du 17 juin 2009, le Conseil fédéral n'a pas délivré de mandat formel au président de la Confédération 2009. Il est en revanche exact que plusieurs de ses membres se sont prononcés en faveur d'une intervention au niveau présidentiel. Il importe encore de souligner que la décision du Conseil fédéral du 17 juin 2009 ne fait aucune mention de l'octroi par le Conseil fédéral d'un tel mandat.

Pour la commission, la question de savoir si le Conseil fédéral a délivré ou n'a pas délivré de mandat au président de la Confédération 2009 ou si, pour reprendre la terminologie employée par le Conseil fédéral183, il a seulement délivré un «mandat informel», est secondaire. L'important pour la CdG-E est le constat selon lequel le Conseil fédéral n'a pas défini de manière précise le contenu et les limites d'un éventuel mandat au président de la Confédération 2009.

Ainsi, le Conseil fédéral aurait dû au minimum se prononcer sur l'étendue et les limites des compétences octroyées ainsi que sur la répartition des compétences et les modalités de la collaboration et/ou du soutien du département jusque-là en charge du dossier, c'est-à-dire dans le cas d'espèce le DFAE. En particulier, le mandat aurait dû explicitement mentionner la possibilité pour le président de la Confédération 2009 de signer un accord avec la Libye au nom de la Confédération suisse sans consultation préalable du collège, sur le texte si telle avait été la volonté du Conseil fédéral.

En outre, le Conseil fédéral aurait dû préciser dans quelle mesure une élévation du dossier au niveau présidentiel aurait nécessité que cette élévation intervienne également du côté de la Libye, c'est-à-dire que le président de la Confédération 2009 s'assure de pouvoir rencontrer effectivement le Guide de la Révolution en personne avant la signature d'un accord, ou du moins qu'il mette tout en oeuvre pour parvenir à cet objectif.

Par ailleurs, la commission considère qu'au vu de l'importance de l'octroi d'un tel mandat, il aurait dû faire explicitement l'objet de la décision du Conseil fédéral du même jour.

Pour la CdG-E, il n'est pas admissible que le président de la Confédération 2009 n'ait pas informé le Conseil fédéral le 19 août 2009 au soir de sa décision de tout de même se rendre en Libye le lendemain alors qu'il venait de dire au collège lors
de la séance du Conseil fédéral du jour même qu'il ne s'y rendrait pas. Même si la commission est consciente de la charge de travail très importante qui incombait au président de la Confédération 2009 à ce moment-là (vente des actions UBS), elle estime que le président de la Confédération 2009 aurait au minimum pu et dû informer de vive voix la cheffe du DFAE, ainsi que la vice-présidente de la Confédération.

Pour la commission, le fait que la cheffe du DFAE ait été informée de la tenue du voyage par ses services ne remplace pas une information directe d'un membre du Conseil fédéral à un autre.

183

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 2.

3961

Lors de la séance du 19 août 2009, le président de la Confédération 2009 n'a pas informé le Conseil fédéral sur sa ferme intention de conclure et de signer un accord avec la Libye. De ce fait, le Conseil fédéral n'a pas été en mesure de se prononcer ni sur le contenu du projet d'accord en l'état du 19 août 2009 ni sur l'opportunité d'autoriser le cas échéant le président de la Confédération 2009 à signer un tel accord.

Pour la commission, le président de la Confédération 2009 a clairement outrepassé ses compétences en signant un accord sans autorisation du collège.

Par ailleurs, après son retour en Suisse le soir du 20 août 2009, le président de la Confédération 2009 aurait impérativement dû informer immédiatement et personnellement les membres du Conseil fédéral de la signature et du contenu de l'accord.

Au vu de l'importance de l'accord signé le 20 août 2009 et de ses implications pour la Suisse, le président de la Confédération 2009 aurait pour le moins dû convoquer une séance extraordinaire du Conseil fédéral dès son retour en Suisse et en tous les cas avant de s'adresser aux médias. En lieu et place, par la tenue d'une conférence de presse à Tripoli le 20 août 2009 puis à Berne le 21 août 2009, il a mis le Conseil fédéral devant le fait accompli.

Enfin, la CdG-E est d'avis que le refus du Conseil fédéral d'approuver formellement l'accord du 20 août 2009 lors de sa séance du 26 août 2009 montre que le collège n'était pas disposé à avaliser a posteriori les agissements du président de la Confédération 2009.

Par ailleurs, la commission constate que tant dans la proposition du DFF du 24 août 2009 demandant au Conseil fédéral d'approuver l'accord du 20 août 2009 que dans la réponse écrite du Conseil fédéral à la CdG-E184, il est mentionné que le président de la Confédération 2009 s'est seulement excusé pour les circonstances de l'arrestation. Or, le texte original de l'accord stipule dans son art. 1er que «the Swiss Federal Governement shall express official and public apology for the unjustified and unnecessary arrest conducted by the Geneva Police [...]».

De plus, la version allemande de l'accord présentée par le président de la Confédération 2009 au Conseil fédéral lors de sa séance du 26 août 2009 ne correspond pas littéralement au texte original anglais. En effet, il est fait état d'une
«ungebührliche und unnötige Verhaftung» et non d'une «unberechtigte und unnötige Verhaftung»185.

S'agissant de la tentative de faire changer le libellé de la décision du Conseil fédéral du 26 août 2009 de manière à ce qu'il apparaisse que le Conseil fédéral avait approuvé l'accord, la commission considère qu'un tel agissement est intolérable.

En conclusion, la CdG-E constate que durant l'été 2009, le Conseil fédéral n'a pas été en mesure d'assurer son rôle d'autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération.

184 185

Réponse écrite du Conseil fédéral à la sous-commission du 31.3.2010, p. 3.

Note pour la version française du rapport: il n'existe pas de traduction française officielle de l'accord du 20.8.2009. «Unberechtigt» correspond en français à «unjustifié», «non fondé», tandis que «ungebührlich» se traduirait par «peu convenable», «inconvenant», «indu», «incongru», «exagéré» (source: Langenscheidt, Handwörterbuch Französisch).

3962

3.2.2

Collaboration entre le président de la Confédération et le DFAE

Ainsi que mentionné précédemment (point 3.2.1), la CdG-E considère que le Conseil fédéral aurait dû définir dès le 17 juin 2009 la répartition des compétences ainsi que les modalités de la collaboration entre le président de la Confédération 2009 et le DFAE et/ou les modalités du soutien à apporter par le DFAE à ce dernier.

Le président de la Confédération 2009 a certes pu en partie s'appuyer sur les travaux menés depuis mi-2008 par le DFAE et une collaboration ayant porté sur certains éléments a eu lieu lors de la phase précédent son voyage à Tripoli, telle que la sollicitation de l'avis de la DDIP sur le projet de texte du 13 août 2009. A mentionner également, la participation de la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 aux travaux du «Kerngruppe Libyen» à partir du mois de juillet 2009.

Force est toutefois de constater que plusieurs problèmes importants se sont présentés durant l'été 2009 s'agissant de la collaboration entre le président de la Confédération 2009 et le DFAE, et réciproquement.

La commission considère tout d'abord que le président de la Confédération 2009 a pris sans nécessité un risque politique considérable en décidant de partir à Tripoli sans avoir dans ses bagages un texte validé par la DDIP et/ou par la cheffe du DFAE. La présence de représentants du DFAE sur place ne remplace en aucun cas une telle approbation préalable.

Deuxièmement, la CdG-E est d'avis que le refus de la cheffe du DFAE d'accéder à la demande du président de la Confédération 2009 de se faire accompagner par le secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) a inutilement nui à l'instauration d'une collaboration empreinte de confiance et de soutien mutuel entre les deux conseillers fédéraux et partant entre leurs départements respectifs.

En troisième lieu, la commission constate qu'en vue du voyage du 20 août 2009, la question de savoir qui devait tenir la cheffe du DFAE informée à quel moment de quels développements n'avait pas été réglée au préalable. Le résultat en a été que, dans les faits, personne n'a tenu la cheffe du DFAE informée avant la signature de l'accord.

Tandis que le président de la Confédération 2009 et sa collaboratrice diplomatique ont expliqué être partis du principe que le chef de la DP II assurerait l'échange d'informations avec le DFAE, le chef de la DP
II, lui, a expliqué à la CdG-E qu'il n'avait eu aucune possibilité d'informer le DFAE avant la signature de l'accord. De plus, il partait du principe que le président de la Confédération 2009 avait reçu du Conseil fédéral la compétence de négocier et de signer un accord.

Par ailleurs, il ressort du résumé de l'état des faits que le président de la Confédération 2009 et le chef de la DP II ont présenté à la CdG-E des versions différentes sur la manière dont les négociations ont été menées à terme, en particulier s'agissant de savoir qui aurait décidé quand de mettre fin aux négociations. La commission ne peut ici que déplorer l'existence d'une zone d'ombre quant à ces faits.

Quatrièmement, s'agissant des fameux «sms», la commission considère que, même si sur le fond il est exact que la DDIP n'avait pas été consultée sur le projet d'accord final ­ contrairement à ce que le président de la Confédération 2009 a plus ou moins explicitement laissé entendre lors de sa conférence de presse du 21 août 2009 ­ il est 3963

inacceptable qu'un tel «sms» ait été envoyé à certains journalistes alors que ladite conférence de presse était encore en cours. Les désaccords et frustrations des uns et des autres n'ont pas à être réglés sur la place publique. La commission ne peut que déplorer l'absence de coordination entre les départements concernés en amont de ladite conférence de presse et l'image de mésentente qui s'en est suivie dans la presse et l'opinion publique.

La CdG-E attend de l'ensemble des départements qu'ils se coordonnent en amont des conférences de presse sur le contenu de celles-ci, afin que de tels incidents ne se reproduisent pas à l'avenir.

Enfin, la commission est d'avis que bien que la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye représente à bien des égards un cas particulier, la question de fond du rôle de la présidence de la Confédération dans le domaine de la politique étrangère et partant de la collaboration entre la présidence et le DFAE voire un autre département en charge du dossier jouera un rôle de plus en plus important à l'avenir.

Il convient dès lors de s'assurer que la présidence de la Confédération dispose d'un soutien adéquat et suffisant du DFAE et/ou du département en charge du dossier.

Dans cette optique, la commission considère que la mise à disposition de la présidence d'un seul collaborateur diplomatique n'est pas suffisante, étant donné qu'il s'agit de surcroît en règle générale d'un ou d'une généraliste.

La CdG-E estime qu'il serait dans tous les cas nécessaire que le département concerné mette à disposition de la présidence la ou les personne(s) versée(s) dans le dossier, et ce aussi longtemps que nécessaire.

La CdG-E a pris note de l'opinion du Conseil fédéral exprimée dans son «Message additionnel sur la réforme du gouvernement»186 du 13 octobre 2010, selon laquelle il ne souhaite pas créer un état-major permanent au service du président de la Confédération.

La commission ne demande pas non plus la création d'un nouvel organe.

Toutefois, elle recommande au Conseil fédéral que celui-ci, au moment où il transmet un mandat à la présidence de la Confédération dans un domaine relevant jusquelà d'un autre département, définisse: 1.

186

la répartition des compétences;

2.

les modalités de la collaboration;

3.

le renforcement du soutien à la présidence de la Confédération, en désignant les personnes détachées et en définissant le contenu et la durée de leur mandat.

«Message additionnel sur la réforme du gouvernement», du 13.10.2010 (FF 2010 7119).

3964

Recommandation 3:

Transmission d'un mandat à la présidence de la Confédération

La CdG-E recommande au Conseil fédéral de définir, au moment où il transmet un mandat à la présidence de la Confédération dans un domaine relevant jusquelà d'un autre département, les trois éléments suivants: ­

la répartition des compétences,

­

les modalités de la collaboration et

­

le renforcement du soutien à la présidence de la Confédération, en désignant les personnes détachées et en définissant le contenu et la durée de leur mandat.

3.2.3

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités de la République et canton de Genève

A partir du moment où le président de la Confédération 2009 reprend le dossier, il n'y a plus aucun contact entre les autorités fédérales et les autorités genevoises.

Selon les explications du président de la Confédération 2009187, tant la politique extérieure ­ y compris la politique économique extérieure ­ que le rapatriement de ressortissants suisses retenus à l'étranger relèvent des compétences de la Confédération; par conséquent, il n'y avait aucune obligation d'impliquer les autorités genevoises pour un accord de droit international public considéré par lui comme mineur et ne comportant pas d'obligations pour la République et canton de Genève.

De plus, les autorités genevoises auraient été au courant des préparatifs de l'accord suite aux contacts informels qui avaient existé auparavant avec le DFAE. Par ailleurs, la cheffe du DFAE lui aurait dit que le DFAE continuerait à s'occuper des contacts avec les autorités genevoises.

Il convient de préciser que ce dernier point est contesté par la cheffe du DFAE188.

Selon elle, il n'est pas exact qu'elle aurait dit au président de la Confédération 2009 que le DFAE continuerait à s'occuper des contacts avec les autorités genevoises, et cela n'aurait pas eu de sens puisque le DFAE ne pouvait pas informer au sujet de négociations qui ne relevaient plus de son domaine de compétences.

Selon les propos du conseiller d'Etat de la République et canton de Genève alors en charge du Département des institutions, la cheffe du DFAE l'informe par téléphone au début de l'été 2009 que le dossier se trouve désormais sous la responsabilité du président de la Confédération 2009. Il a expliqué à la commission n'avoir pas pris de lui-même l'initiative de contacter les services du président de la Confédération 2009,

187

Procès-verbal de l'audition du président de la Confédération 2009 du 24.6.2010, pp. 20 à 21.

188 Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 26.10.2010, pp. 42 à 46.

3965

car il estimait que c'était au président de la Confédération 2009 de décider de la manière de gérer ce dossier189.

D'après les dires du président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève en 2010 (ci-après: président du Conseil d'Etat 2010), le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève (ci-après: Conseil d'Etat) apprend par la presse que l'accord du 20 août 2009 a été signé et prend connaissance de son contenu par le biais d'internet190.

Le 21 août 2009, le Conseil d'Etat publie un communiqué de presse191 indiquant notamment que «le Conseil d'Etat s'inquiète que l'accord conclu entre la Suisse et la Libye confie à un tribunal arbitral étranger le droit de désigner les au sein des autorités et de la police genevoise et résistera à toute action qui ne serait pas strictement conforme aux libertés individuelles garanties par la Constitution genevoise. Le canton de Genève a pris contact avec la Conférence des gouvernements cantonaux192 afin d'obtenir le soutien des autres cantons dans ce processus où la Confédération, sans l'en informer au préalable, le laisse seul face aux futures décisions d'un tribunal arbitral étranger».

Par lettre du 21 août 2009, le conseiller d'Etat en charge du DI transmet au président de la Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) l'accord signé le 20 août 2009 entre la Suisse et la Libye et fait part de la préoccupation du gouvernement genevois, qui estime que plusieurs règles importantes de l'ordre juridique suisse n'ont pas été respectées par la signature de cet accord.

Par lettre du 28 août 2009, la CdC informe le Conseil fédéral que le bureau de la CdC s'est penché sur l'accord signé avec la Libye le 20 août 2009. Si ce dernier reconnaît les efforts du Conseil fédéral visant à faire libérer les deux ressortissants suisses retenus en Libye, il est également d'avis que l'accord signé le 20 août 2009 soulève toute une série de questions de principe au plan des institutions politiques, questions concernant notamment la coopération fédérale entre Confédération et cantons en matière de politique extérieure et le respect des règles internes de procédure et de compétences. L'accord soulève également quelques questions quant à la séparation des pouvoirs. Selon le bureau de la CdC, les effets concrets de l'accord sur l'ordre juridique
interne et le fédéralisme en général ne sont pas clairs. En fonction des réponses qui seront apportées à ces questions, la question de savoir quelle instance interne est compétente pour l'approbation d'un tel accord se posera aussi.

Le bureau de la CdC a donc décidé de mettre l'affaire en discussion tant lors de l'assemblée plénière de la CdC du 25 septembre 2009 que du «dialogue confédéral»

189

Procès-verbal de l'audition du conseiller d'Etat de la République et canton de Genève en charge du DI jusqu'à fin novembre 2009 du 15.9.2010, pp. 24 à 25.

190 Procès-verbal de l'audition du président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève en 2010 du 24.6.2010, p. 28.

191 Communiqué de presse du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève du 21.8.2009.

192 Créée le 8.10.1993, la Conférence des gouvernements cantonaux a pour but de favoriser la collaboration entre les cantons dans leurs domaines de compétence propres et d'assurer, dans les affaires fédérales touchant les cantons, la coordination et l'information essentielles des cantons, plus particulièrement dans les domaines du renouvellement et du développement du fédéralisme, de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons, de l'élaboration et de la préparation des décisions au niveau fédéral, de l'exécution des compétences fédérales par les cantons et de la politique extérieure et d'intégration (source: site internet www.kdk.ch).

3966

qui a lieu le même jour. En vue de ces discussions à venir, il lui semblait essentiel de connaître au préalable la position du Conseil fédéral.

A cet effet, le bureau de la CdC soumet différentes questions au Conseil fédéral; il veut entre autres savoir si le Conseil fédéral estime que cet accord a été conclu en tenant compte des dispositions des art. 54, al. 3, et 55 Cst. Le bureau prie également le Conseil fédéral de répondre à la question de savoir dans quelle mesure, selon lui, cet accord respecte les principes constitutionnels de la «loyauté fédérale».

Le même jour, le bureau de la CdC demande à l'Institut du Fédéralisme de l'Université de Fribourg de réaliser une première appréciation juridique de l'accord du 20 août 2009 sous l'angle du fédéralisme.

En septembre 2009, l'Institut du Fédéralisme de l'Université de Fribourg réalise une «Première estimation relative à la Convention du 20 août 2009 entre la Suisse et la Libye du point de vue du fédéralisme»193.

Les auteurs de cette analyse arrivent à la conclusion qu'«il semble bien que les droits de participation du canton de Genève (art. 55 Cst., art. 1 ss de la loi fédérale sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération [LFPC]194) n'aient en l'occurrence pas été respectés: il va pourtant de soi que les intérêts essentiels du canton sont affectés par les obligations internationales auxquelles a souscrit la Confédération, et que la capacité d'action de cette dernière en matière de politique extérieure n'aurait pas été entravée par l'observation des droits de participation prévus aux art. 3 à 5 LFPC; bien au contraire, dans l'optique de l'application de la Convention, il aurait été plus avantageux pour la Confédération elle-même d'associer étroitement le canton de Genève à sa négociation»195.

Ils mentionnent aussi qu'en signant cet accord, «la Confédération a outrepassé les limites matérielles de la compétence contractuelle découlant de la Constitution fédérale»196. En effet, même dans le contexte de ses compétences étendues en matière de relations extérieures, la Confédération n'en est pas moins tenue de se conformer à la Constitution et elle doit en particulier respecter les dispositions constitutionnelles touchant les fondements mêmes du fédéralisme (telles que l'obligation de respect et de défense des
intérêts mutuels et l'obligation de protéger l'ordre constitutionnel des cantons). Selon ce texte, «il n'est possible de s'affranchir de l'ordre constitutionnel qu'en présence d'intérêts supérieurs relevant de la politique extérieure. Au surplus, il existe un de l'ordre constitutionnel fondamental, qui ne peut en aucun cas faire l'objet de pesée d'intérêts avec des éléments contradictoires de politique extérieure. On y trouve à notre avis, outre la garantie de l'existence et du territoire des cantons (art. 53 Cst.), le respect de leur autonomie (art. 47 Cst.)»197.

193

194 195

196 197

Première estimation relative à la Convention du 20.8.2009 entre la Suisse et la Libye du point de vue du fédéralisme sous la direction du Prof. B. Waldmann, septembre 2009, annexe 7a et version française du résumé, annexe 7b.

Loi fédérale du 22.12.1999 sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération, LFPC; RS 138.1.

Première estimation relative à la Convention du 20.8.2009 entre la Suisse et la Libye du point de vue du fédéralisme sous la direction du Prof. B. Waldmann, septembre 2009, version française du résumé, p. 1.

Ibid.

Ibid.

3967

Selon cet avis de droit, «en signant cette Convention, la Confédération n'a pas seulement empiété sur un domaine relevant de la compétence cantonale [...], mais en plus elle a dérogé à l'ordre constitutionnel pour régler un seul contentieux bien spécifique. [...] En outre, la dérogation à l'ordre constitutionnel créée par la Convention d'arbitrage touche des domaines cantonaux sensibles, tant il est vrai que la justice et la police, de même que la réglementation des relations juridiques par les autorités et les fonctionnaires, relèvent de l'essence même de l'autonomie cantonale.

Dans ce contexte, les immixtions dans la du canton de Genève impliquées par la Convention d'arbitrage se révèlent particulièrement lourdes. Quant à savoir si le de l'ordre constitutionnel protégé de manière absolue a été touché, la question peut rester ouverte à ce stade, car il n'existe de toute manière aucune raison impérieuse de politique extérieure permettant de justifier une dérogation à l'ordre constitutionnel. Vu les intérêts de politique extérieure en jeu (pour autant que ceux-ci figurent bel et bien dans la Convention), le trouble à l'ordre constitutionnel lié à la conclusion de cette dernière se montre incontestablement excessif»198.

A la demande des CPE, la DDIP et l'Office fédéral de la justice (OFJ) réalisent un avis de droit conjoint daté du 16 octobre 2009199.

Selon cet avis de droit, s'agissant de la consultation des cantons en général, «la Confédération doit, dans l'exercice de sa compétence générale en matière de politique extérieure et plus particulièrement de sa compétence en matière de conclusion de traités internationaux, tenir compte des compétences des cantons et sauvegarder leurs intérêts. [...] L'art. 55 Cst. donne, par ailleurs, aux cantons la possibilité de défendre eux-mêmes leurs intérêts en leur octroyant le droit d'être informés, consultés et associés à la préparation des décisions de politique extérieure affectant leurs compétences ou intérêts essentiels. [...] Cette loi [la LFPC] fixe l'étendue des obligations de la Confédération en matière d'information, de consultation et de participation à la préparation des décisions de politique extérieure. [...] La participation des cantons à la préparation des décisions de politique extérieure n'est pas sans limite et
ne doit pas notamment »200, ainsi qu'explicitement stipulé à l'art. 1, al. 3 LFPC201.

Dans le cas d'espèce, cet avis de droit considère qu'il faut tenir compte d'une part des circonstances exceptionnelles dans lesquelles l'accord du 20 août 2009 a été conclu: c'est sous la menace que les deux ressortissants suisses ne soient retenus encore beaucoup plus longtemps en Libye que le président de la Confédération 2009 a, dans un but humanitaire, signé cet accord. De plus, «dans la perspective de l'époque, le créneau dont disposait le président de la Confédération [2009] pour agir était très limité dans le temps, car il fallait parvenir à un accord avant le début du

198 199

Ibid., pp. 1 à 2.

Avis conjoint de la DDIP et de l'OFJ sur l'accord conclu entre la Suisse et la Libye le 20.8.2009, du 16.10.2009, (cf. annexe 8).

200 Avis conjoint de la DDIP et de l'OFJ sur l'accord conclu entre la Suisse et la Libye le 20.8.2009, du 16.10.2009, p. 10.

201 Art. 1, al. 3 LFPC: «La participation des cantons ne doit pas entraver la capacité d'action de la Confédération en matière de politique extérieure».

3968

Ramadan et les festivités qui étaient prévues début septembre à l'occasion du 40e anniversaire de la révolution libyenne»202.

D'autre part, cet avis de droit souligne que les autorités de la République et canton de Genève avaient été associées de manière informelle au processus dès le début des négociations avec la Libye le 15 août 2008. Ces contacts informels ont été maintenus jusqu'aux préparatifs du voyage de la cheffe du DFAE de fin mai 2009 à Tripoli. «Après cette date, elles [les autorités de la République et canton de Genève] n'ont plus été impliquées d'une part parce qu'il n'y avait pas eu de nouveaux développements pendant un certain temps et, d'autre part, en raison de la pression du temps autour des négociations qui devaient aboutir à l'accord du 20 août 2009»203.

L'avis de droit conjoint de la DDIP et de l'OFJ arrive dès lors à la conclusion qu'«il ne fallait pas compromettre la capacité d'action de la Confédération dans cette situation exceptionnelle. Cette brève interruption des contacts informels avec le canton de Genève s'inscrivait donc dans le cadre de l'art. 1, al. 3 LFPC, notamment au vu des circonstances exceptionnelles du cas d'espèce»204.

Dans sa réponse du 21 octobre 2009205 à la CdC, le Conseil fédéral prend position sur chacune des questions posées par la CdC. S'agissant de la compétence générale de la Confédération dans les affaires extérieures, le Conseil fédéral confirme l'existence d'une telle compétence et renvoie à la loi fédérale du 22 décembre 1999 sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération (LFPC; RS 138.1). Le Conseil fédéral expose ensuite que dans ce cas précis, seuls les compétences et intérêts du canton de Genève étaient concernés par les négociations. Il précise en outre que le canton de Genève, depuis le début des négociations avec la Libye le 15 août 2008, a été associé et régulièrement informé et consulté de manière informelle. Ce n'est que lors de la phase finale des négociations de l'accord du 20 août 2009, lorsque, dans la perspective de l'époque, le président de la Confédération ne disposait que de très peu de temps pour trouver une solution au problème des deux ressortissants suisses retenus en Libye, qu'il n'a pas été possible d'associer régulièrement («beständig einzubeziehen») le canton de Genève sans risquer
de nuire à la capacité d'action de la Confédération.

En ce qui concerne la loyauté fédérale, le Conseil fédéral renvoie aux art. 54, al. 3, et 55 Cst. et à la LFPC y afférente et affirme que les négociations menées pour la conclusion de l'accord avec la Libye ont tenu compte de ces directives dans toute la mesure du possible. Selon lui, il s'ensuit que les principes de la loyauté fédérale, tels qu'ils sont concrétisés dans la Constitution fédérale et dans la loi, ont été respectés lors de la signature de l'accord.

Enfin, le Conseil fédéral conclut sa réponse à la CdC en précisant que l'accord avec la Libye représente un traité de portée mineure, raison pour laquelle le Conseil fédéral avait la compétence de conclure cet accord de manière autonome. Il ajoute que c'est le Conseil fédéral en tant que collège qui avait la compétence d'approuver cet accord et qu'il a pris connaissance de l'accord le 26 août 2009. Il a constaté que celui-ci engageait la Suisse au plan international et il a donc décidé de prendre en main sa mise en oeuvre. Le Conseil fédéral termine en expliquant qu'en faisant 202

Avis conjoint de la DDIP et de l'OFJ sur l'accord conclu entre la Suisse et la Libye le 20.8.2009, du 16.10.2009, p. 11.

203 Ibid.

204 Ibid.

205 Réponse du Conseil fédéral à la CdC du 21.10.2009.

3969

connaître sa volonté de mettre en oeuvre l'accord et de normaliser ainsi les relations avec la Libye, il a tenu compte du fait que l'accord signé par le président de la Confédération engageait la Suisse sur le plan du droit international; l'accord a par ce biais obtenu sa validité sur le plan interne suisse.

La lettre du Conseil fédéral du 21 octobre 2009 n'indique pas si le Conseil fédéral a remis ou non à la CdC l'avis de droit du 16 octobre 2009 établi par la DDIP et l'OFJ au sujet de l'accord conclu entre la Suisse et la Libye le 20 août 2009.

Le 17 novembre 2009206, l'auteur principal de la «Première estimation relative à la Convention du 20 août 2009 entre la Suisse et la Libye du point de vue du fédéralisme», réalisée par l'Institut du Fédéralisme de l'Université de Fribourg, prend position, à la demande de la CdC, sur la réponse du Conseil fédéral du 21 octobre 2009.

Il conteste l'argument selon lequel la non-consultation des autorités genevoises se justifie dans le cas d'espèce par la nécessité de ne pas compromettre la capacité d'action de la Confédération. En effet, d'une part, l'interdiction d'entrave («Beeinträchtigungsverbot») s'applique [...] en premier lieu aux modalités de la participation, et non pas à l'existence des droits de participation garantis par la Constitution et concrétisés par la LFPC207. D'autre part, il faut pour chaque cas concret procéder à une pesée d'intérêts pour déterminer quelles limites ou restrictions aux droits de participation sont autorisées ou non.

Selon cette analyse, nous avons d'un côté un accord qui empiète largement sur la souveraineté en matière de police et de justice et donc sur l'ordre constitutionnel du canton de Genève, de telle manière que ce dernier se voit attribuer une position qualifiée s'agissant de la participation requise (voir art. 55, al. 3, phrase 2, Cst., art. 5 LFPC). D'un autre côté, il n'apparaît aucune raison prépondérante qui justifierait que le canton de Genève ait été entièrement exclu des travaux, et cela sur une certaine durée, et en particulier pendant la phase finale des négociations208. De l'avis de l'auteur de cette analyse, même si le temps disponible pour parvenir à un accord (selon l'estimation de l'époque du président de la Confédération) était apparemment très limité, le canton de Genève aurait dû au moins
être informé et invité à prendre position dans les plus brefs délais209.

A la demande de la CdC, une rencontre a lieu le 14 décembre 2009210 entre le président de la Confédération 2009, la cheffe du DFAE, le président de la CdC ainsi qu'un autre membre de celle-ci sur le dossier libyen et notamment sur l'accord conclu le 20 août 2009 entre la Suisse et la Libye. Selon une note d'information conjointe du DFF et du DFAE au Conseil fédéral du 11 janvier 2010, l'entretien se serait passé dans une atmosphère ouverte et constructive. Ses participants se seraient accordés à dire que l'accord entre la Libye et la Suisse représentait un cas exceptionnel. La CdC aurait dit vouloir tirer les conclusions politiques de cette affaire lors de son assemblée plénière du mois de mars 2010. Il sera toutefois nécessaire de 206 207 208 209 210

Réponse écrite du Prof. B. Waldmann, Institut du Fédéralisme, à la Conférence des gouvernements cantonaux, du 17.11.2009.

Ibid., p. 2.

Ibid.

Ibid.

Note d'information du DFF et du DFAE au Conseil fédéral du 11.1.2010 concernant l'entretien entre le bureau de la CdC et une délégation du Conseil fédéral sur le dossier libyen.

3970

rediscuter à l'avenir de la question de la coopération entre cantons et Confédération en matière de politique extérieure. Il s'agit notamment de ne pas perdre de vue l'influence croissante que le droit international exerce sur l'ordre national. Enfin, les cantons auraient assuré la délégation du Conseil fédéral qu'ils ne voulaient pas s'opposer au Conseil fédéral en matière de politique extérieure et qu'ils avaient l'intention de se positionner de manière à ce qu'entre la Confédération et les cantons une approche commune soit privilégiée, en particulier vis-à-vis de partenaires de négociation difficiles.

De l'avis de la CdG-E, c'est aux autorités fédérales qu'il aurait incombé d'établir et de maintenir les contacts avec les autorités de la République et canton de Genève. Le fait que le dossier soit passé sous la conduite du président de la Confédération 2009 ne change rien à cette obligation première.

En outre, la commission considère que le Conseil fédéral aurait dû, au moment du transfert informel du dossier au président de la Confédération 2009, clarifier également la question du suivi des contacts avec les autorités genevoises.

Il n'appartient pas ici à la CdG-E de trancher entre les différentes interprétations juridiques de l'accord du 20 août 2009, et en particulier de déterminer si oui ou non il y a eu violation des droits de participation de la République et canton de Genève au sens de l'art. 55 Cst.

La commission a pris connaissance des différentes conclusions existantes et constate que les divergences de vue portent sur des éléments fondamentaux touchant à la répartition des compétences entre cantons et Confédération.

Bien que la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye constitue à bien des égards un cas unique qui a mis les autorités ­ tant fédérales que cantonales ­dans une situation extrêmement délicate, la CdG-E considère que les questions soulevées ci-dessus renvoient à une problématique plus générale. Au vu de l'impact croissant des décisions prises au niveau international sur la politique intérieure suisse, il est nécessaire d'approfondir cette thématique en vue de déterminer s'il existe un besoin de préciser les modalités de coopération et/ou les bases légales existantes.

En particulier, la question de savoir dans quelle situation il est possible pour la Confédération
de déroger au principe général de consultation des cantons dans le but de conserver sa capacité d'action, ainsi que celle des limites matérielles de la compétence contractuelle de la Confédération en matière de politique extérieure, méritent un examen plus poussé.

La CdG-E recommande par conséquent au Conseil fédéral d'examiner, en étroite collaboration avec la Conférence des gouvernements cantonaux, les points de divergence entre les avis de droit susmentionnés et d'élaborer un rapport à l'intention des CPE. Ce rapport devra notamment déterminer s'il existe un besoin de précision des bases légales existantes et, le cas échéant, proposer les modifications nécessaires.

3971

Recommandation 4:

Participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération: examen des divergences entre les avis de droit

La CdG-E recommande au Conseil fédéral d'examiner, en étroite collaboration avec la Conférence des gouvernements cantonaux, les points de divergence entre les avis de droit existants et d'élaborer un rapport à l'intention des CPE. Ce rapport devra notamment déterminer s'il existe un besoin de précision des bases légales existantes et, le cas échéant, proposer les modifications nécessaires. Dans ce cadre, il convient de tenir compte de la capacité d'action de la Confédération dans des situations extraordinaires.

4

Phase III: du 26 août 2009 au 13 juin 2010

Ainsi que déjà mentionné dans l'introduction (cf. point 1.5), le présent chapitre se concentre sur les appréciations portées par la CdG-E sur les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises, l'information et la conduite du Conseil fédéral et enfin l'organisation de la gestion de crise. Au vu de la définition du mandat d'examen et de ses limites (cf. points 1.2 et 1.3), la commission a renoncé à établir un résumé des faits couvrant cette période. Les faits nécessaires à la compréhension des appréciations sont brièvement décrits dans les souschapitres correspondants.

4.1

Appréciations de la CdG-E sur des aspects particuliers

4.1.1

Modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises

Le 4 novembre 2009, le Conseil fédéral décide de suspendre l'accord du 20 août 2009 conclu entre la Suisse et la Libye.

Entre fin 2009 et juin 2010, les délégations suisses et libyennes se rencontrent à plusieurs reprises pour poursuivre les négociations en vue d'une sortie de crise. Ces négociations ont lieu avec le soutien de la médiation offerte par l'Allemagne ainsi que par l'Espagne, qui assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne de janvier à juin 2010.

Ces négociations aboutissent le 14 mai 2010 à la signature d'un «Plan of Action»211 (ci-après: plan d'action). Signé à Berlin par les secrétaires d'Etat suisse, libyen, espagnol et allemand, ce plan d'action stipule notamment que les parties suisse et libyenne se sont mises d'accord sur les quatre points suivants: «Premièrement, les deux parties conviennent que le tribunal arbitral sera constitué à Berlin (Allemagne) et fonctionnera conformément aux dispositions pertinentes de l'accord du 20 août 2009; 211

«Plan of Action» du 14.5.2010 (cf. annexe 5).

3972

Deuxièmement, la Suisse présente ses excuses pour la publication illicite des photographies de M. [H.K.] le 4 septembre 2009, qui constitue une violation des règles de confidentialité prévues par le droit suisse. Le gouvernement du canton de Genève déplore la publication de ces photographies et reconnaît sa responsabilité. Cette publication fait l'objet d'une enquête criminelle et les autorités suisses s'engagent à en traduire le ou les auteurs en justice, conformément au droit applicable. Si les auteurs ne sont pas identifiés, le gouvernement suisse versera à la victime une compensation financière d'un montant convenu entre les deux parties; Troisièmement, les autorités libyennes compétentes accéléreront la procédure d'examen de la demande de grâce déposée par le citoyen suisse, conformément aux procédures légales applicables; Quatrièmement, les garants garantiront l'exécution du présent plan d'action et sa réalisation correcte, en temps voulu, complète et simultanée. [...]» [Trad.]

Le 13 juin 2010, les ministres des affaires étrangères de la Suisse, de la Libye, de l'Espagne ­ au nom de la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne ­ et de l'Allemagne signent une déclaration dans laquelle ils approuvent et confirment le plan d'action signé par leurs secrétaires d'Etat respectifs le 14 mai 2010.

En ce qui concerne les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises, des contacts informels ont à nouveau lieu entre le DFAE et les autorités de la République et canton de Genève entre fin 2009 et le 13 juin 2010.

Sur la fréquence et le contenu exact de ces contacts, les déclarations du DFAE et des autorités genevoises varient toutefois fortement.

Les divergences portent essentiellement sur la question de savoir si les autorités genevoises ont été tenues informées du contenu des négociations et en particulier des deux points centraux les concernant dans le plan d'action signé le 14 mai 2010, c'est-à-dire d'une part la réactivation de l'accord du 20 août 2009 et d'autre part les excuses portant sur la publication des photographies de M.H.K., ainsi que le paiement d'une compensation financière pour le cas où l'enquête pénale n'arriverait pas à identifier l'auteur de l'infraction du secret de fonction ayant conduit à la publication de ces photographies.
Selon la cheffe du DFAE212, les autorités genevoises auraient été informées de l'état des discussions avec la Libye lors de la phase précédant la conclusion du plan d'action lors des rencontres du 6 mars 2010, du 22 mars 2010, du 26 mars 2010 et du 4 mai 2010. Les deux questions centrales réglées par le plan d'action auraient été ouvertement abordées. Lors de la rencontre du 26 mars 2010 en particulier, qui s'est déroulée dans le cadre du groupe Confédération-canton, la cheffe du DFAE aurait pris soin d'évoquer avec la conseillère d'Etat de la République et canton de Genève en charge du Département de la sécurité, de la police et de l'environnement (DSPE; appelé Département des institutions jusqu'à fin 2009), ainsi qu'avec deux autres conseillers d'Etat genevois, la possible inclusion dans un arrangement final de l'accord signé le 20 août 2009 par le président de la Confédération 2009.

212

Lettre de la cheffe du DFAE au président du Conseil d'Etat ainsi qu'à la chancelière d'Etat de la République et canton de Genève du 6.9.2010 et procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 26.10.2010, pp. 52 à 58.

3973

Ces informations auraient été transmises lors de ces rencontres du côté du DFAE soit par la cheffe du DFAE elle-même, soit par le directeur de la DDIP ou le chef de la DP VI du DFAE. Elles auraient été communiquées soit à la conseillère d'Etat en charge du DSPE, soit au secrétaire général dudit département (note de la commission: selon les informations dont dispose la CdG-E, le secrétaire général du DSPE a changé de fonction au cours de l'année 2010, mais a continué à jouer le rôle d'interlocuteur du DFAE dans ce dossier).

Par ailleurs, le directeur de la DDIP a déclaré devant la CdG-E avoir téléphoné en février 2010 à la conseillère d'Etat en charge du DSPE depuis Berlin pour l'informer de l'état des discussions.

D'après les dires de la cheffe du DFAE213, elle aurait en outre téléphoné depuis Tripoli le 13 juin 2010 à la conseillère d'Etat en charge du DSPE, afin de lui expliquer le plan d'action et sa déclaration subséquente.

En revanche, dans un courrier adressé au Conseil fédéral le 23 juin 2010214, le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève affirme, pour sa part, qu'il n'aurait eu connaissance que le 13 juin 2010, et de surcroît par la presse, du fait qu'un plan d'action avait été signé le 14 mai 2010. Dans une lettre du 27 août 2010215 adressée à la cheffe du DFAE, le Conseil d'Etat «réaffirme n'avoir jamais été informé du contenu précis des accords passés avec la Libye et plus particulièrement des dispositions qui concernent directement le canton de Genève, avant leur parution dans la presse». Dans ce même courrier, le Conseil d'Etat soutient aussi que les informations transmises par la cheffe du DFAE à la conseillère d'Etat en charge du DSPE, ainsi qu'à deux autres membres du gouvernement genevois lors de la rencontre du 26 mars 2010, n'auraient pas porté sur ces points essentiels.

D'après les propos du président du Conseil d'Etat216, le Conseil d'Etat n'aurait vu ni le texte du plan d'action du 14 mai 2010, ni celui de la déclaration du 13 juin 2010 avant leur signature. De plus, le Conseil d'Etat n'aurait pas été informé du contenu du plan d'action, en particulier s'agissant de la réactivation de l'accord du 20 août 2009.

De plus, contrairement à ce qui figure dans la note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 12 février 2010217, la conseillère d'Etat en charge du
DSPE n'aurait pas été consultée de manière informelle le 11 février 2010 sur les parties d'un projet de plan d'action concernant les autorités genevoises. Partant, elle n'aurait pas donné son accord à un tel texte et n'aurait pas soumis ce texte au Conseil d'Etat218.

Selon les déclarations du président du Conseil d'Etat219, la cheffe du DFAE aurait cependant effectivement téléphoné à la conseillère d'Etat en charge du DSPE depuis Tripoli le 13 juin 2010; toutefois, le Conseil d'Etat n'aurait reçu la première mention 213 214 215 216 217 218 219

Ibid., p. 53.

Lettre du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève au Conseil fédéral du 23.6.2010.

Lettre du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève à la cheffe du DFAE du 27.8.2010.

Procès-verbal de l'audition du président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève du 11.10.2010, pp. 19 à 20.

Note d'information du DFAE au Conseil fédéral du 12.2.2010.

Procès-verbal de l'audition du président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève du 11.10.2010, p. 3.

Ibid., pp. 8 à 9.

3974

officielle de l'accord que le 14 juin 2010 au matin. Le Conseil d'Etat aurait dès lors dû se procurer ces documents le 13 juin 2010 par d'autres moyens.

En outre, il convient ici de relever, que durant la période concernée, des changements d'interlocuteurs sont intervenus du côté des autorités genevoises. D'une part, le Conseil d'Etat a décidé qu'à partir de juin 2010, ce serait le président du Conseil d'Etat qui serait l'interlocuteur des autorités fédérales pour ce dossier220. D'autre part, le secrétaire général du DSPE a changé de fonction au cours de l'année 2010 (date exacte pas connue).

Dans le cadre de la présente enquête, la CdG-E n'a approfondi ni les détails des changements susmentionnés ou d'éventuels autres changements d'interlocuteurs d'un côté ou de l'autre, ni leurs possibles conséquences sur les modalités de la collaboration entre les autorités fédérales et les autorités genevoises.

En tout état de cause, la commission considère que la situation actuelle, dans laquelle les déclarations des uns font face aux déclarations des autres, n'est pas satisfaisante. Cette situation révèle clairement que les autorités fédérales et les autorités genevoises, n'ayant pas défini au début de la crise des canaux de communication clairs, n'ont donc pas disposé de tels canaux, lorsque cela aurait été nécessaire.

Au vu de ces difficultés, la CdG-E est d'avis qu'il serait souhaitable que la Confédération et la République et canton de Genève définissent, dans le cadre d'une convention, les modalités de collaboration, de communication et de décision ainsi que les interlocuteurs (personnes ou organes) en cas de crise.

De plus, la commission estime que des informations de cette importance doivent être transmises d'une manière qui en garantisse la traçabilité. En effet, c'est le seul moyen qui permette d'éviter des malentendus ou des lacunes et de garantir que les deux parties aient bien compris la même chose.

La CdG-E est d'avis que ce point devrait également faire l'objet de la convention susmentionnée.

Recommandation 5:

Convention définissant les modalités de collaboration en cas de crise

La CdG-E demande au Conseil fédéral d'examiner, conjointement avec les autorités de la République et canton de Genève, l'opportunité de régler, dans le cadre d'une convention, les modalités de collaboration, de communication et de décision ainsi que les interlocuteurs (personnes ou organes) en cas de crise. Cette convention devrait aussi régler la question de la traçabilité des informations transmises.

220

Procès-verbal de l'audition du président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève du 11.10.2010, pp. 11 à 12 et procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE du 26.10.2010, pp. 55 à 57.

3975

4.1.2

Information et conduite du Conseil fédéral

Il ressort tant des documents du Conseil fédéral que des déclarations des différentes personnes auditionnées que le Conseil fédéral s'est impliqué de manière croissante dans ce dossier après la signature de l'accord du 20 août 2009.

Force est toutefois aussi de constater l'existence de problèmes non négligeables par rapport à l'étendue des informations transmises au Conseil fédéral en tant que collège. En effet, il ressort des procès-verbaux du Conseil fédéral que certains membres du collège ont relevé des lacunes dans l'information reçue et constaté que des corrections décidées par le collège n'avaient par la suite pas été effectuées par les départements concernés, ceci par exemple dans le cas des chronologies destinées aux commissions parlementaires.

Ainsi, le Conseil fédéral en tant que collège n'a été informé que le 24 septembre 2009 du fait que les deux ressortissants suisses avaient été emmenés par les autorités libyennes le 18 septembre 2009 dans un lieu tenu secret. Un membre du Conseil fédéral, qui se trouvait durant la période concernée à New York dans le cadre de l'Assemblée générale de l'ONU ­ de même que la cheffe du DFAE et le président de la Confédération 2009 ­, a été informé de l'enlèvement le 22 septembre 2009 par la cheffe du DFAE. Le membre du Conseil fédéral concerné a ressenti cette «information tardive» comme une vexation, ce d'autant plus qu'il a dû constater que les représentants de la Mission suisse auprès de l'ONU étaient informés depuis le 18 septembre 2009. Suite à ses demandes de renseignements, ce membre du Conseil fédéral aurait appris que l'ambassadeur du DFAE compétent lui aurait caché cette information sur instruction de la cheffe du DFAE.

Selon la cheffe du DFAE, c'est la Task Force LI-CH-T qui aurait pris la décision de ne pas informer le public dans un premier temps. Il s'agissait dans une première phase de savoir si les deux Suisses étaient toujours en vie et d'éviter un scénario d'escalade avec la Libye. Il aurait cependant toujours été clair que les membres de la Task Force LI-CH-T pouvaient informer leurs supérieurs hiérarchiques. A posteriori, la cheffe du DFAE reconnaît que le Conseil fédéral en tant que collège aurait pu être informé plus rapidement (cf. documents remis par la cheffe du DFAE à la souscommission le 26.10.2010).

Pour la CdG-E, le
Conseil fédéral en tant que collège aurait effectivement dû être informé immédiatement sur une information d'une telle importance. De plus, même si les membres de la Task Force LI-CH-T avaient informé leurs supérieurs ­ ce qui apparemment n'a pas été le cas (cf. chap. 4.3.1 ci-dessous) ­, cela n'aurait de toute manière pas été suffisant, puisque tous les départements n'y étaient pas représentés.

Par ailleurs, il va de soi qu'une information du Conseil fédéral en tant que collège ou de l'un de ses membres ne représente pas encore une information du public.

En marge de l'Assemblée générale de l'ONU susmentionnée, le président de la Confédération 2009 a rencontré le Guide de la Révolution le 23 septembre 2009 à New York. Selon les notes prises par la collaboratrice diplomatique du président de la Confédération 2009 sur cette rencontre, le Guide de la Révolution aurait évoqué entre autres les thèmes de la publication des photographies de son fils le 4 septembre 2009 et le fait que la Suisse ait refusé un visa à un autre de ses fils. Après que le président de la Confédération a exprimé son inquiétude sur la situation des deux Suisses, le Guide de la Révolution aurait expliqué que la Libye avait reçu des informations selon lesquelles la Suisse aurait prévu de libérer par la force les deux Suis3976

ses. Pour cette raison, il aurait été décidé de les transférer vers un lieu sûr. Le président de la Confédération 2009 aurait alors répondu qu'il s'agissait d'un malentendu.

Un politicien local, qu'il ne fallait pas prendre au sérieux, aurait effectivement exigé cela. Mais le gouvernement suisse n'envisagerait jamais une telle mesure.

A partir de fin août 2009, la commission constate qu'un climat de méfiance s'est installé au sein du collège, et cela à la fois en lien avec la signature de l'accord du 20 août 2009 et avec des évènements ultérieurs. La CdG-E déplore cette situation, laquelle découle, du moins partiellement, du fait que la transmission du dossier au président de la Confédération 2009 n'avait pas été réglée en bonne et due forme par le Conseil fédéral le 17 juin 2009.

Dans ce cadre, la commission n'a d'ailleurs pas vraiment pu tirer au clair la délimitation des tâches et compétences entre le DFAE et le DFF entre fin août 2009 et la fin de l'année 2009.

En effet, alors que par décision du Conseil fédéral du 2 septembre 2009, le Conseil fédéral a confirmé le mandat donné au DFAE de mettre en oeuvre l'accord du 20 août 2009, une décision ultérieure du Conseil fédéral du 16 décembre 2009 mentionne, quant à elle, que le Conseil fédéral renonce à transmettre le mandat du président de la Confédération 2009 à la présidente de la Confédération 2010 et confie les travaux au DFAE. De toute évidence, même au sein du collège, il régnait une certaine confusion sur ce point.

S'agissant du climat de méfiance, la commission rappelle qu'un constat semblable avait déjà été fait par les CdG dans le cadre de leur rapport du 30 mai 2010 portant sur «les autorités sous la pression de la crise financière et de la transmission de données clients d'UBS aux Etats-Unis»221.

Ce constat avait conduit les CdG à déposer deux motions au contenu identique (Mo. 10.3394 de la CdG-N et Mo. 10.3633 de la CdG-E)222 le 30 mai 2010 «chargeant le Conseil fédéral, dans le cadre de la réforme du gouvernement en cours, de décider respectivement de proposer des mesures concrètes afin qu'il puisse assumer une conduite effective des affaires importantes, qui soit en accord avec sa responsabilité globale en tant qu'autorité collégiale et exécutive suprême».

En dépit des lacunes constatées ci-dessus, la CdG-E tient à souligner
que durant cette période des points positifs sont également à relever s'agissant de la conduite exercée par le Conseil fédéral. Ainsi, le Conseil fédéral a mené plusieurs discussions approfondies et pris des décisions sur la stratégie à suivre. En outre, la mise en oeuvre de mesures restrictives dans le domaine des visas a nécessité une collaboration étroite entre plusieurs membres du collège; celle-ci semble avoir bien fonctionné.

Pour la commission, il va de soi qu'une information correcte et suffisante du collège, la prise par ce dernier de décisions formelles sur des questions telles que la transmission ­ entière ou partielle ­ d'un dossier, ainsi que sur la répartition des compétences et la collaboration lorsque plusieurs départements sont impliqués, sont des condi-

221

«Les autorités sous la pression de la crise financière et de la transmission de données clients d'UBS auxEtats-Unis», rapport des CdG du 30.5.2010.

222 La motion 10.3394 de la CdG-N et la motion 10.3633 de la CdG-E, au contenu identique, ont été déposées le 30.5.2010. La motion 10.3633 de la CdG-E a été adoptée par le Conseil des Etats (premier conseil) le 14.9.2010.

3977

tions sine qua non pour que le Conseil fédéral en tant que collège puisse assumer une conduite effective des affaires importantes.

Elle considère que le Conseil fédéral doit veiller à se doter d'instruments adéquats afin de s'assurer d'une information correcte et suffisante du collège. La rédaction de chronologies par le ou les département(s) concerné(s), à des fins de conduite du Conseil fédéral et non seulement pour répondre aux besoins d'information des commissions parlementaires, peut constituer un instrument adapté à cet effet.

Recommandation 6:

Conditions sine qua non d'une conduite effective des affaires importantes par le Conseil fédéral

La CdG-E demande au Conseil fédéral qu'il veille à ce qu'à l'avenir les trois conditions suivantes soient remplies afin que le Conseil fédéral en tant que collège puisse assumer une conduite effective des affaires importantes: ­

information correcte et suffisante du collège par le(s) département(s) concerné(s);

­

décisions formelles sur des questions telles que la transmission, entière ou partielle, d'un dossier, sur le mandat à remplir ainsi que sur sa durée;

­

décisions formelles sur la répartition des compétences et les modalités de la collaboration lorsque plusieurs départements sont impliqués dans la gestion d'un dossier.

Par ailleurs, la CdG-E relève que, durant cette période non plus (cf. point 2.2.1), ni la Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères ni la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité n'ont mis cet objet à l'ordre du jour. La Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères n'a de surcroît jamais siégé durant cette période.

Ici aussi, la commission rappelle que, suite à leur rapport du 30 mai 2010 sur «les autorités sous la pression de la crise financière et de la transmission de données clients d'UBS aux Etats-Unis», les CdG ont déposé deux motions au contenu identique223 (Mo. 10.3393 de la CdG-N et Mo. 10.3632 de la CdG-E) le 30 mai 2010 «chargeant le Conseil fédéral de réglementer dans la LOGA l'instrument des délégations à trois personnes, afin que dans toutes les affaires importantes et supradépartementales ces délégations promeuvent un équilibre entre le principe de la collégialité et le principe départemental et améliorent ainsi les bases de décision du Conseil fédéral».

Pour la CdG-E, la Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères, créée en 1970 déjà, doit être maintenue et effectivement utilisée. Elle prie le Conseil fédéral, lors du réexamen des délégations du Conseil fédéral prévu début 2011, de maintenir la Délégation des affaires étrangères et de définir clairement son mandat.

223

La motion 10.3393 de la CdG-N et la motion 10.3632 de la CdG-E, au contenu identique, ont été déposées le 30.5.2010. La motion 10.3632 de la CdG-E a été adoptée par le Conseil des Etats (premier conseil) le 14.9.2010.

3978

Recommandation 7:

Délégation du Conseil fédéral pour les affaires étrangères

La CdG-E demande au Conseil fédéral, lors du réexamen des délégations du Conseil fédéral prévu début 2011, de maintenir la Délégation des affaires étrangères et de définir clairement sa composition et son mandat.

4.1.3

Organisation de la gestion de crise

La «Task Force LI-CH-T», organe interdépartemental institué le 26 août 2009 et placé sous la conduite du secrétaire d'Etat du DFAE, comprend des représentants de cinq départements (DFAE, DFF, DFE, DFJP et DDPS).

Selon le secrétaire d'Etat du DFAE224, l'avantage de cet organe était que tous les départements concernés y étaient représentés et que tous les papiers soumis ensuite au Conseil fédéral avaient été discutés préalablement par les représentants de ces départements.

La commission partage cette appréciation. Elle juge également positif le fait que, de même que les groupes de travail ayant existé précédemment (cf. point 2.2.3), la «Task Force LI-CH-T» ait documenté son travail par le biais de compte-rendus des nombreuses séances tenues.

Le secrétaire d'Etat du DFAE225 a expliqué à la CdG-E que la cheffe du DFAE était informée régulièrement des travaux. La cheffe du DFAE décidait ensuite de ce qui devait être amené au Conseil fédéral et de ce qui devait encore être analysé de manière plus approfondie. Mutatis mutandis, les autres chefs de départements auraient aussi amené leurs questions au sein de la «Task Force LI-CH-T». Il était clair cependant que toutes les décisions politiques devaient être prises au niveau du Conseil fédéral.

La «Task Force LI-CH-T» n'a pas non plus (cf. point 2.2.3) reçu de mandat écrit de la part ni de la cheffe du DFAE, ni du Conseil fédéral.

D'après les propos du secrétaire d'Etat du DFAE226 227, la «Task Force LI-CH-T» s'est donné des mandats au fur et à mesure des évènements et a préparé les documents correspondants pour le Conseil fédéral. Selon les décisions de ce dernier, les mandats et/ou les travaux de la «Task Force LI-CH-T» évoluaient en conséquence.

Globalement, la CdG-E considère que la structure transversale mise en place fin août 2009 a fait ses preuves. Elle constate que le caractère clairement interdépartemental de l'organe opérationnel de gestion de la crise constitue le pendant du rôle accru du Conseil fédéral en tant que collège dans la conduite de ce dernier (cf. point 4.1.2).

224 225 226 227

Procès-verbal de l'audition du secrétaire d'Etat du DFAE du 3.3.2010, pp. 6 à 7.

Ibid., p. 7.

Il s'agit du secrétaire d'Etat du DFAE en fonction depuis le 1.3.2010.

Procès-verbal de l'audition de la cheffe du DFAE, accompagnée par le secrétaire d'Etat du DFAE, du 26.10.2010, p. 66.

3979

Il convient toutefois encore de relever que certaines questions n'ont pas été approfondies dans le cadre du présent rapport, en particulier celle des flux d'informations entre les membres de la «Task Force LI-CH-T» et leurs chefs de département respectifs. Au vu des informations dont elle dispose, la CdG-E constate que pour les membres de la «Task Force LI-CH-T», il n'était semble-t-il pas toujours clair qu'il leur incombait d'informer leurs chefs de département respectifs des travaux en cours et/ou des informations importantes dont ils disposaient, parfois avant le Conseil fédéral (par exemple, en ce qui concerne l'enlèvement des deux ressortissants suisses mi-septembre 2009).

La commission estime qu'il serait opportun à l'avenir de clarifier dès le départ les flux d'informations entre les membres d'un organe de crise interdépartemental et leurs chefs de département respectifs.

Recommandation 8:

Flux d'informations entre les membres d'un organe de crise interdépartemental et leurs chefs de département respectifs

La CdG-E demande au Conseil fédéral de prendre les mesures nécessaires afin qu'à l'avenir tout organe de crise interdépartemental règle dès le départ les flux d'informations entre ses membres et leurs chefs de département respectifs.

5

Planification de l'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye

5.1

Haute surveillance du ressort de la DélCdG

En vue de sa séance du 31 mars 2009, la DélCdG a invité les organes compétents du DDPS et du DFAE à l'informer au sujet du soutien apporté par le DDPS au DFAE pour sa gestion de la crise bilatérale entre la Libye et la Suisse. A cette occasion, la DélCdG a entendu parler pour la première fois de planifications et de préparations d'exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye.

Par la suite, dans le courant de l'année 2009, la DélCdG s'est penchée à cinq reprises sur les efforts entrepris par le DDPS et le DFAE pour exfiltrer les deux ressortissants suisses de Libye. La DélCdG a auditionné à cet égard différents représentants du DFAE et du DDPS. A l'automne 2009, la DélCdG a aussi entendu la cheffe du DFAE et le chef du DDPS à ce sujet.

Le caractère sensible de l'affaire et le fait que la crise entre la Suisse et la Libye n'était pas résolue à ce moment-là ont poussé la DélCdG à entreprendre ses investigations dans le plus grand secret et à se concentrer avant tout sur l'aspect de la conduite par le Conseil fédéral.

En vertu de ses principes d'action, la DélCdG accorde une grande importance à la détection précoce des problèmes afin d'identifier à temps les insuffisances justifiant une intervention politique (ch. 4.1).228 C'est pourquoi la DélCdG a décidé d'infor228

Principes d'action de la Délégation des Commissions de gestion du 16.11.2005 (http://www.parlament.ch/f/organe-mitglieder/delegationen/ geschaeftspruefungsdelegation/Documents/gpdel-handlungsgrundsaetze-f.pdf).

3980

mer les chefs de départements responsables de ses appréciations et de ses conclusions concernant la conduite et la coordination menées au niveau des départements et du Conseil fédéral dans son ensemble. Cet entretien a eu lieu le 28 janvier 2010.

S'agissant de l'affaire elle-même, la DélCdG a constaté que la cheffe du DFAE connaissait les efforts entrepris par son département en vue d'une exfiltration, mais qu'elle n'avait pas jugé nécessaire de s'occuper des détails.

Lorsqu'à la fin de l'automne 2008, l'armée suisse a mis à disposition du DFAE des membres du détachement de reconnaissance de l'armée-10 (DRA-10), c'était en accord avec le chef du DDPS alors en fonction. Lors de la passation des pouvoirs fin 2008, le chef sortant du département n'a pas informé son successeur du fait que l'armée continuait de se tenir à disposition du DFAE pour appuyer une exfiltration.

Le nouveau chef du DDPS n'a, pour sa part, appris la poursuite de ces activités au sein de son département que dans le courant de l'année 2009. En effet, le chef de l'armée (CdA) ne l'avait pas non plus informé des efforts déployés en vue d'une exfiltration à la fin de l'année 2008.

Par ailleurs, ni la cheffe du DFAE, en tant que département compétent dans le cas concret, ni les chefs du DDPS n'ont jugé nécessaire d'informer le collège ­ et auparavant la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité (Délséc) ­ des activités déployées par leurs départements en vue d'une exfiltration des deux Suisses. Le Conseil fédéral n'a donc jamais pris de décision de principe en ce qui concerne une planification voire même une éventuelle exécution d'une exfiltration. A la question de la DélCdG portant sur l'existence d'une telle décision du Conseil fédéral, la chancelière de la Confédération a répondu par la négative.

Alors que le président de la Confédération 2008 avait été informé de manière fort rudimentaire par un représentant du DFAE qu'une exfiltration était planifiée, la DélCdG n'avait trouvé durant la première phase de son enquête aucun indice laissant entendre que le nouveau président de la Confédération pour l'année 2009 aurait aussi été informé de l'affaire, que ce soit par son prédécesseur, par le DFAE ou par le DDPS.

Dans ces conditions, la DélCdG a clairement exprimé, aussi bien vis-à-vis de la cheffe du DFAE que du chef du DDPS,
son avis, selon lequel le collège gouvernemental ­ au vu de la crise alors toujours en cours avec la Libye ­ devait être informé a posteriori et sous une forme appropriée. La DélCdG a en particulier estimé qu'il était prioritaire que la présidente de la Confédération 2010 soit mise au courant dans les meilleurs délais des activités entreprises par le DFAE en collaboration avec des membres du DRA-10 en vue d'une exfiltration.

A l'occasion de l'entretien du 28 janvier 2010, la DélCdG a fait observer aux deux chefs de département que tant le DFAE que le DDPS n'avaient pas respecté les dispositions pertinentes de l'ordonnance concernant l'engagement de la troupe pour la protection de personnes et de biens à l'étranger (OPPBE)229. En outre, la DélCdG s'est opposée à une interprétation de l'ordonnance selon laquelle le Conseil fédéral en tant que collège ne devait être associé à une opération qu'immédiatement avant son déclenchement. Au contraire, l'exigence d'une décision du Conseil fédéral est applicable déjà à certaines activités en amont d'une opération concrète. Par exemple, 229

Ordonnance du 3.5.2006 concernant l'engagement de la troupe pour la protection de personnes et de biens à l'étranger (RS 513.76).

3981

l'acquisition d'informations-clés doit être considérée comme une opération autonome en vertu de l'art. 2, al. 1, let. c, OPPBE, pour laquelle une demande doit être adressée au Conseil fédéral.

La DélCdG a donc demandé à la cheffe du DFAE et au chef du DDPS de veiller à ce qu'à l'avenir, dans un domaine aussi sensible, les dispositions légales en vigueur soient strictement respectées. En vue d'éviter toute ambiguïté dans l'application de l'ordonnance dans un cas futur similaire, la DélCdG a également prié les deux chefs de département d'examiner s'il fallait préciser les dispositions de l'ordonnance.

La DélCdG a transmis par lettre classifiée secrète du 9 février 2010 ses conclusions et ses recommandations aux deux chefs de départements. Dans le même courrier, elle les a invités à la tenir au courant une fois que l'information de la présidente de la Confédération 2010 et du Conseil fédéral aura eu lieu. La DélCdG a considéré par là que son enquête était terminée.

5.2

Traitement des recommandations de la DélCdG par le Conseil fédéral

Le 4 mars 2010, dans une lettre commune, la cheffe du DFAE et le chef du DDPS ont indiqué au président de la DélCdG que la présidente de la Confédération avait été informée de manière détaillée et complète.

Le 22 avril 2010, une rencontre a eu lieu entre la présidente de la Confédération et le président ainsi que le vice-président de la DélCdG. A cette occasion, elle leur a indiqué que le chef du DDPS avait informé le collège, au point «divers» de l'ordre du jour de la séance du Conseil fédéral du 3 février 2010, au sujet des opérations planifiées, mais finalement pas menées, visant à exfiltrer les deux ressortissants suisses retenus en Libye. Suite à cette information orale de la part du chef du DDPS, la présidente de la Confédération aurait demandé un rapport écrit aux départements concernés ainsi qu'un avis de droit à l'Office fédéral de la justice (OFJ) sur la légalité de la procédure. Le 24 mars 2010, le Conseil fédéral aurait pris connaissance du rapport conjoint du DFAE et du DDPS ainsi que de l'avis de droit de l'OFJ. Il aurait décidé que désormais dans des cas analogues, qui concernent l'engagement de la troupe pour la protection de personnes et de biens à l'étranger, le Conseil fédéral doit être informé et consulté suffisamment tôt, c'est-à-dire avant que l'ordre d'opération ne soit donné.

Le 28 mai 2010, le président et le vice-président de la DélCdG se sont rendus à la Chancellerie fédérale pour examiner ces documents secrets du Conseil fédéral et ils en ont demandé la remise d'une copie. La chancelière de la Confédération a souscrit à cette demande le 31 mai 2010, après en avoir référé à la présidente de la Confédération.

En réponse à la demande de la présidente de la Confédération, la DélCdG l'a informée par lettre du 7 juin 2010 des conclusions et recommandations que la délégation avait adressées à la cheffe du DFAE et au chef du DDPS et de la manière dont les deux départements avaient pris position à ce sujet le 4 mars 2010. Dans sa lettre, la DélCdG signalait qu'elle avait bien reçu de la part de la Chancellerie les documents sur lesquels le Conseil fédéral s'était fondé le 24 mars 2010. Elle indiquait néanmoins aussi qu'elle avait, sur la base de ses propres investigations, une vue

3982

d'ensemble plus précise que le Conseil fédéral au sujet des intentions d'exfiltration du DFAE et du DDPS.

Cependant, la DélCdG constatait également dans sa lettre que pour l'essentiel, son appréciation concordait avec les conclusions du Conseil fédéral selon sa décision du 24 mars 2010. A cette date, le Conseil fédéral, comme cela ressort du texte de sa décision, avait «pris connaissance des actions de libération planifiées» et constaté que la procédure prévue par l'OPPBE n'avait dans le cas concret pas été respectée.

La DélCdG a finalement indiqué à la présidente de la Confédération qu'elle se tenait à sa disposition pour un éventuel entretien.

A la demande de la présidente de la Confédération, la DélCdG a rencontré le Conseil fédéral dans son ensemble le 21 juin 2010 pour une discussion informative. Lors de cet entretien, la DélCdG a informé le Conseil fédéral de manière exhaustive sur son enquête et ses résultats. En particulier, il sied de relever que la DélCdG n'a pas prié le Conseil fédéral d'informer le public.230 Elle a au contraire expressément rendu attentif le Conseil fédéral au caractère secret des informations transmises en mettant particulièrement l'accent sur la nécessité de leur protection adéquate.231

5.3

Investigations de la DélCdG sur mandat de la CdG-E

5.3.1

Etat des connaissances du Conseil fédéral et de ses membres

Afin d'éviter les doublons entre les travaux de la sous-commission DFAE/DDPS et la DélCdG, le président de la DélCdG a informé le 8 juin 2010 les membres de la sous-commission de manière adéquate et en prenant les mesures de confidentialité nécessaires, des investigations que la DélCdG avait menées en ce qui concerne les projets d'exfiltration du DFAE. Lors de la même séance, en regard des travaux à venir de la sous-commission, il a été procédé à une répartition des tâches entre la sous-commission et la DélCdG.

Le 25 juin 2010, la CdG-E a décidé de demander l'aide de la DélCdG pour clarifier les flux d'informations au sein du Conseil fédéral. La commission a donné à la délégation le mandat de prendre connaissance de toutes les propositions, notes de discussion, notes d'information, co-rapports et «procès-verbaux verts» du Conseil fédéral concernant la Libye. Les CdG peuvent confier ce genre de mandat particulier à leur délégation en vertu de l'art. 53, al. 3, de la loi sur le Parlement. En conséquence, la DélCdG a consulté les procès-verbaux du Conseil fédéral à plusieurs reprises dans le courant du mois de septembre 2010. Sur mandat du Conseil fédéral, la Chancellerie fédérale a remis à la DélCdG les documents ayant servi de base de décision au Conseil fédéral dans la crise libyenne. Le vice-chancelier a remis à la DélCdG ses notes personnelles concernant deux séances du Conseil fédéral lors desquelles les informations données sous la rubrique «divers» n'ont pas trouvé mention dans le «procès-verbal vert»; il s'agit de la séance du 19 août 2009 (information par le président de la Confédération 2009 sur la date de son voyage en Libye) et celle du 230

Voir déclaration de la présidente de la Confédération au nom du Conseil fédéral du 21.6.2010 «Derniers développements dans l'affaire libyenne»; et communiqué de presse de la DélCdG du 22.6.2010 «Information de la DélCdG sur l'affaire libyenne».

231 Voir procès-verbal secret de la DélCdG du 21.6.2010 relatif à l'entretien avec le Conseil fédéral et la chancelière sur la Libye.

3983

3 février 2010 (première information du chef du DDPS concernant des projets d'exfiltration). En complément d'information, la DélCdG a eu également accès aux procès-verbaux des auditions des membres du Conseil fédéral que la sous-commission DFAE/DDPS avait entendus après le 21 juin 2010 concernant les flux d'informations au Conseil fédéral au sujet des projets d'exfiltration.

Ces investigations complémentaires n'ont cependant pas apporté de nouvelles informations fondamentales à la délégation s'agissant des projets d'exfiltration en eux-mêmes, mais elles ont permis de préciser quelques points.

Ainsi, la DélCdG a appris que fin 2008, l'ancien chef du DDPS n'avait pas jugé nécessaire d'informer son successeur de l'appui fourni peu auparavant au DFAE par l'armée, puisque, selon l'état de ses connaissances, les activités qu'il avait approuvées avaient été suspendues.

De son côté, le nouveau chef du DDPS a appris en janvier 2009 du secrétaire général du DDPS alors en fonction que ce dernier avait entendu, de la bouche même de l'ancien chef du département, qu'il avait été question d'une opération mais que celle-ci avait été abandonnnée. Le chef du DDPS a également reçu des informations complémentaires relatives aux efforts d'exfiltration de la part du service de renseignement extérieur. Lorsque, plus tard dans le courant de l'année 2009, la dernière opération a été approuvée par le chef de l'armée (CdA), ce dernier en a discuté préalablement avec le chef du DDPS.

Lorsque, début 2010, la DélCdG a informé les chefs du DFAE et du DDPS de son appréciation et de ses recommandations, elle partait du principe que le président de la Confédération 2009 n'avait pas été mis au courant des efforts du DFAE et du DDPS en vue d'une exfiltration. Mais, sur la base de ses propres investigations, la DélCdG sait désormais que le président de la Confédération 2009 avait entendu parler par son prédécesseur, du moins à mots couverts, du fait que le DFAE préparait avec le soutien du DDPS une exfiltration des deux Suisses. Les auditions menées plus tard par la CdG-E ainsi que les procès-verbaux verts du Conseil fédéral ont également confirmé ce fait. Toutefois, le futur président de la Confédération 2009 n'avait pas entendu parler d'un soutien du DFAE par l'armée.

Du point de vue de la DélCdG, il se pose moins la question
de savoir dans quelle mesure exactement le président de la Confédération 2009 était informé que celle de l'implication du Conseil fédéral en tant que collège. En effet, l'art. 177 CF, qui règle le principe de l'autorité collégiale et de la division en départements, ne prévoit pas que le président de la Confédération puisse assumer la conduite et la responsabilité d'une affaire uniquement avec certains membres du collège sans qu'il y ait eu une décision correspondante préalable du Conseil fédéral. En ce qui concerne le président de la Confédération 2009 ainsi que la présidente de la Confédération 2010, il est évident que dans le cas d'une affaire aussi sensible ces deux personnes auraient dû en tout temps disposer des dernières informations, afin d'être en mesure d'assumer pleinement leur rôle au niveau bilatéral et international.

3984

5.3.2

Questions juridiques

Sur la base de ces informations supplémentaires, la DélCdG s'est penchée, à l'intention de la CdG-E, sur la question de savoir quels mécanismes d'information et de prise de décision spécifiques le droit en vigueur prévoit pour les planifications d'opérations qu'elle a examinées.

Comme en dispose l'art. 1, l'OPPBE règle le service d'appui de l'armée pour la protection de personnes et de biens nécessitant une protection particulière à l'étranger.

En vertu de l'art. 3 OPPBE, le département concerné ­ dans le cas présent le DFAE ­ doit adresser au Conseil fédéral sa demande d'appui militaire après concertation avec le DDPS. Pour autant que l'urgence de la situation le permette, les demandes font l'objet d'un examen préalable par la Délséc.

Selon l'art. 4 OPPBE, le Conseil fédéral se prononce sur la demande et confie la mission d'engagement à l'armée. La mission fixe les paramètres mentionnés par l'art. 4, al. 2, OPPBE. En outre, l'art. 5, al. 1, OPPBE, dispose que le Conseil fédéral désigne le département responsable, chargé d'approuver l'ordre d'opération du chef de l'armée et de décider du déclenchement et de l'arrêt de l'engagement.

En vertu du commentaire de l'OPPBE tel qu'il ressort de la proposition du DDPS au Conseil fédéral en date du 29 mars 2006, la proposition faite au Conseil fédéral se fonde sur les options d'action élaborées par le CdA à partir du concept d'engagement dans le temps et l'espace, ainsi que sur les règles d'engagement et l'estimation des forces militaires (il n'existe pas de version française, cf. p. 6 de la version allemande: «[basiert] der Antrag an den Bundesrat auf der Grundlage der vom CdA ausgearbeiteten Handlungsoptionen über das räumlich-zeitliche Einsatzkonzept, den Einsatzregeln sowie dem militärischen Kräfteansatz».).

On doit donc en conclure que l'armée peut procéder à des travaux de planification au sens de l'élaboration d'options d'action avant qu'une demande ne soit soumise au Conseil fédéral. En ce qui concerne l'ordre d'opération qui doit être donné par le CdA, l'OPPBE part du principe que le mandat du Conseil fédéral en fixe les paramètres principaux. Ceux-ci doivent ensuite être concrètement mis en oeuvre par le CdA dans l'ordre d'opération. Sur ce point, l'appréciation de la DélCdG se recoupe avec l'argumentation développée par l'OFJ dans son avis
de droit du 25 février 2010.

Le DDPS a présenté à la DélCdG les concepts d'opération correspondants aux différentes planifications d'opérations. La DélCdG s'est penchée de manière approfondie sur ces concepts d'opération. Pour des raisons de sécurité de l'Etat, elle ne rend public ni le nombre de concepts ni leur contenu. Elle tient par contre à souligner que ­ contrairement aux termes utilisés lors de la déclaration de la présidente de la Confédération du 21 juin 2010 ­, il n'a jamais été question d'entreprendre une «action de libération» des deux Suisses retenus en Libye, cela d'autant plus qu'une telle action aurait impliqué l'usage de la force. De plus, les activités entreprises n'ont jamais atteint un stade dans lequel une participation active des deux Suisses retenus en Libye à leur exfiltration aurait été nécessaire. Ainsi, jamais une phase et/ou un engagement correspondant n'ont été déclenchés par le DFAE.

Selon le réglement 51.070 sur la conduite opérative de l'armée, le concept d'opération sert de point de départ à l'élaboration du plan d'opération. Avant le déclenchement d'une opération, le plan d'opération devient, suite à un ordre de déclenchement, un ordre d'opération. Comme le montre le mode de planification de l'opé3985

ration ATALANTA, qui est présenté dans un rapport de l'inspectorat du DDPS232, on part du principe que le concept d'opération est précédé d'une décision du Conseil fédéral. Par ailleurs, la décision du Conseil fédéral peut, quant à elle, s'appuyer au préalable sur des analyses de faisabilité.

La comparaison entre les concepts d'opération que la DélCdG a examinés et les activités effectivement déployées montre que l'un des concepts a été mis en oeuvre, en passant par toutes les phases d'opération. Un autre concept a été réalisé jusqu'à la phase 1, alors qu'en phase 0 les préparatifs et les planifications d'engagement proprement dits avaient été achevés.

Même si aucun ordre d'opération dans le sens technique du terme n'a été présenté à la DélCdG, cette dernière, au vu de ses investigations, peut confirmer que pour les deux opérations mentionnées, les concepts d'opérations avaient été approuvés par le CdA. La DélCdG part également du principe que le procédé pour les opérations a été approuvé par le DFAE ­ manifestement de façon tacite. De fait, la direction militaire et le DFAE avaient ainsi dépassé le stade de la conception et les militaires détachés reçu leur ordre d'opération.

De l'avis de la DélCdG, les concepts d'opération auraient toutefois déjà dû se fonder sur un mandat du Conseil fédéral. En revanche, en ce qui concerne le déclenchement de l'engagement, si on se réfère à l'ordonnance, le Conseil fédéral n'aurait plus eu besoin d'être informé puisque, en vertu de l'art. 5, al. 2, OPPBE, le DFAE aurait été à même de décider de son propre chef du déclenchement et de l'arrêt de l'engagement.

La DélCdG estime qu'au moins un des concepts d'opération qu'elle a étudiés entre dans la catégorie des types d'opérations visées par l'art. 2, al. 1, OPPBE. Toutefois, les procédures prévues par l'OPPBE n'ont pas été respectées. L'OFJ est parvenu à la même conclusion dans son avis de droit mentionné plus haut.

Le DDPS et, surtout, le DFAE ­ ont fait valoir devant la haute surveillance parlementaire ­ mais aussi, a posteriori, devant le Conseil fédéral ­ que la participation de militaires du DRA-10 aux opérations dirigées par le DFAE ne pouvait pas être qualifiée de service d'appui. Les membres de l'armée auraient été mis à la disposition du DFAE par le DDPS en tant qu'employés ordinaires de ce dernier,
afin de remplir certaines tâches pour lesquelles ils avaient été formés. Le fait qu'ils aient servi au sein du DDPS dans la formation professionnelle DRA-10 avant comme après cette période ne permettait pas de considérer leur activité pour le DFAE comme un engagement selon l'OPPBE.

Pour la DélCdG, l'interprétation qui consiste à ne plus considérer les membres détachés du DRA-10 comme des membres de l'armée, mais comme des employés du département à appuyer, n'est pas recevable. Si l'on appliquait ce raisonnement à la protection des ambassades par la sécurité militaire, par exemple, il deviendrait possible de «prêter» ces militaires à une police cantonale sans avoir obtenu l'approbation ­ prévue par la loi ­ du Parlement pour un tel engagement.

Si la DélCdG n'exclut pas a priori qu'il soit possible de changer l'affectation des employés au sein de l'administration fédérale d'un service à un autre, elle estime toutefois qu'il serait alors indispensable d'observer au moins les dispositions légales 232

Rapport final du 11.1.2010 de l'inspectorat DDPS sur la révision Nr. 3 du DRA-10, p. 30, (existe uniquement en allemand).

3986

déterminantes en matière de droit du personnel (p. ex. modalités de départ, de licenciement, de réengagement et/ou de nouvel engagement, etc.). Or, dans le cas présent, la DélCdG n'a pas connaissance que des démarches correspondantes aient été entreprises. Dans la mesure où le soutien du DRA-10 en vue d'une exfiltration était clairement considéré comme une prestation de l'armée en faveur du DFAE et qu'il a été conçu comme tel, la DélCdG estime que les activités menées dans ce cadre l'ont été au titre de service d'appui.

Comme les documents à disposition de la DélCdG le montrent, le premier concept d'opération élaboré partait explicitement du principe que les militaires allaient fournir un service d'appui à l'étranger dans le cadre de l'OPPBE. Toutefois, après que le chef de l'armée eut reçu un avis de droit interne selon lequel le soutien planifié en faveur du DFAE n'entrait pas dans le champ de l'OPPBE, les concepts suivants n'ont plus mentionné de bases légales. Cette conclusion juridique avait été motivée par le fait qu'il ne s'agissait pas d'une «action militaire» puisque les militaires du DRA-10 ne seraient pas armés et qu'ils n'interviendraient pas en uniforme.

Cette argumentation ne parvient pas à convaincre la DélCdG. En effet, en réponse à une demande de la délégation du 5 avril 2006, le DDPS avait répondu le 13 avril 2006 que, en particulier lors d'engagements en vertu de l'art. 2, al. 2, let. c, OPPBE (acquisition d'informations-clés), un engagement en uniforme n'était pas prévu.233 Déjà à l'époque, la DélCdG avait conscience que ce genre d'opérations était proche des activités du service de renseignement, raison pour laquelle elle avait demandé des précisions sur le sujet. C'est pourquoi, à ses yeux, il n'y a aucune raison majeure d'admettre aujourd'hui que la recherche d'informations-clés par le biais de personnel militaire non reconnaissable comme tel ne tomberait pas sous le coup de l'OPPBE.

En vue de futures opérations tombant dans le champ d'application de l'OPPBE, la DélCdG constate que celles-ci peuvent se recouper avec les activités de recherche d'informations des services de renseignement. Or, ces dernières sont régies par des dispositions légales différentes et ne nécessitent donc pas d'approbation du Conseil fédéral.

Recommandation 9:

Délimitation entre les engagements selon l'OPPBE et les compétences dévolues aux services de renseignement militaire et civil

La délégation recommande au Conseil fédéral de dresser un état des lieux afin, le cas échéant, de délimiter les engagements selon l'OPPBE et les compétences dévolues aux services de renseignement militaire et civil, ainsi que de clarifier au besoin les bases légales.

233

Lettre du chef du DDPS du 13.4.2006 en réponse aux questions de la DélCdG du 5.4.2006.

3987

Recommandation 10:

Examen de l'implication et du rôle du Conseil fédéral tels que définis dans l'OPPBE

Le Conseil fédéral est également invité à vérifier si l'implication et le rôle que l'OPPBE lui attribue aujourd'hui sont réglementés de façon opportune. La question se pose de savoir si le Conseil fédéral ne devrait pas décider également du déclenchement et de l'arrêt d'un engagement.

5.4

Appréciations de la DélCdG

Dans le cadre de son enquête, la DélCdG n'a trouvé aucune raison de douter, sur le fond, de la légalité d'un engagement du DRA-10 en vue d'une exfiltration des deux ressortissants suisses retenus en Libye. La DélCdG est d'avis qu'un Etat de droit moderne doit se donner les moyens nécessaires pour préparer des opérations de ce genre ainsi que pour pouvoir les mener à bien, le cas échéant avec le concours d'autres Etats.

La DélCdG est toutefois parvenue à la conclusion que le DFAE et le DDPS n'ont pas associé le Conseil fédéral à la préparation des opérations comme l'ordonnance (OPPBE) le prescrit. Nonobstant ce qui précède, au vu des risques que ce genre d'opérations représente sur le plan de la politique extérieure, la DélCdG est convaincue qu'il est indispensable que le Conseil fédéral, en sa qualité d'autorité directoriale et exécutive suprême (art. 174 Cst.), puisse assumer à temps sa tâche de conduite.

Or, la façon dont ont procédé le DFAE et le DDPS n'a pas satisfait à cette exigence.

C'est la cheffe du DFAE qui aurait dû, en premier lieu, adresser une demande au Conseil fédéral, en y associant le DDPS. Les opérations d'exfiltration amorcées par le DFAE, en particulier par le chef du Secrétariat politique alors en fonction, sans mandat du Conseil fédéral ont excédé les compétences que l'ordonnance accorde au département responsable. Dans ces conditions, les concepts d'opération approuvés et mis en oeuvre sans mandat du Conseil fédéral ont nettement outrepassé le cadre des compétences défini par l'ordonnance, du moins pour l'un des engagements.

En outre, le DFAE et le DDPS auraient dû ­ avant que le Conseil fédéral ne soit saisi du dossier ­ associer la Délséc à leurs travaux. Selon la DélCdG, ils en avaient parfaitement le temps. Les chefs des deux départements concernés sont membres permanents de la Délséc. La présidence de la Délséc revient de manière permanente au chef du DDPS. Il en est ainsi seulement depuis 2005 ­ auparavant, la Délséc était présidée en alternance pour un an par chacun de ses trois membres. Il aurait donc aussi été du ressort de l'ancien chef du DDPS, comme de son successeur, de porter l'affaire devant la Délséc.

La Délséc est l'unique organe permanent du Conseil fédéral qui dispose d'une base légale propre et d'un mandat clairement défini. Ce n'est pas la première
fois que la DélCdG constate que la Délséc n'est pas associée par les départements qui en font partie à des affaires interdépartementales qui touchent à la politique de sécurité.234

234

«Affaire Tinner: gestion du dossier par le Conseil fédéral et légalité des mesures ordonnées» (FF 2009 4493), rapport de la DélCdG du 19.1.2009.

3988

Cette situation soulève des questions fondamentales sur le fonctionnement, mais aussi sur la raison d'être de cet organe.

Recommandation 11:

Examen du rôle, de l'importance et des tâches de la Délséc

La DélCdG recommande au Conseil fédéral de repenser de manière fondamentale le rôle, l'importance ainsi que les tâches de la Délséc, et soit de renforcer cet organe en conséquence, soit de lui assigner d'autres objectifs.

La DélCdG doit en outre constater que le Conseil fédéral n'a pas été en mesure de garantir le secret nécessaire. A l'occasion de son entretien du 21 juin 2010 avec le Conseil fédéral, elle a fait part à ce dernier de sa préoccupation profonde suite à la publication dans les médias, le vendredi précédent, d'informations particulièrement sensibles sur les projets d'exfiltration. De par leur nature, ces informations ne pourraient provenir que de l'entourage proche impliqué des départements concernés du Conseil fédéral.

La DélCdG est également très inquiète de constater que de graves indiscrétions ont été commises à plusieurs reprises à partir du moment où le Conseil fédéral a été impliqué en tant que collège ­ objectif visé par la haute surveillance parlementaire ­ et que ces indiscrétions ont perduré jusqu'à ce jour.

En particulier, la DélCdG ne comprend pas pourquoi les travaux ultérieurs menés entre le DFAE et le DDPS, qui ont servi de base pour la proposition du DFAE du 7 septembre 2010 ­ qui n'a plus été classifiée que comme confidentielle ­, n'ont plus été classifiés «secret». Cela vaut aussi bien pour la proposition susmentionnée du DFAE que pour une proposition du DFF du 17 juin 2010. Il appartient à chaque membre du collège d'assumer la responsabilité pour la classification correcte des documents destinés au Conseil fédéral dans son entourage proche.

La DélCdG avait d'ailleurs exprimé la même exigence dans la recommandation 3 de son rapport du 19 janvier 2009 sur l'affaire Tinner. Dans son avis du 17 juin 2009235, le Conseil fédéral avait répondu qu'il n'était pas nécessaire de prendre des mesures. Il avait ainsi indiqué que dans le domaine de la politique de sécurité comme dans celui de la politique extérieure, il pouvait déjà s'appuyer sur des structures bien développées «pour préparer les affaires pour lesquelles le secret est essentiel».

Il avait en outre précisé que ces structures étaient régulièrement examinées et adaptées si nécessaire. Comme la présente enquête le démontre, tel n'est toujours pas le cas actuellement.

Au sein du DFAE non plus, les hauts et moyens
cadres ne semblent pas avoir pris suffisamment conscience du caractère sensible de certaines informations. Preuve en est le comportement de l'ambassadeur de Suisse en Libye, qui s'est exprimé sur les opérations d'exfiltration planifiées dans un courriel largement diffusé et non crypté.

Des appels téléphoniques non protégés soit de la part de membres de l'ambassade de Suisse en Libye ou alors de collaborateurs du DFAE envoyés en Libye, ont eu lieu au début de la crise. Un téléphone portable a été perdu dans un aéroport à l'étranger et a en conséquence dû être bloqué. Un bagage contenant un notebook s'est égaré 235

«Affaire Tinner: gestion du dossier par le Conseil fédéral et légalité des mesures ordonnées», avis du Conseil fédéral du 17.6.2009 (FF 2009 4554).

3989

quelque temps au début de la crise236. De tels incidents sont la preuve qu'en ce qui concerne la protection des informations et des moyens techniques mis à disposition des collaborateurs, de graves lacunes existent aujourd'hui au niveau de l'administration fédérale, lacunes auxquelles il est impératif de remédier rapidement.

Recommandation 12:

Mesures pour garantir le secret aux plus hauts niveaux de l'administration fédérale

La DélCdG invite le Conseil fédéral à prendre les mesures nécessaires, dans son domaine de compétences, pour pouvoir garantir à l'avenir le secret aussi aux plus hauts niveaux de l'administration fédérale. Ce faisant, le Conseil fédéral s'attache également aux aspects techniques des appareils mis à disposition des collaborateurs.

Il sied de relever que lors de ses investigations initiales portant sur les opérations d'exfiltration planifiées comme au cours de la discussion menée avec le Conseil fédéral, la DélCdG a renoncé à évaluer l'opportunité et les chances de succès desdites opérations. Elle a préféré consacrer son activité de haute surveillance à s'assurer que le Conseil fédéral dispose rapidement des informations nécessaires pour sa conduite dans le but qu'il puisse à l'avenir assumer, à son niveau, la responsabilité de ce genre d'opérations.

Enfin, au regard de l'objet des investigations menées par la CdG-E, la DélCdG ne considère pas non plus qu'il y a matière à traiter plus en détail les planifications d'opération dans le présent rapport. La DélCdG est d'avis que cela irait aussi à l'encontre des intérêts primordiaux de la Suisse.

5.5

Autres investigations de la DélCdG pour la CdG-E

5.5.1

Engagement de l'attaché de défense du Caire pendant la crise avec la Libye

Lors de ses travaux, la sous-commission DFAE/DDPS de la CdG-E est parvenue à la conclusion qu'il serait opportun d'examiner également le rôle qu'a joué l'attaché de défense en fonction pendant la crise avec la Libye. Elle a délégué ces investigations à la DélCdG qui a donc invité l'attaché de défense du Caire alors en fonction pour un entretien.

Le rapport publié par la CdG-N le 23 mai 2006 sur les attachés de défense237 distingue les attachés de défense, dont la tâche relève pour l'essentiel du domaine du renseignement, de ceux qui ont pour fonction de favoriser des collaborations bilatérales entre l'armée suisse et les forces armées du pays d'accréditation. Comme il en découle du rapport de la CdG-N, le poste d'attaché de défense du Caire fait plutôt partie de la première catégorie.

236 237

Réponses par courriel électronique du secrétaire général du DFAE du 22.10.2010.

Les attachés de défense: rapport de la CdG-N du 23.5.2006 (FF 2006 8251).

3990

Dans le courant de l'été 2009, le DFAE a mis à profit le statut diplomatique de l'attaché de défense pour faire le pont pendant la période où il n'y avait plus de personnel suisse à l'ambassade de Tripoli. Mi-juin 2009, l'attaché de défense du Caire a reçu du secrétaire d'Etat du DFAE alors en fonction la mission de «montrer le drapeau» pour la Suisse. Suite à cela, l'attaché de défense a séjourné du 22 juin 2009 au 4 juillet 2009 à l'ambassade de Suisse à Tripoli.

Lors de ses contacts avec le Ministère libyen des affaires étrangères, l'attaché de défense du Caire se serait efforcé de faire des propositions à la partie libyenne en vue d'améliorer les conditions pouvant mener à une solution du conflit. Ainsi, selon ses dires, c'est à ses initiatives que la cheffe du DFAE doit d'avoir pu emmener à Tripoli fin mai 2009 les deux épouses des ressortissants suisses retenus en Libye. De même, le nouveau chargé d'affaires de Suisse à Tripoli n'aurait reçu son visa d'entrée en Libye qu'après que l'attaché de défense du Caire eut réussi à convaincre le Ministère libyen des affaires étrangères de faire ce pas. Les autres entretiens menés dans le cadre de la présente enquête n'ont toutefois donné aucune indication directe permettant de confirmer les dires de l'attaché de défense.

Selon ses dires, l'attaché de défense du Caire n'aurait pas été impliqué dans les travaux du DFAE et du DDPS en vue d'une exfiltration possible des deux ressortissants suisses. Ni le DFAE ni l'armée n'auraient considéré qu'il était opportun de l'associer à leurs projets. Cependant, au printemps 2009, l'attaché de défense du Caire aurait toutefois entendu parler, de la bouche même des deux ressortissants suisses retenus en Libye (qui en avaient manifestement eux-mêmes été informés, du moins en partie, par le DFAE), de l'existence de plans d'exfiltration.

Au début de l'été 2009, selon ses propres dires, l'attaché de défense du Caire aurait discuté avec les deux ressortissants suisses de la possibilité d'organiser avec eux une exfiltration.

Il leur aurait conseillé d'acheter un jet-ski avec lequel ils pourraient quitter les eaux territoriales libyennes, pour fuir ensuite sur un bateau privé. La préparation de ce plan s'est toutefois heurtée immédiatement à un écueil puisqu'il n'était plus possible de se procurer un tel appareil sur
place. L'idée d'organiser un bateau et une équipe pour la deuxième phase de la fuite aurait donc également été abandonnée.

Ce plan d'exfiltration de l'attaché de défense du Caire, finalement resté purement théorique, s'est fait sans que le DFAE y soit associé. Cependant, lors de son audition du 27 octobre 2009 devant la DélCdG, le chef du DDPS238 s'est souvenu avoir parlé avec l'attaché de défense du Caire d'un scénario d'exfiltration des deux ressortissants suisses des eaux territoriales libyennes avec un yacht privé. Toutefois, à sa connaissance, ces plans ­ que le chef du DDPS a lui-même qualifié de quelque peu aventureux ­ n'ont pas eu de suite.

5.5.2

Appréciations

La DélCdG reconnaît que le réseau de contacts d'un attaché de défense sur place peut ouvrir des options d'action supplémentaires pour la Suisse en cas de crise. Par exemple, dans le cadre d'une stratégie de négociation, il peut s'avérer opportun d'engager le dialogue par le biais des services de renseignement pour influencer 238

Procès-verbal de l'audition du chef du DDPS, du 27.10.2009, p. 5 (secret).

3991

positivement les négociations officielles. Mais cette manière de faire ne peut avoir de succès que si elle fait partie intégrante de la stratégie globale de négociations et qu'elle bénéficie d'un mandat concret ­ dans le cas présent, du DFAE ou, dans l'intervalle, du DFF. Or, ces conditions n'ont pas été remplies.

Le rapport de la CdG-N a relevé, concernant la conduite des attachés de défense, que le système de conduite manquait en réalité d'une structure et que la chaîne de commandement n'était pas très claire. Les mesures d'amélioration que le Conseil fédéral a proposées dans son rapport du 21.7.2007239 n'ont pas fondamentalement modifié ce système de conduite, mais l'ont muni de mécanismes de coordination supplémentaires. Dans le cas présent, les structures de conduite existantes n'ont pas été en mesure de garantir l'engagement approprié de l'attaché de défense du Caire.

En raison du lien étroit de l'activité de l'attaché de défense du Caire avec le renseignement, le chef des relations internationales de l'état-major de l'armée n'a pas pu, dans les faits, prendre une influence prépondérante sur l'activité de l'attaché de défense sur place, alors même qu'il était globalement responsable de sa conduite. En effet, il n'était pas au courant, au niveau du contenu, des activités de l'attaché de défense dans le domaine du renseignement. Durant la période en cause, l'attaché de défense du Caire a par ailleurs pris contact de son propre chef avec le CdA240 ainsi qu'avec le chef du DDPS241, alors que ces deux personnes n'avaient pas la tâche de le diriger; elles n'ont par conséquent pas pris de mesures de conduite. Le chef du DDPS a, pour sa part, certes tenté de mettre l'attaché de défense en contact direct avec le président de la Confédération 2009 durant la phase présidentielle. Cette tentative n'a cependant pas porté ses fruits, ceci essentiellement en raison d'un manque d'encadrement adéquat.

Pour sa part, le SRS avait autorisé l'attaché de défense à entretenir les relations mentionnées dans le domaine du renseignement. C'est par ce biais qu'ont eu lieu les contacts de l'attaché de défense du Caire avec des représentants du Ministère libyen des affaires étrangères, avec lesquels le DFAE avait lui-même déjà engagé des négociations. Les contacts de l'attaché de défense du Caire au niveau diplomatique
n'ont manifestement pas été établis sous la conduite du chef de mission du DFAE, à qui l'attaché de défense du Caire était pourtant subordonné sur place. En tous les cas, le SRS, que l'attaché du Caire informait régulièrement de ses contacts diplomatiques avec le Ministère libyen des affaires étrangères, n'était pas directement compétent pour diriger ces contacts.

Tout comme pour les opérations d'exfiltration qui ont été planifiées par le DFAE avec l'appui du DRA-10, la DélCdG ne s'est pas préoccupée plus en détail des chances réelles de succès ou de l'opportunité des plans analogues d'exfiltration de l'attaché de défense du Caire. Force est toutefois de constater, que les activités de l'attaché de défense du Caire recelaient des risques non négligeables pour les opérations du DFAE avec l'armée, qui lui étaient du moins partiellement connues.

Les efforts déployés par l'attaché de défense du Caire, de son propre chef et sans mandat de ses supérieurs hiérarchiques, en vue d'une exfiltration montrent combien il est important que les chefs des départements compétents soient informés de toutes les planifications des services ou personnes qui leur sont subordonnés. Le succès 239

«Les attachés de défense», rapport du Conseil fédéral à la CdG-N, du 21.9.2007 (FF 2007 6391).

240 Procès-verbal de l'audition du chef de l'armée (CdA), du 20.10.2010 (secret).

241 Procès-verbal de l'audition du chef du DDPS, du 27.10.2009, p. 5 (secret).

3992

d'une opération dépend principalement de la capacité des chefs de départements concernés, non seulement d'assurer la protection de l'information, mais aussi de pouvoir garantir qu'il n'y ait pas, au sein de leur département, plusieurs acteurs travaillant de façon non coordonnée à une exfiltration. Le chef du DDPS, qui était le seul à connaître aussi bien les plans du DFAE et de l'armée qu'à avoir entendu parler des efforts de l'attaché de défense du Caire, ne semble pas avoir pris conscience de cette problématique.

En outre, la problématique mise en évidence ici souligne qu'il est nécessaire que le Conseil fédéral soit dans tous les cas au courant de la préparation de ce genre d'opérations sensibles à l'étranger.

Recommandation 13:

Directives concernant l'intégration et la conduite de l'attaché de défense en cas de crises de politique extérieure

La DélCdG recommande au Conseil fédéral de réglementer clairement l'intégration et la conduite de l'attaché de défense dans le cas de crises de politique extérieure.

5.5.3

Appréciations concernant la médiation d'un homme d'affaires tunisien durant la phase présidentielle

La DélCdG a également examiné la médiation menée par un homme d'affaires tunisien lors de la phase présidentielle. A ce sujet, elle a constaté que le président de la Confédération 2009 n'avait pas informé le Conseil fédéral, en amont de son voyage en Libye, du recours à un homme d'affaires tunisien en tant que médiateur.

De plus, l'aptitude de cet homme en tant que médiateur n'a pas été examinée au préalable et les modalités de son engagement n'ont pas été formellement réglées. En particulier, aucun service de l'administration fédérale, qui aurait été apte à délivrer une appréciation sous l'aspect de la sécurité, n'a été impliqué (SRC, DFJP, DFAE).

Pour des raisons de sécurité et d'intérêts supérieurs de l'Etat, la DélCdG a décidé de ne pas publier de plus amples détails. En revanche, elle a soumis l'ensemble de ses appréciations au Conseil fédéral et lui a adressé une recommandation adaptée au cas concret.

La recommandation ci-dessous reprend la problématique de manière générale.

Recommandation 14:

Règlementation de la médiation par des personnes privées

Le Conseil fédéral est invité à réglementer de manière claire le recours à des médiateurs privés en cas de crise de politique extérieure.

3993

6

Conclusions

Pour la CdG-E, les deux dysfonctionnements majeurs qui ont caractérisé la gestion de cette crise par les autorités fédérales sont les flux d'informations défaillants au sein du Conseil fédéral et les outrepassements de compétences, autrement dit le fait que des décisions qui relèvent de la compétence du Conseil fédéral en tant que collège n'ont pas été prises par ce dernier.

Ainsi qu'il ressort du présent rapport, ce constat s'applique tant à la phase présidentielle, avec la signature de l'accord du 20 août 2009 par le président de la Confédération 2009, qu'à la planification d'opérations d'exfiltration. Dans les deux cas, le Conseil fédéral, faute de disposer des informations nécessaires, n'a pas été en mesure d'exercer en temps utile sa fonction de conduite.

Au vu des enjeux essentiels que revêtait et que revêt aujourd'hui encore ce dossier pour la Confédération, ce constat interpelle fortement la haute surveillance parlementaire.

Pour la commission, le système de gouvernement collégial suisse requiert des membres qui le composent non seulement de respecter les bases légales en vigueur, mais aussi l'esprit de collégialité. Or, l'esprit de collégialité est une attitude intellectuelle qui ne peut véritablement régner au sein du collège que si ses membres la recherchent activement.

Pour cela, il est nécessaire que les membres du Conseil fédéral s'informent réciproquement et en temps utile des affaires importantes, que ce soit en vue d'une prise de décision formelle du collège, d'une discussion approfondie visant à définir une stratégie ou lors de la passation des dossiers, que ce soit d'un président de la Confédération à son successeur ou d'un conseiller fédéral au sien.

Par ailleurs, la CdG-E considère que ce dossier aurait dû remonter les niveaux hiérarchiques plus rapidement. Premièrement, la cheffe du DFAE aurait dû, en tant que responsable politique, être informée avant l'arrestation du couple K. de la demande adressée par les autorités genevoises. Deuxièmement, le Conseil fédéral en tant que collège aurait dû s'impliquer plus tôt et définir à son niveau la stratégie à suivre, c'est-à-dire les buts, les moyens et les délais prévus pour atteindre ces buts.

En outre, la présente enquête a révélé le besoin d'une réflexion approfondie sur les modalités de collaboration entre autorités fédérales
et autorités cantonales en matière de politique extérieure. Au vu de l'impact croissant des décisions prises au niveau international sur la politique intérieure, il est essentiel que l'attention requise soit accordée aujourd'hui à cette réflexion, afin de limiter à l'avenir les risques de tensions entre les différents niveaux de l'Etat fédéral suisse.

Pour finir, la CdG-E tient à souligner que bien que le présent rapport se concentre sur les principaux dysfonctionnements ayant surgi durant la période sous revue, elle est pleinement consciente du défi considérable qu'a représenté la gestion de la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye pour les autorités fédérales. Ce défi a été rendu plus difficile encore par l'instrumentalisation de la crise à des fins de politique intérieure et par la publication répétée par la presse d'informations confidentielles, voire secrètes. Dans ce cadre, la publication le 4 septembre 2009 ­ suite à une fuite ­ des photographies de H.K. prises durant son arrestation a selon toute vraisemblance passablement contribué à aggraver la situation.

3994

En dépit des critiques soulevées dans le présent rapport, dont l'objectif principal est de tirer des leçons pour l'avenir, la commission tient aussi à relever que tant la cheffe du DFAE que le président de la Confédération 2009 se sont fortement engagés dans ce dossier, et y ont consacré une énergie et un travail considérables dans le but de permettre aux deux ressortissants suisses de quitter la Libye.

Enfin, la CdG-E est consciente de l'engagement et du travail important fourni par l'ensemble des collaborateurs de l'administration concernés, en particulier les représentants du corps diplomatique tant à Berne qu'à Tripoli, et cela dans un contexte particulièrement difficile et éprouvant. Elle tient à les remercier ici expressément.

7

Suite des travaux

La CdG-E transmet au Conseil fédéral le présent rapport assorti de 14 recommandations en le priant de donner son avis d'ici à fin avril 2011. Elle invite le Conseil fédéral à lui indiquer quelles mesures il entend prendre sur cette base ainsi que leur délai de mise en oeuvre.

Dans la mesure où le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève souhaite s'exprimer sur le présent rapport, il est invité à le faire dans le délai susmentionné.

Le présent rapport est également transmis pour information aux Commissions de politique extérieure des deux Chambres et à la Commission de gestion du Conseil national.

3 décembre 2010

Pour la Commission de gestion du Conseil des Etats: Le président de la CdG-E et de la DélCdG, Claude Janiak Le président de la sous-commission DFAE/DDPS, Peter Briner La secrétaire des CdG et de la DélCdG, Beatrice Meli Andres La secrétaire de la sous-commission, Jacqueline Dedeystère

3995

Annexe 1

Liste des personnes entendues (par ordre alphabétique; liste non exhaustive) ­ Ambühl Michael

Secrétaire d'Etat et directeur politique du DFAE (jusqu'au 28.2.2010)

­ Blattmann André

Chef de l'armée, DDPS

­ Börlin Markus

Chef de la Division politique VI, DFAE

­ Calmy-Rey Micheline

Cheffe du DFAE

­ Couchepin Pascal

Président de la Confédération en 2008, chef du DFI (jusqu'au 1.11.2009)

­ Helg Pierre

Secrétaire d'Etat adjoint (domaine régional) et directeur politique adjoint du DFAE

­ Knuchel Lars

Chef de l'Information DFAE

­ Lazzarotto Stefano

Chargé d'affaires a.i., ambassade de Suisse en Libye (à partir du 1.5.2009)

­ Leuenberger Moritz

Chef du DETEC (jusqu'au 31.10.2010)

­ Leuthard Doris

Présidente de la Confédération en 2010, cheffe du DFE (jusqu'au 31.10.2010)

­ Longchamp François

Président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève (2010), chef du Département de la solidarité et de l'emploi

­ Maurer Peter (a accompagné la cheffe du DFAE lors de son audition du 26.10.10)

Secrétaire d'Etat et directeur politique du DFAE (à partir du 28.2.2010)

­ Maurer Ueli

Chef du DDPS (à partir du 1.1.2009)

­ Merz Hans-Rudolf

Président de la Confédération en 2009, chef du DFF (jusqu'au 31.10.2010)

­ Meyerhans Elisabeth

Secrétaire générale du DFF

­ Moutinot Laurent

Conseiller d'Etat de la République et canton de Genève, chef du Département des institutions (jusqu'à fin 2008)

­ Pitteloud Jacques

Chef du Secrétariat politique, DFAE (jusqu'à fin juin 2010)

­ Rauber Saxer Andrea

Conseillère diplomatique du président de la Confédération 2009 (jusqu'à fin 2009)

­ Rohner Jack

Attaché de défense, DDPS (jusqu'à fin juin 2010)

­ Schmid Samuel

Chef du DDPS (jusqu'au 31.12.2008)

3996

­ Seger Paul (a accompagné la cheffe du DFAE lors de son audition du 12 avril 2010)

Directeur de la Direction du droit international public, DFAE (jusqu'au printemps 2010)

­ Seiler Markus

Directeur du SRC

­ Stutz Marcel

Chef de la Division politique II, DFAE

­ Trier-Somazzi Rita

Responsable du Secteur Moyen-Orient et Afrique, SECO, DFE

­ Von Muralt Daniel

Ambassadeur de Suisse en Libye (jusqu'au 1.5.2009)

­ Zellweger Valentin

Directeur suppléant de la Direction du droit international public (jusqu'au printemps 2010) puis Directeur de la Direction du droit international public, DFAE

­ Zinniker Paul

Directeur suppléant du SRC

En plus des personnes mentionnées ci-dessus, les personnes suivantes ont fourni des informations par écrit (liste non exhaustive): ­ Budliger Artieda Helene

Directrice de la Direction des ressources, DFAE

­ Burkhalter Didier

Chef du DFI (à partir du 1.11.2009)

­ Casanova Corina

Chancelière de la Confédération

­ David Eugen

Président de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats (à partir de 2010)

­ Markwalder Christa

Présidente de la Commission de politique extérieure du Conseil national (à partir de 2010)

­ Thalmann Anton

Secrétaire d'Etat adjoint (domaine thématique) et directeur politique adjoint du DFAE

3997

Annexe 2

3998

Annexe 3

3999

Annexe 4

4000

4001

Annexe 5

4002

4003

Annexe 6

4004

Annexe 7

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Annexe 8

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Annexe 9

Organisation de la gestion de crise: brève description des différents organes interdépartementaux 1.

«Kerngruppe Libyen»: ­ existe du 15 juillet 2008 au 26 août 2009; ­ est placé sous la conduite du secrétaire d'Etat adjoint du DFAE (domaine régional), à l'exception des premiers jours (15.7.2008 au 21.7.2008) où la conduite est exercée par le secrétaire d'Etat adjoint du DFAE (domaine thématique); ­ est composé de représentants du DFAE (Direction politique, Secrétariat politique, Direction du droit international public, Division politique II et Division politique VI) et d'une représentante du DFE (SECO).

2.

«Groupe de travail interdépartemental»: ­ existe du 23 juillet 2008 au 26 mars 2009; ­ est placé sous la conduite du secrétaire d'Etat adjoint du DFAE (domaine régional); ­ est composé de représentants du DFAE, du DDPS, du DFI (jusqu'à fin octobre 2008), du DFJP, du DFE et de l'Etat-major de la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité.

3.

«Task Force LI-CH-T»: ­ existe du 26 août 2009 au 22 juin 2010; ­ est placée sous la conduite du secrétaire d'Etat du DFAE; ­ est composée de représentants du DFAE, du DFF, du DFE, du DFJP et du DDPS.

4057

4058