05.445 / 07.476 Initiatives parlementaires Juridiction constitutionnelle Faire en sorte que la Constitution soit applicable pour les autorités chargées de mettre en oeuvre le droit Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 12 août 2011

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous soumettons le projet d'une modification de la Constitution fédérale que nous transmettons simultanément au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'adopter le projet de l'acte ci-joint.

12 août 2011

Pour la commission: La présidente, Anita Thanei

2011-1757

6707

Condensé Pour aller dans le sens des deux initiatives parlementaires, la majorité de la commission propose d'abroger l'art. 190 de la Constitution. Cette abrogation entraînerait la suppression de l'immunité des lois fédérales. Celles-ci, comme les ordonnances fédérales et les actes normatifs cantonaux, pourraient voir leur conformité à la Constitution et au droit international contrôlée par toutes les autorités en rapport avec un acte d'application. Elles seraient contrôlées en premier lieu quant à leur conformité avec l'ensemble de la Constitution. Le Tribunal fédéral, à la différence de ce qui se passe aujourd'hui, donnerait la prépondérance sur une loi fédérale aux droits fondamentaux qui ne sont pas garantis par le droit international et aux dispositions constitutionnelles sur le partage des compétences entre la Confédération et les cantons.

Une minorité de la commission (10 voix) est opposée à tout contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois fédérales et propose donc de ne pas entrer en matière sur la proposition d'arrêté fédéral.

6708

Rapport 1

Situation initiale

1.1

Initiatives parlementaires

Le 7 octobre 2005, le conseiller national Heiner Studer a déposé une initiative parlementaire visant à modifier la Constitution afin d'étendre la juridiction constitutionnelle à l'examen des lois fédérales. Il s'inspirait d'un volet qui avait été écarté dans le cadre de la révision totale de la Constitution (cf. ch. 1.4). Le 12 octobre 2007, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a procédé à l'examen de l'initiative et décidé, par 9 voix contre 7 et 6 abstentions, d'y donner suite. Le 13 mai 2008, son homologue du Conseil des Etats a refusé, par 7 voix contre 5, de se rallier à cette décision. Le 17 octobre 2008, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a toutefois décidé, par 15 voix contre 8 et 1 abstention, de maintenir sa position. Le 28 avril 2009, le Conseil national a donné suite à l'initiative par 80 voix contre 67. Le 15 juin 2009, la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats s'est finalement ralliée à cette décision par 6 voix contre 5.

Le 5 octobre 2007, la conseillère nationale Vreni Müller-Hemmi a déposé une initiative parlementaire visant à relativiser l'immunité des lois fédérales face à la juridiction constitutionnelle. Le 17 octobre 2008, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a décidé, par 14 voix contre 8 et 2 abstentions, de donner suite à l'initiative. Le 15 juin 2009, son homologue du Conseil des Etats s'est ralliée à cette décision à l'unanimité.

1.2

Travaux de la commission

Le 28 janvier 2010, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (ci-après: la commission) a chargé une sous-commission d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre les initiatives parlementaires, d'éclaircir les questions y relatives, et de lui présenter, dans un délai d'un an, un rapport à ce sujet.

Composée de Daniel Vischer (président), Viola Amherd, Kurt Fluri, Daniel Jositsch, Yves Nidegger, Barbara Schmid-Federer, Pirmin Schwander, Carlo Sommaruga et Luzi Stamm, la sous-commission a siégé quatre fois durant la période d'avril à novembre 2010.

La sous-commission a procédé à l'audition d'experts en droit et d'une délégation du Tribunal fédéral. Ceux-ci étaient invités à se prononcer notamment sur l'opportunité, du point de vue du droit public, d'étendre la juridiction constitutionnelle à l'examen des lois fédérales, à donner une appréciation générale des deux initiatives parlementaires, et, le cas échéant, à présenter d'autres solutions.

Le 10 septembre 2010, après examen de plusieurs options possibles, la souscommission a décidé d'en soumettre deux à la commission. Elle donnait la préférence à une option A, soit l'abrogation pure et simple de l'art. 190 de la Constitution

6709

(Cst.)1 Elle proposait comme option B de modifier cet article en y ajoutant un alinéa, aux termes duquel les autorités ne seraient pas tenues d'appliquer les lois fédérales qui violent les droits fondamentaux garantis par la Constitution ou les droits de l'homme garantis par le droit international.

Le 20 janvier 2011, la commission a adopté un avant-projet par 15 voix contre 8 et 2 abstentions. Une minorité a proposé de ne pas entrer en matière sur cet avant-projet.

La grande majorité de la commission (22 voix contre 2 et 2 abstentions) s'est prononcée pour l'abrogation de l'art. 190 Cst., alors qu'une minorité a soutenu l'option B qui avait été proposée par la sous-commission. La commission a adopté le rapport explicatif relatif à l'avant-projet le 17 février 2011, après quoi une consultation a été ouverte.

La commission a pris connaissance des résultats de cette consultation le 23 juin 2011, et décidé à 13 voix contre 10 et 2 abstentions d'opter pour la proposition de la majorité présentée dans l'avant-projet. Elle a adopté un rapport en ce sens le 12 août 2011.

La commission a été soutenue dans ses travaux par le Département fédéral de justice et police, en application de l'art. 112, al. 1, de la loi sur le Parlement (LParl)2.

1.2.1

Résultat de l'audition de la sous-commission

Les participants à l'audition du 28 mai 2010 se sont prononcés en faveur du principe de l'extension de la juridiction constitutionnelle, notamment parce que la Constitution se situe au-dessus des lois fédérales dans la hiérarchie des normes du droit interne. Certains ont jugé qu'il était difficilement admissible que les droits fondamentaux garantis par le droit international puissent empêcher dans les cas d'espèce l'application de lois fédérales, alors que ce n'est pas le cas des droits fondamentaux prévus par la Constitution. Compte tenu de la multiplication des compétences législatives déléguées à la Confédération, il deviendrait pour eux toujours plus pressant de pouvoir contrôler la constitutionnalité des lois fédérales. En Suisse, les droits populaires ne s'y opposent d'ailleurs pas: la légitimité démocratique de la Constitution est supérieure à celle des lois fédérales, car elle repose sur le référendum obligatoire et la majorité des cantons requise en cas de révision constitutionnelle. La plupart des personnes entendues ont défendu l'idée d'un système diffus, où le contrôle appartient à toutes les autorités d'application du droit. Un système qui verrait le Tribunal fédéral oeuvrer comme seul organe de contrôle était rejeté. Il a notamment été avancé que la qualité de la jurisprudence du Tribunal fédéral exige qu'une autre instance se soit penchée au préalable sur la question litigieuse.

1 2

RS 101 RS 171.10

6710

1.3

Droit en vigueur

1.3.1

Examen de la conformité des décisions et des actes normatifs avec la Constitution et le droit international

A tous les niveaux, les autorités fédérales et cantonales sont tenues de respecter la Constitution fédérale et le droit international lorsqu'elles légifèrent ou qu'elles appliquent le droit. Le fait que la Constitution fédérale doive être respectée découle de sa nature même de texte fondamental de l'Etat. De plus, en tant que droit fédéral, elle prime le droit cantonal (art. 49 Cst.). Quant au droit international, l'obligation pour la Confédération et les cantons de le respecter est inscrite à l'art. 5, al. 4, Cst.

Toutes les autorités d'application du droit sont en principe tenues de refuser, d'office, de mettre en oeuvre les dispositions d'actes normatifs qui sont contraires au droit supérieur3. Cette obligation est une conséquence du principe de la légalité inscrit à l'art. 5, al. 1, Cst.4 Il est possible d'invoquer une violation de la Constitution ou du droit international pour attaquer une décision au niveau fédéral ou au niveau cantonal5. Une telle violation peut découler de l'application d'un acte normatif contraire à la Constitution ou au droit international.

La légalité des actes normatifs cantonaux peut donc être examinée ­ à titre préjudiciel ­ en rapport avec un acte d'application (contrôle concret des normes). Mais il est aussi possible de recourir contre l'acte normatif cantonal lui-même devant le Tribunal fédéral, selon l'art. 82, let. b, de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF)6 (contrôle abstrait des normes). Par contre, la législation fédérale ne prévoit pas de recours direct contre les actes normatifs de la Confédération, c'est-à-dire pas de contrôle abstrait des normes fédérales.

1.3.2

Restriction prévue à l'art. 190 Cst.

Le contrôle de la constitutionnalité des normes selon les principes exposés plus haut (ch. 1.3.1) est sévèrement limité par l'art. 190 Cst.: le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international, ce qui veut dire que ces derniers doivent être appliqués même s'ils sont contraires à la Constitution.

3

4 5

6

Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Berne 2006, n. 1895 ss; André Grisel, Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984, p. 327, 1020; Fritz Gygi, Verwaltungsrecht, Berne 1986, p. 95; Ulrich Häfelin / Walter Haller / Helen Keller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e éd., Zurich 2008, n. 2073 ss; ATF 107 Ib 243 c. 4; 108 Ib 540 c. 4c.

Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd., Berne 2007, § 11 n. 36.

Cf. notamment les art. 95, let. a et b, 110 et 111, al. 3, de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110); l'art. 49, let. a, de la loi fédérale du 20 déc. 1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021).

RS 173.110

6711

La formulation de l'art. 190 Cst., adoptée dans le cadre du projet de mise à jour de la constitution, dérive de celle de l'art. 113, al. 3, de la constitution de 18747. Certes, l'ancienne constitution ne parlait pas de droit international mais seulement des traités ratifiés par l'Assemblée fédérale. Mais l'extension de cette réserve aux traités que le Conseil fédéral a conclus de son propre chef et aux autres sources du droit international (par ex. le droit coutumier et les règles générales du droit international) correspondait à la doctrine dominante et à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral. La mention des «autres autorités» (et non plus du seul Tribunal fédéral) comme destinataire de la norme n'excédait pas non plus le cadre de la mise à jour du droit constitutionnel.

Il est majoritairement admis qu'une nouvelle disposition constitutionnelle (c'est-àdire adoptée après l'art. 190 Cst.) contraire à une loi fédérale antérieure prime cette dernière8.

Une modification matérielle de l'art. 190 Cst. avait été proposée dans le cadre de la réforme de la justice (cf. ch. 1.4). L'Assemblée fédérale y a finalement renoncé lors de la conférence de conciliation.

1.3.3

L'art. 190 Cst. dans la pratique du Tribunal fédéral

L'immunité des lois fédérales et du droit international prévue à l'art. 190 Cst. signifie qu'il n'est pas possible d'invoquer la Constitution pour refuser de les mettre en oeuvre. Selon une pratique aujourd'hui établie, le Tribunal fédéral ne considère pas l'art. 190 Cst. comme une interdiction d'examiner la compatibilité des lois fédérales ou du droit international avec la Constitution9. S'il constate, ce faisant, une incompatibilité, il ne peut cependant que la signaler dans les considérants de l'arrêt.

S'il met en doute la constitutionnalité ou la conformité au droit international d'une loi fédérale, le Tribunal fédéral examine d'abord s'il est possible d'interpréter cette loi de façon à éviter un conflit avec le droit supérieur. Il n'y a toutefois pas place pour une interprétation conforme à la Constitution ou au droit international lorsque les règles reconnues de l'interprétation des lois portent à conclure nettement à un autre résultat10. En ce cas, le Tribunal fédéral décide du droit prépondérant selon les critères suivants:

7 8

9 10

Cf. message du 20 nov. 1996 sur une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, p. 436 s.

Message (note 7), p. 429; Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier, op. cit.

(note 3), n. 1890; Giovanni Biaggini, Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Zurich 2007, Art. 190 n. 14; Yvo Hangartner, in: Bernhard Ehrenzeller / Philippe Mastronardi / Rainer J. Schweizer / Klaus A. Vallender [éd.], Die schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2e éd., Zurich 2008, art. 190 n. 33; Pascal Mahon, in: Jean-François Aubert / Pascal Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, Zurich 2003, art. 190 n. 15; René Rhinow / Markus Schefer, Schweizerisches Verfassungsrecht, Bâle 2009, n. 2858.

Yvo Hangartner, op. cit. (note 8), art. 190 n. 8 et les références qui s'y trouvent.

Cf. Fritz Gygi, op. cit. (note 3), p. 144.

6712

­

Les normes du droit international qui garantissent des droits de l'homme priment les lois fédérales11. Ce sont essentiellement les droits de l'homme garantis par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)12 et par le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU)13. Donc, les droits fondamentaux consacrés par la Constitution dont la portée n'est pas plus étendue que celle des droits de l'homme garantis par le droit international bénéficient du même privilège.

­

Si le conflit de normes ne concerne pas un droit fondamental ou du moins pas un qui soit garanti par le droit international, la loi fédérale postérieure (qui ne permet pas une interprétation conforme à la Constitution) prime le droit constitutionnel antérieur. Dans la mesure où la loi a été édictée en dérogation au droit international en pleine connaissance de cause, elle prime aussi le droit international antérieur (jurisprudence Schubert)14.

Au nombre des droits fondamentaux constitutionnels qui ne sont pas ­ ou pas totalement ­ garantis par le droit international, on compte le principe général de l'égalité (art. 8, al. 1, Cst.), l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), la liberté d'établissement (art. 24 Cst.), la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), la liberté économique (art. 27 Cst.) et le droit de prendre part aux élections et votations (art. 34 Cst.).

1.4

Projets de révision à l'origine de la réforme de la justice du 12 mars 2000

Si le Conseil fédéral a présenté, dans son message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, un arrêté fédéral distinct pour la réforme de la justice, c'était notamment parce que des lacunes avaient été constatées dans le dispositif de protection juridique. Aux yeux du Conseil fédéral, l'une de ces lacunes était «due à ce qu'on appelle l'impunité des lois fédérales et des arrêtés fédéraux de portée générale» (art. 113, al. 3, et 114bis, al. 3, de la constitution de 1874). Compte tenu du transfert de nombreuses compétences cantonales à la Confédération depuis 1874 et de l'implication de la Suisse dans le droit international (en particulier depuis l'entrée en vigueur de la CEDH), le Conseil fédéral estimait qu'il était devenu difficilement concevable que les actes normatifs les plus importants de la Confédération échappent encore à tout contrôle judiciaire15.

Ainsi le projet d'arrêté fédéral C relatif à la réforme de la justice comportait un art. 178, intitulé «Contrôle des normes», qui prévoyait un contrôle concret des normes et en vertu duquel la seule instance compétente était le Tribunal fédéral (système concentré). Celui-ci aurait examiné la compatibilité des lois fédérales avec les droits constitutionnels et le droit international (al. 1). A la demande d'un canton, 11

12 13 14 15

ATF 125 II 417 c. 4d; 133 II 450 c. 2.2; 136 II 241 c. 16.1; Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier, op. cit. (note 3), n. 1882 ss; Giovanni Biaggini, op. cit.

(note 8), art. 190 n. 16; Ulrich Häfelin / Walter Haller / Helen Keller, op. cit. (note 3), n. 1926a; Yvo Hangartner, op. cit. (note 8), art. 190 n. 32; Pascal Mahon, op. cit. (note 8), art. 190 n. 9; René Rhinow / Markus Schefer, op. cit. (note 8), n. 2863, 3643.

RS 0.101 RS 0.103.2 ATF 99 Ib 39; 136 III 168 c. 3.3.4.

Message (note 7), p. 498, 500 s.

6713

le Tribunal fédéral aurait en outre dû examiner, dans le cadre d'un acte d'application, la compatibilité des lois fédérales avec les compétences cantonales garanties par la Constitution (al. 2). Par ailleurs, le soin était laissé au Tribunal fédéral de décider dans quelle mesure devait être appliquée une disposition d'une loi fédérale violant le droit international ou des droits constitutionnels (al. 3). Les propositions du Conseil fédéral ont été très bien accueillies lors de la consultation16.

Lors des délibérations au Parlement concernant ledit article, le 5 mars 1998, le Conseil des Etats a décidé, par 19 voix contre 14, de se rallier à l'avis de sa commission et au projet du Conseil fédéral17. Le 25 juin 1998, le Conseil national a suivi quant à lui, par 87 voix contre 39, une minorité de sa commission qui rejetait l'extension de la juridiction constitutionnelle et proposait une formulation qui est celle de l'actuel art. 190 Cst.18. Le 1er octobre 1998, le Conseil des Etats a toutefois maintenu sa décision, par 26 voix contre 1119. Le 9 juin 1999, le Conseil national a adopté, par 95 voix contre 56, un texte correspondant pour l'essentiel à la version du Conseil des Etats et du Conseil fédéral. L'al. 1 disposait que le Tribunal fédéral examinerait si une loi fédérale viole des droits fondamentaux ou le droit international directement applicable (au lieu de parler des droits constitutionnels et du droit international)20. Le 30 août 1999, le Conseil des Etats a approuvé ce texte par 23 voix contre 1521.

Dans le cadre de l'élimination des dernières divergences concernant la réforme de la justice, la Commission de la révision constitutionnelle du Conseil national a proposé de scinder le projet afin que le contrôle des normes en soit exclu et fasse l'objet d'un arrêté fédéral distinct. Pour sa part, la commission du Conseil des Etats a refusé l'idée d'un vote optionnel ou fragmenté, mais elle était d'accord pour créer une nouvelle divergence en renonçant au contrôle des normes applicable aux lois fédérales. Le 6 octobre 1999, le Conseil national a alors décidé, par 105 voix contre 55, de biffer l'article concerné du projet22. Le 7 octobre 1999, sur proposition de la conférence de conciliation, les deux conseils ont approuvé cette ultime version du Conseil national23. Le conseiller national Rolf
Engler, rapporteur germanophone de la commission, a déclaré à ce sujet devant la Chambre basse: «La Commission de la révision constitutionnelle du Conseil national regrette vivement que le Conseil des Etats n'ait pas approuvé la division du projet. La commission du Conseil des Etats a en effet estimé qu'une telle division aurait équivalu à le contrôle des normes ­ ou tout au moins à délivrer le permis de le faire. Or, votre commission ne partage pas cet avis: pour elle, cette façon de procéder aurait constitué une solution satisfaisante et appropriée. Avec le choix qui a été fait, nous devons nous contenter d'un minimum, même s'il représente un premier pas vers la réforme de la justice. Il n'en demeure pas moins qu'il nous faudra franchir encore d'autres étapes tant au niveau des lois qu'à celui de la Constitution.» [trad.] En votation finale le 8 octobre 1999, le Conseil des Etats a adopté le projet à l'unanimité; le Conseil national l'a adopté par 165 voix contre 8, avec 10 abstentions24. Le jour même, le conseiller national Otto 16 17 18 19 20 21 22 23 24

Message (note 7), p. 90 ss.

BO 1998 E 258 ss.

BO 1998 N 1465 ss.

BO 1998 E 1018 ss.

BO 1999 N 1011 ss.

BO 1999 E 606 s.; concernant le texte adopté par les deux conseils, cf. FF 2010 2057.

BO 1999 N 2048 s.

BO 1999 E 979 s.; N 2130.

BO 1999 E 993; N 2305 s.

6714

Zwygart a déposé une initiative parlementaire25 sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, où il reprenait la disposition de l'art. 178 («Contrôle des normes») du projet du Conseil fédéral sur la réforme de la justice. Le 2 octobre 2000, le Conseil national a toutefois décidé, par 74 voix contre 37, de ne pas donner suite à cette initiative26.

1.5

Avant-projet du 17 février 2011

L'avant-projet du 17 février 2011 prévoyait, conformément aux décisions prises par la commission, l'abrogation de l'art. 190 Cst. Il comprenait également une proposition de minorité (ex-option B de la sous-commission), qui se bornait à compléter l'art. 190 Cst. de telle sorte que les autorités d'application du droit ne soient plus liées par les lois fédérales qui violent les droits fondamentaux garantis par la Constitution ou les droits de l'homme garantis par le droit international.

1.5.1

Procédure de consultation

La procédure de consultation, que la commission a ouverte le 17 février 2011, s'est achevée le 20 mai 2011. Y ont participé les 26 cantons ainsi que sept partis politiques, les trois plus importants tribunaux fédéraux, quatorze organisations (parmi lesquelles sept n'avaient pas été officiellement invitées à prendre position), une faculté de droit et un particulier27.

Quinze cantons28, trois partis29, huit organisations, la faculté de droit et le particulier plaident en faveur du contrôle illimité de la constitutionnalité des lois fédérales. Le renforcement de l'Etat de droit et du fédéralisme ainsi que la protection des droits fondamentaux sont les raisons les plus fréquemment évoquées. Au contraire, cinq cantons30 et un parti31 rejettent cette proposition, estimant qu'elle va trop loin.

Douze cantons32, trois partis33, sept organisations, la faculté de droit et le particulier approuvent explicitement l'abrogation de l'art. 190 Cst., alors que d'autres participants prônent plutôt une reformulation dudit article. Certains34 souhaitent que les mécanismes de la juridiction constitutionnelle soient détaillés dans la Constitution.

Plusieurs participants sont en faveur d'une extension limitée de la juridiction constitutionnelle: ainsi, le canton de Soleure souhaiterait que le contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales ne porte que sur leur compatibilité avec le partage constitutionnel des compétences entre la Confédération et les cantons. Quatre cantons35

25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35

Initiative parlementaire Zwygart. Contrôle de la constitutionnalité des lois (99.455).

BO 2000 N 1089 ss.

Le rapport sur les résultats de la procédure de consultation est disponible à l'adresse suivante: www.parlament.ch/f/dokumentation/berichte/vernehmlassungen/05-445-07-476 AG, AR, BE, BL, BS, FR, GE, GL, GR, LU, NW, SG, TG, ZG, ZH.

PEV, PES, PS.

OW, SH, SO, UR, VD.

PDC.

AG, BE, BL, FR, GL, GR, LU, NW, SG, TG, ZG, ZH.

PEV, PES, PS.

Le canton d'AR, par ex.

OW, SH, UR, VD.

6715

et deux partis36 souhaitent quant à eux que l'examen des lois fédérales soit limité au contrôle de leur conformité avec les droits fondamentaux; au contraire, seize cantons37, le parti écologiste, trois organisations et la faculté de droit estiment que cette solution est insuffisante.

Cinq cantons38, deux partis39 et six organisations se prononcent contre toute extension de la juridiction constitutionnelle, avançant comme principaux arguments le risque d'une politisation de la justice et le fait que le législateur dispose d'une plus grande légitimité démocratique que les autorités judiciaires pour concrétiser la Constitution (compte tenu notamment de la possibilité pour les citoyens de recourir au référendum).

La position selon laquelle la juridiction constitutionnelle devrait se limiter, à l'égard des lois fédérales, au contrôle concret des normes n'est sur le fond contestée par aucun des participants à la consultation. Huit cantons40 prônent toutefois l'inscription dans la loi d'une disposition qui permettrait aux cantons d'attaquer directement devant le Tribunal fédéral les lois fédérales qui violeraient les compétences cantonales garanties par la Constitution (contrôle abstrait des normes).

La grande majorité des partisans d'une extension de la juridiction constitutionnelle sont favorables à ce que l'ensemble des autorités chargées de l'application du droit soient habilitées à effectuer un contrôle préjudiciel des lois fédérales (système diffus). Ils voient dans ce système une solution pragmatique, qui pourrait s'appuyer sur les expériences engrangées lors de l'examen préjudiciel des lois cantonales et des ordonnances fédérales. Au contraire, quatre cantons41 et une organisation sont favorables à ce que le Tribunal fédéral soit seul compétent pour procéder au contrôle concret des lois fédérales (système concentré). Selon eux, cela permettrait notamment de garantir la sécurité du droit et d'empêcher que les cantons ou des instances inférieures de la Confédération interprètent diversement la Constitution.

2

Arguments en faveur d'une extension de la juridiction constitutionnelle aux lois fédérales

La situation a fondamentalement changé depuis la décision du constituant de 1874 de refuser au Tribunal fédéral le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales. Il existe aujourd'hui un certain nombre d'arguments en faveur d'une extension de la juridiction constitutionnelle aux lois fédérales.

­

36 37 38 39 40 41

A la fin du XIXe siècle, les restrictions des libertés des citoyens se trouvaient principalement dans les lois cantonales, qui pouvaient éventuellement être contraires à la Constitution. Depuis lors, il y a eu un transfert massif des contenus législatifs vers le droit fédéral. Si, autrefois, l'immunité des lois fédérales face à la juridiction constitutionnelle ne limitait guère la protection juridique des citoyens, tel n'est plus le cas aujourd'hui.

PDC, UDF.

AG, AR, BE, BL, BS, FR, GE, GL, GR, JU, LU, NW, SG, TG, ZG, ZH.

AI, NE, SZ, TI, VS.

PLR, UDC.

AG, BE, FR, GR, NW, TG, ZG, ZH.

BS, JU, SO, TI.

6716

­

Des dispositions de lois fédérales peuvent s'avérer contraires à la Constitution dans un cas concret très particulier ou le devenir parce que le contexte a changé. L'Assemblée fédérale n'est pas en mesure de prévoir tous les cas de figure possibles.

­

L'expérience de l'examen des lois cantonales par le Tribunal fédéral montre que celui-ci fait preuve de retenue, sans s'arroger le pouvoir de prendre des décisions politiques. Mieux encore, par sa juridiction constitutionnelle à l'égard des cantons, il a contribué à des évolutions généralement jugées positives aujourd'hui, par exemple dans les domaines de la liberté de croyance et de conscience, de la liberté d'expression et du droit à l'information ou de la liberté économique.

­

Alors que l'action du législateur peut être déterminée par l'actualité politique, le juge constitutionnel prend en compte les valeurs fondamentales et durables de la Constitution, qui s'expriment au travers des droits fondamentaux. Il contribue à ce que le droit évolue dans le sens de ces droits fondamentaux. Le modèle de deux pouvoirs qui se complètent et se limitent mutuellement correspond davantage à la réalité constitutionnelle suisse que l'idée d'une séparation strictement logique entre un législateur qui crée le droit et des tribunaux qui ne font qu'exécuter sa volonté.

­

Le Tribunal fédéral exerce déjà un contrôle constitutionnel des lois fédérales, à l'aune des droits de l'homme garantis par la CEDH (cf. ch. 1.3.3). On ne saurait renoncer à cette pratique, de peur que les recours au Tribunal fédéral pour violation de ces droits par une loi fédérale ne soient qu'une étape dénuée de sens avant le recours aux instances de Strasbourg. Si la Cour européenne des droits de l'homme concluait à une violation de la CEDH, il faudrait en outre que le Tribunal fédéral révise éventuellement son arrêt en vertu de l'art. 122 de la LTF.

­

Le fait que le Tribunal fédéral contrôle de facto la conformité à la CEDH des lois fédérales dévalorise la Constitution, qui devrait être le critère premier pour les autorités qui légifèrent et qui appliquent le droit en Suisse.

On trouvera une présentation plus détaillée de ces arguments dans le message relatif à la réforme de la justice (partie «Réforme de la justice» du message du 20 novembre 1996 sur une nouvelle constitution fédérale42), élaborée avec l'aide d'une commission d'experts43.

3

Nouvelle réglementation proposée

3.1

Objet de la nouvelle règlementation

Les initiatives parlementaires Studer Heiner et Müller-Hemmi demandent que la Constitution soit modifiée de sorte que les lois fédérales, comme tout autre acte normatif, puissent être examinées quant à leur conformité au droit supérieur en rapport avec un acte d'application.

42 43

Message (note 7), p. 513 ss.

Cf. message (note 7), p. 496, note 7.

6717

Aucune des deux initiatives ne met en question le rapport entre la Constitution et le droit international. La question de l'opportunité d'améliorer la protection contre les normes constitutionnelles contraires au droit international (au moins par un renforcement du contrôle préventif des normes) est l'objet de l'initiative parlementaire Vischer «Validité des initiatives populaires» (07.477)44 et du rapport additionnel du Conseil fédéral du 30 mars 2011, élaboré en complément du rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne45.

Les deux initiatives parlementaires examinées ici ne postulent pas non plus de réforme fondamentale de la situation actuelle concernant le rapport entre les lois fédérales et le droit international.

La commission s'est donc concentrée sur l'objet central de ces deux initiatives: l'examen de la constitutionnalité des lois fédérales en rapport avec un acte d'application. C'est de propos délibéré qu'elle renonce à coupler l'extension de la juridiction constitutionnelle aux lois fédérales avec la création d'une norme constitutionnelle détaillée réglant la relation entre le droit interne et le droit international.

Comme le Conseil fédéral l'a exposé dans son rapport du 5 mars 2010, le principe de la primauté du droit international n'est pas appliqué automatiquement. Dans certains cas, il faut mettre en oeuvre des mécanismes de pesée des intérêts, tâche que les tribunaux sont le mieux à même d'accomplir. Dans tous les Etats étudiés dans le rapport, les tribunaux disposent aussi d'une certaine marge de manoeuvre dans l'application du principe de la primauté du droit international46.

3.2

Système concentré et système diffus

On parle d'un système concentré lorsque, dans un Etat donné, un seul tribunal est habilité à contrôler la constitutionnalité des normes juridiques (comme en Allemagne, en France, en Italie, en Autriche, en Belgique ou au Luxembourg). Dans un système diffus, toutes les autorités d'application du droit peuvent ou doivent exercer le contrôle concret des normes (comme en Suisse pour les actes cantonaux et les ordonnances fédérales).

La commission privilégie le système diffus. Elle se distancie sur ce point de la proposition faite par le Conseil fédéral dans le cadre de la réforme de la justice en 1996 et de l'initiative parlementaire Studer Heiner 05.445. Le système diffus se pratique depuis longtemps en Suisse pour l'examen préjudiciel des actes normatifs cantonaux et des ordonnances fédérales et il peut être étendu sans difficulté technique au contrôle des lois fédérales. Un système concentré requerrait la création d'une procédure d'avis préjudiciel, afin que les instances inférieures ­ en particulier celles qui rendent des décisions définitives ­ puissent soumettre au Tribunal fédéral la question de la constitutionnalité d'une disposition légale. Cette procédure, relativement compliquée, ne se grefferait sur aucune tradition similaire en Suisse. Elle irait en outre au rebours des simplifications des procédures que la révision totale de 44

45 46

Le Conseil national a donné suite à l'initiative parlementaire Vischer le 11 mars 2009.

La Commission des institutions politiques du Conseil des Etats a décidé, le 28 juin 2011, de proposer au conseil de ne pas lui donner suite. Elle a préféré présenter une motion intitulée «Mesure visant à garantir une meilleure compatibilité des initiatives populaires avec les droits fondamentaux» (11.3751).

FF 2011 3401 FF 2010 2067, p. 2142.

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l'organisation judiciaire a apportées47, sans compter que la durée de la procédure, jusqu'à ce que la dernière instance ait tranché, serait plus longue si une procédure d'avis préjudiciel venait l'interrompre.

Plusieurs participants à la procédure ont exprimé la crainte que le système diffus n'entraîne un éparpillement de la jurisprudence. Or il est possible de parer à ce risque par des mesures législatives, en particulier par un droit de recours de la Confédération qui lui permettrait de déférer une décision devant le Tribunal fédéral en cas de non-application d'une loi fédérale (cf. ch. 3.4.1). L'application uniforme du droit n'est d'ailleurs pas une question spécifique à la constitutionnalité des lois fédérales. Le système judiciaire traditionnel prend le risque, dans une certaine mesure, qu'entre en force une décision contestable d'une instance cantonale ou d'une instance fédérale inférieure statuant sur d'autres litiges qui concernent l'interprétation de lois fédérales ou d'autres actes normatifs. La jurisprudence suit cependant avant tout la ligne tracée par les décisions des tribunaux supérieurs.

3.3

Proposition de la commission

La commission propose l'abrogation pure et simple de l'art. 190 Cst., par 13 voix contre 10 et 2 abstentions.

Cette abrogation entraînera la suppression de l'immunité des lois fédérales. Cellesci, comme les ordonnances fédérales et les actes normatifs cantonaux, pourront voir leur conformité à la Constitution et au droit international contrôlée par toutes les autorités en rapport avec un acte d'application (cf. ch. 1.3.1).

Elles seront contrôlées en premier lieu quant à leur conformité avec l'ensemble de la Constitution. Le Tribunal fédéral, à la différence de ce qui se passe aujourd'hui, donnera la prépondérance sur une loi fédérale aux droits fondamentaux qui ne sont pas garantis par le droit international et aux dispositions constitutionnelles sur le partage des compétences entre la Confédération et les cantons. En cas de contradiction entre une loi fédérale et le droit international, l'art. 5, al. 4, Cst. demeurera applicable: il postule en principe la primauté du droit international mais ne contient pas de règle stricte de résolution de conflit48. Le Tribunal fédéral pourra donc continuer de suivre la jurisprudence Schubert49 dans la même mesure qu'aujourd'hui (c'est-à-dire dans la mesure où les normes internationales concernées ne garantissent pas des droits de l'homme).

Suite à l'abrogation de l'art. 190 Cst., les conséquences en droit interne de conflits de normes entre le droit international et la Constitution ne devraient plus être appréciées que selon l'art. 5, al. 4, Cst.

La majorité de la commission considère l'abrogation de l'art. 190 Cst. comme une solution logique, conforme aux objectifs des deux initiatives parlementaires et propre à garantir dans tous les cas la primauté de la Constitution sur les lois fédérales contraires. C'est aussi la solution qui, parmi les différentes approches visant à étendre la juridiction constitutionnelle, a été le mieux accueillie en consultation.

47 48 49

Cf. Maya Hertig Randall, L'internationalisation de la juridiction constitutionnelle: défis et perspectives, in: RDS 129 [2010] II, p. 339 s.

Message (note 7), p. 137; Yvo Hangartner, op. cit. (note 8), Art. 5 n. 49.

Cf. note 14.

6719

Une minorité de la commission (10 voix) est opposée à tout contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois fédérales (appelé aussi «contrôle répressif») et propose donc de ne pas entrer en matière sur la proposition d'arrêté fédéral. Elle estime que cet instrument renforce par trop le pouvoir judiciaire. Elle souligne que les lois sont soumises au référendum facultatif et sont par ce biais légitimées par le peuple souverain, que ce soit tacitement ou explicitement.

3.4

Compléments au niveau de la loi

3.4.1

Questions générales de procédure

La proposition de la commission se limite à la modification constitutionnelle nécessaire pour permettre le contrôle préjudiciel des lois fédérales en rapport avec un acte d'application par toutes les autorités. Si besoin est, le législateur pourra opérer à cette même fin certaines adaptations des lois relatives à l'organisation judiciaire ou des codes de procédure. Les modifications législatives suivantes sont envisageables, sans être forcément nécessaires: ­

modification des dispositions qui excluent le recours au Tribunal fédéral dans certaines matières50 de sorte que ce dernier puisse toujours juger en dernière instance de la non-application d'une loi fédérale;

­

extension du droit de recours de la Confédération, qui n'est ouvert aujourd'hui contre toutes les décisions des tribunaux et des autorités cantonales qu'en droit public. Les organes de l'Assemblée fédérale n'ont pas de droit de recours (hormis en droit en matière de personnel)51;

­

compétence de prononcer de simples jugements en constatation lorsque le tribunal compétent veut laisser au législateur le soin de trouver une solution conforme à la Constitution.

3.4.2

Contrôle abstrait des normes à la demande d'un canton?

Plusieurs cantons ont demandé, lors de la consultation, la création d'un droit de recours direct devant le Tribunal fédéral contre les lois fédérales qui violent leurs compétences constitutionnelles. Cela signifierait, pour le Tribunal fédéral, procéder à un contrôle abstrait des normes.

Après avoir abrogé l'art. 190 Cst., le législateur aurait en soi la possibilité d'autoriser le contrôle abstrait des lois fédérales. Certes, l'art. 189, al. 4, Cst. interdit de porter les actes de l'Assemblée fédérale devant le Tribunal fédéral (ou une autre autorité), mais des exceptions peuvent être prévues au niveau législatif. La commission est opposée à l'idée de modifier la législation pour permettre de soumettre les actes normatifs fédéraux (notamment les lois fédérales) à un contrôle abstrait effectué par les autorités d'application du droit. Permettre que le Tribunal fédéral examine dans l'abstrait la conformité à la Constitution d'une loi fédérale au terme de la

50 51

Cf. notamment les art. 73, 79 et 83 LTF.

Cf. les art. 76, al. 2, 81, 89, al. 2, let. a et b, et 111, al. 2, LTF.

6720

procédure législative risquerait d'estomper la limite entre le débat politique et la détermination du droit applicable sur le plan judiciaire.

Selon l'art. 120, al. 1, let. a, LTF, le Tribunal fédéral connaît par voie d'action en instance unique des conflits de compétence entre autorités fédérales et autorités cantonales. Jusqu'à ce jour, il s'est reconnu habilité à examiner dans l'abstrait les actes normatifs lorsqu'il y avait différend sur la compétence législative52, bien que, selon l'art. 190 Cst., cela ne s'applique pas aux lois fédérales.

On ne saurait dire avec certitude si l'art. 120 LTF constitue une dérogation législative au sens de l'art. 189, al. 4, 2e phrase, Cst. telle que l'abrogation de l'art. 190 Cst.

ouvrirait aux cantons la possibilité d'agir auprès du Tribunal fédéral, sans référence à un cas d'espèce, pour exiger l'abrogation partielle ou totale d'une loi fédérale violant les compétences que leur octroie la Constitution53. Il reviendra au législateur de clarifier ce point dans un sens ou dans l'autre. Il devra à cet égard évaluer si les motifs avancés contre un contrôle abstrait des normes appliqué aux lois fédérales sont ou non pertinents dans le cas des actions des cantons.

4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Les propositions de la commission sont compatibles avec les obligations internationales de la Suisse. Elles ne modifient en principe pas la situation juridique en ce qui concerne la relation entre le droit international et le droit interne (cf. ch. 3.1 et 3.3).

52 53

ATF 136 I 156, notamment c. 2.2; 125 II 152, c. 1 à 3; 108 Ib 392.

En principe en faveur de cette thèse: Giovanni Biaggini, op. cit. (note 5), Art. 189 n. 21; Pascal Mahon, op. cit. (note 5), art. 189 n. 26; Bernhard Waldmann, in: Marcel Alexander Niggli / Peter Uebersax / Hans Wiprächtiger [éd.], Bundesgerichtsgesetz, Bâle 2008, Art. 120 n. 11; Alain Wurzburger, in: Bernard Corboz / Alain Wurzburger et al. [éd.], Commentaire de la LTF, Berne 2009, art. 120 n. 6.

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